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Document généré le 3 fév. 2019 03:57 L'Actualité économique Note sur les apports de Sismondi à la théorie classique Richard Arena Volume 57, numéro 4, octobre–décembre 1981 URI : id.erudit.org/iderudit/601007ar https://doi.org/10.7202/601007ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) HEC Montréal ISSN 0001-771X (imprimé) 1710-3991 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Arena, R. (1981). Note sur les apports de Sismondi à la théorie classique. L'Actualité économique, 57(4), 565–588. https:// doi.org/10.7202/601007ar Résumé de l'article The topic of the paper is to estimate the importance of the contribution of Sismondi's economic analysis to the classical economic theory. To do this, the theoretical framework and the main concepts of the latter approach are rst described. Three main themes allow us to distinguish the classical theory between the other ones: its conception of time and economic evolution, its apprehension of the dierent categories of economic agents and its analysis of wealth and prices. The paper deals with each theme and analyses its contents and place in Sismondi's work. The study of the relation between time and economie evolution allows the introduction of uncertainty in the perfect foresight classical scheme. As far as the notion of economic agent is concerned, Sismondi specied the classical conception of social classes in capitalism. Finally, in his treatment of wealth and prices, Sismondi emphasizes the importance of market forces and gluts. The conclusions of the paper are the following: Sismondi's approach and classical analysis cannot be interpreted as inconsistent; moreover, Sismondi can be considered both as Ricardo's successor and as Keynes' predecessor. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter en ligne. [https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/] Cet article est diusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. www.erudit.org Tous droits réservés © HEC Montréal, 1981

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Document généré le 3 fév. 2019 03:57

L'Actualité économique

Note sur les apports de Sismondi à la théorie classiqueRichard Arena

Volume 57, numéro 4, octobre–décembre 1981

URI : id.erudit.org/iderudit/601007arhttps://doi.org/10.7202/601007ar

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Éditeur(s)

HEC Montréal

ISSN 0001-771X (imprimé)1710-3991 (numérique)

Découvrir la revue

Citer cet article

Arena, R. (1981). Note sur les apports de Sismondi à la théorieclassique. L'Actualité économique, 57(4), 565–588. https://doi.org/10.7202/601007ar

Résumé de l'article

The topic of the paper is to estimate the importance of thecontribution of Sismondi's economic analysis to the classical economictheory. To do this, the theoretical framework and the main concepts ofthe latter approach are first described. Three main themes allow us todistinguish the classical theory between the other ones: its conceptionof time and economic evolution, its apprehension of the differentcategories of economic agents and its analysis of wealth and prices.The paper deals with each theme and analyses its contents and place inSismondi's work. The study of the relation between time andeconomie evolution allows the introduction of uncertainty in theperfect foresight classical scheme. As far as the notion of economicagent is concerned, Sismondi specified the classical conception ofsocial classes in capitalism. Finally, in his treatment of wealth andprices, Sismondi emphasizes the importance of market forces andgluts. The conclusions of the paper are the following: Sismondi'sapproach and classical analysis cannot be interpreted as inconsistent;moreover, Sismondi can be considered both as Ricardo's successor andas Keynes' predecessor.

Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (ycompris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter enligne. [https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/]

Cet article est diffusé et préservé par Érudit.Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université deMontréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission lapromotion et la valorisation de la recherche. www.erudit.org

Tous droits réservés © HEC Montréal, 1981

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NOTE SUR LES APPORTS DE SISMONDI

À LA THÉORIE CLASSIQUE*

L'oeuvre économique de Sismondi a fait l'objet de lectures diverses, voire contradictoires. Certains ont considéré cet auteur comme le précurseur de l'analyse marxiste du capitalisme1. D'au­tres ont vu dans ses écrits les prémisses de la macroéconomie keynésienne2. Les derniers ont interprété son approche du marché et des prix comme l'amorce de la théorie marginaliste de la valeur3. Cette variété d'opinions n'a pas empêché cependant la formation d'un consensus quasi-général chez les historiens de la pensée éco­nomique, tendant à présenter Sismondi comme l'adversaire de la théorie classique anglaise naissante4. La thèse d'un Sismondi anti­classique a certes la force de l'évidence première. Dans la seconde édition des Nouveaux Principes (1827), l'auteur ne prétendait-il pas « ébranler une science » et « at taquer une or thodoxie »5 ? n'écrivait-il pas : « MM. Say, Ricardo, Malthus et Macculoch (...) me paraissent avoir constamment fait abstraction des obstacles qui les

* L'auteur tient à remercier vivement le rapporteur anonyme de L'Actualité Économi­que pour les remarques, critiques et suggestions qu'il a formulées à propos d'une version antérieure de cet article.

1. Cf. notamment, J . Weiller, Préface des Nouveaux Principes d'Économie Politique de J.C.L. Sismonde de Sismondi, livres I à IV, Calmann-Levy, Paris, 1971, pp. 22-28 et M. Ru-bel, « De Marx à Sismondi ou les emprunts de Marx à la théorie de Sismondi » in J. Weiller, G.D. Desroussilles, M. Saint-Marc et alii, Histoire, socialisme et critique de l'économie politique, Économie et Sociétés, I.S.M.E.A., tome X, n° 6, juin 1976.

2. Cf. notamment A. Parguez, « Sismondi et la théorie du déséquilibre macro­économique », Revue Économique, n° 5, 1973 : B. Ducros, « Une autre interprétation : les prix de déséquilibre chez Sismondi » in J. Weiller et alii, Histoire, Socialisme..., op. cit. ; M. Saint-Marc, « Sismondi et les déséquilibres économiques », Ibid.

3. Cf. P. De Laubier, Introduction de Quatre études sur la politique sociale et le développe­ment économique de J.C.L. Sismonde de Sismondi, Delta, Masson, Vevey, 1981, p. 13.

4. Le nombre des commentateurs ayant contribué à ce consensus nous met dans l'embarras du choix. Nous ne citerons ici que P. de Laubier, dont la très récente présentation de la réédition des 2 tomes des Études sur l'économie politique de J.L.C. Sismonde de Sismondi (chez Slatkine Reprints — Genève 1980) et la préface, plus récente encore, de la réédition de Quatre études op. cit., du même auteur, décrivent Sismondi comme 1'« adversaire des classi­ques du XIXème » (Préface des Quatre études, op. cit., p. 17).

5. Nouveaux Principes (livres I à IV), op. cit., p. 50.

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embarassaient dans l'enchaînement de leurs théorèmes, et être arrivés à des conclusions fausses, pour n'avoir point distingué ce qui leur donnait quelques peines à distinguer »6? Dans le tome II des Études sur Véconomie politique (1838), Sismondi n'allait-il pas méthodologiquement plus loin encore, en opposant à la « chréma-tistique » des classiques « qui s'occupe des richesses comme but, ou si l'on veut abstraitement » sa propre conception de l'économie politique « qui ne s'en occupe que comme moyen d'arriver au bonheur social »7?

L'objet du présent article n'est pas de nier ces affirmations. Il est incontestable que la vision sismondienne se voulait incompati­ble avec « la « science dure » des (...) disciples de Smith et de Ricardo » et qu'elle exprimait le refus d'une « science économique sans politique ni cadres sociaux »8. Nous voudrions toutefois mon­trer que, malgré son hostilité explicite à la « Weltanschaung » du courant ricardien, dans tous les passages où il fait oeuvre de théori­cien économique, Sismondi utilise en fait les outils de l'analyse classique, et, loin d'abandonner ses acquis, il les approfondit et les développe. Pour ce faire, nous définirons tout d'abord le cadre théorique et les concepts fondamentaux de l'approche classique (I). Celle-ci sera ainsi caractérisée par trois options essentielles : sa conception du temps et du mouvement économiques, son appré­hension des différentes catégories d'agents économiques et son analyse de la richesse sociale et des prix. Nous reprendrons, en­suite, tour à tour, ces trois options en soulignant, pour chacune d'elles, l'utilisation par Sismondi de la « boîte à outils » de la théorie classique et les développements originaux que cette dernière doit à notre auteur (II, III, et IV). À la fin de l'article, nous serons alors en mesure de conclure qu'en définitive, les écrits économiques de Sismondi n'ont pas « placé l'économie politique » mais bien la seule théorie classique « sur une base nouvelle »9.

I . LES CONCEPTS ET LA THÉORIE CLASSIQUES

Trois options sont caractéristiques, selon nous, de la théorie classique : sa conception du temps et du mouvement économiques, son appréhension des diverses catégories d'agents économiques et

6. Ibid, p. 55.

7. Etudes sur Véconomie politique, tome 2, op. cit., p. 2. 8. Cf. J. Weiller, « L'actualité d'un double refus : celui d'une science économique sans

politique ni cadres sociaux » pp. 1141-1142 in J. Weiller et alii, Histoire, socialisme..., op. cit. 9. Nouveaux Principes (livres I à IV), op. cit., p. 56.

