note de synthese_les pourparlers

141
1 UNIVERSITE DE CORSE PASQUALE PAOLI UFR DE DROIT MASTER II JURISTE D’ENTREPRISE - ANNEE 2014/2015 - NOTE DE SYNTHESE A partir des documents suivants, rédiger une note de synthèse de 5 à 10 pages sur le sujet suivant : « Les pourparlers » Par Guillaume TROGLER

Upload: guillaume-trogler

Post on 23-Jan-2016

90 views

Category:

Documents


1 download

DESCRIPTION

Note de synthèse sur les pourparlers

TRANSCRIPT

Page 1: Note de Synthese_Les Pourparlers

1

UNIVERSITE DE CORSE PASQUALE PAOLI

UFR DE DROIT

MASTER II JURISTE D’ENTREPRISE

- ANNEE 2014/2015 -

NOTE DE SYNTHESE

A partir des documents suivants, rédiger une note de synthèse de 5 à 10 pages

sur le sujet suivant :

« Les pourparlers »

Par

Guillaume TROGLER

Page 2: Note de Synthese_Les Pourparlers

2

Je remercie Monsieur le Professeur Antoine Steff de l’Université de

Corse Pascal Paoli qui m’a beaucoup aidé et a dirigé avec patience et

bienveillance les recherches ayant conduit à cette note de synthèse.

Qu’il veuille bien trouver ici l’expression de ma reconnaissance.

Je remercie également ma famille qui m’a conseillé et relu lors de la

rédaction de cette note.

Page 3: Note de Synthese_Les Pourparlers

3

Table des matières

Note de Synthèse ....................................................................................................................... 5

I – De la confiance basée sur la liberté et la bonne foi…....................................................... 7

A – La liberté en tant que socle des pourparlers ................................................................ 7

1. La liberté dans la forme des négociations : une liberté du support ........................ 7

2. La liberté dans l’engagement, la conduite et la rupture des pourparlers ................ 8

B – Le rayonnement de la bonne foi dans les négociations contractuelles ........................ 9

1. La bonne foi considérée sous le prisme des systèmes juridiques européens ........ 9

2. La bonne foi sous vue le prisme du système juridique Français .......................... 10

II – …A la mauvaise foi, l’abus de confiance et de liberté .................................................. 11

A – L’abus de liberté et la mauvaise foi générateurs de responsabilité civile ................. 11

1. Les éléments constitutifs du comportement fautif : l’abus de liberté et de

mauvaise foi ................................................................................................................. 12

2. Les frais constitutifs du préjudice et leur lien de causalité .................................. 13

B – Le domaine de la réparation ...................................................................................... 14

1. La construction prétorienne du droit à réparation ................................................ 14

2. Le droit à réparation à l’épreuve des projets de réforme ...................................... 15

Corpus ..................................................................................................................................... 16

Document 1 : Extrait du rapport Catala de septembre 2005 sur l’avant-projet de réforme du

droit des obligations ................................................................................................................. 17

Document 2 : Com, 14 décembre 2004, n° 02-10157 .............................................................. 21

Document 3 : Com, 7 janvier 1997, n° 94-21561 .................................................................... 25

Document 4 : Com, 31 mars 1992, n° 90-14867 ...................................................................... 28

Document 5 : Com, 22 février 1994, n° 91-18842 ................................................................... 30

Document 6 : Com, 20 novembre 2007, n° 06-20332 ............................................................. 33

Page 4: Note de Synthese_Les Pourparlers

4

Document 7 : Com, 7 avril 1998, n° 95-20361 ........................................................................ 36

Document 8 : Com, 11 janvier 1984, n° 82-13259 .................................................................. 40

Document 9 : Civ 3e, 28 juin 2006, n° 04-20040 ..................................................................... 42

Document 10 : Civ 3e, 7 janvier 2009, n° 07-20783 ................................................................ 44

Document 11 : Civ 3e, 12 novembre 2003, n° 02-10352 ......................................................... 46

Document 12 : Com, 25 février 2003, n° 01-12660 ................................................................. 47

Document 13 : Com, 26 novembre 2003, n° 00-10243 ; 00-10949 ......................................... 52

Document 14 : Civ 1e, 20 décembre 2012, n° 11-27340 .......................................................... 56

Document 15 : Extrait du projet d’ordonnance de 2015 portant réforme du droit des contrats

.................................................................................................................................................. 58

Document 16 : Com, 22 février 1994, n° 92-13871 ................................................................. 59

Document 17 : Extrait des principes du droit européen des contrats de la Commission Lando

.................................................................................................................................................. 62

Document 18 : Extrait de la loi d’habilitation 2015-177 publiée 17 février 2015 et autorisant

le gouvernement à réformer le droit des contrats par voie d’ordonnance ................................ 63

Document 19 : Décision du Conseil Constitutionnel n°2015-710 DC du 12 février 2015

validant la loi d’habilitation ..................................................................................................... 65

Document 20 : La rupture des négociations, P. Le Tourneau, RTD Com. 1998 p. 479 .......... 69

Document 21 : Promesse et préférence, C. Paulin, RTD Com. 1998 p.511 ............................ 78

Document 22 La période précontractuelle et la formation du contrat, J. Mestre, LPA, 5 mai

2000, n°90, p.7 ......................................................................................................................... 87

Document 23 : Le dommage précontractuel, O. Deshayes, RTD Com. 2004 p. 187 .............. 97

Document 24 : Bonne foi et pourparlers, Rép. Civ, Dalloz ................................................... 118

Document 25 : Rupture des pourparlers, Rép. Civ. Dalloz .................................................... 124

Document 26 : Les pourparlers : de la confiance trompée à la relation de confiance........... 130

Page 5: Note de Synthese_Les Pourparlers

5

Page 6: Note de Synthese_Les Pourparlers

6

L’assemblée nationale votait en nouvelle lecture le projet de loi relatif à la modernisation et à

la simplification du droit […] dans les domaines de la justice […] en session parlementaire du

28 janvier 20151. Quatorze jours plus tard, le 12 février 2015, le Conseil Constitutionnel

validait cette loi2 (doc 19), et seulement six jours après, le 17 février 2015 cette loi était

publiée au Journal Officiel3

(doc 18). Enfin, il n’aura fallu attendre que huit jours

supplémentaires pour que le projet d’ordonnance4 soit dévoilé par la Gouvernement en date

du 25 février, soit un peu moins d’un mois après le vote de la loi (doc 15).

Dans la mesure où la réforme du droit des contrats est débattue en doctrine depuis de

nombreuses années, des projets de réforme ont pu voir le jour.

Un tel empressement peut donc sembler paradoxal, mais peut s’expliquer par le fait que la

réforme reste très attendue par les praticiens du droit en vue de sa simplification, et

notamment pour le rendre plus compétitif vis à vis des autres systèmes juridiques, et plus

attractif.

Il n’en demeure pas moins que cela semble témoigner d’une volonté du gouvernement de se

saisir de l’épineux problème de la réforme du droit des contrats dans la mesure où cette

fameuse loi habilite le gouvernement à légiférer par ordonnance5 (doc 18).

Par l’initiative de cette loi, le gouvernement entend franchir un pas de plus en publiant le

projet d’ordonnance et en l’ouvrant à la consultation citoyenne.

Ainsi que le précise G. Cornu, dans la mesure où « les pourparlers (de pour et parler) sont des

entretiens préalables à la conclusion d’un accord (convention, traité), négociation et

tractations préliminaires6 » il serait presque ironique de parler de pourparlers.

Aucune législation relative aux pourparlers n’est codifiée, il est donc permis de se questionner

sur l’évolution des pourparlers et de ses composantes au fil de la doctrine, de la jurisprudence

et de la législation à venir.

Les pourparlers sont des négociations évoluant sous le triptyque de la liberté, la loyauté (ou la

bonne foi) et la confiance dans son partenaire de négociation (I). Dès lors que l’une de ces

1 Projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la

justice et des affaires intérieures texte en session parlementaire du 28 janvier 2015 (Ass. Nat. ; XIVe législature ;

Session ordinaire de 2014-2015 ; Première séance du mercredi 28 janvier 2015). 2 Cons. Const. n°2015-710 DC du 12 février 2015

3 JORF n°0040 du 17 février 2015 page 2961

4 Projet d’ordonnance portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations

5 Article 8 de la Loi n° LOI n° 2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du

droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures 6 Vocabulaire juridique, Gérard Cornu, éd. PUF

Page 7: Note de Synthese_Les Pourparlers

7

trois composantes disparaît, il y a un risque que l’un des partenaires commette une faute, qui

ouvrira droit à réparation (II).

I – De la confiance basée sur la liberté et la bonne foi…

A – La liberté en tant que socle des pourparlers

Alors que le principe de liberté contractuelle est essentiel au bon fonctionnement de notre

ordre juridique, il n’est énoncé nulle part dans le code civil. Le Conseil Constitutionnel,

considérait même en 1994 que le principe de liberté contractuelle n’a aucune valeur

constitutionnelle7

. Il aura en effet fallu attendre l’année 2000 pour que le Conseil

Constitutionnel reconnaisse au principe de liberté contractuelle sa valeur constitutionnelle et

le rattache finalement à l'article 4 de la Déclaration de 17898

Aujourd'hui son rayonnement est considérable, si bien qu’il trouve à s’appliquer à la période

contractuelle mais également à la période précontractuelle, d’ou son importance en matière de

négociations contractuelles. En effet, concernant la période précontractuelle, ce principe

rejaillit à l’égard de la forme des négociations (1), mais également à l’égard des négociations

elles-mêmes (2).

1. La liberté dans la forme des négociations : une liberté du support

En vertu du principe de liberté contractuel, les négociations précontractuelles sont libres, si

bien qu’il est, en principe, possible pour un partenaire de rompre la négociation quand il le

souhaite. Cependant, une trop grande liberté est préjudiciable aux partenaires et ainsi

provoquer une insécurité juridique.

Il est donc possible pour les partenaires de pallier cet effet en formalisant les pourparlers par

des contrats, et le cas échéant de prévoir des clauses qui permettent de sanctionner les

contractants qui se dédient. L’avant-projet Catala proposait en outre de consacrer dans le code

civil ces accords de principe et de les soumettre aux dispositions conventionnelles9 (doc 1).

7 Le Conseil Constitutionnel énonce « qu’aucune norme de valeur constitutionnelle ne garantit le principe de la

liberté́ contractuelle ». (94-348 DC, 3 août 1994, cons. 9, Journal officiel du 6 août 1994, page 11482, Rec. p.

117) 8 2000-437 DC, 19 décembre 2000, cons. 37, Journal officiel du 24 décembre 2000, page 20576, Rec. p. 190

9 Avant projet Catala article 1104-1

Page 8: Note de Synthese_Les Pourparlers

8

Parmi les divers avant-contrats qui permettent de verrouiller les pourparlers on retrouve par

exemple la lettre d'intention (ou protocole d'accord), l’accord partiel, l’accord de principe10

(doc 20 et doc 22)

Les parties ont également la possibilité de conclure une promesse de contrat. Bien qu’elle ait

l’appellation d’avant-contrat, la promesse est avant tout une convention dont l’objet est

d'engager d'ores et déjà les parties ou l'une d'elles, en vue d'un contrat dont les éléments

essentiels sont dès maintenant déterminés. Son seul point faible réside, dans son impossibilité

d’obtenir l’exécution forcée, alors même qu’elle est par essence plus engageante que les

pourparlers (doc 21).

Les parties ont encore la possibilité de conclure un pacte de préférence. Ce dernier a une

importance toute particulière dans la mesure où il permet d’obtenir l’engagement d'une partie

à ne pas conclure avec un tiers, mais souffre du même défaut que la promesse unilatérale de

vente dans la mesure où la substitution est quasiment impossible à obtenir11

.

Enfin, il existe également des clauses spécifiques qui permettent de renforcer les obligations

des parties dans la négociation et éventuellement de conserver le secret des affaires, tel que la

clause de négociation de bonne foi, la clause de confidentialité (ou de secret)12

, la clause

d'assiduité aux négociations13

, ou encore la clause de sincérité (ou clause de révélation de

négociations concurrentes)14

.

2. La liberté dans l’engagement, la conduite et la rupture des pourparlers

Comme le soulignent Denis Mazeaud et Philippe Delebecque dans l’avant-projet Catala, la

négociation précontractuelle est dominée par la liberté (doc 1). Cela implique que les

négociateurs sont non seulement libres d’entrer en pourparlers, mais également d’y mettre fin,

ainsi que le veut la conception traditionnelle du contrat.

En effet, dès lors qu’elle est mise en œuvre de bonne foi, c’est-à-dire qu’elle est justifiée par

un motif légitime, la rupture ne peut être constitutive d’une faute. Telle est la position de la

Cour de Cassation, qui a estimé que la rupture des pourparlers même avancés, était fondée sur

10

L'accord de principe est un accord préliminaire par lequel les parties ne s'engagent qu'à négocier de bonne foi

un deuxième contrat, dont elles ne précisent ni les clauses essentielles ni, a fortiori, les clauses accessoires.

P. le Tourneau. La rupture des négociations, RTD Com. 1998 p. 479. 11

Pour que le bénéficiaire du pacte puisse obtenir la substitution, il doit rapporter la preuve de de la

connaissance du pacte au par le tiers moment de contracter, mais également de l’intention du bénéficiaire de s’en

prévaloir (Cass. Ch. Mixte, 26 mai 2006 ; n° 03-19376 12

Cette clause, qui permet de protéger le secret des affaires, a pour but de protéger les informations échangées

lors des négociations 13

Cette clause permet d’assurer un meilleur partenariat lors des négociations 14

Clause qui oblige les parties à révéler les négociations parallèles qu'elles ont engagées, ou ont l'intention

d'engager, sous peine de voir leur responsabilité́ aggravée

Page 9: Note de Synthese_Les Pourparlers

9

une raison légitime et non fautive, compte tenu de la situation juridique et financière

défavorable de la société cible15

(doc 6). La liberté s’oppose en outre à ce que la rupture soit

qualifiée de fautive lorsque les pourparlers ne sont guère avancés et que cela ne laisse

nullement présager la conclusion future d’un contrat16

(doc 14).

Ce courant jurisprudentiel libéral est repris par l’avant-projet Catala17

(doc 1), mais également

par le projet d’ordonnance18

(Doc 15).

Le déroulement des pourparlers est pareillement dominé par la liberté contractuelle,

dimension essentielle au bon fonctionnement d’une économie de marché, qui suppose qu’on

puisse mener des négociations parallèles. Cela implique le cas échéant, de choisir après

comparaison la proposition la plus avantageuse et de rompre avec les autres partenaires.

L’avant-projet Catala prévoit de consacrer ce principe de liberté dans le déroulement des

pourparlers19

(doc 1) et le projet de réforme également20

(Doc 1).

Outre la liberté, inhérente aux pourparlers, ces derniers sont également placés sous le signe de

la bonne foi.

B – Le rayonnement de la bonne foi dans les négociations contractuelles

La bonne foi est aujourd’hui omniprésente dans la jurisprudence et dans la doctrine. Alors que

la France est en passe de la consacrer expressément aux négociations précontractuelles (2), il

est intéressant de s’interroger sur son application dans certains pays européens (1).

1. La bonne foi considérée sous le prisme des systèmes juridiques européens

Les Principes du droit européen du contrat font mention de la bonne foi dans la conduite et la

rupture des négociations21

, mais également dans leur initiative22

(doc 17). La très grande

majorité des pays d’Europe ont en effet reconnu la bonne foi, et l’ont parfois même consacrée

dans leur code civil.

15

Cass. Com. 20 nov. 2007 ; n°06-20332 16

Cass. Civ. 1e, 20 déc. 2012 ; n°11-27340

17 Article 1104 « L’initiative […] et la rupture des pourparlers sont libres »

18 L’article 1111 al.1

e du projet d’ordonnance prévoit en effet que « l’initiative […] et la rupture des

négociations contractuelle est libre » 19

L’article 1104 prévoit que « L’initiative, le déroulement et la rupture des pourparlers sont libres » 20

L’article 1111 prévoit « […] Le déroulement […] des négociations précontractuelles sont libres » 21

Les principes du droit européen du contrat prévoient, à l article 2 :301, alinéa 2, que «la partie qui conduit ou

rompt des négociations contrairement aux exigences de la bonne foi est responsable du préjudice qu'elle cause à

l'autre partie. » 22

Les principes du droit européen du contrat prévoient, à l article 2 :301, alinéa 3, qu’ « il est contraire aux

exigences de la bonne foi, notamment, pour une partie d'entamer ou de poursuivre des négociations sans avoir de

véritable intention de parvenir à un accord avec l'autre.

Page 10: Note de Synthese_Les Pourparlers

10

Seule la Grande-Bretagne demeure réfractaire, dans la mesure où la bonne foi peine encore à

s’y imposer. Le droit anglais n’a pas évolué dans le sens du solidarisme contractuel (doc 26).

Cependant, il existe quand même des mécanismes qui produisent des effets similaires, tel que

le principe de l’estoppel, et notamment « l’estoppel by convention » qui s’applique en cas de

rupture de négociations contractuelles.

L’Allemagne quant à elle, connaît la notion de bonne foi (Treu und Glauben). Une place

importante lui est d’ailleurs accordée puisque le code civil allemand (le Bürgerliches

Gesetzbuch) la consacre expressément23

. Cependant, cette conception de la bonne foi est

beaucoup plus avancée que celle du droit français puisque le code civil allemand encadre la

bonne foi et l’étend au rapport précontractuel24

.

Adhérente à la théorie de la culpa in contrahendo, l’Allemagne a d’ailleurs, via la

jurisprudence du Reichsgericht (Tribunal administratif fédéral) puis du Bundesgerichtshof

(Cour fédérale de justice), étendu cette dernière à l’hypothèse de la rupture des négociations

avancées.

L’Italie, précurseur de la bonne foi précontractuelle consacre également cette dernière dans

son code civil. En effet, l’article 133, qui pose d’ailleurs le principe de bonne foi dans la

phase précontractuelle, impose en outre à chaque partie de tenir compte de l’intérêt de l’autre

au nom de la bonne foi « objective » (Doc 26).

Face à ses concurrents européens, on comprend la nécessité pour la France de moderniser son

droit des obligations, afin de le rendre plus sécurisant et plus compétitif.

2. La bonne foi sous vue le prisme du système juridique Français

Précurseur, le code Napoléon de 1804, énonçait lors de sa rédaction que les conventions «

doivent être exécutées de bonne foi ». Cette disposition, encore en vigueur, est plus que

jamais d’actualité.

En effet, le rayonnement de la bonne foi est aujourd’hui considérable dans la mesure où il

s’étend à la période contractuelle (comme le prévoit le Code Civil), mais également à la

période précontractuelle et en dehors de toute convention spécifique (doc 24).

Ainsi, fort de son omniprésence dans l’exécution des contrats, la quasi-totalité des projets de

réformes prévoient enfin de consacrer expressément la bonne foi à la période

23

Le paragraphe 242 du BGB dispose « Le débiteur a l´obligation d´exécuter la prestation comme l´exige la

bonne foi eu égard aux usages » 24

Le paragraphe 311 al. 2 du BGB étend la bonne foi non seulement à l’engagement de pourparlers (Aufnahme

von Verhandlungen), mais également les mesures préparatoires à un contrat (Anbahnung eines Vertrages)

Page 11: Note de Synthese_Les Pourparlers

11

précontractuelle25

(doc 1), mais également le projet d’ordonnance (doc 15), alors que cela n’a

encore jamais été prévu par le Code.

La place considérable aujourd’hui accordée à la bonne foi peut s’expliquer par l’émergence

d’une doctrine solidariste dans le domaine contractuel. Tranchant avec la doctrine libérale

classique véhiculée par l’économie de marché et le monde des affaires, cette doctrine

soutenue par une poignée croissante d’auteurs, tente d’intégrer dans la gamme contractuelle

de nouvelles sonorités, telles que la loyauté, l'équité, la proportionnalité, la cohérence, la

tolérance, la solidarité, la dignité.

Cette doctrine longtemps minoritaire et largement combattue par la majorité des auteurs,

semble avoir fait son chemin au point de trouver écho chez le législateur, qui souhaite

dorénavant l’intégrer à la négociation contractuelle26

.

Il est donc impératif pour les partenaires d’agir de bonne foi, avec loyauté, afin de ne pas

commettre de faute. Car en effet, dès lors que la bonne foi disparait et que l’un des partenaires

est déloyal, alors il est susceptible de commettre une faute qui ouvrira droit à réparation.

II – …A la mauvaise foi, l’abus de confiance et de liberté

Dès lors qu’un partenaire commet une faute en agissant de mauvaise foi, il sera susceptible

d’engager sa responsabilité civile dans certaines conditions (A).

Dans la mesure où l’engagement de la responsabilité civile vise à obtenir une indemnisation

en réparation du préjudice subi, il est intéressant de se questionner sur le domaine de sa

réparation (B).

A – L’abus de liberté et la mauvaise foi générateurs de responsabilité civile

La mise en œuvre de la responsabilité civile suppose un fait générateur de responsabilité, tel

qu’un comportement fautif (1), mais également un préjudice et un lien de causalité entre les

deux (2).

25

L’ article 1104 de l’avant-projet Catala prévoit que « l’initiative, le déroulement et la rupture des pourparlers

[…] doivent satisfaire aux exigences de la bonne foi » 26

L’article 1111. al 1 du projet d’ordonnance dispose que « l’initiative, le déroulement et la rupture des

négociations précontractuelles doivent satisfaire aux exigences de la bonne foi. »

Page 12: Note de Synthese_Les Pourparlers

12

1. Les éléments constitutifs du comportement fautif : l’abus de liberté et de mauvaise

foi

Agir de mauvaise foi, trahir la confiance de son partenaire et abuser de sa liberté peut être

constitutif d’un comportement fautif. Or les fautes causées par un partenaire ouvrent droit à

réparation.

La Cour de Cassation ne définit pas la faute, ce qui lui laisse une souplesse d’appréciation, et

permet selon les cas de qualifier le comportement de fautif ou non.

La qualification de rupture fautive est indépendante de l’intention de nuire, si bien qu’une

partie qui n’agit pas de manière déloyale pourra commettre une faute ouvrant droit à

réparation. Les juges sanctionnent régulièrement des partenaires, qui sans agir de mauvaise

foi patente, font preuve d’une légèreté blâmable27

(Doc 2 et Doc 5).

L’intention de nuire reste néanmoins bien souvent déterminante dans l’appréciation de la

faute de rupture. Elle a notamment été facile à qualifier dans le cas où un partenaire, de par

son comportement déloyal, avait vidé de sa substance le procédé breveté, objet de la

négociation. Ce dernier avait laissé espérer à son partenaire, pendant quatre années, la

possibilité de parvenir à un accord définitif le privant ainsi de pouvoir négocier avec un autre

pendant cette période, mais avait également divulgué le savoir-faire28

(doc 7).

Outre l’intention de nuire, les juges ont tendance à qualifier le comportement de fautif en

fonction non seulement de la durée des négociations, mais également de leur intensité.

S’agissant de la durée, les juges considèrent que plus les pourparlers sont avancés, plus la

faute dans la rupture sera aisément qualifiable.

A en effet été jugée abusive, la rupture brutale et sans motifs, d’une négociation de longue

durée au cours de laquelle le partenaire a effectué des demandes de modifications apportées

aux trois propositions faites, avant de finir par rompre brutalement et sans motifs les

négociations29

(doc 3).

Par ailleurs les juges sont encore plus rigoureux en qualifiant quasi systématiquement de

fautive la rupture qui intervient lorsque l’une des parties laisse entretenir à son partenaire une

croyance dans la conclusion du contrat30

(doc 4).

27

Cass. Com., 14 décembre 2004, n° 02-10157 ; Cass. Com., 22 février 1994, n° 91-18842 28

Cass. Com.,7 avril 1998 ; n° 95-20361 29

Cass. Com., 7 janvier 1997 ; n°94-21561 30

Cass. Com., 31 mars 1992 ; n°90-14867

Page 13: Note de Synthese_Les Pourparlers

13

S’agissant de l’intensité, les juges qualifient plus volontiers de fautive la rupture intervenue

lorsque les pourparlers ont atteint un niveau élevé. C’est-à-dire que plus une partie obtient de

concessions de son partenaire, plus leur niveau d’engagement dans les pourparlers est intense.

Il a en outre été jugé que la rupture ne pouvait être qu’abusive dès lors qu’à un stade avancé

des pourparlers, une des parties incitait son partenaire à réaliser des investissements coûteux

voués à l’échec, provoquant une cessation de paiement et une aggravation du passif de la

société31

(doc 16).

Outre le comportement fautif, l’engagement de la responsabilité suppose que le partenaire de

négociations ait un subi préjudice, mais également qu’il y ait un lien de causalité entre la faute

et le préjudice.

2. Les frais constitutifs du préjudice et leur lien de causalité

Les partenaires de négociations engagent souvent d’importants frais à l’occasion des

négociations. Olivier Deshayes distingue à ce titre deux types de frais (doc 23) :

- « Les frais de négociations » 32

exposés en vue de la conclusion du contrat

- « Les frais de rupture »33

exposés en conséquence de la rupture des négociations

Le préjudice subi par le partenaire des négociations est facilement établi dans la mesure où

ces frais exposés à l’occasion des négociations sont perdus par celui qui les a exposés suite à

la rupture.

Concernant le lien de causalité il est facile à établir pour les frais de rupture, dans la mesure

où ces frais (donc le préjudice qui en découle) ont été exposés par le partenaire en raison du

comportement fautif de l’auteur de la rupture.

Par contre concernant les frais de négociation, le lien de causalité est plus difficile à établir

dans le mesure où ces frais sont des frais normaux, inhérents à chaque négociations.

C’est dans cette logique que la Cour de Cassation a récemment refusé d’indemniser la perte

de chance de conclure, en considérant qu’aucun des partenaires ne peut se prétendre titulaire

d'une « chance » de conclure le contrat définitif.

Ainsi, dans la mesure où le domaine de la réparation a évolué en matière de pourparlers, se

pose alors la question de son étendue.

31

Cass. Com. 22 février 1994 ; n°92-13871 32

Ces frais de négociations sont par exemple le recours à divers corps de métiers couteux tel que des experts,

consultants, auditeurs, architectes, etc… 33

Ces différents frais sont par exemple la nécessité de recourir à un financement par emprunt, la nécessité de

trouver un nouvel emploi ou la nécessité de recourir en catastrophe aux services plus coûteux d'un tiers

Page 14: Note de Synthese_Les Pourparlers

14

B – Le domaine de la réparation

Les pourparlers, dès lors qu’ils sont rompus fautivement, ouvrent droit à réparation pour la

victime de la faute qui a ainsi subi un préjudice. La réparation entraînée par la rupture fautive

des pourparlers a fait l’objet de nombreuses modifications et résulte d’une construction

prétorienne (1). Alors qu’elle n’a pas encore été codifiée, et que les dispositions régissant le

droit à réparation ne sont que jurisprudentielles, il est intéressant de confronter le droit à

réparation à l’épreuve des projets de réforme. (2).

1. La construction prétorienne du droit à réparation

Le domaine de la réparation en cas de rupture fautive des pourparlers n’a pas toujours été

constant. Dans la mesure où il n’est pas codifié, il a été nécessaire pour la Cour de Cassation

de bâtir un régime qui a fait l’objet d’un revirement.

Dans la mesure où les pourparlers ne sont que des négociations informelles, les parties ne sont

liées par aucun contrat. Il est donc de jurisprudence constante que la victime d’une rupture

fautive ne peut, en vertu du principe de non-cumul des responsabilités, obtenir réparation que

sur le fondement de la responsabilité délictuelle34

(doc 8)

La Cour a cependant réalisé une évolution sur le terrain du préjudice indemnisable. En effet,

dans un premier temps, la Cour de Cassation considérait que la perte de chance de réaliser un

gain espéré par la conclusion du contrat était un préjudice indemnisable au titre de la rupture

fautive des pourparlers35

(Doc 11 et 12).

Elle est cependant revenue sur sa position et a entrepris un revirement de jurisprudence,

réalisant un véritable coup de tonnerre dans le ciel de la responsabilité précontractuelle, par le

désormais célèbre arrêt Manoukian36

(Doc 13). Par ce revirement, la Haute-Cour cantonne

donc la réparation aux frais engagés. Il s'agira des dépenses exposées en pure perte, telles que

frais d'études, de déplacement, coût d'intervention de tiers conseils, experts ou consultants,

auxquels il faudrait ajouter la perte du temps occasionnée ou la perte d'heures de travail du

personnel ayant participé aux négociations.

34

Cass. Com., 11 janv. 1984, n°82-13259 35

Cass. com., 25 févr. 2003, n° 01-12660 ; Cass. 3e civ., 12 nov. 2003, n° 02-10352

36

Les juges de la Haute-Cour ont considérés que le préjudice subi par la victime de la rupture “n'incluait que les

frais occasionnés par la négociation et les études préalables auxquelles elle avait fait procéder et non les gains

qu'elle pouvait, en cas de conclusion du contrat, espérer tirer de ce contrat ni même la perte d'une chance

d'obtenir ces gains” (Cass. com., 26 nov. 2003).

Page 15: Note de Synthese_Les Pourparlers

15

Le refus de la Cour de cassation d'indemniser la perte d'une chance de tirer les avantages

attendus du contrat projeté, sera par la suite confirmé par un arrêt de la 3e chambre civile

37,

qui, en alignant sa position sur celle de la chambre commerciale vient entériner le revirement

de jurisprudence entrepris en 2003 et en assure l'effectivité (doc 9). La nouvelle jurisprudence

est également confirmée par un arrêt de 200938

(doc 10).

2. Le droit à réparation à l’épreuve des projets de réforme

Une jurisprudence constante de la Cour de Cassation considérait systématiquement, depuis

plusieurs années déjà, que la responsabilité est extracontractuelle en cas de rupture fautive des

pourparlers. Le projet d’ordonnance entérine finalement cette jurisprudence, en prévoyant que

la rupture fautive des négociations contractuelles oblige son auteur à réparation sur le

fondement de la responsabilité extracontractuelle39

(doc 15).

Outre le domaine de responsabilité, le projet d’ordonnance prévoit également de consacrer la

jurisprudence Manoukian relative au domaine de réparation en excluant la perte de chance de

conclusion du contrat40

(doc 15).

Lors des pourparlers, des négociations précontractuelles ont lieu, et il n’est pas rare que les

partenaires s’échangent des informations sensibles, souvent confidentielles. Les parties étant

tenues à un devoir de loyauté et de bonne foi, ne peuvent pas utiliser ou divulguer les

informations auxquelles elles ont eu accès à l’occasion des pourparlers. Si toutefois elles le

font, leur responsabilité ne pourra être qu’extracontractuelle, à moins qu’elles n’aient souscrit

un engagement spécifique, entraînant ainsi un glissement de la responsabilité vers le terrain

contractuel.

Alors que cette solution est aujourd’hui bien acquise, elle n’est encore codifiée nulle part. Le

projet d’ordonnance pallie enfin à cette carence en prévoyant que la réparation encourue par

celui qui utilise sans autorisation des informations confidentielles obtenues à l’occasion des

pourparlers sera extracontractuelle41

(doc 15).

37

Cass. Civ. 3e, 28 juin 2006 ; n°04-20040

38 Cass. civ. 3e, 7 janvier 2009 ; n° 07-20783

39 Projet d’ordonnance, article 1111. Al 2 « la conduite ou la rupture fautive de ces négociations oblige son

auteur à réparation sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle. » 40

Projet d’ordonnance, Article 1111 al.3« les dommages et intérêts ne peuvent avoir pour objet de compenser la

perte des bénéfices attendus du contrat non conclu ». 41

L’article 1112 du projet d’ordonnance prévoit que « celui qui utilise sans autorisation une information

confidentielle obtenue à l’occasion des négociations engage sa responsabilité́ extracontractuelle ».

Page 16: Note de Synthese_Les Pourparlers

16

Page 17: Note de Synthese_Les Pourparlers

17

Document 1 :

Extrait du rapport Catala de septembre 2005 sur l’avant-projet de

réforme du droit des obligations

1

AVANT-PROJET DE REFORME

DU DROIT DES OBLIGATIONS

(Articles 1101 à 1386 du Code civil)

ET DU DROIT DE LA PRESCRIPTION

(Articles 2234 à 2281 du Code civil)

Rapport à Monsieur Pascal Clément

Garde des Sceaux,

Ministre de la Justice

22 Septembre 2005

Page 18: Note de Synthese_Les Pourparlers

18

[…]

[…]

Page 19: Note de Synthese_Les Pourparlers

19

16

Dans leur justesse et leur clarté, certaines de ces définitions ne demandent qu’à être

maintenues (contrat synallagmatique) ou effleurées d’une retouche (contrat unilatéral).

L’opposition du contrat à titre onéreux et du contrat à titre gratuit prend du sens par

l’accent mis sur l’intention décisive («entend) relativement à une contrepartie (animus donandi pour le contrat à titre gratuit ; la poursuite d’une contrepartie pour le contrat à titre

onéreux). Pour une modification voisine mais plus prononcée, la considération de

l’équivalence initiale des prestations, dans la pensée des contractants, est le critère qui fait

le départ entre le contrat commutatif et le contrat aléatoire.

Le catalogue actuel a seulement été complété par de nouvelles définitions

énoncées, selon la même méthode, non point pour l’interprétation du texte mais en

fonction de la nature propre de chaque figure, dans l’ensemble du système juridique. Ainsi

est proposées l’opposition déjà connue mais non écrite du contrat consensuel et du contrat

solennel. L’extrême importance pratique du contrat d’adhésion et du contrat cadre exigeait

que leur définition soit élaborée, afin surtout que soient clarifiées, dans le contrat

d’adhésion, la distinction entre le noyau imposé et l’éventuelle partie complémentaire

négociée, et semblablement, dans le contrat cadre, la distinction de l’accord de base et des

conventions d’application.

On retrouve dans l’article 1103 l’affirmation que les règles énoncées au titre du contrat constituent le droit commun des contrats. Le texte réserve, en l’illustrant

d’exemples topiques, l’application à certains contrats des règles particulières qui les

gouvernent, mais il marque sous cette réserve que la vocation des règles générales s’étend

à toute espèce de contrat, nommé ou innommé. Quant à ces derniers, il ouvre un précieux

recours au raisonnement analogique afin de combler avec discernement les lacunes des

prévisions contractuelles.

On aura remarqué que, dans l’article 1102, ne figure plus la référence à la trilogie

traditionnelle (donner, faire, ne pas faire). Mais on en retrouve les éléments à l’article 1121

qui précise l’objet du contrat. Ce transfert qui évite une redondance a surtout l’avantage de

compléter la trilogie, car le contrat peut aussi avoir pour objet de concéder la détention

d’une chose avec ou sans usage, prestation spécifique qui ne se ramène ni à donner, ni à faire, ni à ne pas faire.

Ainsi déployé, l’éventail des prestations a sa place naturelle dans l’objet du contrat,

sans alourdir la définition générale préliminaire du contrat. Dans celle-ci, la référence est

désormais faite à une notion générique consacrée qui enveloppe tous les cas. Toute

obligation naissant d’un contrat a pour objet l’accomplissement d’une prestation.

Formation du contrat (art. 1104 à 1107)

Philippe Delebecque, Denis Mazeaud

Très précis sur les conditions de validité et les effets du contrat, les rédacteurs du

Code civil de 1804 étaient, en revanche, restés silencieux sur ses conditions de formation,

autrement dit sur la phase de rencontre des volontés. Le contraste est saisissant avec le luxe

17

de détails dont font preuve le législateur français contemporain, notamment dans le

domaine des contrats de consommation, et les projets d'harmonisation européenne du droit

des contrats qui, eux, régissent avec une extrême minutie les différentes étapes qui

conduisent de la simple intention de contracter à la conclusion de l'accord définitif.

Il a donc semblé légitime aux promoteurs de ce projet de combler cette lacune de

notre Code et de prévoir des textes qui encadrent la formation du lien contractuel. Tel est

l'objet des articles 1104 et suivants de cette section intitulée « De la formation du contrat ».

Quant à la structure de cette section, les rédacteurs se démarquant ainsi des textes

élaborés au niveau européen et international qui visent à harmoniser ou à codifier le droit

des contrats, ont délibérément opté pour des règles générales destinées à charpenter la

rencontre des volontés et ont renoncé à réglementer avec moult précisions le processus de

formation du contrat, étant entendu que dans ce domaine la liberté des futurs contractants

doit pouvoir se déployer le plus largement possible et qu'une certaine marge d'appréciation

doit être laissée au juge saisi de l'existence d'un contrat. Par ailleurs, il s'est agi d'envisager

les différents procédés et étapes qui jalonnent le chemin qui conduit à la création du

contrat. Ainsi, les textes proposés ont pour objet les différents actes unilatéraux ou

bilatéraux qui sont le plus souvent utilisés et exploités dans la perspective de la conclusion

d’un contrat.

Quant au fond, les règles élaborés puisent à plusieurs sources: la jurisprudence

française rendue dans ce domaine, depuis deux siècles, d’abord ; certaines codification

européennes et internationales récentes (Allemagne, Pays-Bas, Quebec), ensuite ; les

projets d’harmonisation européenne et internationale du droit des contrats (Avant-projet de

code européen des contrats-groupe Gandolfi ; Principes du droit européen du contrat-

commission Landö ; Principes Unidroit), enfin. Par ailleurs, ces règles sont articulées

autour d'un triptyque : liberté, loyauté, sécurité.

Liberté, en premier lieu, dans la période de négociation précontractuelle

(articles1104 à 1104-2). Les négociateurs sont libres d'entrer en pourparlers, de mener leur

négociation et d'y mettre fin comme et quand bon leur semble. En principe, leur

responsabilité ne peut pas être recherchée à l'occasion de cette phase de négociation. En

particulier, elle ne peut pas être engagée du seul fait que la négociation a été rompue et que

cette rupture a provoqué un dommage pour un des négociateurs. Liberté, en deuxième lieu,

au stade de l'offre et de l’acceptation. D'une part, l'offrant dispose d'un important pouvoir

unilatéral de rétractation. D'autre part, le destinataire de l'offre ne peut pas, sauf

circonstances exceptionnelles, être contractuellement lié lorsqu'il fait preuve de passivité à

réception de celle-ci. Liberté, en troisième lieu, quant aux instruments que les négociateurs

peuvent exploiter dans la perspective de la conclusion de leur accord définitif : contrat de

négociation, accord de principe, promesse unilatérale, pacte de préférence. Etant entendu

que la « liste » n’est pas exhaustive et que le recours à d'autres instruments contractuels est

possible.

Loyauté, en deuxième lieu. La liberté précontractuelle est, en effet, tempérée et

canalisée par une exigence de loyauté destinée à imposer une certaine éthique lors de la

période qui tend vers la conclusion d'un contrat, dans la mesure où la négociation

contractuelle s'inscrit souvent dans la durée et se traduit souvent par d'importants

investissements financiers. Aussi, la bonne foi guide les négociateurs lors de la négociation

et singulièrement à l'occasion de sa rupture. De même, la liberté de conclure des petits

18

contrats qui jalonnent et encadrent les pourparlers est canalisée par l'exigence de bonne foi.

Sécurité, en troisième lieu. Les règles proposées sont mues par l'impératif d'assurer

la sécurité juridique lors de la période précontractuelle. Ainsi, d'abord, le pouvoir de

révocation unilatérale de l'offrant est neutralisé lorsque son offre, adressée à personne

déterminée, comportait son engagement de la maintenir pendant un délai de précis. Dans

ce cas de figure, la révocation de l'offre n'empêchera pas la formation du contrat si elle est

acceptée dans le délai fixé, pas plus d'ailleurs que le décès de l'offrant ou son incapacité

survenus pendant le délai d'acceptation. De même que la sécurité du destinataire de l'offre,

concrètement le respect de sa croyance légitime dans le maintien de l'offre, est assuré par

cette disposition, celle de l’offrant est promue par la règle qui prévoit que le contrat n'est

conclu qu'à compter de la réception de l'acceptation. Ainsi, l'offrant n'est-il

contractuel1ement lié que lorsqu'il a pu prendre effectivement connaissance de la volonté

manifestée par son partenaire et ne peut pas être juridiquement engagé sans le savoir.

Solution qui, par ailleurs, renforce automatiquement son pouvoir de révocation unilatérale.

Ensuite, c'est la protection de la confiance légitime du bénéficiaire d’un pacte de

préférence ou d'une promesse unilatérale de contrat que les règles nouvelles ont poursuivi

comme objectif. En harmonie avec les textes relatifs à l’irrévocabilité unilatérale du

contrat, à l'exécution forcée et dans le souci de ne pas priver des intérêts les avant-contrats

les plus utilisés dans la pratique contractuelle, la rétractation du promettant est sanctionnée

de la façon la plus énergique qui soit. En effet, le refus du promettant de conclure le contrat

promis ou la conclusion avec un tiers du contrat à propos duquel il avait consenti une

priorité ou une exclusivité au bénéficiaire ne font pas obstacle à la conclusion du contrat

promis au profit du bénéficiaire.

Validité du contrat – Consentement (art. 1108 à 1115-1)

Yves Lequette, Grégoire Loiseau, Yves-Marie Serinet

Selon un avis unanime, les dispositions relatives au consentement en vigueur dans le

Code civil (articles 1109 à 1118) ne rendent compte de la matière que de façon imparfaite

et incomplète.

Les textes, dont la rédaction originelle demeure inchangée depuis 1804, envisagent

les seules qualités de lucidité et de liberté que celui-ci doit revêtir afin que de la volonté de

chaque contractant sorte un engagement valable.

De toute évidence, la perspective ainsi choisie s'avère doublement limitée au regard

des questions que soulève cette condition essentielle de formation des conventions dans le

droit contemporain.

D'une part, la présentation des codificateurs conduit à passer sous silence le

processus d'expression et de rencontre des volontés, masquant ainsi la difficulté spécifique

de l'absence totale de consentement.

Page 20: Note de Synthese_Les Pourparlers

20

[…]

67

SOUS-TITRE I – DU CONTRAT ET DES OBLIGATIONS

CONVENTIONNELLES EN GENERAL (ARTICLES 1102 A 1326-2)

CHAPITRE 1 - DISPOSITIONS GENERALES

SECTION 1. DEFINITIONS (ARTICLES 1102 A 1103)

Art. 1102 Le contrat est une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s’obligent envers une ou plusieurs autres à accomplir une prestation. Art. 1102-1 Le contrat est synallagmatique ou bilatéral lorsque les contractants s’obligent réciproquement les uns envers les autres. I l est unilatéral lorsqu’une ou plusieurs personnes s’obligent envers une ou plusieurs autres sans qu’il y ait d’engagement réciproque de celles-ci. Art. 1102-2 Le contrat est à titre onéreux lorsque chacune des parties entend recevoir de l’autre un avantage en contrepartie de celui qu’elle procure. Le contrat est à titre gratuit lorsque l’une des parties entend procurer à l’autre un avantage sans recevoir de contrepartie. Art. 1102-3 Le contrat est commutatif lorsque chacune des parties s’engage à procurer à l’autre un avantage qui est regardé comme l’équivalent de celui qu’elle reçoit. I l est aléatoire lorsque les parties, sans rechercher l’équivalence de la contrepartie convenue, acceptent une chance de gain ou de perte pour chacune ou certaines d’entre elles, d’après un événement incertain. (Obs. : Il est tenu compte de l’article 1964.) Art. 1102-4 Le contrat est consensuel lorsqu’il se forme par la seule manifestation des consentements quel qu’en soit le mode d’expression.

Le contrat est solennel lorsque sa formation est subordonnée, à peine de nullité, à des formalités déterminées par la loi. Art. 1102-5 Le contrat d’adhésion est celui dont les conditions, soustraites à la discussion, sont acceptées par l’une des parties telles que l’autre les avait unilatéralement déterminées à l’avance. Un tel contrat peut, cependant, leur adjoindre des conditions particulières sujettes à négociation. 68

Art. 1102-6 Le contrat cadre est un accord de base par lequel les parties conviennent de négocier, nouer ou entretenir des relations contractuelles dont elles déterminent les caractéristiques essentielles. Des conventions d’application en précisent les modalités d’exécution, notamment la date et le volume des prestations, ainsi que, le cas échéant, le prix de celles-ci. Art. 1103 Les contrats, soit qu’ils aient une dénomination propre, soit qu’ils n’en aient pas, sont soumis à des règles générales qui sont l’objet du présent titre. Des règles particulières à certains contrats sont établies, soit sous les titres du présent code relatifs à chacun d’eux, soit par d’autres codes et lois, notamment dans les matières touchant au corps humain, aux droits intellectuels, aux opérations commerciales, aux relations de travail et à la protection du consommateur. Les contrats innommés sont soumis par analogie aux règles applicables à des contrats comparables, dans la mesure où leur spécificité n’y met pas obstacle.

SECTION 2. DE LA FORMATION DU CONTRAT (ARTICLES 1104 A 1107)

§ 1 – De la négociation

Art. 1104 L’initiative, le déroulement et la rupture des pourparlers sont libres, mais ils doivent satisfaire aux exigences de la bonne foi.

L’échec d’une négociation ne peut être source de responsabilité que s’il est imputable à la mauvaise foi ou à la faute de l’une des parties.

Art. 1104-1 Les parties peuvent, par un accord de principe, s’engager à négocier ultérieurement un contrat dont les éléments sont à déterminer, et à concourir de bonne foi à leur détermination. Art. 1104-2 Le régime des accords destinés à aménager le déroulement ou la rupture des pourparlers, est soumis aux dispositions du présent sous-titre.

§ 2 – De l’offre et de l’acceptation

Art. 1105 La formation du contrat requiert la rencontre de plusieurs volontés fermes et précises de s’engager. Art. 1105-1 L’offre est un acte unilatéral déterminant les éléments essentiels du contrat que son auteur propose à personne déterminée ou indéterminée, et par lequel il exprime sa volonté d’être lié en cas d’acceptation.

