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SOCIÉTÉ INNOVATION SOCIALE CAHIER THÉMATIQUE J LE DEVOIR, LES SAMEDI 19 ET DIMANCHE 20 MARS 2016 Habitation communautaire: nouveau fonds d’aide à la rénovation Page J 6 UdeM: de la pédagogie sociale pour les habitants de Parc-Extension Page J 3 N O U S C R É O N S L A V E N I R Sous-financement en éducation Des coupes qui freinent le progrès social. VALERY RIZZO PARK SLOPE FOOD COOP En 2000, la Park Slope Food Coop a doublé l’espace de son magasin situé dans la rue Union, entre les 6 e et 7 e avenues à Brooklyn, passant de 500 à 1000 mètres carrés. Si votre supermarché vous offrait d’acheter vos aliments moins cher en échange d’une poignée d’heures par mois de travail béné- vole, acquiesceriez-vous ? Dans le quartier de Brooklyn, à New York, ils sont près de 15 000 à trouver qu’il s’agit d’une bonne idée. Portrait de la Park Slope Food Coop, un supermarché coopératif de plus de 40 ans, qui a été à l’avant-garde des mouvements d’achats locaux et d’approvisionnement en ali- ments biologiques. ÉTIENNE PLAMONDON ÉMOND A llen Zimmerman a pris en avril dernier, à l’âge de 65 ans, sa re- traite comme coordonnateur de la Park Slope Food Coop. « Mais la coopérative reste profondément dans ma vie et dans mon cœur » , insiste M. Zimmerman, en entrevue téléphonique avec Le Devoir depuis New York. Le samedi 19 mars, il donnera une confé- rence à l’Université Concordia dans le cadre de Transformer Montréal, un événement consacré à l’entrepreneuriat social et solidaire, pour expliquer la réussite de ce supermarché coopératif dont il est devenu membre en 1975, avant d’en prendre les rênes comme coordon- nateur général en 1988. « J’ai été attiré au dé- part à la Park Slope Food Coop par l’opportu- nité d’appartenir à un lieu où les gens travail- lent ensemble tout en étant propriétaires, ra- conte M. Zimmerman. Ce n’est qu’après un cer- tain temps que la nourriture en elle-même est devenue importante pour moi. » S’engager pour pouvoir acheter Depuis la fondation de la coopérative en 1973, le concept reste relativement simple : pour réaliser ses emplettes à la Park Slope Food Coop, le membre s’engage à donner en- viron 35 heures de travail bénévole par année, dans 13 plages horaires différentes d’un peu moins de trois heures. Les membres pren- nent ainsi quelques heures par mois pour être caissiers, garnir les tablettes, recevoir les li- vraisons ou effectuer le ménage après la fer- meture du magasin. Le nombre de membres est en revanche si élevé que certains services ont pu être créés en parallèle, comme une garderie où les membres peuvent déposer gratuitement leurs enfants le temps de faire leurs courses. Seuls les retraités, les gens avec des limitations physiques et les personnes en congé parental sont exempts de cette corvée parmi les membres. Actuellement, la coopérative, dont le chiffre d’affaires dépasse 52 millions de dollars, compte 16 700 membres, dont 14 500 travail- lent de manière bénévole. « La plus grande dé- pense pour un supermarché, c’est la main-d’œu- vre », soulève M. Zimmerman. Les économies générées se répercutent directement dans une diminution des prix des aliments. La plu- part des produits y sont entre 20 % et 40 % moins chers que dans les supermarchés voi- sins, voire presque à moitié prix dans le cas des aliments biologiques. « Nos membres possèdent la coopérative et le contrôle. Ils ont décidé d’avoir une sélection d’ali- ments fondée sur des principes éthiques plutôt que sur le profit. C’est une autre façon dont nous nous distinguons des autres supermarchés », ex- plique M. Zimmerman. La Park Slope Food Coop a ainsi été à l’avant- garde en matière d’achat local et d’aliments bio- logiques, « au moins une décennie avant » que cela soit à la mode, affirme M. Zimmerman. « De plus en plus de gens achetaient des aliments biologiques. La coop a compris que c’était la P ARK S LOPE F OOD C OOP Donner du temps pour payer moins cher son épicerie ! VOIR PAGE J 2 : ÉPICERIE J’ai été attiré au départ à la Park Slope Food Coop par l’opportunité d’appartenir à un lieu où les gens travaillent ensemble tout en étant propriétaires Allen Zimmerman, ancien coordonnateur de la Park Slope Food Coop « »

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Page 1: New SOCIÉTÉ - Le Devoir · 2016. 3. 17. · dans ma vie et dans mon cœur», insiste M. Zimmerman, en entrevue téléphonique avec Le Devoir depuis New York. Le samedi 19 mars,

SOCIÉTÉINNOVATION SOCIALE

C A H I E R T H É M A T I Q U E J › L E D E V O I R , L E S S A M E D I 1 9 E T D I M A N C H E 2 0 M A R S 2 0 1 6

Habitationcommunautaire:nouveau fonds d’aide à la rénovationPage J 6

UdeM: de lapédagogie socialepour les habitants de Parc-ExtensionPage J 3

NOUS CRÉONS L’AVENIR

Sous-fi nancement en éducation

Des coupes qui freinentle progrès social.

VALERY RIZZO PARK SLOPE FOOD COOP

En 2000, la Park Slope Food Coop a doublé l’espace de son magasin situé dans la rue Union, entre les 6e et 7e avenues à Brooklyn, passant de 500 à 1000 mètres carrés.

Si votre supermarché vous of frait d’achetervos aliments moins cher en échange d’unepoignée d’heures par mois de travail béné-vole, acquiesceriez-vous ? Dans le quartier deBrooklyn, à New York, ils sont près de15 000 à trouver qu’il s’agit d’une bonneidée. Portrait de la Park Slope Food Coop, unsupermarché coopératif de plus de 40 ans,qui a été à l’avant-garde des mouvementsd’achats locaux et d’approvisionnement en ali-ments biologiques.