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son analyse de la richesse sociale et des prix. Nous n'identifierons pas cette théorie à un courant de la pensée économique dont la définition relèverait de l'histoire des doctrines au sens strict. Dans notre acception, la théorie classique n'est pas une péripétie histori­quement datée, de la constitution d'une science économique uni­fiée ; elle est un ensemble articulé de concepts spécifiques visant à résoudre des problèmes donnés sur la base d'une méthodologie et d'une construction logico-déductive originales, irréductibles no­tamment à celles des théories marginaliste et néo-marginaliste et de l'approche marxiste.

1.1. — La première caractéristique de la théorie classique est de réprésenter le processus économique comme une « succession cy­clique de phases qui s'enchaînent », selon l'expression employée par A. Graziani10. Ces phases, soumises à une hiérarchie tempo­relle spécifiée, scandent ce que les classiques ont appelé la repro­duction économique.

La reproduction des économies capitalistes de marché a consti­tué l'objet des travaux de tous les économistes classiques. Ainsi, on trouve déjà à l'oeuvre la notion de reproduction dans le Tableau économique de F. Quesnay où sont distinguées les avances et les reprises : dans ce Tableau, « la société se perpétue par ce cercle non interrompu de reproduction et de consommation, entretenu par la fécondité inépuisable de la terre, aidée du travail des hommes et des avances » n . D. Ricardo et ses disciples reprendront cette conception et distingueront trois phases constitutives du mouve­ment économique : la première est celle de la formation des prix sur la base d'un surplus physique donné et sous la contrainte de la reproduction de l'économie dans la production. La seconde est celle de la « reprise » : les entrepreneurs vendent leur production, reconstituent, par ce biais, leurs « avances » majorées d'un profit et assurent ainsi la reproduction de l'économie dans l'échange. Enfin, dans la troisième phase, les producteurs mettent en oeuvre les moyens de production acquis sur le marché et les combinent avec du travail salarié, ce qui permet l'apparition d'un niveau de pro­duction supérieur au niveau de départ : c'est le moment de l'avance.

10. A. Graziani, « Recensione a mo' di premessa » in R. Convenevole, Processo inflazio-nistico e redistribuzione del reddito, Einaudi, Turin, 1977, p. XXI.

11. Le Trosne, De l'intérêt cité par M. Lutfalla dans sa Préface à F. Quesnay, Tableau économique des physiocrates, Calmann-Levy, Paris, 1969, p. 28.

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La première phase a été théoriquement caractérisée par J. Car-telier à travers la construction de la notion de « système de prix classique »12. Quatre traits principaux font l'originalité de ce sys­tème,

L'analyse classique propose d'abord un schéma de détermina­tion des prix naturels sur la base de l'existence d'un surproduit donné. Elle suppose donc que, dans le cadre du modèle théorique de détermination de ces prix13, les quantités produites et utilisées dans la production sont connues préalablement à ces derniers.

L'analyse classique spécifie ensuite des règles particulières de répartition du revenu national entre les deux groupes socio-économiques principaux d'une économie capitaliste de marché14 : les travailleurs qui perçoivent un salaire (sous la forme d'un panier de biens de consommation de subsistance) en échange du travail fourni ; les entrepreneurs-capitalistes qui se répartissent le sur­produit physique en fonction du principe de l'uniformité des taux de profit de branche.

Les prix naturels sont fonction de la technologie existante et des quantités produites. Leur niveau de dépend donc, en aucune ma­nière, de la demande des consommateurs. Comme l'écrit T. De-Quincey, le prix naturel « n'est en rien influencé par un excédent

ou un déficit de quantité »15.

Les prix naturels doivent, enfin, assurer la reproduction de l'économie dans la production et donc la possibilité (et non Yeffecti-vité) de la reproduction dans l'échange ; si leur niveau est accepté par le marché, i.e., si les prix naturels sont les prix de marché, les entrepreneurs-capitalistes reprennent l'intégralité de leurs avan­ces majorées d'une partie du prix du surproduit ; la répétition du procès sur une échelle élargie est alors possible ; les prix naturels sont donc aussi des prix de reproduction.

La seconde phase de la reproduction est celle des reprises. Celles-ci consistent dans les marchandises achetées qui assurent aux entrepreneurs la reconstitution stricte du capital avancé dans la production qu'ils viennent de vendre ; si ces producteurs récu-

12. Cf. J. Cartelier, Surproduit et reproduction, PUG, Maspero, Grenoble, 1976, paragra­phe IV du chapitre I.

13. et non dans le cadre du processus de leur formation effective. 14. Nous ne tiendrons pas compte, à titre de simplification, du groupe, moins essentiel,

des propriétaires fonciers. 15. T. De Quincey,Politicaleconomy andpolitics, Reprintsof économieclassics, A.M. KeI-

ley, New York, 1970, p. 61.

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pèrent davantage que ce capital, ils obtiennent alors une partie du produit net de l'économie. Les reprises ont lieu dans la circulation à l'occasion du « marché qui se tient après la récolte »16. La nécessité de l'échange s'inscrit dans le processus même de reproduction d'une économie de marché. En effet, pour que l'ensemble des procès de production puissent se répéter ou s'élargir, l'industriel doit reprendre ses avances et réaliser un profit en vendant ses produits.

La dernière phase est celle des avances. « C'est (...) de la conser­vation ou de la croissance des avances qui font renaître annuelle­ment les richesses, que dépend la prospérité des nations agricoles. Car si ces avances ne sont pas suffisantes pour reproduire avec cette surabondance qui donne le plus grand revenu possible, la nation perd sur le produit qu'elle pourrait retirer de son terri­toire »17. Ces deux phrases résument bien la place de la phase des avances dans le processus de reproduction : la question essentielle est de savoir si les avances de la période courantes seront au moins égales à celles de la période précédente, assurant au moins ainsi la reproduction simple de l'économie.

Les phases de la reproduction, si elles sont distinctes et étan-ches, ne sont pas, pour autant, indépendantes ; leur enchaînement traduit en effet le « cycle du capital » tour à tour consommé pro-ductivement, produit, échangé et prêt à être utilisé dans le cadre de la période suivante. Trois remarques peuvent être faites de ce point de vue.

Le schéma classique apparaît d'abord comme un schéma « uni­directionnel » pour reprendre une expression de L Pasinetti18. Cette récursivité de l'analyse a toujours troublé les économistes habitués à raisonner en termes d'équilibre, d'interdépendance et de simultanéité des différentes activités économiques. C'est ainsi que A. Marshall a pu écrire à propos de D. Ricardo que « ce der­nier n'établit pas de façon claire et dans certains cas ne comprenait pas bien et clairement que, dans le contexte de la question de la valeur normale, les différents éléments se conditionnent mutuel­lement et non pas successivement à travers une longue chaîne causale »19. J. Schumpeter lui faisait écho lorsqu'il trouvait la

16. P. Sraffa, Production de marchandises par des marchandises, Dunod, Paris, 1970, p. 1.

17. F. Quesnay, « Chapitre VII de la Philosophie Rurale » in François Quesnay et la physiocratie, tome II, INED, Paris, 1958.

18. L. Pasinetti, « The économies of effective demand » in Essays in the theory of économie growth and income distribution, Cambridge University Press, Cmabridge, 1974, p. 44.

19. A. Marshall, Principles of économies, I, Londres, 1898, p. 565 cité par L Von Bortkie-wiecz in La teoria economica di Marx, Einaudi, Turin, 1971, p. 64.

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méthodologie ricardienne contraire à sa conception esthétique de la symétrie et qu'il évoquait, à ce propos, le « vice ricardien ». Ces difficultés s'expliquent probablement par le poids occupé, dans l'économie politique marginaliste, par le concept d'équilibre et la notion d'interdépendance. La construction classique fait en effet référence à un temps récursif et à un schéma causal qui ordonnent la succession des phases dans la période et des périodes dans le temps. Une telle représentation n'exclut pas, pour autant, toute relation d'interdépendance. Mais, comme le note L. Pasinetti, on a alors affaire à des systèmes d'équations simultanées qui se succè­dent selon un schéma causal : « Qu'on pense à la formulation néo-ricardienne du processus productif récemment présentée par le professeur Sraffa (inProduction de marchandises...) : on a affaire à un système typique d'équations interdépendantes ; mais à un sys­tème d'équations interdépendantes qui se trouve à un certain point d'une chaîne séquentielle et causale. Dans le schéma de Sraffa, comme dans celui de Keynes, le taux de profit est déterminé avant toute relation. Les prix naturels eux-mêmes sont déterminés de façon unidirectionnelle par la technologie des systèmes... »20.