Page 21: Note de Synthese_Les Pourparlers

21

Document 2 :

Com, 14 décembre 2004, n° 02-10157

Cour de cassation chambre commerciale Audience publique du 14 décembre 2004 N° de pourvoi: 02-10157 Non publié au bulletin

Rejet Président : M. TRICOT, président

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l’arrêt suivant : Attendu, selon l’arrêt attaqué (Versailles, 25 octobre 2001), qu’ayant repris un fonds de commerce dont l’exploitation était animée par M. X..., la société Applications électroniques techniques avancées (AETA) a envisagé la fermeture de ce site, puis chargé M. X... d’examiner une solution consistant à confier à une nouvelle société, dont il serait l’animateur, la réalisation des travaux jusqu’alors exécutés sur ce site ; qu’après que M. X... a créé à cette fin la société Alphatel, la société AETA a notifié son intention de mettre fin aux négociations ; que la société Alphatel l’a assignée en paiement de dommages-intérêts à raison de cette rupture brutale ; Sur le premier moyen : Attendu que la société AETA fait grief à l’arrêt de dire qu’elle a abusivement rompu les négociations contractuelles ouvertes avec la société Alphatel et de la condamner au paiement de dommages-intérêts, alors, selon le moyen :

Page 22: Note de Synthese_Les Pourparlers

22

1 / que, conformément à l’article 1101 du Code civil, la liberté contractuelle comporte celle de ne pas contracter, et celle, en conséquence, de ne pas mener à leur terme des négociations entreprises dans le but de réaliser un projet auquel une des parties vient à renoncer définitivement ; que la cour d’appel, qui a constaté que la société AETA avait renoncé au projet d’essaimage dont elle avait confié l’étude de faisabilité à M. X..., créateur de la société Alphatel, mais qui a néanmoins considéré que la société AETA avait abusivement rompu les négociations ouvertes avec la société Alphatel pour le réaliser, a, en statuant ainsi, violé la disposition susvisée ; 2 / que conformément aux articles 1101 et 1134 du Code civil, les parties qui ont déterminé les bases d’un accord mais qui ne sont pas parvenues à en déterminer les modalités sont libres, sans commettre d’abus, de ne pas contracter ; que la cour d’appel, qui a constaté que la société AETA avait subordonné la conclusion d’un projet d’essaimage à un accord des parties, notamment sur le volet social, mais qui a considéré que le désaccord intervenu sur ce point n’était qu’un obstacle technique qui pouvait être levé a, en statuant ainsi, substitué sa propre appréciation des intérêts de la société AETA à celle que seule celle-ci pouvait opérer en considération des contreparties qu’elle pouvait obtenir après les avoir déterminées avec précision et a, en conséquence, violé les dispositions susvisées ; 3 / que dans ses conclusions, la société AETA a fait valoir que la société Alphatel s’était, abusivement et à son profit, servie des négociations, et que son créateur, M. X..., encore présent dans ses locaux avaient mis à profit cette période pour tenter de faire main basse sur la clientèle, le savoir-faire et les produits AETA, ce qui était établi par le fait que le projet était passé de la formation d’un contrat de sous-traitance à celui d’opérer un transfert de fonds de commerce, par des moyens détournés ; qu’en s’abstenant de répondre à ce moyen et d’apprécier le caractère de la rupture des négociations au regard des objectifs réels et déloyaux poursuivis par la société Alphatel et des risques encourus par la société AETA si elle ne réagissait pas rapidement à ces manoeuvres, la cour d’appel a méconnu les exigences de l’article 455 du nouveau Code de procédure civile ; Mais attendu, d’une part, que c’est par exacte application du texte prétendument violé que la cour d’appel, sans dénier le droit d’une partie à ne pas contracter, a retenu une faute à son encontre, dès lors qu’elle a constaté que la brusque volte-face de la société AETA ne se légitimait ni par un comportement fautif, ni par une situation d’urgence, et qu’en mettant un terme, de manière précipitée et sans motif légitime, aux négociations qui se poursuivaient depuis plus de deux mois sur la base des engagements initialement souscrits par ses soins, cette société avait de façon fautive rompu les pourparlers ; Attendu, d’autre part, qu’en constatant que le prétendu désaccord sur le volet social se limitait en réalité à un obstacle découlant de l’application pure et simple des dispositions de l’article L. 122-12 du Code du travail, auquel il pouvait être remédié

Page 23: Note de Synthese_Les Pourparlers

23

par le recours à une procédure de licenciement collectif pour cause économique avec plan social comprenant la mesure d’essaimage, sans que cette modification ait la moindre incidence pour la société AETA, laquelle n’aurait conservé à sa charge que les indemnités de licenciement des salariés non repris par la société Alphatel, la cour d’appel n’a pas substitué sa propre appréciation des intérêts de la société AETA, mais souverainement décidé qu’en son principe et ses conséquences, cet obstacle n’était pas objectivement de nature à légitimer la rupture des relations ; Et attendu, enfin, que la cour d’appel, qui a écarté les conclusions prétendument délaissées en décidant que la société Alphatel n’avait pas commis de faute, n’était pas tenue de répondre à de simples allégations relatives à ses intentions cachées ; D’où il suit que le moyen n’est fondé en aucune de ses trois branches ; Et sur le second moyen : Attendu que la société AETA fait encore grief à l’arrêt de la condamner au paiement d’une somme de 2 500 000 francs à titre de dommages-intérêts, alors, selon le moyen : 1 / que dans ses conclusions, elle faisait valoir que le marché qui aurait été perdu par la société Alphatel n’était qu’hypothétique, sinon imaginaire, dans la mesure où le produit Transfix exigeait avant sa commercialisation six mois d’études et de mise au point et que pour le surplus, la société Alphatel, qui avait à tort tenu pour acquis des marchés éventuels qui exigeaient des mises au point et l’accord de tiers, ne pouvait considérer comme un préjudice réparable des pertes de marchés qu’elle n’avait pas gagnés ; qu’en s’abstenant de répondre à ce moyen mais en condamnant néanmoins la société AETA au paiement de dommages-intérêts, la cour d’appel a méconnu les exigences de l’article 455 du nouveau Code de procédure civile ; 2 / que dans ses conclusions encore, elle faisait valoir que la société Alphatel n’avait nullement subi le préjudice allégué dans la mesure où elle avait poursuivi son activité après la rupture des négociations, ce qui établissait que le transfert envisagé ne lui était pas nécessaire et qu’elle restait en droit de percevoir des subventions pour création d’entreprise, qui n’étaient pas liées à la convention envisagée ; qu’en s’abstenant de répondre à ce moyen qui faisait valoir que la rupture des négociations n’avait pas provoqué la disparition de la société Alphatel, d’où il s’évinçait que les transferts de contrats et de produits n’avait rien d’indispensable à sa bonne marche, la cour d’appel a derechef méconnu les exigences de l’article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Page 24: Note de Synthese_Les Pourparlers

24

Mais attendu, d’une part, que la cour d’appel a répondu aux conclusions prises de l’inexistence du préjudice lié à la perte du marché des produits Transfix, en relevant que la société AETA ne saurait prétendre que ce marché n’existait pas, alors qu’en signant l’accord de distribution, elle s’était engagée à transmettre à la société Alphatel un chiffre d’affaires minimum en contrepartie du transfert d’au moins quinze salariés ; Et attendu, d’autre part, que la disparition de la société victime de la rupture fautive des négociations n’étant pas une condition de constatation d’un préjudice lié à cette rupture, la cour d’appel n’avait pas à répondre à des conclusions inopérantes ; D’où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses deux branches ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi ; Condamne la société Applications électroniques techniques avancées (AETA) aux dépens ; Vu l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, la condamne à payer à la société Alphatel la somme de 1 800 euros ; Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze décembre deux mille quatre. Décision attaquée : cour d’appel de Versailles (12e chambre civile section 2) , du 25 octobre 2001

Page 25: Note de Synthese_Les Pourparlers

25

Document 3 :

Com, 7 janvier 1997, n° 94-21561

Cour de cassation chambre commerciale Audience publique du 7 janvier 1997 N° de pourvoi: 94-21561 Non publié au bulletin

Rejet Président : M. BEZARD, président

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l’arrêt suivant : Sur le pourvoi formé par la Banque franco-allemande, société anonyme, dont le siège est ..., en cassation d’un arrêt rendu le 16 septembre 1994 par la cour d’appel de Paris (25e chambre, section B), au profit de la société Eurolocatique, dont le siège est ... des Petits Champs, 75001 Paris, défenderesse à la cassation ; La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt;

Page 26: Note de Synthese_Les Pourparlers

26

LA COUR, composée selon l’article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l’organisation judiciaire, en l’audience publique du 13 novembre 1996, où étaient présents : M. Bézard, président, M. Gomez, conseiller rapporteur, M. Nicot, conseiller, M. Mourier, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre; Sur le rapport de M. Gomez, conseiller, les observations de la SCP Célice et Blancpain, avocat de la Banque franco-allemande, de Me Guinard, avocat de la société Eurolocatique, les conclusions de M. Mourier, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi; Sur le moyen unique pris en ses deux branches : Attendu, selon les énonciations de l’arrêt attaqué (Paris, 16 septembre 1994), qu’en décembre 1990, la société Eurolocatique, spécialisée dans l’ingénierie en matière de crédit-bail et de location et la Banque franco-allemande qui se proposait de créer un département de crédit-bail au sein de ses services, sont entrées en relations en vue d’un contrat de collaboration; que durant une année, des réunions se sont tenues, la société Eurolocatique a effectué des études et a présenté trois projets de contrat à la Banque franco-allemande qui a finalement indiqué qu’elle ne donnait pas suite au projet; que la société Eurolocatique a assigné la Banque franco-allemande en paiement de la facture représentant le temps consacré à l’étude; Attendu que la Banque franco-allemande fait grief à l’arrêt de l’avoir condamnée au paiement de la somme de 180 000 francs à titre de dommages-intérêts, alors, selon le pourvoi, d’une part, que la responsabilité de l’auteur de la rupture de pourparlers, ne peut être retenue que si celui-ci a fait preuve d’une volonté de nuire en poursuivant ces pourparlers ou a agi avec mauvaise foi au cours de la négociation en abusant de son droit de rompre les pourparlers; qu’en l’espèce l’arrêt s’est borné à relever qu’elle avait fait part tardivement à la société Eurolocatique de l’impossibilité pour elle d’acquérir un portefeuille de contrats de crédit-bail tandis que la société Eurolocatique lui avait communiqué son savoir-faire et avait procédé à des études détaillées utiles à celle-ci, tout en constatant expressément qu’il n’était pas établi que, par une quelconque manoeuvre, elle ait sollicité de telles informations; qu’ainsi, en retenant néanmoins sa responsabilité, sans relever aucun fait de nature à établir son intention de nuire ou à tout le moins sa mauvaise foi, dans la conduite des pourparlers, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1382 du Code civil ; et alors, d’autre part, que les juges du fond ne mettent pas la Cour de Cassation en mesure d’exercer son contrôle lorsque leur décision s’appuie sur des documents soumis au débat contradictoire qui ne sont pas exactement désignés et qui ne sont pas analysés, même de façon sommaire; qu’ainsi, en fondant son arrêt sur “trois propositions” émanant de la société Eurolocatique ainsi que sur des “modifications”

Page 27: Note de Synthese_Les Pourparlers

27

sollicitées par elle, sans identifier ni analyser ces prétendues propositions et modifications, la cour d’appel a violé les articles 455 et 458 du nouveau Code de procédure civile; Mais attendu, d’une part, qu’après avoir retenu que les pourparlers entre les deux sociétés s’étaient déroulés pendant une longue période, et que des contacts prolongés avaient été volontairement maintenus pour parvenir au projet final en demandant qu’il soit apporté des modifications aux trois propositions élaborées par la société Eurolocatique, et que la Banque franco-allemande avait, sans explication, refusé ces trois propositions et, sans motif légitime, rompu brutalement les pourparlers, la cour d’appel justifie ainsi légalement sa décision en déduisant de ces constatations que la banque franco-allemande a eu un comportement fautif; Et attendu, d’autre part, qu’en constatant l’existence de trois propositions et des modifications y apportées, sur le contenu desquelles elle n’était pas appelée à se prononcer et dont le caractère sérieux n’était pas contesté, la cour d’appel a mis la Cour de Cassation en mesure d’exercer son contrôle sur l’abus du droit de la Banque franco-allemande de rompre les pourparlers; D’où il suit que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi ; Condamne la Banque franco-Allemande aux dépens ; Vu l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la société Eurolocatique; Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du sept janvier mil neuf cent quatre-vingt-dix-sept. Décision attaquée : cour d’appel de Paris (25e chambre section B) , du 16 septembre 1994

Page 28: Note de Synthese_Les Pourparlers

28

Document 4 :

Com, 31 mars 1992, n° 90-14867

Cour de cassation chambre commerciale Audience publique du 31 mars 1992 N° de pourvoi: 90-14867 Publié au bulletin

Rejet. Président :M. Bézard, président Rapporteur :M. Lassalle, conseiller apporteur Avocat général :Mme Le Foyer de Costil, avocat général Avocats :MM. Ryziger, Choucroy, la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez., avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS Attendu, selon les énonciations de l’arrêt attaqué (Amiens, 15 février 1990) que la caisse régionale de crédit agricole mutuel de l’Oise (la banque) saisie par MM. X... et Y..., fondateurs de la société Oise construction menuiserie PVC (la société) d’une demande de financement de l’ordre de 700 000 francs a, courant mai 1982, consenti à cette dernière un découvert dont le maximum s’est élevé à 660 000 francs ; que le 7 avril 1983, la banque a annoncé à M. X... que tout concours financier était en définitive refusé à la société et qu’il devait solder ses comptes ; que, le 21 avril 1983, la banque est revenue sur sa position, accordant à la société différents prêts d’un montant total de 620 000 francs en contrepartie de l’engagement de caution hypothécaire de chacun des associés à concurrence de 310 000 francs ; que cependant un seul prêt de 350 000 francs était, suivant les conventions formalisées le 24 juin 1983, consenti à moyen terme, le surplus étant constitué par des prêts à court terme dont un prêt relais de 150 000 francs pour 6 mois dans l’attente de la constitution de fonds propres ; que, postérieurement aux conventions, la banque a d’initiative viré une somme de 65 000 francs du compte de la société au compte de

Page 29: Note de Synthese_Les Pourparlers

29

M. X... ; qu’en suite du virement, deux chèques de 21 823 francs et 37 825 francs établis par la société à l’ordre de Plastibat, fournisseur dont elle dépendait étroitement, n’ont pu être payés à leur présentation, le 26 septembre 1983 ; qu’après sa mise en règlement judiciaire, le 15 mars 1984, la société, assistée du syndic, ainsi que les MM. X... et Y... ont assigné la banque en paiement de dommages-intérêts ; Sur le premier moyen, pris en ses trois branches : Attendu que la banque fait grief à l’arrêt d’avoir accueilli les demandes alors, selon le pourvoi, d’une part, que celui qui refuse de contracter, en retirant une offre précédente, n’engage sa responsabilité que s’il avait fait une offre ferme et inconditionnelle, que la société, le syndic et les associés n’ont pas soutenu que la banque s’était engagée de façon ferme à fournir un financement total et sans garantie, prétendant seulement qu’elle avait donné un accord de principe, qu’ils lui ont du reste, reproché ses tergiversations, qu’en affirmant que la banque avait laissé croire pendant près d’un an qu’elle fournirait les concours nécessaires, la cour d’appel a dénaturé les termes du litige et violé les articles 4 et 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, d’autre part, qu’en retenant comme faute le fait que, saisie d’une demande de concours, la banque aurait laissé l’opération s’engager sans cadre précis, sans s’assurer d’un financement propre par les associés et aurait laissé la situation se prolonger pendant 11 mois, la cour d’appel lui a fait reproche de ne pas s’être immiscée dans les affaires de ses clients et a violé, par là même, l’article 1382 du Code civil ; alors, enfin, qu’en considérant que d’une simple autorisation de découvert résultait le fait que la banque avait laissé croire à son engagement, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard de ce même article ; Mais attendu qu’après avoir constaté, sans méconnaître l’objet du litige ou faire reproche à la banque de ne pas s’être immiscée dans les affaires de ses clients, que celle-ci avait pendant près d’un an laissé croire qu’elle fournissait les concours nécessaires sans lesquels MM. X... et Y... ne se seraient pas engagés et relevé que ces concours avaient été refusés puis consentis partiellement en contrepartie d’engagements non prévus à l’origine et à une époque où les associés ne pouvaient plus se dégager, la cour d’appel a pu en déduire que la banque avait commis dans la négociation une faute de nature à engager sa responsabilité ; que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ; Sur les deuxième et troisième moyens : (sans intérêt) ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi Publication : Bulletin 1992 IV N° 145 p. 102

Page 30: Note de Synthese_Les Pourparlers

30

Document 5 :

Com, 22 février 1994, n° 91-18842

Cour de cassation chambre commerciale Audience publique du 22 février 1994 N° de pourvoi: 91-18842 Publié au bulletin

Rejet. Président : M. Bézard ., président Rapporteur : M. Le Dauphin., conseiller apporteur Avocat général : M. Curti., avocat général Avocats : MM. Bouthors, Vincent., avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS Sur le moyen unique, pris en ses trois branches : Attendu, selon l’arrêt attaqué (Douai, 27 juin 1991), que les époux A... exploitaient un fonds de commerce de débit de boissons dans des locaux donnés à bail par la société Brasserie moderne de Carvin Epinoy (société BMCE) ; que la bail stipulait qu’en cas de cession du fonds, une grosse de l’acte devrait être remise au bailleur dans le mois de la signature et ce “ à peine de nullité de la cession à l’égard du bailleur et de résiliation du bail si bon lui semble “ ; que, par actes des 26 mars et 11 avril 1986, les époux A... ont vendu leur fonds de commerce aux époux X..., sans que cette formalité ait été accomplie ; que la société BMCE a refusé de recevoir paiement des loyers des mains des époux X... ; que ces derniers ayant été mis en redressement judiciaire, puis en liquidation judiciaire, le liquidateur, M. Y..., soutenant que la société BMCE avait commis une faute génératrice d’un préjudice pour les époux X... en faisant obstacle à la revente du fonds aux époux Z..., l’a assignée en paiement de dommages-intérêts ;

Page 31: Note de Synthese_Les Pourparlers

31

Attendu que la société BMCE fait grief à l’arrêt d’avoir accueilli cette demande alors, selon le pourvoi, d’une part, que le droit de se prévaloir de l’inopposabilité d’un bail ne peut être en soi abusif ; que la cour d’appel, qui constate que le bail cédé par les époux X... était inopposable au bailleur, la société BMCE, pour défaut d’accomplissement des formalités prévues, tant à l’article 1690 du Code civil, que par le bail lui-même, ne pouvait décider que le refus par le bailleur d’autoriser la cession du bail, cession inopposable à ce dernier, constituait une faute de sa part ; que, ce faisant, la cour d’appel n’a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations et a violé le texte susvisé ; alors, d’autre part, qu’en toute hypothèse, la rupture de pourparlers ne peut entraîner de responsabilité que s’il y a mauvaise foi ; qu’au cas présent, la cour d’appel, qui n’a en rien caractérisé la mauvaise foi de la société Brasserie moderne lors de la rupture des pourparlers avec les consorts X..., a violé l’article 1382 du Code civil ; et alors, enfin, que la cour d’appel n’a caractérisé aucun lien de causalité entre le refus de cession de bail par la société BMCE et la vente à perte du fonds de commerce par les époux X... et leur dépôt de bilan ; que faute d’avoir recherché en quoi ce refus avait pu être la cause de la liquidation judiciaire des époux X..., la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1382 du Code civil ; Mais attendu, en premier lieu, que l’arrêt relève que, le 19 octobre 1987, la société BMCE a pris l’initiative d’offrir aux époux X... de les admettre comme cessionnaires du bail s’ils acceptaient de payer un loyer mensuel de 2 500 francs hors taxes et de prendre en charge les réparations mentionnées dans un rapport d’expertise, précision étant donnée que sa préoccupation majeure était une augmentation du loyer ; que les époux X... ayant répondu qu’ils préféraient céder le fonds de commerce à un tiers avec l’agrément du bailleur sur la base du loyer précité et d’une prise en charge des réparations locatives pour un montant de 9 186 francs, la société BMCE a accepté ces propositions le 24 novembre 1987, étant précisé qu’il y aurait lieu de lui régler également tous les loyers échus et qui n’auraient pas été encaissés et qu’elle ferait effectuer à ses frais les réparations que lui imputait l’expert, cette société s’inquiétant même de la date prévue pour la signature du compromis de vente du fonds entre les époux X... et leurs successeurs, les époux Z... ; que l’arrêt précise que ce compromis a été signé le 16 décembre 1987 ; qu’il retient encore qu’un acte authentique a été préparé et proposé à la signature des parties pour le 23 mars 1988 en l’étude du notaire ; qu’il ajoute que cet acte reprenait “ mot pour mot “ une suggestion exprimée par la société BMCE et relative au montant du loyer qui devait être réglé par les époux Z..., mais que le projet de cession n’a pas abouti après que la société BMCE eut formulé de nouvelles prétentions ; qu’en l’état de ces constatations, révélant la légèreté blâmable de la société BMCE, la cour d’appel a pu décider que cette société avait abusé de son droit de rompre les négociations qu’elle avait engagées ; Attendu, en second lieu, que l’arrêt retient que la cession du fonds de commerce aux consorts Z..., qui a échoué du fait de la société BMCE, aurait eu lieu au prix de 700 000 francs, suffisant pour désintéresser les créanciers des époux X... et que ceux-ci ayant été mis en liquidation judiciaire, le fonds a été cédé pour le prix de 100 000

Page 32: Note de Synthese_Les Pourparlers

32

francs ; que la cour d’appel a ainsi procédé à la recherche prétendument omise ; D’où il suit que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi. Publication : Bulletin 1994 IV N° 79 p. 61

Page 33: Note de Synthese_Les Pourparlers

33

Document 6 :

Com, 20 novembre 2007, n° 06-20332

Cour de cassation chambre commerciale Audience publique du 20 novembre 2007 N° de pourvoi: 06-20332 Non publié au bulletin

Rejet Président : Mme FAVRE, président

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l’arrêt suivant : Sur le moyen unique : Attendu, selon l’arrêt confirmatif attaqué (Paris, 8 septembre 2006), qu’en 1998, M. X..., dirigeant la société Centres de santé indépendants (CSI), détenue à 100 % par la société Investors in Health Care (IHC) (les sociétés) a démarché la société MAAF santé (MAAF santé) en vue du développement en commun de centres médicaux privés ; que les discussions se sont poursuivies par des échanges de courriers, notamment par une lettre du 29 juillet 1999 adressée par MAAF santé à M. X... aux termes de laquelle cette société se déclarait prête à participer au développement des activités de CSI sous réserve de vérifications, un protocole d’accord pouvant intervenir le 20 septembre 1999 ; que ce courrier a reçu l’accord de M. X... le jour même ; que le 13 septembre 1999, les sociétés ont remis les documents à MAAF santé, laquelle après vérification, a fait état de réserves le 17 septembre 1999 et a

Page 34: Note de Synthese_Les Pourparlers

34

annoncé par courrier du 22 septembre 1999 qu’elle n’entendait plus poursuivre le projet de participation précédemment envisagé ; que les sociétés ayant été mises en liquidation judiciaire, Mme Le Y..., mandataire judiciaire, a assigné MAAF santé en dommages-intérêts pour inexécution des obligations contractuelles et subsidiairement pour rupture fautive des pourparlers ; Attendu que Mme Le Y..., ès qualités, fait grief à l’arrêt d’avoir rejeté ses demandes, alors, selon le moyen : 1 / que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; qu’en estimant que le courrier de la société MAAF santé du 29 juillet 1999, par lequel celle-ci formulait une offre concernant sa prise de participation dans le capital de la société CSI sous réserve de l’accord de sa partenaire avant le 31 juillet 1999, n’avait pas abouti à un accord définitif des parties, tout en constatant que le représentant légal de la société CSI avait apposé dans le délai utile la mention de son accord sur le courrier litigieux, qui comportait désormais la signature des deux sociétés, d’où il résultait nécessairement que les parties s’étaient accordées sur la prise de participation visée dans le courrier du 29 juillet 1999 et que la société MAAF santé se trouvait irrévocablement engagée à cet égard, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l’article 1134 du code civil ; 2 / que la lettre de la société MAAF santé du 29 juillet 1999 comportait l’ensemble des conditions nécessaires à l’entrée de cette société dans le capital de la société CSI, puisqu’elle précisait le montant de la prise de participation (7 000 000 francs), les modalités de versement de ce montant (deux versements : l’un de 5 000 000 francs au 24 septembre 1999, l’autre de 2 000 000 francs au 15 avril 2000), ainsi que le délai de signature par les parties du protocole d’accord (20 septembre 1999 au plus tard), de sorte que l’acceptation de la société CSI, matérialisée par la signature de son dirigeant sur le courrier, valait accord des parties sur les conditions essentielles du contrat ; qu’en estimant cependant que les parties ne se trouvaient pas engagées par la signature conjointe de ce document, la cour d’appel a dénaturé les termes du courrier du 29 juillet 1999 et a violé l’article 1134 du code civil ; 3 / qu’est, en toute hypothèse fautive la rupture sans motif légitime de pourparlers contractuels qui se trouvent à un stade avancé ; qu’en relevant que la rupture des négociations était intervenue à l’initiative de la société MAAF santé “à un stade avancé des pourparlers” tout en exonérant cette société de toues responsabilité au motif que les vérifications comptables opérées auprès de la société CSI avaient révélé, selon le cabinet Francis Lefebvre des “informations défavorables” et tout en constatant qu’une “aggravation du poste actif net négatif de 19 millions n’aurait pas suffi à justifier une rupture des pourparlers puisqu’une révision de prix était prévue dans ce cas là”, d’où il résultait nécessairement que les informations financières défavorables recueillies par le cabinet Francis Lefebvre n’était pas de nature à justifier la rupture des pourparlers

Page 35: Note de Synthese_Les Pourparlers

35

contractuels à l’initiative de la société MAAF santé, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l’article 1382 du code civil ; 4 / qu’en exonérant la société MAAF santé de toute responsabilité extracontractuelle au motif que celle-ci se trouvait en toute hypothèse fondée à rompre les pourparlers pour des motifs “tenant par exemple aux charges réelles de la société (CSI), à la régularité de son fonctionnement et de celui des structures se trouvant sous son contrôle”, la cour d’appel, qui n’a pas identifié précisément la raison pour laquelle la société MAAF santé avait décidé de rompre les pourparlers, a privé sa décision de toute base légale au regard de l’article 1382 du code civil ; Mais attendu, en premier lieu, que l’arrêt retient que la lettre du 29 juillet 1999 n’énonçait qu’une éventualité et n’était qu’une étape dans la discussion entreprise par les parties ; qu’en l’état de ces constatations et énonciations d’où il ressortait qu’il n’en était résulté pour MAAF santé aucune obligation de contracter avec M. X... ou avec la société CSI, la cour d’appel a, sans dénaturation du document litigieux, pu statuer comme elle a fait ; Et attendu, en second lieu, que l’arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que la prise de participation de la société MAAF santé dans le capital de la société CSI était conditionnée par un résultat satisfaisant des vérifications prévues dans la lettre du 29 juillet 1999 lesquelles ont révélé des informations défavorables tant juridiques que financières sur la situation de la société CSI ; qu’ayant ainsi constaté que le désengagement de MAAF santé tenait aux charges réelles de la société CSI, à la régularité de son fonctionnement et de celui des structures se trouvant sous son contrôle et qu’il était intervenu les 17 et 22 septembre 1999, soit quelques jours seulement après la remise le 13 septembre 1999 des documents pour les vérifications prévues par la lettre du 29 juillet 1999, la cour d’appel a pu décider que la rupture des pourparlers, certes à un stade avancé, à l’initiative de MAAF santé, était fondée sur une raison légitime et n’était pas fautive ; D’où il suit que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi ; Condamne Mme Le Y..., ès qualités, aux dépens ;

Page 36: Note de Synthese_Les Pourparlers

36

Document 7 :

Com, 7 avril 1998, n° 95-20361

Cour de cassation chambre commerciale Audience publique du 7 avril 1998 N° de pourvoi: 95-20361 Non publié au bulletin

Rejet Président : M. BEZARD, président

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l’arrêt suivant : Sur le pourvoi formé par : 1°/ la société Laboratoires Sandoz, société à responsabilité limitée, dont le siège est ..., 2°/ la société Sandoz Pharma AG, société de droit suisse, dont le siège est Lichstrasse 35, 4002 Bale (Suisse), en cassation d’un arrêt rendu le 21 septembre 1995 par la cour d’appel de Versailles (12e chambre, section 2), au profit de la société civile Poleval, dont le siège est résidence Plein Sud, bât. C, ..., défenderesse à la cassation ;

Page 37: Note de Synthese_Les Pourparlers

37

Les demanderesses invoquent, à l’appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ; LA COUR, composée selon l’article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l’organisation judiciaire, en l’audience publique du 24 février 1998, où étaient présents : M. Bézard, président, M. Gomez, conseiller rapporteur, M. Nicot, conseiller, M. Raynaud, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ; Sur le rapport de M. Gomez, conseiller, les observations de Me Baraduc-Benabent, avocat de la société Laboratoires Sandoz et de la société Sandoz Pharma AG, de Me Luc-Thaler, avocat de la société Poleval, les conclusions de M. Raynaud, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ; Attendu, selon les énonciations de l’arrêt attaqué (Versailles, 21 septembre 1995), que la société Poleval a mis au point un procédé de conditionnement de médicaments appelé Diapack pour lequel elle a déposé un brevet le 28 mai 1985 et un brevet additif le 21 novembre 1987 pour protéger notamment l’exploitation du procédé à l’étranger; que des pourparlers se sont engagés, dans le courant de l’année 1987 entre cette société et la société Sandoz Suisse, elle-même informée par la société Sandoz France; que plusieurs réunions ont eu lieu et des correspondances ont été engagées; que la société Sandoz Suisse a adressé à la société Poleval plusieurs projets de contrat; que la société Poleval y a répondu favorablement, mais après études de faisabilité, la société Sandoz Suisse a fait connaître à son interlocuteur, le 19 décembre 1989, qu’elle n’entendait pas donné suite au projet; que cependant la société Sandoz France a poursuivi ses études de faisabilité et à la fin du mois d’août 1990, les relations ont été définitivement rompues entre les deux sociétés; que la société Poleval a assigné les sociétés Sandoz France et Sandoz Suisse en réparation du préjudice résultant de cette rupture ; Sur le premier moyen, pris en ses trois branches :

Page 38: Note de Synthese_Les Pourparlers

38

Attendu que les sociétés Sandoz France et Sandoz Suisse font grief à l’arrêt d’avoir déclaré fautive la rupture des pourparlers alors, selon le pourvoi, d’une part, que le principe de la liberté de ne pas contracter qui inclut la liberté de rompre à tout moment les pourparlers trouve sa limite dans le devoir de bonne foi et de loyauté de chacun des interlocuteurs; que ne peut être tenue pour fautive pour avoir laissé espérer à la société Poleval pendant quatre années la conclusion d’un accord définitif, son attitude dont la cour d’appel constate que la société Sandoz Suisse a rompu le 19 décembre 1989 des pourparlers commencés deux ans auparavant, en novembre 1987, qu’elle n’était ensuite plus intervenue, seuls les projets par elle rédigés ayant été transmis à la société Poleval par la société Sandoz France; qu’en déclarant que la société Sandoz Suisse avait manqué de loyauté à l’égard de la société Poleval et en condamnant solidairement cette société avec la société Sandoz France, la cour a violé l’article 1382 du Code civil; alors, d’autre part, que méconnaît les exigences des articles 455 et 458 du nouveau Code de procédure civile, la cour d’appel qui ne précise pas les documents sur lesquels elle se fonde ni ne procède à une analyse des pièces qui lui sont soumises; qu’en indiquant que “les différents tests réalisés rendaient le projet viable tant sur le plan de sa mise en oeuvre industrielle que sur celui de ses débouchés commerciaux” tandis qu’elles faisaient valoir que les pourparlers avec la société Sandoz France avaient été rompus en août 1990 dès qu’il s’était révélé certain que le cahier des charges imposé pour la taille de la machine destinée à réaliser le conditionnement et le rendement de celle-ci ne pouvaient être respectés, la cour d’appel a entaché sa décision d’un défaut de motifs, en violation des articles 455 et suivants du nouveau Code de procédure civile; et alors, enfin, qu’en ne se prononçant pas sur les différents documents versés aux débats par elles, postérieurs à la rupture des pourparlers avec la société Sandoz Suisse le 19 décembre 1989, et notamment sur les conclusions signifiées par elles le 9 mars 1995 qui mettaient en lumière l’accord des parties pour subordonner la passation des conventions à la réalisation de deux conditions suspensives tenant à l’acceptabilité du conditionnement par les patients et les praticiens et à la construction d’une machine prototype répondant au cahier des charges et l’impossibilité de l’entreprise Serea, choisie par la société Poleval, pour remettre une offre répondant au cahier des charges, la cour d’appel a violé l’article 455 du nouveau Code de procédure civile ; Mais attendu qu’en retenant que le fait de laisser espérer à la société Poleval pendant quatre années un accord définitif qui n’a été abandonné selon les propres dires de la société Sandoz que pour des considérations internes au groupe ne

Page 39: Note de Synthese_Les Pourparlers

39

mettant aucunement en cause la qualité du produit, ce dont il résulte que la rupture de pourparlers s’étant étendus sur un temps très long et ayant occasionné de nombreuses études ne tenait aucunement au résultat des dites études et se trouvait dépourvue de motif légitime, la cour d’appel, qui n’avait pas à répondre au moyen inopérant invoqué par la troisième branche, a, par ces seuls motifs, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la deuxième branche du moyen, pu décider que la société Sandoz avait manqué de loyauté à l’égard de la société Poleval lui causant un préjudice; d’où il suit que le moyen ne peut être accueilli ; Et sur le second moyen : Attendu que les sociétés Sandoz fait grief à l’arrêt de l’avoir condamnée au paiement de la somme de quatre millions de francs alors, selon le pourvoi, qu en réparant par une somme globale de quatre millions de francs à la fois le préjudice résultant de l’immobilisation du projet breveté et celui résultant de la perte de la chance de contracter avec elles ou avec un autre partenaire, la cour d’appel n’a pas mis la Cour de Cassation en mesure d’exercer son contrôle sur les modalités d’indemnisation de la perte de la chance de contracter et de s’assurer que la réparation du préjudice ainsi subi n’était pas intégrale; que sa décision manque de base légale au regard l’article 1382 du Code civil ; Mais attendu qu’en précisant que la société Poleval avait en raison du comportement fautif de la société Sandoz immobilisé en pure perte son procédé breveté pendant quatre années sans pouvoir négocier avec un autre partenaire pendant cette période et avait également de ce fait divulgué son savoir-faire et en, appréciant le préjudice en résultant, la cour d’appel a légalement justifié sa décision; d’où il suit que le moyen n’est pas fondé ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi ; Condamne les sociétés Sandoz France et Sandoz Suisse aux dépens ;

Page 40: Note de Synthese_Les Pourparlers

40

Document 8 :

Com, 11 janvier 1984, n° 82-13259

Cour de cassation chambre commerciale Audience publique du 11 janvier 1984 N° de pourvoi: 82-13259 Publié au bulletin

CASSATION Pdt. M. Baudoin, président Rapp. M. Patin, conseiller apporteur Av.Gén. M. Montanier, avocat général Av. Demandeur : SCP Lesourd et Baudin, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS SUR LE DEUXIEME MOYEN PRIS DU SECOND GRIEF DE SA DEUXIEME BRANCHE : VU L’ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL, ATTENDU QUE POUR DECIDER QUE LE TRIBUNAL DE COMMERCE D’EVREUX N’ETAIT PAS COMPETENT POUR CONNAITRE DE L’ACTION INTRODUITE CONTRE LA SOCIETE CITROEN PAR LA SOCIETE SAVN, LE CARPENTIER, CONCESSIONNAIRE DE CETTE MARQUE, ASSISTEE DU SYNDIC DU REGLEMENT JUDICIAIRE ET PAR MG LE CARPENTIER A TITRE PERSONNEL, QUI REPROCHAIENT A LA SOCIETE CONCEDANTE DE LES AVOIR DETERMINES, EN 1972, A ETENDRE L’ACTIVITE QU’ILS EXERCAIENT DEPUIS 1921 DANS LE SECTEUR DE PONT SAINT PIERRE AU SECTEUR DU VAUDREUIL ET A Y ACQUERIR DES TERRAINS SUR LESQUELS ILS ONT IMPLANTE DE NOUVELLES INSTALLATIONS, SANS AVOIR, PREALABLEMENT A LA CONCLUSION, EN 1973, DU CONTRAT CONCERNANT CE NOUVEAU SECTEUR, PROCEDE A UNE SERIEUSE ETUDE DU MARCHE, AINSI QUE DE L’AVOIR POUSSE A REALISER, EN S’ENDETTANT, DES INVESTISSEMENTS TROP IMPORTANTS PAR RAPPORT A LA RENTABILITE PREVISIBLE, LA COUR D’APPEL A ENONCE QUE CES GRIEFS CONCERNENT

Page 41: Note de Synthese_Les Pourparlers

41

LES TRACTATIONS ANTERIEURES A LA SIGNATURE DU CONTRAT DE CONCESSION, LEQUEL N’EN EST QUE L’ABOUTISSEMENT ; ELLES DOIVENT DONC ETRE CONSIDEREES COMME UNE PARTIE DE LA CONVENTION A LAQUELLE ELLES SE RATTACHENT ET ELLES PARTICIPENT PAR LA-MEME, DE SA NATURE ; EN CONSEQUENCE, SI UNE FAUTE A ETE COMMISE AU COURS DU DEROULEMENT DE CES DISCUSSIONS PREALABLES, CELLE-CI NE PEUT ETRE QUE CONTRACTUELLE ; QUE PAR SUITE LA CLAUSE DE LA CONVENTION UNISSANT LES PARTIES ATTRIBUANT COMPETENCE AU TRIBUNAL DE COMMERCE DE PARIS EN CAS DE LITIGE EST APPLICABLE A LA CAUSE ET A RENVOYE LES DEMANDEURS A SE POURVOIR DEVANT LE TRIBUNAL DE COMMERCE DE PARIS ; ATTENDU QU’EN SE DETERMINANT PAR CES MOTIFS ALORS QUE LA VICTIME D’UNE FAUTE COMMISE AU COURS DE LA PERIODE QUI A PRECEDE LA CONCLUSION D’UN CONTRAT EST EN DROIT DE POURSUIVRE LA REPARATION DU PREJUDICE QU’ELLE ESTIME AVOIR SUBI SUR LE FONDEMENT DE LA RESPONSABILITE DELICTUELLE, LA COUR D’APPEL A VIOLE LE TEXTE SUSVISE ; PAR CES MOTIFS ET SANS QU’IL SOIT NECESSAIRE DE STATUER SUR LES AUTRES GRIEFS FORMULES PAR LES TROIS MOYENS PRIS EN LEURS DIVERSES BRANCHES : CASSE ET ANNULE EN SON ENTIER L’ARRET RENDU LE 3 DECEMBRE 1981, ENTRE LES PARTIES, PAR LA COUR D’APPEL DE ROUEN ; REMET, EN CONSEQUENCE, LA CAUSE ET LES PARTIES AU MEME ET SEMBLABLE ETAT OU ELLES ETAIENT AVANT LEDIT ARRET ET, POUR ETRE FAIT DROIT, LES RENVOIE DEVANT LA COUR D’APPEL DE CAEN, A CE DESIGNEE PAR DELIBERATION SPECIALE PRISE EN LA CHAMBRE DU CONSEIL ; Publication : BULLETIN 1984 IV N. 16

Page 42: Note de Synthese_Les Pourparlers

42

Document 9 :

Civ 3e, 28 juin 2006, n° 04-20040

Cour de cassation chambre civile 3 Audience publique du 28 juin 2006 N° de pourvoi: 04-20040 Publié au bulletin

Cassation partielle M. Weber, président Mme Nési, conseiller apporteur M. Cédras, avocat général SCP Bachellier et Potier de la Varde, SCP Richard, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS LA COUR DE CASSATION, TROISIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant : Attendu, selon l’arrêt attaqué (Nouméa, 29 juillet 2004), que la société Antineas a mené des négociations avec la société civile immobilière Longson (la SCI) et les consorts X... Y... pour la vente d’un terrain destiné à la construction d’un immeuble ; qu’un projet de “protocole” de vente n’ayant pu être signé et la société Antineas ayant vendu le bien à un tiers, la SCI et M. Phiet X... Y... l’ont assignée en paiement de dommages-intérêts pour rupture abusive des pourparlers ; Sur le second moyen :

Page 43: Note de Synthese_Les Pourparlers

43

Vu l’article 1382 du code civil ; Attendu que pour condamner la société Antineas à payer des dommages-intérêts à la SCI l’arrêt retient que la cour dispose d’éléments suffisants pour évaluer le préjudice de celle-ci consistant en la perte d’une chance sur le manque à gagner résultant de la disparition du programme immobilier envisagé ; Qu’en statuant ainsi, alors qu’une faute commise dans l’exercice du droit de rupture unilatérale des pourparlers pré-contractuels n’est pas la cause du préjudice consistant dans la perte d’une chance de réaliser les gains que permettait d’espérer la conclusion du contrat, la cour d’appel a violé le texte susvisé ; PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il condamne la société Antineas à payer à la SCI Longson la somme de six millions de francs FCFP, l’arrêt rendu le 29 juillet 2004, entre les parties, par la cour d’appel de Nouméa ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Nouméa, autrement composée ; Condamne, ensemble, la SCI Longson et les consorts X... Y... aux dépens; Vu l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne, ensemble, la SCI Longson et les consorts X... Y... à payer à la société Gastaud, ès qualités, la somme de 2 000 euros ; Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit juin deux mille six. Publication : Bull. 2006, III, n° 164, p. 136

Page 44: Note de Synthese_Les Pourparlers

44

Document 10 :

Civ 3e, 7 janvier 2009, n° 07-20783

Cour de cassation chambre civile 3 Audience publique du 7 janvier 2009 N° de pourvoi: 07-20783 Publié au bulletin

Cassation partielle M. Weber , président Mme Maunand, conseiller apporteur M. Guérin, avocat général Me Rouvière, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant : Sur le moyen unique : Vu l’article 1382 du code civil ; Attendu, selon l’arrêt attaqué (Douai, 25 septembre 2007) que, par acte du 21 juillet 1997, la société civile immobilière Norimmo (SCI) a donné à bail commercial, un immeuble à la société Regal Lezennes ; qu’en décembre 2002, M. X... s’est présenté à la SCI pour négocier la cession du bail ; que la SCI a donné son accord à la cession sous réserve de certaines conditions ; que la société Animal Food and

Page 45: Note de Synthese_Les Pourparlers

45

System (AFS) est intervenue dans la négociation ; que la SCI a finalement refusé le projet mis au point entre la société Regal Lezennes et la société AFS ; que la société Regal Lezennes a assigné la SCI et la société AFS afin d’obtenir la réparation des préjudices subis du fait de la rupture des pourparlers précontractuels ; Attendu que pour accueillir la demande l’arrêt retient, par motifs adoptés, que d’une part, la société Regal sollicitait la somme de 250 000 euros de dommages-intérêts pour résistance abusive et en réparation du préjudice créé du fait du défaut d’exploitation du local, que d’autre part, par la réalisation de ce droit au bail, la société AFS faisait l’acquisition d’un immeuble particulièrement bien placé dans l’une des plus importantes zones de chalandise situé au voisinage immédiat de la métropole lilloise en vue de réaliser une nouvelle implantation et remplacer à l’identique une implantation perdue par éviction dans un autre centre commercial de la métropole lilloise à compter de janvier 2004, qu’elle indiquait également avoir subi depuis la date où elle aurait dû prendre les lieux un préjudice indiscutable du fait de l’impossibilité dans laquelle elle avait été d’ouvrir le nouvel établissement qu’elle souhaitait adjoindre à sa chaîne, que le tribunal disposait des éléments suffisants pour évaluer le préjudice de la société Regal Lezennes à la somme de 250 000 euros et celui de la société AFS à celle de 150 000 euros ; Qu’en statuant ainsi alors que la faute commise dans l’exercice du droit de rupture unilatérale des pourparlers précontractuels ne peut être la cause d’un préjudice consistant dans la perte de chance de réaliser des gains que permettait d’espérer la conclusion du contrat, la cour d’appel a violé le texte susvisé ; PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a condamné la SCI Norimmo à payer la somme de 250 000 euros à la société Regal Lezennes et celle de 150 000 euros à la société AFS, l’arrêt rendu le 25 septembre 2007, entre les parties, par la cour d’appel de Douai ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Douai, autrement composée ; Condamne, ensemble, les sociétés Regal Lezennes et Animal Food et System aux dépens ; Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne, ensemble, les sociétés Regal Lezennes et Animal Food et System à payer à la société Norimmo la somme de 2 500 euros ;

Page 46: Note de Synthese_Les Pourparlers

46

Document 11 :

Civ 3e, 12 novembre 2003, n° 02-10352

Cour de cassation chambre civile 3 Audience publique du 12 novembre 2003 N° de pourvoi: 02-10352 Non publié au bulletin

Rejet Président : M. WEBER, président

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS LA COUR DE CASSATION, TROISIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant : Sur le moyen unique, ci-après annexé : Attendu qu’ayant relevé, d’une part, que le rendez-vous pour la signature de la promesse de vente avait été fixé en l’étude du notaire, le 24 juin 1997, puis repoussé, à la demande de M. X..., au 3 juillet suivant ; que Mme Y... avait annulé ce rendez-vous et le notaire refusé de recevoir le chèque représentant l’indemnité d’immobilisation et que, par lettre du 7 juillet 1997, le notaire de la venderesse avait fait connaître au notaire de l’acquéreur que l’annulation du rendez-vous devait être considérée comme la fin des pourparlers, alors que, le 18 juillet, Mme Y... signait une promesse de vente, au même prix, avec M. et Mme Z... et, d’autre part, que M. A... avait subi un préjudice du fait des démarches accomplies vainement en vue de la vente et de la perte de chance de réaliser une opération immobilière envisagée pour loger sa famille et percevoir des revenus locatifs intéressants, la cour d’appel a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi ;

Page 47: Note de Synthese_Les Pourparlers

47

Document 12 :

Com, 25 février 2003, n° 01-12660

Cour de cassation chambre commerciale Audience publique du 25 février 2003 N° de pourvoi: 01-12660 Non publié au bulletin

Rejet Président : M. DUMAS, président

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l’arrêt suivant : Statuant tant sur le pourvoi incident relevé par la société Pierre Industrie et M. X..., pris en qualité de commissaire à l’exécution du plan de redressement de la société Pierre Industrie, que sur le pourvoi principal formé par la société Deville : Attendu, selon l’arrêt attaqué (Reims, 2 mai 2001), que la société Deville, qui avait créé, en 1988, une nouvelle gamme de cheminées à foyers fermés, a envisagé avec la société Pierre Industrie la fabrication d’habillages en pierre pour ces cheminées ; qu’elle a adressé ses premières commandes à la société Pierre Industrie en 1988 puis a augmenté le nombre de ses commandes au cours de l’année 1989 ; qu’au cours du dernier trimestre 1989, elle a projeté de formaliser ses relations commerciales avec la société Pierre Industrie en signant une convention cadre, ce qui n’a pas eu lieu ; que la société Pierre Industrie a procédé à une hausse de ces tarifs à compter du 1er janvier 1990 ; que la société Deville,

Page 48: Note de Synthese_Les Pourparlers

48

déplorant le retard de la société Pierre Industrie dans la livraison des cheminées, a décidé de ne pas poursuivre ses relations avec cette société et a pris le contrôle d’une société concurrente de la société Pierre Industrie pour la substituer à celle-ci ; que la société Pierre Industrie a judiciairement demandé la condamnation de la société Deville à l’indemniser des préjudices subis du fait de la rupture de leurs relations ; Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en ses deux branches : Attendu que la société Deville fait grief à l’arrêt de l’avoir condamnée à payer à la société Pierre Industrie des dommages-intérêts au titre d’une rupture abusive de pourparlers, alors, selon le moyen : 1 ) qu’en décidant que la société Deville avait commis une faute en refusant, à la suite des pourparlers, de contracter avec la société Pierre Industrie, après avoir pourtant relevé qu’elle avait reproché à celle-ci, dans la lettre de rupture des pourparlers, d’avoir décidé unilatéralement d’augmenter ses tarifs, et sans constater que ce grief aurait été infondé, la cour d’appel a violé l’article 1382 du Code civil ; 2 ) qu’en décidant que la société Deville avait commis une faute en refusant, à la suite des pourparlers, de contracter avec la société Pierre Industrie, après avoir pourtant relevé que, dès l’origine, la société Deville avait subordonné son offre de contracter à un engagement d’exclusivité de la part de la société Pierre Industrie et que celle-ci n’avait pas satisfait à cette condition, ce qui légitimait la rupture des pourparlers, la cour d’appel a violé l’article 1382 du Code civil ; Mais attendu que l’arrêt relève que la société Deville a passé de nombreuses commandes auprès de la société Pierre Industrie, qu’elle lui a confié la réalisation de prototypes pour lesquels elle l’a chaudement félicitée par courrier du 6 novembre 1989 pour sa rapidité d’exécution et la qualité des quatre modèles réalisés et l’aide apportée dans la mise en place de ce projet, envisageant même de lui confier la réalisation de sept nouveaux modèles, qu’elle n’a adressé aucune reproche à la société Pierre Industrie pendant la durée de leurs relations commerciales, que la rupture est intervenue en raison du choix de la société Deville de substituer sa filiale, concurrente de la société Pierre Industrie à celle-ci dès le 18 décembre 1989, que la société Deville n’a cependant pas mis fin aux pourparlers, sollicitant même, par courrier du 22 décembre 1989, une modification du protocole sur deux points et que, fin décembre 1989, la seule condition de l’approvisionnement exclusif de la société Pierre Industrie restait en suspens et, enfin, qu’elle a suscité chez la société Pierre Industrie la confiance dans la conclusion du contrat envisagé, les pourparlers étant suffisamment avancés pour lui faire légitimement croire que ceux-ci allaient aboutir ; que la cour d’appel, qui a en outre constaté que la société Deville n’avait allégué l’augmentation des tarifs qu’au moment où elle avait rompu brutalement toute relation commerciale avec la société Pierre Industrie, a pu, sans devoir

Page 49: Note de Synthese_Les Pourparlers

49

préalablement rechercher si ce grief était fondé, décider que la société Deville avait manqué à son obligation de loyauté et de bonne foi dans la conduite de ses relations contractuelles avec la société Pierre Industrie ; que le moyen n’est fondé en aucune de ses deux branches ; Sur le second moyen du pourvoi principal : Attendu que la société Deville fait grief à l’arrêt d’avoir statué comme il a été dit, alors, selon le moyen, que, nul n’ayant l’obligation de contracter, la perte de bénéfice qui aurait pu être retiré du contrat qui n’a pas été conclu ne se trouve pas en relation de cause à effet avec la faute commise lors de la rupture des pourparlers ; qu’en décidant néanmoins que la société Pierre Industrie était fondée à solliciter l’indemnisation d’un préjudice constitué par la perte de chance d’obtenir les gains qu’elle pensait obtenir à la suite de la conclusion d’un contrat avec la société Deville, la cour d’appel a violé l’article 1382 du Code civil ; Mais attendu que la cour d’appel, qui a relevé que la société Pierre Industrie avait subi une perte de chance d’obtenir les gains qu’elle pensait obtenir par la formalisation de la convention de partenariat comportant exclusivité à son profit, a pu décider que ce préjudice résultait de la faute commise par la société Deville en rompant abusivement les pourparlers ; que le moyen n’est pas fondé ; Sur le premier moyen du pourvoi incident, pris en ses deux branches : Attendu que la société Pierre Industrie et M. X..., ès-qualités, font grief à l’arrêt d’avoir rejeté la demande de la société Pierre Industrie en réparation du préjudice subi à la suite de la rupture abusive d’une convention de partenariat conclue avec la société Deville, alors, selon le moyen : 1 ) qu’il s’évince des termes clairs et précis du courrier reçu le 22 décembre 1989 par la société Pierre Industrie, que la société Pierre Deville n’a pas demandé à la société Pierre Industrie de modifier le protocole de façon à lui permettre une liberté d’approvisionnement pour les modèles de cheminées futurs et un engagement réciproque d’exclusivité de la société Pierre Industrie pour la fourniture de foyers et inserts, qu’en décidant néanmoins que l’acceptation de la société Deville restait subordonnée à l’engagement de la société Pierre Industrie d’approvisionnement exclusif d’inserts auprès d’elle, la cour d’appel a dénaturé cet écrit et violé l’article 1134 du Code civil ;