É T I E N N E P L A M O N D O N É M O N D

A llen Zimmerman a pris en avrildernier, à l’âge de 65 ans, sa re-traite comme coordonnateur de laPark Slope Food Coop. « Mais lacoopérative reste profondément

dans ma vie et dans mon cœur » , insisteM. Zimmerman, en entrevue téléphoniqueavec Le Devoir depuis New York.

Le samedi 19 mars, il donnera une confé-

rence à l’Université Concordia dans le cadrede Transformer Montréal, un événementconsacré à l’entrepreneuriat social et solidaire,pour expliquer la réussite de ce supermarchécoopératif dont il est devenu membre en 1975,avant d’en prendre les rênes comme coordon-nateur général en 1988. « J’ai été attiré au dé-part à la Park Slope Food Coop par l’opportu-nité d’appartenir à un lieu où les gens travail-lent ensemble tout en étant propriétaires, ra-conte M. Zimmerman. Ce n’est qu’après un cer-tain temps que la nourriture en elle-même estdevenue importante pour moi. »

S’engager pour pouvoir acheterDepuis la fondation de la coopérative en

1973, le concept reste relativement simple :pour réaliser ses emplettes à la Park SlopeFood Coop, le membre s’engage à donner en-viron 35 heures de travail bénévole par année,dans 13 plages horaires dif férentes d’un peumoins de trois heures. Les membres pren-nent ainsi quelques heures par mois pour êtrecaissiers, garnir les tablettes, recevoir les li-vraisons ou effectuer le ménage après la fer-meture du magasin.

Le nombre de membres est en revanche siélevé que certains services ont pu être créés enparallèle, comme une garderie où les membrespeuvent déposer gratuitement leurs enfants letemps de faire leurs courses. Seuls les retraités,les gens avec des limitations physiques et lespersonnes en congé parental sont exempts decette corvée parmi les membres.

Actuellement, la coopérative, dont le chiffred’af faires dépasse 52 millions de dollars,compte 16 700 membres, dont 14 500 travail-lent de manière bénévole. « La plus grande dé-pense pour un supermarché, c’est la main-d’œu-vre », soulève M. Zimmerman. Les économiesgénérées se répercutent directement dansune diminution des prix des aliments. La plu-par t des produits y sont entre 20 % et 40 %moins chers que dans les supermarchés voi-sins, voire presque à moitié prix dans le casdes aliments biologiques.

« Nos membres possèdent la coopérative et lecontrôle. Ils ont décidé d’avoir une sélection d’ali-ments fondée sur des principes éthiques plutôtque sur le profit. C’est une autre façon dont nousnous distinguons des autres supermarchés », ex-plique M. Zimmerman.

La Park Slope Food Coop a ainsi été à l’avant-garde en matière d’achat local et d’aliments bio-logiques, « au moins une décennie avant » quecela soit à la mode, af firme M. Zimmerman.«De plus en plus de gens achetaient des alimentsbiologiques. La coop a compris que c’était la

PARK SLOPE FOOD COOP

Donner du temps pour payer moins cher son épicerie !

VOIR PAGE J 2 : ÉPICERIE

J’ai été attiré au départ àla Park Slope Food Coop parl’opportunité d’appartenir à un lieu où les genstravaillent ensemble tout en étant propriétairesAllen Zimmerman, ancien coordonnateur de la Park Slope Food Coop

«

»

Page 2: New SOCIÉTÉ - Le Devoir · 2016. 3. 17. · dans ma vie et dans mon cœur», insiste M. Zimmerman, en entrevue téléphonique avec Le Devoir depuis New York. Le samedi 19 mars,

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www.pum.umontreal.ca

direction que les membres désiraient prendre.Des membres ont voté en ce sens aux assembléesgénérales. Les membres votaient aussi d’une au-tre façon en réalisant leurs emplettes et, évidem-ment, le magasin a commencé à répondre direc-tement à ce qu’ils voulaient. »

Un concept populaireLe concept ne cesse de gagner en popularité.

En 2000, la Park Slope Food Coop a doublé l’es-pace de son magasin situé dans la rue Union, en-tre les 6e et 7e avenues à Brooklyn, passant de 500à 1000 mètres carrés. Il s’en est suivi un accroisse-ment du nombre de membres. Bien que M. Zim-merman admette que le modèle attire l’attentionlors de périodes économiques difficiles, il ne voitpas dans l’augmentation du nombre de membresun symptôme de la crise financière de 2008. Il es-time que c’est l’agrandissement du magasin, l’ex-tension des heures d’ouverture et l’améliorationde l’efficacité des opérations, notamment par l’ac-ceptation des cartes de crédit et l’ajout de caissesenregistreuses, qui auraient plutôt stimulé cettepopularité dans la dernière décennie. «La capacitéde bien manger est un défi financier pendant lesbons et les mauvais moments, a-t-il ajouté par cour-riel après l’entretien téléphonique. Notre capacitéde fournir une bonne nourriture à bas prix est perti-nente, peu importe la situation économique.»

Plusieurs coopératives s’inspirent désormais

de la Park Slope Food Coop à travers le monde.La Louve, dans le 18e arrondissement de Paris, adéjà calqué la formule dans son projet de super-marché coopératif amorcé en 2011. À Montréal-Nord, Panier Futé Coop reprend les grandeslignes de la philosophie de l’établissement im-planté à Brooklyn. Pour l’instant, la coopérativeconstituée en 2014 s’articule autour d’un regrou-pement d’achats qui effectue la livraison à sesmembres, auxquels il demande une implicationde trois heures par mois. «[La Park Slope FoodCoop] a trente ans d’avance sur nous, mais àMontréal, il manque ce genre d’initiatives, sou-ligne Gaëtan Cirefice, directeur général de Pa-nier Futé Coop. On cherche un local où il y auraitde la vente sur place pour nos membres. Au début,on va parler d’une épicerie. Peut-être que cela de-viendra un supermarché dans quelques années.»