Les phases d'une même période de reproduction excluent, en outre, un quelconque « effet en retour » du présent sur le passé immédiat ou la possibilité d'ajustements par rapport à une norme, analogues à ceux que révèle la logique de l'équilibre-déséquilibre. Le passé est « irrévocable » au sens de J. Robinson. Les différentes grandeurs économiques sont fixées, les unes après les autres, à l'occasion de l'enchaînement des phases d'une période donnée ; cet enchaînement ne peut modifier la valeur d'une variable fixée au cours d'une phase antérieure. Les variations ou les « corrections » n'interviennent qu'à l'occasion d'une nouvelle période de repro­duction, r

Enfin, on notera que la conception classique de l'articulation du temps et du mouvement économiques implique la prise en compte de regroupements d'agents définis par une fonction particulière au sein de la division générale du travail : ainsi, les entrepreneurs-capitalistes peuvent seuls effectuer des avances ; cette caractéristi­que les distingue totalement des salariés qui vendent leur travail et jouent donc dans le système économique un rôle totalement différent.

1.2. — L'existence de ces regroupements constitue la deuxième caractéristique de la théorie classique. Elle confirme la remarque

20. L. Pasinetti, « Causalita e interdipendenza nell'analisi econometrica e nella teoria economica », Annuario delVUniversita Cattolica del Sacro Cuore, 1964, 1965, Milan.

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de J. Cartelier : « l'économie classique (...) s'occupe principalement de phénomènes sociaux, c'est-à-dire, incompréhensibles à partir de la logique des comportements individuels »21. Elle prend la forme du « donné des classes sociales ». Si nous exceptons la « classe » des propriétaires fonciers, les deux « classes » principales sont, dans le capitalisme de marché, celles des capitalistes et des travailleurs. La théorie classique les distingue en combinant trois critères : la fonc­tion occupée par la « classe » dans le processus de reproduction économique, la forme du revenu perçu et le type de consommation adopté.

Selon le premier de ces critères, la « classe » des entrepreneurs est celle qui conduit le procès global de reproduction. Elle est en effet à l'origine des avances et initie, par là même, l'ensemble du processus de production ; en outre, après avoir contribué à la formation des prix, elle récupère ces avances pour les réinvestir et assurer ainsi un nouveau cycle de production économique22. Quant à la « classe » des travailleurs, elle a un rôle plus secondaire mais essentiel ; « elle ne fournit son travail que pour prendre part à la production de la marchandise »23.

Le critère de la forme du revenu perçu permet de distinguer le salaire, égal à la valeur des moyens de subsistance de la période avancés par la classe capitaliste et le profit, égal au prix du surpro­duit. Alors que le premier de ces deux revenus est distribué au prorata de la quantité de travail employée, le second se répartit selon la règle de l'uniformité des taux de profit de branche.

Le dernier critère est celui du type de consommation adopté par les agents. Les nécessités de la reproduction imposent en effet aux deux « classes » un certain type d'utilisation de leurs revenus24. De ce point de vue, la destination unique ou principale des profits de la « classe » capitaliste est l'achat de biens-capitaux. On recon­naît là la première hypothèse de la « fonction classique d'épargne

21. J. Cartelier, Surproduit et reproduction, op. cit., p. 13. 22. Cf. par exemple, R. Torrens, An essay on the production ofwealth, A.M. Kelley, New

York, 1965, p. 88. 23. D. Ricardo, « Valeur absolue et valeur d'échange, Première version », Cahiers d'Éco­

nomie Politique n° 3, P.U.F., Paris, 1975, p. 233.

24. On reconnaît là l'application d'une remarque de J. Robinson (inEssays in the theory of économie growth, Mac Milan, Londres 1962, p. 38) pour laquelle deux approches des phéno­mènes de consommation et d'épargne sont a priori concevables en économie politique. La première consiste à faire dépendre ces derniers des préférences individuelles des consom­mateurs : elle est privilégiée par toutes les théories néo-classiques. La seconde consiste, en revanche, à les faire dépendre du type de revenu perçu : c'est bien là la position de la théorie classique.

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extrême » définie par F. Hahn et R.C. Matthews25 : le profit doit être entièrement consacré à l'accumulation du stock de capital. L'acquisition de biens de consommation ne peut être qu'un mode secondaire d'utilisation des profits et reste une sorte d'« anomalie » car elle détourne de la reproduction une partie des revenus accu-mulables. Les biens de consommation achetés par la « classe » capitaliste se distinguent toutefois de ceux qu'obtiennent les sala­riés : dans la tradition classique, les premiers sont dits « de luxe » et entrent dans la composition du surplus ; les seconds sont dits « de subsistance » et apparaissent dans le panier qui constitue le salaire réel : ils font donc partie des avances.

1.3. — En raison de l'étendue de leur objet, les deux paragraphes précédents contenaient davantage de rappels que de développe­ments analytiques. Ce paragraphe ne se distinguera pas, sur ce point, des précédents. Bien plus, il ne peut être que schématique : l'étude de la théorie classique de la richesse sociale et des prix a déjà en effet constitué l'objet de multiples et substantiels écrits et méri­terait qu'on lui consacre encore beaucoup d'autres travaux26.

Pour faire bref, nous définirons le concept classique de « ri­chesse sociale »27 ou de « marchandise » sans évoquer les questions de sa constitution logique et historique. Dans l'acception classique, nous caractériserons une marchandise comme une valeur d'usage difficile à produire, dotée d'un prix naturel et d'un prix de marché.

La notion de valeur d'usage a ici une signification méta-économique : elle regroupe l'ensemble des déterminations physi­ques et socio-historiques qui permettent de distinguer un objet d'un autre objet et de dénombrer tous les objets identiques. Définir ici la valeur d'usage d'un bien, c'est donc inscrire ce bien dans la nomenclature ou le dictionnaire des objets existants de l'économie.

Les caractéristiques physiques du bien tiennent à son unité, son poids, son gôut, son odeur, sa forme, son volume, sa constitution, à la technique de production qui lui a donné naissance, à son usage socio-économique, etc.

25. F. Hahn et R.C.O. Matthews, Théorie de la croissance économique, Economica, Paris, 1972, pp. 19-20.

26. Nous nous permettons, sur ce point, de renvoyer le lecteur à la partie (pp. 305-384) du chapitre IV de nos Éléments pour une analyse de l'évolution différenciée des économies de production et d'échange, 2 tomes, Thèse pour le Doctorat d'État, Nice, septembre 1980 que nous avons consacrée à l'étude de la signification et de la place de la notion de richesse sociale dans la logique classique de la reproduction.

27. L'adjectif social exclut que la définition proposée s'applique aux richesses dites « individuelles ».

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SISMONDI ET LA THÉORIE CLASSIQUE 573

Les caractéristiques socio-historiques du bien ont trait à la conception sociale et historique qu'en ont les agents, aux conven­tions commerciales en vigueur, à la définition et la présentation qu'en donnent les marchands, etc.28

Une valeur d'usage dotée d'un prix naturel est une valeur d'usage à laquelle on peut associer un prix relatif, i.e., un rapport de deux quantités de dimension différente, déterminé par un « système de prix classique ». Toutes les valeurs d'usages apparte­nant à un système donné de prix classique sont dites identiquement difficiles à produire. Il est en effet possible de construire à partir de toutes ces valeurs d'usage une marchandise composite homothéti-que dont le taux de surplus r* est indépendant des prix et pourtant identique au taux de profit uniforme du système de prix classique correspondant. La grandeur 1/(1 + r*) est un indice de perfor­mance technologique caractéristique de la production du système économique dans son ensemble, en un point du temps périodique : cette grandeur peut être définie comme la difficulté de production unique à laquelle sont soumises toutes les valeurs d'usage dotées des prix naturels d'un même système29.

Enfin, le prix de marché est celui que l'échange va attribuer à toute valeur d'usage difficile à produire et dotée d'un prix naturel. Le principe qui règle la détermination du prix de marché a trait aux forces respectives des offreurs et des demandeurs. Il ne s'iden­tifie pas toutefois à la loi marginaliste de l'offre et de la demande. Dans son acception smitho-ricardienne, le prix de marché tend, en permanence, à s'égaliser au prix naturel grâce au jeu de mécanis­mes concurrentiels auto-correcteurs30.