Page 50: Note de Synthese_Les Pourparlers

50

2 ) que les conventions se forment par la rencontre des volontés ; qu’en décidant que la convention de partenariat n’avait pas été conclue par les sociétés Deville et Pierre Industrie dès lors que le protocole litigieux n’avait pas été daté, ni signé par la société Deville, la cour d’appel a violé les articles 1101 et 1108 du Code civil ; Mais attendu que, par suite du rejet du pourvoi de la société Deville, le pourvoi éventuel de la société Pierre Industrie et de M. X..., pris en qualité de commissaire à l’exécution du plan de redressement de la société Pierre Industrie, pris en son premier moyen, est devenu sans objet ; Sur le deuxième moyen du pourvoi incident, pris en ses deux branches : Attendu que la société Pierre Industrie et M. X..., ès-qualités, font grief à l’arrêt d’avoir rejeté la demande de la société Pierre Industrie en paiement d’un prix de vente formulée à l’encontre de la société Deville, alors, selon le moyen : 1 ) que c’est à celui qui se prétend libéré d’une obligation d’en prouver le paiement ; que la cour d’appel a constaté que la société Deville avait commandé et enlevé les 36 cheminées litigieuses, ce dont il résultait qu’elle devait en payer le prix ; qu’en considérant néanmoins que la société Pierre Industrie devait produire une facture pour obtenir le paiement des cheminées litigieuses, la cour d’appel a renversé la charge de la preuve et a violé l’article 1315 du Code civil ; 2 ) que la preuve est libre entre commerçants ; qu’en considérant néanmoins que la société Pierre Industrie devait produire une facture pour obtenir le paiement des cheminées litigieuses, la cour d’appel a violé l’article L. 110-3 du Code de commerce ; Mais attendu qu’en relevant que le bordereau d’enlèvement des 36 cheminées portait la mention “déjà facturé” et que la société Pierre Industrie ne produisait pas la facture correspondant à ces cheminées, la cour d’appel qui a ainsi fait ressortir que la société Pierre Industrie ne prouvait pas l’obligation dont elle demandait l’exécution à la société Deville, a pu, sans porter atteinte aux règles de la preuve applicables en matière commerciale, décider que la société Pierre Industrie ne justifiait pas de son droit à obtenir paiement ; que le moyen n’est fondé en aucune de ses deux branches ; Et sur le troisième moyen du pourvoi incident : Attendu que la société Pierre Industrie et M. X..., ès-qualités, font grief à l’arrêt d’avoir rejeté la demande de la société Pierre Industrie en condamnation de la société Deville à lui verser des dommages-intérêts compensatoires et des intérêts

Page 51: Note de Synthese_Les Pourparlers

51

moratoires, alors, selon le moyen, que la preuve est libre entre commerçants ; qu’en subordonnant à la production d’un écrit la preuve de l’acceptation par la société Deville des conditions générales de vente de la société Pierre Industrie, la cour d’appel a violé l’article L. 110-3 du Code de commerce ; Mais attendu qu’ayant constaté que la société Pierre Industrie ne produisait pas ses conditions générales de vente dûment acceptées par la société Deville, la cour d’appel qui a ainsi fait ressortir que la société Pierre Industrie ne prouvait pas que la société Deville avait eu connaissance de ces conditions générales de vente et les avait acceptées, a pu rejeter la demande de la société Pierre Industrie en paiement au titre des clauses pénales et intérêts conventionnels ; que le moyen n’est pas fondé ; PAR CES MOTIFS : REJETTE les pourvois tant principal qu’incident ;

Page 52: Note de Synthese_Les Pourparlers

52

Document 13 :

Com, 26 novembre 2003, n° 00-10243 ; 00-10949

Cour de cassation chambre commerciale Audience publique du 26 novembre 2003 N° de pourvoi: 00-10243 00-10949 Publié au bulletin

Rejet. M. Tricot., président M. Petit., conseiller apporteur M. Lafortune., avocat général la SCP Gatineau, Me Luc-Thaler, la SCP Piwnica et Molinié., avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l’arrêt suivant : Donne acte aux consorts X... et à M. et Mme Y... de ce qu’ils se sont désistés de leur pourvoi n° B 00-10.949 en tant que dirigé contre la société Stuck, la société Les Complices et M. Z... ; Joint les pourvois n° J 00-10.243, formé par la société Alain Manoukian, et n° B 00-10.949, formé par les consorts X..., M. et Mme Y..., qui attaquent le même arrêt ;

Page 53: Note de Synthese_Les Pourparlers

53

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 29 octobre 1999), que la société Alain Manoukian a engagé avec les consorts X... et Y... (les consorts X...),, actionnaires de la société Stuck, des négociations en vue de la cession des actions composant le capital de cette société ; que les pourparlers entrepris au printemps de l’année 1997 ont, à l’issue de plusieurs rencontres et de divers échanges de courriers, conduit à l’établissement, le 24 septembre 1997, d’un projet d’accord stipulant notamment plusieurs conditions suspensives qui devaient être réalisées avant le 10 octobre de la même année, date ultérieurement reportée au 31 octobre ; qu’après de nouvelles discussions, la société Alain Manoukian a, le 16 octobre 1997, accepté les demandes de modification formulées par les cédants et proposé de reporter la date limite de réalisation des conditions au 15 novembre 1997 ; que les consorts X... n’ayant formulé aucune observation, un nouveau projet de cession leur a été adressé le 13 novembre 1997 ; que le 24 novembre, la société Alain Manoukian a appris que les consorts X... avaient, le 10 novembre, consenti à la société Les complices une promesse de cession des actions de la société Stuck ; que la société Alain Manoukian a demandé que les consorts X... et la société Les complices soient condamnés à réparer le préjudice résultant de la rupture fautive des pourparlers ; Sur le moyen unique du pourvoi formé par les consorts X..., pris en ses deux branches : Attendu que les consorts X... font grief à l’arrêt de les avoir condamnés à payer à la société Alain Manoukian la somme de 400 000 francs à titre de dommages-intérêts alors, selon le moyen : 1 / que la liberté contractuelle implique celle de rompre les pourparlers, liberté qui n’est limitée que par l’abus du droit de rompre qui est une faute caractérisée par le fait de tromper la confiance du partenaire ; que la cour d’appel, qui n’a relevé aucun élément à la charge du cédant de nature à caractériser un tel comportement, contraire à la bonne foi contractuelle, a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 1382 et 1383 du Code civil ; 2 / que celui qui prend l’initiative de pourparlers en établissant une proposition d’achat de la totalité des actions d’une société, soumise à plusieurs conditions suspensives affectées d’un délai de réalisation, et qui ne manifeste aucune diligence pour la réalisation de ces conditions, ne saurait imputer à faute la rupture par son partenaire des pourparlers, après l’expiration de ce délai, de sorte que la cour d’appel, en statuant comme elle l’a fait, a violé les articles 1382 et 1383 du Code civil ; Mais attendu, d’une part, qu’après avoir relevé, d’un côté, que les parties étaient parvenues à un projet d’accord aplanissant la plupart des difficultés et que la société Alain Manoukian était en droit de penser que les consorts X... étaient toujours disposés à lui céder leurs actions et, d’un autre côté, que les actionnaires de la

Page 54: Note de Synthese_Les Pourparlers

54

société Stuck avaient, à la même époque, conduit des négociations parallèles avec la société Les complices et conclu avec cette dernière un accord dont ils n’avaient informé la société Alain Manoukian que quatorze jours après la signature de celui-ci, tout en continuant à lui laisser croire que seule l’absence de l’expert-comptable de la société retardait la signature du protocole, la cour d’appel a retenu que les consorts X... avaient ainsi rompu unilatéralement et avec mauvaise foi des pourparlers qu’ils n’avaient jamais paru abandonner et que la société Alain Manoukian poursuivait normalement ; qu’en l’état de ces constatations et appréciations, la cour d’appel a légalement justifié sa décision ; Et attendu, d’autre part, que la cour d’appel ayant relevé, par un motif non critiqué, que les parties avaient, d’un commun accord, prorogé la date de réalisation des conditions suspensives, le moyen pris de la circonstance que la rupture des pourparlers aurait été postérieure à cette date est inopérant ; D’où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ; Sur le premier moyen du pourvoi formé par la société Alain Manoukian : Attendu que la société Alain Manoukian fait grief à l’arrêt d’avoir limité à 400 000 francs la condamnation à dommages-intérêts prononcée à l’encontre des consorts X... alors, selon le moyen, que celui qui rompt brutalement des pourparlers relatifs à la cession des actions d’une société exploitant un fonds de commerce doit indemniser la victime de cette rupture de la perte de la chance qu’avait cette dernière d’obtenir les gains espérés tirés de l’exploitation dudit fonds de commerce en cas de conclusion du contrat ; qu’il importe peu que les parties ne soient parvenues à aucun accord ferme et définitif ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a constaté que les consorts X... avaient engagé leur responsabilité délictuelle envers la société Alain Manoukian en rompant unilatéralement, brutalement et avec mauvaise foi les pourparlers qui avaient eu lieu entre eux au sujet de la cession des actions de la société Stuck exploitant un fonds de commerce dans le centre commercial Belle Epine ; qu’en estimant néanmoins que le préjudice subi par la société Alain Manoukian ne pouvait correspondre, du seul fait de l’absence d’accord ferme et définitif, à la perte de la chance qu’avait cette société d’obtenir les gains qu’elle pouvait espérer tirer de l’exploitation du fonds de commerce et en limitant la réparation du préjudice subi par la société Alain Manoukian aux frais occasionnés par la négociation et aux études préalables qu’elle avait engagées, la cour d’appel a violé l’article 1382 du Code civil ; Mais attendu que les circonstances constitutives d’une faute commise dans l’exercice du droit de rupture unilatérale des pourparlers précontractuels ne sont pas la cause du préjudice consistant dans la perte d’une chance de réaliser les gains que permettait d’espérer la conclusion du contrat ; Attendu que la cour d’appel a décidé à bon droit qu’en l’absence d’accord ferme et

Page 55: Note de Synthese_Les Pourparlers

55

définitif, le préjudice subi par la société Alain Manoukian n’incluait que les frais occasionnés par la négociation et les études préalables auxquelles elle avait fait procéder et non les gains qu’elle pouvait, en cas de conclusion du contrat, espérer tirer de l’exploitation du fonds de commerce ni même la perte d’une chance d’obtenir ces gains ; que le moyen n’est pas fondé ; Et sur le second moyen du même pourvoi : Attendu que la société Alain Manoukian fait encore grief à l’arrêt d’avoir mis hors de cause la société Les Complices alors, selon le moyen, que le seul fait pour l’acquéreur de garantir par avance le vendeur de toute indemnité en cas de rupture des pourparlers auxquels ce dernier aurait pu se livrer avec un tiers antérieurement constitue une faute dont l’acquéreur doit réparation envers la victime de la rupture des pourparlers dès lors qu’une telle garantie constitue pour le vendeur, et pour le profit de l’acquéreur, une incitation à rompre brutalement des pourparlers, fussent-ils sur le point d’aboutir, sans risque pour lui ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a constaté qu’aux termes de la convention de cession liant les consorts X... à la société Les complices, celle-ci s’était engagée à garantir les vendeurs de toute indemnité que ceux-ci seraient éventuellement amenés à verser à un tiers pour rupture abusive des pourparlers ; qu’en considérant néanmoins que la société Les complices, dont les juges du fond ont constaté qu’elle avait profité des manoeuvres déloyales commises par les consorts X... à l’encontre de la société Alain Manoukian, n’avait commis aucune faute envers la société Alain Manoukian, victime de la rupture brutale des pourparlers qu’elle avait engagés avec les consorts X..., peu important qu’il n’ait pas été démontré que la société Les complices avait eu connaissance de l’état d’avancement de ces pourparlers, la cour d’appel a violé l’article 1382 du Code civil ; Mais attendu que le simple fait de contracter, même en connaissance de cause, avec une personne ayant engagé des pourparlers avec un tiers ne constitue pas, en lui-même et sauf s’il est dicté par l’intention de nuire ou s’accompagne de manoeuvres frauduleuses, une faute de nature à engager la responsabilité de son auteur ; Attendu qu’ayant relevé que la clause de garantie insérée dans la promesse de cession ne suffisait pas à établir que la société Les Complices avait usé de procédés déloyaux pour obtenir la cession des actions composant le capital de la société Stuck, ni même qu’elle avait une connaissance exacte de l’état d’avancement des négociations poursuivies entre la société Alain Manoukian et les cédants et du manque de loyauté de ceux-ci à l’égard de celle-là, la cour d’appel a exactement décidé que cette société n’avait pas engagé sa responsabilité à l’égard de la société Alain Manoukian, peu important qu’elle ait en définitive profité des manoeuvres déloyales des consorts X... ; que le moyen n’est pas fondé ; PAR CES MOTIFS : REJETTE les pourvois ;

Page 56: Note de Synthese_Les Pourparlers

56

Document 14 :

Civ 1e, 20 décembre 2012, n° 11-27340

Cour de cassation chambre civile 1 Audience publique du 20 décembre 2012 N° de pourvoi: 11-27340 Non publié au bulletin

Rejet M. Charruault (président), président Me Spinosi, SCP Piwnica et Molinié, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant : Sur le moyen unique, tel reproduit en annexe : Attendu, selon l’arrêt attaqué (Versailles, 29 septembre 2011) qu’en 2007, la SELARL Laboratoire d’analyses de biologie médicale D...- Z... et la SCP Laboratoire d’analyses de biologie médicale B...- X... envisageant de regrouper leurs activités au sein d’une structure commune, ont mené des négociations dans la perspective d’une fusion, négociations qui se sont accompagnées de démarches de rapprochement entre les deux laboratoires, jusqu’à ce que M. X..., devenu l’unique actionnaire de la SCP transformée en SEL (la SEL), manifeste le 11 avril 2008 l’intention de ne pas donner suite aux projets de pacte d’associés et de règlement intérieur qui lui avaient été soumis le 8 avril ; que la SELARL Laboratoire d’analyses de biologie médicale D...- Z..., devenu la SELARL Laboratoire d’analyses de biologie médicale Z... (la SELARL), a assigné la SEL en dommages-intérêts pour rupture abusive des pourparlers ; que l’arrêt infirmatif attaqué a estimé que la rupture n’était pas fautive et débouté la SELARL de l’intégralité de ses demandes, ce dont le moyen lui fait grief ;

Page 57: Note de Synthese_Les Pourparlers

57

Mais attendu que l’arrêt relève qu’après avoir refusé, au mois de novembre 2007, un premier projet de convention qui arrêtait, en présence des membres de la SELARL, les conditions de la cession des parts sociales de son associé dont le départ à la retraite était imminent, M. X..., a, dès le 11 avril 2008, notifié son intention de rompre les pourparlers qui, repris au mois de janvier 2008 dans la perspective d’un regroupement des deux laboratoires par la voie d’une fusion-absorption, n’avaient abouti qu’à une ébauche de pacte d’associés, élaborée le 8 avril sur la base de modalités financières discutées la veille, et que la SELARL ayant engagé prématurément les démarches et investissements préparatoires à une association dont le principe n’était nullement acquis, ne pouvait invoquer la mauvaise foi de son partenaire à l’occasion de ces tentatives infructueuses de rapprochement ; qu’en cet état, la cour d’appel a pu, sans avoir à en rechercher les motifs, décider que la rupture des pourparlers, pour subite ou déceptive qu’elle ait pu être, n’était pas abusive de la part de la SEL qui n’avait fait qu’user de la liberté qu’elle avait, à ce stade des négociations, de ne pas contracter ; D’où il suit que le moyen qui, mal fondé en ses trois premières branches, se heurte, pour le surplus à l’appréciation souveraine par les juges du fond de la valeur et de la portée des éléments de preuve, exclusive de dénaturation, ne saurait être accueilli ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi ; Condamne la SELARL Laboratoire d’analyses de biologie médicale Z... aux dépens ; Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la SELARL Laboratoire d’analyses de biologie médicale Z... ; la condamne à payer à la SEL Laboratoire d’analyses de biologie médicale X... la somme de 2 500 euros ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt décembre deux mille douze.

Page 58: Note de Synthese_Les Pourparlers

58

Document 15 :

Extrait du projet d’ordonnance de 2015 portant réforme du droit

des contrats

« TITRE III « DES SOURCES D'OBLIGATIONS

« SOUS–TITRE I « LE CONTRAT

« CHAPITRE II

« LA FORMATION DU CONTRAT

« SECTION 1 « La conclusion du contrat

« Sous–section 1

« Les négociations

« Art. 1111. – L’initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles sont

libres. Ils doivent satisfaire aux exigences de la bonne foi.

« La conduite ou la rupture fautive de ces négociations oblige son auteur à réparation sur le

fondement de la responsabilité extracontractuelle.

« Les dommages et intérêts ne peuvent avoir pour objet de compenser la perte des bénéfices

attendus du contrat non conclu.

« Art. 1112. – Celui qui utilise sans autorisation une information confidentielle obtenue à

l’occasion des négociations engage sa responsabilité extracontractuelle.

Page 59: Note de Synthese_Les Pourparlers

59

Document 16 :

Com, 22 février 1994, n° 92-13871

Cour de cassation chambre commerciale Audience publique du 22 février 1994 N° de pourvoi: 92-13871 Publié au bulletin

Rejet. Président : M. Bézard ., président Rapporteur : M. Rémery., conseiller apporteur Avocat général : M. Curti., avocat général Avocats : M. Vuitton, la SCP Waquet, Farge et Hazan., avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS Attendu, selon l’arrêt attaqué (Rennes, 8 janvier 1992), que M. X..., qui se proposait d’exploiter un fonds de commerce de bar-brasserie dans une galerie marchande, a acquis, par acte du 1er avril 1987, de la société en nom collectif Galerie Clémenceau (la société Clémenceau), représentée par son gérant M. Ménant, un local non aménagé, l’acte devant, à peine de caducité, être réitéré devant notaire avant le 1er juin 1987 ; que M. X... n’ayant pas obtenu pour cette date le prêt nécessaire à son acquisition, le délai de régularisation de l’acte a été prolongé par la société Clémenceau tandis que M. X... recherchait un financement et effectuait dans le local des aménagements avec l’accord du vendeur et son soutien financier ; qu’en octobre 1987, M. X..., pour l’exploitation du fonds, a créé une société à responsabilité limitée dénommée L’Atlantide et a commencé son activité ; qu’en janvier 1988, aucun concours financier ne lui ayant été accordé pour l’achat du local, la société L’Atlantide a obtenu de la société Clémenceau et de M. Ménant un bail commercial moyennant un loyer mensuel de 32 000 francs, le bail stipulant que tous les aménagements réalisés par le preneur resteraient, en fin de bail, la propriété du

Page 60: Note de Synthese_Les Pourparlers

60

bailleur sans indemnité ; que la société L’Atlantide a, ensuite, été mise en redressement puis en liquidation judiciaires ; que le liquidateur a demandé, sur le fondement de l’article 1382 du Code civil, que la société Clémenceau et M. Ménant soient condamnés, en raison du soutien abusif qu’ils auraient apporté à la société L’Atlantide, à supporter son passif ; Sur le premier moyen : (sans intérêt) ; Et sur le second moyen, pris en ses cinq branches : Attendu que la société Clémenceau et M. Ménant reprochent encore à l’arrêt de les avoir condamnés à payer au liquidateur, ès qualités, la somme de 225 000 francs à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de l’aggravation du passif de la société L’Atlantide alors, selon le pourvoi, d’une part, que la cour d’appel, qui a seulement relevé que le montant du soutien accordé par la société Clémenceau et M. Ménant était de 175 000 francs, et que l’aggravation du passif s’élevait à la somme de 2 000 000 francs n’a pas, par ces seuls motifs, déterminé l’existence d’un lien direct de causalité entre la faute prétendument commise et le préjudice subi ; qu’en statuant ainsi la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1382 du Code civil ; alors, d’autre part, que constitue la faute d’un tiers, caractérisée par un soutien abusif, les avances faites à un débiteur ayant pour objet de permettre la poursuite d’une activité déjà déficitaire dont le responsable est en état de cessation des paiements ; qu’en considérant que constituait une telle faute les avances faites par un tiers, ayant pour seul objet de lancer ou de relancer une activité, et dont le responsable n’était pas, même en fait, en état de cessation des paiements, même si sa situation était préoccupante, la cour d’appel a violé l’article 1382 du Code civil ; alors, en outre, que seule constitue une faute caractérisée par un soutien abusif la prorogation du délai au terme duquel la vente consentie entre les parties devient caduque, dès lors que le vendeur a connaissance de l’impossibilité pour l’acquéreur de conclure un tel contrat ; qu’en l’espèce, la prorogation du délai au terme duquel la vente conclue entre M. X... et la société Clémenceau, représentée par M. Ménant, a cessé de produire ses effets, comme la cour d’appel l’a relevé, dès que ces derniers ont eu connaissance de l’impossibilité de M. X... de se porter acquéreur ; qu’en décidant néanmoins que ladite prorogation du délai constituait une faute, la cour d’appel a violé l’article 1382 du Code civil ; alors, au surplus, que dans leurs conclusions la société Clémenceau et M. Ménant avaient fait valoir que le comptable de M. X... avait établi un budget prévisionnel faisant ressortir que l’entreprise était viable en prenant en compte un loyer de 32 000 francs, et que c’est en toute connaissance de cause, à la suite de l’étude faite par le comptable, que ce dernier avait accepté le montant du loyer, dont rien ne démontrait qu’il était excessif ; qu’à défaut d’avoir répondu à ce chef des conclusions, la cour d’appel a violé l’article 455 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, enfin, que la cour d’appel ne pouvait considérer qu’en donnant son accord pour la réalisation des travaux envisagés par M. X..., la société Clémenceau, représentée par M. Ménant, avait commis une faute, en l’état d’une promesse de vente non encore parfaite, sans rechercher, comme l’y invitaient les conclusions, si l’existence d’un accord de principe sur l’octroi d’un prêt à M. X... par la Banque de Bretagne ne

Page 61: Note de Synthese_Les Pourparlers

61

permettait pas de considérer que l’activité entreprise aurait une issue favorable ; qu’à défaut d’avoir procédé à cette recherche, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard de l’article 1382 du Code civil ; Mais attendu que la cour d’appel a relevé que la présence dans la galerie marchande d’un fonds de commerce de bar-brasserie exploité, présentait un intérêt pour la commercialisation des autres locaux appartenant à la société Clémenceau ; qu’elle a ajouté qu’en considération de cet intérêt personnel, cette dernière avait prolongé indéfiniment le délai de régularisation de l’acte de vente en autorisant, bien qu’aucun prêt n’eût été mis en place et qu’elle connût les difficultés financières de l’acquéreur, la société L’Atlantide à effectuer dans les lieux des aménagements dont elle a partiellement financé le coût et dont elle s’est réservé la propriété, sans indemnité, par une clause du bail commercial conclu en dernier lieu avec la société L’Atlantide moyennant un loyer nettement supérieur aux facultés réelles de celle-ci au regard des engagements financiers pris au titre des travaux ; qu’en l’état de ces constatations et appréciations, desquelles il résulte que la société Clémenceau, recherchant son propre intérêt, a prorogé au delà d’une limite raisonnable, le délai de régularisation de l’acte de vente et a, malgré sa connaissance des difficultés rencontrées par la société L’Atlantide pour trouver un financement à ses projets, incité celle-ci à procéder à des investissements coûteux voués à l’échec, qui sont directement à l’origine de la cessation des paiements, la cour d’appel a pu décider, en répondant aux conclusions invoquées et sans avoir à effectuer la recherche visée à la cinquième branche du moyen, que sa décision rendait inopérante, que la société Clémenceau et son gérant avaient commis une faute en relation avec l’aggravation du passif de la société L’Atlantide ; que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi. Publication : Bulletin 1994 IV N° 72 p. 55

Page 62: Note de Synthese_Les Pourparlers

62

Document 17 :

Extrait des principes du droit européen des contrats de la

Commission Lando

PRINCIPES DE DROIT EUROPEEN DES CONTRATS

(Commission Lando)

[…]

CHAPITRE 2: FORMATION

[…]

Section 3: Responsabilité à l'occasion des négociations

Article 2:301: Négociations contraires à la bonne foi

(1) Les parties sont libres de négocier et ne peuvent encourir de responsabilité pour ne pas

être parvenues à un accord.

(2) Toutefois, la partie qui conduit ou rompt des négociations contrairement aux exigences de

la bonne foi est responsable du préjudice qu'elle cause à l'autre partie.

(3) Il est contraire aux exigences de la bonne foi, notamment, pour une partie d'entamer ou de

poursuivre des négociations sans avoir de véritable intention de parvenir à un accord avec

l'autre.

Page 63: Note de Synthese_Les Pourparlers

63

Document 18 :

Extrait de la loi d’habilitation 2015-177 publiée 17 février 2015 et

autorisant le gouvernement à réformer le droit des contrats par

voie d’ordonnance

[…]

Page 64: Note de Synthese_Les Pourparlers

64

Page 65: Note de Synthese_Les Pourparlers

65

Document 19 :

Décision du Conseil Constitutionnel n°2015-710 DC du 12 février

2015 validant la loi d’habilitation

Décision n° 2015-710 DC du 12 février 2015 Loi relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures Le Conseil constitutionnel a été saisi, dans les conditions prévues à l'article 61, deuxième alinéa, de la

Constitution, de la loi relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans

les domaines de la justice et des affaires intérieures, le 29 janvier 2015, par MM. Bruno

RETAILLEAU, Pascal ALLIZARD, Gérard BAILLY, Philippe BAS, Christophe BÉCHU, Jérôme

BIGNON, Jean BIZET, François BONHOMME, Michel BOUVARD, François-Noël BUFFET,

François CALVET, Christian CAMBON, Mme Agnès CANAYER, MM. Jean-Pierre CANTEGRIT,

Jean-Noël CARDOUX, Jean-Claude CARLE, Gérard CÉSAR, Pierre CHARON, Daniel

CHASSEING, François COMMEINHES, Gérard CORNU, Jean-Patrick COURTOIS, Philippe

DALLIER, René DANESI, Mathieu DARNAUD, Serge DASSAULT, Mme Isabelle DEBRÉ, MM.

Francis DELATTRE, Robert del PICCHIA, Gérard DÉRIOT, Mmes Catherine DEROCHE, Jacky

DEROMEDI, Marie-Hélène DES ESGAULX, Chantal DESEYNE, Catherine DI FOLCO, MM. Eric

DOLIGÉ, Philippe DOMINATI, Mme Marie-Annick DUCHÊNE, M. Louis DUVERNOIS, Mme

Dominique ESTROSI SASSONE, MM. Michel FORISSIER, Alain FOUCHÉ, Jean-Paul

FOURNIER, Christophe-André FRASSA, Pierre FROGIER, Mme Joëlle GARRIAUD-MAYLAM,

MM. Jean-Claude GAUDIN, Jacques GAUTIER, Jacques GENEST, Mme Colette GIUDICELLI,

MM. Alain GOURNAC, Jean-Pierre GRAND, Daniel GREMILLET, François GROSDIDIER,

Jacques GROSPERRIN, Mme Pascale GRUNY, MM. Charles GUENÉ, Michel HOUEL, Alain

HOUPERT, Benoît HURÉ, Jean-François HUSSON, Jean-Jacques HYEST, Alain JOYANDET, Mme

Christiane KAMMERMANN, M. Roger KAROUTCHI, Mme Fabienne KELLER, M. Guy-

Dominique KENNEL, Mme Elisabeth LAMURE, MM. Daniel LAURENT, Jean-René LECERF,

Antoine LEFÈVRE, Dominique de LEGGE, Jean-Pierre LELEUX, Jean-Baptiste LEMOYNE, Jean-

Claude LENOIR, Mme Vivette LOPEZ, MM. Michel MAGRAS, Claude MALHURET, Didier

MANDELLI, Alain MARC, Jean-François MAYET, Mmes Colette MÉLOT, Brigitte MICOULEAU,

M. Alain MILON, Mme Patricia MORHET-RICHAUD, MM. Philippe MOUILLER, Philippe

NACHBAR, Claude NOUGEIN, Jean-Jacques PANUNZY, Philippe PAUL, Cédric PERRIN, Jackie

PIERRE, François PILLET, Xavier PINTAT, Louis PINTON, Rémy POINTEREAU, Ladislas

PONIATOWSKI, Hugues PORTELLI, Mmes Sophie PRIMAS, Catherine PROCACCIA, MM. Jean-

Pierre RAFFARIN, Charles REVET, Bernard SAUGEY, René-Paul SAVARY, Michel SAVIN,

Bruno SIDO, André TRILLARD, Michel VASPART, Jean-Pierre VIAL et Jean-Pierre VOGEL,

sénateurs.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

Page 66: Note de Synthese_Les Pourparlers

66

Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil

constitutionnel ;

Vu le code civil ;

Vu les observations du Gouvernement, enregistrées le 9 février 2015 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant que les sénateurs requérants défèrent au Conseil constitutionnel la loi relative à la

modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des

affaires intérieures ; qu'ils contestent la conformité à la Constitution de son article 8 ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article 8 : « Dans les conditions prévues à l'article 38 de la

Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par voie d'ordonnance les mesures relevant du

domaine de la loi nécessaires pour modifier la structure et le contenu du livre III du code civil, afin de

moderniser, de simplifier, d'améliorer la lisibilité, de renforcer l'accessibilité du droit commun des

contrats, du régime des obligations et du droit de la preuve, de garantir la sécurité juridique et

l'efficacité de la norme et, à cette fin :

« 1° Affirmer les principes généraux du droit des contrats tels que la bonne foi et la liberté

contractuelle ; énumérer et définir les principales catégories de contrats ; préciser les règles relatives

au processus de conclusion du contrat, y compris conclu par voie électronique, afin de clarifier les

dispositions applicables en matière de négociation, d'offre et d'acceptation de contrat, notamment

s'agissant de sa date et du lieu de sa formation, de promesse de contrat et de pacte de préférence ;

« 2° Simplifier les règles applicables aux conditions de validité du contrat, qui comprennent celles

relatives au consentement, à la capacité, à la représentation et au contenu du contrat, en consacrant en

particulier le devoir d'information et la notion de clause abusive et en introduisant des dispositions

permettant de sanctionner le comportement d'une partie qui abuse de la situation de faiblesse de l'autre

;

« 3° Affirmer le principe du consensualisme et présenter ses exceptions, en indiquant les principales

règles applicables à la forme du contrat ;

« 4° Clarifier les règles relatives à la nullité et à la caducité, qui sanctionnent les conditions de validité

et de forme du contrat ;

« 5° Clarifier les dispositions relatives à l'interprétation du contrat et spécifier celles qui sont propres

aux contrats d'adhésion ;

« 6° Préciser les règles relatives aux effets du contrat entre les parties et à l'égard des tiers, en

consacrant la possibilité pour celles-ci d'adapter leur contrat en cas de changement imprévisible de

circonstances ;

« 7° Clarifier les règles relatives à la durée du contrat ;

« 8° Regrouper les règles applicables à l'inexécution du contrat et introduire la possibilité d'une

résolution unilatérale par notification ;

« 9° Moderniser les règles applicables à la gestion d'affaires et au paiement de l'indu et consacrer la

notion d'enrichissement sans cause ;

« 10° Introduire un régime général des obligations et clarifier et moderniser ses règles ; préciser en

particulier celles relatives aux différentes modalités de l'obligation, en distinguant les obligations

conditionnelles, à terme, cumulatives, alternatives, facultatives, solidaires et à prestation indivisible ;

Page 67: Note de Synthese_Les Pourparlers

67

adapter les règles du paiement et expliciter les règles applicables aux autres formes d'extinction de

l'obligation résultant de la remise de dette, de la compensation et de la confusion ;

« 11° Regrouper l'ensemble des opérations destinées à modifier le rapport d'obligation ; consacrer,

dans les principales actions ouvertes au créancier, les actions directes en paiement prévues par la loi ;

moderniser les règles relatives à la cession de créance, à la novation et à la délégation ; consacrer la

cession de dette et la cession de contrat ; préciser les règles applicables aux restitutions, notamment en

cas d'anéantissement du contrat ;

« 12° Clarifier et simplifier l'ensemble des règles applicables à la preuve des obligations ; en

conséquence, énoncer d'abord celles relatives à la charge de la preuve, aux présomptions légales, à

l'autorité de chose jugée, aux conventions

sur la preuve et à l'admission de la preuve ; préciser, ensuite, les conditions d'admissibilité des modes

de preuve des faits et des actes juridiques ; détailler, enfin, les régimes applicables aux différents

modes de preuve ;

« 13° Aménager et modifier toutes dispositions de nature législative permettant d'assurer la mise en

oeuvre et de tirer les conséquences des modifications apportées en application des 1° à 12° » ;

3. Considérant que, selon les requérants, l'habilitation ainsi donnée au Gouvernement pour modifier

par voie d'ordonnance le livre III du code civil excède, en raison de son ampleur et de l'importance que

revêt dans l'ordre juridique le droit des contrats et des obligations, les limites qui résultent de l'article

38 de la Constitution en matière de recours aux ordonnances ; que l'urgence invoquée pour justifier le

recours à cette procédure ne serait pas caractérisée ; qu'enfin, la sécurité juridique serait méconnue

compte tenu des modifications qui pourraient être apportées au droit des contrats et des obligations par

le Parlement à l'occasion de la ratification de l'ordonnance ;

4. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes du premier alinéa de l'article 38 de la Constitution : «

Le Gouvernement peut, pour l'exécution de son programme, demander au Parlement l'autorisation de

prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la

loi » ; que cette disposition fait obligation au Gouvernement d'indiquer avec précision au Parlement,

afin de justifier la demande qu'il présente, la finalité des mesures qu'il se propose de prendre par voie

d'ordonnances ainsi que leur domaine d'intervention ;

5. Considérant que, d'une part, l'article 34 de la Constitution place les principes fondamentaux des

obligations civiles dans le domaine de la loi ; que, d'autre part, l'habilitation conférée par les

dispositions précitées à réformer par ordonnance le droit commun des contrats, le régime des

obligations et le droit de la preuve est précisément définie dans son domaine et dans ses finalités ; que,

par suite, cette habilitation ne méconnaît pas les exigences qui résultent de l'article 38 de la

Constitution ;

6. Considérant, en second lieu, d'une part, qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de

l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée,

ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ; que, si le législateur peut

modifier rétroactivement une règle de droit, c'est à la condition de poursuivre un but d'intérêt général

suffisant et de respecter tant les décisions de justice ayant force de chose jugée que le principe de non-

rétroactivité des peines et des sanctions ; que, d'autre part, le législateur ne saurait porter aux contrats

légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant sans

méconnaître les exigences résultant des articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789 ;

Page 68: Note de Synthese_Les Pourparlers

68

7. Considérant que, lorsqu'il modifie, notamment à l'occasion de sa ratification, les dispositions d'une

ordonnance entrées en vigueur, le législateur est tenu au respect de ces exigences ;

8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'article 8 de la loi déférée, qui ne méconnaît

aucune autre exigence constitutionnelle, doit être déclaré conforme à la Constitution ;

9. Considérant qu'il n'y a lieu, pour le Conseil constitutionnel, de soulever d'office aucune question de

constitutionnalité,

D É C I D E :

Article 1er.- L'article 8 de la loi relative à la modernisation et à la simplification du droit et des

procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures est conforme à la Constitution.

Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 12 février 2015, où siégeaient : M. Jean-

Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy

CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Lionel JOSPIN et Mme

Nicole MAESTRACCI.

JORF n°0040 du 17 février 2015 page 2969, texte n° 2

ECLI:FR:CC:2015:2015.710.DC

Page 69: Note de Synthese_Les Pourparlers

69

Document 20 :

La rupture des négociations, P. Le Tourneau, RTD Com. 1998 p. 479

RTD Com. 1998 p. 479

La rupture des négociations (1)

Philippe le Tourneau, Professeur à la Faculté de droit de Toulouse

1. « La matière de nos pensées est énergie, c'est-à-dire qu'elle peut se changer en actes » (Valéry,

Pléiade, Oeuvres, t. I, p. 665). Cette formule s'applique parfaitement aux négociations. Elles ont acquis un

rôle plus considérable aujourd'hui que naguère, en raison de l'augmentation sensible du nombre et de la

valeur des grands contrats, notamment de travaux publics, d'ingénierie ou de transferts de technique,

singulièrement internationaux, sans oublier les fusions de sociétés, ou les accords relatifs aux

présentateurs de télévision, aux acteurs renommés et aux sportifs de haut niveau. Toutefois, cet élément

quantitatif n'affecte en rien leur régime. Par définition, le résultat des négociations est incertain, même

aléatoire, dépendant de mille et un éléments. Les discussions que les plénipotentiaires ont engagées sont

justes pour parler (en deux mots) ; non point certes parler pour ne rien dire, mais parler pour voir et,

éventuellement pour s'entendre, pour conclure. Mais aussi le cas échéant pour se séparer, en tout bien

tout honneur, la vie reprenant son cours comme devant, et des négociations s'ouvrant probablement

immédiatement après, avec un autre éventuel partenaire.

2. Les pourparlers sont ponctués de propositions et de contre-propositions, d'ouvertures et de retraits, de

périodes d'enthousiasme et d'autres de découragement. Ils constituent le jeu par excellence, le plus subtil,

et celui où les enjeux sont les plus élevés. Aussi, surtout à propos des contrats de quelque importance,

une tension proche de la passion se noue, provisoire peut-être mais certaine (et pouvant du reste s'étaler

sur une longue durée : j'ai connu des négociations de plus de cinq ans). C'est une période bien spécifique,

un curieux entre-deux ; le temps merveilleux de tous les possibles, et même de l'impossible, des

confidences et des aveux. Le destin n'est point encore figé : rien n'est décidé ni personne engagée.

L'oeuvre qu'est le contrat envisagé est en puissance, en devenir. Il est au centre des débats, mais n'est

pas encore. C'est un projet d'avenir riant, riche en virtualités, mais qui ne s'accompliront peut-être pas.

Chacun attend l'éclair qui, jaillissant soudain d'obscurs débats, conduira à l'achèvement, à la plénitude. Les

plénipotentiaires sont comme des découvreurs, des sortes de troubadours, qui espèrent avoir l'heureuse

surprise et la joie de quelque trouvaille, plus précisément de parvenir à un accord, tout en sachant que

cela n'est point assuré. Le contrat suspend son envol.

3. Au fond, il y a une certaine similitude avec le temps béni des fiançailles; la comparaison est éclairante.

Car, s'il est peut-être excessif de dire que les fiançailles sont faites pour être rompues, il est exact que,

juridiquement, elles n'engagent aucunement, et que les promis peuvent se séparer sans coup férir, en

douceur, être quitte à quitte. Mais dans ce genre d'affaire, où la raison n'est pas seule en cause, où les

sentiments sont affectés, la rupture sera souvent ressentie, non comme un échec constructif, mais comme

un manquement à l'honneur, voire comme une trahison. Les rancoeurs conduiront parfois à des procès. De

même de l'échec des négociations, puisqu'aussi bien, outre les intérêts financiers qu'elles soulèvent, elles

comportent un élément passionnel, comme je l'ai indiqué précédemment. Ainsi, le désamour conduit

souvent à la discorde, à des querelles de chiffonniers, à la guerre larvée, voire déclarée.

4. Aussi, j'envisagerai ces pourparlers en dissociant les divers parlers qu'ils peuvent susciter (en dehors de

leur aboutissement, par la conclusion du pacte, qui n'entre pas dans mon sujet). Trois parlers principaux

me paraissent devoir retenir l'attention. Les comportements engageant la responsabilité de l'auteur de la

rupture : ce sont les paroles de désamour. Ensuite, le désordre qu'elles ont créées, qu'il convient de

réparer, car ce sontparoles qui sèment la tempête. Toutefois, il semble nécessaire de s'intéresser au

Page 70: Note de Synthese_Les Pourparlers

70

préalable à la qualification de l'éventuelle action née de la rupture, sur laquelle la doctrine a imaginé

plusieurs constructions ; sans vouloir être injuste, je crois qu'elles n'ont joué qu'un rôle négligeable : ce

sont paroles que vent emporte.

Paroles que vent emporte

5. A priori, la qualification de l'action née de la rupture des négociations ne devrait pas susciter

d'hésitations. Le bon sens souffle qu'il s'agit forcément de la responsabilité délictuelle, puisque la faute, si

elle existe, est nécessairement extra-contractuelle, le contrat n'ayant pas été conclu, par hypothèse. De

même que, symétriquement, la faute post-contractuelle engage la responsabilité délictuelle. Mais ce serait

méconnaître l'ingéniosité des docteurs, qui engagèrent une controverse sur le sujet. Ses braises

rougeoient encore. Mais elle n'eut guère d'écho en jurisprudence, du moins en France : en ce sens, ce sont

bien des paroles que vent emporte. Pour certains, le régime de la défaillance contractuelle devrait

s'appliquer, tandis que pour d'autres, seule la responsabilité délictuelle est envisageable, comme le décide

la jurisprudence.

De la défaillance contractuelle

6. Un courant de pensée, naguère assez important, opine pour soumettre la rupture des négociations au

régime de ce que ses adeptes appellent la responsabilité contractuelle, ce que je traduis par défaillance

contractuelle puisque, pour moi, il n'existe pas de responsabilité contractuelle (Ph. le Tourneau et L.

Cadiet, Droit de la responsabilité, 1998, n° 221 et s.- V. dans le même sens la puissante dissertation de

Ph. Rémy, La « responsabilité contractuelle » : histoire d'un faux concept, RTD civ. 1997, p. 323 et s. ).

Certes, si quelque contrat de négociation a été conclu, comme c'est fréquemment le cas dans les affaires,

tout manquement à ses dispositions met en branle le régime de la défaillance contractuelle. Nul ne

conteste cela. Mais les partisans de la thèse contractuelle prétendent qu'il en va de la sorte en dehors

même de la violation d'un contrat préparatoire. Ou plutôt, ils estiment que toute négociation contractuelle

génère, ipso facto et volens nolens, un avant-contrat tacite. Le débat est loin d'être purement académique,

puisque les régimes de la responsabilité délictuelle et de la défaillance contractuelle sont sensiblement

différents.

7. C'est Rudolf von Jhering qui lança l'idée de la responsabilité contractuelle à propos des négociations, en

1861, dans un important article Culpa in contrahendo... (traduit en français en 1893, Oeuvres, t. II, p. 1 à

100). En réalité, cette étude avait pour principal objet de régler le sort des conséquences de la nullité d'un

contrat résultant de la faute d'un des négociateurs. Jhering forgea à cette occasion les concepts de

diligentia in contrahendo et de culpa in contrahendo. Les pourparlers doivent être conduits avec une

diligence spéciale : qui y a manqué est tenu de réparer le préjudice causé par sa faute. Ainsi naquit l'idée

de responsabilité pré-contractuelle. Cette solution fut étendue à l'hypothèse qui nous occupe, celle de la

rupture fautive des négociations. Les pourparlers créent un rapport personnalisé entre les parties ; celles-

ci ne sont plus dans la même situation que des inconnus, elles ne sont plus de véritables penitus extranei.

Elles se voient fréquemment et longuement, échangent des idées et des informations. Il en découle des

obligations, comme si elles avaient conclu un contrat exprès, notamment celle de ne pas rompre

brutalement. Qui entre en pourparlers dépasse « la sphère des devoirs généraux humains [... ] pour se

créer des obligations spéciales » (P. Roubier, Essai sur la responsabilité précontractuelle, thèse Lyon,

1911, p. 58). La réparation interviendrait, non en vertu du contrat définitif envisagé, puisqu'il n'est pas

parvenu à l'existence, mais du contrat tacite de négociation, résultant automatiquement de toute

ouverture de pourparlers (V. dans le même sens, not. Aubry et Rau, Cours de droit civil, t. IV, Les

obligations, 6e éd., 1975, p. 473).

8. Mais la naissance d'un contrat tacite en cette circonstance est pure fiction. Et cette dernière semble

assez paradoxale car, en vérité, elle n'est reconnue qu'un instant de raison, pour enclencher la

responsabilité, puis s'évanouit aussitôt. Son artifice excessif éclate ainsi, et doit conduire à la rejeter. De

plus, tirer des conséquences du fait que les négociateurs ne sont plus totalement des étrangers, puisqu'ils

conversent, est excessif. A tout prendre, les pourparlers ne sont ni plus ni moins qu'un « lieu de rencontre

» (J. Huet, Responsabilité contractuelle et responsabilité délictuelle, Essai de délimitation entre les deux

ordres de responsabilité, Paris II, 1978, n° 243), un forum parmi d'autres. La théorie de la culpa in

Page 71: Note de Synthese_Les Pourparlers

71

contrahendo n'a jamais dépassé, en France, le stade des débats académiques alors qu'elle a été reçue

dans certains droits étrangers, par exemple assez tôt en Italie et tout récemment aux Etats-Unis, à la suite

de la publication d'un article sur ce sujet par deux auteurs allemands en 1964 (Cf. D. Caruso, La Culpa in

contrahendo. L'esperienza statunitense e quella italiana, Guiffré, Milan, 1993).

9. Une brillante thèse contemporaine s'inscrit dans le sillage d'Jhering, mais de façon personnelle, à propos

d'une question différente. Mon ami le professeur Jérôme Huet a en effet suggéré de rattacher au contrat

les fautes qui sont commises dans la phase préparatoire, et qui constituent une inexécution virtuelle, dès

lors que le contrat a, par la suite, été effectivement conclu. Pour lui, le contrat est apte « à prendre en

charge le passé » (op. cit., n° 239), car en même temps qu'il est un projet d'avenir, il constitue « une

synthèse du passé » (op. cit., n° 292). « Le passé préjuge de l'avenir » (op. et loc. cit.) : par exemple, le

défaut de renseignement dans la conclusion du contrat se prolonge dans le défaut d'exécution. L'avantage

en serait que le créancier n'aurait pas à prouver spécialement la faute : la preuve de l'absence de

renseignement suffirait. Dans un sens voisin, Madame Fabre-Magnan estime que la « responsabilité

contractuelle » s'applique dès que le manquement à l'obligation d'information a une incidence sur

l'exécution du contrat, et pas seulement sur le consentement (M. Fabre-Magnan, De l'obligation

d'information dans les contrats. Essai d'une théorie, préf. J. Ghestin, LGDJ, 1992, n° 281 et s., 453 et s.).

Mais, pour intéressantes qu'elles soient, ces deux thèses sont sans emport dans l'hypothèse agitée,

puisqu'elles supposent l'existence d'un contrat définitif. Quoi qu'il en soit, elles s'inscrivent dans le courant

doctrinal en faveur d'une extension du champ contractuel, le contrat étant perçu comme un ensemble,

comprenant ses préliminaires et ses entours (par le biais de la notion de groupe de contrats), idée qui

prospéra en jurisprudence jusqu'au coup de semonce de l'arrêt Besse (Ass. plén., 12 juill. 1991.- V. sur la

question Ph. le Tourneau et L. Cadiet, Droit de la responsabilité, Dalloz-Action, 1998, n° 288 et s.).

De la responsabilité délictuelle

10. Le régime de la défaillance contractuelle évacué, force est de se tourner vers la responsabilité

délictuelle, au sens large incluant la responsabilité quasi-délictuelle, pour trancher les difficultés survenant

lors de la rupture des pourparlers, en dehors de contrats de négociations comprenant une clause ad hoc.

Aujourd'hui, la doctrine adopte majoritairement cette vue, presque unanimement (ex. G. Viney,

Introduction à la responsabilité, LGDJ, 2e éd., 1995, n° 196 et s.). Elle rejoint ainsi la jurisprudence qui,

sauf de rares exceptions, juge de la sorte avec constance depuis la fin du siècle dernier (ex. Com. 20 mars

1972, Bull. civ. IV, n° 93 ; JCP 1973 éd. G. II. 17543, note J. Schmidt-Szalewski ; RTD civ. 1972. 779,

obs. G. Durry.- Cass. 3e civ., 16 oct. 1973, D. 1974. IR. 35.- Com. 11 janv. 1984, Bull. civ. IV, n° 16 : « la

victime d'une faute commise au cours de la période qui a précédé la conclusion d'un contrat est en droit de

poursuivre la réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi [... ] sur le fondement de la responsabilité

délictuelle ».- 22 févr. 1994, Bull. civ. IV, n° 79 ; RTD civ. 1994. 849, obs. J. Mestre .- CA Paris, 18

janv. 1996, D. Affaires 1996. 292.- Com. 22 avr. 1997, RJDA 1997, n° 996.- Civ. 2e, 4 juin 1997, RTD civ.