CollaborateurLe Devoir

SUITE DE LA PAGE J 1

ÉPICERIE

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Les innovationssociales naissentdans les contextesde crises

M A R I E L A M B E R T - C H A N

L es innovations sociales sur-gissent dans tous les sec-

teurs d’activité, tant dans le pu-blic que dans le privé. Néan-moins, on en trouve uneconcentration par ticulièredans les ser vices consacrésaux personnes. Or, s’il y a undomaine qui a souffert des po-litiques d’austérité, c’est biencelui-là, qu’on penseaux centres de la petiteenfance, à l’aide à do-micile ou aux (dé-funts) centres locauxde développement,pour ne nommer queceux-là. « C’est certainque les coupes de l’Étatont une incidence fortesur les innovations so-ciales », constate Be-noît Lévesque, professeurémérite au Département de so-ciologie de l’Université duQuébec à Montréal et profes-seur associé à l’École natio-nale d’administration publique.

Ce pionnier de la rechercheen innovation sociale ajoute queles compressions dans le réseau

universitaire et l’abandon de laPolitique nationale de la re-cherche et de l’innovation, adop-tée en 2013 sous le gouverne-ment Marois mais jamais miseen application, «ne sont pas desfacteurs facilitants» pour stimu-ler l’innovation sociale.

«C’est grave, car nous sommesdésormais dans une économiede la connaissance, rappelle-t-il.Si on ne fait pas assez de re-

cherche, on se tire dansle pied. Les pays quiréussissent le mieux sontceux qui consacrent plusde 2% de leur PIB à larecherche et au dévelop-pement. Le Québec nefait guère plus de 2 %.C’est une voie qui pour-rait nous conduire àune forme de sous-déve-l oppement , sur tou t

qu’ailleurs dans le monde, beau-coup demandent d’adopter despolitiques de relance plutôt qued’austérité.»

Le large champ de l’innovation sociale

Cela dit, le professeur Lé-vesque se veut rassurant: les in-

novations sociales ne sont passystématiquement à la mercides compressions, car elles nesont pas toutes tributaires del’État, pas plus qu’elles ne se ré-sument à des services.

« C’est beaucoup plus large.Ce sont des idées, des ap-proches, des produits oumêmes des lois — comme la lé-galisation du mariage gai — àtravers lesquels nous sommesamenés à nous organiser dif fé-remment pour répondre de ma-nière plus durable à un besoinsocial », explique celui qui acofondé le Centre de re-cherche sur les innovationssociales (CRISES) en 1986, latoute première organisationscientifique au Canada à étu-dier ce sujet.

Par ailleurs, c’est dans lescontextes de crises que nais-sent souvent les innovationssociales. En ce sens, les pro-chaines années seront fasci-nantes, aux dires de Benoît Lé-vesque. « Tant ici qu’à l’étran-ger, nous entrons dans une pé-riode de profondes transforma-tions, observe-t-il. Cela peut sefaire dans la douceur et l’en-

thousiasme ou dans la violenceet la guerre. On ne peut le sa-voir à ce stade-ci. Cependant,une chose est sûre, ce ne serapas cour t : une transition,contrairement à une révolution,exige des années et par foismême des siècles. »

L’économie sociale en transition

Benoît Lévesque est couram-ment surnommé le « pape del’économie sociale» puisqu’il estle premier à avoir introduit ceterme dans le monde de la re-cherche québécoise. Témoinprivilégié de l’évolution decette sphère qui compte pourplus de 35 milliards du PIB an-nuel du Québec, l’exper t es-time qu’«on est au terme d’unefilière d’innovation qui dure de-puis environ 30 ans».

« Il y a d’abord eu la filièredes services aux personnescréés par des citoyens ou favori-sés par l’État, relate-t-il. Puisce fut le tour du développementlocal et régional. Il ne s’agis-sait plus de rendre des services,mais de créer de l’emploi. En-fin, on a connu la filière de

l’insertion : en plus de créer desemplois, on voulait donner uneformation aux travailleurspour qu’ils puissent être plusactifs dans la société. »

Aujourd’hui s’amorce la fi-lière de la transition écologique,« très prometteuse, mais beau-coup plus dif ficile, car plus dif-fuse », précise M. Lévesque.« La population est amenée àchanger son mode de consomma-tion et de production, ainsi qu’àréduire sa consommation d’éner-gie. On ouvre la porte à l’écono-mie de proximité, à l’économiede fonctionnalité, à l’économiecirculaire, à l’économie de par-tage… Cela signifie que tous lesservices de base sont appelés àêtre redéfinis», explique le lau-réat du prix Marie-Andrée-Ber-trand 2015, récompensant unscientifique dont les travaux ontmené au développement d’inno-vations sociales importantes età leur mise en œuvre.

Benoît Lévesque donne enexemple la reconfigurationde la sécurité alimentaire.« Autrefois, pour nourrir les in-dividus qui n’en avaient pasles moyens, on a créé la soupe

populaire, dit-il. Mais désor-mais, il ne suf fit pas de simple-ment s ’alimenter. On veutmanger de façon saine et dif fé-rente en privilégiant la pro-duction locale. D’où la popula-risation des marchés publics,des jardins communautaireset de l’agriculture urbaine. »

Le professeur vante les mé-rites de l’économie sociale à lasauce québécoise. «Ce qui faitnotre force, entre autres, c’est no-tre écosystème où l’aide de l’Étatne sert pas qu’à soutenir des sec-teurs, mais aussi à offrir des ou-tils de développement, commedes fonds de financement, duconseil, de la recherche et de laformation. Résultat : de telles po-litiques transversales favorisentun système d’innovation. Etquand on coupe directementdans un secteur, les ef fets sontbeaucoup moins ressentis, car lemodèle repose sur d’autres struc-tures. Voilà pourquoi l’organisa-tion de notre économie socialefait l’envie de plusieurs à traversle monde.»

CollaboratriceLe Devoir

Les innovations sociales destinées aux ser vices aux per-sonnes, tels les centres de la petite enfance et les centres lo-caux de développement, ont connu un essor sans précédentau Québec au cours des dernières années. Les politiquesd’austérité pourraient toutefois freiner le mouvement, pré-vient Benoît Lévesque, grand expert de l’innovation et del’économie sociales.

ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR

«Autrefois, pour nourrir les individus qui n’en avaient pas les moyens, on a créé la soupe populaire. Désormais, il ne suffit pas desimplement s’alimenter. On veut manger de façon saine et dif férente en privilégiant la production locale», assure Benoît Lévesque,grand expert de l’innovation et de l’économie sociales.