Après avoir rappelé schématiquement quelles étaient les op­tions essentielles et les concepts opératoires de la théorie classique,

28. Sur tous ces points, cf. en particulier, N. Barbon, On a discourse oftrade présenté par J.Hollander, A reprint of économie tracts, The John Hopkins Press, Baltimore, 1905 et W. Petty, Economie Writings (notamment The dialogue ofdiamonds), A.M. Kelley, New York, 1963 ; cf. aussi R. Arena, Eléments pour une analyse de révolution, op. cit., pp. 306-316.

29. Pour une caractérisation plus approfondie, du concept, de « difficulté de produc­tion», cf. J. Cartelier, « Marchandise homothétique, capital financier et loi de Say », Cahiers d'Économie Politique n° 6, PUF, Paris, 1981 ; cf. également nos Éléments pour une analyse de ïévolution... op. cit., pp. 316-364, tome I.

30. Sur la question de l'articulation des prix naturel et courant, cf. le numéro 6 des Cahiers dÉconomie Politique, P.U.F., Paris, 1981 ; cf. également R. Arena, « Note sur la conception classique de la concurrence », Cahiers d'Économie Politique, n° 5, P.U.F., Paris, 1979 (version italienne parue \nEconomia eLavoro, n° 2, 1978) et « Note sullaquestione délia relazione prezzo naturale — prezzo di mercato », Giornale degli Economisti e Annali di Econo-mia, mai-juin 1980 ; C. Benetti, Smith, la teoria economica délia societa mercantile, Etas Libri, Milan, 1979.

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574 L'ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE

il importe maintenant de les confronter à ceux de l'analyse sismon-dienne afin de pouvoir souligner la parenté et les contrastes des deux approches.

I I . TEMPS ET MOUVEMENT ÉCONOMIQUES

La conception sismondienne du mouvement économique s'ins­crit sans conteste dans la logique de la reproduction. L'auteur des Nouveaux Principes propose d'ailleurs une description du processus de reproduction qui est l'une des plus saisissantes jamais formulées par les économistes classiques : « la richesse nationale, dans sa progression, suit un mouvement circulaire ; chaque effet devient cause à son tour, chaque pas est réglé par celui qui le précède, et détermine celui qui le suit, et le dernier ramène le premier dans le même ordre. Le revenu national doit régler la dépense nationale, celle-ci doit absorber, dans le fonds de consommation, la totalité de la production ; la consommation absolue détermine une reproduc­tion égale ou supérieure et de la reproduction naît le revenu »31. Le processus de reproduction auquel se réfère Sismondi a souvent été assimilé à un modèle séquentiel avec retards. Si cette interprétation ne nous paraît pas impossible, elle n'est ni nécessaire, ni très conforme à l'analyse sismondienne. Ainsi, la phrase « c'est le re­venu de l'année passée qui doit payer la production de cette an­née »32, souvent citée à l'appui de cette thèse, équivaut simplement à la proposition suivante : « la condition d'une reproduction élar­gie de l'économie en (H 1) est la vente du surproduit de (t), i.e., l'accumulation d'une partie, au moins, du revenu net sous forme de biens-capitaux ». Si nous ne partageons donc pas l'interpréta­tion, formulée notamment par J. Schumpeter et T. Sowell33 d'un Sismondi, précurseur de la dynamique macro-économique du dé­séquilibre, nous admettons toutefois volontiers que ces auteurs ont souligné ce faisant, l'un des traits essentiels de l'analyse sismon­dienne. Dans cette optique, nous pouvons faire nôtre la remarque de T. Sowell : « Durant la période classique, les économistes or­thodoxes et hérétiques tendaient à concevoir la notion de cause d'un point de vue séquentiel — distinct de l'équilibre simultané — bien que, seul, Sismondi formalisa (cette conception) à travers une analyse de période et bien que les ricardiens se contentèrent, en général, de considérer le processus « avant » et « après », en termes

31. S. de Sismondi, Nouveaux Principes (livres I à IV) op. cit., p. 125.

32. S. de Sismondi, Nouveaux Principes (livres I à IV), op. cit., p. 129. 33. Cf. J. Schumpeter, History of économie analysis, Oxford University Press, New York,

1954, pp. 493-496 et T. Sowell, « Sismondi : a neglected pioneer », History of Political Eco-nomy, vol. 4, n° 1, printemps 1972.

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SISMONDI ET LA THÉORIE CLASSIQUE 575

de statique comparative »34. Trois traits essentiels permettent de confirmer le contenu classique du processus sismondien de repro­duction.

Ce processus implique d'abord, pour notre auteur, la représen­tation de la période comme l'espace de temps au cours duquel trois opérations essentielles se succèdent : les avances, la production et les reprises. Cette caractéristique de l'analyse sismondienne appa­raît déjà dans la citation à laquelle nous nous sommes référés au début de cette section. On pourra néanmoins la trouver trop ab­straite. Les écrits de Sismondi sont là toutefois pour nous permet­tre de la préciser. Relisons : « La totalité du revenu annuel est destinée à être donnée en échange contre la totalité de la produc­tion annuelle ; par cet échange, chacun pourvoit à sa consomma­tion, chacun remplace un capital reproducteur, chacun fait place et cause une demande pour une reproduction nouvelle »35. Le contenu de la séquence avances — production — reprises ne peut être plus clairement exposé.

L'auteur des Nouveaux Principes souligne ensuite explicitement l'identité de ce processus avec le cycle du capital productif ; ainsi il écrit : « le revenu conserve (toujours) quelque chose de sa nature mystérieuse et insaississable, il se convertit en capital, le capital se consomme comme revenu : c'est le sang qui alimente le corps humain, qui se convertit en sa substance, et qui pourtant renaît sans cesse »36.

Le processus sismondien de reproduction est enfin contraint par la nécessité d'engendrer un surproduit positif constitutif de la phase de la production : « la supériorité du produit annuel du travail de l'homme sur ses avances annuelles comprend tout le revenu de la société ; mais cette plus-value a deux évaluations différentes, l'une, d'après le travail qu'elle a coûté, et l'autre, d'après le besoin qu'en éprouvent ceux qui l'emploieront à leur usage »37. Ces deux « évaluations », déjà évoquées par Sismondi à propos de la notion de « superflu » dans la Richesse Commerciale^, correspondent simplement au prix et à la valeur d'usage d'un surproduit physique au sens de la théorie moderne des prix de production. Sismondi insiste d'ailleurs sur l'importance de la phase

34. Cf. T. Sowell, Say's law, Princeton University Press, 1972, p. 127. 35. Ci. Nouveaux Principes (livres I à IV), op. cit. ,p . 121 ; la « production annuelle » est ici

le produit net.

36. Etudes sur Véconomie politique, tome l, op. cit., p. 95. 37. Ibid, p. 94. 38. Cf. De la Richesse Commerciale, 2 volumes, Genève, Paschoud, 1803, pp. 278-280,

vol. I livre 2.

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576 L'ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE

des reprises dans le processus de reproduction : « le manufacturier doit trouver dans sa reproduction, non seulement les matières premières, mais tous les salaires de ses travailleurs, tous les intérêts et profits de ses capitaux fixes, tous les intérêts et profits de ses capitaux circulants »39. Cette nécessité n'est pas seulement microé­conomique ; elle s'impose également à l'économie dans son ensem­ble. En effet, « les nations ne sont que des agrégations d'individus ; ce qui est vrai de chacun est vrai de tous. La consommation de la nation, la consommation du moins qui peut se continuer d'année en année, sans l'appauvrir, sans la ruiner, n'est autre que la consommation réunie de chacun de ses membres, telle que chacun la peut faire sans dépasser son revenu »40.

C'est précisément cette attention accrue portée à la phase des reprises et, par conséquent, à la phase des avances, qui constitue l'apport original de Sismondi à la théorie classique. Au passé « irré­vocable » de la théorie ricardienne, notre auteur a en effet ajouté un futur « imprévisible ». Si l'on excepte la Richesse Commerciale que Sismondi lui-même assimilait à une simple réexposition de la Ri­chesse des Nations d'A. Smith41, tous les écrits économiques posté­rieurs abandonnent en effet explicitement la loi de Say et, ce faisant, l 'hypothèse r icardienne de prévision parfaite. On comprend de ce point de vue la remarque suivante, souvent citée : « Nous arrivons (...), comme M. Ricardo, à trouver qu'à la fin de la circulation, si elle n'est nulle part arrêtée, la production aura créé une consommation ; mais c'est en faisant abstraction du temps et de l'espace, comme feraient les métaphysiciens allemands »42. L'origine de l'abandon de la loi de Say est située clairement par Sismondi dans l'existence d'une économie de marché décentrali­sée. Dans ce contexte, les décisions de production des entrepre­neurs sont de véritables anticipations : elles sont, en effet, anté­rieures à toute « connaissance du marché » et le producteur se trouve ainsi confronté à une incertitude qui n'existait pas dans le cas de « l'homme isolé »43. Si le marché existe, le consommateur et l 'entrepreneur sont en effet deux personnages distincts dont les comportements sont autonomes. En particulier, Sismondi donne toute sa signification à la succession temporelle des phases et, substituant au « temps abstrait » ricardien ce que A. Parguez a

39. Cf. Nouveaux Principes, op. cit., p. 116. 40. Études sur l'économie politique, tome I, op. cit., p. 84. 41. Cf. Nouveaux Principes (livres I à IV), op. cit., p. 88, note 1. 42. S. de Sismondi, « Sur la balance des consommations avec les productions » in édition

Calmann-Levy des Nouveaux Principes, op. cit., p. 343. 43. Le processus de reproduction, dans le cas de « l'homme isolé », fait l'objet du

chapitre premier du livre second des Nouveaux Principes.

