non, laissez, je le garde pour moi!

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GRANDE DISTRIBUTION Regard d’expert par Bertrand GUÉLY ©FFANG-DREAMSTIME.COM 26 vegetable.fr • n o 334 / juin 2016  La réussite d’un projet de produit sur-mesure est tout sauf garantie. La frontière entre le produit bien pensé et l’usine à gaz est poreuse et le fournisseur doit jouer le rôle de guide bienveillant. P ourtant, dans le même temps, les fournisseurs se plaignent inlassa- blement du manque de visibilité à moyen/long terme (les fameux achats tournant) qui ne leur per- mettraient pas de s’organiser suffisamment en amont, notamment pour le dimensionne- ment et l’organisation de l’outil de production et son personnel (avec, il est vrai, l’absence totale de souplesse de notre arsenal législa- tif sur l’embauche). Alors, que faire ? Refuser systématiquement tout ce qui sort du tradition- nel en raison des risques que ce sur-mesure induit ou, au contraire, foncer tête baissée sur toutes les demandes (MDD, exclusivité, série limitée, etc.) pour se rendre indispensable... mais dépendant ? Bien sûr, comme souvent, la réponse est à mi-chemin. 3 postulats fondateurs de notre filière 1 Les nouveaux produits, au sens premier du terme, n’existent que peu voire jamais. Comme déjà expliqué dans une rubrique précédente, l’innovation partielle revêt de nombreuses formes en F & l mais touche très rarement aux espèces (quand Madame Michu pense avoir découvert un nouveau fruit, c’est juste car ce produit généralement d’importation n’était pas détenu avant), parfois aux variétés (ex. travail de segmentation des producteurs de tomate ou de prunes pour retrouver du gustatif). C’est finalement une chance car, avec une offre sai- sonnière déjà pléthorique, les possibilités de faire du sur-mesure en termes de gustativité et de packaging spécifique sont infinies et on peut donc se retourner normalement assez facilement. 2 Toutes les enseignes GMS généralistes ont fait des Produits Frais Traditionnels un axe de dif- férenciation/fidélisation – de façon incanta- toire pour certaines, en y mettant les moyens pour d’autres plus rares – et cherchent donc les produits que les autres n’auront pas. 3 Même si les MDD n’ont pas la même puis- sance en f & l qu’au sein des autres rayons, elles n’en demeurent pas moins incontournables et l’enseigne, qui engage son nom, ne peut se Non, laissez, je le garde sur moi ! PASSER DE LA PRODUCTION DE MASSE AU PRÊT-À-PORTER, VOIRE À LA HAUTE COUTURE, PEUT FAIRE PEUR AU PREMIER ABORD. SÉLECTION QUALITATIVE PLUS RESSERRÉE, INVESTISSEMENTS EN MACHINE ET EN EMBALLAGES, OBLIGATION CONTRACTUELLE DE GARANTIR LE TAUX DE SERVICE SOUS PEINE DE PÉNALITÉS... IL Y A DE QUOI RÉFLÉCHIR AVANT DE SE LANCER.

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Page 1: Non, laissez, je le garde pour moi!

GRANDE DISTRIBUTION Regard d’expert

par Bertrand GUÉLY

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COM

QUAND VOUS VOYEZ CE NOUVEAU LOGO, VOUS AVEZ ENTRE LES MAINS UN EMBALLAGE EN CARTON ONDULÉ CERTIFIÉ, DE GRANDE QUALITÉ.

VOUS POUVEZ AVOIR TOUTE CONFIANCE.26 • vegetable.fr • no 334 / juin 2016

Le sur-mesure en f & l

 La réussite d’un projet de produit

sur-mesure est tout sauf garantie.

La frontière entre le produit bien

pensé et l’usine à gaz est poreuse

et le fournisseur doit jouer le rôle de guide bienveillant.”