BenoîtLévesque

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Il était une fois un établissement universi-taire de grande renommée possédant dansses murs des trésors de connaissances. Ilétait une fois, jouxtant ces lieux de grand sa-voir, un quartier plutôt défavorisé mais riched’humanité. Un jour, les savants de l’Univer-sité de Montréal tendirent la main aux gensde Parc-Extension : c’est ainsi qu’il y a peude temps naquit le projet L’extension, uncentre interfacultaire de soutien en pédago-gie et en santé.

R É G I N A L D H A R V E Y

I l est bien connu que le Dr Julien « vient enaide à des enfants vivant dans des conditions

de grande vulnérabilité ». À leur tour, des uni-versitaires ont choisi de lui emboîter le pas,comme le fait valoir la doyenne de la Facultédes sciences de l’éducation de l’Université deMontréal, Louise Poirier. Elle cerne la naturemême du projet : « Je dirais que le centre esttourné vers la pédagogie sociale plutôt que la pé-diatrie sociale et, pour nous, c’est l’élève qui estau cœur de notre action. »

S’ensuivent ces explications sur les interven-tions qui se sont déroulées pour la premièrefois il y a un an : « Le centre se tourne vers lesélèves, particulièrement ceux qui sont en dif fi-culté d’apprentissage et qui sont de plus en plusnombreux. On forme des étudiants qui travail-lent avec eux. » Il y a plus, comme le démontrele rapport d’activités 2014-2015 : L’extension en-voie sur le terrain une équipe interdisciplinairedont font partie des professionnels de l’ensei-gnement (orthopédagogues), mais aussi de lasanté (optométristes et dentistes). Ces gens-làtravaillent en collaboration auprès des enfantset de leurs familles.

Pour l’instant, le centre est logé dans l’écoleprimaire Barclay de la Commission scolaire deMontréal (CSDM) ; elle est située en pleincœur du quartier, là où se déroulent les inter-ventions et les consultations. Mme Poirier four-nit ces détails : «Au départ, il y avait seulementles étudiants en orthopédagogie qui étaient im-pliqués, mais rapidement, à force d’en parler auxcollègues doyens, deux d’entre eux ont levé lamain et manifesté leur intention d’intervenir ; cesont ceux de l’École d’optométrie et de la Faculté

de médecine dentaire. » Pour le moment, fauted’espaces plus adaptés, seuls les élèves du pri-maire sont visés, mais les démarches vont bontrain pour que le centre possède ses propres lo-caux dans sa phase deux : «À ce moment-là, ons’adressera aux élèves du primaire, du secon-daire et même aux étudiants du collégial. Pourl’instant, on s’en tient à Barclay et on pense biense diriger vers d’autres écoles du quartier l’anprochain. »

Les trois volets de l’aide apportéePour leur part, les élèves en difficulté sont

suivis durant tout un semestre universitaire,soit environ 12 semaines à raison d’uneheure par semaine. C’est toujours la mêmepersonne, une étudiante à la maîtrise en or-thopédagogie, qui s’occupe d’eux. En opto-métrie, Mme Poirier dresse ce bilan de la pra-tique : « Depuis un an, ils ont évalué la visionde 200 jeunes, dont 69 avaient besoin soit delunettes soit d’exercices correcteurs. Les lu-nettes sont fournies gratuitement parce quec’est cela qui est coûteux et parce que les pa-

rents n’ont pas les sous pour les acheter. »Elle évoque ensuite la médecine dentaire :

« Ils ont une entente avec le CLSC du quartier envertu de laquelle les activités de prévention au-près des enfants sont couvertes par l’assurancemaladie jusqu’à l’âge de huit ans. Nous, onprend le relais à partir de l’âge de neuf ans. »

Plus tard, un axe de recherche s’inscriradans les mandats du centre : « Il était clair qu’onne voulait pas en faire dès le début, car il y a untemps d’apprivoisement qui doit se dérouler pourqu’on apprenne à se connaître mutuellement.Mais on en fera, ne serait-ce qu’effectuer un suiviauprès des élèves pour s’assurer que nos actionsportent leurs fruits d’une année à l’autre et qu’onréussit à les soutenir. »

Un bilan sommaire, mais positifIl est encore tôt, à peine un an après le début

des activités, pour évaluer concrètement leursimpacts, avoue la doyenne : « Mais ça se passetrès bien. Pour un enfant qui voit mal et à qui ondonne une paire de lunettes pour mieux voir, ilest certain que la retombée est immédiate, pour

lui et ses parents. Il en va de même pour les en-fants en médecine dentaire ; il y aura même pourles cas les plus lourds des traitements d’orthodon-tie gratuits. Du côté de l’orthopédagogie, il fau-dra du temps pour mesurer les résultats parceque ce sont des actions qui se situent sur une pluslongue période ; on ne corrigera pas les difficultésd’apprentissage en français en l’espace de deuxsemaines. » Dans ce cas, les étudiants commeles enfants puisent un enrichissement dans l’ex-périence vécue.

Le bon voisinage UdeM et Parc-Extension

Louise Poirier, dans le but de mieux connaîtrele quartier et la population de Parc-Extension, afait partie du conseil d’administration de la Cor-poration de développement économique com-munautaire (CDEC, aujourd’hui disparue) del’arrondissement Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension et du CSSS de la Montagne (disparului aussi) : «J’ai été en mesure de mieux saisir lesbesoins des gens et, par la suite, ce sont même euxqui nous ont aidés à trouver un local. Il y a desdirigeants politiques du milieu qui arrivaient dif-ficilement à croire qu’une grande universitévienne travailler avec leurs enfants. Un certainM. Trudeau, alors député de l’opposition, nous amême fourni une lettre d’approbation.»