1997. 921, obs. J. Mestre .- Cass. 1re civ., 6 janv. 1998, JCP 1998 G. II. 10066, note B. Fages ; D.

Affaires 1998. 242.- Contra CA Rennes, 9 juill. 1975, D. 1976. 417, note J. Schmidt ; RTD civ. 1976. 547,

obs. G. Durry ; CA Paris, 9 oct. 1995, D. 1995. IR. 267 ). Si la jurisprudence publiée sur cette question

est relativement abondante, et a sensiblement augmenté ces dernières années, la moisson ne doit pas

cacher la réalité : il y a en vérité fort peu d'affaires de rupture soumises aux tribunaux étatiques ou

arbitraux, par rapport au nombre immense des négociations. D'où cet exposé est plus théorique et

anecdotique que pratique.

11. En outre, toute rupture n'engage pas la responsabilité de celui qui prend cette décision, ou la

provoque. La liberté, dans ce domaine comme dans les autres, reste le principe (V. not. rappelant ce

principe, Cass. 2e civ., 5 janv. 1994, Juris-Data n° 000039.- CA Paris, 18 janv. 1996, préc.- CA Liège, 19

nov. 1996, DIT 1996/4, p. 41.- Unidroit, Principes relatifs aux contrats du commerce international, Rome,

1994, art. 2. 15, 1.- V. sur ceux-ci en la matière, M. Suchankova, Les principes Unidroit et la

responsabilité précontractuelle en cas d'échec des négociations, RDAI 1997, p. 691 et s.). Cette règle

découle de la liberté contractuelle, et elle est essentielle pour garantir une saine concurrence entre les

entreprises (Unidroit, op. cit., commentaire, p. 53). Les plénipotentiaires n'ont jamais l'obligation

d'aboutir, même du reste après la conclusion d'un accord de principe (CA Paris, 27 mai 1980, D. 1981.

Page 72: Note de Synthese_Les Pourparlers

72

314, note Ph. le Tourneau.- Soc. 19 déc. 1989, D. 1991. 62, note J. Schmidt ; RTD civ. 1991. 330, obs.

J. Mestre ). Chacun conserve la possibilité, mieux le droit absolu de renoncer, et même de changer

d'avis. « Le pire drame pour un poète, c'est d'être admiré par malentendu » (J. Cocteau) ; pour un

contrat, d'être conclu ainsi : mieux vaut tout briser tant qu'il n'est pas conclu que de s'engager dans des

liens équivoques ou fâcheux. Un difficile équilibre est à maintenir entre la liberté et l'abus de celle-ci,

constitutif d'une faute. Autrement dit, ce n'est pas la rupture en soi qui est prise en compte, mais un acte

dommageable caractérisé (V. infra), ce que j'ai nommé une parole de désamour.

Paroles de désamour

12. Les paroles de désamour je veux dire les causes de la rupture, peuvent intervenir à tout moment ;

mais il semble logique de distinguer deux périodes (J. Schmidt, Négociation et conclusion des

contrats,Dalloz, 1982, n° 220 et s.) : avant et après l'émission d'une offre, même si elles sont soumises à

un régime identique.

La rupture antérieure à l'émission d'une offre

13. La rupture donne naissance à une action en responsabilité lorsqu'elle constitue une faute, au sens

habituel de cette notion. Mais quel est le modèle de comparaison ? Le bon négociateur, sans doute ;

cependant cette référence n'apporte aucune lumière supplémentaire. Aussi la tendance actuelle de la

doctrine est de faire donner la bonne foi, sous l'angle de la loyauté. En effet, la bonne foi a son mot à dire

dès la phase précontractuelle (V. les développements de P. Jourdain, in La bonne foi, Travaux de

l'Association Henri Capitant, t. XLIII, Litec 1994, p. 121 et s., spécial. p. 128 et s.- Ph. le Tourneau, Rép.

civ. vis Bonne foi. - Com. 20 mars 1972 et 22 avr. 1997, CA Paris, 18 janv. 1996, préc., citent

expressément le manquement à la bonne foi dans la rupture de pourparlers.- Unidroit, Principes, préc.,

art. 2. 15, 2.- c. civ. du Québec, art. 1372). Comme les fiancés, les plénipotentiaires conservent

assurément la liberté de rompre (V. supra), mais dans la dignité, la loyauté étant sauve, sans bafouer la

légitime confiance qui s'était instaurée (CA Rennes, 8 juill. 1929, DH 1929. 548, compare la rupture des

pourparlers à celle des fiançailles). Cela implique que la courtoisie soit respectée, tant dans la forme que

dans le moment de la rupture. Il existe une sorte de « devoir de préparation psychologique du partenaire à

cette épreuve » (J.-M. Mousseron, Les procédures informelles d'échange des consentements, in L'échange

des consentements, Rev. jur. com. 1995 [n° spécial], p. 23, spéc. p. 26).- Adde sur la conduite des

pourparlers, Ph. le Tourneau, De l'art et de la manière de négocier et conclure les contrats internationaux,

GP 1996, 1, doctr., p. 8 et s.).

14. Tels des tourtereaux, les négociateurs doivent être ardents et enthousiastes, pour parvenir à franchir

les obstacles. Ils visent aussi la transparence, la confiance impliquant la sincérité (Cass. 1re civ., 6 janv.

1998, préc., où la faute consistait notamment en des réticences et fausses déclarations). La bonne foi

implique encore la persévérance, afin de ne pas fléchir et rompre dès les premiers vents contraires, alors

qu'ils ne sont pas insurmontables. Une persévérance dynamique et inventive, animée qu'elle est par le

désir d'aboutir. La persévérance est créatrice. Mais la comparaison avec les fiancés s'épuise au moment de

noter l'exigence d'être sérieux pesant sur les négociateurs ; sauf à prétendre qu'il doit en aller de même

des premiers, car serait blâmable qui se fiancerait « pour rire », sans le dessein de parvenir à la

sublimation par de justes noces. Notre rapporteur de synthèse a même été jusqu'à écrire que chaque

négociateur avait un devoir de tempérance, consistant à modérer les ardeurs et « espérances de son vis-à-

vis », pour lui éviter une trop grande désillusion en cas de fiasco (op. cit.). Dès lors, en ce sens les rudes

négociateurs comme les tendres fiancés doivent être sérieux, et sont condamnables ceux qui, sans feu ni

loi, sans foi ni moeurs, n'agissent pas de la sorte (V., pour les contractants, B. Fages, Le comportement du

contractant, préf. J. Mestre, PUAM, 1997, n° 571 et s.).

15. Une faute intentionnelle n'est pas nécessaire : la responsabilité est engagée en présence d'une simple

faute, selon la règle de principe en matière de responsabilité civile (V. dans le même sens L. Boyer, Rép.

civ., vis Contrats et conventions, n° 176 ; J. Ghestin, La formation du contrat, LGDJ, 3e éd., 1993, n°

330.- Contra Cass. 1re civ., 1

er avr. 1976, Bull. civ. I, n° 122 ; RTD civ. 1977. 127, obs. G. Durry, exigeant

à tort l'intention de nuire). La faute, constitutive de mauvaise foi (et en même temps souvent d'abus : V.

Com. 20 mars 1972, préc., mais cette qualification n'ajoute rien), consiste à rompre « sans motif légitime

Page 73: Note de Synthese_Les Pourparlers

73

» (Com. 7 janv. 1997, D. 1998. 45, note P. Chauvel ), c'est le reproche gérérique. Elle revêt des

modalités les plus diverses. En voici un échantillon : avoir entamé les discussions sans avoir l'intention de

les mener à terme et d'avoir ainsi fait naître de vains espoirs (Cass. 1re civ., 1

er avr. 1976, préc., alors que

l'initiateur des discussions n'était pas titulaire du droit, objet du contrat projeté.- Unidroit, Principes, préc.,

art. 2. 15, 3) ; ou pour avoir accès à des connaissances et savoirs-faire secrets (comp. CA Paris, 4 juin

1992, RDPI 1993/49, p. 68) ; les avoir rompues brusquement, sans raison sérieuse (Com. 20 mars 1972

et 22 févr. 1994, préc.), ou après une très longue durée (comp. CA Versailles, 21 sept. 1995, RJDA 1996,

n° 178 et 179, après quatre années de négociations d'un contrat d'importance.- Com. 7 janv. 1997, préc.)

; ou encore, le fait de conduire des pourparlers avec quelqu'un sur la base d'un prix exagéré, tout en en

menant d'autres avec un tiers à un prix inférieur (Civ. 2e, 4 juin 1997, préc.), ou de présenter tardivement

de nouvelles exigences (Com. 22 févr. 1994, préc.). En revanche, entamer des négociations avec plusieurs

partenaires éventuels pour un seul contrat n'est pas fautif en soi, en l'absence de contrat de négociation

accordant une exclusivité (Com. 15 déc. 1992, RJDA 1993, n° 296 ; RTD civ. 1993. 577, obs. J. Mestre

.- CA Bordeaux, 11 juin 1997, JCP 1997 éd. E. I. 617, n° 1, obs. P. Mousseron.- T. com. Valenciennes, 20

janv. 1998, Expertises 1998. 196).

16. Plusieurs éléments sont pris en considération dans l'appréciation de la faute : les frais engagés,

l'importance et la singularité (ou non) du contrat discuté, l'état d'avancement des négociations avant la

rupture et leur durée (CA Riom, 10 juin 1992, RJDA 1992. 732 ; RTD civ. 1993. 343, obs. J. Mestre ,

rupture après de longs et intenses pourparlers.- CA Paris, 18 janv. 1996, préc., pas de faute car,

précisément, les négociations étaient peu avancées.- Com. 7 janv. 1997, préc., refus sans explications des

trois propositions finales, intervenues après de longues négociations.- CA Paris, 17 oct. 1997, RJDA 1998.

133, rupture non fautive, car opposition sur le prix manifesté dès le début.- Cass. 1re civ., 6 janv. 1998,

préc., rupture la veille de la signature de la promesse, alors que les négociations étaient fort avancées,

même si elles avaient été brèves), etc. Entre aussi en ligne de compte l'état ou non de professionnel de

l'auteur et de la victime de la rupture (V. CA Paris, 18 janv. 1996, préc., relevant que les plaideurs étaient

des « professionnels avertis »). La faute ne doit pas pour autant être qualifiée, seulement le modèle de

comparaison change et impose une diligence plus grande (Ph. le Tourneau et L. Cadiet, Droit de la

responsabilité, op. cit., n° 1618). Lorsqu'une seule des parties en pourparlers était un professionnel, son

sort dépendra de sa place dans l'échec : auteur ou victime. S'il est l'auteur, sa responsabilité sera plus

facilement engagée, car il a bafoué la confiance qui avait été légitimement placée en lui à raison de son

état ; à l'inverse, s'il est la victime, il lui sera difficile de prétendre qu'il a été le jouet d'un profane : rompu

aux négociations, il a dû (ou aurait dû) rester sur ses gardes, et n'a subi qu'un risque normal dans les

affaires (particulièrement pour les contrats importants, où le pourcentage de contrats conclus par rapport

aux pourparlers engagés est infime).

17. L'auteur de la faute n'est pas forcément celui qui a pris la décision de mettre un terme aux

négociations, si celle-ci n'a été que la conséquence des actes ou défaillances de l'autre, faisant par

exemple traîner les choses en lenteur, au risque de perdre un marché important. La faute est parfois

commune au négociateur et à un tiers, qui a été l'incitateur, soit par malveillance, soit plus probablement

parce qu'il entend contracter avec l'intéressé. C'est une hypothèse typique de tierce-complicité (comp.

Com. 22 févr. 1994, préc.).

18. Souvent, dans les affaires, les négociations impliquent, pour qu'elles soient sérieuses, que des

informations confidentielles et des connaissances, voire des éléments d'un savoir-faire, soient échangés

entre les parties. Certaines de ces données peuvent procurer un avantage concurrentiel à son bénéficiaire.

En l'absence même d'une clause ad hoc de confidentialité (fréquente lorsque les révélations sont

importantes), la bonne foi impose au sachant de ne pas les divulguer et même, sans doute, de ne pas les

utiliser si, finalement, le contrat n'est pas signé (Unidroit, Principes, préc., art. 2. 16, p. 55). Celui qui

divulguerait ou utiliserait ainsi une information commettrait une faute délictuelle ; elle méritera

éventuellement d'entrer dans la catégorie de la concurrence déloyale ou dans celle des agissements

parasitaires (CA Paris, 8 juill. 1972, JCP 1973 éd. G. II. 17509, note J.-M. Leloup, idée de chanson.- Com.

3 oct. 1978, Chantiers modernes, Bull. civ. IV, n° 208, communication d'une demande de brevet à un tiers

pour envisager la fabrication.- 3 juin 1986, Bull. civ. IV, n° 110.- T. com. Meaux, 3 nov. 1987, Expertises

1988. 122.- CA Paris, 1er févr. 1989, Juris-Data n° 020420, remise à quelqu'un d'un scénario en vue de sa

réalisation.- CA Paris, 5 mai 1991, Expertises 1994. 234.- TGI Paris, 31 oct. 1991, PIBD 1992. III. 169,

Page 74: Note de Synthese_Les Pourparlers

74

demande de brevet.- CA Paris, 30 juin 1997,Gaz. Pal. 1998, Somm. 7 janv., à propos d'une plaquette

publicitaire.- Contra Cass. 1re civ., 5 oct. 1994, RIDA 1995, p. 205, pour l'idée d'un scénario pour la

télévision.- TGI Paris, 27 juin 1997, PIBD 1997. III. 661, utilisation par Givenchy d'idées émises par un

concepteur au cours de réunions de travail.- Comp. Com. 7 févr. 1995, aff. « La nuit des héros », JCP

1995 éd. G. II. 22408, note Ph. le Tourneau.- V. Ph. le Tourneau, Parasitisme, Litec 1998). Autrement dit,

les pourparlers comportent implicitement une obligation double : « de réserve et de discrétion » (la

formule se trouve dans CA Paris, 1er févr. 1989, préc.), quant aux indications techniques et au savoir-faire

qui peuvent être dévoilés (par réserve, il faut entendre ne pas exploiter). Elle est du reste réciproque.

19. Paradoxalement, dans certaines circonstances c'est l'absence de rupture qui sera fautive. S'il n'est pas

demandé aux contractants d'être désintéressés et d'avoir une visée altruiste, la jurisprudence tend

néanmoins à exiger de leur part qu'ils renoncent à leur intérêt, donc à contracter, lorsque l'autre partie

n'est pas en mesure de faire face aux engagements qu'elle va souscrire (Com. 22 févr. 1994, Bull. civ. IV,

n° 72 ; RTD civ. 1994. 850, obs. J. Mestre ), ou que le projet en cause est dangereux (CA Paris, 26 juin

1991, Contrats, conc., cons., 1992, n° 42, obs. G. Raymond), pour les salariés, les consommateurs ou

l'environnement. De même du projet qui n'est pas sérieux. C'est une immoralité aussi scandaleuse que la

corruption, bien que les censeurs soient fort silencieux à cet égard, que de proposer ou d'accepter un

contrat dont l'objet est disproportionné aux besoins du client, inutile, ou dont les tenants et aboutissants

ont été insuffisamment examinés. A cet égard, les études du projet doivent avoir été menées à fond, sous

tous ses aspects (anthropologiques et culturels, ethniques et ergonomiques, climatiques et écologiques.-

V. sur tout cela Ph. le Tourneau, Ingénierie et transfert de maîtrise industrielle, J.-Cl. Contrats distribution,

fasc. 1820, n° 124 et s.).

La rupture postérieure à l'émission d'une offre

20. A la rupture des négociations il convient de joindre les incidents relatifs aux offres, qui sont soumises

aux mêmes principes. En effet, en premier lieu, une offre est révocable tant qu'elle n'a pas été acceptée

(Req. 11 déc. 1901, DP 1903, 1, 114, et une nombreuse jurisprudence postérieure). Mais « l'offre faite au

public lie le pollicitant à l'égard du premier acceptant, dans les mêmes conditions que l'offre faite à une

personne déterminée » (Cass. 3e civ., 28 nov. 1968, Gaz. Pal. 1969. 1, p. 95). Aussi sa révocation peut

entraîner la responsabilité lorsqu'elle est hâtive, et que le retrait fautif cause un préjudice au destinataire

(CA Paris, 3 déc. 1959, JCP 1961 éd. G. II. 12308, note C. Gavalda.- Soc. 22 mars 1972, D. 1972. 468,

retrait fautif par un employeur d'un engagement d'emploi.- TGI Paris, 11 janv. 1995, JCP 1996 éd. E. I.

523, n° 3, obs. J.-M. Mousseron, retrait de l'offre de la vente d'une quote-part d'un brevet.- V. not. sur

cette question, S. Mirabail, La rétractation en droit privé français, préf. J.-P. Marty, LGDJ, 1997, p. 95 et

s.). La faute la plus fréquente consiste à rétracter inopinément l'offre avant que son destinataire ait eu

réellement le temps de l'apprécier. Or une offre n'a de sens que si elle est maintenue pendant un délai

raisonnable, conforme aux usages (ou dans quelques cas rares imposé par la loi), qui varient selon les

professions. Mais, passé ce délai raisonnable, l'offre devient caduque ; l'offrant retrouve alors sa pleine et

entière liberté (Cass. 3e civ., 20 mai 1992, Bull. civ. III, n° 164 ; D. 1992. Somm. 397, obs. J.-L. Aubert

; D. 1993. 493, note G. Virassamy ; en l'espèce, l'offre de vente était restée sans réponse pendant huit

mois et demi, alors même que son destinataire avait été relancé).

21. Quant au destinataire de l'offre, il reste en principe toujours libre de refuser de la saisir (Req. 24 nov.

1924, S. 1925. 1. 217, note J. Brèthe de la Gressaye). Toutefois, son refus pourrait devenir abusif, par

exemple s'il intervenait après un long délai (comp. Cass. 1re civ., 19 janv. 1977, D. 1977. 593, note J.

Schmidt, impl.), ou s'il lui donnait une large publicité dans la presse.

Paroles qui sèment la tempête

22. Les paroles de désamour, révélatrices d'un comportement blâmable, sèment la tempête, créent un

bouleversement fâcheux, un désordre inacceptable, auquel le droit s'efforce de remédier. Que la rupture

soit intervenue en douceur ou avec fracas, elle cause parfois un dommage. Dans ce cas, la victime

bénéficie d'un droit à réparation. Mais à quelle réparation ? Peut-elle être en nature, ou seulement par

équivalent ?

Page 75: Note de Synthese_Les Pourparlers

75

La réparation en nature

23. Le mode idéal de réparation est en nature, de sorte qu'elle doit être recherchée, lorsqu'elle est

possible. Elle consiste toujours à remettre les parties dans la situation qui était la leur avant la commission

de l'acte dommageable. Donc, en l'espèce, avant la rupture intempestive et fautive des pourparlers.

Autrement dit, elle prendrait la forme d'une injonction judiciaire de reprendre les négociations au point où

elles étaient parvenues. Enoncer cette mesure en montre immédiatement le caractère irréaliste ou, plutôt,

utopique : combien même ne serait-elle pas impossible en vertu de l'article 1142 du code civil, comment

contraindre réellement des personnes à reprendre leurs entretiens d'un coeur léger et à jouer le jeu ? Ce

serait occasionner inutilement des frais et des atermoiements aux deux parties, étant assuré que jamais

elles ne parviendraient à un accord dans de telles conditions.

24. A priori, la mesure serait moins incongrue en présence de personnes qui seraient déjà parvenues à

s'entendre sur l'idée d'un contrat, par un accord de principe, faisant « basculer » les pourparlers vers le

domaine contractuel (l'expression est de A. Laude, in La reconnaissance par le juge de l'existence d'un

contrat, préf. J. Mestre, PUAM, 192, n° 848). En réalité, cela ne change pas grand chose, sauf la nature de

la responsabilité en cause. En effet, l'accord de principe est un accord préliminaire par lequel les parties ne

s'engagent qu'à négocier de bonne foi un deuxième contrat, dont elles ne précisent ni les clauses

essentielles ni, a fortiori, les clauses accessoires (V. Ph. le Tourneau et L. Cadiet, Droit de la responsabilité,

op. cit., n° 267). La seule obligation qui en résulte est la reprise des pourparlers, sans du reste

d'engagement d'aboutir (obligation de moyens.- CA Paris, 27 mai 1980, D. 1981. 314, note Ph. le

Tourneau.- Soc. 19 déc. 1989, D. 1991. 62, note J. Schmidt ; RTD civ. 1991. 330, obs. J. Mestre .-

Comp. CA Paris, 18 janv. 1996, D. Affaires 1996, p. 292, procès-verbal « d'entrée en négociations »). Le

refus de négocier, ou la rupture de mauvaise foi des négociations, est alors une défaillance contractuelle.

Dès lors, la même impossibilité de fait empêche une véritable réparation en nature.

25. Toutefois, il a été suggéré que le tribunal puisse désigner un mandataire de justice avec la mission de

poursuivre la négociation à la place de la partie récalcitrante (J. Cédras, L'obligation de négocier, RTD com.

1985. 265, spéc. p. 281, tout en émettant des réserves). Mais une telle possibilité paraît exorbitante, pour

ne pas dire extravagante. Tout au plus serait-elle admissible dans l'hypothèse, très marginale, où l'accord

ne serait pas seulement de principe, mais un protocole d'accord (v. Ph. le Tourneau et L. Cadiet, Droit de

la responsabilité, op. cit., n° 270), prévoyant les engagements essentiels des parties : le juge pourrait

alors « parfaire l'accord des parties sur les points secondaires du contrat » (A. Laude, op. cit., n° 853), et

le jugement tiendrait lieu de contrat. Malgré tout, je répugne à cette solution, qui se passerait de la

volonté des parties dans la conclusion d'un contrat. L'imperium du juge bute sur une limite tirée autant du

droit que du bon sens. Au demeurant, il n'est point d'arrêt en ce sens. La seule jurisprudence qui existe

porte sur une question voisine mais différente : celle du retrait d'une offre postérieurement à son

acceptation. Cependant, si dans ce cas le juge déclare le contrat formé, malgré la rétractation du

pollicitant, c'est que celle-ci était inopérante, dans la mesure où le contrat existait déjà bel et bien. Aussi,

il ne s'agit nullement de la naissance forcée d'un contrat, mais d'une simple constatation d'un état de fait

et de droit.

La réparation par équivalent

26. A défaut de réparation en nature, qui serait une vraie réparation stricto sensu, force est de se tourner

vers un substitut, que je préfère appeler une compensation, par équivalent (des espèces sonnantes et

trébuchantes). Elle doit correspondre à l'entier préjudice, et donc prendre en compte tant la perte

éprouvée que le gain manqué. Son montant est toujours évalué librement par les juges du fond, dans la

limite de la demande du plaideur.

27. Le dommage subi par la victime est d'abord une perte éprouvée (damnum emergens), au premier chef

matérielle, tels les frais engagés, liés aux déplacements (Com. 20 mars 1972 ; CA Liège, 19 nov. 1996,

préc.), à l'aménagement de locaux (Cass. 3e civ., 9 oct. 1972, Bull. civ. III, n° 491), aux heures passées à

négocier, aux études effectuées (Com. 7 janv. 1997, préc., accorde comme dommages et intérêts le

remboursement des frais d'études), éventuellement à la mise au point d'un procédé ou d'un prototype,

Page 76: Note de Synthese_Les Pourparlers

76

etc. Certes, un professionnel connaît les risques de rupture de négociations, engendrant des pertes sèches

: il les intègre dans ses prévisions financières (Com. 22 mai 1978, D. 1978. IR. 408, obs. C. Larroumet.-

CA Rennes, 29 avr. 1972, JCP 1993 éd. G. IV. 1520.- Saleilles, De la responsabilité précontractuelle, RTD

civ. 1907. 697 et s., spéc. p. 700) ; mais il n'entend pas accepter celles qui résultent de la mauvaise foi : il

veut en être indemnisées (contra B. Lassalle, Les pourparlers, RRJ 1994/3, p. 825, spéc. p. 851-852 ; il

est vrai que quelques rares arrêts considèrent, à tort, que ces dommages sont inhérents à la gestion de

toute entreprise, notamment CA Pau, 14 janv. 1969, D. 1969. 716.- Com. 30 nov. 1971, Bull. civ. IV, n°

288). La rupture peut également, assez rarement, générer un préjudice moral, telle une atteinte à la

réputation commerciale lorsqu'elle a connu un certain retentissement, et qu'elle laisse planer un doute sur

la compétence ou l'honnêteté de la victime.

28. A côté de la perte éprouvée, le gain manqué (lucrum cessans) est traditionnellement un chef de

réparation. Encore faut-il s'entendre sur ce qu'il couvre en l'espèce. Trois hypothèses sont imaginables et

se rencontrent dans la réalité. D'abord, l'atteinte à la réputation peut nuire à la conclusion de contrats

dans l'avenir. Ensuite, ayant noué des pourparlers qui paraissaient prometteurs, une entreprise a pu

refuser de négocier avec un tiers, et a perdu l'occasion de conclure avec lui. En troisième lieu, la rupture

des pourparlers actuels prive la victime des bénéfices qu'elle pouvait escompter de la conclusion de ce

contrat. Mais, dans les trois cas, il s'agit seulement de compenser la perte d'une chance, même si, dans le

dernier, la conclusion du contrat pouvait apparaître comme très probable. Ainsi, ce n'est pas le profit

espéré qui sera alloué au titre des dommages et intérêts, mais seulement une indemnité forfaitaire,

prenant en compte l'importance de l'aléa et la consistance de l'espoir (Com. 3 mai 1979, Bull. civ. IV, n°

137.- Cass. 2e civ., 27 févr. 1985, Bull. civ. II, n° 52.- Com. 12 juin 1987, Bull. civ. IV, n° 128 ; RTD civ.

1988. 107, obs. J. Mestre.- 6 juin 1990, Bull. Joly 1990, p. 768.- CA Riom, 10 juin 1992, préc.- Com. 2

nov. 1993, Bull. civ. IV, n° 380.- Cass. 1re civ., 15 nov. 1994, Bull. civ. I, n° 334.- CA Versailles, 9 oct.

1995, RTD civ. 1996. 383, obs. J. Mestre ). Car, après tout, non seulement le contrat n'aurait peut-être

pas été conclu, en définitive, mais, aurait-il même été signé, que des incidents auraient pu surgir, de toute

nature, qui se seraient traduits par une diminution du gain, peut-être par sa disparition, voire par une

perte. Combien de grands contrats internationaux, signés avec éclat, s'avèrent, tout compte fait, bien

décevants ! Autrement dit, pour reprendre une expression de la doctrine allemande, si l'intérêt négatif est

indemnisable, l'intérêt positif ne l'est pas.

29. Enfin, reste le cas particulier de l'utilisation par l'ancien négociateur adverse des informations et

savoirs-faire confidentiels, procurant un avantage concurrentiel. Une indemnité doit pouvoir être accordée

de ce chef à la victime, alors même qu'elle n'a pas subi une perte (du reste, il serait à la limite possible de

considérer que ce fait constitue à tout le moins et ipso facto un préjudice moral). Les Principes Unidroit

suggèrent habilement à ce titre que le manquement au devoir de confidentialité (même implicite) puisse «

donner lieu à une indemnité comprenant, le cas échéant, le bénéfice qu'en aurait retiré l'autre partie » (op.

cit., art. 2. 16, p. 55). Certaines décisions statuent déjà en ce sens en matière de contrefaçon, de

concurrence déloyale et de parasitisme (comp. CA Paris, 10 juill. 1986, JCP 1986 éd. G. II. 20712, note E.

Agostini.- 20 mars 1995, Gaz. Pal. 1995. 2. Somm. 473, indiquant que le contrefacteur ne doit pas être

traité comme un cocontractant, c'est-à-dire que les dommages et intérêts doivent dépasser la redevance

d'un licencié). J'y vois une heureuse application de ce que j'ai baptisé le « pouvoir de discernement des

juges » (Ph. le Tourneau et L. Cadiet, Droit de la responsabilité, op. cit., nos 32 et s.). Beaucoup plus

radicalement, certaines décisions transfèrent à la victime la propriété d'une marque ou d'un brevet

déposés à son détriment par quelqu'un étant en relation avec elle. Ainsi, un tribunal arbitral a contraint le

déposant de brevets et de demandes de brevets, développés grâce aux informations qui lui avaient été

confiées lors de pourparlers, à céder ces brevets et demandes de brevets dans tous pays à la victime

(Sentence n° 8694, JDI 1997, p. 1056 et s., obs. Y. D. : dans cette affaire une clause de confidentialité

avait été signée et non respectée.- Comp. Com. 13 févr. 1996, PIBD 1996. III. 279, à propos d'une

marque déposée frauduleusement par une personne, qui avait su lors de pourparlers qu'elle serait utilisée

par son partenaire).

30. Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, qui chantera l'amertume des espoirs brisés, des paroles

apparemment avenantes, mais fondamentalement décevantes et déceptives, des lendemains qui

déchantent ? L'éternelle nostalgie de ce qui aurait pu advenir, et qui est resté dans les limbes, les fleurs

qui se fanèrent sans tenir leurs promesses. L'imagination battait la chamade pour organiser l'avenir

Page 77: Note de Synthese_Les Pourparlers

77

incertain, le sertir dans la précision de clauses affinées. Chacun, dans une saine émulation, s'efforçait de

donner le meilleur de lui-même pour créer une oeuvre pérenne. Soudain, un mauvais coup de théâtre vînt

rompre cette belle ordonnance. Au miel des paroles d'espérance, promettant milles félicités du noeud

projeté, succèda le fiel du désamour, les propos amers qui sèment le vent du découragement et récoltent

la tempête des procès et de leurs coups fourrés. De l'inanité des projets humains et des désirs terrestres

... Bien fol qui s'y confine ! Désormais, dormiront dans les placards les ébauches des contrats, et dans les

prétoires les rescrits de la discorde et, au plus profond des coeurs, les remugles de la rancoeur. « Les

fantômes des idées mortes sont toujours avec nous » (Ibsen).

(1) Le 19 mai 1998, l'Université des sciences sociales de Toulouse (Toulouse I), centre de droit privé,

organisait un colloque sur le thème suivant : « La négociation du contrat ». Les actes de ce colloque, outre

le présent article, ont été publiés dans le n° 3/1998 de cette revue de la façon suivante :

J. Rojot, La gestion de la négociation, p. 447 .

B. Beignier, La conduite des négociations, p. 463 .

X. Birbès, L'objet de la négociation, p. 471 .

P. Le Tourneau, La rupture des négociations, p. 479 .

P.-Y. Gautier, Les aspects internationaux de la négociation, p. 493 .

L. Rozès, Projets et accords de principe, p. 501 .

C. Paulin, Promesse et préférence, p. 511 .

M.-L. Izorche, Contrats conditionnels et définitifs, p. 521 .

A. Laude, Le constat judiciaire des pourparlers, p. 551 .

J.-M. Mousseron, Rapport de synthèse, p. 559 .

Ce rapport a été rédigé et présenté avant la publication de l'article de P. Mousseron, Conduite des

négociations contractuelles et responsabilité civile délictuelle, RTD com. 1998. 243 et s. , dont il n'a pas

été possible de tenir compte.

Copyright 2015 - Dalloz – Tous droits réservés

Page 78: Note de Synthese_Les Pourparlers

78

Document 21 :

Promesse et préférence, C. Paulin, RTD Com. 1998 p.511

RTD Com. 1998 p. 511

Promesse et préférence (1)

Christophe Paulin, Professeur à la Faculté de droit de l'Université des sciences sociales de

Toulouse

Promesse et préférence. Le prosaïsme des intitulés du colloque ne fait que mieux ressortir la poésie de

ces mots. « Que ne suis-je un poète de race pour dire à leur louange un éternel blason » (2). Des

poètes, sans doute y en a-t-il eu. Des juristes, certainement : Voirin, Starck, Boyer, d'autres se sont

intéressés au sujet (3).

Et parce qu'aucun poète n'a jamais interprété plus librement qu'un juriste la réalité, aucun d'eux n'a la

même conception des notions qu'ils étudient. Le pacte de préférence a été analysé comme une promesse

d'offre, comme la source d'un droit de préemption ou encore comme une promesse unilatérale

conditionnelle. La promesse elle-même a été considérée comme le contrat sous condition suspensive,

comme la source d'un droit potestatif du bénéficiaire ou encore comme un contrat engendrant une

obligation de faire, celle de maintenir le consentement ou de s'engager à conclure.

La jurisprudence, plus terre à terre, ne s'embarrasse pas de subtilités. Elle décide que la violation du

pacte de préférence comme celle de la promesse se résout principalement en dommages et intérêts. Elle

condamne la substitution de contractants mais admet, en revanche, la nullité du contrat. Ce sont, pour le

pacte de préférence, les arrêts de la chambre commerciale et de la troisième chambre civile de la Cour

de cassation du 7 mars 1989 (4) et du 30 avril 1997 (5). Ce sont, pour la promesse, les arrêts de la

même juridiction du 15 décembre 1993 (6) et du 26 juin 1996 (7).

L'enjeu essentiel du débat, en effet, est celui des sanctions de la violation du pacte de préférence et de la

promesse. Et puisque, selon les juges, les sanctions sont identiques, l'on est conduit à s'interroger.

Existe-t-il entre la promesse et la préférence une identité de nature qui justifierait cette identité de

sanction ?

Curieuse question. Préférer, ce n'est pas promettre. Par la préférence, le débiteur - que l'on qualifie

toutefois, habituellement, de promettant - ne donne pas son consentement au contrat. Il s'engage, pour

le cas où il se déciderait à contracter, à proposer d'abord au créancier, à lui donner la préférence. En

revanche, dans la promesse, le promettant donne son consentement au contrat ou tout au moins

s'engage à le donner. Il semble donc qu'entre préférence et promesse il existe la même différence

qu'entre éventualité et décision.

Pourtant, entre préférence et promesse, il existe une différence de degré, non de nature. Préférence,

promesse (8), constituent les étapes qui, sans solution de continuité, conduisent à la conclusion du

contrat envisagé. Elles sont toutes deux porteurs du même contenu, le consentement d'une partie au

contrat. Elles sont toutes deux porteurs d'une offre.

L'offre, le consentement au contrat, est en germe dans le pacte de préférence. Il est affirmé dans la

promesse. Mais l'essence de ces actes reste la même. Ainsi, si le débiteur de la préférence se décide à

contracter, sa préférence va se muer en offre, soutenue par un contrat. Autant dire qu'elle va se muer en

promesse : préférence porte promesse (I).

Egalement, la promesse, manifestant la volonté du promettant de contracter, exprime son offre. Elle est

une offre fixée par un contrat. Quel que soit le support, contrat ou acte unilatéral, la volonté exprimée

Page 79: Note de Synthese_Les Pourparlers

79

n'est pas différente. Il s'agit toujours de la volonté de contracter : promesse vaut offre (II).

Préférence porte promesse

Deux stades sont à distinguer. Lors de la conclusion du pacte, la promesse est en germe (A). Lorsque

survient l'intention de contracter, le pacte devient promesse. C'est la novation du pacte (B).

La conclusion du pacte

Dès sa conclusion, le pacte contient en germe la promesse de contrat. Ceci se vérifie au regard de son

objet et de ses sanctions.

L'objet du pacte suscite différentes analyses. Si l'on écarte le droit de préemption, remarquablement

critiqué (9), deux nous retiendront :

Selon une première conception, par le pacte, le promettant s'engage, s'il se décide à conclure, à adresser

l'offre au bénéficiaire (10). Il constitue, en quelque sorte, une promesse d'offre. Cette analyse est

concevable lorsque le prix n'est pas déterminé (11). En ce cas, le pacte ne crée bien qu'une obligation

de faire, adresser l'offre et conduire loyalement les pourparlers.

En revanche, lorsque le prix est fixé dans le pacte, ou doit être fixé par un tiers, tel celui qui adressera au

promettant une offre de contrat, le pacte contient les éléments de l'offre. Il détermine la chose et son

prix.

A quoi bon alors adresser une offre, puisque le destinataire à déjà connaissance des éléments du contrat

? Surtout, considérer que par le pacte le promettant s'engage à adresser l'offre est critiquable. S'engager

à adresser l'offre, c'est déjà l'adresser : le promettant a fait part de sa volonté de conclure avec le

bénéficiaire le contrat dont les conditions sont précisées, pour le cas où il se déciderait à contracter

(12). Il faudra encore qu'il l'informe de son désir de contracter, mais non qu'il lui adresse une offre.

Selon une autre analyse, classique, le pacte est une promesse conditionnelle. Cette conception était

notamment défendue par Planiol et Ripert (13). Elle a été critiquée, en ce que l'on a observé que la

condition, modalité d'un acte, élément adventice, ne pouvait pas être un élément essentiel du contrat. Le

consentement au contrat définitif, objet même de la promesse, ne peut être une condition de celle-ci

(14).

Il n'en demeure pas moins qu'un arrêt du 16 mars 1994 de la troisième chambre civile de la Cour de

cassation (15) analyse comme une promesse conditionnelle le pacte de préférence et le soumet au

même régime de publicité foncière que la promesse unilatérale (16).

Il n'en demeure pas moins non plus que l'analyse du pacte comme une promesse conditionnelle met bien

en évidence que la promesse est en germe dans le pacte : seule lui manque l'intention de contracter. Et

parce que la promesse est en germe, le bénéficiaire du pacte jouit d'une protection en cas de violation

Les sanctions du pacte de préférence confirment l'idée selon laquelle le pacte porte la promesse. Le

bénéficiaire jouit, dès la conclusion du contrat, d'une perpective préservée, celle de bénéficier de la

promesse. Aussi, comme en matière de promesse, le promettant doit-il, en matière de pacte, s'abstenir

de compromettre la réalisation ultérieure de l'opération : de même qu'il ne peut compromettre la

conclusion du contrat définitif avant la levée de l'option, il ne peut vider de sa substance l'éventualité de

la promesse en accordant des droits incompatibles avec le pacte à un tiers (17).

Certes, à l'égard de la promesse, la jurisprudence admet la nullité des actes contraires au droit du

bénéficiaire, alors même que celui-ci n'a pas manifesté l'intention de lever l'option : elle annule, par

exemple, l'hypothèque consentie. Le bénéficiaire du pacte ne jouit pas en revanche d'une protection aussi

radicale : la promesse, en effet, ne demeure qu'à l'état d'éventualité. L'intention de conclure lui donnera

sa perfection.

Page 80: Note de Synthese_Les Pourparlers

80

La novation du pacte

La survenance de la volonté de contracter donne au pacte toute son efficacité. A ce moment, le

promettant se trouve bien engagé envers le bénéficiaire à contracter, par l'effet du pacte.

L'on se trouve alors bien en présence d'une promesse unilatérale de contrat : le promettant s'était, par

une convention, engagé à contracter, s'il souhaitait contracter. Il souhaite maintenant le faire. Son

consentement au contrat est donc donné, en vertu d'un accord de volonté. Il s'agit donc bien d'une

promesse unilatérale de contrat.

Techniquement, si l'on écarte le recours à la condition, c'est par la novation que pourrait se produire

cette mutation. L'intention de nover étant exprimée par le pacte lui-même, et subordonnée à l'intention

de contracter.

Dès lors qu'il a décidé de contracter, le promettant se trouve engagé à conclure avec le bénéficiaire du

pacte. Autant dire qu'il a donné son consentement au contrat. S'engager à conclure n'a pas de sens : on

manifeste pas là même sa volonté de contracter (18).

Le bénéficiaire jouit donc de la possibilité d'accepter le contrat par sa seule volonté. Situation qui évoque

la levée de l'option. Et il s'agit bien, relève M. Najjar, d'un droit potestatif (19).

Ainsi le pacte de préférence confère-t-il à son bénéficiaire un droit potestatif d'acceptation, certes

éventuel lors de la conclusion du pacte, mais que la décision de contracter du promettant rend parfait.

Ainsi le pacte, à partir de ce moment, vaut promesse. Mais que vaut la promesse ?

Promesse vaut offre

Dire que promesse vaut offre (20) n'est pas confondre convention et acte unilatéral, mais simplement

constater que l'une n'est pas plus efficace que l'autre. C'est ce qui résulte de la jurisprudence, pour

laquelle les sanctions de l'inexécution de la promesse consistent uniquement dans des dommages et

intérêts (21).

C'est donc en s'interrogeant sur l'objet de la promesse (A) qu'il sera possible d'apprécier les sanctions de

sa violation (B).

L'objet de la promesse

Comme l'offre, la promesse contient le consentement au contrat. A la différence de l'offre, la promesse

fixe le consentement au contrat.

La promesse n'est pas l'engagement de conclure. Elle n'emporte pas l'obligation de faire qui consisterait à

donner son consentement au contrat, pour la simple raison que prendre un tel engagement, c'est déjà

consentir. Par la promesse, comme par l'offre, le promettant exprime sa volonté de conclure le contrat

(22). Aussi la levée de l'option, qui forme le contrat, n'est-elle rien d'autre que l'acceptation du contrat

(23).

La seconde caractéristique de la promesse est qu'elle fixe le consentement du promettant dans le temps

à l'égard de son destinataire.

Selon une analyse courante, le promettant s'engage à maintenir son offre, lui conférant par là sa

permanence. La promesse engendre une obligation de faire, celle de maintenir le consentement (24).

Cette conception est critiquable : elle réduit la situation du bénéficiaire à un simple droit personnel, à un

simple droit de créance. Or, le droit du bénéficiaire s'exerce moins sur la personne du contractant que sur

la situation juridique qui en résulte. C'est le pouvoir de former le contrat, non celui d'exiger que le

Page 81: Note de Synthese_Les Pourparlers

81

débiteur continue à consentir, ce qui n'a d'ailleurs guère de sens.

De plus, admettre l'existence d'une obligation de faire, c'est admettre du même coup qu'elle peut ne pas

être exécutée. C'est poser en principe la possibilité d'une rétractation du promettant, qui ne peut être

sanctionnée ni par une exécution forcée ni par une réparation en nature. Comment contraindre le

promettant à respecter son engagement, si ce n'est en le forçant à consentir ? Et comment ce

consentement, contraint, pourrait-il former le contrat ? L'on comprend alors, dans cette analyse, le visa

des arrêts de la Cour de cassation selon lequel la promesse, comme le pacte, n'engendrent qu'une

obligation de faire dont la violation n'est pas susceptible d'exécution forcée. La doctrine, si critique à

l'égard de cette jurisprudence doit pourtant reconnaître que celle-ci n'adopte qu'une conception que les

auteurs ont eux-mêmes forgés de la promesse unilatérale.

Pas d'avantage la promesse n'engendre une obligation de ne pas faire. Ici encore, c'est réduire la

situation du bénéficiaire à celle d'un créancier et admettre l'efficacité d'une inexécution de l'obligation.

Plutôt que comme un contrat engendrant une obligation, la promesse doit être considérée comme une

convention fixant le consentement dans le temps. Par la convention, la volonté des parties a donné au

consentement du promettant sa permanence. Le promettant ne s'est pas engagé à maintenir l'offre ou à

ne pas la rétracter, ce qui suppose qu'il pourrait faire l'inverse. Il a simplement déclaré je m'engage pour

telle durée, et le destinataire a accepté. Cet accord, en vertu de la force obligatoire des contrats, donne

au consentement son caractère définitif (25).

Les analyses doctrinales adoptent ainsi une conception de la promesse qui la rapproche de l'offre, en

supposant un maintien permanent du consentement. Il ne faut pas alors être surpris que la jurisprudence

leur applique les mêmes sanctions.

Les sanctions de la violation de la promesse

La promesse et l'offre ont un point commun : elles expriment tous deux le consentement de l'émettant à

l'acte. La supériorité de la promesse sur l'offre réside dans ce qu'elle est une convention. La rétractation,

contraire à l'irrévocabilité des conventions, devrait donc être inefficace. Si le promettant a contracté avec

un tiers, le contrat devrait être, pour peu que le tiers ait eu connaissance de la promesse, inopposable au

bénéficiaire. Inopposable et non nul (26). Par conséquent, le bénéficiaire pourrait lever l'option et

former le contrat à son profit (27).

S'agissant à l'inverse, d'une pollicitation, acte unilatéral, l'efficacité de principe de la rétractation devrait

être admise (28). La force obligatoire des conventions, n'ayant pas à s'appliquer ici, ne fait pas

obstacle à la libre révocabilité. Seules les circonstances de la révocation, établissant qu'elle est fautive,

pourraient justifier une indemnisation.

Il serait alors possible, en une conclusion prudente, de terminer en précisant que, non, contrairement à

une jurisprudence discutable, qu'appuie bien involontairement la doctrine par certaines analyses de la

promesse (29), celle-ci ne se réduit pas à une simple offre.

Ce n'est cependant pas sur cette observation que s'achèvera ce travail. Certes, le consentement exprimé

par la convention jouit de la permanence. Mais la situation est-elle différente dans l'offre ? Celle-ci,

paraît-il, supposerait une réitération perpétuelle de la volonté de son auteur (30). Ce qui explique sa

caducité en cas de décès (31). De même, dit-on, l'offre est librement révocable (32). Pourtant, la

jurisprudence a déjà admis le maintien de l'offre nonobstant le décès de l'auteur, preuve que cette

solution n'a rien d'inconcevable (33). De même, elle sanctionne par des dommages et intérêts la

révocation de la pollicitation : c'est bien affirmer que, comme la promesse, l'offre jouit de la permanence.

Par hypothèse en effet, dès lors que l'offre a été adressée à un destinataire déterminé, voire, a fortiori,

qu'elle est assortie d'un délai afin d'acceptation (34), le bénéficiaire compte sur le maintien de l'offre

(35) et tout retrait intempestif est fautif et source de préjudice. Il faut donc reconnaître que, par nature

et indépendamment de tout support contractuel, la pollicitation jouit de la permanence (36) et, pas

davantage que la promesse, n'est librement révocable (37).

Page 82: Note de Synthese_Les Pourparlers

82

Cette permanence n'est-elle pas d'ailleurs indispensable, ne serait-ce que pour rencontrer l'acceptation ?

Le contrat se forme bien sans qu'il soit nécessaire que l'offrant réitère son consentement (38). Par

hypothèse, le consentement à un contrat, quel que soit l'acte qui le porte, s'inscrit dans la durée. On ne

conçoit pas, sauf rencontre immédiate de l'acceptation, une offre, même au sens strict, qui ne dure pas.

Le consentement disparaîtrait à peine formé.

Aussi, pourquoi ne pas admettre, pour la pollicitation, comme cela devrait être le cas en matière de

promesse, l'inefficacité de la rétractation : certains le pensent. M. Aubert, analysant la pollicitation

comme un engagement unilatéral, considère la rétractation comme impossible et estime que l'acceptation

survenue dans le délai forme alors le contrat (39). Solution consacrée par la loi en matière de prêt

(40). Et même si elle est un simple fait juridique, l'offre suppose le maintien du consentement, analysé

parfois par la doctrine, comme une obligation légale (41).

Certes, l'offrant a changé d'avis. Consentant jadis au contrat, il ne consent plus aujourd'hui. Comment

admettre alors la formation du contrat ? Pourtant, le promettant aussi ne consent plus au contrat. La

doctrine n'est pas pour autant hostile à la conclusion de celui-ci. Pourquoi alors ne pas admettre dans les

deux cas l'efficacité de l'acceptation ? Ce n'est pas la force obligatoire du contrat de promesse qui la

fonde, mais la permanence du consentement et l'inefficacité de sa rétractation qui résultent du fait qu'il a

été donné à un bénéficiaire déterminé.

Revenons au bénéficiaire du pacte de préférence. Il est plein d'espoir : préférence porte promesse.

Mais, lui rappelle le juge, promesse ne vaut qu'offre.

Consolons-le : offre vaut promesse.

A notre avis.

Mots clés :

CONTRAT ET OBLIGATIONS * Pacte de préférence * Promesse * Valeur

(1) Le 19 mai 1998, l'Université des sciences sociales de Toulouse (Toulouse I), centre de droit privé,

organisait un colloque sur le thème suivant : « La négociation du contrat ». Les actes de ce colloque,

outre le présent article, ont été publiés dans le n° 3/1998 de cette revue de la façon suivante :

J. Rojot, La gestion de la négociation, p. 447 .

B. Beignier, La conduite des négociations, p. 463 .

X. Birbès, L'objet de la négociation, p. 471 .

P. Le Tourneau, La rupture des négociations, p. 479 .

P.-Y. Gautier, Les aspects internationaux de la négociation, p. 493 .

L. Rozès, Projets et accords de principe, p. 501 .

M.-L. Izorche, Contrats conditionnels et définitifs, p. 521 .

A. Laude, Le constat judiciaire des pourparlers, p. 551 .

J.-M. Mousseron, Rapport de synthèse, p. 559 .

Page 83: Note de Synthese_Les Pourparlers

83

(2) G. Brassens. Ce travail consistant dans l'intervention effectuée lors du colloque réalisé par le centre

de droit des obligations de l'Université Toulouse I, il a semblé préférable de conserver le mieux possible

le style oral de l'exposé et de placer en notes de bas de page l'argumentaire juridique.