Pourtant, dans le même temps, les fournisseurs se plaignent inlassa-blement du manque de visibilité à moyen/long terme (les fameux achats tournant) qui ne leur per-

mettraient pas de s’organiser suffisamment en amont, notamment pour le dimensionne-ment et l’organisation de l’outil de production et son personnel (avec, il est vrai, l’absence totale de souplesse de notre arsenal législa-tif sur l’embauche). Alors, que faire ? Refuser systématiquement tout ce qui sort du tradition-nel en raison des risques que ce sur-mesure induit ou, au contraire, foncer tête baissée sur toutes les demandes (MDD, exclusivité, série limitée, etc.) pour se rendre indispensable... mais dépendant ? Bien sûr, comme souvent, la réponse est à mi-chemin.

3 postulats fondateurs de notre filière

1 Les nouveaux produits, au sens premier du terme, n’existent que peu voire jamais. Comme déjà expliqué dans une rubrique précédente, l’innovation partielle revêt de nombreuses

formes en F & l mais touche très rarement aux espèces (quand Madame Michu pense avoir découvert un nouveau fruit, c’est juste car ce produit généralement d’importation n’était pas détenu avant), parfois aux variétés (ex. travail de segmentation des producteurs de tomate ou de prunes pour retrouver du gustatif). C’est finalement une chance car, avec une offre sai-sonnière déjà pléthorique, les possibilités de faire du sur-mesure en termes de gustativité et de packaging spécifique sont infinies et on peut donc se retourner normalement assez facilement.

2 Toutes les enseignes GMS généralistes ont fait des Produits Frais Traditionnels un axe de dif-férenciation/fidélisation – de façon incanta-toire pour certaines, en y mettant les moyens pour d’autres plus rares – et cherchent donc les produits que les autres n’auront pas.

3 Même si les MDD n’ont pas la même puis-sance en f & l qu’au sein des autres rayons, elles n’en demeurent pas moins incontournables et l’enseigne, qui engage son nom, ne peut se

Non, laissez, je le garde sur moi !

PASSER DE LA PRODUCTION DE MASSE AU PRÊT-À-PORTER, VOIRE À LA HAUTE COUTURE, PEUT FAIRE PEUR AU PREMIER ABORD. SÉLECTION QUALITATIVE PLUS RESSERRÉE, INVESTISSEMENTS EN MACHINE ET EN EMBALLAGES, OBLIGATION CONTRACTUELLE DE GARANTIR LE TAUX DE SERVICE SOUS PEINE DE PÉNALITÉS... IL Y A DE QUOI RÉFLÉCHIR AVANT DE SE LANCER.

Page 2: Non, laissez, je le garde pour moi!

GRANDE DISTRIBUTION Regard d’expert

par Bertrand GUÉLY

©FF

ANG-

DREA

MST

IME.

COM

QUAND VOUS VOYEZ CE NOUVEAU LOGO, VOUS AVEZ ENTRE LES MAINS UN EMBALLAGE EN CARTON ONDULÉ CERTIFIÉ, DE GRANDE QUALITÉ.

VOUS POUVEZ AVOIR TOUTE CONFIANCE.

EN ÉLABORATION ET EN DÉMONSTRATION : RESTER SIMPLE

« C’est top mais je n’oserai jamais le porter ! »Prenez garde au sur-mesure tellement bien pensé – et tellement coûteux – qu’une majorité de chefs de rayon ne voudra pas le présenter sur l’étal en raison d’un risque de casse/démarque inconnue jugé trop élevé. Ainsi, la barquette thermoformée de deux avocats Hass gros calibre stickés dont le taux d’huile et l’affinage ont été contrôlés ou la bourriche de cerises 28+ restent très élitistes. À moins d’avoir une clientèle en conséquence, il va falloir se battre pour la détention... Il est conseillé de ne faire aucune concession sur la réassurance gustative (je paye mais je veux du bon) et sur ce qui permet une consommation plus aisée (je paye mais je ne veux pas m’ennuyer avec la préparation). Par contre, inutile de charger en packaging ou en mécanismes plus touffus que les sourcils d’Emmanuel Chain. Les meilleurs patanegra ibériques ne sont pas ceux livrés avec une planche, un couteau à découper ou un sticker tape-à-l’œil montrant le cochon en train de s’empiffrer de glands...

en bref

Le sur-mesure en f & l

NOUVEAU !

www.vegetable.fr/blogs/guely

Retrouvez l’humeur de Bertrand Guely sur son végéblog :