À la fois fière des appuis récoltés et portéepar le soutien du quartier, elle se tourne versd’autres projets à réaliser : «On aimerait avoirnotre lieu à nous où on pourra s’installer et élar-gir nos interventions. » Des démarches sont déjàentreprises dans ce sens et une entente estmême intervenue avec l’École d’orthophonie etd’audiologie : « L’École d’ergothérapie et lessciences infirmières veulent aussi participer. Enfait, je dirais qu’il n’y a pas une faculté de l’Uni-versité de Montréal qui ne veut pas être présente :Parc-Extension, c’est notre voisin, et la Facultédes sciences de l’éducation est située à deux sta-tions de métro de lui. »

Et une fois que le centre aura été bien installédans des locaux convenables, «mon autre pro-jet, qui se situe davantage du côté scolaire, ce se-rait de faire un camp de jour en été pour fairel’école autrement». Déjà, la Faculté de musiqueet le Département de kinésiologie et d’éduca-tion physique embarquent dans l’aventure.

CollaborateurLe Devoir

UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL

De la pédagogie sociale pour les habitants de Parc-Extension

TATYANA TOMSICKOVA GETTY IMAGES

Au départ, seuls les étudiants en orthopédagogie étaient impliqués, mais rapidement, les élèves del’École d’optométrie et de la Faculté de médecine dentaire se sont investis.

É T I E N N E P L A M O N D O N É M O N D

D epuis des décennies, desentrepreneurs sociaux tra-

vaillent dans le paysage écono-mique du Québec, notammentà la tête des coopératives.Pourtant, depuis quelques an-nées, des entrepreneurs privésse qualifient aussi «d’entrepre-neurs sociaux », comme s’ils’agissait d’une nouvelle ten-dance. Un phénomène quin’est pas sans soulever unecertaine confusion.

Il existe en effet une petitedistinction entre leur travailet celui des acteurs de l’éco-nomie sociale et solidaire(ESS). Les premiers dirigentplutôt des entreprises privéesclassiques avec pour missionde régler des problèmes envi-ronnementaux ou sociauxtandis que les entreprises ré-gies par la Loi sur l’économiesociale du Québec sont plutôtcollectivisées.

Les entreprises socialesprivées sont généralementar ticulées autour d’une vi-sion plus philanthropiqueque démocratique de la soli-darité. « On mise sur le mar-ché et la réciprocité, analyseMarie J. Bouchard, profes-seure à l’École des sciencesde la gestion de l’UQAM etconférencière au der niersymposium Économie so-ciale et f inance sol idaire.L’angle mort, c’est la redistri-bution. » Elle remarque quecette nouvelle vague d’entre-preneurs veut souvent voirdes résultats rapidement. « Ily a un sentiment d’urgence. »

Pour les entreprises à butlucratif, « la question est desavoir combien de temps lamission sociale va rester dansle projet, parce qu’il y a par-fois des dérives de missions,prévient Mme Bouchard. L’en-treprise de propriété et degouvernance collectives a demeilleures chances de péren-niser sa per tinence sociale ».En d’autres mots, « dans uneentreprise collective, le socialest l ’ADN. Dans une entre-prise sociale qui n’est pas col-

lective, le social est le vête-ment », illustre-t-elle.

« Dans la trajectoire des en-treprises sociales [privées], àpartir d’un moment elles valenttellement cher que, souvent, onles vend, souligne-t-elle. Ontrouve normal que le Cirque duSoleil cesse de faire ses investis-sements sociaux dans le quar-tier Saint-Michel [après sonacquisition], puis que la mis-sion sociale de cette entreprisese délite, parce que c’est une en-treprise de capital-actions. »

En revanche, elle rappellequ’« il n’y a rien qui empêcheces entrepreneurs sociaux,lorsque leur projet arrive à ma-turité, de le transformer en en-treprise collective, ne serait-ceque pour éviter la fameuse dé-rive de mission».

Geneviève Huot, directricede la recherche et de la for-mation au Chantier de l’éco-nomie sociale, indique que,entre les acteurs de l’ESS etles entrepreneurs sociauxprivés, « il y a un dialoguequi commence à se faire, àpropos de la manière dont onpeut travailler ensemble ou ti-rer des apprentissages les unsdes autres ».

Néanmoins, elle précisequ’« on sent le besoin d’avoirun encadrement pour distin-guer une entreprise animéepar une réelle volonté de por-ter une mission sociale d’uneentreprise qui, pour redorerson blason, mettrait en avantune mission sociale qui ne se-rai t qu ’un coup de marke-ting ». En France, l’entrepre-neuriat social est encadrédans la Loi sur l’économie so-ciale. Plus d’une vingtaine desÉtats des États-Unis ont quantà eux enchâssé les benefit cor-porations dans une législationexigeant qu’elles aient un im-pact positif sur la société,qu’elles prennent en considé-ration les par ties prenantes— et pas seulement les ac-tionnaires —, en plus de ren-dre public leur bilan écolo-gique, social et financier.

CollaborateurLe Devoir

Pour un meilleurencadrement del’entrepreneuriat social

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FONDACTION A 20 ANS !ET ÇA CONTINUE !

FONDACTION, CHEF DE FILE EN DÉVELOPPEMENT DURABLEFondaction a à cœur le développement économique, l’environnement et l’innovation sociale.

Créé il y a 20 ans, Fondaction contribue au maintien et à la création d’emplois de qualité. Il recueille de l’épargne-retraite auprès des Québécoises et Québécois pour l’investir dans des entreprises de chez nous, dans une perspective de développement durable.

Que doivent faire nos gouvernements en cestemps de ralentissement et d’incertitude éco-nomiques ? Être prudents ou, au contraire, semontrer audacieux ? Faire preuve d’innova-tion sociale, répond une économiste.

C L A U D E L A F L E U R

D e plus en plus, un peu par tout dans lemonde, on obser ve les ravages écono-

miques — pour ne pas dire les drames hu-mains — que génèrent les mesures d’austé-rité et d’« équilibre budgétaire » à tout prix.Des organisations comme l’OCDE, la Com-munauté européenne, les Nationsunies ainsi que diverses institutionséconomiques dénoncent maintenantce genre de politiques.

«Cela ne m’étonne pas du tout de voirque les grandes institutions économiquesparlent de catastrophe si on continued’appliquer des stratégies d’austéritépuisqu’il n’y a rien de neuf là-dedans, dé-clare Marguerite Mendell, professeuretitulaire à l’École des affaires publiqueset communautaires de l’UniversitéConcordia. Mais pourquoi a-t-il fallu attendre silongtemps?» se demande-t-elle, incrédule.