(3) Bibliographie indicative : A. Bénabent, Droit civil. Les obligations, Montchrestien, 5e éd., 1995 ; J.

Flour et J. L. Aubert, Les obligations, vol. 1. L'acte juridique, Coll. U, Armand Colin, 7e éd., 1996 ; J.

Ghestin, Traité de droit civil. La formation du contrat, LGDJ, 3e éd., 1993 ; C. Larroumet, Droit civil, t. 3,

Economica, 3e éd., 1996 ; A. Sériaux, Droit des obligations, PUF, 1992 ; F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette,

Droit civil. Les obligations,Dalloz, 6e éd., 1996 ; A. Bénabent, Droit civil. Les contrats spéciaux,

Montchrestien, 3e éd., 1997 ; F. Collart-Dutilleul et Ph. Delebecque, Contrats civils et

commerciaux,Dalloz, 3e éd., 1996 ; Ph. Malaurie et L. Aynès, Droit civil. Les contrats spéciaux, Cujas, 10

e

éd., 1997 ; F. Bénac-Schmidt, Le contrat de promesse unilatérale de vente, LGDJ, 1983, préf. J. Ghestin

; J. P. Désidéri, La préférence dans les relations contractuelles, PU. Aix-Marseille, 1997 ; A. Laude, La

reconnaissance par le juge de l'existence d'un contrat, PU. Aix-Marseille, 1992 ; C. Atias, La promesse

unilatérale de vente et la vente ultérieure à un tiers de mauvaise foi, JCP 1978 éd. N. I. 291 ; F. Collart-

Dutilleul, Les contrats préparatoires à la vente d'immeuble : les risques de désordre, Droit et patrimoine,

déc. 1995 ; D. Mazeaud, la responsabilité du fait de la violation d'un pacte de préférence, Gaz. pal. 1994.

1. 210 ; B. Starck, Des contrats conclus en violation du droit contractuel d'autrui, JCP 1954. I. 1180 ; P.

Voirin, Le pacte de préférence, JCP 1954. I. 1192.

(4) Com. 7 mars 1989, JCP 1989. II. 21316, note Y. Reinhard et concl. M. Jéol.

(5) Cass. 3e civ., 30 avr. 1997, Defrénois 1997. 1007, obs. Ph. Delebecque ; RTD civ. 1998. 98, obs. J.

Mestre ; RTD civ. 1997. 685, obs. P. Y. Gautier ; RTD civ. 1997. 673, obs. P. Jourdain ; JCP

1997. II. 22963, note B. Thuillier. Adde, pour la nullité du contrat conclu en violation du pacte : Com. 27

mai 1986, RTD civ. 1987. 89, obs. J. Mestre et les arrêts cités. Pour la condamnation de la substitution

de contractant, Com. 27 mai 1986, préc. et Cass. civ. 4 mai 1957, Bull. civ. I, n° 197.

(6) Cass. 3e civ., 15 déc. 1993, Bull. civ. III, n° 174 ; D. 1994. 507, note F. Bénac-Schmidt ; D. 1994,

Somm. 230, obs. O. Tournafond ; Defrénois 1994. 795, obs. Ph. Delebecque ;JCP 1995 éd. N. I. 31,

note D. Mazeaud ; D. 1995, Somm. 88, obs. L. Aynès ; RTD civ. 1994. 584, obs. J. Mestre .

(7) Cass. 3e civ, 26 juin 1996, JCP 1997 éd. N. II. 909, obs. D. Stapylton-Smith ; Defrénois 1996. 1371,

obs. D. Mazeaud. Cf. également : I. Najjar, La « rétractation » d'une promesse unilatérale de vente, D.

1997. Chron. 119 . Pour la nullité de la vente conclue en violation d'une promesse : C. Atias, art. préc.

(8) L'on entend ici et dans les développements qui suivent la promesse unilatérale de contrat, la

comparaison entre la promesse synallagmatique, le pacte de préférence et l'offre ne présentant pas le

même intérêt.

(9) C. Saint-Alary-Houin, Le droit de préemption, LGDJ, 1979, préf. P. Raynaud, p. 219, n° 246 et s. Cf.

cependant, C. Larroumet, p. 263, n° 292 ; F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, p. 154, n° 187.

(10) P. Jourdain, op. cit., p 674 ; P. Voirin, op. cit., n° 3. Adde, les décisions précisant que le droit de

préférence ne confère à son bénéficiaire qu'un simple droit personnel : Cass. 1re civ., 16 juil. 1985, Bull.

civ. I, n° 224 ; Cass. civ. 15 déc. 1965, Bull. civ. I, n° 178 ; Cass. civ. 12 juin 1954, Bull. civ. I n° 190.

C'est-à-dire l'obligation de ne pas vendre à autrui sans offrir d'abord au bénéficiaire : Cf. Com. 12 mai

1992, RTD civ. 1993. 346, obs. J. Mestre .

(11) Sauf à souligner qu'un arrêt de 1984 a annulé un tel pacte, comme étant purement potestatif. Ceci

signifie bien que le pacte porte un engagement à contracter, puisqu'il doit contenir les éléments

essentiels du contrat à venir.

(12) A. Laude, op. cit., n° 825.

Page 84: Note de Synthese_Les Pourparlers

84

(13) Cf. les auteurs cités par J. Mestre, RTD civ. 1987. 90.

(14) F. Collart-Dutilleul et Ph. Delebecque, p. 61, n° 67 ; Ph. Malaurie et L. Aynès, p. 113, n° 144. Cf.,

également, C. Larroumet, p. 263 notez 2. L'on pourrait néanmoins objecter que l'événement mis en

condition n'est pas le consentement au contrat, mais la décision de contracter. L'auteur du pacte

s'engage envers le bénéficiaire, aux conditions déterminées par le pacte, pour le cas où il viendrait à

prendre la décision de contracter, décision qui, au moment du pacte, est encore future et incertaine. Un

obstacle important à l'analyse du pacte de préférence comme une promesse future réside dans le fait que

la capacité du disposant s'apprécie non au moment du pacte, mais à celui où s'exerce le droit de

préférence (Ph. Malaurie et L. Aynès, op. et loc. cit.). Pour cette raison, il ne porterait pas en lui

l'engagement de contracter. On peut cependant objecter que, si le pacte de préférence porte

l'engagement de contracter, cet engagement, et le droit du bénéficiaire d'accepter, ne deviendront parfait

qu'au moment de la décision de contracter, de sorte que la capacité pourra être appréciée à ce moment,

puisque la décision de contracter ne peut être efficiente que si la personne a la capacité de le faire.

(15) Cass. 3e civ., 16 mars 1994, D. 1994. 486, note Fournier .

(16) Sur cette question, cf. J. Duclos, L'opposabilité. Essai d'une théorie générale, LGDJ, 1984, préf. D.

Martin, p. 339, n° 313 et s.

(17) Par exemple, en concluant un bail comportant un droit de préemption qui primerait le droit de

préférence : Cass. 3e civ., 10 mai 1984, Defrénois 1985. 1234, note J. M. Olivier ; Cass. 3

e civ., 1

er avr.

1992, Defrénois 1993. 98, note J. M. Olivier ; RTD civ. 1993. 347, obs. J. Mestre .

(18) L. Boyer, Les promesses synallagmatiques de vente. Contribution à la théorie des avants-contrats,

RTD civ. 1949. 11, n° 14.

(19) I. Najjar, Le droit d'option. Contribution à l'étude du droit potestatif et de l'acte unilatéral, LGDJ,

1967, préf. P. Raynaud, p. 154, n° 146. Cf. également Ph. Delebecque, Defrénois 1997. 1007 : « si le

promettant se décide à vendre, il déclenche le droit d'option ou de priorité qu'il a consenti au bénéficiaire

du pacte ».

(20) Le terme d'offre est employé dans le sens d'offre à personne déterminée, c'est-à-dire de

pollicitation. C'est celle-ci en effet qui se rapproche le plus de la promesse et qui peut le plus utilement lui

être comparée.

(21) L. Aynès, D. 1995. Somm. 87 .

(22) G. Wicker, Les fictions juridiques. Contribution à l'analyse de l'acte juridique, LGDJ, 1997, préf. J.

Amiel-Donat, p. 135, n° 139 : « l'offre, ainsi que la promesse unilatérale de contrat, expriment

l'engagement contractuel de leur auteur ». Adde : L. Aynès, op. et loc. cit. ; C. Larroumet, JCP 1996 éd.

N. II. 346, n° 5.

(23) L'on pourrait contester cette conception en se fondant sur la nature juridique de la levée de l'option

et de l'acceptation. Selon M. Najjar (op. cit., p. 43 n° 44), l'acceptation, à la différence de la levée de

l'option, n'est pas un droit d'option, le maintien de l'offre étant, à la différence de la promesse,

nécessaire. Il reste néanmoins possible de soutenir qu'acceptation et levée de l'option ont la même

nature juridique de droit potestatif. l'acceptation, formant le contrat, modifie unilatéralement une

situation juridique, ce qui correspond à l'exercice d'un droit potestatif. Du reste, le bénéficiaire de l'offre,

pas davantage que celui de la promesse, n'ont à attendre de leur auteur qu'il réitère le consentement

qu'il a donné.

(24) A. Terrasson de Fougères, Sanction de la rétractation du promettant avant levée de l'option par le

bénéficiaire d'une promesse unilatérale de vente, JCP 1995 éd. N. I. 195.

Page 85: Note de Synthese_Les Pourparlers

85

(25) A. Bénabent, Les contrats spéciaux, p. 60, n° 85 ; F. Collart-Dutilleul et Ph. Delebecque, p. 70 n° 76

; Ph. Malaurie et L. Aynès, p. 89 n° 111.

(26) La faute consistant dans la méconnaissance de l'opposabilité de la promesse au tiers, la sanction

adéquate paraît bien être l'inopposabilité du contrat à l'égard du bénéficiaire de la promesse. La nullité

paraît discutable : le contrat s'est bien formé dans des conditions conformes au droit, le vendeur,

propriétaire de la chose, conservant la capacité d'en disposer. En outre, en matière de vente de la chose

d'autrui, la nullité ne peut être demandée que par l'acheteur, partie au contrat. Elle est en effet destinée

à le protéger lui et non le véritable propriétaire, qui dispose de l'action en revendication. Pareillement, le

bénéficiaire de la promesse n'a nul besoin de faire annuler la vente, dont il peut simplement ignorer

l'existence. En faveur de l'inopposabilité : G. Wicker, op. cit., p. 138, n° 144 ; D. Mazeaud, op. cit., p.

213 et les auteurs cités. Comp. sur cette question, J. Duclos, op. cit., p. 455, n° 439-4, qui retient

l'inopposabilité au titre de sanction de principe et la nullité en cas de collusion frauduleuse. Adde, J. Vidal,

Essai d'une théorie générale de la fraude, LGDJ, 1957, p. 330 et 331.

(27) Ph. Malaurie et L. Aynès, p. 97, n° 120.

(28) C'est la position de la majorité de la doctrine. Cf. notamment C. Larroumet, p. 219, n° 239.

(29) L. Aynès, D. 1995. Somm. 88 .

(30) A. Sériaux, p. 40.

(31) Cass. 3e civ., 10 mai 1989, D. 1990. 365, note G. Virassamy ; RTD civ. 1990. 69, obs. J. Mestre

.

(32) Cass. 3e civ., févr. 1919, DP 1923. 1. 126 : « une offre étant insuffisante pour lier par elle-même

celui qui l'a faite, elle peut, en général, être rétractée tant qu'elle n'a pas été acceptée ».

(33) Cass. 3e civ., 9 nov. 1983, Defrénois 1984, art. 33368, obs. J. L. Aubert ; RTD civ. 1985. 154, obs.

J. Mestre.

(34) Cf. sur cette question, A. Sériaux, p. 38.

(35) A. Sériaux, p. 39 : « la simple existence de l'offre fonde chez ceux qui en ont connaissance une

légitime espérance en la possibilité de contracter ».

(36) La question de la caducité de l'offre en cas d'incapacité du pollicitant après l'émission pourrait être

également rattachée à sa permanence. Cette question est controversée en doctrine (en faveur de la

caducité : H. L. J. Mazeaud, Leçons de droit civil, par F. Chabas, vol. 1, t. II, Obligations, théorie

générale, Montchrestien, p. 122, n° 135-1. Contra : J. Ghestin, p. 281, n° 317). Il ne paraît cependant

pas exister d'obstacle juridique à admettre que, dès lors que la personne a exprimé son offre à un

moment où elle était capable, son incapacité ultérieure n'élimine pas le fait qu'elle a émis valablement

son consentement.

(37) J. Flour et J. L. Aubert, p. 94, n° 150 : « Dire qu'il y a faute à révoquer l'offre trop vite, c'est

présupposer que l'offrant était tenu de la maintenir un certain temps ; sinon, la révocation ne serait pas

fautive. L'affirmation de la faute suppose le problème résolu ». La même observation pourrait être faite

au sujet de l'abus de droit, parfois invoqué comme fondement de la responsabilité : si l'offrant abuse de

son droit en révoquant, c'est tout simplement qu'il ne pouvait le faire. Sur cette question, Cf. également

G. Wicker, op. cit., p. 109 et s. et spéc. p. 113, n° 115 et p. 114, n° 116.

(38) Cass. 1re civ., 28 févr. 1989, D. 1989. IR. 94 ; Com. 6 mars 1990, RTD civ. 1990. 463, obs. J.

Mestre ; JCP 1990. II. 21583, note Gross ; D. 1991. Somm. 317, obs. J. L. Aubert .

(39) J. L. Aubert, Notions et rôles de l'offre et de l'acceptation dans la formation du contrat, LGDJ, 1970,

Page 86: Note de Synthese_Les Pourparlers

86

préf. J. Flour, p. 213, n° 235 et p. 218, n° 243 ; J. Flour et J. L. Aubert, p. 95, n° 151. Adde A. Bénabent,

p. 40, n° 61 et F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, qui jugent cette solution « parfaitement admissible en

droit » : p. 96, n° 112 ; J. Ghestin, p. 374, n° 308. Adde G. Wicker, op. cit., p. 120, n° 124.

(40) Sur cette question, cf. F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, p. 95, n° 112, qui observent : « l'offre ne

se transforme pas en promesse mais demeure une offre à laquelle la loi attache l'obligation de la

maintenir ».

(41) On peut critiquer cette conception en observant qu'elle minimise le rôle de l'accord de volonté dans

la promesse. La convention des parties rend le consentement irrévocable, contrairement à l'offre,

unilatérale. Pourtant, dans la mesure où le retrait de la pollicitation est fautif, l'on ne peut affirmer que la

révocation de celle-ci est plus légitime que celle de la promesse. Partant, le problème qui se pose est

moins celui de l'inefficacité de la rétractation, que l'on peut parfaitement admettre, fût-ce au titre de la

réparation en nature consécutive à une responsabilité civile (A. Sériaux, p. 39 et les auteurs cités), que

celui de la formation du contrat alors que la personne qui avait primitivement donné son consentement

s'est ensuite rétracté. Mais cette question se présente exactement de la même manière dans l'offre et

dans la promesse.

Copyright 2015 - Dalloz – Tous droits réservés

Page 87: Note de Synthese_Les Pourparlers

87

Document 22

La période précontractuelle et la formation du contrat, J. Mestre,

LPA, 5 mai 2000, n°90, p.7

PA200009001 Petites affiches, 05 mai 2000 n° 90, P. 7 - Tous droits réservés Droit des contrats

LA PERIODE PRECONTRACTUELLE ET LA FORMATION DU CONTRAT

LE STYLE PARLE DE CETTE COMMUNICATION A ETE CONSERVE. (1)

Evoquer la période précontractuelle et les différents avant-contrats qui peuvent la ponctuer permet de bien mesurer l'évolution du droit des contrats que rappelait à l'instant Laurent Aynès, et justifie donc si besoin en était le thème choisi par les organisateurs de ce colloque. Si l'on s'arrête en effet un instant sur le Code civil de 1804, on s'aperçoit qu'il est, sur le thème que je vais évoquer, totalement muet. Il n'envisage en effet le contrat qu'une fois conclu _ et encore je dirai qu'il envisage le contrat mal conclu, puisque c'est essentiellement pour en permettre son annulation à travers la sanction des vices éventuels du consentement. Pourquoi ce mutisme du Code civil de 1804 ? Sans doute en raison du principe de la liberté contractuelle qui a tout naturellement pour corollaire la liberté de ne pas contracter. La période précontractuelle est donc très probablement, dans l'esprit des rédacteurs du Code civil, une période de non-droit, où chacun doit avoir le pouvoir et est à même de défendre librement ses intérêts. Il est vrai qu'à un moment donné, lors de la rédaction du Code civil, il avait été envisagé de préciser dans l'article 1134, alinéa 3, que les conventions doivent être conclues et exécutées de bonne foi, mais on sait que le terme de conclu a finalement été éliminé de la version finale du Code. Or, les choses ont considérablement évolué puisque la période précontractuelle que nous allons évoquer ensemble est aujourd'hui très largement irriguée par le droit. Pourquoi ? Pour trois raisons principales.

La première, c'est que la liberté que j'évoquais à l'instant _ et son postulat qui est l'égalité des partenaires contractuels _ sont très largement en régression ; on verra tout au long de la journée, combien la liberté contractuelle recule sur le terrain du contenu du contrat, sur le terrain des modes de rupture du contrat et donc, tout naturellement, sur le terrain de la formation du contrat où les tribunaux interviennent de plus en plus souvent pour réguler les comportements.

La deuxième raison qui explique cette importance du droit dans la période précontractuelle, c'est l'élément temporel. Rares sont aujourd'hui les contrats, du moins les contrats importants, qui se concluent en un instant ; très souvent, il faut une période assez longue pour qu'ils arrivent, si j'ose dire, à maturité. L'intuitus personae dans les contrats d'affaires est très important ; l'enjeu économique, vous le savez, est tout à fait considérable dans bien des contrats ; les contrats représentent

Page 88: Note de Synthese_Les Pourparlers

88

des valeurs économiques non négligeables ; les partenaires contractuels sont souvent multiples : aux côtés de ceux qui envisagent de contracter, il y a aussi d'autres personnes telles que les banquiers, les pouvoirs publics qui souvent ont leur mot à dire, ne serait-ce qu'à travers l'octroi d'un crédit ou d'un agrément. Donc, le facteur temps est considérable. La période dure, des frais y sont exposés, des études y sont conduites, l'entreprise est souvent derrière les négociateurs, l'attente est donc considérable et le préjudice, lorsque les pourparlers n'aboutissent pas, est à la mesure de l'attente qui avait été placée en eux.

Enfin, dernière raison qui explique également l'importance du droit, c'est la protection du consentement. Si le consentement doit être protégé, c'est sans doute _ du moins peut-on penser que c'est aujourd'hui l'optique de notre législateur et également celle de la jurisprudence _ au moment même où il va être donné. Mieux vaut assurément une protection en amont, une protection préventive du consentement qu'une protection curative, a posteriori, à travers une action en annulation dont on sait souvent qu'elle n'aboutit qu'à des résultats décevants. Tout ceci explique donc que la période précontractuelle fasse aujourd'hui l'objet d'une régulation importante de la part du législateur et surtout de la part du juge, lesquels vont examiner les comportements qui, durant ces mois, voire ces années, ont pu être adoptés par les parties. Celles-ci, qui prennent souvent elles-mêmes les choses en main dans la mesure où le contrat dans leur esprit va souvent se construire par étapes successives, vont essayer, chemin faisant, de mesurer en quelque sorte l'avancée de leurs pourparlers en concluant ces fameux avant-contrats qui sont des contrats, mais des contrats en amont du contrat définitif et dont la portée juridique fait souvent, vous le savez, difficulté. C'est tout ceci que je vous propose, évidemment de façon assez rapide, de parcourir. Je vais le faire chronologiquement, mais en distinguant cependant des catégories d'initiatives, des catégories de démarches. J'évoquerai dans une première partie ce que j'appellerai les démarches unilatérales, c'est-à-dire celles qui sont le fait de l'un des négociateurs (I), avant, dans la deuxième partie, d'évoquer les démarches bilatérales, à travers ces avant-contrats dont je parlais à l'instant (II).

I. Revenons quelques instants d'abord sur les démarches unilatérales

On peut en distinguer deux sortes : les unes que je qualifierai de factuelles _ j'évoquerai essentiellement à travers elles la simple entrée en pourparlers _, les autres qui ont une dimension juridique supérieure, et j'évoquerai à leur occasion l'offre et très accessoirement la lettre d'intention à propos de laquelle je dirai quelques mots.

L'entrée en pourparlers : sur ce point, naturellement, le principe est, et doit demeurer, la liberté. Le fait d'entrer en pourparlers avec quelqu'un ne doit en aucune manière conduire à l'obligation ensuite de conclure le contrat ; ce serait évidemment nier une liberté contractuelle à laquelle nous sommes tous attachés. Il faut donc d'emblée rappeler ce principe de la liberté de ne pas contracter et donc la liberté de rompre les pourparlers que l'on a pu initialement conduire. Cela étant, puisque il m'est demandé d'évoquer essentiellement l'actualité de la matière, force est de constater que la simple entrée en pourparlers n'est plus aujourd'hui pour la jurisprudence et, à

Page 89: Note de Synthese_Les Pourparlers

89

moindre degré pour le législateur, un fait innocent. C'est un fait juridique, qui est susceptible d'avoir des conséquences de droit parce que manifestement, aujourd'hui, les juges posent un principe d'obligation de loyauté en ce domaine. J'évoquais en introduction l'abandon dans la version définitive du Code civil de la formule « les contrats doivent être conclus de bonne foi » ; il est manifeste que les juges, d'une certaine manière, deux siècles plus tard, ont réintroduit l'expression dans le Code car, à leurs yeux, entrer en pourparlers implique ensuite pour celui qui le fait une obligation de se comporter loyalement vis-à-vis de celui avec lequel il est en train de discuter d'une éventuelle formation du contrat. D'où, tout naturellement, toute une série d'obligations qui peuvent être source pour le négociateur d'une éventuelle responsabilité civile.

Obligation de mener des pourparlers sincères, c'est-à-dire des pourparlers qui ont vocation, au moins éventuellement, à aboutir : d'où la responsabilité civile éventuelle _ qui est rarement retenue mais cela arrive _ de celui qui conduirait des « pourparlers de barrage », c'est-à-dire qui aurait en réalité pour objectif d'empêcher celui avec lequel il discute de contracter avec un tiers.

Obligation de secret, obligation de confidentialité à l'égard des informations qui peuvent être échangées par les parties au cours de cette période de négociation (par exemple savoir-faire qui ne fait pas l'objet d'un droit pour l'instant privatif), obligation de le maintenir confidentiel pour celui qui, à cette occasion, le recueille de l'autre ; obligation naturellement d'information sur laquelle il y aurait beaucoup à dire et qui est, d'une certaine façon, le revers ou le complément de l'obligation de secret que j'évoquais à l'instant ; obligation de transparence, surtout pour les professionnels à l'égard du consommateur et qui oblige à informer sur les suites du contrat, sur tous les faits pertinents qui sont susceptibles d'éclairer le consentement de celui qui ne sait pas. Obligation qui va très loin, vous le savez, puisqu'elle peut, nous dit la jurisprudence, dans certains cas conduire jusqu'à devoir déconseiller la conclusion du contrat à l'autre. Je rappellerai simplement ici, à titre d'exemple, l'obligation qui pèse sur les banquiers qui doivent refuser l'octroi du crédit à un candidat emprunteur qui n'aura manifestement pas les moyens de le rembourser ensuite, et cela quand bien même le banquier aurait déjà satisfait au formalisme informatif que fait peser sur lui l'une des deux lois Scrivener, qu'il s'agisse d'un crédit immobilier ou d'un crédit mobilier, parce que, nous dit la Cour de cassation, le formalisme informatif n'est qu'une première étape dans la protection du consentement. Dans certains cas, il y a, à la charge de certains négociateurs, un devoir de conseil qui va au-delà et qui peut même conduire à devoir déconseiller.

Obligation également, toujours à la charge du négociateur, de ne pas tromper ou de ne pas séduire abusivement. Cette obligation de ne pas tromper, le Code civil la connaît naturellement à travers la sanction du dol mais on peut être néanmoins frappé de voir _ et le président Bézard y a joué un rôle important _ combien la Cour de cassation, et notamment la chambre commerciale, sont aujourd'hui sensibles à cette exigence. Je prendrai simplement l'exemple des documents publicitaires échangés au cours de la période précontractuelle. On constate une tendance forte de la jurisprudence à les intégrer dans la loi contractuelle, à leur donner la force obligatoire de l'article 1134 lorsque, manifestement, ces documents échangés par une partie ont pesé sur le consentement obtenu de l'autre (la jurisprudence Chronopost en est elle-même à sa manière une illustration).

Page 90: Note de Synthese_Les Pourparlers

90

On voit donc que les obligations qui pèsent sur les négociateurs sont très importantes et lourdes et, tout naturellement, elles se prolongent à travers l'éventuelle sanction de la rupture des pourparlers. Le contentieux contemporain est ici considérable. Je voudrais simplement à ce propos présenter quatre brèves observations.

Première observation : on le sait, la rupture des pourparlers, en dépit du principe de liberté de ne pas contracter que j'évoquais tout à l'heure, peut être fautive. Quand le sera-t-elle pour la jurisprudence ? Manifestement lorsque les pourparlers ont duré longtemps, lorsqu'a été créée, si j'ose dire, une apparence d'un contrat définitif. On voit souvent dans les décisions de justice apparaître ce terme d'apparence : l'une des parties a laissé croire à l'autre qu'elle était sur le point de contracter et puis, au dernier moment, de façon brutale, elle se dérobe. Il n'y a pas pour l'instant à ma connaissance un véritable contrôle du motif légitime de rompre, ce qui serait une étape ultérieure, mais il y a manifestement ici un écho à l'idée d'attente légitime, qu'on retrouve d'ailleurs très présente en d'autres domaines dans le droit communautaire.

Deuxième observation : quand y aura-t-il rupture ? Car une chose est d'évoquer une rupture fautive dans certains cas, et une autre est de dire quand il y a rupture. Je prends deux exemples : est-ce que le fait d'émettre une contre- proposition « déraisonnable », c'est-à-dire sans relation avec les négociations antérieures, peut être requalifiée en rupture ? Pour ma part, et même si la jurisprudence n'a pas encore pris position très nettement, je le pense car le juge est juge de l'imputabilité de la rupture. Ainsi, chacun sait qu'en droit du travail, le juge est apte à requalifier en licenciement une apparente démission du salarié lorsque c'est bien l'employeur qui l'a provoquée. Il me semble que, de la même manière, faire une proposition qui n'a aucun rapport avec ce qui était jusque-là négocié peut dans certains cas être requalifié. Deuxième exemple : une société se rapproche d'une personne propriétaire de différents terrains sur lesquels des baux commerciaux sont en cours et lui fait miroiter un contrat de partenariat commercial tout à fait intéressant, en ajoutant, dans l'optique de ce contrat : « ne renouvelez pas les baux commerciaux en cours ». La personne le fait, verse des indemnités d'éviction très substantielles et alors qu'elle est financièrement devenue exsangue, la société revient à la charge en disant : « Finalement, ce contrat de partenariat ne m'intéresse pas. Je vous propose le rachat des immeubles ». Y a-t-il, dans ce cas, rupture de pourparlers ? En d'autres termes, y a-t-il une obligation, quand on entre dans la négociation d'un contrat, de rester dans la négociation de ce contrat précis, sous peine éventuellement, là encore, de voir requalifier son comportement en rupture indirecte ? Ce sont naturellement des problèmes dont la jurisprudence sera à l'avenir saisie.

Troisième observation : quel est le préjudice lorsqu'il y a rupture et qu'elle est fautive, et quel est le préjudice réparable ? On voit ici la jurisprudence poser peu à peu un certain nombre de directives. Les frais qui ont été engagés de façon générale sont considérés comme des éléments du préjudice réparables ; de même, la perte d'une chance de conclure le contrat soit avec le négociateur lui-même, soit avec un tiers, l'atteinte au crédit du négociateur, au crédit de l'entreprise... Il est clair que, dans certains cas, la rupture peut être très préjudiciable, surtout si elle s'est accompagnée de propos vexatoires, d'une certaine publicité intempestive, de la nécessité de devoir par exemple recourir aux services de quelqu'un d'autre parce que le contrat n'a pas

Page 91: Note de Synthese_Les Pourparlers

91

pu être conclu... Tout cela constitue manifestement des éléments de préjudice réparables.

Dernière observation : elle a trait, à titre de contrepoids aux observations précédentes, au devoir de prudence qui pèse sur les négociateurs. Il ne faut pas transformer non plus les négociations en un combat psychologique où l'on essaierait finalement de provoquer l'autre et de créer ce que je qualifierai des « points de non-retour ». On voit parfois des négociateurs, peut-être prenant acte de ces avancées jurisprudentielles, adopter un certain nombre de comportements presque irréversibles, engager des frais d'étude considérables pour faire pression sur l'autre et pour ne plus lui permettre de se désengager. La Cour de cassation, dans une affaire qui concernait un pédiatre de la région Lorraine qui avait démissionné d'un poste de C.H.U. alors que le contrat qu'il envisageait avec une clinique n'était pas définitivement acquis parce que la condition suspensive qui l'assortissait risquait encore d'être défaillante, a considéré que ce pédiatre était allé trop loin et avait, en cours de négociation, adopté une attitude qui était trop éloignée d'une obligation de prudence qui pèse sur les négociateurs et, ce faisant, elle a refusé de mettre à la charge de l'autre partie, auteur cependant d'une rupture fautive, l'indemnisation de ce type de préjudice que le négociateur, d'une certaine façon, s'était créé à lui-même.

Voilà pour l'entrée en pourparlers. Quelques mots maintenant sur d'autres initiatives individuelles : l'offre et, très rapidement, la lettre d'intention.

L'offre, évidemment, chacun la connaît. La jurisprudence nous rappelle régulièrement qu'elle doit être précise et ferme. La précision, cela signifie, nous disent les tribunaux, que l'offre doit renfermer les éléments essentiels du contrat. C'est un point important, dans la logique de l'offre puisque celle-ci a vocation à former le contrat par la simple acceptation de son destinataire. L'offre doit d'ores et déjà renfermer tous les éléments essentiels du contrat. En disant cela, on est cependant loin d'avoir tout dit, et ce pour trois raisons.

La première raison est qu'il y a, notamment dans la vie des affaires, beaucoup de contrats innommés, c'est-à-dire de contrats qui ne sont pas régis par le législateur, qui ne sont donc pas définis par la loi et à propos desquels les éléments essentiels peuvent naturellement faire problème. Et le juge, dans certains cas, comme l'a très bien montré ma collègue Anne Laude-Couret qui est dans cette salle, va être obligé de dire lui-même la volonté profonde des parties. Est-ce que, dans leur esprit, tel élément de la négociation était ou non essentiel ?

Deuxième raison : même les contrats nommés peuvent faire problème parce que lorsque, par exemple, le Code civil laisse entendre que le bail se forme par un accord sur la chose louée et sur le montant du loyer, il ne veut assurément pas dire non plus que parmi les éléments essentiels du bail, ne figure pas la durée du contrat ou le point de départ de la relation contractuelle.

Donc, même pour les contrats nommés, la question des éléments essentiels se pose avec acuité, d'autant _ et c'est une troisième raison à prendre en compte _ que la volonté des parties elle-même a son mot à dire : les parties peuvent, en effet, très bien rendre essentiel un élément qui, en principe, n'est qu'accessoire. La Cour d'appel de Paris a ainsi considéré, il y a quelques années, que la date du tournage du film était un élément essentiel pour un contrat conclu avec un producteur par

Page 92: Note de Synthese_Les Pourparlers

92

Isabelle Adjani, alors que n'importe quelle actrice serait ravie de tourner un film avec un grand producteur et que pour elle, la date précise du tournage apparaît relativement mineure. Donc, on voit qu'il existe là une source de contentieux considérable, ce qui me conduit à dire parfois que tout dépend finalement de l'esprit avec lequel les négociateurs abordent cette période. Si ces derniers veulent aboutir dans la transparence, ils ont manifestement intérêt, pour éviter tout contentieux ultérieur, à clarifier le plus tôt possible les éléments essentiels du contrat, et à dire : « Voilà, nous sommes d'ores et déjà d'accord sur tel ou tel point ; voilà ce qui reste à négocier ; si l'accord est obtenu sur ce dernier point, le contrat sera définitif ». A l'inverse, si les parties veulent négocier dans le brouillard, si elles veulent se ménager une faculté de retrait, elles ont tout intérêt à maintenir ici le flou pour pouvoir plaider ensuite que tel élément sur lequel l'accord ne s'était pas fait était pour elles essentiel, de sorte que ce caractère doit aujourd'hui faire obstacle à ce que le contrat soit considéré comme d'ores et déjà conclu...

L'offre doit être précise, elle doit également être ferme. C'est un point bien connu, mais qui peut parfois poser problème. Je prendrai, là encore, deux ou trois exemples : est-ce qu'une offre faite par les dirigeants d'une société mais sous réserve de confirmation par l'assemblée générale des associés est une véritable offre ? On peut en douter parce que, en ce cas, il y a un mécanisme de rétractation interne qui permet finalement à la société offrante de revenir sur ce qu'elle paraît avoir à offrir, et mon collègue Paul Le Cannu, qui est présent dans cette salle, a ainsi commenté il y a quelques années une décision Holophane qui avait été rendue à propos d'une offre publique d'achat où, précisément, la Cour d'appel de Paris a dénié la qualification d'offre en présence d'un mécanisme de rétractation interne de ce type.

Deuxième exemple, tiré d'un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation : une société envoie un catalogue. Il est prévu dans cet envoi, qui est apparemment une offre au destinataire du catalogue, une clause de confirmation de la commande. La société prévoit, en effet, que si une commande lui est adressée, elle devra la confirmer dans le mois qui suit. La société confirme la commande qui lui est adressée, mais entre-temps, le destinataire qui avait commandé a lui-même rétracté son offre. Le contrat est-il formé ? Tout dépend de la manière dont on qualifie l'envoi du catalogue. Si on y voit une offre de vente, la commande a formé le contrat ; si, en revanche, on considère qu'il y a là une simple invitation d'entrer en pourparlers et que la première offre émise, c'est en réalité la commande qui a été faite, constitutive d'une offre d'achat, le contrat n'est pas formé parce qu'avant que l'offre d'achat n'ait été acceptée par la société, elle a été rétractée. C'est ici l'analyse de la chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 6 mars 1990, et ce à juste titre à mon avis, parce que, à travers la clause de confirmation de la commande, la société s'était réservée un mécanisme de rétractation interne faisant échec à la qualification d'offre.

Dernier exemple que je prendrai, celui tiré d'un arrêt plus récent _ également rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation _ en 1998, et qui était aussi très intéressant : le destinataire accepte l'offre mais, à cette occasion, envoie à l'offrant ses conditions générales d'achat dans lesquelles il précise qu'il aura le droit de rétracter son acceptation aussi longtemps que l'offrant n'aura pas confirmé sa propre commande. La chambre commerciale a considéré dans ce cas-là que la rétractation par le destinataire n'était possible que si les conditions générales d'achat

Page 93: Note de Synthese_Les Pourparlers

93

s'étaient incorporées dans le champ contractuel, ce qui aurait impliqué _ ce n'était pas manifestement le cas en l'espèce _ qu'elles aient été communiquées à l'offrant avant que le destinataire de l'offre n'ait lui-même formé le contrat en acceptant.

On voit ainsi que ce mécanisme de l'offre est lui-même souvent source de difficultés, même s'il est très largement connu par chacun d'entre nous. Je rappellerai aussi pour mémoire les hésitations de la jurisprudence sur le terrain de la caducité de l'offre en cas de décès de l'offrant avec, semble-t-il aujourd'hui, une volonté de la part de la Cour de cassation de considérer que l'offre assortie d'un délai déterminé pour l'acceptation oblige l'offrant et ses héritiers au cas où l'offrant décède au cours de cette période.

Quelques mots, pour clore cette première partie, sur les lettres d'intention. Il est vrai que leur classement dans les initiatives individuelles peut surprendre, puisque généralement, on leur reconnaît une dimension contractuelle. Mais il n'en reste pas moins vrai que la démarche reste bien en fait unilatérale. On sait par exemple qu'à travers elles, une société mère appuie la candidature de sa filiale à l'obtention du crédit auprès d'une banque. Je rappellerai simplement ici l'arrêt important que la chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu le 26 janvier 1999, donc il y a à peu près un an, et dans lequel elle a précisé que si la lettre ne renferme qu'une obligation de moyens, l'article 98 de la loi du 24 juillet 1966 n'a pas à être respecté, car il n'y a pas là garantie au sens de ce texte. C'est une jurisprudence importante. De façon générale, évidemment, nous sommes dans un domaine où l'interprétation judiciaire est tout à fait essentielle. Il appartient au juge de rechercher quelle a été véritablement l'intention des parties. Et on sait combien les juges procèdent ici à une analyse minutieuse qui les amène à distinguer des formules comme « faire son possible pour », « faire en sorte que » ou encore « faire le nécessaire pour que », etc. Bref, la lettre d'intention est le siège d'infinies recherches de la volonté exacte des auteurs de lettres.

II. S'agissant des démarches bilatérales, j'irai de façon chronologique vers le contrat définitif que chacun espère voir conclu

Au départ, le simple projet, celui qui n'oblige pas, celui dans lequel on envisage un éventuel contrat par exemple. La jurisprudence le vise souvent en matière de société pour dire qu'il n'y avait qu'un simple projet de société, et non pas une promesse de société. Donc, c'est une qualification qui se veut réductrice, qui se veut minorante, ce qui ne veut pas dire qu'il ne puisse pas y avoir des effets de droit. La Cour d'appel de Paris s'est interrogée par exemple, il y a quelques années, sur le partage des frais qui avaient été engagés dans le cadre d'un projet avorté de société et a opté pour un partage par parts viriles en refusant de tenir compte de la clé de répartition du capital de la société dont la conclusion était envisagée.

Au-delà, il y a l'accord de principe, qui va plus loin puisque là, les parties s'engagent à négocier la conclusion du contrat, à faire leur possible pour conclure un contrat lorsque, par exemple, tel ou tel événement se produira. Il y a donc une obligation de

Page 94: Note de Synthese_Les Pourparlers

94

négocier, et de négocier de bonne foi. La jurisprudence n'a cependant jamais véritablement dit jusqu'où va une telle obligation. A notre avis, il faut y inclure l'obligation de s'asseoir autour d'une table parce qu'on s'est engagé à le faire ; il y a sans doute aussi l'obligation de faire des propositions raisonnables pour aboutir, mais est-ce que le juge pourrait aller jusqu'à dire : « Vous ne l'avez pas fait, je vous impose la conclusion du contrat », ou encore, à l'instar de ce qui avait été décidé sur le terrain de l'exécution d'un contrat de fourniture pétrolière, dire : « Je nomme un observateur sous l'égide duquel la négociation va se poursuivre ». C'est concevable, mais pour l'instant, il n'y a pas, à ma connaissance du moins, d'éclairage jurisprudentiel sur ce point.

Au-delà encore, il y a le pacte de préférence dans lequel l'une des parties va plus loin en disant : « Si je contracte, vous aurez la préférence ; si je vends mes actions, c'est à vous que je réserve leur acquisition ». Laurent Aynès évoquait tout à l'heure les pactes d'actionnaires ; on sait combien, dans ce domaine, le pacte de préférence y est fréquemment stipulé, qui peut être le préalable à une cession d'actions entre le promettant et le bénéficiaire. Ces pactes de préférence sont manifestement valables, y compris dans des domaines comme celui que je viens d'évoquer où pourtant, la libre négociabilité de l'action aurait pu un instant faire douter de leur validité. La jurisprudence, à l'écoute de la pratique, a validé très libéralement ces pactes de préférence ; elle les protège dans la situation d'attente en interdisant au promettant de faire des actes qui seraient de nature à compromettre la bonne exécution ultérieure du pacte de préférence. Je pense par exemple à un pacte de préférence qui porterait sur un terrain et à propos duquel la jurisprudence va décider que le propriétaire ne peut pas le donner à ferme, parce que s'il le faisait, au cas où ensuite il le vendrait, le fermier aurait un droit légal de préemption qui ferait échec à l'invocation par le bénéficiaire du pacte de la préférence conventionnelle qui lui avait été accordée. Donc, le pacte de préférence est protégé par la jurisprudence. Assez curieusement _ et j'avoue que là, je ne suis pas tout à fait d'accord avec la jurisprudence, y compris de la chambre commerciale _ sur le terrain du dénouement du pacte de préférence, il me semble que la Cour de cassation reste un peu trop frileuse à la fois sur le terrain de l'annulation de l'acte conclu en violation du pacte et surtout au cas où cet acte a été annulé par l'effet de la mauvaise foi du tiers acquéreur, sur le terrain de la possibilité pour le bénéficiaire du pacte d'obtenir une substitution forcée au droit du tiers acquéreur. Je pense que, dans un pacte d'actionnaires, cette solution de la substitution forcée serait en tout cas éminemment souhaitable pour éviter que ne se retrouvent dans la même société, et au terme d'un contentieux qui les a opposés, promettant et bénéficiaire.

Les promesses unilatérales sont une étape ultérieure : cette fois-ci, l'une des parties paraît s'engager de façon définitive, laissant à l'autre un droit potestatif de provoquer la conclusion du contrat définitif si elle lève l'option dans le délai qui lui a été accordé. Ces promesses unilatérales constituent une figure bien connue du paysage contractuel. Cela étant, elles-mêmes ont soulevé ces dernières années des difficultés. J'en retiendrai simplement deux très rapidement, au regard toutes les deux d'ailleurs de l'article 1134, alinéa 1er du Code civil, qui consacre la force de la loi contractuelle. L'une paraît avoir été réglée, c'est la question d'une éventuelle réduction de l'indemnité d'immobilisation. Est-ce que, par exemple, si une promesse unilatérale de vente a été accordée pour quatre mois à son bénéficiaire, lequel a versé une indemnité de 400.000 F, le bénéficiaire peut au bout d'un mois dire au

Page 95: Note de Synthese_Les Pourparlers

95

promettant : « Je vous libère, je renonce au bénéfice de la promesse mais, corrélativement, vous me restituez les trois quarts de l'indemnité que je vous ai versée puisque finalement le temps qui m'a été accordé a été lui-même amputé des trois quarts ». La jurisprudence avait été, un temps, sensible à cette observation en visant d'ailleurs assez paradoxalement l'article 1134 du Code civil. Aujourd'hui, le débat semble bien clos : l'indemnité d'immobilisation répare le préjudice qui est subi par le promettant au cas de non-conclusion du contrat, le bénéficiaire ne peut pas unilatéralement, en violation de l'article 1134, alinéa 2, réduire son indemnité ; il ne peut pas détruire unilatéralement ce qui a été construit d'un commun accord. En revanche, la difficulté demeure entière sur la question de la rétractation du promettant avant le délai accordé au bénéficiaire. Vous savez que, en 1993, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a rendu un arrêt qui n'a pas été compris par tout le monde, dans lequel elle a clairement indiqué que si le promettant se rétracte avant le délai qui avait été accordé au bénéficiaire, celui-ci ne peut plus provoquer la conclusion du contrat, quand bien même il lèverait l'option dans ce délai ; l'échange des consentements n'est plus concevable et la seule sanction est alors la sanction indemnitaire, comme le suggèrent les termes de l'article 1142 du Code civil. C'est là une jurisprudence qui ne me convainc pas et qui me paraît altérer exagérément la force obligatoire du contrat. Il est vrai que l'arrêt de 1993 a peut-être été rendu sur la base d'un pourvoi mal formulé, mais on sait que quelques années plus tard, la troisième chambre civile a repris cette même position, de sorte que l'arrêt initial ne saurait être considéré comme un arrêt d'espèce. C'est une jurisprudence qui me paraît, pour ma part, d'autant plus critiquable ou, au moins, paradoxale, que sur le terrain des promesses à durée indéterminée, la jurisprudence considère régulièrement que le promettant ne peut se rétracter qu'à condition de laisser au bénéficiaire un délai raisonnable pour lever l'option. Donc, il est finalement assez étonnant d'observer que le bénéficiaire est mieux protégé dans une promesse à durée indéterminée où règne pourtant le principe de la liberté de rompre à tout moment, que dans une promesse à durée déterminée.

Il y a ensuite, si on poursuit le chemin de la conclusion du contrat, les promesses unilatérales croisées, que l'on rencontre notamment dans les conventions de portage, dans lesquelles un banquier va porter des actions pour le compte d'un donneur d'ordre ; c'est une double promesse unilatérale de vente et d'achat qui est destinée à permettre un bon dénouement de l'opération de portage. Le banquier voulant être sûr que les actions qu'il a portées pour le compte d'autrui seront rachetées par celui-ci, tient à être bénéficiaire d'une promesse unilatérale d'achat, mais celui qui a donné l'ordre au porteur de porter ces titres souhaite aussi pouvoir les récupérer, d'où le bénéfice à son propos d'une promesse unilatérale de vente. La jurisprudence nous dit, de façon tout à fait exacte, qu'il ne faut pas voir dans ces promesses unilatérales croisées une promesse synallagmatique qui vaudrait contrat définitif. C'est tout à fait exact, parce que chacune des parties est ici titulaire d'un droit potestatif ; chacune des parties est à même de provoquer la conclusion du contrat définitif. Mais encore faut-il que l'une d'elles manifeste le souhait d'imposer la conclusion de ce contrat. Si aucune ne lève l'option dont elle se trouve titulaire, le contrat définitif ne sera jamais formé. Donc, il y a bien des promesses unilatérales croisées, mais ce n'est pas pour autant une promesse synallagmatique. Toutefois, ajoute à très juste titre la chambre commerciale de la Cour de cassation, c'est quand même un engagement synallagmatique, de sorte par exemple que dans le cas d'une conclusion partielle et progressive de ces promesses, si l'une vient à être

Page 96: Note de Synthese_Les Pourparlers

96

violée par l'une des parties, celle-ci ne sera pas à même d'exiger de l'autre le respect des promesses dont elle est bénéficiaire ; ce n'est pas une promesse synallagmatique mais c'est un ensemble synallagmatique dans lequel l'exception d'inexécution pour une inexécution partielle a vocation à jouer le cas échéant.

Et puis il y a enfin la promesse synallagmatique dont on sait, à la lumière de l'article 1589 du Code civil, qu'elle vaut contrat définitif. Cela étant, il y a quand même des promesses synallagmatiques qui ne feront pas, si j'ose dire, des contrats définitifs parce qu'elles sont assorties d'une condition suspensive qui en fragilise encore la perfection et pourra les faire tomber. Je rappellerai simplement ici sur ce terrain le rôle important que la jurisprudence joue à travers son utilisation de l'article 1178 du Code civil. Ce texte, vous le savez, prévoit que la condition est réputée accomplie lorsque c'est le débiteur obligé sous cette condition qui en a provoqué la défaillance. C'est un texte important qui était présent dans le Code civil mais qui bénéficie, si l'on peut dire, dans la jurisprudence contemporaine, d'un second souffle qui traduit bien la volonté des juges d'intégrer la bonne foi, la loyauté dans la formation du contrat. Si un acquéreur s'est engagé à acheter sous condition de vendre sa propre maison, il doit loyalement faire son possible pour que la vente de sa propre maison se réalise ; s'il s'est engagé à acheter un appartement sous condition d'obtention d'un prêt, il doit faire son possible pour obtenir le prêt. Jusqu'où aller dans cette obligation ? On sait que la Cour de cassation décide qu'il appartient à celui en faveur duquel la condition a été stipulée d'apporter la preuve qu'il a fait son possible ; la troisième chambre civile, dans un récent arrêt du 8 décembre 1999 rendu en matière de prêt immobilier, a cependant précisé qu'une demande d'emprunt et une seule conforme aux caractéristiques stipulées à la promesse et qui se révélerait infructueuse, suffit. Il n'est donc pas nécessaire que le candidat à l'emprunt se heurte à plusieurs refus ; s'il se heurte à un seul refus, il semble que la défaillance de la condition suspensive d'obtention du prêt ne puisse pas lui être reprochée sur le terrain de l'article 1178.

Voilà quelques observations rapides sur cette période de la formation du contrat. Vous voyez qu'elle est devenue très juridique. Elle l'est d'autant plus, et c'est par là que j'en terminerai, que souvent, les juristes eux-mêmes y interviennent en qualité de conseil et que, vous le savez tout autant que moi, la jurisprudence met à leur charge un devoir de conseil important, dont la Cour de cassation nous dit qu'il est absolu, c'est-à-dire qu'il ne se restreint pas à la lumière des compétences éventuelles des négociateurs, des compétences éventuelles des clients ou de leur assistance par d'autres conseils. Donc, c'est un devoir de conseil exigeant même si, fort heureusement, la Cour de cassation nous a précisé il y a quelque temps que le juriste qui intervenait dans cette période n'était quand même pas tenu d'un devoir de divination ! En d'autres termes, le juriste ne saurait se voir reprocher par son client de n'avoir pas anticipé des arrêts de revirement qui ne sont pas encore intervenus... Mais ce n'est là qu'une maigre consolation au regard d'une responsabilité professionnelle de plus en plus abondante qui, à sa façon, souligne la place essentielle qu'a prise de nos jours la phase de négociation et de formation du contrat.