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SISMONDI ET LA THÉORIE CLASSIQUE 577

appelé le « temps concret », il suppose que les décisions des entre­prises sont logiquement et chronologiquement antérieures à celles des consommateurs. Dès lors, les premiers de ces agents ne connaissent pas avec exactitude les besoins de la demande future : l'épaisseur du « temps concret » est un obstacle infranchissable. « Celui qui vit de la richesse commerciale dépend d'un public métaphysique, d'une puissance invisible, inconnue dont il doit satisfaire les besoins, prévenir les goûts, consulter les volontés ou les forces ; qu'il doit deviner sans qu'elle parle et qu'il ne peut s'exposer à mal entendre, sans risquer sa subsistance et sa vie sur chaque mauvais calcul »44 ; « mais plus le commerce s'étend, plus les échanges se multiplient entre des pays éloignés, plus il devient impossible aux producteurs de mesurer exactement les besoins du marché qu'ils doivent pourvoir »45. L'existence de cette incertitude est particulièrement grave dans le cadre du processus interpério­dique de reproduction : « la totalité de ce que (la société) produit est destinée à la consommation ; et si ses produits annuels, apportés sur le marché auquel ils sont destinés, n'y trouvent point de consommateurs, la reproduction est arrêtée, et la nation se ruine au sein de l'abondance »46.

Si on admet avec Sismondi des erreurs possibles d'anticipation, encore faut-il s'interroger sur leur durée : Ne sont-elles que transi­toires et disparaissent-elles dans le cadre d'ajustements ? Sont-elles, au contraire, cumulatives et aboutissent-elles à un état de crise permanent ? À ce stade de nos développements, une réponse complète ne peut être fournie à ces questions car celle-ci nécessite­rait la prise en compte des concepts sismondiens de prix et de leur articulation. Deux éléments peuvent toutefois d'ores et déjà être introduits, qui rendent improbable l'existence de mécanismes au­tocorrecteurs d'ajustement.

Le premier a trait à la faiblesse des informations dont disposent les entrepreneurs. Sismondi semble pencher pour une conception préknightienne de l'incertitude: les prévisions sont des compor­tements de «divination» et les connaissances dont bénéficient les agents sont purement « conjecturales »47. Les conséquences de cette ignorance sont doubles. En premier lieu, les entrepreneurs ne savent que peu de choses sur leurs concurrents : « l'obscurité est

44. Nouveaux Principes (livres I à IV), op. cit., p. 245. 45. S. de Sismondi, « La politique des revenus » in Quatre études sur la politique sociale et le

développement économique, op. cit., p. 54. 46. Nouveaux Principes (livres I à IV), op. cit., p. 108. Dans la phrase, nous avons substitué

le présent à l'imparfait. 47. Cf. Nouveaux Principes (livres I à IV), op. cit., p. 246.

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578 L'ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE

encore augmentée pour chaque producteur parce qu'il connaît mal le nombre et les moyens des autres marchands, ses concurrents, qui vendent en rivalité avec lui »48. Ainsi, « chacun ne songe qu'à lui-même, et au lieu de se demander si ses efforts augmenteront réellement le revenu social, il travaille seulement à s'en attribuer la plus grosse part aux dépends des autres, et souvent pour y parve­nir, le plus court moyen est de diminuer la part de tous »49. En second lieu, les entrepreneurs anticipent avec difficulté les mou­vements de la demande. La difficulté est d'ailleurs d'autant plus grande que les déterminants essentiels de cette demande, i.e., pour Sismondi, « le nombre des consommateurs, leurs goûts, l'étendue de leur consommation et celle de leur revenu »50 sont eux-mêmes en perpétuelle évolution.

Un second élément amenuise encore davantage les chances d'une égalisation de l'offre et de la demande. Sismondi suppose en effet que le système capitaliste de marché sécrète une véritable tendance structurelle à l'accumulation du capital productif à la­quelle sont soumis les entrepreneurs. Dès lors, « chaque produc­teur, au lieu de se régler sur la demande générale, proportionne son activité à la quantité de capitaux qui se trouvent à sa disposition. Ce sont toujours les moyens de produire qu'il considère, et non les moyens de consommer »51. La volonté des entreprises d'utiliser à plein une capacité de production toujours plus grande, s'avère ainsi constituer l'un des facteurs essentiels de la surproduction.

La possibilité d'une surproduction durable est l'un des apports majeurs de Sismondi à la théorie classique de la reproduction. Certes, les classiques admettaient l'éventualité de surproductions transitoires mais ils pensaient que celles-ci finiraient toujours par se réduire ; nous y reviendrons dans la section 3. Sismondi définit, à l'inverse, les conditions qui rendent compatibles la conception clas­sique de la reproduction et l'occurence de crises longues. Si celles-ci se caractérisent, le plus souvent pour Sismondi, par des phénomè­nes de mévente, elles impliquent aussi, dans un deuxième temps, une sous-utilisation des capacités de production que concrétise la réaction des producteurs : le chômage et la surcapitalisation sont alors des conséquences inévitables52.

48. Ibid., pp. 247-248. 49. « La politique des revenus », op. cit., p. 54. 50. Cf. Nouveaux Principes (livres I à IV), op. cit., pp. 246-247.

51. Nouveaux Principes (livres I à IV), op. cit., p. 253.

52. Ibid., pp. 241-242.

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SISMONDI ET LA THÉORIE CLASSIQUE 579

I I I . AGENTS ET CLASSES SOCIALES

Cette section nous retiendra peu car les écrits économiques de Sismondi reprennent, mutatis mutandis, la conception classique du regroupement des agents53. Nous ne négligerons pas cependant deux traits originaux de l'appréhension sismondienne des agents qui ont été soulignés par J. Weiller dans la Préface aux Nouveaux Principes. Le premier a trait au nombre de classes sociales retenu dans la vision économique de Sismondi. L'auteur des Nouveaux Principes fut sans doute le premier des économistes de son époque à faire des « classes » salariée et capitaliste les seules qui soient essen­tielles à la compréhension du fonctionnement du capitalisme du marché. Il pressentit le déclin inéluctable de la « classe » des pro­priétaires fonciers et sa vision préfigure ainsi la conception néo-ricardienne du système économique dans lequel nous vivons54. La seconde originalité de l'appréhension sismondienne des agents économiques tient au troisième critère de définition de la classe sociale dans l'approche classique : le mode d'utilisation du revenu. Dans ce domaine, comme l'écrit J. Weiller, Sismondi « a opéré une schématisation saisissante : (...) la consommation se divise seule­ment en deux, d'une part la consommation indispensable aux ouvriers, de l'autre la consommation de luxe à laquelle seuls les capitalistes prennent part »55. En fait, nous ajouterons également à cette distinction la consommation de biens de production par la « classe » capitaliste56. Le découpage en trois types de consomma­tion traduisant des modes distincts d'utilisation des revenus consti­tue une innovation théorique très importante : il annonce en effet la notion de regroupement sectoriel fondé sur la destination socio-économique des biens dont l'analyse économique n'a envi­sagé que très récemment l'intérêt et les potentialités, en particulier dans la compréhension des phénomènes de croissance et d'accu­mulation du capital57.