Pour elle, en effet, il ne fait aucun doute quec’est la responsabilité première des gouverne-ments de relancer l’économie. « Il ne faut pascompter sur le secteur privé ni sur les consomma-teurs pour cela», dit-elle. Elle explique que si ungouvernement envoie le message que l’écono-mie «va mal » et qu’il faut couper et se « serrerla ceinture», le secteur privé hésitera à investiralors que les consommateurs joueront de pru-dence, ce qui ralentira davantage l’économie.

Par contre, si un gouvernement se montreconfiant en l’avenir — s’il « investit dans l’ave-nir » —, il insuffle alors une dose d’optimismepartout dans la société. C’est la stratégie quepréconise le gouvernement Trudeau, souligneMme Mendell, qui se propose d’investir dans desinfrastructures. «Évidemment, ajoute-t-elle, il nes’agit pas de dépenser pour dépenser, mais biend’investir judicieusement.»

L’économiste de l’Université Concordia, qui

dirige une équipe de recherche sur l’économiesociale, rapporte qu’«on sait même cela depuislongtemps déjà… Ça vaut la peine de retournerà Keynes, dit-elle, pour se rappeler que l’écono-mie repose sur notre “esprit animal”».

Dès 1936, John Maynard Keynes parlait enef fet de l’« esprit animal » (animal spirit) —en quelque sor te notre « animalité », notreinstinct qui, fondamentalement, plutôt qu’unesprit rationnel et car tésien, gouverne noscomportements économiques. Dans sa Théo-rie générale de l’emploi, de l’intérêt et de lamonnaie, Keynes montrait que ce sont avanttout nos émotions — ce que l’on ressent —qui nous font agir, plutôt que de froids calculs(d’équilibre budgétaire). « Ça me tente… » plu-

tôt que « En ai-je les moyens ? » Autre-ment dit, s’ils sentent que l’économieva mal et que l’avenir est incertain, lesentreprises auront tendance à moinsinvestir et les consommateurs, àmoins dépenser, alors que ce pourraitêtre justement la bonne façon de sti-muler l’innovation et le développe-ment économique.

Il appar tient donc aux gouverne-ments d’insuffler un vent d’optimismedans la société si on veut que l’écono-

mie soit dynamique. « Tout le contraire de ceque fait présentement le gouvernement Couil-lard », observe Marguerite Mendell.

Innovation sociale à contre-courantEn cette ère de désengagement de l’État, on

parle de plus en plus d’innovations sociales,constate l’économiste, c’est-à-dire de «nouvellesfaçons de fournir des services à la société».

« Mais, pour certains, l’innovation sociale seveut une façon de répondre aux besoins sociauxpar un désengagement de l’État dans la société,dit-elle. Ce serait donc la société civile qui sechargerait de faire les choses autrement. »

Pour les pays anglo-saxons, poursuitMme Mendell, l’innovation sociale serait sou-vent l iée à la privatisation des ser vices.Comme par exemple lorsqu’on compte sur leprivé pour offrir des services d’hébergementet de soins à domicile aux personnes âgées.Même chose pour les garderies, nous dit-elle, alors que, par exemple, le gouverne-

ment Couillard réduit le financement descentres de la petite enfance pour favoriserles garderies privées.

«Pourtant, notre réseau de CPE fait figure demodèle à travers le monde, lance-t-elle. On vientd’un peu partout voir ce qu’on fait ici et c’est mêmele modèle qui inspire le fédéral… Mais là, le gou-vernement de M. Couillard se tourne vers les gar-deries privées… Ça n’a pas de bon sens et, surtout,ça ne s’inscrit pas dans les stratégies que l’on préco-nise maintenant un peu partout dans le monde.»

De surcroît, poursuit Mme Mendell, les CPEjouent un rôle fondamental dans le développe-ment et l’éducation des jeunes enfants. « Dansles CPE, on trouve des gens extraordinairementdévoués et créatifs, note-t-elle. Mais le gouver-nement désinvestit en éducation. C’est à n’yrien comprendre ! »

Régions dévastéesÀ cela s’ajoute l’abolition des centres locaux

de développement (CLD), mesure dévasta-trice pour l’économie des régions. « À Mont-réal, on connaît peu les CLD, souligne Mar-guerite Mendell , mais en région, ils sontconnus et reconnus. »

Son équipe de recherche sur l’économie so-ciale a d’ailleurs mené des études avec et surles CLD, rapporte-t-elle, pour constater que ces

instances de proximité avaient une grande va-leur parce qu’elles étaient très proches de leursclientèles et qu’elles connaissaient très bien lemilieu dans lequel elles œuvraient. « Les CLDpouvaient conclure des partenariats et travaillerde façon multipartite, ce qui faisait leur force »,observe l’économiste.

D’ailleurs, à travers le monde, les grandesinstitutions internationales reconnaissent deplus en plus l’importance de travailler de cettefaçon, en partenariat avec la société civile, sou-ligne Mme Mendell.

Bref, le fait que le gouvernement Couillardait choisi comme stratégie d’éliminer ces éta-blissements puis de centraliser l’aide au déve-loppement régional — comme il le fait aussidans les secteurs de la santé et de l’éducation— va à contre-courant de ce qui se fait ailleurs.

D’ordinaire, au Québec, résume la cher-cheuse, on associe le concept d’innovation so-ciale à l’amélioration de la qualité de vie des ci-toyens, en mettant en œuvre des entreprisescollectives qui ont pour objet premier de ré-pondre au bien-être de la société tout en incor-porant les dimensions sociale, économique etenvironnementale.

CollaborateurLe Devoir

L’innovation sociale en ces temps d’incertitudeéconomique

OLIVIER ZUIDA LE DEVOIR

Si les entreprises sentent que l’économie va mal et que l’avenir est incertain, elles auront tendanceà moins investir et les consommateurs, à moins dépenser, alors que ce pourrait être justement labonne façon de stimuler l’innovation et le développement économique.