Jacques MESTRE

Doyen de la faculté de droit d'Aix-Marseille

http://www.lextenso.fr

Page 97: Note de Synthese_Les Pourparlers

97

Document 23 :

Le dommage précontractuel, O. Deshayes, RTD Com. 2004 p. 187

RTD Com. 2004 p. 187

Le dommage précontractuel

Olivier Deshayes, Docteur en droit ; ATER à l'Université Paris-I

L'essentiel « Quel est le dommage réparable en cas de rupture abusive de pourparlers ? ». La question, aujourd'hui, ne reçoit pas de réponse très précise. Sans doute la tentation existe-t-elle de minorer l'importance des difficultés ainsi rencontrées et de laisser les juges du fond se livrer à une appréciation au cas par cas du dommage réparable. Il faut pourtant résister à cette tentation. Car, loin d'être exclusivement factuelles, les difficultés d'identification du dommage précontractuel pourraient révéler un flottement d'ordre théorique dans la définition même de la faute précontractuelle.

1. Que celui qui rompt des négociations contractuelles s'expose à la mise en jeu de sa responsabilité

civile, voilà qui n'étonne plus vraiment. En dépit de la liberté qui caractérise la phase des négociations, il

est en effet admis qu'une rupture des pourparlers peut être fautive et entraîner la responsabilité de son

auteur. C'est à cette responsabilité pour rupture des pourparlers que nous réserverons le nom de

responsabilité précontractuelle (1). Quelques décisions de principe et d'importantes contributions

doctrinales (2) ont permis d'en signaler l'existence et d'en conforter la nature délictuelle (3).

Mais pour être devenue presque banale dans son principe, la responsabilité précontractuelle n'est pas

parfaitement précise dans son régime. Il subsiste en effet, sur les conditions de sa mise en oeuvre,

plusieurs points d'ombre ; comme une part de mystère (4). Cette zone d'ombre doit beaucoup aux

inévitables difficultés de qualification des comportements fautifs (5). Elle pourrait devoir également, et

de manière plus inattendue, aux difficultés d'identification du dommage réparable.

Au premier abord, il est vrai que le principe de réparation intégrale (6) et le pouvoir souverain dont

disposent les juges du fond dans l'évaluation du montant des dommages (7) paraissent priver la

détermination du dommage précontractuel réparable de tout intérêt d'ordre théorique : tout dommage

causé par la rupture abusive des pourparlers doit être réparé ; l'évaluation qui est faite de chacun des

chefs de préjudice échappe à la discussion juridique. Voilà qui paraît clair.

A l'analyse pourtant, plusieurs raisons invitent à s'interroger sur la façon dont le dommage précontractuel

est actuellement réparé en droit français. Trois, précisément.

Tout d'abord, il est intéressant d'observer que les positions françaises en la matière sont isolées sur la

scène internationale. La jurisprudence française, au moins jusqu'à une époque très récente, a en effet

fait preuve d'une largesse inconnue de la plupart des autres systèmes juridiques en accueillant les

demandes en réparation des dommages causés par la rupture des pourparlers (8). A notre époque de

comparaison - sinon de rapprochement - entre les droits européens, ce seul point ne peut laisser

indifférent.

Mais on peut aussi ajouter, deuxièmement, qu'il existe, entre certaines décisions jurisprudentielles ainsi

qu'entre certains auteurs, des points de discorde relativement à la détermination du dommage

précontractuel réparable (9). La Cour de cassation vient d'illustrer l'existence de ces tensions en

prenant elle-même le contre-pied de la jurisprudence dominante par un important arrêt du 26 novembre

2003 (10) portant sur la réparation de la perte de chance de conclure le contrat négocié. Cette décision

atteste en un sens de la légitimité et de l'actualité d'un questionnement sur la composition du dommage

Page 98: Note de Synthese_Les Pourparlers

98

précontractuel réparable en droit français.

On peut faire valoir, enfin, que la mesure précise de l'étendue du dommage précontractuel permet de

renseigner les négociateurs de contrats sur l'importance financière des risques liés à la négociation. Or

ces négociateurs sont aujourd'hui fondés à s'inquiéter de décisions des juges du fond ayant prononcé des

condamnations vertigineuses, s'élevant jusqu'à 2 millions (11), 3 millions (12), 4 millions (13)

voire 7 millions de francs (14).

Le dommage précontractuel paraît donc mériter un examen attentif. Pour notre part, nous voulons croire

que les difficultés d'identification de ce dommage proviennent d'une analyse parfois hésitante de la faute

précontractuelle. Si cela était exact, des solutions aux problèmes d'identification du dommage

précontractuel pourraient alors être esquissées.

Les problèmes posés par l'identification du dommage précontractuel réparable

2. La doctrine française, incitée en cela par l'article 1149 du code civil (15), a pris l'habitude de

décomposer le dommage consécutif à la rupture des pourparlers en deux : la perte subie et le gain

manqué (16). Des difficultés apparaissent dès qu'on cherche à identifier précisément le contenu de

chacune de ces deux catégories. A ces difficultés, propres à chaque type de préjudice, s'ajoutent celles

posées par la réparation cumulative de dommages relevant de catégories différentes.

La perte subie

3. La rupture fautive des pourparlers peut, pour celui qui en est la victime, être la source de pertes. Ces

pertes consistent parfois en une atteinte à l'image, à la réputation ou au crédit (17). On peut imaginer

par exemple que la rupture fautive de longs pourparlers, dans un domaine technologique entièrement

nouveau, donne aux tiers l'impression que le service ou produit proposé est décevant voire totalement

inadapté.

4. Plus fréquemment, toutefois, les pertes provoquées par la rupture des pourparlers s'assimilent aux

frais qui ont été engagés. Ces frais relèvent eux-mêmes de deux catégories bien distinctes.

Une première catégorie regroupe toutes les dépenses engagées en vue de la conclusion du contrat. Ce

sont, pourrait-on dire, les frais « de négociation ». On songe notamment aux dépenses de déplacements

(18), au temps passé à l'élaboration du projet de contrat (19), aux aménagements de locaux (20),

à l'acquisition de matériel (21), aux coûts d'intervention de tiers spécialisés (experts, consultants,

auditeurs, architectes, etc.) (22), ou encore aux coûts de recrutement de personnel (23). Bref, ces

frais de négociation regroupent toutes les dépenses effectuées dans le but de parvenir à un accord

définitif, et qui se révèlent, a posteriori, avoir été exposées sans aucun intérêt, car sans contrepartie.

De ces frais, liés à la négociation, il est possible de distinguer les frais liés à la rupture, c'est-à-dire les

dépenses effectuées ou les pertes subies en conséquence de la rupture des négociations. Ce sont les frais

« post-rupture » ou, plus exactement, les frais « de rupture ». Cette catégorie regroupe par exemple les

frais financiers provoqués par la nécessité de recourir à un financement par emprunt suite à l'échec des

négociations (24), les dépenses liées à la nécessité de trouver un nouvel emploi au lendemain de la

rupture (25) ou encore les dépenses liées à la nécessité de recourir en catastrophe aux services plus

coûteux d'un tiers (26).

5. La question de savoir si tous ces frais doivent être inclus dans la composition du dommage

précontractuel réparable est aujourd'hui tranchée dans un sens favorable à la victime de la rupture.

Majoritairement, magistrats (27) et auteurs (28) approuvent en effet l'indemnisation indifférenciée

des pertes subies. N'est-il pas vrai, de fait, que si le négociateur frustré avait anticipé l'issue décevante

des négociations, il n'aurait engagé aucun de ces frais ? L'auteur de la rupture, si une faute est établie,

ne doit-il pas alors indemniser son partenaire de tous les frais ? Une solution affirmative paraît au

premier abord logique. Elle seule permet de replacer le partenaire lésé « dans la situation qui aurait été

la sienne s'il n'avait pas entrepris de négocier avec l'auteur de la rupture fautive » (29).

Page 99: Note de Synthese_Les Pourparlers

99

6. A la réflexion pourtant, cette position libérale peut paraître surprenante. Car il est une raison de

penser que les frais de négociation et les frais de rupture n'ont pas à être remboursés. A tout le moins,

pas tous. Les participants à une négociation précontractuelle savent que la conclusion du contrat projeté

n'est pas certaine ; ils acceptent d'exposer des frais dans le seul espoir (lequel n'est pas une certitude)

qu'un accord définitif sera trouvé. Et de fait, lorsque les négociations sont rompues sans faute, chaque

négociateur supporte les frais de négociation et les frais de rupture qu'il a engagés. Dans cette mesure, il

est tout à fait possible d'admettre que lorsqu'une faute est commise dans la rupture, celle-ci ne cause

pas le « préjudice » correspondant aux frais : ce « préjudice » aurait existé en l'absence même de faute

car il est un risque inhérent à toute négociation contractuelle. C'est dire en somme que le lien de

causalité entre le dommage et la faute peut paraître faire défaut. Et c'est d'ailleurs ce qu'a reconnu la

Cour d'appel de Paris dans un arrêt rendu le 16 décembre 1998 : « Attendu que le préjudice en relation

avec la faute de M. Garzon, à savoir la rupture brutale des pourparlers à un stade très avancé, ne saurait

inclure les frais exposés pendant la longue phase préalable de discussion, qui seraient restés à la charge

de chacune des parties quelle que soit l'issue de la négociation et y compris si elle n'aboutissait pas »

(30).

Une partie de la doctrine approuve d'ailleurs une certaine restriction à la compensation des frais engagés,

mais pour une raison différente et dans un domaine limité. Selon certains auteurs (31), les

professionnels ne pourraient en effet réclamer l'indemnisation des frais de négociation, car ces frais se

trouveraient déjà « réparés » par leur affectation aux charges générales de l'entreprise (32). Cette

dernière position est toutefois discutée et peut ne pas convaincre complètement (33).

Le gain manqué

7. Outre les pertes qu'elle fait subir, la rupture fautive des négociations prive celui qui en est la victime

de la chance de tirer profit du contrat projeté. Une jurisprudence (34) et une doctrine (35)

majoritaires se sont donc prononcées en faveur de l'indemnisation du préjudice correspondant au gain

attendu de l'exécution du contrat. Unanimement toutefois, il a été admis que l'indemnisation ne peut

jamais égaler la totalité du gain attendu mais simplement une partie de celui-ci. Il y aurait en effet lieu

de tenir compte de ce que la conclusion du contrat n'est jamais tout à fait certaine et d'appliquer par

conséquent un coefficient de minoration au gain net manqué (36). Ce système, qui permet de prendre

en compte le degré de vraisemblance de conclusion du contrat, conduit en définitive à indemniser la

seule perte de chance de voir le contrat se conclure.

8. En indemnisant une telle perte de chance, il convient de noter que le droit français se démarque assez

nettement des droits étrangers. Car si le droit néerlandais admet une solution voisine (37), la plupart

des autres droits y sont hostiles, tels les droits italien (38), israélien (39), états-unien (40),

anglais, australien, néo-zélandais, allemand, finlandais, danois, autrichien, grec et à un moindre degré

portugais (41). Quant aux récents projets de rapprochement des droits européens, soit ils ne prennent

pas parti sur la question (42), soit ils excluent la réparation de la perte de chance de conclure le contrat

négocié (43).

9. Que penser, dans ces conditions, de l'indemnisation de la perte de chance de conclure le contrat

négocié ? Il faut reconnaître qu'elle se heurte à des objections importantes.

On peut faire valoir en effet que la liberté dont jouissent les négociateurs dans la phase des pourparlers

exclut l'indemnisation, même partielle, du gain attendu du contrat puisque la conclusion de ce contrat

n'est jamais certaine. De fait, compenser, par l'allocation de dommages-intérêts, ne serait-ce que la

perte de chance de conclure le contrat avorté, c'est déjà consacrer une forme d'exécution par équivalent

de ce contrat (44) ; c'est admettre qu'en l'absence de faute le contrat aurait été conclu (ou avait de

sérieuses chances de l'être). Or cette anticipation est en un sens contraire à la liberté reconnue aux

parties.

Exprimé d'une manière plus juridique, cet argument fondé sur la liberté de rompre les négociations se

ramène à un problème de causalité. Puisque les négociateurs ont en principe la liberté de rompre les

pourparlers, aucun d'entre eux ne peut se dire titulaire d'une « chance » de conclure le contrat définitif.

Page 100: Note de Synthese_Les Pourparlers

100

Car le processus qui mène au contrat passe en effet nécessairement par l'accord du partenaire ; or ce

partenaire est par hypothèse libre de rompre les négociations. Si la rupture des négociations fait donc

perdre une chance, ce n'est qu'une chance de poursuivre les négociations mais jamais une chance de

conclure le contrat. Pour cela, il ne paraît exister aucune relation causale entre la rupture des pourparlers

et le dommage consistant dans la perte de chance de conclure le contrat.

10. C'est sans doute pour ces raisons que plusieurs auteurs (45) ainsi que plusieurs juridictions (46)

sont restés assez réticents à l'idée d'une indemnisation de la perte de chance de conclure le contrat. Ils

viennent d'être rejoints par la chambre commerciale de la Cour de cassation qui, dans un important

arrêt, vient d'approuver des juges d'appel d'avoir refusé l'indemnisation de la perte de chance de

conclure le contrat au motif que « les circonstances constitutives d'une faute dans l'exercice du droit de

rupture unilatérale des pourparlers précontractuels ne sont pas la cause du préjudice consistant dans la

perte d'une chance de réaliser les gains que permettait d'espérer la conclusion du contrat » (47). Par la

généralité de ce motif, la Cour de cassation semble laisser peu de place au doute : toute indemnisation

de la perte de chance de conclure le contrat paraît désormais exclue, quelle que soit par ailleurs la

gravité de la faute commise ou l'importance de la chance prétendument perdue. Il y a là une position

aussi nouvelle qu'inattendue (48). Nous aurons, plus loin, l'occasion d'en discuter les mérites.

11. Pour le moment il reste à évoquer un dernier chef de préjudice, heureusement moins contesté. Il

s'agit d'une autre composante du gain manqué : la perte de chance de conclure un contrat avec un tiers.

L'échec des négociations précontractuelles n'étant le plus souvent pas immédiat, tout le temps consacré

aux négociations infructueuses est autant de temps perdu pour arriver à la conclusion d'un contrat

satisfaisant avec un autre partenaire. Le dommage constitué par la perte de chance de conclure un

contrat avec un tiers est donc regardé comme un dommage réparable (49). Aucune difficulté d'ordre

théorique ne semble s'opposer à une telle compensation. Les difficultés ne sont que d'ordre pratique :

elles portent sur l'appréciation de la réalité de la chance perdue et sur le montant des dommages-intérêts

devant être consécutivement alloués. Mais si la position favorable à la compensation de ce type de

dommage n'est pas par elle-même critiquable, elle peut faire problème dans la perspective d'un cumul

des différents chefs de préjudice entre eux.

La réparation cumulative des différents chefs de préjudice

12. Une fois que les préjudices naissant de la rupture des pourparlers ont été identifiés, on est tenté d'en

faire masse et d'affirmer, au nom du principe de réparation intégrale, qu'ils doivent être tous réparés.

Avant que la Cour de cassation ne remette en cause l'indemnisation de la perte de chance de conclure le

contrat avorté (50), cette position favorable au cumul paraissait largement adoptée. A en effet été

admis le cumul de la perte de chance de conclure le contrat avorté et de la perte de chance de conclure

un contrat avec un tiers (51) mais aussi le cumul de la perte de chance de conclure le contrat avorté et

des frais engagés (52). De manière plus générale encore, aucun obstacle ne paraissait s'opposer au

cumul de tous les chefs de préjudice (53).

13. Il pourrait pourtant y avoir dans cette tentation du cumul une forme de contradiction. Prenons pour

exemple le cumul de la perte de chance de conclure le contrat avorté et de la perte de chance de

conclure un contrat avec un tiers. Ce cumul a quelque chose d'étonnant. Car, pas plus qu'on ne peut

obtenir simultanément l'exécution d'un contrat et sa résolution avec dommagesintérêts (54), on ne

devrait pouvoir obtenir la compensation du préjudice né du défaut de conclusion d'un contrat et de celui

né du défaut de conclusion du contrat qui aurait pu être souscrit à la place du premier. Décider le

contraire, c'est admettre de placer simultanément la victime de la rupture dans deux situations

incompatibles : celle qui serait résultée de la conclusion du contrat projeté et celle qui serait résultée de

l'absence de négociations. Cela revient, en définitive, à cumuler « intérêt positif » et « intérêt négatif » :

on prétend à la fois faire comme si le contrat était conclu et faire comme si les négociations n'avaient

jamais été entamées.

Pour la même raison, le cumul entre perte de chance de conclure le contrat avorté et les frais devrait être

écarté. En effet, la compensation de la perte de chance de conclure le contrat projeté permet de

Page 101: Note de Synthese_Les Pourparlers

101

reproduire artificiellement les effets attendus d'une poursuite loyale des négociations, alors que la

compensation intégrale des frais permet de rétablir la victime dans la situation qui aurait été la sienne si

les négociations n'avaient jamais eu lieu. Entre ces deux optiques il faut bien choisir car le cumul paraît

impossible.

14. A ce stade de l'étude, une conclusion partielle peut être présentée. Il apparaît en effet que les

problèmes soulevés par l'identification du dommage précontractuel sont bien réels. Trois questions

principales se dégagent : peut-on réellement admettre l'indemnisation de tous les frais engagés ? Doit-on

réparer ou bien refuser de réparer la perte de chance de voir le contrat projeté se conclure ? Peut-on,

enfin, librement cumuler tous les chefs de préjudice entre eux ? Ces questions sont importantes. Il est

temps de chercher à localiser l'origine des difficultés dont elles ne sont peut-être que les manifestations.

L'origine des problèmes rencontrés

15. Les trois problèmes d'identification du dommage précontractuel que nous venons d'évoquer

paraissent avoir deux sources. Nous avons vu en effet que les difficultés posées par la réparation des

frais ainsi que celles posées par la réparation de la perte de chance de conclure le contrat avorté sont

liées à l'incertitude du lien causal unissant la faute et le dommage (55). Ce qui pose problème, dans

ces deux premières hypothèses, c'est donc la question classique de la causalité. La troisième difficulté

identifiée - celle du cumul entre les différents chefs de préjudice - n'est pas, quant à elle, liée à la

causalité. Elle relève davantage d'un problème de cohérence. En réparant cumulativement tous les

préjudices, on fait en effet jouer à la responsabilité civile deux rôles contradictoires : celui de replacer la

victime dans la situation antérieure aux pourparlers et celui de replacer cette même victime dans la

situation qui aurait été la sienne si les pourparlers s'étaient poursuivis (56). La source des difficultés

tient donc cette fois au rôle ambigu qui est confié à la responsabilité civile.

A l'analyse, ces deux sources immédiates de difficultés pourraient n'être que les manifestations d'une

seule et même source médiate. Toutes les difficultés posées par la détermination du dommage

précontractuel réparable auraient alors la même origine : en l'occurrence un flottement dans la définition

de la faute précontractuelle.

Le lien ainsi suggéré entre les problèmes d'identification du dommage réparable et la définition de la

faute peut surprendre. Pourtant, il existe un rapport entre les problèmes de causalité et de fonction

conférée à la responsabilité, d'un côté, et la définition de la faute, d'un autre côté. Le dommage n'étant

que l'ombre de la faute, portée par la causalité, il importe en effet de savoir quelle est la faute reprochée

afin de déterminer si le préjudice ressenti par la victime entre en relation causale avec cette faute. De

même, pour comprendre le rôle que doit avoir la responsabilité, il faut savoir quelle est la faute en cause

car la mise en jeu de la responsabilité doit permettre de replacer la victime dans la situation qui aurait

été la sienne si la faute n'avait pas été commise (57).

En définitive, les problèmes de causalité ou de rôle joué par la responsabilité civile peuvent parfaitement

refléter un problème plus profond de définition de la faute. Précisément, deux conceptions radicalement

opposées de la faute précontractuelle s'opposent ; or le choix entre elles deux n'est peut-être pas

suffisamment net aujourd'hui.

Première conception de la faute précontractuelle : la faute de négociation

Enoncé

16. Suivant une première conception de la faute précontractuelle, frappée au coin de la liberté de

contracter, la rupture des pourparlers ne serait jamais, à elle seule, fautive. Seules pourraient être

constitutives d'une faute les circonstances qui accompagnent la rupture (58). En d'autres termes, la

faute de rupture n'existerait pas (car les parties sont libres de ne pas conclure le contrat). Seule serait

concevable une faute dans la rupture, c'est-à-dire une faute étrangère à la rupture mais commise ou

révélée à l'occasion de celle-ci (59).

Pour affermir la distinction qui oppose la faute de rupture à la faute dans la rupture et éviter toute

Page 102: Note de Synthese_Les Pourparlers

102

équivoque, il est possible de préférer à l'expression de faute dans la rupture celle de faute de négociation

(60).

Conséquences

17. En partant de l'hypothèse de l'adhésion à la définition de la faute de négociation, il faut se demander

quel est le dommage réparable. Ce dommage est nécessairement celui ressenti par le négociateur déçu à

raison des seules circonstances fautives entourant la rupture, et non à raison de la rupture elle-même

(61). Car à la question « que se serait-il passé si la faute n'avait pas été commise ? », la définition de la

faute retenue invite à répondre : « la rupture des négociations serait tout de même intervenue, mais

alors débarrassée des circonstances supplémentaires qui ont seules porté illégalement atteinte aux

intérêts du partenaire à la négociation ».

Dans ces conditions, la mise en jeu de la responsabilité de l'auteur de la faute ne doit pas avoir pour rôle

de replacer la victime dans l'état dans lequel celle-ci se serait trouvée en l'absence de rupture (ni même

d'ailleurs dans l'état dans lequel elle se serait trouvée en l'absence de négociations), mais dans l'état

dans lequel celle-ci se serait trouvée si la rupture n'avait pas été accompagnée de circonstances fautives.

Ce point est important et laisse entrevoir des développements concrets.

18. Commençons tout d'abord par les frais engagés lors des négociations. Contrairement à une position

aujourd'hui largement répandue, ces frais n'auraient pas à être toujours indemnisés. Ils ne doivent

figurer dans le dommage réparable qu'à la condition d'être liés à la faute, c'est-à-dire ici aux seules

circonstances qui ont accompagné ou qu'a révélées la rupture. En d'autres termes, pour que les frais

soient remboursés, l'équation suivante doit être vérifiée : « les frais n'auraient pas été engagés sans les

circonstances fautives qui ont accompagné la rupture ».

Une telle équation ne se vérifie pas toujours. Elle ne se vérifie pas notamment pour les frais de rupture

(62). Ces frais, parce qu'ils représentent les dépenses engagées pour trouver une solution de repli

après l'échec des négociations, ne sont en effet pas liés aux circonstances entourant la rupture (brutalité,

absence d'intention de contracter, volonté de nuire à la réputation commerciale). Ils ne sont liés qu'à la

rupture elle-même. Dès lors, s'il est décidé que la rupture n'est jamais par elle-même fautive, il peut être

conclu à l'absence de lien de causalité entre la faute et ces frais de rupture.

De même, l'équation ne se vérifie pas toujours pour les frais de négociation (63). Tel est le cas

notamment en présence de rupture brutale des pourparlers. Puisque la brutalité de la rupture ne

constitue jamais la cause des frais, il serait en effet illogique de prétendre que l'auteur de la rupture doit

rembourser les frais de négociation à l'autre négociateur. La solution est d'ailleurs la même lorsque la

faute consiste à avoir porté atteinte à la réputation ou à l'honneur du partenaire à la négociation. La

réparation du dommage causé par une telle faute n'implique aucunement le remboursement des frais de

négociation engagés par le partenaire. De fait, si la rupture n'avait pas été accompagnée de propos

vexatoires ou diffamatoires, les frais auraient tout de même été supportés par le négociateur déçu,

preuve qu'ils ne sont pas liés à la faute (64).

L'indemnisation des frais de négociation n'est en définitive concevable que lorsqu'il est établi que ces

frais ont été engagés en conséquence des circonstances fautives entourant la rupture. Une telle

hypothèse n'est pas inconcevable. Ainsi, lorsque la faute précontractuelle consiste à avoir sciemment fait

durer des négociations dont les chances de succès étaient devenues nulles, la faute est bien la cause de

frais nouveaux : ce sont tous les frais qui n'auraient pas été engagés si la rupture était intervenue plus

tôt (65). Plus généralement encore, lorsque la faute consiste à être entré en pourparlers sans aucune

intention de contracter, la faute est la cause de tous les frais. Car en l'absence de faute, aucune dépense

n'aurait été engagée.

19. Poursuivons par l'analyse du préjudice correspondant à la perte de chance de conclure le contrat

avorté. Un tel dommage ne doit pas être réparé. Car si la faute n'est pas la rupture des pourparlers mais

simplement une circonstance accompagnant cette rupture, la situation dans laquelle se serait trouvée la

victime en l'absence de faute (et dans laquelle il faut chercher à la replacer) est la suivante : les

Page 103: Note de Synthese_Les Pourparlers

103

négociations auraient tout de même été rompues, mais sans aucune circonstance supplémentaire propre

à établir une faute. Par là, on établit que la perte du gain attendu du contrat n'est pas liée à la faute. Un

tel préjudice ne doit donc pas être réparé, faute de lien de causalité. C'est d'ailleurs, nous le savons, la

conclusion à laquelle vient de se rallier la chambre commerciale de la Cour de cassation dans son arrêt du

26 novembre 2003 (66). A ce stade de la réflexion, cette conclusion n'a pas réellement à être jugée

bonne ou mauvaise par elle-même ; elle est conforme à une certaine conception de la faute

précontractuelle, faisant la part belle à la liberté des négociateurs (67).

20. Abordons enfin le préjudice correspondant à la perte de chance de conclure un autre contrat que le

contrat avorté. Un tel préjudice devrait effectivement pouvoir être réparé. Pas dans tous les cas

cependant. Il faut en effet établir que le dommage est lié par un lien de causalité à la faute (c'est-à-dire

aux circonstances entourant la rupture). Cette condition est remplie lorsque la faute précontractuelle

consiste par exemple à avoir fait perdre son temps à l'autre négociateur. Dans ce cas, il est logique que

la perte de la chance de conclure un contrat avec un tiers soit incluse dans le dommage réparable. Car si

la faute n'avait pas été commise, le négociateur frustré aurait eu davantage de temps pour se rapprocher

de tiers et éventuellement conclure un contrat. De même, si la faute consiste à avoir porté atteinte à la

réputation et à l'honneur du partenaire, il est possible d'affirmer que ce dernier a perdu, pour l'avenir,

des chances de conclure un contrat satisfaisant avec des tiers, rendus méfiants. Le montant des

dommages-intérêts alloués sera alors le montant de l'avantage net attendu du contrat qui aurait pu être

conclu avec un tiers, affecté d'un coefficient de minoration qui est fonction de la teneur de la chance

perdue (68).

Par contre, chaque fois qu'il est possible d'établir que la chance de conclure un contrat avec un tiers

aurait été perdue même si la faute précontractuelle n'avait pas été commise, il faudra refuser la

compensation de ce prétendu dommage. Ainsi, lorsque la faute consiste simplement à avoir rompu trop

brutalement les pourparlers, il n'est pas possible de considérer que cette faute a fait perdre au partenaire

des chances de conclure un contrat avec des tiers. Bien au contraire, elle a libéré le partenaire d'une

négociation qui devait in fine avorter et lui permet donc de chercher plus rapidement une solution de

remplacement.

21. En résumé, il apparaît que l'adhésion à la thèse de la faute de négociation a pour conséquence de

limiter le dommage réparable à certains frais de négociation et à la perte de chance de conclure un

contrat avec un tiers. Se trouvent a contrario exclus les frais de rupture ainsi que la perte de chance de

conclure le contrat projeté. Ces propositions n'étant elles-mêmes que la conséquence de la définition de

la faute retenue, il est naturel qu'elles changent lorsque change cette définition.

Deuxième conception de la faute précontractuelle : la faute de rupture

Enoncé

22. Dans une deuxième conception de la faute précontractuelle, moins déférente à l'égard de la liberté

des négociateurs, la faute consiste dans le fait même d'avoir rompu les négociations (69). Il n'y a alors

plus faute de négociation, commise ou révélée à l'occasion de la rupture, mais bien faute de rupture : on

reproche au négociateur d'avoir rompu des pourparlers qu'il avait l'obligation de poursuivre.

Conséquences

23. A suivre une telle définition, le dommage précontractuel prend un visage tout particulier : il est celui

subi par la victime à raison de la rupture elle-même. La responsabilité qui est la conséquence de la faute

doit donc permettre de replacer la victime dans l'état dans lequel elle se serait trouvée en l'absence de

rupture, c'est-à-dire en cas de poursuite des négociations. Ce résultat est idéalement atteint par

l'obligation faite au négociateur indélicat de reprendre les pourparlers. Cependant de compréhensibles

considérations d'efficacité juridique et d'autres, tirées du respect dû à la liberté individuelle, conduisent à

rejeter cette conclusion (70). La sanction du manquement au devoir de négocier de bonne foi est donc

obtenue par équivalent. Précisément, quel peut être en pareille hypothèse le contenu concret du

dommage réparable ?

Page 104: Note de Synthese_Les Pourparlers

104

24. Quant aux frais, une distinction paraît s'imposer. Les frais de négociation (71), tout d'abord, ne

devraient pas être compris dans le dommage réparable. Pas même pour partie. En effet, l'indemnisation

de ces frais n'a pas pour but de replacer la victime dans la situation qui aurait été la sienne en cas de

poursuite des négociations. Il y aurait donc une forme de contradiction - et de double indemnisation - à

vouloir indemniser les frais de négociation tout en cherchant à réparer les conséquences provoquées par

la rupture elle-même (72).

Le raisonnement est différent, cela étant dit, pour les frais de rupture (73). Car de tels frais étant

engagés à cause de la rupture, et afin d'en limiter les conséquences négatives, ils n'auraient pas été

exposés si les négociations s'étaient poursuivies. Les réparer revient donc bien à replacer la victime dans

la situation qui aurait été la sienne en l'absence de rupture. Ils doivent par conséquent être inclus dans le

dommage réparable.

25. Quant à la perte de chance de conclure un contrat avec un tiers, elle ne doit pas être réparée. De

fait, à l'instar des frais de négociation, la perte de chance de conclure un contrat avec un tiers ne doit

être réparée que si la responsabilité tend à replacer la victime dans l'état qui aurait été le sien en

l'absence de négociations infructueuses (74). Or telle n'est pas notre hypothèse.

26. Enfin, l'indemnisation de la perte de chance de conclure le contrat projeté doit être octroyée. Le

meilleur moyen de replacer le négociateur frustré dans la position qu'il aurait occupée en cas de

poursuite des négociations est en effet de l'indemniser de la perte de chance de voir le contrat se

conclure. Il faut alors estimer les chances de succès des pourparlers et minorer le gain net total attendu

du contrat d'un coefficient tenant compte des risques d'échec (75). C'est ce que faisaient, avant l'arrêt

du 26 novembre 2003, la plupart des juridictions, en choisissant d'indemniser la perte de chance de

conclure le contrat avorté (76). Il faut comprendre qu'une telle position n'est pas condamnable par

elle-même. Elle est conforme à une certaine définition de la faute précontractuelle, faisant de la rupture

une faute.

27. On retiendra donc de ce développement que l'adhésion à la thèse de la faute de rupture conduit à

limiter le dommage précontractuel réparable aux frais de rupture et à la perte de chance de conclure le

contrat négocié. L'indemnisation des frais de négociation ainsi que de la perte de chance de conclure un

contrat avec un tiers est, quant à elle, exclue.

Flottement actuel entre les deux conceptions de la faute précontractuelle

28. Il est raisonnable d'affirmer que l'identification du dommage précontractuel réparable est dépendante

de la définition donnée à la faute précontractuelle. La faute cause le dommage ; le dommage est causé

par la faute ; de sorte que le contenu de l'un dépend de la définition de l'autre. Ainsi que nous venons de

le voir, selon que l'on limite la faute précontractuelle aux circonstances entourant la rupture des

négociations ou que l'on considère cette rupture comme fautive par elle-même, le dommage devant être

réparé n'est pas le même. Il varie même d'un extrême à l'autre. Dans le premier cas seront seuls réparés

certains frais de négociation ainsi que la perte de chance de conclure un contrat avec un tiers. Dans le

second cas, seront seuls compris dans le dommage réparable les frais de rupture et la perte de chance de

conclure le contrat avorté.

29. On peut dès lors se demander si les divergences de position parfois observables en France en

matière de détermination du dommage précontractuel ne sont pas finalement que les conséquences

d'une divergence (au moins implicite) de conception de la faute précontractuelle. Les décisions favorables

à l'indemnisation de la perte de chance de conclure le contrat négocié se fonderaient sur la faute de

rupture. A l'inverse, les décisions favorables à l'indemnisation des frais et de la perte de chance de

conclure un contrat avec un tiers trahiraient une faveur pour la faute de négociation.

L'explication est séduisante et recèle peut-être une part de vérité. Pourtant, il semble raisonnable

d'admettre qu'elle n'explique pas tout et qu'un mélange des deux conceptions est aussi opéré. C'est ce

mélange dont atteste par exemple la tendance à autoriser le cumul de dommages incompatibles entre

Page 105: Note de Synthese_Les Pourparlers

105

eux (77) : frais et perte de chance de conclure le contrat projeté ou encore perte de chance de

conclure le contrat projeté et perte de chance de conclure un contrat avec un tiers (78).

Dans d'autres cas, c'est moins l'application cumulative des deux conceptions de la faute que l'absence de

prise de position quant à la définition de la faute qui paraît à l'origine des difficultés. Ainsi, la tendance

favorable à l'indemnisation intégrale des frais ne peut-elle être rattachée à aucune des deux conceptions

de la faute puisqu'aucune d'entre elles ne commande une réparation intégrale des frais.

Dans ces conditions, il est possible de conclure que les difficultés d'identification du dommage

précontractuel réparable proviennent actuellement d'un flottement dans la définition de la faute

précontractuelle. Et si tel est bien le cas, des solutions à ces difficultés pourraient alors se dessiner.

Les solutions envisageables

30. De ce qui précède, il résulte que l'étendue du dommage précontractuel réparable peut être

déterminée à condition qu'une option franche soit prise en faveur de l'une ou de l'autre des deux

conceptions de la faute qui ont été présentées. L'application cumulative de ces deux conceptions, en

présence d'un même comportement, conduit en effet à des résultats incohérents.

Mais dire que l'étendue du dommage réparable est dictée par la conception de la faute précontractuelle

retenue et qu'il ne faut pas mélanger les conceptions de la faute disponibles n'est certainement pas tout

dire. Il reste encore à déterminer quelle conception de la faute retenir. Or l'option ne comporte pas

simplement deux branches mais trois. Il est en effet possible d'opter pour une application exclusive de la

faute de rupture, pour une application exclusive de la faute de négociation, ou enfin pour une solution

dualiste consistant à appliquer distributivement faute de négociation et faute de rupture.

La première voie nous semble sans issue. Elle supposerait d'admettre que la faute précontractuelle est

toujours une faute de rupture, consistant dans la violation d'une obligation de poursuivre les pourparlers.

Or ceci paraît tout aussi contraire au droit positif qu'attentatoire à la liberté des parties. C'est pourquoi le

choix ne reste ouvert qu'entre une application distributive de chacune des deux définitions de la faute, et

l'application exclusive de la faute de négociation.

L'application distributive de chacune des deux conceptions de la faute précontractuelle

31. Il n'est pas exclu que les deux définitions de la faute précontractuelle puissent cohabiter dans un

même système juridique.

Dans certains cas, indéniablement, la faute reprochée au négociateur n'est pas la rupture elle-même

mais un comportement blâmable dont cette rupture est l'occasion ou le révélateur. Citons pêle-mêle la

rupture brutale de pourparlers, la rupture de pourparlers engagés sans réelle intention de contracter ou

pour empêcher le partenaire de conclure un contrat avec un autre, la rupture accompagnée de propos

vexatoires, injurieux, ou portant atteinte à la réputation du partenaire. Dans tous ces cas, le juge,

lorsqu'il cherche à isoler la faute, ne porte pas son attention sur la décision même de rompre les

négociations mais sur une circonstance extérieure : la brutalité, l'absence d'intention de conclure le

contrat, la volonté de nuire, de diffamer et caetera. C'est cette circonstance extérieure qui constitue la

faute.

C'est d'ailleurs à cette catégorie de faute qu'il faut associer, semble-t-il, la tendance à reprocher au

partenaire précontractuel le défaut de cohérence de son comportement. On parle en effet souvent du

devoir de cohérence auquel serait tenu le négociateur et qui lui interdirait de changer subitement

d'attitude. Un tel devoir permet la protection de la confiance qu'ont légitimement pu faire naître les

paroles ou actes de son débiteur ; confiance qui est par la suite trompée par un changement brusque

d'attitude (79). Or ce que l'on reproche à l'auteur de la rupture des pourparlers en parlant d'un tel

devoir de cohérence, ce n'est pas d'avoir rompu les négociations. C'est d'avoir fautivement fait naître

l'espoir que le contrat allait être conclu (80). La faute, autrement dit, n'est pas la rupture ; c'est le fait

d'avoir fait croire que cette rupture n'interviendrait pas (81).

Page 106: Note de Synthese_Les Pourparlers

106

32. Dans d'autres cas cependant, il est possible de considérer que les négociations ont atteint un tel

stade d'avancement que leur rupture ne paraît pas pouvoir être justifiée. Ainsi, si les partenaires se sont

entendus sur les éléments essentiels du contrat projeté et que les derniers obstacles sont levés par des

propositions conformes aux attentes du négociateur hésitant, on ne voit pas très bien ce qui expliquerait

une rupture des pourparlers. La rupture deviendrait alors injustifiée, fautive par elle-même. Le juge,

chargé de constater l'existence de la faute, ne portera donc pas un jugement sur les circonstances

entourant la rupture mais bien sur la rupture elle-même, dont il tentera de savoir si elle est ou non

justifiée.

La jurisprudence ne paraît pas insensible à cette idée. Il a été en effet décidé par le passé que lorsque les

pourparlers sont très avancés, les partenaires ne peuvent s'en dégager qu'à condition de rapporter

l'existence d'un obstacle tenant aux négociations elles-mêmes (82). Si tel n'est pas le cas, et

notamment si la rupture est justifiée par un motif « interne » à l'un des négociateurs, une faute de

rupture est constatée (83). C'est dire, semble-t-il, qu'à un certain point des négociations, la rupture

n'est plus réellement permise. La liberté de négocier cède la place à l'obligation de poursuivre les

négociations et de conclure le contrat (84). La responsabilité change alors logiquement de visage : elle

permet la réparation de la perte du gain attendu de la conclusion du contrat, et devient donc un moyen

de conclure indirectement le contrat. Or, parce qu'une telle hypothèse suppose, ainsi que nous venons de

le voir, que les pourparlers soient déjà très avancés, le gain manqué ne sera finalement pas minoré par

l'application d'un coefficient destiné à prendre en compte la subsistance d'aléa qui n'existe plus (85).

33. On parvient ainsi à combiner les deux conceptions de la faute précontractuelle en appliquant

distributivement chacune d'elles aux différentes hypothèses de rupture des négociations :

- en présence de pourparlers peu ou modérément avancés, seule une circonstance extérieure à la rupture

elle-même pourrait justifier la mise en jeu de la responsabilité de son auteur (86), avec cette

conséquence que le dommage réparable ne pourrait être composé que des frais de négociation et de la

perte de chance de conclure un contrat avec un tiers (lorsque ceux-ci entretiennent une relation causale

avec la faute). Les motifs de la rupture seraient alors logiquement indifférents (87) ;

- en présence de pourparlers très avancés, c'est-à-dire lorsqu'un accord est sur le point d'être conclu, la

rupture des négociations pourrait être par elle-même fautive. Le dommage réparable serait alors

composé des frais de rupture et de la perte de chance de conclure le contrat projeté.

34. Un tel schéma, graduel, n'est pas sans évoquer la position adoptée par la Cour suprême des Pays-

Bas en 1982 (88) ; position confirmée en 1996 (89). Le Hoge Raad a en effet établi une distinction

entre trois stades des négociations, suivant leur état d'avancement. Au premier stade, le moins avancé,

les parties sont libres de rompre les négociations et ne peuvent engager leur responsabilité. Au second

stade, la rupture des négociations est possible mais celui qui en prend l'initiative doit indemniser son

partenaire des dépenses engagées. Au troisième et dernier stade, la rupture des négociations n'est plus

autorisée. Celui des partenaires qui viole l'interdiction s'expose alors à devoir réparer tout le dommage

subi par l'autre négociateur et notamment la perte du bénéfice attendu de la réalisation du contrat. On

reconnaît, une fois mise de côté la première hypothèse, les deux degrés d'avancement des pourparlers

que nous avons précédemment décrits. A chaque degré, le dommage réparable est différent car en

réalité la définition de la faute contractuelle est elle-même différente. C'est ce qu'observe judicieusement

M. Hesselink, qui explique que : « le fait pour les juridictions hollandaises d'admettre la réparation du

gain attendu du contrat lorsque les négociations sont rompues au troisième stade n'est qu'une

conséquence logique de ce que la rupture elle-même devient à un certain point illégale » (90).

En dépit de l'attrait que présente cette lecture graduelle et « dualiste » de la faute précontractuelle, nous

pensons qu'une conception unitaire reste préférable (91).

L'application exclusive de la faute de négociation

35. La présentation dualiste qui résulte d'une application distributive des deux définitions de la faute

précontractuelle présente un certain nombre d'inconvénients. Premièrement elle implique une distinction

Page 107: Note de Synthese_Les Pourparlers

107

entre les pourparlers peu ou modérément avancés et les pourparlers très avancés. Or le critère d'une

telle distinction est inévitablement flou. Deuxièmement, elle implique d'admettre que la liberté de

négocier doit parfois céder la place à une obligation de conclure le contrat, ce qui, d'un point de vue

théorique, peut susciter quelques réserves. Une telle assertion conduit en effet à brouiller la

compréhension du phénomène contractuel en laissant entendre qu'une obligation de conclure pèserait sur

les partenaires à la négociation avant même la rencontre de leurs volontés.

Aussi nous semble-t-il plus convaincant de s'en tenir à une conception unitaire de la faute

précontractuelle, fondée sur la liberté de contracter. Il faut considérer que la faute n'est jamais une faute

de rupture mais toujours une faute de négociation, c'est-à-dire une faute qui n'est liée à la rupture que

pour avoir été commise ou révélée à son occasion. Seule la réparation de certains frais de négociation,

ainsi que de la perte de chance de conclure un contrat avec un tiers, devrait donc être accordée (92).

Les problèmes spécifiquement posés par la rupture des pourparlers très avancés, sans être niés,

pourraient alors être envisagés en dehors de la responsabilité précontractuelle. De fait, ces hypothèses

de rupture de pourparlers très avancés paraissent devoir concerner des cas dans lesquels la formalisation

de l'accord entre les parties est sur le point d'intervenir, c'est-à-dire des cas dans lesquels les partenaires

à la négociation sont tombés d'accord sur les points essentiels du contrat négocié. Or il peut être affirmé,

dans certains de ces cas, que le contrat est déjà scellé, par la grâce du consensualisme (93). La rupture

ne serait donc pas une rupture des pourparlers pré contractuels mais une rupture du contrat lui-même,

provoquant la mise en jeu de la responsabilité contractuelle. Un tel raisonnement justifierait alors

pleinement l'allocation de dommages-intérêts compensant l'intégralité du bénéfice attendu de la

réalisation du contrat (94).

L'application exclusive de la faute de négociation a en somme des avantages d'ordre pédagogique. Elle

permet, tout d'abord, l'adoption d'une définition univoque de la faute et du dommage précontractuels.

Elle ne perturbe pas, ensuite, la compréhension du phénomène de formation du contrat puisqu'elle

préserve l'intégrité de la frontière séparant la phase ante-contractuelle du contrat.

36. Peut-être la Cour de cassation a-t-elle d'ailleurs décidé d'opter pour cette voie. Dans son arrêt du 26

novembre 2003, la chambre commerciale a en effet retenu une lecture de la faute précontractuelle qui

paraît exclure toute idée de faute de rupture alors pourtant que les pourparlers paraissaient très avancés

(95). Elle en a déduit, à juste titre à notre sens, que le dommage réparable ne pouvait comprendre la

perte de chance de conclure le contrat en cause (96). Sans doute y a-t-il là un premier pas vers la

condamnation de la thèse de la faute de rupture. Nous souhaitons pour notre part que cette orientation

soit confirmée, ce qui supposerait que la Cour de cassation affirme nettement que la rupture des

pourparlers ne constitue pas en elle-même une faute (97). Le droit français se rapprocherait alors la

plupart des droits étrangers sur la question de la composition du dommage précontractuel réparable

(98).

37. On mettra peut-être en doute, quoi qu'il en soit, la supériorité de la conception unitaire de la faute

précontractuelle sur la conception dualiste. L'essentiel en réalité est peut-être moins de prendre parti en

faveur de l'une ou de l'autre de ces conceptions que de prendre conscience de leur existence et de la

nécessité d'opter en faveur de l'une d'elles. La détermination du dommage réparable en dépend. Une fois

le choix opéré, un autre débat pourra être ouvert, qui parasite peut-être en arrière-fond les questions

relatives au dommage précontractuel. Ce débat ne relève plus de la réparation mais de la sanction : ne

convient-il pas, outre la réparation du préjudice subi, de sanctionner le négociateur fautif en le

condamnant à des dommages et intérêts punitifs (99) ?

Mots clés :

CONTRAT ET OBLIGATIONS * Négociation contractuelle * Pourparler * Rupture abusive * Réparation du

préjudice * Dommage précontractuel

(1) Au sens strict, la responsabilité précontractuelle est celle encourue à raison d'une faute commise dans

Page 108: Note de Synthese_Les Pourparlers

108

la phase de négociation d'un contrat. Elle a donc vocation à englober, outre la rupture fautive des

pourparlers, l'utilisation d'informations confidentielles obtenues dans le cadre des pourparlers, la

révocation de l'offre de contrat ou encore la faute conduisant à l'annulation ultérieure du contrat. Par

convention, nous ne comprendrons toutefois sous l'expression responsabilité précontractuelle que la

seule hypothèse de la rupture fautive des pourparlers.

(2) Avant 1972, seulement trois contributions importantes ont été consacrées à la responsabilité

précontractuelle en général : R. Saleilles, La responsabilité précontractuelle, RTD civ. 1907.697 ; P.

Roubier, Essai sur la responsabilité précontractuelle, thèse Lyon, 1911 ; A. Cohérier, Des obligations

naissant des pourparlers préalables à la formation des contrats, thèse Paris, 1939 ; Après un important

arrêt de la Cour de cassation, rendu le 20 mars 1972 et consacrant pour la première fois la responsabilité

précontractuelle, le rythme des contributions s'accélère : J. Schmidt, La sanction de la faute

précontractuelle, RTD civ. 1974.46 et s. ; A. Rieg, La punctatio, contribution à l'étude de la formation

successive des contrats, Mélanges Jauffret, éd. PUAM 1974.593 ; J. Cédras, L'obligation de négocier, RTD

civ. 1985.265 et s. ; J. Schmidt, La période précontractuelle en droit français, RID comp. 1990.561 et s. ;

F.-D. Poitrinal, Fusion-acquisition : la responsabilité en cas de rupture des négociations, Rev. Banque

01/1993, n° 534, p. 45 et s. ; B. Lasalle, Les pourparlers, RRJ 1994-3.849 et s. ; P. Chauvel, Rupture des

pourparlers et responsabilité délictuelle, Dr. et patrimoine, nov. 1996, p. 36 et s. ; D. Mazeaud, La

genèse des contrats : un régime de liberté surveillée, Dr. et patrimoine, juill./août 1996, p. 44 et s. ; F.

Accad, Les pourparlers, thèse CNAM, 1996 ; Ph. Le Tourneau, La rupture des négociations, RTD com.

1998.479 et s. ; P. Mousseron, Conduite des négociations contractuelles et responsabilité civile, RTD

com. 1998.243 et s. ; A. Couret, Ph. Peyramaure, Ph. Rosenpick et A. Laude, Les accords préliminaires

dans les cessions de droits sociaux, Dr. sociétés, Actes pratiques, 1998, n° 41, p. 4 et s. ; B. Fages,

L'importance des pourparlers, Dr. et patrimoine, juin 1999, p. 60 et s. ; J. Mestre, La période

précontractuelle et la formation du contrat, Petites affiches, 5 mai 2000, p. 7 et s. ; J.-J. Fraimout, Le

droit de rompre les pourparlers avancés, Gaz. Pal. 2000. Doctr. 943 et s. ; Y. Neveu, Le devoir de loyauté

pendant la période précontractuelle, Gaz. Pal. 2000. Doctr. 2112 et s.