53. Cf. notamment Études sur l'économie politique (vol. 1), pp. 24-25 et 50-51.

54. Cf. J. Weiller, Préface aux Nouveaux Principes (livres I à IV), op. cit., p. 23. 55. J. Weiller, Préface, op. cit., pp. 23-24. 56. Cf. Nouveaux Principes (livres I à IV), op. cit., livre II, chapitre 3. 57. Cf. par exemple, des travaux aussi différents que ceux de W. Andreff (Développe­

ment de la firme multinationale et structuration nationale de la production, Thèse d'État, Paris X, 1975 et Profits et Structures du capitalisme mondial, Calmann-Levy, Paris, 1976), G. Deleplace (Répartition et accumulation du capital Essai sur la différenciation des taux de profit, Thèse d'État, Paris I, 1972), A. Desrosieres (« Un découpage de l'industrie en trois secteurs »,Économie et statistique, décembre 1972), L. Gillard (Le secteur comme concept théorique, Thèse d'État, Paris I, 1971) ou les nôtres (Éléments pour une analyse de Vévolution..., op. cit.).

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580 L'ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE

I V . PRIX ET RICHESSE SOCIALE

La lecture des principaux écrits de Sismondi met en lumière la coexistence de deux concepts de prix : le « prix du vendeur » (ou « prix de production » ou encore « prix coûtant ») et le « prix de l'acheteur » (ou « prix de marché » ou encore « prix moyen »).

Le premier texte économique de Sismondi, De la Richesse Commerciale, révèle une conception de ces deux prix et de leur articulation analogue à celle que A. Smith définissait en reliant le prix naturel et le prix du marché. C'est pourquoi nous ne nous y attarderons pas longtemps. Le prix du vendeur est en effet fondé sur une théorie des composantes identiques à celle de A. Smith et sa procédure de détermination pose des difficultés analytiques comparables58. Le prix de l'acheteur, comme le prix de marché, obéit à des principes de formation qui tiennent aux « forces de demandeurs et des producteurs »59 sans que ces principes puissent être identifiés à ceux de la loi marginaliste de l'offre et de la demande. Le prix moyen peut diverger du prix coûtant à la suite d'une inadéquation entre l'offre et la demande. Des mécanismes auto-correcteurs sont alors supposés intervenir de manière à assu­rer, en longue période, la reprise de l'intégralité des avances natu­relles par les entrepreneurs-capitalistes. La mobilité des ressources est le facteur essentiel qui, pour A. Smith comme pour Sismondi en 1803, permet de comprendre la gravitation du prix de marché autour du prix naturel et ainsi le caractère purement transitoire des crises économiques.

Dans les textes postérieurs à \d.Richesse Commerciale, Sismondi va abandonner la thèse qu'il défendait en 1803 ; si les concepts utilisés restent ceux de la théorie classique, leur articulation s'avère, en revanche, dès lors, très sensiblement différente.

Ainsi, dès les Nouveaux Principes, Sismondi abandonne la conception smithienne des composantes et lui substitue une inter­prétation du prix naturel extrêmement proche de celle de D. Ri-cardo. Le coût des avances est désormais comptabilisé dans le prix du vendeur puisque celui-ci s'identifie à « la compensation entière du travail, et de toutes les avances que l'objet a coûtées à produire, avec les bénéfices légitimes que toute industrie doit procurer »60.

58. On se reportera, sur ce point, à l'analyse critique très complète consacrée à la théorie smithienne des composantes par J. Cartelier in Surproduit et reproduction, op. cit., chapitre V.

59. Cf. Nouveaux Principes (livres I à IV), op. cit., p. 233.

60. Etudes sur l'économie politique, tome I, op. cit., p. 94.

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SISMONDI ET LA THÉORIE CLASSIQUE 5 8 1

Ce prix du vendeur s'établit d'abord sous la contrainte ma­croindustrielle de l'existence d'un surproduit. Nous n'insisterons pas sur ce point qui a été développé dans la section 1. Formelle­ment, il équivaut à supposer la validité du système suivant d'iné­quations :

eY^eX dans lequel X est la matrice des biens-capitaux entrant dans la production des autres biens, Y, la matrice diagonale des extrants de production simple et e, un vecteur ligne (1,1, ... 1) adéquat àX et Y.

L'existence d'un surproduit est évidemment lourde de consé­quences théoriques. Elle signifie notamment que la détermination du niveau des quantités produites ne s'effectue pas sur le marché au sein d'un temps logique où l'information serait supposée par­faite. Elle est antérieure au marché et indépendante de la demande effective (au sens smithien du terme). On reconnaît là l'une des caractéristiques essentielles du schéma théorique classique de la formation des prix naturels61.

Comme les autres variables de la production, le prix du ven­deur se détermine ensuite microéconomiquement dans un contexte d'incertitude déjà caractérisé dans la section 2. Il ne peut donc être qu'un prix d'offre anticipé62. Cette caractéristique per­met d'ailleurs de comprendre la remarque de Sismondi selon la­quelle « la valeur intrinsèque est absolument indépendante de tout échange »63.

Pour que les prix microéconomiques anticipés par les produc­teurs satisfassent aux conditions d'existence d'un surproduit, qu'ils assurent la reproduction de l'économie dans la production et qu'ils soient égaux aux coûts des avances majorés des profits, ils doivent être compatibles avec le schéma suivant de détermination des prix64 :

(Xp + S) (l+r) = p eY^eX

dans lequel : p est le secteur des prix des vendeurs S le vecteur des masses de salaires payées par chaque branche

61. Cf. J. Cartelier, Surproduit et reproduction, op. cit., introduction. 62. Nous rejoignons, sur ce point, les interprétations de A. Parguez, « Sismondi et la

théorie du déséquilibre... », op. cit., et B. Ducros, « Une autre interprétation : les prix de déséquilibre... », op. cit.

63. Nouveaux Principes (livres I à IV), op. cit., p. 232. 64. Nous excluons la terre, la production jointe et l'existence de biens-capitaux fixes par

souci de simplification.

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582 L'ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE

r le taux de profit uniforme de l'économie65

Y = I par convention. Dans ce système, l'équation de chaque branche est obtenue par sommation des équations des établissements qui la composent. Chaque entreprise est définie comme un ensemble d'établisse­ments. Chaque bien est supposé avoir un prix unique, quel que soit l'établissement. Enfin, l'uniformité d e r implique î'équi-rentabilité et donc l'identité des techniques microéconomiques de production utilisées par les différents établissements de la branche66.

Si l'on accepte la procédure de détermination des salaires pro­posée par Sismondi67 et si la matrice X est carrée, semi-positive et indécomposable, des solutions positives de prix et de profit existent toujours.

Le « prix de l'acheteur » se détermine d'une manière très diffé­rente de celle du « prix du vendeur ». Le consommateur « ne cherche point ce que la chose coûte mais les conditions sous lesquel­les il pourrait en obtenir une autre qui la remplacerait »68. Il ne prend en compte que le revenu dont il dispose et le désir qu'il a du bien offert par les producteurs.

Comme le prix du marché classique, le prix de l'acheteur n'est pas le résultat de ce qu'il convient habituellement d'appeler la loi de l'offre et de la demande. Ces deux forces ne se manifestent pas en effet simultanément et symétriquement sur le marché sismondien. La quantité et le prix offerts se déterminent dans une phase logi­quement et chronologiquement antérieure à celle du marché. Les décisions des consommateurs se prennent donc sur la base de la connaissance des variables de la production69.

En outre, les quantités produites sont aussi les quantités offer­tes. Elles sont déterminées en début de période et ne peuvent varier avant la suivante. Cette hypothèse, déjà soulignée par A. Parguez70 est le résultat de l'introduction du temps concret et de

65. Il existe en effet, pour Sismondi, un « taux commun de marché » (De la Richesse Commerciale, op. cit., p. 283) puisque « le bénéfice doit être proportionné à celui que (l'entre­preneur) pourrait obtenir pour toute autre industrie » (cf. Nouveaux Principes, livres I à IV), op. cit., p . 250.

66. Nous nous référons ici à la problématique de compatibilisation des prix de produc­tion et d'offre développée de façon détaillée dans la partie II de nos Éléments pour une étude de l'évolution différenciée... tome 2, op. cit.

67. Sur ce point, cf. Nouveaux Principes (livres I à IV), op. cit., chapitre V du livre 4. 68. Nouveaux Principes (livres I à IV)..., op. cit., p. 251.

69. Cf. « Examen d'une réfutation des Nouveaux Principes d'économie politique publiée dans la Revue d'Edimbourg par un disciple de M. Ricardo » in édition Calmann-Levy des Nouveaux Principes, op. cit., p. 327 et De la Richesse Commerciale, vol. 1, op. cit., p. 297.

70. Cf. A. Parguez, « Sismondi et la théorie du déséquilibre macroéconomique »,op.cit.

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SISMONDI ET LA THÉORIE CLASSIQUE 583

l'incertain : la flexibilité des variables d'offre n'est pas « walra-sienne » mais « keynésienne »71.