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Le mois prochain : Les avantages et les limites de la certification

permettre de prendre le moindre risque. Il y a donc en général ici matière à parler qualité et le tri entre les fournisseurs spécialistes et les tra-ders opportunistes se fait naturellement. Dans une relation dont le fournisseur pointe sans cesse le déséquilibre, cela remet les pendules à l’heure...Le fournisseur doit jouer le rôle de guide bienveillant. J’entends par guide bienveillant le fournisseur qui saura faire abstraction de ses problèmes de production (« s’il n’achète que la crème, je fais quoi du reste ?... Encore un stock d’emballage en plus... Je n’ai pas le tri colorimétrique... La productivité pour faire cette barquette à la main est nulle... ») MAIS tirera par contre la sonnette d’alarme si le client veut un produit que la nature ne pourra lui donner à chaque campagne ou dans des proportions infinitésimales.

7 conseils aux producteurs pour réussirle sur-mesure

1 Choisissez des enseignes qui tiennent le même cap commercial stratégique depuis longtemps (la qualité, le prix, la part donnée aux MDD...) plutôt que celles qui changent de politique avec chaque nouvel acheteur ou paniquent en voyant leur part de marché s’éro-der. Sinon, vous risqueriez d’investir beaucoup pour tout voir balayer d’un revers de tender. Chaque enseigne amorce un « back to basics » toue les 3-4 ans en moyenne et taille dans les gammes...

2 Ne dîtes pas systématiquement oui à tout. Méfiez-vous particulièrement des cahiers des charges trop élitistes en termes de qualité intrinsèque car, même si vous valorisez bien, les enseignes concurrentes ne manqueront pas de vous accuser à raison de favoritisme (« tu réserves toute la belle came à X »). Évitez égale-ment le sur-mesure seulement fondé sur un packaging trop rupturiste car les modes passent.

3 Soyez force de proposition. Le distributeur est par essence un généraliste et, jusqu’à preuve du contraire, le spécialiste de l’espèce, c’est vous. N’hésitez d’ailleurs pas à montrer ce que vous faites pour d’autres clients pour, sans atti-ser la jalousie, donner des idées.

4 Osez la VRAIE série limitée qu’on ne trouve pas systématiquement. Quand Pepsico passe un tour une saison parce que les oranges san-guines d’Italie ne sont pas à niveau gustatif,

Dauphin ou poisson-pilote

Il existe 2 grandes voies possibles pour faire du sur-mesure. Soit vous êtes un spécialiste d’une variété/espèce et vous venez vendre un concept très abouti à une enseigne qui ne discutera pas votre savoir-faire. Soit vous suivez l’enseigne comme son ombre, vous vous cantonnez à un rôle « ordonne et j’obéirai ». Comme souvent, la position la plus saine est à mi-chemin qui prend en compte les contraintes de chaque métier. Oui, le Gencod est plus simple à mettre sur une étiquette cousue pour les filets de pomme-de-terre, mais c’est galère pour passer en caisse, oui, la barquette boîte-à-œufs pour les abricots 2-3A coûte cher en logistique, mais elle protège chaque fruit...

il fait du teasing et crée de fait un besoin encore plus grand pour le retour du fils prodige l’an-née suivante...

5 En interne, expliquez pourquoi vous faites ce produit sur-mesure aux différents services de votre entreprise. Sans cette visibilité, ils ris-queraient de tout tenter pour faire avorter ce projet qui les gêne au regard de la standardisa-tion qu’ils pensent vertueuse. Par contre, s’ils savent qu’un nouveau conditionnement per-met de rentrer chez un nouveau client majeur, qu’un sachet différent permet de valoriser les petits calibres, qu’un film étudié réduit l’impact visuel de quelques indispensables défauts d’as-pect... Une fois de plus, donner du sens est fon-damental.

6 À moins d’être juste un emballeur, ne vous bâtissez pas une image de spécialiste du seul sur-mesure : vous risqueriez de vous voir confier toutes les petites séries alors qu’il faut de tout dans votre portefeuille produits pour l’équilibrer.

7 Faites une revue annuelle de vos spécifiques et, sauf s’ils sont stratégiques chez un gros client (on rend un service), programmez l’arrêt avec le distributeur de ce qui ne gagne pas.