(3) Cela à rebours de la thèse contractuelle défendue dans l'ouvrage de R. Von Jhering, De la Culpa in

contrahendo ou des dommages intérêts dans les conventions nulles ou restées imparfaites, in Oeuvres

Choisies, trad. O. de Meulenaere, t. II, Paris, 1893, p. 1 et s. Il convient de noter que la responsabilité

naissant de la rupture des pourparlers peut, par exception, être de nature contractuelle lorsque les

parties ont choisi de soumettre leurs négociations à un avant-contrat de négociation. Sur cette

hypothèse, V. notamment, J. Schmidt, Les accords précontractuels en droit français, in Les principales

clauses des contrats entre professionnels, PUAM 1990.9 et s.

(4) D. Mazeaud, Mystères et paradoxes de la période précontractuelle, Mélanges J. Ghestin, éd. LGDJ

2001.637 et s.

(5) Comment en effet identifier de manière systématique la frontière entre rupture licite et rupture

abusive des pourparlers ? Comment savoir si une rupture des négociations viole les exigences de la

bonne foi ? Comp. J. Schmidt, note ss Com. 20 mars 1972, JCP 1973.II.17543.IIb) : « les difficultés

éventuelles de mise en oeuvre des mécanismes de la responsabilité délictuelle ne tiennent guère à la

démonstration du dommage (...) ni à celle du rapport de cause à effet. Elles portent, comme cela est

souvent le cas, sur l'établissement de la faute ».

(6) Sur ce principe, V. notamment, G. Viney et P. Jourdain, Les effets de la responsabilité, 2e éd., LGDJ

2001, n° 57 et s.

(7) Sur ce pouvoir, V. notamment, G. Viney et P. Jourdain, Les effets de la responsabilité, 2e éd., LGDJ

2001, n° 62 et s.

(8) Sur ce point, V. infra, n° 8.

(9) V. infra, n° 5 et s.

Page 109: Note de Synthese_Les Pourparlers

109

(10) Com. 26 nov. 2003, n° 00-10243, à paraître au bulletin ; JCP 2004 éd. GIV.1153 ; JCP 2004 éd.

EPan.96. Cet arrêt est postérieur à la rédaction de la présente étude. Il a pu être intégré lors de

l'actualisation réalisée en févr./mars 2004. Au jour de la remise définitive de notre article, les

commentaires parus de l'arrêt sont les suivants : S. Doireau, obs. in Rev. Lamy droit civil, n° 01/2004, p.

7 ; BRDA 24/03, n° 10 ; D. Poracchia, Dr. et patrimoine, mars 2004, p. 102 et s. ; A.-S. Dupré-

Dallemagne, D. 2004.J.869 ; Rev. sociétés 2004, p. 325, note N. Mathey . Sur cet arrêt, V. infra, n°

10 et 36.

(11) Soit plus de 300 000 € : CA Reims, 2 mai 2001. Le pourvoi contre cet arrêt a été rejeté par la Cour

de cassation : Com. 25 févr. 2003, inédit, n° 01-12660, Juridique Lamy Cassation.

(12) Soit près de 460 000 € : CA Riom, 10 juin 1992, RJDA 1992, n° 893, p. 732, RTD civ. 1993.343,

obs. J. Mestre .

(13) Soit près de 610 000 € : CA Versailles, 25 sept. 1995, RTD civ. 1996.145, obs. J. Mestre . Le

pourvoi contre cet arrêt a été rejeté par la Cour de cassation dans un arrêt du 7 avr. 1998, D.

1999.J.514, note P. Chauvel .

(14) Soit plus de 1 060 000 € : CA Lyon, 4 mars 1994, Juris-Data n° 043277.

(15) Art. 1149 c. civ. : « Les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu'il a

faite et du gain dont il a été privé, sauf les exceptions et modifications ci-après ».

(16) Comp. la tendance des autres droits à se fonder sur la distinction imaginée par Jhering entre «

l'intérêt négatif » et « l'intérêt positif » : Precontractual liability, Reports to the XIIIth Congress,

International Academy of Comparative Law, general editor H. Hondius, éd. Kluwer, 1991 et les nombreux

rapports nationaux. L'intérêt négatif, est défini par Jhering (op. cit., p. 16 et s.) comme « l'intérêt à la

non-conclusion du contrat ». Sa réparation permet à la victime de recevoir « ce qu'(elle) aurait eu si le

fait extérieur à la conclusion du contrat n'avait point existé ». A l'inverse l'intérêt positif est « l'intérêt au

maintien, donc à l'exécution du contrat ». Sa réparation permet d'obtenir « en argent l'équivalent de tout

ce que (la victime) aurait eu en cas de validité du contrat » (op. cit., loc. cit.). La distinction de Jhering se

retrouve dans les pays anglophones à travers l'opposition « reliance interest » (intérêt négatif) / «

expectation interest » (intérêt positif). Cette distinction ne recouvre pas la distinction perte subie / gain

manqué, laquelle peut être appliquée à l'intérieur de l'intérêt négatif comme à l'intérieur de l'intérêt

positif. En ce sens, V. Jhering, op. cit., p. 19 et 20 ; J. Anex, L'intérêt négatif, sa nature et son étendue,

thèse Lausanne, imp. Vaudois, 1977, p. 118 et s.

(17) V. en dernier lieu, CA Paris, 17 janv. 2003, Juris-Data n° 211449. Il y a lieu de se demander

toutefois si l'atteinte à l'honneur, à la réputation ou au crédit ne relève pas davantage de la catégorie des

gains manqués en ce qu'elle rend plus difficile, pour l'avenir, la conclusion de contrats avec des tiers

rendus méfiants.

(18) V. Com. 20 mars 1972, Bull. civ. IV, n° 93, JCP 1973.II.17543, note J. Schmidt-Szalewski ; RTD civ.

1972.779, obs. G. Durry ; Comp. CA Angers, 25 nov. 1992, Juris-Data n° 048656.

(19) CA Lyon, 24 juill. 2002, Juris-Data n° 193214.

(20) Cass. 3e civ., 3 oct. 1972, Bull. civ. III, n° 491 ; Com. 12 oct. 1993, n° 91-19.456 ; Comp. CA Aix,

16 oct. 2001, Juris-Data n° 180989.

(21) CA Agen, 21 août 2002, JCP 2003.II.10162, note A. Lecourt.

(22) V. CA Rennes, 29 avr. 1992, Bull. Joly 1993.463, n° 132, note J.-J. Daigre ; JCP 1993.IV.1250 ; CA

Lyon, 6 juin 2002, Juris-Data n° 184338.

Page 110: Note de Synthese_Les Pourparlers

110

(23) CA Versailles, 8 mars 1985, Juris-Data n° 041111.

(24) CA Lyon, 4 mars 1994, Juris-Data n° 043277.

(25) CA Agen, 21 août 2002, JCP 2003.II.10162, note A. Lecourt.

(26) CA Paris, 5 nov. 1999, RTD civ. 2000.104, obs. J. Mestre et B. Fages .

(27) V. par exemple, CA Rennes, préc., 29 avr. 1992, Bull. Joly 1993.463, n° 132, note J.-J. Daigre ; CA

Paris, 10 mars 2000, JCP 2001.II.10470, note F. Violet.

(28) B. Fagès, Lamy droit du contrat, éd. Lamy 2003, n° 117-45 ; J. Mestre, La période précontractuelle

et la formation du contrat, Petites affiches, 5 mai 2000, p. 9 ; Ph. Le Tourneau, La rupture des

négociations, RTD com. 1998, n° 27, p. 489 ; Ph. Le Tourneau et L. Cadiet, Droit de la responsabilité

et des contrats, 2001/2002, éd. Dalloz 2001, collection D. action, n° 841 ; P. Mousseron, Conduites des

négociations contractuelles et responsabilité civile délictuelle, RTD com. 1998, n° 60, p. 264 ; F.

Violet, note ss CA Paris, 10 mars 2000, JCP 2001.II.10470, n° 2 : « le principe de l'indemnisation de ces

frais est peu contestable, dès lors qu'une faute est avérée » ; P. Jourdain, Responsabilité

précontractuelle, J.-Cl. Contrats Distribution, fasc. 35, 1996, n° 13 ; P. Chauvel, note ss Com. 7 janv.

1997 et 22 avr. 1997, D. 1998.J.49, n° 24 ; Rupture des pourparlers et responsabilité délictuelle, Dr.

et patrimoine, nov. 1996, n° 27, p. 43 ; F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil, les obligations,

Précis Dalloz, 8e éd., 2002, n° 185 ; A. Danis-Fatome, Apparences et contrats, thèse Paris I, 2002, en

cours de publication à la LGDJ, n° 807 : « Tous les frais exposés par la victime de la rupture des

pourparlers pour mener la négociation ou pour rendre possible l'opération envisagée sont réparés », « la

réparation de ce damnum emergens est admise sans difficulté par une doctrine unanime ».

(29) D. Mazeaud, La genèse des contrats, un régime de liberté surveillée, Dr. et patrimoine, juill./août

1996, n° 21, p. 49.

(30) CA Paris, 16 déc. 1998, Bull. Joly 04/1999.470, note A. Laude ; Comp. CA Angers, 25 nov. 1992,

Juris-Data n° 048656 : « les frais engagés par une société pour le déplacement d'une équipe dans le

pays étranger, siège de l'autre société, ne sont pas constitutifs d'un préjudice lié à la rupture des

pourparlers mais un risque commercial pris en connaissance de cause » ; Comp. également, CA Lyon, 29

sept. 2000, Juris-Data n° 132246 qui opère une distinction entre les frais relevant du déroulement

normal des pourparlers (restant à la charge du négociateur déçu) et ceux « qui excèdent les seules

nécessités d'une négociation commerciale » (réparés par l'auteur de la rupture) ; Comp. enfin R.

Saleilles, La responsabilité précontractuelle, RTD civ. 1907.704.

(31) J. Schmidt, notamment in Rapport Français, Precontractual liability, op. cit., p. 150 ; B. Lasalle, Les

pourparlers, RRJ 1994-3.851 et 852 ; F. Accad, Les pourparlers, thèse, CNAM 1996, n° 546 et s. ; A.

Laude, note ss CA Paris, 16 déc. 1998, Bull. Joly 04/1999.475.

(32) En ce sens, on cite plusieurs arrêts, notamment Com. 30 nov. 1971, Bull. civ. IV, n° 288 ; CA

Colmar, 5 déc. 1928, Rev. jur. Alsace-Lorraine 1929.364 ; CA Paris, 27 mars 1912, Gaz. Pal. 1912.2.210

; CA Pau, 14 janv. 1969, Dalloz, 1969.716. A la réflexion, aucun de ces arrêts ne paraît entièrement

pertinent puisque les juridictions se contentent d'y rejeter la réparation des frais engagés dans des

hypothèses dans lesquelles la faute dans la rupture des pourparlers n'est pas reconnue. C'est peut-être

d'ailleurs pourquoi M. Ghestin semble donner de ces arrêts une autre lecture. L'auteur laisse entendre

que l'inclusion des frais dans les charges générales, associée à la connaissance du caractère aléatoire des

négociations par le professionnel, exclut toute faute dans la rupture (La formation du contrat, 3e éd.,

LGDJ 1993, n° 330, p. 297 in fine).

(33) En ce sens, V. la démonstration de P. Chauvel, Rupture des pourparlers et responsabilité délictuelle,

Dr. et patrimoine, nov. 1996, n° 29, p. 44 ; adde Ph. Le Tourneau et L. Cadiet, Droit de la responsabilité

et des contrats, 2001/2002, éd. Dalloz 2001, collection D. action, n° 841 ; B. Fagès estime d'ailleurs que

cette position est contraire à la jurisprudence récente : Lamy droit du contrat, éd. Lamy 2003, n° 117-

Page 111: Note de Synthese_Les Pourparlers

111

45.

(34) Les arrêts sont essentiellement des arrêts d'appel : CA Versailles, 1er avr. 1999, RJDA 1999, n° 1285

; CA Paris, 10 mars 2000, JCP 2001.II.10470, note F. Violet ; CA Lyon, 29 sept. 2000, Juris-Data n°

132246 ; CA Rennes, 27 mars 2002, Juris-Data n° 206838 ; CA Lyon, 6 juin 2002, Juris-Data n° 184338

; CA Paris, 24 janv. 2003, Juris-Data n° 206349 ; CA Paris, 11 mars 2003, Juris-Data n° 216319 ; CA

Versailles, 25 sept. 2003, JCP 2004 éd. E., n° 384, obs. P. Mousseron. De son côté, la Cour de cassation

a rarement eu l'occasion de prendre parti sur cette question. Ses arrêts ont toutefois paru favorables à la

réparation de la perte de chance de conclure le contrat : Com. 25 févr. 2003, inédit, n° 01-12660 ;

Comp. Com. 2 nov. 1993, Bull. civ. IV, n° 380 (l'arrêt concerne une rupture de contrat) ; Cass 1re civ., 15

nov. 1994, Bull. civ. I, n° 334 (l'arrêt concerne le défaut de réalisation d'un contrat) ; V. également, A.

Couret, Ph. Peyramaure, Ph. Rosenpick et A. Laude, Les accords préliminaires dans les cessions de droits

sociaux, Dr. sociétés, Actes pratiques, 1998, n° 41, p. 4 et s. Contra, toutefois, le revirement de

jurisprudence résultant de l'arrêt du 26 nov. 2003, infra, n° 10.

(35) Ph. Malaurie, L. Aynès et Ph. Stoffel-Munck, Droit civil, Les obligations, éd. Defrénois 2003, n° 464 ;

G. Viney, Traité de droit civil (ss la direction de J. Ghestin), introduction à la responsabilité, 2e éd. LGDJ

1995, n° 198 ; D. Mazeaud, La genèse des contrats, un régime de liberté surveillée, op. cit., n° 21 ; P.

Chauvel, Rupture des pourparlers et responsabilité délictuelle, op. cit., n° 34, p. 45 ; Ph. Le Tourneau et

L. Cadiet, Droit de la responsabilité et des contrats, op. cit., n° 842 ; A. Laude, La reconnaissance par le

juge de l'existence d'un contrat, thèse PU Aix-Marseille, 1992, n° 843 et s. ; P. Mousseron, art. préc., n°

62, p. 265 ; F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, op. cit., n° 185 ; J. Mestre, La période précontractuelle et

la formation du contrat, Petites affiches, 5 mai 2000, p. 9 ; P. Jourdain, Responsabilité précontractuelle,

J.-Cl. Contrats Distribution, fasc. 35, 1996, n° 13.

(36) CA Paris, 19 déc. 1998, préc. : « attendu que la société PMG ne peut en outre prétendre se voir

indemnisée, s'agissant de la rupture des pourparlers, d'une perte de profit consécutive à la non

réalisation de la cession mais uniquement de la perte de la chance de conclure le contrat envisagé et d'en

tirer profit » ; B. Lasalle, Les pourparlers, art. préc., p. 852 ; D. Mazeaud, La genèse des contrats, art.

préc., n° 21, p. 49 ; Ph. Le Tourneau et L. Cadiet, op. cit., n° 842.

(37) V. JM. Van Dunné, in Precontractual liability, Reports to the XIIIth Congress, International Academy

of Comparative Law, General Editor H. Hondius, éd. Kluwer, 1991, p. 230 ; V. également, infra, n° 34.

(38) V. Precontractual liability, Reports to the XIIIth Congress, International Academy of Comparative

Law, General Editor H. Hondius, éd. Kluwer, 1991, p. 187 et s.

(39) V. Precontractual liability, op. cit., p. 201 et s.

(40) V. A. Farnsworth, Precontractual liability and preliminary agreements : fair dealing and failed

negotiations, Columbia law review, 1987, p. 217 et s. ; du même auteur : On Contracts, vol. 1, éd. Little,

Brown and Co , 1991, § 3.26, p. 312 et s.

(41) V. O. Lando et H. Beale, Principles of European Contract Law, parts I and II, Kluwer law

international, 2000, note 3 ss art. 2 :301 ; W. Wouter, Who should bear the costs of failed negotiations ?,

A functional inquiry into precontractual liability, Journal des économistes et des sciences humaines, 1993,

p. 93 et s. et spéc. n° 3.2.1 et s., p. 122 et s. ; Precontractual liability, op. cit. ; Formation of contracts

and precontractual liability, International Chamber of Commerce, 1990 et les rapports nationaux ; P.

Giliker, Pre-contractual liability in English and French Law, éd. Kluwer Law International, 2002, du même

auteur : A role for tort in pre-contractual negotiations ? An examination of English, French, and Canadian

Law, International and Comparative Law Quarterly, oct. 2003, p. 969 et s. ; Une étude sur la

responsabilité précontractuelle dans les droits européens est actuellement en cours, ss la direction de

MM. J. Cartwright et M. Hesselink, dans le cadre du projet « Common Core of European Private Law ». La

lecture des différents rapports nationaux confirme la relative hostilité de la plupart des droits européens à

l'idée d'une indemnisation de la perte de chance de conclure le contrat négocié (l'étude devrait paraître

aux presses universitaires de Cambridge).

Page 112: Note de Synthese_Les Pourparlers

112

(42) Les principes Unidroit (art. 2.15) ainsi que les Principes du droit européen des contrats (art. 2 :301)

consacrent chacun une disposition à la responsabilité pour rupture des pourparlers. Aucune ne précise le

contenu du dommage réparable. Le commentaire sous l'art. 2.15 des principes Unidroit paraît cependant

assez réservé à l'idée d'une indemnisation du gain manqué (V. http://www.

unidroit.org/french/principles/chapter-2.htm). De son côté, le commentaire sous l'art. 2 :301 des

principes du droit européen des contrats est plus équivoque en laissant entrevoir une possible

indemnisation des pertes de chances (pt G). La note n° 3-a) ne permet toutefois pas de préciser la

pensée des rédacteurs : O. Lando et H. Beale, Principles of European Contract Law, op. cit., loc. cit. Sur

la solution adoptée par les principes européens du droit des contrats en la matière, comp. la lecture

donnée par J.-C. Roda, Responsabilité à l'occasion des négociations, in Regards croisés sur les principes

du droit européen du contrat et sur le droit français, ss la direction de C. Prieto, PUAM 2003.

(43) V. le projet de code européen des contrats de l'Académie des privatistes européens (groupe de

Pavie) art. 6, al. 4 a contrario : « Dans les cas prévus aux alinéas précédents, la partie qui a agi à

l'encontre de la bonne foi est tenue de réparer le dommage subi par l'autre partie au maximum dans la

mesure des frais engagés par cette dernière au cours des tractations en vue de la stipulation du contrat,

ainsi que de la perte d'occasions similaires causée par les tractations pendantes ». Sur ce projet, V. Sur

l'hypothèse d'un code européen des contrats : les propositions de l'Académie des privatistes européens

(Pavie), J.-P. Gridel, Gaz. Pal., 21 et 22 févr. 2003, p. 240 et s.

(44) En ce sens, R. Von Jhering, op. cit., p. 18 ; J. Anex, op. cit., p. 77 et s. et spéc. p. 80 et 81 ; Comp.

B. Fagès, Lamy droit du contrat, op. cit., n° 117-48 : « Le gain manqué correspondant au profit que la

victime espérait retirer du contrat non conclu ne peut être indemnisé. Admettre le contraire reviendrait

indirectement à donner effet à un contrat qui n'a pas été formé ».

(45) P. Chauvel, note ss Com. 7 janv. 1997 et 22 avr. 1997, D. 1998.J.50, n° 28 ; B. Fagès, Lamy

droit du contrat, op. cit., n° 117-48.

(46) Les arrêts sont toutefois assez anciens et émanent de Cours d'appel : Dijon 15 févr. 1893, S.

1894.2.144 ; Rennes 8 juill. 1829, DH 1929.548 ; CA Versailles, 8 mars 1985, Juris-Data n° 041111.

(47) Com. 26 nov. 2003, n° 00-10243, à paraître au Bulletin, Rev. Lamy droit civil, n° 1/2004, p. 7, obs.

S. Doireau.

(48) La Cour de cassation a rarement eu l'occasion de se pencher sur le problème de l'indemnisation de

la perte de chance de conclure le contrat avorté. Les rares arrêts de la Haute Cour ont cependant

toujours paru favorables à l'indemnisation d'un tel préjudice (V. supra, note 34). Quelques mois avant

l'arrêt de nov. 2003, la Cour de cassation (dans un arrêt certes non publié) prenait même très clairement

parti en faveur de l'indemnisation, en rejetant un pourvoi tout à fait semblable à celui qui devait, en nov.,

triompher : Com. 25 févr. 2003, inédit, n° 01.12660, préc.

(49) En ce sens, V. CA Lyon, 4 mars 1994, Juris-Data n° 043277 ; CA Angers, 1er déc. 1983, Juris-Data

n° 043730 ; CA Rennes, 7 déc. 1989, Juris-Data n° 047667 ; Com. 7 avr. 1998, D. 1999.J.514, note. P.

Chauvel ; Com. 18 juin 2002, n° 99-16488 ; P. Chauvel, Rupture des pourparlers et responsabilité

délictuelle, op. cit., n° 37, p. 46 ; B. Fagès, Lamy droit du contrat, op. cit., n° 117-48.

(50) Cf. l'arrêt du 26 nov. 2003, évoqué plus haut, n° 10.

(51) V. par exemple, A. Danis-Fatome, Apparences et contrats, thèse Paris I, 2002, en cours de

publication à la LGDJ, n° 809.

(52) V. par exemple, CA Versailles, 1er avr. 1999, RJDA 1999, n° 1285 ; CA Versailles, 25 sept. 2003, JCP

2004 éd. E., n° 384, obs. P. Mousseron. Lire également, A. Laude, La reconnaissance par le juge de

l'existence d'un contrat, thèse, éd. PUAM 1992, préf. J. Mestre, n° 836, p. 514 : « le négociateur qui a

légitimement pu croire à une issue constructive des pourparlers et qui se voit refuser la conclusion du

Page 113: Note de Synthese_Les Pourparlers

113

contrat peut prétendre obtenir des dédommagements non seulement pour les frais engagés durant les

négociations mais également pour le préjudice « global » résultant de la non-conclusion du contrat objet

des différentes transaction ».

(53) A. Cohérier, Des obligations naissant des pourparlers préalables à la formation des contrats, thèse

Paris, 1939, n° 96, p. 194 : « les dommages-intérêts doivent comprendre les dépenses, les avantages

certains que l'on aurait retiré du contrat, et aussi les avantages certains résultant d'occasions manquées

par le fait des pourparlers en cours » ; Comp. F. Accad, Les pourparlers, thèse CNAM 1996, n° 551 à 553

a contrario.

(54) V. l'art. 1184, al. 2 c. civ. : « La partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté a le choix

ou de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en demander la résolution

avec dommages et intérêts ».

(55) V. supra, n° 6 et n° 9.

(56) V. supra, n° 13.

(57) G. Viney et P. Jourdain, Traité de droit civil (ss la direction de J. Ghestin), les conditions de la

responsabilité, 2e éd. LGDJ 1998, n° 249 : pour établir l'existence d'un dommage « les tribunaux

comparent la situation actuelle (de la victime) non pas à la situation antérieure au fait dommageable,

mais à celle qui aurait vraisemblablement existé si ce fait ne s'était pas produit ».

(58) Comp. la solution retenue en matière de révocation abusive des mandataires sociaux dans les

sociétés anonymes : le principe étant la révocabilité ad nutum, il est admis que la faute ne résulte jamais

de la révocation mais simplement des circonstances dans lesquelles celle-ci est décidée. V. J.-L. Aubert,

La révocation des organes d'administration des sociétés commerciales, RTD com. 1968.977 et s., n° 10 ;

Ph. Reigné, Révocabilité ad nutum des mandataires sociaux et faute de la société, Rev. sociétés

1991.499 et s.

(59) Comp. B. Lasalle, Les pourparlers, RRJ 1994-3.849 : « L'échec des négociations n'est pas lui-même

source de responsabilité. Il n'est que l'expression de la faculté de chacun des négociateurs de conclure ou

non le contrat » ; J. Schmidt, note ss Com. 21 mars 1972, JCP 1973.II.17543.IIb) : « Ouverture,

conduite et interruption des négociations relèvent de la liberté contractuelle et ne peuvent, jamais, être

tenues en elles-mêmes pour fautives. Leur mise en oeuvre peut, en revanche, être occasion de faute

engageant la responsabilité de leur auteur. (...) La Cour perçoit la faute dans les circonstances qui ont

précédé et accompagné la rupture » ; B. Fagès, Lamy droit du contrat, op. cit., n° 105-45 : « le refus de

consentir à la conclusion du contrat définitif n'est pas en lui-même constitutif d'une faute ».

(60) Dès lors que la rupture n'est pas en elle-même constitutive d'une faute, seule est fautive la violation

des règles de bonne conduite applicables à la négociation. C'est pourquoi, pensons-nous, la faute dans la

rupture peut être qualifiée de faute de négociation.

(61) Comp. M. Stoffel-Munck, qui souhaite voir « dénier le caractère de préjudice indemnisable aux suites

normales de l'exercice d'un droit [ici la rupture, qui est une suite du droit de ne pas conclure le contrat],

car celles-ci méritent d'être distinguées des conséquences propres de l'incivilité constituant la faute [ici

les circonstances entourant la rupture] », L'abus dans le contrat, essai d'une théorie, LGDJ 2000, n° 310

; Comp. l'arrêt de CA Douai, 15 mars 2001, CCC 2001, n° 125, note M. Malaurie ; Dalloz, 2001.307, note

C. André ; JCP 2001 éd. E.1861, note M. Pédamon ; RTD civ. 2002.296, obs. J. Mestre et B. Fages :

« la société PBC. ne peut obtenir réparation que du préjudice entraîné par le caractère brutal de la

rupture et non du préjudice découlant de la rupture elle-même ». Cet arrêt concerne la rupture de

relations contractuelles et non la rupture des pourparlers. Sur cet arrêt, V. A. Juaristi et A. de Brosses, Le

préjudice lié à la rupture fautives des relations commerciales établies, Dr. et patrimoine, juin 2003, p. 60

et s.

(62) Sur lesquels, V. supra, n° 4.

Page 114: Note de Synthese_Les Pourparlers

114

(63) Sur cette catégorie des frais de négociation, V. supra, n° 4.

(64) On reconnaît d'ailleurs là le raisonnement suivi en 1998 par la Cour d'appel de Paris : V. supra, n° 6.

(65) Comp. Com. 26 nov. 2003, cité infra, note suivante : les consorts X désiraient céder les actions

d'une société. Après d'étroits pourparlers avec un acheteur et la rédaction d'un projet d'accord, ils cèdent

leurs actions à un tiers. Ils n'informent le premier négociateur de cette cession que 14 jours après sa

date, laissant entre-temps croire à la poursuite des négociations. La rupture est jugée fautive. Il aurait

pu être décidé que les frais réparables sont ceux engagés depuis le jour où les négociations avec le

premier candidat sont devenues compromises. Les juges d'appel ont pourtant condamné le négociateur

indélicat à réparer tous les frais.

(66) Com. 26 nov. 2003, préc., pourvoi n° 00-10243 ; Rev. Lamy droit civil, n° 01/2004, p. 7, obs. S.

Doireau ; BRDA 24/03, n° 10 ; Dr. et patrimoine, mars 2004, p. 102 et s., obs. D. Poracchia ; D.

2004.J.869, note A.-S. Dupré-Dallemagne ; Rev. sociétés 2004 p. 325, note N. Mathey .

(67) Il est intéressant d'observer, à ce titre, que la Cour de cassation, dans son arrêt du 26 nov. 2003,

pourrait avoir fait sienne l'idée suivant laquelle la faute précontractuelle réside dans les circonstances

entourant la rupture et non dans la rupture elle-même : elle vise très précisément « les circonstances

constitutives d'une faute commise dans l'exercice du droit de rupture » et non la faute consistant à avoir

rompu les pourparlers.

(68) On devine cependant que cette chance est bien mince puisque les négociations avec les tiers n'ont

par hypothèse pas débuté.

(69) J. Schmidt, La sanction de la faute précontractuelle, RTD civ. 1974.53, n° 10 : « La faute peut,

enfin, résider dans la rupture, elle-même ».

(70) V. par exemple, P. Jourdain, Responsabilité précontractuelle, J.-Cl. Contrats Distribution, fasc. 35,

1996, n° 15 ; J. Cédras, L'obligation de négocier, RTD com. 1985, n° 18, p. 281 et 282 ; Pour un

plaidoyer en faveur d'une forme d'exécution forcée de l'obligation de négocier de bonne foi, V. toutefois

A. Laude, thèse préc., n° 846 et s., p. 521 et s.

(71) Sur lesquels, V. supra, n° 4.

(72) Sur cette contradiction, V. supra, n° 13.

(73) Sur lesquels, V. supra, n° 4.

(74) V. supra, n° 20.

(75) Encore faut-il préciser que ces risques d'échec ne peuvent être que les risques tenus pour légitimes

par le juge. Le juge, dès l'instant qu'il attache à l'obligation de négocier de bonne foi l'obligation de

poursuivre les négociations, ne peut tenir compte que des motifs légitimes de rupture, non du simple

risque de voir un négociateur changer d'avis. Ce sont ces motifs objectivement légitimes qui constituent

alors le seul obstacle à la conclusion définitive du contrat. Leur recension permettrait donc de mesurer les

chances réelles de succès de la négociation.

(76) Sur l'arrêt du 26 nov. 2003 et les positions retenues avant cet arrêt, V. supra, n° 7 et s.

(77) Logiquement en voie de disparition depuis l'arrêt du 26 nov. 2003.

(78) V. supra, n° 12.

Page 115: Note de Synthese_Les Pourparlers

115

(79) V. par exemple, D. Mazeaud,La genèse des contrats, un régime de liberté surveillée, art. préc., n°

17, p. 48 : « Au fond, parce que la durée et l'intensité de la négociation créent une apparence de la

ferme volonté de conclure le contrat négocié et inspirent nécessairement une légitime confiance chez les

négociateurs, celui qui détruit cette apparence et trompe cette confiance, fait montre d'une indiscutable

mauvaise foi et engage donc sa responsabilité » ; Plus généralement, V. A. Cohérier, Des obligations

naissant des pourparlers préalables à la formation des contrats, thèse Paris, 1939 ; D. Houtchief, Le

principe de cohérence en matière contractuelle, thèse Paris I, éd. PUAM 2001, préf. H. Muir-Watt,

notamment n° 868.

(80) Comp. la motivation d'un arrêt de la Cour de Rennes : CA Rennes, 8 juill. 1929, DH 1929.549 : «

Considérant que la source de la faute sera moins dans l'inexécution de la promesse (d'arriver à la

conclusion du contrat), laquelle n'a créé aucun lien contractuel, que dans le fait de la promesse elle-

même, inconsidérément faite ; Que cette distinction n'est pas purement verbale et cette analyse

seulement théorique ; Qu'elle permet de dégager la base de dommages-intérêts en la limitant au principe

qui en justifie l'allocation ; Qu'on ne devra pas, pour leur calcul, tenir compte des avantages dont la

partie lésée a été privée par la non réalisation de la convention, ce qui, indirectement rendrait cette

convention obligatoire, mais uniquement du préjudice acquis, c'est-à-dire des dépenses et des

dérangements que la promesse non tenue a provoqués, du dommage matériel et moral qu'elle a entraîné

».

(81) Mme

Danis-Fatôme, dans sa récente thèse, propose d'appliquer à cette situation la règle de

l'apparence et de contraindre le négociateur fautif à exécuter les obligations « apparentes » : Apparences

et contrats, thèse Paris I, 2002, en cours de publication à la LGDJ, n° 812 et s.

(82) V. ainsi CA Versailles, 1er avr. 1999, RJDA 1999, n° 1285 : la Cour insiste sur le fait que l'accord des

partenaires à la négociations est sur le point d'être obtenu ; elle considère alors que la rupture des

négociations pour une raison « étrangère aux difficultés d'un accord » est fautive (en l'espèce un

changement interne dans l'une des sociétés négociatrices avait conduit ses dirigeants à renoncer au

contrat).

(83) CA Versailles, 21 sept. 1995, RJDA 1996, n° 178 : la rupture de pourparlers avancés justifiée par

des « raisons internes » est fautive ; CA Versailles, 1er avr. 1999, préc., note précédente ; Cass. 1

re civ.,

14 juin 2000, RJDA 2000, n° 949 : une partie qui refuse de conclure le contrat alors que les pourparlers

ont permis la fixation de tous les éléments essentiels et même la fixation de la date de signature commet

une faute ; CA Dijon, 7 févr. 2002, Juris-Data n° 176498 : « il apparaît que malgré un accord acquis sur

les points fondamentaux de cette cession, M. B. a brusquement mis fin aux négociations qui auraient pu

se poursuivre jusqu'à parfait compromis ; qu'en conséquence le jugement ne peut qu'être confirmé sur la

responsabilité de la rupture ».

(84) A. Laude, thèse préc., n° 844, p. 520, à propos de la rupture des négociations d'un contrat pour la

vente de parts sociales : « l'acceptation par le cessionnaire, des conditions générales de la cession

imprime aux négociations « un point de non retour ». Jusque-là, en effet, les parties disposent d'une

totale liberté pour rompre leurs négociations. Mais dès cet instant, les relations prennent une dimension

supplémentaire et la défaillance de l'une des parties ne peut avoir lieu en toute impunité (...). Le fait de

rompre les pourparlers à un stade aussi avancé constitue une faute ».

(85) C'est sans doute pourquoi la Cour d'appel de Paris, dans un arrêt rendu en 1990, a accepté

d'accorder au négociateur lésé une somme représentant la totalité du profit attendu de la vente de parts

sociales : CA Paris, 10 janv. 1990, Dr. sociétés 1991, n° 32, p. 8. La Cour constatait en effet que la

rupture était intervenue après que l'acquéreur eut accepté la méthode de calcul du prix proposée et

manifesté son intention de conclure la vente. Autrement dit, aucun obstacle ne paraissait plus s'opposer

à la conclusion du contrat.

(86) Com. 20 juin 2000, RJDA 2000, n° 1068 : la rupture des négociations n'est pas fautive en l'absence

de fixation du prix des prestations contractuelles, de preuve de la durée et de l'intensité des pourparlers,

et en l'absence de relations antérieures.

Page 116: Note de Synthese_Les Pourparlers

116

(87) Com. 12 janv. 1999, RJDA 1999, n° 371 : Des pourparlers étant à un stade peu avancé, les parties

« étaient donc libres de tout remettre en cause sans avoir à fournir de justification légitime ». La rupture

n'est donc pas fautive. Comp. les solutions retenues en matière de révocation des mandataires sociaux

dans les sociétés anonymes : seules les circonstances accompagnant la révocation étant constitutives

d'une faute, les motifs de la révocation sont eux-mêmes indifférents. V. Y. Guyon, Droit des affaires, t. 1,

éd. Economica, 2003, n° 329 ; J.-L. Aubert, La révocation des organes d'administration des sociétés

commerciales, RTD com. 1968.977 et s., n° 10 ; Ph. Reigné, Révocabilité ad nutum des mandataires

sociaux et faute de la société, Rev. sociétés 1991.499 et s., n° 13 et s.

(88) Hoge Raad, 18 juin 1982, NJ 1983.723, note CJHB, Plas v. Municipality of Valburg, cité par JM. van

Dunné, rapport Hollandais, in Precontractual liability, op. cit., p. 230. Sur cet arrêt, V. R. Verhagen,

Responsabilité civile dans le code civil néerlandais, in Les métamorphoses de la responsabilité, 6es

journées R. Savatier, PUF, 1997, p. 81 et s. ; Comp. déjà R. Saleilles, La responsabilité précontractuelle,

RTD civ. 1907.697 et s.

(89) Hoge Raad, 24 nov. 1995, NJ 1996.162.

(90) Rapport Hollandais, rédigé dans le cadre du projet « Common Core of european private law », cité

plus haut. ; V. également, M. Hesselink, Precontractual good faith, in Hugh Beale et al., Cases, Materials

and Text on Contract Law, Oxford and Portland Oregon, 2002, chap. 2, sect. 2, p. 237 à 293.

(91) La position du Hoge Raad a d'ailleurs été critiquée : V. JM. van Dunné, op. cit. et R. Verhagen, op.

cit. ; adde JM. Barendrecht, Pure economic loss in the Netherlands, Netherlands Report to the 15th

Congress of Comparative Law, éd. Kluwer, n° 3.1, disponible sur le site internet de l'université d'Utrecht :

http://www.library.uu.nl.

(92) V. supra, n° 16 et s.

(93) V. A. Laude, thèse préc., n° 846 et s., p. 521 et s. ; et du même auteur : Le constat judiciaire des

pourparlers, RTD com. 1998.551 et s. ; note ss CA Paris, 16 déc. 1998, Bull. Joly 04/1999.474 ; D.

Mazeaud, Mystères et paradoxes de la période précontractuelle, Mélanges J. Ghestin, éd. LGDJ 2001.644

; Sur le fait qu'un accord portant sur les éléments essentiels suffit à la formation du contrat, V. Req. 1er

déc. 1885, S. 1887.1.167 ; Grands arrêts de la jurisprudence civile, par F. Terré et Y. Lequette, t. 2,

Précis Dalloz, 11e éd., 2000, n° 146, p. 7 et s.

(94) En ce sens, V. W. Wouter, Who should bear the costs of failed negotiations ?, A functional inquiry

into precontractual liability, Journal des économistes et des sciences humaines, 1993, n° 3.4.3, note

(137) in fine ; Comp. la solution retenue par CA Paris, 10 janv. 1990, préc...

(95) Com. 26 nov. 2003, préc. n° 10 : les pourparlers avaient conduit les partenaires à conclure un

projet d'accord « aplanissant la plupart des difficultés ».

(96) Sur le raisonnement qui mène à cette conclusion, V. supra, n° 19. La Cour de cassation, dans

l'arrêt, laisse entendre que la solution aurait été différente en présence d'un « accord ferme et définitif »

: « Attendu que la Cour d'appel a décidé à bon droit qu'en l'absence d'accord ferme et définitif, le

préjudice subi par A. n'incluait que les frais occasionnés par la négociation (...) et non les gains qu'elle

pouvait, en cas de conclusion du contrat, espérer tirer de l'exploitation du fonds de commerce ni même la

perte de chance d'obtenir ces gains ». Cette référence à l'accord ferme et définitif est peut-être ambiguë

car elle renvoie aussi bien à la conclusion d'un avant-contrat qu'à la conclusion du contrat négocié. Pour

notre part, nous trouvons raisonnable d'admettre que la Cour de cassation entend faire la distinction

entre les pourparlers (absence d'accord ferme et définitif) et le contrat négocié (accord ferme et

définitif). La conclusion d'un avant-contrat ne serait donc pas visée par l'arrêt. Si cette interprétation est

exacte, la solution doit être approuvée.

(97) Incidemment, cela emporterait une conséquence sur le contrôle des motifs de la rupture. En effet, si

Page 117: Note de Synthese_Les Pourparlers

117

la rupture n'est pas une faute, il ne devrait pas être tenu compte des motifs de la rupture, les

négociateurs n'ayant pas à justifier leur décision de rompre les négociations : V. supra, n° 33. Tout au

plus les motifs de la rupture, ou l'absence de tels motifs, pourraient-ils constituer des éléments de preuve

d'une faute extérieure à la rupture. Par exemple la rupture qui n'est motivée par aucune difficulté tenant

aux pourparlers pourrait révéler que son auteur a engagé les pourparlers sans intention de contracter.

Comp., pour la révocation des mandataires sociaux dans les sociétés anonymes, Y. Guyon, Droit des

affaires, t. 1, éd. Economica, 2003, n° 329.

(98) V. supra, n° 8.

(99) Sur la fonction de peine privée qui pourrait être confiée à la responsabilité civile, V. notamment, S.

Carval, La responsabilité civile dans sa fonction de peine privée, LGDJ 1995, préf. G. Viney.

Copyright 2015 - Dalloz – Tous droits réservés

Page 118: Note de Synthese_Les Pourparlers

118

Document 24 :

Bonne foi et pourparlers, Rép. Civ, Dalloz

Section 1 - Bonne foi et pourparlers

23. Avant toute chose, il convient de rappeler que, par application du principe de non-concours des

régimes de la défaillance contractuelle et de la responsabilité délictuelle, le fondement de la

condamnation à des dommages et intérêts ne peut être, dans toutes ces hypothèses, que délictuel

ou quasi-délictuel en l'absence de tout contrat (V., par ex., Com. 20 mars 1972, no 70-14.154 ,

Bull. civ. IV, no 93, JCP 1973. II. 17543, note Schmidt-Szalewski, RTD civ. 1972. 779, obs. Durry,

très motivé ; Com. 11 janv. 1984, no 82-13.259 , Bull. civ. IV, n

o 16 : « La victime d'une faute

commise au cours de la période qui a précédé la conclusion d'un contrat est en droit de poursuivre

la réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi [… ] sur le fondement de la responsabilité

délictuelle » ; Com. 22 févr. 1994, no 91-18.842 , Bull. civ. IV, n

o 79, RTD civ. 1994. 849, obs.

Mestre ; Civ. 2e, 4 juin 1997, n

o 95-10.574 , RTD civ. 1997. 921, obs. Mestre ; Civ. 1

re,

6 janv. 1998, no 95-19.199 , Bull. civ. I, n

o 7, JCP 1998. II. 10066, note Fages, D. Affaires

1998. 242 ; Com. 12 févr. 2002, no 98-13.778 , Sté Ingerex, CCC 2002, n

o 90, note

L. Leveneur). En revanche, si quelque avant-contrat avait été signé au cours des pourparlers ou en

prévision de ceux-ci, la violation de ses stipulations constituerait évidemment une défaillance

contractuelle de son auteur.

24. Alors que le code civil ne vise expressément la bonne foi qu'à l'occasion de l'exécution du

contrat (art. 1134, al. 3), c'est désormais un lieu commun de relever que les négociateurs doivent

être animés par la bonne foi dès l'ouverture des pourparlers, en l'absence même de toute

convention spécifique (qu'il est évidemment recommandé de rédiger lorsqu'une affaire est

complexe et que les pourparlers risquent d'être longs). En effet, il y a longtemps que la

jurisprudence et la doctrine admettent, « par induction, un véritable principe général de bonne foi,

qui ne vaut plus seulement lors de l'exécution du contrat, mais commence à produire son effet dès

la période des pourparlers, c'est-à-dire avant toute conclusion » (P. JOURDAIN, op. cit., p. 122).

Ainsi, la bonne foi s'est propagée à la période des pourparlers avec son cortège d'obligations

nouvelles. À ce stade, elle se manifeste de deux façons : le devoir de loyauté et le devoir de

confidentialité (d'une certaine manière, ce dernier n'est qu'une manifestation du premier).

Art. 1 - Le devoir de loyauté

25. Depuis un certain nombre d'années, on assiste à une extension du devoir de loyauté durant la

phase précontractuelle. La loyauté irrigue maintenant la période des négociations. En même temps

que la jurisprudence y a consacré l'existence d'un devoir de loyauté, y compris à propos des avant-

contrats, les textes faisant référence à la bonne foi durant les négociations se sont multipliés. S'il

est devenu traditionnel de citer le commentaire des Principes d'UNIDROIT pour les contrats du

commerce international, précisant qu'en vertu de l'article 1.7, « les parties doivent, pendant toute

la durée du contrat, y compris pendant les négociations, agir de bonne foi » (Principes

d'UNIDROIT, op. cit., p. 19 ; adde : M. SUCHANKOVA, Les principes Unidroit et la responsabilité

précontractuelle en cas d'échec des négociations, RD aff. int. 1997. 691), tous les projets de

refonte du droit des obligations, à l'instar de certains droits étrangers, font désormais

expressément référence à la bonne foi dès le stade des pourparlers. L'article 6 de l'avant-projet de

code européen des contrats dispose ainsi que « chacune des parties est libre d'entreprendre des

tractations en vue de conclure un contrat sans qu'on puisse lui imputer la moindre responsabilité

au cas où le contrat ne serait pas stipulé, sauf si son comportement est contraire à la bonne foi »,

tandis que les Principes du droit européen du contrat prévoient en leur article 2 : 301, alinéa 1er,

intitulé « Négociations contraires à la bonne foi », que « la partie qui conduit ou rompt des

négociations contrairement aux exigences de la bonne foi est responsable du préjudice qu'elle

cause à l'autre partie ». Dans cette même lignée, l'avant-projet de réforme du droit des obligations

Page 119: Note de Synthese_Les Pourparlers

119

et de la prescription dispose également dans son article 1104 que « l'initiative, le déroulement et la

rupture des pourparlers sont libres, mais ils doivent satisfaire aux exigences de la bonne foi

[al. 1er]. L'échec d'une négociation ne peut être source de responsabilité que s'il est imputable à la

mauvaise foi ou à la faute de l'une des parties [al. 2] ».

26. Le devoir de loyauté est donc susceptible de se manifester tout au long des pourparlers. Du

stade de l'initiative jusqu'à la rupture, en passant par la conduite des négociations, il constitue

actuellement une limite à la liberté des négociateurs qui, toutefois, demeure « le principe dans le

domaine des relations précontractuelles » (CA Riom, 10 juin 1992, RJDA 1992, no 895, RTD civ.

1993. 343, obs. Mestre ; adde : Principes d'UNIDROIT, art. 2.1.15 [1] : « Les parties sont

libres de négocier et ne peuvent être tenues pour responsables si elles ne parviennent pas à un

accord »). Ainsi, initiée, conduite ou rompue avec mauvaise foi (Com. 26 oct. 1993, no 91-

16.593 , Fontaine et SCI du Mûrier, inédit ; Com. 22 avr. 1997, no 94-18.953 , RTD civ.

1997. 651, obs. Mestre ; Com. 7 avr. 1998, no 95-20.361 , JCP E 1999. 579, note Schmidt-

Szalewski ; Com. 26 nov. 2003, no 00-10.243 et n

o 00-10.949 , Sté Alain Manoukian, Bull.

civ. IV, no 186, D. 2004. 869, obs. Dupré-Dallemagne , JCP E 2004, n

o 738, note Stoffel-Munck,

RTD civ. 2004. 80, obs. Mestre et Fages , RDC 2004. 257, note D. Mazeaud, CCE 2004, no 31,

note Stoffel-Munck ; Com. 25 févr. 2003, no 01-12.660 , inédit ; Civ. 3

e, 19 févr. 2002, n

o 00-

19.714 ; Civ. 1re, 6 janv. 1998, n

o 95-19.199 , Bull. civ. I, n

o 7), voire avec une simple

légèreté blâmable (Com. 22 févr. 1994, no 91-18.842 , Bull. civ. IV, n

o 79, RTD civ. 1994. 849,

obs. J. Mestre ; adde, visant une simple faute, Com. 14 déc. 2004, no 02-10.157 , inédit ;

Com. 12 oct. 1993, no 91-19.456 , inédit ; Com. 31 mars 1992, n

o 90-14.867 , Bull. civ. IV,

no 145 ; Com. 11 janv. 1984, Bull. civ. IV, n

o 16 ; Com. 7 mars 1972, Bull. civ. IV, n

o 83), la

négociation peut entraîner la responsabilité du négociateur déloyal.

§ 1 - La bonne foi lors de l'entrée en pourparlers

27. L'entrée en pourparlers, sauf texte particulier, est libre. Toutefois, elle connaît une importante

limite : la bonne foi. Ici, comme ailleurs, si le devoir de loyauté implique que les négociateurs aient

une attitude dénuée de mauvaise foi, il leur impose, positivement cette fois-ci, certaines

obligations.

28. Le devoir de loyauté que doivent respecter les partenaires lors de l'entrée en pourparlers

permet la sanction de comportements constitutifs d'abus. Par exemple, le fait de prendre l'initiative

d'une négociation sans intention sérieuse de contracter est constitutif d'une faute susceptible

d'engager la responsabilité de son initiateur. Les Principes du droit européen du contrat ne disent

d'ailleurs pas autre chose lorsqu'ils prévoient, à titre d'illustration, dans leur article 2 :301,

alinéa 2, qu'«il est contraire aux exigences de la bonne foi, notamment, pour une partie d'entamer

ou de poursuivre des négociations sans avoir de véritable intention de parvenir à un accord avec

l'autre » (adde : Principes d'UNIDROIT, art. 2.1.15 [3] : « Est notamment de mauvaise foi la partie

qui entame ou poursuit des négociations sachant qu'elle n'a pas l'intention de parvenir à un

accord » ; dans des termes proches, ministère de la Justice, Projet de réforme du droit des

contrats, juill. 2008, art. 20, al. 2).

29. Positivement, le devoir de loyauté ne s'oppose pas à ce qu'un négociateur entre en pourparlers

avec plusieurs partenaires de manière simultanée. Un tel comportement ne constitue donc pas, en

soi, une faute en l'absence de clause d'exclusivité (par ex., Com. 15 déc. 1992, no 90-21.175 ,

RTD civ. 1993. 577, obs. Mestre , RJDA 1993, no 296 ; CA Bordeaux, 11 juin 1997, JCP E 1997.