A N D R É L A V O I E

A vant même qu’il réflé-chisse au concept d’inno-

vation sociale et évoque sesbienfaits sur toutes les tri-bunes, Juan Luis Klein enconnaissait déjà les vertus, luiqui a grandi dans un quartierpopulaire de Santiago au Chili,voyant sa mère trimer durpour assurer son éducation etêtre en partie soutenue par unvoisinage qui n’hésitait pas àse serrer les coudes.

Ce n’est pas la seule expé-rience solidaire dont Klein futtémoin au cours de sa vie et aufil de sa carrière de professeurde géographie. Comme d’autrescompatriotes de sa gé-nération, il avait fondébeaucoup d’espoirs enSalvador Allende, maisle coup d’État du géné-ral Augusto Pinochet enseptembre 1973 allaitbriser ses rêves et lepousser à l’exil. C’est auQuébec qu’il trouve re-fuge et poursuit sesétudes, poussant plusloin sa passion pour la géogra-phie politique. Après son pas-sage à l’Université Laval, il tra-vaillera comme chercheur àl’Université du Québec à Ri-mouski et plus tard comme pro-fesseur à l’Université du Qué-bec à Chicoutimi, obser vantavec attention les bouleverse-ments qui ont transformé lepaysage québécois.

Devenu professeur à l’Uni-versité du Québec à Montréalen 1993, il n’a jamais oublié lafer veur entourant le mouve-

ment Opérations Dignité, unevaste contestation sociale de-vant la fermeture planifiée etméthodique de plusieurs vil-lages du Bas-du-Fleuve et dela Gaspésie au début des an-nées 1970. Certaines localitésn’ont pas survécu au carnage,mais la grogne populaire aréussi à freiner les ardeursdu premier gouvernement deRobert Bourassa.

Une dignité toujours à reconquérir

Pour le directeur du Centrede recherche sur les innova-tions sociales (CRISES), ce re-fus d’obtempérer aux diktatsdes technocrates qui ne propo-

saient que la solutionde la clé sous la porteau phénomène de ladévitalisation des vil-lages est riche d’ensei-gnements. Sa connais-sance fine du sujet necesse de l’inspirer ; il yv o i t d e m u l t i p l e ssources d’inspirationpour remodeler notresociété agitée.

Pour assurer des transfor-mations harmonieuses, « ilfaut d’abord avoir des connais-sances actuelles, pas des certi-tudes ou des idées préconçues »,souligne Juan Luis Klein. Lescitoyens doivent donc être àl ’écoute, par exemple desscientifiques, « mais sur toutpas des idéologues ». Selon lui,le débat sur les oléoducsconstitue un terreau fer tilepour l’innovation sociale ausein des communautés, maisdoit reposer sur une vaste ré-

flexion. « Tous savent que leshydrocarbures appartiennent àune technologie du passé. Or,on sait aussi qu’on en a encorebesoin, ce qui ne doit pas nousempêcher de regarder versl’avenir, du côté des technolo-gies vertes et du développementdurable. »

Tout cela demande ré-flexion, et Juan Luis Klein re-grette que l ’État et les ci-toyens semblent peu enclins àprendre le temps nécessairepour élaborer des projets co-

hérents, structurants. «L’inno-vation vient forcément de la ré-flexion, affirme le directeur duCRISES. C’est la seule façond’y parvenir pour bien faire leschoses. » Selon lui, les révolu-tions sociales ont leur impor-tance, mais elles ne sont pastoujours porteuses de change-ments durables, significatifs,parce que effectués dans unecer taine précipitation. Fairetable rase de tout ce que lepassé peut nous enseigner ?Le chercheur en a vu les ra-

vages aussi bien au Chiliqu’au Québec…

L’innovation sociale est sou-vent une réponse à une crise,faisant émerger des solutionsqui ne sont pas forcémentconçues dans les cadres insti-tutionnels habituels. Au fil desdécennies, Juan Luis Klein aconstaté à quel point le Qué-bec pouvait être imaginatifpour contrer les assauts descrises économiques, commecelle du début des années1980 avec les centres de déve-loppement économique etcommunautaire, ou favoriserla réussite scolaire et permet-tre aux mères d’accéder plusfacilement au marché du tra-vail avec la création des cen-tres de la petite enfance dansles années 1990. Partout sur leterritoire québécois, les initia-tives créatives pullulent,même si elles ne font pas tou-jours les manchettes.

Juan Luis Klein cherche àcomprendre les origines deces transformations, et sur-tout à voir jusqu’à quel pointelles peuvent être transposa-bles dans d’autres localités oud’autres régions. Il aime citeren exemple le village deSainte-Camille en Estrie,considéré comme « dévitalisé »après une chute démogra-phique importante, la ferme-ture de la Caisse populaire etsur tout celle de l’école pri-maire. « Avec patience, les ha-bitants de Sainte-Camille ontretroussé leurs manches pourtrouver des solutions et ainsiéviter la fermeture de leur vil-lage. Ils ont déployé des moyens

créatifs en puisant autant dansla sphère culturelle que touris-tique et économique. »

C’est d’ailleurs une caracté-ristique que devraient retenirceux et celles qui rêvent d’in-novations sociales dans leurmilieu : «Évitez de travailler envase clos », prévient Juan LuisKlein. Cette méthode hermé-tique, « que l’on retrouve beau-coup au sein de nos gouverne-ments », ne favorise pas le par-tage d’informations et surtoutl’émergence d’idées nouvelles,comme si les ar tistes, lescomptables, les élus et les avo-cats n’étaient pas d’abord etavant tout des citoyens vivantdans un même espace de vie.

Le professeur de l’UQAMcroit que cette communicationplus harmonieuse et plus gé-néreuse pourra provoquer degrands vents de changementsdans toutes les régions duQuébec, en ville comme à lacampagne, à la condition biensûr de n’exclure personne.Car innovation sociale et ex-clusion sociale n’iront jamaisde pair, mais c’est ce qu’ilconstate à l’heure de l’austé-rité. Et il ne voit rien de bondans la réforme de l’aide so-ciale, à nouveau pilotée parFrançois Blais après un pas-sage houleux au ministère del’Éducation. «De ce que je peuxen comprendre, cette réformene va créer que des exclus etpriver la société de ses forcesvives. Qui choisit d’être délibé-rément marginalisé ? »

CollaborateurLe Devoir

Pour contrer les périls du démantèlement

MargueriteMendell

GREGORY BULL LA PRESSE CANADIENNE

Selon Juan Luis Klein, le débat sur les oléoducs constitue unterreau fertile pour l’innovation sociale au sein des communautés,mais doit reposer sur une vaste réflexion.