Le mode d'articulation des « prix du vendeur » et « de l'ache­teur » décrit par Sismondi comprend deux aspects traditionnelle­ment distingués par la théorie classique : le premier porte sur les conditions qui autorisent l'apparition d'une divergence entre les deux prix ; le second est relatif aux mécanismes de réduction éventuelle de cette divergence.

Pour ce qui est du premier concept, trois cas sont distingués par Sismondi conformément à la tradition ricardo-smithienne.

Le premier est celui dans lequel la demande effective et l'offre sont égales : les prix du producteur et de l'acheteur coïncident.

Le deuxième correspond à la situation d'une offre excéden­taire72. Les vendeurs sont alors en position de faiblesse face aux consommateurs. Si, en effet, ils s'obstinaient à vouloir vendre au prix du vendeur, ils s'exposeraient à une mévente partielle (cas d'une constance de la demande) ou totale (cas du jeu d'un effet de substitution en faveur d'un autre bien)73. La demande va ainsi pouvoir imposer le prix de l'acheteur sur le marché et le fixer à un niveau qui permettra l'égalisation des quantités offerte et deman­dée. La mévente est ainsi évitée mais le prix de vente sera inférieur au «prix coûtant ».

Le troisième cas, enfin, est celui d'une demande excédentaire74. Le marché ne peut être soldé par un ajustement de l'offre puisque celle-ci s'identifie à la production et ne possède qu'une flexibilité « keynésienne ». En fait, le mécanisme effectif sera différent : au prix du vendeur, la demande constate qu'elle est contrainte. Dès lors, une partie des consommateurs va accepter un prix plus élevé pour pouvoir satisfaire entièrement ses besoins. Le prix de l'ache­teur sera donc supérieur au prix du vendeur ; il engendrera une demande réduite puisque certains des consommateurs potentiels initiaux auront été découragés. Au prix de marché, l'offre et la demande s'égaliseront et le profit obtenu par les entrepreneurs sera plus élevé que le profit ordinaire75.

La deuxième étape du processus classique de gravitation (telle que, d'ailleurs, Sismondi la décrit dans la Richesse Commerciale) met

71. La signification de ces adjectifs est celle de A. Parguez (Monnaie et macroéconomie, Economica, Paris, 1975).

72. Cf. « Examen d'une réfutation... » op. cit., p. 327. 73. Cf. Nouveaux Principes (livres I à IV), op. cit., p. 251. 74. Cf. « Examen d'une réfutation... », op. cit., p. 327.

75. Cf. De la Richesse Commerciale..., op. cit., p. 302.

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en oeuvre des mécanismes concurrentiels autocorrecteurs qui as­surent la réduction de la divergence prix naturel - prix de marché. C'est dans le cadre de cette deuxième étape que l'approche sis-mondienne développée dans les textes économiques postérieurs à la Richesse Commerciale se distingue de la théorie classique.

Pour le comprendre, revenons au deuxième cas : celui d'une offre excédentaire. Alors que la divergence entre prix naturel et prix de marché était transitoire chez les classiques, elle devient durable chez Sismondi. L'auteur des Nouveaux Principes considère en effet que les mécanismes auto-correcteurs de la théorie classique sont enrayés par la mobilité imparfaite, voire impossible des fac­teurs de la production. Il en est ainsi du travail en raison de la spécialisation des salariés, mais également du capital en raison des contraintes de complémentarité et d'indivisibilité des équipements. Enfin, la psychologie des producteurs les conduit à n'abandonner leur branche d'activité qu'au dernier moment de l'existence de leurs entreprises, « après avoir causé, chez tous ceux qui contri­buaient à faire naître (la production) une perte et de capitaux, et de revenus, et de vies humaines qu'on ne peut calculer sans frémir »76.

Une différenciation durable des taux de rentabilité des entre­prises peut alors apparaître en raison d'une inégalité de longue période entre prix coûtant et prix de marché77. Les crises devien­nent ainsi possibles et menacent le processus même de reproduc­tion : les reprises des producteurs peuvent de plus assurer un profit satisfaisant ou même être inférieures aux avances.

On pourrait toutefois penser que la flexibilité « keynésienne » des variables de la production permet de corriger, à l'occasion du cycle de production suivant, les erreurs de prévision qui ont créé la divergence des prix. Sismondi souligne d'ailleurs que l'observation de cette divergence constitue l'un des fondements des nouvelles anticipations78. Les facteurs liés à la méconnaissance du marché, déjà analysés dans la section I, vont toutefois rendre insuffisante cette observation : l'ignorance de la demande et de ses variations, l'ignorance de l'offre formulée par les concurrents et l'existence des contraintes structurelles d'accumulation du capital vont empê­cher l'apparition d'une tendance à la convergence des prix.

Un autre facteur doit, en outre, être souligné qui, tout à la fois renforce et éclaire les précédents : la structure macroéconomique des revenus qui découle des choix de la production peut engendrer

76. Nouveaux Principes (livres I à IV), op. cit., p. 249. 77. Ibid., p. 250. 78. Cf. Nouveaux Principes (livres I à IV), op. cit., p. 248.

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une demande souhaitée dont la composition physique ne coïncide pas avec celle de l'offre. La possibilité de l'inadéquation résulte évidemment de la mauvaise connaissance du marché. Sismondi illustre cette possibilité par deux exemples significatifs. Le premier est celui où « on crée (pour la société) beaucoup plus d'objets de luxe que les riches ne perçoivent de revenus de leurs capitaux »79. Admettons, dans ce contexte, que, conformément aux hypothèses sismondiennes, la thésaurisation soit impossible. La dépense na­tionale sera alors égale à la production nationale. Supposons, en outre, que la demande physique potentielle des entrepreneurs (au-delà du remplacement des avances) i.e., e (Y-X)* comprenne des biens-capitaux (traités comme des marchandises fondamentales) destinés à l'accumulation et des biens de luxe (traités comme des marchandises non fondamentales) destinés à la consommation. Si, à la suite des choix décentralisés de la production, l'offre e (Y-X) ne comprenait que des biens de luxe, la mévente ou la « sous-ven­te»80 serait inévitable: En effet, la «classe» capitaliste aurait le moyen d'acheter e (Y-X) mais non le besoin et la «classe» salariée n'en aurait ni la possibilité81 ni peut-être d'ailleurs la volonté. Le deuxième exemple proposé par Sismondi est celui où l'«on crée pour les pauvres beaucoup plus d'objets de subsistance non pas qu'ils n'en peuvent consommer, mais qu'ils n'obtiennent de revenu en échange de leur travail »82. Ce cas peut, par exemple, s'identifier formellement à celui où e (Y — X)* reste ce qu'il était dans la situa­tion précédente et où e (Y — X) ne comprend que des biens de subsistance. Là encore, des difficultés d'écoulement apparaissent : les entrepreneurs ont les moyens d'acheter e (Y — X) mais les biens qui composent ce vecteur ne correspondent pas à leurs goûts ; les salariés souhaiteraient consommer e (Y — X) mais ils n'en ont pas les moyens. Beaucoup d'autres situations seraient imaginables dans lesquelles la composition du surplus s'avérerait incompatible avec la structure macroéconomique des revenus. Elles confirme­raient simplement que cette incompatibilité peut engendrer des « sous-ventes » ou des méventes partielles alors même que le sys­tème ne suppose pas l'existence d'une thésaurisation volontaire83.

79. Ibid., p. 127. 80. i.e., une vente à un prix inférieur à celui du vendeur ; cf. Études sur l'économie

politique, tome 2, op. cit., p. 212. 81. Les salariés ne touchent en effet que des salaires de subsistance et ne participent pas

à la répartition du surproduit.

82. Cf. Nouveaux Principes (livres I à IV), op. cit., pp. 127-128.

83. Toutefois, les revenus capitaliste non dépensés peuvent être assimilés, dans les deux cas, à des quantités de numéraire involontairement thésaurisées.

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La conjugaison de tous les facteurs recensés conduit alors à rendre probables les situations de «sous-ventes », voire de méven­tes : elle se répète, en effet, à chaque nouveau cycle de production, rend probable la crise et improbable l'égalisation des prix du ven­deur et de l'acheteur.

Sur ces bases, l'introduction par Sismondi d'une analyse de la possibilité des dépressions économiques présente une double ca­ractéristique.

On notera tout d'abord que les concepts de prix du vendeur et de prix de l'acheteur sont sensiblement identiques aux concepts classiques, voire ricardiens, de « prix naturel » et de « prix de marché ». Cette similitude des approches sismondienne et classi­que va bien au delà des concepts puisque l'explication ricardo-smithienne de Impossibilité d'une divergence entre prix de production et prix courant paraît tout à fait analogue à celle de Sismondi84.