I. 617, no 1, obs. Mousseron ; CA Douai, 22 oct. 1998, Expertises 1999. 235, obs. Bertrand ;

adde : D. MAZEAUD, Mystères et paradoxes de la période précontractuelle, Études offertes à

J. Ghestin, Le Contrat au début du XXIe siècle, 2001, LGDJ. 637, n

o 12). Réciproquement, il a été

décidé que « le simple fait de contracter, même en connaissance de cause, avec une personne

ayant engagé des pourparlers avec un tiers ne constitue pas, en lui-même et sauf s'il est dicté par

l'intention de nuire ou s'accompagne de manoeuvres frauduleuses, une faute de nature à engager

la responsabilité de son auteur » (Com. 26 nov. 2003, no 00-10.243 et n

o 00-10.949 , Sté

Alain Manoukian, préc.). Toutefois, le devoir de loyauté semble imposer au négociateur une

Page 120: Note de Synthese_Les Pourparlers

120

certaine prudence dans la conduite de pourparlers parallèles. D'une part, constitue une faute le fait

de conduire des pourparlers avec quelqu'un sur la base d'un prix exagéré, tout en en menant

d'autres avec un tiers à un prix inférieur (Civ. 2e, 4 juin 1997, n

o 95-10.574 , RTD civ.

1997. 921, obs. Mestre ). D'autre part, la prudence imposée par le devoir de loyauté doit

conduire à considérer que celui qui entre en pourparlers avec plusieurs partenaires doit les en

informer. Tel est du moins ce qui pourrait ressortir de l'analyse de certaines décisions des juges du

fond, alors que la Cour de cassation paraît plus réservée (Com. 15 déc. 1992, no 90-21.175 ,

préc. : le partenaire n'a « pas l'obligation de révéler à la société B. l'état de ses négociations avec

les autres candidats ayant répondu à son appel d'offres » ; rappr. Com. 12 mai 2004, no 00-

15.618 , Bull. civ. IV, no 94, JCP E 2004. 1393, note Trébulle ; comp. Com. 11 oct. 1994, n

o 92-

17.860 , inédit ; Com. 26 nov. 2003, no 00-10.243 et n

o 00-10.949 , Sté Alain

Manoukian, préc., laissant entendre que la dissimulation de négociations parallèles, parmi d'autres

agissements, constitue une faute). D'un arrêt du 28 avril 2006 de la cour d'appel de Paris (CA

Paris, 28 avr. 2006, Juris-Data no 2006-30-1647), il semble pouvoir être déduit que, dans certaines

circonstances, les partenaires doivent s'informer des éventuelles négociations qu'ils mènent

parallèlement avec des tiers. En l'espèce, un négociateur avait finalement rompu les pourparlers

qu'il menait avec son partenaire. Celui-ci l'assigna en rupture abusive des négociations au motif,

notamment, qu'il menait en parallèle des négociations ayant abouti avec un tiers sur un partenariat

sensiblement identique. Les juges déboutèrent toutefois le partenaire délaissé au motif que, s'il

existait bien une clause d'exclusivité, le tiers ne figurait pas sur la liste l'accompagnant et que, de

surcroît, il n'était pas un concurrent de celui-là. Est-ce à dire que si tel avait été le cas, le

négociateur ayant mené des pourparlers parallèles aurait dû l'en informer ? C'est ce qui peut être

déduit d'un arrêt de la cour d'appel de Versailles (CA Versailles, 5 mars 1992, Juris-Data, no 1992-

04-0895, RTD civ. 1992. 752, note Mestre ) qui, après avoir rappelé le principe selon lequel

chacun peut négocier un contrat avec plusieurs partenaires à défaut d'accord d'exclusivité, décide

que le négociateur n'avait pas commis de faute en menant des pourparlers parallèles dès lors que,

non seulement « il n'y avait pas eu un tel accord, mais encore que les documents produits

montrent bien qu'ils étaient destinés à n'importe quel acquéreur potentiel ». En d'autres termes, le

négociateur déçu ne pouvait donc pas ignorer qu'il ne serait pas le seul sur les rangs. A contrario, il

semble donc possible d'en déduire qu'il aurait dû en être informé.

§ 2 - La bonne foi lors de la conduite des pourparlers

30. Le devoir de mener loyalement les négociations se traduit par un certain nombre d'exigences

auxquelles chacun des négociateurs est aujourd'hui soumis sous peine d'engager sa responsabilité.

En effet, la bonne foi impose aux parties l'obligation de tout mettre en oeuvre pour parvenir à la

conclusion de l'accord projeté. Elles sont tenues à un « devoir de persévérance » (Y. PICOD,

Exécution de bonne foi des conventions, op. cit., no 6). Ainsi, constitue une faute le fait de

continuer des négociations dans le seul dessein de dissuader son partenaire de négocier avec un

tiers (CA Paris, 19 janv. 2001, D. 2001. IR 677 ), ou d'obtenir des informations confidentielles

au cours des discussions (Com. 3 oct. 1978, Bull. civ. IV, no 208, D. 1980. 55, note Schmidt-

Szalewski ; CA Paris, 8 juill. 1972, JCP 1973. II. 17509, obs. Leloup). De même, est fautif le fait de

poursuivre des négociations en gardant le silence sur la non-obtention d'un prêt nécessaire à la

conclusion du contrat (Civ. 1re, 6 janv. 1998, n

o 95-19.199 , JCP 1998. II. 10066, note Fages)

ou, plus généralement, en sachant qu'elles n'aboutiront pas (Com. 18 juin 2002, no 99-16.488 ,

inédit ; Com. 25 févr. 2003, no 01-12.660 , inédit ; a contrario, Civ. 2

e, 1

er avr. 1998, n

o 96-

18.381 , inédit ; Com. 17 juin 2003, no 01-10.272 , inédit ; adde : Principes du droit

européen du contrat, 2 : 301, al. 2 ; Principes d'UNIDROIT, art. 2.1.15 [3]. En quelque sorte, pèse

donc sur les négociateurs « une obligation de mener des pourparlers sincères » (J. MESTRE, La

période précontractuelle et la formation du contrat, in Le contrat, questions d'actualité, LPA, 5 mai

2000, p. 7).

31. Le devoir de loyauté, au moment des pourparlers, peut même aller jusqu'à exiger du

partenaire qu'il ne donne pas suite aux pourparlers. S'il n'est pas demandé aux négociateurs d'être

désintéressés et d'avoir une visée altruiste, la jurisprudence tend, en effet, à exiger de leur part

Page 121: Note de Synthese_Les Pourparlers

121

qu'ils renoncent à leur intérêt, donc à contracter, lorsque l'autre partie n'est pas en mesure de faire

face aux engagements qu'elle va souscrire (Com. 22 févr. 1994, no 92-13.871 , Bull. civ. IV,

no 72, RTD civ. 1994. 850, obs. Mestre ), ou lorsque le projet en cause n'est pas sérieux ou est

dangereux (CA Paris, 26 juin 1991, CCC 1992. no 42, obs. Raymond). Dans ces hypothèses, ce qui

est donc reproché au négociateur, c'est d'avoir prolongé excessivement les pourparlers.

§ 3 - La bonne foi lors de la rupture des pourparlers

32. Au stade des négociations, le devoir de loyauté se révèle surtout à l'occasion de leur rupture,

intervenue abusivement. En vertu du principe de la liberté contractuelle, les négociateurs doivent

conserver la liberté de ne pas contracter et donc de rompre les pourparlers (V., par ex., Civ. 3e,

28 juin 2006, no 04-20.040 , Bull. civ. III, n

o 164, D. 2006. 2963, note Mazeaud , JCP 2006.

II. 10130, note Deshayes et JCP 2006. I. 166, no 6, obs. Stoffel-Munck, RDC 2006. 1069, note

D. Mazeaud, RTD civ. 2006. 754, obs. Mestre et Fages , relevant l'existence d'un « droit de

rupture unilatérale des pourparlers précontractuels » ; adde : Ph. le TOURNEAU, La rupture des

négociations, RTD com. 1998. 479 ). Ainsi, en soi, la rupture ne saurait être considérée comme

fautive ; l'exposé des motifs de l'avant-projet de réforme du droit des obligations le laisse entendre

en ces termes : « Les négociateurs sont libres d'entrer en pourparlers, de mener leur négociation

et d'y mettre fin comme et quand bon leur semble. En principe, leur responsabilité ne peut pas être

recherchée à l'occasion de cette phase de négociation. En particulier, elle ne peut pas être engagée

du seul fait que la négociation a été rompue et que cette rupture a provoqué un dommage pour un

des négociateurs » (Avant-projet de réforme du droit des obligations et de la prescription, p. 17).

33. Ce n'est que lorsqu'il y a abus de la liberté de rompre les pourparlers que la responsabilité de

celui qui a pris l'initiative de la rupture peut être engagée dès lors que son partenaire en subit un

préjudice. Or, il en va ainsi, non seulement lorsque l'auteur de la rupture est animé d'une intention

du nuire (Civ. 1re, 1

er avr. 1976, Bull. civ. I, n

o 122, RTD civ. 1977. 127, obs. Durry), mais aussi

lorsqu'il agit avec mauvaise foi, voire lorsqu'il commet une simple faute, ce que la Cour de

cassation admet depuis longtemps (Civ. 3e, 3 oct. 1972, n

o 71-12.993 , Bull. civ. III, n

o 491).

Celle-ci réside alors dans les circonstances qui l'entourent (Com. 26 nov. 2003, no 00-10.243 ,

Bull. civ. IV, no 186, RTD civ. 2004. 80, obs. Mestre et Fages , JCP 2004. I. 163, n

o 18,

obs. Viney, D. 2004. 869, note Dupré-Dallemagne , RDC 2004. 257, obs. Mazeaud ; Civ. 3e,

28 juin 2006, no 04-20.040 , préc., visant la « faute commise dans l'exercice du droit de

rupture unilatérale des pourparlers précontractuels ») ou dans l'attitude de son auteur au cours des

négociations (V. P. JOURDAIN, obs. sous Civ. 3e, 28 juin 2006, n

o 04-20.040 , RTD civ.

2006. 770 ; adde : O. DESHAYES, Le dommage précontractuel, RTD com. 2004. 187 ;

comp. D. MAZEAUD, Réparation des préjudices précontractuels : toujours moins… ?, note sous

Civ. 3e, 28 juin 2006, n

o 04-20.040 , D. 2006. 2963 , spéc. 2964), mais non dans la rupture

elle-même, qui demeure libre.

34. Si les circonstances permettant aux juges de conclure à l'existence d'une faute sont souvent

entremêlées, il est tout d'abord possible de relever que certaines d'entre elles concernent la

manière dont la rupture s'est déroulée, qu'il s'agisse de sa brutalité (Com. 20 mars 1972, no 70-

14.154 , préc. ; Com. 7 janv. 1997, no 94-21.561 , D. 1998. 45, note Chauvel ;

Com. 22 avr. 1997, no 94-18.953 , D. 1998. 45, note P. Chauvel , RJDA 1997, n

o 996, RTD

civ. 1997. 651, obs. Mestre ; CA Lyon, 4 mars 1994, Juris-Data, no 1994-04-3277 ; CA Paris,

4 févr. 1993, Juris-Data, no 1993-02-0503), de sa soudaineté, de sa tardiveté (Civ. 1

re, 6 janv.

1998, no 95-19.199 , Bull. civ. I, n

o 7, JCP 1998. II. 10066, note Fages, Defrénois 1998. 741,

obs. D. Mazeaud ; CA Paris, 10 mars 2000, JCP E 2001. 422, note Violet), de la publicité qui lui est

donnée, ou encore, du comportement vexatoire ou déloyal de l'auteur de la rupture.

35. Sont également prises en considération pour apprécier le caractère abusif ou non de la

rupture, les circonstances tenant aux pourparlers eux-mêmes, tel l'état d'avancement des

négociations (Com. 7 janv. 1997, no 94-21.561 , D. 1998. 45, note Chauvel ; Com. 11 juill.

2000, no 97-18.275 , CCC 2000, n

o 174, note Leveneur ; CA Paris, 7 mai 2004, Sté Les

Page 122: Note de Synthese_Les Pourparlers

122

Productions du Roi soleil, RJDA 2004, no 1078, rupture des négociations en « phase terminale »).

En d'autres termes, plus les pourparlers étaient avancés, plus les juges ont tendance à considérer

que la rupture est fautive (même si le principe est celui de la liberté des négociateurs : Civ. 2e,

4 mars 2004, no 02-14.022 , inédit), surtout si l'auteur de la rupture a entretenu la croyance de

son partenaire en la conclusion prochaine d'un contrat (Com. 31 mars 1992, no 90-14.867 ,

Bull. civ. IV, no 145 ; CA Riom, 10 juin 1992, RJDA 1992. 732, RTD civ. 1993. 343, obs.

Mestre ; CA Reims, 13 déc. 1989, Juris-Data, no 049 587 : « La mauvaise foi consiste à mettre

fin, dans des conditions dommageables, aux pourparlers, après avoir fait croire à son partenaire

que l'on allait conclure le contrat » ; CA Versailles, 31 janv. 2008, no 06-7481, RJDA 2008, n

o 482,

longs pourparlers, rupture sans motif légitime, après avoir laissé croire au partenaire qu'un contrat

allait être conclu), ou l'a laissé engager des frais (Com. 20 mars 1972, préc. ; CA Rennes, 8 juill.

1929, DH 1929. 548). A contrario, lorsque les négociations sont demeurées à un stade peu avancé,

si bien que les partenaires n'avaient pu espérer la conclusion du contrat, aucune faute ne peut être

retenue (Com. 12 janv. 1999, no 96-14.604 , inédit titré ; CA Paris, 13 déc. 1984, Juris-Data,

no 1984-02-7018, RTD civ. 1986. 97, obs. Mestre).

36. Enfin, la qualité des parties semble être prise en compte pour qualifier d'abusive la rupture des

pourparlers. Sans doute, la faute commise dans la rupture ne doit pas pour autant être qualifiée.

Mais le modèle de comparaison change, si bien que la diligence devra être plus grande, tant

lorsque le professionnel est l'auteur de la rupture que lorsqu'il en est la victime. Il en résulte

notamment que, dans ce dernier cas, son impéritie sera plus facilement qualifiée de faute. Par

exemple, la faute de la victime de la rupture a pu être retenue parce qu'elle avait engagé, « sur les

exhortations du seul client [potentiel], des investissements ne pouvant que la conduire au dépôt de

bilan en cas de défaillance de celui-ci (Com. 15 oct. 2002, no 00-13.738 , RTD civ. 2003. 282,

obs. Mestre et Fages ). De même, en estimant qu'au regard des circonstances, « les parties

devaient toujours envisager l'éventualité d'un échec », la Cour de cassation décide que les

investissements réalisés par anticipation étaient imprudents (Com. 4 oct. 1982, Juris-Data,

no 702028).

37. Reste toutefois à savoir si une rupture sans motif ou pour un motif illégitime est

nécessairement abusive ? Il est certain que la nécessité d'avancer un motif pour mettre fin aux

pourparlers limiterait considérablement la liberté des partenaires aux négociations, par ailleurs

affirmée. En effet, à défaut de motif ou s'il est illégitime, la rupture sera abusive et donc

susceptible d'engager la responsabilité de son auteur (comp. M. FABRE-MAGNAN, L'obligation de

motivation en droit des contrats, in Mélanges offerts à J. Ghestin, Le Contrat au début du

XXIe siècle, 2001, LGDJ, p. 301, spéc. p. 324 : pour l'auteur, « le passage de l'abus de droit à

l'obligation de motivation traduit […] un renversement de principe », dont il résulte que

« l'existence d'une obligation de motivation marque un encadrement plus étroit de l'exercice du

droit et donc, en définitive, un droit moins absolu »). Pourtant, nombre de décisions s'appuient sur

cette circonstance pour qualifier ou non la rupture de fautive. En effet, la faute est souvent

caractérisée par l'absence ou l'illégitimité des motifs (Com. 7 avr. 1998, no 95-20.361 ,

D. 1999. 514, note Chauvel , JCP E 1999. 579, note Schmidt-Szalewski ; Com. 11 juill. 2000,

no 97-18.275 , inédit titré ; Civ. 1

re, 25 juin 2002, n

o 00-17.048 , inédit ; Civ. 3

e, 27 mai

2003, no 01-15.099 , inédit). A contrario, une rupture ne semble pas pouvoir être fautive

lorsqu'elle est justifiée par une « raison légitime », quand bien même elle serait tardive (Com.

20 nov. 2007, no 06-20.332 , RTD civ. 2008. 101, obs. Fages ; adde : Civ. 3

e, 22 mai 1996,

no 94-13.501 , inédit titré ; Civ. 3

e, 14 juin 2000, n

o 98-22.131 , inédit ; Com. 7 mars 2006,

no 04-17.177 , inédit). Ce contrôle des motifs s'accorde pourtant mal avec le refus d'indemniser

la perte d'une chance énoncé par la jurisprudence Sté Alain Manoukian (Com. 26 nov. 2003, no 00-

10.243 et no 00-10.949 , préc. ; Civ. 3

e, 28 juin 2006, n

o 04-20.040 , préc.). En effet,

ainsi que cela a pu être montré, « il serait peu cohérent d'exclure l'indemnisation de la perte de

chance de conclure le contrat négocié au motif que la décision de rompre ne constitue jamais une

faute et d'apprécier dans le même temps la faute dans la rupture des pourparlers à l'aune des

Page 123: Note de Synthese_Les Pourparlers

123

motifs invoqués par l'auteur de la rupture » (O. DESHAYES, note sous Civ. 3e, 28 juin 2006, n

o 04-

20.040 , JCP 2006. II. 10130).

Art. 2 - Le devoir de confidentialité

38. Souvent, dans les affaires, les négociations impliquent, pour qu'elles soient sérieuses, que des

informations confidentielles et des connaissances, voire des éléments d'un savoir-faire, soient

échangés entre les parties. Certaines de ces données, qui doivent parfois être obligatoirement

transmises en vertu de l'obligation de renseignement pesant sur le sachant (V. infra, nos

42 et s.),

peuvent procurer un avantage concurrentiel à son bénéficiaire. En l'absence même d'une clause ad

hoc de confidentialité pouvant être prévue par les négociateurs (fréquente lorsque les révélations

sont importantes ; V. A. LATREILLE, Réflexion critique sur la confidentialité dans le contrat, LPA 7

et 8 août 2006, nos

156 et 157), la bonne foi impose de ne pas les divulguer et de ne pas les

utiliser, que le contrat soit conclu ou non (V. Com. 3 juin 1986, no 84-16.971 , Bull. civ. IV,

no 110 ; CA Paris, 5 mai 1991, Expertises 1994. 234 ; adde : Principes d'UNIDROIT, art. 2.1.16 :

« Qu'il y ait ou non conclusion du contrat, la partie qui, au cours des négociations, reçoit une

information donnée à titre confidentiel par l'autre partie, est tenue de ne pas la divulguer ni

l'utiliser de façon indue à des fins personnelles. Le manquement à ce devoir est susceptible de

donner lieu à une indemnité comprenant, le cas échéant, le bénéfice qu'en aura retiré l'autre

partie » ; Principes du droit européen du contrat, art. 2 :302 ; ministère de la Justice, Projet de

réforme du droit des contrats, juill. 2008, art. 21 : « Indépendamment de toute rupture, celui qui

utilise sans autorisation une information confidentielle obtenue à l'occasion des négociations

engage sa responsabilité délictuelle »). Ainsi, la conduite des pourparlers impose une obligation

« de réserve et de discrétion » (CA Paris, 1er févr. 1989, Juris-Data, n

o 1989-02-0420), visant à

sécuriser la divulgation d'informations rendue nécessaire en raison de la perspective d'un contrat

(comp. toutefois, D. PORACCHIA, La protection juridique des secrets de l'entreprise, Dr. et patr.

2000, no 85, p. 20, pour lequel « on peut considérer que la révélation exclut le caractère secret de

l'information »).

39. Celui qui divulguerait ou utiliserait ainsi une information confidentielle transmise par son

partenaire pour les besoins de la négociation commettrait une faute délictuelle, en l'absence de

clause de confidentialité, voire en cas d'illicéité de cette clause (Soc. 12 mars 1996, no 94-

42.105 , inédit). Cette faute peut d'ailleurs être constitutive d'un acte de concurrence déloyale

(V. Com. 3 oct. 1978, préc., communication d'une demande de brevet à un tiers pour envisager la

fabrication ; Com. 3 juin 1986, no 84-16.971 , Bull. civ. IV, n

o 110 : fabrication, pour le compte

d'un tiers, d'articles de robinetterie identiques à ceux qui ont été commandés ; CA Paris, 8 juill.

1972, JCP 1973. II. 17509, note Leloup, idée de chanson ; CA Paris, 1er févr. 1989, Juris-Data

no 1989-02-0420, remise à quelqu'un d'un scénario en vue de sa réalisation ; CA Paris, 5 mai

1991, Expertises 1994. 234 ; CA Paris, 15 mars 2000, PIBD 2000. III. 350 ; contra Civ. 1re, 5 oct.

1994, no 92-17.697 , RIDA 1995. 205, pour l'idée d'un scénario pour la télévision ; TGI Paris,

27 juin 1997, PIBD 1997. III. 661, utilisation d'idées émises par un concepteur au cours de

réunions de travail) ou d'agissements parasitaires, ce qui permettrait d'engager la responsabilité

de tout tiers ayant utilisé l'information confidentielle (V. Ph. le TOURNEAU, Parasitisme - Notion de

parasitisme, J.-Cl. Concurrence consommation, fasc. 227, 2006).

Copyright 2015 - Dalloz – Tous droits réservés

Page 124: Note de Synthese_Les Pourparlers

124

Document 25 :

Rupture des pourparlers, Rép. Civ. Dalloz

Section 4 - Rupture des pourparlers 215. Il arrivera parfois que les partenaires à la négociation précontractuelle ne parviennent pas à

s'accorder et que, de ce fait, les pourparlers soient rompus. L'auteur de la rupture ne saurait, en

principe, encourir aucune responsabilité puisque, le contrat n'étant, par hypothèse, pas encore

conclu, la liberté des négociations demeure entière. Dans la conception traditionnelle du contrat,

chacun doit pouvoir mettre fin librement aux pourparlers. S'il en résulte un préjudice (découlant

notamment des frais engagés et devenus rétrospectivement inutiles), celui-ci n'a pas à être pris en

considération. En ce sens, il existe un « droit de nuire » en rompant.

216. On s'accorde néanmoins à reconnaître aujourd'hui que, comme l'exécution du contrat

(C. civ., art. 1134, al. 3), la période de sa formation est dominée par le principe de bonne foi

(V. par ex. : Cass. 1re civ. 14 juin 2000, Contrats, conc., consom. 2000, comm. 157, obs.

L. Leveneur). Dans cette mesure, il faut admettre que certains comportements pourront être

considérés comme fautifs et, comme tels, susceptibles d'engager la responsabilité de leur auteur.

Même si, jusqu'à ces dernières années, en raison d'un attachement fondamental à la liberté de la

négociation, cette question n'avait donné lieu qu'à un contentieux limité, l'idée elle-même est

ancienne, déjà évoquée par POTHIER, pour le cas particulier du retrait intempestif de l'offre

(POTHIER, op. cit., no 32 ; J. SCHMIDT, La sanction de la faute précontractuelle, RTD civ.

1974. 46 ; J. SCHMIDT-SZALEWSKI, La période précontractuelle en droit français, RID comp.

1990. 545 ; D. MAZEAUD, La genèse des contrats : un régime de liberté surveillée, Dr. et

patrimoine, juill.-août 1976, p. 44 ; Mystères et paradoxes de la période précontractuelle, in

Mélanges J. Ghestin, 2001, LGDJ, p. 637 ; P. CHAUVEL, Rupture des pourparlers et responsabilité

délictuelle, Dr. et patrimoine, nov. 1996, p. 36 ; P. LE TOURNEAU, La rupture des négociations,

RTD com. 1998. 479 ; A. LAUDE, Le constat judiciaire des pourparlers, RTD com.

1998. 551 ; B. DE CONINCK, Le droit commun de la rupture des négociations

précontractuelles, in Le processus de formation du contrat, op. cit., p. 17 ; O. DESHAYES, Le

dommage précontractuel, RTD com. 2004. 187 ; B. BOURDELOIS, Réflexions sur le traitement

des relations précontractuelles en droit international privé, in Mélanges Ph. Malaurie, 2005,

Defrénois, p. 106 ; H. MUIR-WATT, Les pourparlers, de la confiance trompée à la relation de

confiance, in Les concepts contractuels français…, op. cit., p. 53 et s. ; O. BARRET, Variations

autour du refus de contracter, in Mélanges J.-L. Aubert, 2005, Dalloz, p. 3).

217. Le projet Lando a consacré la section III du chapitre II à la « Responsabilité à l'occasion des

négociations ». L'article 2 :301 (Négociations contraires à la bonne foi) prévoit que : « (1) Les

parties sont libres de négocier et ne peuvent encourir de responsabilité pour ne pas être parvenues

à un accord. (2) Toutefois, la partie qui conduit ou rompt des négociations contrairement aux

exigences de la bonne foi est responsable du préjudice qu'elle cause à l'autre partie. (3) Il est

contraire aux exigences de la bonne foi, notamment, pour une partie d'entamer ou de poursuivre

des négociations sans avoir de véritable intention de parvenir à un accord avec l'autre ».

L'article 2 :302 (Manquement à la confidentialité) précise que : « Lorsqu'une information

confidentielle est donnée par une partie au cours des négociations, l'autre est tenue de ne pas la

divulguer ni l'utiliser à ses propres fins, qu'il y ait ou non conclusion du contrat. Le manquement à

ce devoir peut ouvrir droit à la réparation du préjudice souffert et à la restitution du profit qu'en

aurait retiré l'autre partie » (V. J.-C. RODA, Commentaires des articles 2 :301 PDEC [Négociations

contraires à la bonne foi] et 2 :302 [Manquement à la confidentialité], in C. PRIETO [sous la dir.

de], Regards croisés…, op. cit.).

218. L'avant-projet Catala, plus elliptique, prévoit à l'article 1104 que : « L'initiative, le

déroulement et la rupture des pourparlers sont libres, mais ils doivent satisfaire aux exigences de

la bonne foi. L'échec d'une négociation ne peut être source de responsabilité que s'il est imputable

à la mauvaise foi ou à la faute de l'une des parties ».

219. Sous réserve de l'existence d'un avant-contrat de négociation et de la violation de l'un de ses

termes, la responsabilité encourue en cas de rupture fautive des pourparlers est de nature

Page 125: Note de Synthese_Les Pourparlers

125

délictuelle ou quasi délictuelle (Cass. com. 20 mars 1972, Bull. civ. IV, no 93, JCP 1973. II. 17543,

note J. Schmidt, RTD civ. 1972. 779, obs. G. Durry). La Cour de justice des Communautés

européennes a récemment précisé que : « Dans des circonstances caractérisées par l'absence

d'engagement librement assumé par une partie envers une autre à l'occasion des négociations

visant à la formation d'un contrat et par l'éventuelle violation des règles de droit, notamment celle

qui impose aux parties d'agir de bonne foi dans le cadre de ces négociations, l'action par laquelle la

responsabilité précontractuelle du défendeur est invoquée relève de la matière délictuelle ou quasi

délictuelle au sens de l'article 5, point 3, de la convention du 27 septembre 1968 » (CJCE, 17 sept.

2002, aff. C-334/00, D. 2002, IR 2774 , JCP 2003. I. 152, no 8, obs. G. Viney, Defrénois

2003. 254, obs. R. Libchaber, RTD com. 2003. 207, obs. A. Marmisse ).

220. L'action ne peut, en principe, qu'être dirigée contre l'auteur de la rupture, non contre le tiers

qui aurait contracté avec lui. La chambre commerciale de la Cour de cassation a récemment

précisé que le simple fait de contracter, même en connaissance de cause, avec une personne ayant

engagé des pourparlers avec un tiers ne constitue pas, en lui-même, et sauf s'il est dicté par

l'intention de nuire, ou s'accompagne de manoeuvre frauduleuse, une faute de nature à engager la

responsabilité de son auteur (Cass. com. 26 nov. 2003, nos

00-10.243 et 00-10.949 , Bull.

civ. IV, no 186, D. 2004, AJ 869, note A.-S. Dupré-Dallemagne , JCP, éd. E, 2004. 3. 738, note

Ph. Stoffel-Munck, RTD civ. 2004. 80, obs. J. Mestre et B. Fages , RDC 2004. 257, obs.

D. Mazeaud, JCP 2004. I. 163, no 18, obs. G. Viney ; comp., à propos de la liberté de mener des

négociations parallèles, Cass. com. 12 mai 2004, no 00-15.618 , D. 2004, AJ 1599, note

A. Lienhard et somm. 2923, obs. E. Lemazerolles , Dr. et patrimoine, nov. 2004, p. 83, obs.

P. Chauvel et p. 90, obs. D. Poracchia).

221. La règle de principe demeure la liberté de rompre les pourparlers. L'auteur de la rupture

n'engagera donc sa responsabilité que dans la mesure où les circonstances feront apparaître qu'il a

abusé de cette liberté, et que, en d'autres termes, cette rupture est fautive. Il avait été jugé

autrefois qu'il devait s'agir d'une « faute patente, indiscutable » (CA Pau, 14 janv. 1969,

D. 1969. 716 ; comp. Cass. com. 10 juin 1986, Bull. civ. IV, no 123, RTD com. 1987. 570, obs.

J. Hémard et B. Bouloc). La jurisprudence contemporaine ne s'arrête pas à cette qualification. Le

critère de la faute réside dans le manquement à la bonne foi qui doit régner dans les discussions

précontractuelles. Dans cette mesure, la « mauvaise foi » désigne un comportement qui n'est pas

conforme à celui dont le juge estimera qu'il eût été adopté par un partenaire honnête,

normalement soucieux d'observer la morale et les usages des affaires (V. par ex., Cass. com.

22 avr. 1997, D. 1998. 45, 2e esp., note P. Chauvel , qui retient un manquement « aux règles

de la bonne foi dans les relations commerciales » ; V. égal. Cass. com. 20 mars 1972, préc. supra,

no 219). Ce « manque à la bonne foi » est apprécié objectivement, en ce sens que la conscience,

chez l'auteur de la rupture, de la contrariété de sa conduite à ces normes de référence (morale des

affaires, usages) n'a pas à être spécialement établie. Ce qui importe, c'est la faute, laquelle peut

consister en une simple « légèreté blâmable » (Cass. com. 22 févr. 1994, Bull. civ. IV, no 79, RTD

civ. 1994. 849, obs. J. Mestre ; V. égal., Cass. com. 31 mars 1992, no 90-14.867 , Bull. civ.

IV, no 145 ; 11 janv. 1984, ibid. IV, n

o 16 ; Cass. 3

e civ. 16 avr. 1973, ibid. III, n

o 87 ; Cass. com.

7 mars 1972, ibid IV, no 83).

222. Inversement, en l'absence d'intention de nuire, ou de « mauvaise foi », au cours des

pourparlers, il n'y a pas de faute (Cass. 1re civ. 12 avr. 1976, Bull. civ. I, n

o 122, Defrénois

1977. 389, obs. J.-L. Aubert). Ce sera le cas, notamment, lorsqu'il apparaîtra que la rupture des

négociations a eu lieu « d'un commun accord » (CA Paris, 19 janv. 2001, RTD civ. 2001. 350, obs.

J. Mestre et B. Fages ). Mais si la rupture n'est pas fautive, on peut néanmoins concevoir que

l'un des partenaires ait droit à une indemnité sur un autre fondement. Ainsi, s'il a bénéficié d'un

avantage que rien ne justifie (V. pour une « indemnité d'occupation », Cass. 3e civ. 3 juill. 2002,

no 00-22.192 , RTD civ. 2002. 804, obs. J. Mestre et B. Fages , Defrénois 2002. 1532, note

Y. Dagorne-Labbé, Dr. et patrimoine, nov. 2002, p. 107, obs. P. Chauvel, JCP, éd. E, 2002. 543,

no 1, obs. J. Raynard).

Page 126: Note de Synthese_Les Pourparlers

126

223. Il est évidemment inutile que l'auteur de la rupture ait eu l'intention de nuire à son

partenaire (Cass. 3e civ. 3 oct. 1972, Bull. civ. III, n

o 491 ; Cass. com. 11 juill. 2000, Contrats,

conc., consom. 2000, comm. 174 obs. L. Leveneur). Mais cette intention existera parfois,

notamment, s'il s'avère que les pourparlers n'ont été engagés ou poursuivis, qu'en vue d'empêcher

le partenaire de traiter avec un tiers, ou afin d'obtenir la révélation de secrets ou d'informations

confidentielles au cours de la discussion (Cass. com. 3 oct. 1978, Bull. civ. IV, no 208, D. 1980. 55,

note J. Schmidt-Szalewski ; CA Paris, 8 juill. 1972, JCP, éd. E, 1973. II. 17509, note J.-M. Leloup ;

V. égal., CA Rouen, 13 janv. 1981, D. 1983. 53, note A. Lucas), ou encore, plus simplement, afin

de continuer à profiter d'une situation favorable (Cass. com. 22 févr. 1994, Bull. civ. IV, no 72, RTD

civ. 1974. 850, obs. J. Mestre). L'intention de nuire est ainsi une condition suffisante, mais non

nécessaire.

224. Une caractéristique importante de la rupture que les tribunaux jugeront fautive est

d'intervenir au cours de pourparlers qui auront duré un temps appréciable : c'est là un gage, a

priori, de leur sérieux (V. par ex., Cass. com. 7 janv. 1997, D. 1998. 45, 1re esp., note

P. Chauvel ). En ce sens, la longueur des discussions sera souvent un élément non négligeable

de la qualification.

225. Il n'y a cependant là rien d'absolu. Ce qui importe, en réalité, est le degré d'avancement des

pourparlers. La faute sera d'autant plus caractérisée que les pourparlers seront avancés (V. par

ex., Cass. com. 22 avr. 1997, préc. supra, no 221). Ce sera le cas, notamment, lorsque les parties

sont « parvenues à un projet d'accord aplanissant la plupart des difficultés » (Cass. com. 26 nov.

2003, préc. supra, no 220). Psychologiquement, en effet, tout se passe comme si l'« obligation de

conclure » devenait de plus en plus intense à mesure qu'augmente la croyance légitime du

partenaire en la bonne foi des opérations. Ainsi que le relevait la cour d'appel de Riom, « … si la

liberté est le principe dans le domaine des relations contractuelles, y compris la liberté de rompre à

tout moment les pourparlers, il n'en est pas moins vrai que lorsque ces derniers ont atteint en

durée et en intensité un degré suffisant pour faire croire légitimement à une partie que l'autre est

sur le point de conclure le contrat […] la rupture est alors fautive » (CA Riom, 10 juin 1992, RTD

civ. 1993. 343, obs. J. Mestre ; V. égal., par ex., CA Paris, 5 nov. 1999, Gaz. Pal. 2001,

somm. 933, RTD civ. 2000. 104, obs. J. Mestre et B. Fages ; CA Paris, 10 mars 2000, JCP

2001. II. 10470, note F. Violet ; CA Versailles, 3 mars 2005, D. 2005. 2836, obs. S. Amrani

Mekki ).

226. Cette considération essentielle pour le degré d'avancement des pourparlers explique que, si

ces derniers sont « très avancés », la rupture puisse être jugée fautive, sans avoir égard à la

relative brièveté des discussions (Cass. 1re civ. 6 janv. 1998, n

o 95-19.199 , Bull. civ. I, n

o 7,

JCP 1998. II. 10066, note B. Fages, Dr. et patrimoine, avr. 1998, p. 92, obs. P. Chauvel).

227. Naturellement, la mauvaise foi (et donc la faute) sera particulièrement caractérisée lorsque

l'auteur de la rupture aura poursuivi et fait traîner inutilement les pourparlers, « lanternant » son

partenaire, par exemple, en entretenant « de manière illusoire l'espoir d'une cession » (Cass. com.

18 juin 2002, no 99-16.488, RTD civ. 2003. 282, obs. J. Mestre et B. Fages ; comp., Cass.

com. 26 nov. 2003, préc. supra, no 220 ; Cass. 2

e civ. 4 juin 1997, RTD civ. 1997. 921, obs.

J. Mestre ; Cass. com. 7 janv. 1997, préc. supra, no 224 ; CA Versailles, 25 sept. 2003, JCP,

éd. E, 2004. 419, obs. P. Mousseron ; CA Paris, 10 mars 2000, préc. supra, no 225).

228. Le caractère brusque de la rupture des pourparlers est parfois retenu par la jurisprudence

(Cass. com. 7 janv. 1997, préc. supra, no 224 ; 22 avr. 1997, préc. supra, n

o 221), mais cette

circonstance, preuve d'inélégance, voire de désinvolture, ne paraît aucunement déterminante : elle

est rarement relevée.

229. En réalité, plus, sans doute, qu'à la forme elle-même de la rupture, à ses circonstances

objectives, la jurisprudence paraît sensible à son absence de justification légitime (V. not., Cass.

com. 11 juill. 2000, préc. supra, no 223, cassant l'arrêt d'une cour d'appel qui avait rejeté la

demande de dommages-intérêts parce que la volonté de nuire n'était pas établie, alors qu'elle avait

fait ressortir « que la rupture se trouvait dépourvue de motif légitime » ; V. égal., Cass. com.

7 avr. 1998, no 95-20.361 , D. 1999. 514, note P. Chauvel et somm. 127, obs. J. Schmidt-

Page 127: Note de Synthese_Les Pourparlers

127

Szalewski , JCP, éd. E, 1999. 169, obs. P. Mousseron ; 7 janv. 1997, préc. supra, no 224).

230. L'auteur de la rupture n'est pas tenu de se justifier et il n'existe pas de présomption de faute

à cet égard. Il reste que l'existence d'un motif légitime exclut la mauvaise foi, partant, la faute.

Ainsi ne peut-on rien reprocher à celui qui rompt des pourparlers qui ne sont qu'ébauchés, à un

stade où « de nombreux obstacles restaient à franchir avant de parvenir à un accord définitif »

alors, et « surtout, que l'aboutissement du projet était étroitement lié à la conjoncture économique

du moment » (Cass. com. 12 janv. 1999, no 96-14.604 , Dr. et patrimoine, sept. 1999, p. 97,

obs. P. Chauvel). Il en va de même si la rupture intervient : rapidement après l'apparition d'une

grave difficulté en matière de prix, qu'une réunion n'a pas permis de résoudre (Cass. com. 10 mars

1998, no 95-21.126 , Dr. et patrimoine, sept. 1998, p. 88, obs. P. Chauvel) ; immédiatement

après un grave incident au cours de la négociation, alors que subsiste un profond désaccord sur

l'évaluation des sociétés à reprendre (CA Orléans, 19 oct. 2000, JCP 2001. IV. 2003) ; ou encore si

elle est « entièrement imputable à l'incurie technique et à l'imprécision financière » du partenaire

(Cass. 2e civ. 10 oct. 2002, n

o 01-03.079 , Dr. et patrimoine, janv. 2003, p. 114, obs.

P. Chauvel, RTD civ. 2003. 282, obs. J. Mestre et B. Fages ), ou ne fait que traduire la légitime

perte de confiance mutuelle de chacune des deux parties envers l'autre (CA Paris, 28 nov. 2002,

Gaz. Pal. 2002, somm. 2513 ; V. égal., CA Orléans, 19 oct. 2000, préc.).

231. Si la faute de l'auteur de la rupture est établie, le partenaire victime peut prétendre à

l'indemnisation de son préjudice, dans les termes du droit commun de la responsabilité délictuelle.

Naturellement, la victime ne peut demander que la réparation de son préjudice effectif, soit, en

réalité, l'équivalent de l'intérêt qu'elle aurait eu à ce que les pourparlers n'eussent pas été engagés

avec l'auteur de la rupture. C'est ce que l'on appelle parfois l'« intérêt négatif », pour lequel la

distinction se fait, d'une manière classique entre la perte faite, damnum emergens, et le gain

manqué, lucrum cessans (V. not., P. CHAUVEL, article préc., nos

24 et s. ; P. STOFFEL-MUNCK,

note préc. sous Cass. com. 26 nov. 2003, préc. supra, no 220 ; J. MESTRE, obs. préc., in RTD civ.

2004. 80 ).

232. Que la négociation ait été entreprise frauduleusement dans cet unique but ou que, plus

simplement, l'auteur de la rupture se soit borné à profiter de l'occasion offerte par la négociation,

l'un des éléments de la perte faite par la victime peut consister en un dommage de concurrence

déloyale. Il s'agira du préjudice qu'elle subit du fait de la divulgation de secrets, de savoir-faire,

d'informations confidentielles, au cours des pourparlers. La jurisprudence n'en offre que peu

d'exemples (Cass. com. 7 avr. 1998, préc. supra, no 229 ; 3 oct. 1978, préc. supra, n

o 223 ; CA

Paris, 8 juill. 1972 et CA Rouen, 13 janv. 1981, préc. supra, no 223).

233. Très généralement, le préjudice dont se plaint le demandeur, et qu'il entend voir réparer est

simple : il s'agit des frais qu'il a exposés inutilement. Ni la jurisprudence, ni la doctrine depuis

POTHIER (op. cit., no 32) ne font en principe de difficulté pour admettre qu'il y a là un chef de

préjudice réparable dès l'instant que la faute est avérée (V. not., dernièrement, Cass. com. 26 nov.

2003, préc. supra, no 220). Il peut s'agir de différentes « dépenses et dérangement » (CA Rennes,

8 juill. 1929, DH 1929. 548), de frais de voyage (V. par ex., Cass. com. 20 mars 1972, préc.

supra, no 219), de frais d'études préliminaires comportant parfois le recours à des spécialistes (CA

Rennes, 29 avr. 1992, JCP 1993. IV. 1540) d'organisations et de préparations diverses et, en

particulier, d'aménagement d'un immeuble en vue de l'utilisation projetée (Cass. 3e civ. 3 oct.

1972, préc., supra, no 223). À ces différents chefs de préjudice s'ajoutera toujours, par ailleurs,

une perte de temps (V. par ex., Cass. com. 7 janv. 1997, préc. supra, no 224, qui retient « la

facture représentant le temps consacré à l'étude »). Cette perte sera d'autant plus importante que

les négociations auront duré longtemps avant la rupture (Cass. 1re civ. 19 janv. 1977, préc. supra,

no 131 ; comp. Cass. com. 22 févr. 1994, préc. supra, n

o 223). La perte peut être considérable :

ainsi, de « l'immobilisation en pure perte (d'un) procédé breveté pendant quatre années » (Cass.

com. 7 avr. 1998, préc. supra, no 229).

234. Si la réparation de ces différentes pertes ne pose aucun problème de principe, encore faut-il,

évidemment, que leur cause véritable ne puisse être trouvée dans une faute de la victime elle-

Page 128: Note de Synthese_Les Pourparlers

128

même, qui aurait, par précipitation, imprudemment engagé des frais non justifiés, anticipant sur

une conclusion du contrat encore aléatoire (V. par ex., Cass. 1re civ. 12 avr. 1976, préc. supra,

no 222 ; comp., pour une « démission prématurée », en matière de responsabilité contractuelle,

Cass. 1re civ. 5 nov. 1996, D. 1997. 551, note H. Matsopoulou , RTD civ. 1998. 97, obs.

J. Mestre ).

235. La question du gain manqué, lucrum cessans, a suscité plus d'hésitation (R. VON JHERING,

De la culpa in contrahendo, ou des dommages-intérêts dans les conventions nulles ou restées

imparfaites, oeuvres choisies, trad. de Meulenaere, t. II, 1893, Paris ; V. égal. E. GAUDEMET,

Théorie générale des obligations, publié par H. Desbois et J. Gaudemet, 1937, Sirey). Une chose

est certaine : le demandeur ne peut jamais obtenir la compensation des avantages qu'aurait pu lui

procurer la conclusion (et l'exécution subséquente) du contrat. Eugène GAUDEMET, analysant l'idée

de R. VON JHERING (article préc.), écrit très clairement que « … la partie qui agit en dommages-

intérêts ne peut réclamer l'équivalent de l'exécution puisque le contrat qui ne s'est pas formé […]

ne lui conférait aucun droit à l'exécution » (E. GAUDEMET, op. cit., p. 196). Tout ce que le

bénéficiaire de l'indemnité peut demander, c'est qu'il n'y ait pour lui aucune perte, et l'éminent

auteur de citer, dans le cas d'une vente, par exemple (outre les frais de transport devenus

inutiles), les contrats avantageux refusés en comptant sur la validité de l'opération (ibid.) (Comp.,

déjà, POTHIER, op. cit., no 32).

236. La notion d'« intérêt négatif » est mal acclimatée en France. La jurisprudence parvient,

cependant, à un résultat comparable en ayant recours à une notion familière du droit de la

responsabilité civile, la perte de chance. Il est néanmoins permis d'hésiter sur la nature de la

chance perdue. S'agit-il de celle de conclure le contrat envisagé avec celui qui est l'auteur de la

rupture ou un contrat comparable, voire identique avec un tiers ? Une jurisprudence libérale avait

parfois admis le premier terme (V. par ex., CA Paris, 10 mars 2000, préc. supra, no 225 ; 16 déc.

1998, Bull. Joly 1999. 98, note A. Laude ; T. com. Paris, 22 mai 1995, D. 1997, somm. 84,

1re esp., obs. Th. Hassler et V. Lapp ). Une objection se présente cependant (V. P. STOFFEL-

MUNCK, note sous Cass. com. 26 nov. 2003, no 5 [préc. supra, n

o 220]) : la chance perdue a pour

cause la rupture des pourparlers. Or, en elle-même, cette rupture n'est pas fautive : la faute

consiste en un comportement « contraire à la morale des affaires » lors de la conduite des

négociations. Aussi bien la chambre commerciale de la Cour de cassation a-t-elle récemment

décidé, dans une formule de principe, que « les circonstances constitutives d'une faute commise

dans l'exercice du droit de rupture unilatérale des pourparlers précontractuels ne sont pas la cause

du préjudice consistant dans la perte d'une chance de réaliser les gains que permettait d'espérer la

conclusion du contrat » (Cass. com. 26 nov. 2003, préc. ; V. égal., dans le même sens, Cass.

3e civ. 28 juin 2006, n

o 04-20.040 , Bull. civ. III, n

o 164, JCP 2006. II. 10130, note

O. Deshayes et JCP, éd. E, 2006. 2322, D. 2006, panor. 2639, obs. S. Amrani-Mekki , Dr. et

patrimoine, mars 2007, p. 26 note P. Chauvel). Il peut paraître, en effet, assez vain de spéculer,

ex post, sur les chances de conclusion d'une convention qui, par hypothèse, du fait de la rupture

des négociations, n'a pas été conclue.

Actualité

236. Rupture abusive des pourparlers. Préjudice réparable. Confirmation. - La rupture

abusive de pourparlers n'emporte pas l'indemnisation de la perte d'une chance de

réaliser les gains que permettait d'espérer la conclusion du contrat (Com. 18 sept. 2012,

no 11-19.629 , Dalloz actualité, 28 sept. 2012, obs. Delpech).

237. La formule de la Cour de cassation laisse entière la question de la perte de la chance qu'il y

avait, éventuellement, pour la victime de la rupture, de conclure une autre convention avec un

tiers. On ne retrouve pas, alors, l'objection précédemment présentée tenant au défaut de causalité.

La perte de cette chance a bien pour cause le comportement de l'auteur de la rupture et,

notamment, ses atermoiements et l'espoir qu'il aura entretenu d'une bonne fin prochaine des

négociations (V. par ex., très explicite, Cass. com. 18 juin 2002, RTD civ. 2003. 284, obs. J. Mestre

et B. Fages ). Encore faudra-t-il, évidemment, que cette chance ait existé, ce qu'il appartiendra

à la victime de prouver. Une demande a ainsi été repoussée, faute à cette victime d'avoir apporté

Page 129: Note de Synthese_Les Pourparlers

129

de « précision complémentaire sur la potentialité qu'il y avait de conclure avec un tiers » (CA

Rennes, 29 avr. 1992, JCP, éd. E, 1993, panor. 806).

Copyright 2015 - Dalloz – Tous droits réservés

Page 130: Note de Synthese_Les Pourparlers

130

Document 26 :

Les pourparlers : de la confiance trompée à la relation de confiance

Page 131: Note de Synthese_Les Pourparlers

131

Page 132: Note de Synthese_Les Pourparlers

132

Page 133: Note de Synthese_Les Pourparlers

133

Page 134: Note de Synthese_Les Pourparlers

134

Page 135: Note de Synthese_Les Pourparlers

135

Page 136: Note de Synthese_Les Pourparlers

136

Page 137: Note de Synthese_Les Pourparlers

137

Page 138: Note de Synthese_Les Pourparlers

138

Page 139: Note de Synthese_Les Pourparlers

139

Page 140: Note de Synthese_Les Pourparlers

140

Page 141: Note de Synthese_Les Pourparlers

141