En revanche, les textes économiques de notre auteur posté­rieurs à la Richesse Commerciale marquent un approfondissement original du corps théorique classique. En effet, en utilisant des concepts identiques à ceux de ses contemporains ricardiens, Sis­mondi introduit dans ce corps la possibilité analytique des crises économiques. Pour ce faire, il s'appuie d'abord sur l'observation du fonctionnement concret du système économique dans lequel il vit. C'est le cas lorsqu'il abandonne l'hypothèse de mobilité parfaite des ressources. C'est encore le cas lorsqu'il prend en compte la notion de temps concret. Comme l'écrit A. Paquet, « Dans le capitalisme, le producteur travaille de plus en plus pour une clientèle inconnue. Pour Sismondi, « la production devient une spéculation » comme le dit le Professeur Aftalion. L'extension des débouchés empêche tout calcul, conduit à des erreurs et infirme la loi des débouchés. L'entrepreneur ne prévoit plus ses possibilités de vente parce qu'il ne peut prévoir »85. Sismondi s'appuie enfin sur une innovation théorique décisive : la mise en relation des structures macroéco­nomiques de la production et du revenu nationaux.

Ce faisant, Sismondi, ne développe pas seulement la portée de la théorie classique des prix et de la concurrence. Il complète également l'analyse classique de la richesse sociale en montrant que « les produits ne sont point encore des quantités positives, des portions aliquotes de la richesse, tant qu'ils sont entre les mains du

84. Nous nous référons ici à l'interprétation de cette explication proposée dans notre « Note sur la conception classique... », op. cit.

85. A. Paquet, Le conflit historique entre la loi des débouchés et le principe de la demande effective, Armand Colin, Paris, 1952, p. 38.

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producteur ou du commerçant distributeur » et que, seule, « la vente leur donne le caractère de richesse »86. En d'autres termes ,si les valeurs d'usage difficiles à produire dotées d'un prix naturel et d'un prix courant, définies dans notre section I, sont déjà des richesses sociales pour les classiques87, elles ne le sont pas encore pour Sismondi : « les marchandises peuvent cesser d'être des ri­chesses (...), soit qu'elles ne soient point conformes aux besoins et aux goûts des consommateurs, soit que ceux-ci n'aient pas le moyen de les acheter, ou de les payer ce qu'elles valent »88. L'explication de ce fait est donné par Sismondi dans le tome I des Études sur l'écono­mie politique89. L'auteur considère en effet qu'à l'inverse du cas de l'homme isolé, dans une économie de marché, l'entrepreneur pro­duit « sans savoir s'il y aura une demande pour absorber sa produc­tion »90. Dès lors, il suppose que les objets produits seront utiles à la société mais il n'en a aucune certitude. « C'est l'acheteur seul qui donne une valeur réelle à son produit, et qui lui apprend s'il a en effet créé des richesses, ou s'il n'a fait que donner à la matière une forme nouvelle, que la société rejette comme lui étant inutile »91. Le marché confère donc a posteriori, i.e. dans la phase des reprises, une utilité sociale à des biens qui ont été produits à l'occasion de la phase précédente. C'est cette utilité sociale qu'on peut également appeler « valeur d'usage économique » (pour la distinguer de la valeur d'usage stricto sensu)92 qui constitue un volet supplémentaire de la définition sismondienne de la richesse sociale : seules les marchandises classiques dotées d'une valeur d'usage économique sont des richesses sociales sismondiennes93.

86. Études sur l'économie politique, tome II, op. cit., p. 219. 87. La raison en est simple. Si on suppose valide la loi de Say, les richesses sociales

classiques et sismondiennes se confondent puisque tout bien produit est vendu. 88. Études sur l'économie politique, tome II, op. cit., p. 219.

89. IMd., tome I, op. cit., p. 47. 90. A. Paquet, Le conflit historique..., op. cit., p. 38.

91. Études sur l'économie politique, tome I, op. cit., p. 47. 92. C'est le terme que nous utilisons dans nos Éléments pour une analyse de l'évolution

différenciée, op. cit. 93. Sur ce point, Sismondi semble avoir convaincu J.B. Say en 1826. En effet, dans

l'article « Économie Politique » de Y Encyclopédie progressive (1826), J. B. Say limite l'utilisation du terme « produit » aux biens vendus sur le marché, au niveau du prix nécessaire (incluant les coûts de production). Il reprendra cette définition dans son Cours d'Économie Politique en 1828. Dans une lettre du 29 août 1828 à Sismondi (cf. P. Roggi : « Sette lettere di J. B. Say a J.C.L. Sismondi » inRivista di Politica Economica, juillet 1972, année LXII, fasc. VII, p. 978), J.B. Say écrira : « Je crois que vous trouverez dans ce second volume, si vous avez de temps de le lire, plusieurs concessions à vos opinions, comme par exemple, dans le chapitre intitulé : Des bornes de la production ». Le 5 septembre 1828, Sismondi note dans son journal : « J'ai reçu une lettre de M. Say ... avec quelques concessions à mes principes des limites de la production » (in Sismondi, fragments de son journal et correspondance, Genève, Cherbuliez, 1857).

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L'ensemble des développements précédents illustre les rela­tions théoriques qui lient les approches classique et sismondienne. Elles empêchent de considérer Sismondi comme un adversaire de l'école classique, du moins dans le champ de la théorie économi­que94. L'auteur des Nouveaux Principes est, en fait, à l'origine d'un approfondissement du corps théorique classique qui a considéra­blement élargi ses potentialités. S'il n'est pas un véritable « adver­saire » de Ricardo, il ne peut pas non plus être considéré comme l'un de ses disciples respectueux à l'instar d'un Mac Culloch par exemple95. En effet, son appréhension de l'incertitude inhérente à l'économie de marché, par sa prise en compte des anticipations dans la phase des avances et par l'accent mis sur la notion de débouchés, Sismondi apparaît tout à la fois comme « un successeur possible de Ricardo »96 et un précurseur de Keynes97. En ce sens, la pensée économique de Sismondi est plus que jamais d'actualité dans le contexte contemporain du « retour aux classiques » et du « renouveau keynésien » et de leur éventuel dialogue.

Richard ARENA, CNRS, Université de Nice

94. Dans cet article, nous ne nous sommes en effet intéressés qu'au Sismondi théori­cien économique et, de ce point de vue, nous acceptons par avance toutes les critiques de réductionnisme de la pensée sismondienne qui pourraient nous être adressées.

95. J.R. Mac Culloch est probablement l'un des économistes dits « ricardiens » (ses infidélités involontaires à Ricardo ne sont pas négligeables» qui a consacré le plus de développements à la question de la gravitation des prix de marché autour des prix naturels (cf. chapitres VII, VIII du livre et II du livre des Principles of political economy (1864) — A.M. Kelley — La comparaison des textes de Mac Culloch et de Sismondi est très éclairante si l'on cherche à situer exactement la portée du désaccord entre les approches classique et sismondienne sur la question des débouchés. En particulier, J.R. Mac Culloch accorde une place importante aux erreurs d'anticipation des entrepreneurs, et admet leur occurence. Il fait toutefois l'hypothèse d'une rationalité des agents moins limitée que celle retenue par Sismondi. Il affirme, en outre, sa croyance dans la mobilité parfaite des facteurs de la production.

96. Selon l'expression employée par J. Cartelier in Surproduit et reproduction, op. cit., pp. 244.

97. Comme le notent A. Parguez (in « Un essai de théorie générale de la croîsance : les modèles sismondiens d'accumulation » in J. Weiller et alii : Histoire, socialisme et critique, op. cit., pp. 1191-1192) et 'M Saint-Marc («Sismondi et les déséquilibres économiques» ibidem) les Nouveaux Principes révèlent déjà des innovations, quoique timides, en matière de théorie monétaire par rapport à l'approche classique. Le tome II des Études sur l'économie politique offre, en revanche, une conception franchement prékeynésienne de la monnaie. À l'instar du Keynes du Treatise on money, Sismondi abandonne, en particulier, l'idée selon laquelle la monnaie n'est fondamentalement qu'une marchandise particulière {ci. Études sur l'économie politique, tome II, op. cit. seizième essai), Il va même jusqu'à écrire : « le commerce peut, à la rigueur, se pratiquer après la seule fixation de cette unité abstraite des valeurs (i.e. d'une pure monnaie de compte, R.A.), dans laquelle se résout la valeur de toutes les choses qu'on veut comparer, sans même en présenter l'image aux sens, sans donner un nom qui représente une chose dont la valeur soit connue » (Études, Tome II, op. cit., p. 269).