Juan LuisKlein

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SOCIÉTÉL E D E V O I R , L E S S A M E D I 1 9 E T D I M A N C H E 2 0 M A R S 2 0 1 6 J 5

É T I E N N E P L A M O N D O N É M O N D

S tocksy United fait entrerde plain-pied le modèle

coopératif dans l’ère numé-rique. Avec 850 photographesmembres dans 59 pays, ceser vice de banque d’imageslibres de droits, fondé en Co-lombie-Britannique, a adaptéla structure démocratique descoopératives aux échanges enligne. La dif fusion des infor-mations, le déroulement desassemblées générales et lesvotes se réalisent par l’inter-médiaire d’Internet.

La formule fait mouche,puisqu’à peine trois ans aprèssa création, Stocksy United en-registre déjà un chif fre d’af-faires de 7 millions de dollars.

Tout a commencé alorsqu’une certaine morosité plom-bait le milieu de la photogra-phie. Les médias ont abondam-ment recours aux agences debanque d’images libres dedroits, notamment pour utiliserdes images ouver tes à plu-sieurs interprétations pour illus-trer leurs textes. Or, une ten-dance lourde paraissait se des-siner : lesdites agences dimi-nuaient les sommes verséesaux photographes, dans ce quisemblait aux yeux des artistesde simples opérations pour aug-menter les profits des action-naires. C’est en réponse à cephénomène que Stocksy Uni-ted a vu le jour en 2013. «Plu-sieurs photographes nous ontconvaincus en nous racontantcomment ils étaient malheureuxdans les agences et en nous sug-gérant de démarrer une nouvelleagence de banque d’images», ra-conte Brianna Wettlaufer, prési-dente-directrice générale et co-fondatrice de Stocksy United,en entrevue téléphonique avecLe Devoir depuis la Colombie-Britannique.

Ainsi est née l’idée de créerune solution de rechange,mais en la lançant sur de nou-velles bases. Le modèle coo-pératif a été choisi pour « s’as-surer que la voix de tous lesphotographes pourrait être en-tendue et représentée, qu’il yaurait une redistribution équi-table des profits et qu’on pour-rait se prémunir contre une ac-quisition afin de garantir l’in-tégrité du produit », expliqueMme Wettlaufer, qui donneraune conférence à l’UniversitéConcordia dans le cadre del’événement TransformerMontréal, consacré à l’entre-preneuriat social et solidaire.Les photographes reçoiventd i r e c t e m e n t d a n s l e u r spoches au moins 50 % du mon-tant de l’achat d’une licencea s s o c i é e à u n e d e l e u r simages, tandis qu’ils se divi-sent les profits de la coopéra-tive à la fin de l’année.

Les ambitions n’étaient pasuniquement éthiques, maisaussi artistiques. «On ne vou-lait pas seulement créer un nou-veau modèle d’entreprise. Onsouhaitait aussi apporter unenouvelle direction créative auxbanques d’images et à ce qu’ilétait possible de trouver dans cetype de service », ajoute-t-elle,alors que les images tapissentdésormais les sites Internet etles médias sociaux.

« Entrer dans une industrieréellement saturée était unpeu risqué, spécialement de lafaçon dont on l’approchait »,reconnaît-elle. À leur début,bien des clients ont demandéà la coopérative d’obtenir desœuvres à moindre coût. « Enprès de trois ans, je peux direque tous les clients qui ont ditqu’ils voulaient un prix moinsélevé ont fini par revenir, carje pense que la valeur accor-dée à la photographie com-mence à changer. »

Nuno Silva, photographe etvice-président produit chezStocksy United, précise quelorsque des clients tentent denégocier des tarifs plus fai-bles, la coopérative leur parlede la rétribution équitablepour justif ier les prix. « Etcela a fonctionné, assure-t-il.Plusieurs de nos clients onttrouvé intéressants notre mo-dèle coopératif et la manièredont nous traitons nos photo-graphes. Ils ont une estime,quasiment une af fection, pournous et nos produits. »

Actuellement, Stocksy Uni-ted constitue un ovni dans lepaysage non seulement desagences de banque d’images,

mais de l’économie numériqueen général. « Il n’y a pas vrai-ment d’entreprises desquelles onpouvait s’inspirer », admetMme Wettlaufer.

«Un de nos plus grands défis,mais aussi une de nos plusgrandes réussites, a été de trans-poser le modèle traditionnel coo-

pératif dans l’environnementd’Internet », explique NunoSilva. Comme les 850 membressont dispersés sur les cinqcontinents, toutes les prises dedécisions démocratiques doi-vent s’effectuer par l’intermé-diaire des technologies de l’in-formation. Un portail a été mis

en ligne pour dif fuser auxmembres les annonces, ainsique les propositions de résolu-tions et de votes. Les assem-blées générales réunissent lesmembres présents dans 59pays, dont le Canada, les Émi-rats arabes unis et l’Afrique duSud, à l’aide d’un logiciel pour

webinaires, qui permet de re-garder et d’interagir en direct.Régulièrement, des séancessont organisées à l’aide deSkype ou de Google Hangoutavec les membres. Tous les ou-tils numériques ont donc étémis à contribution pour créerun rapport affectif avec la coo-

pérative et inciter les membresà par ticiper activement. Carl’un des grands défis dans l’évo-lution et la croissance de l’en-treprise consiste à approfondirles relations avec les artistesmembres, de façon à ce qu’ilssoient «profondément impliquésdans l’entreprise au quotidien»,remarque Brianna Wettlaufer,même s’ils se trouvent à l’autrebout de la planète.

CollaborateurLe Devoir

COOPÉRATIVE NUMÉRIQUE

Stocksy United, une banque de photos pas comme les autres

C’EST BON POUR LA SANTEDès la formation de ses étudiants, l’UdeM mise sur.

une approche partenariat patient.novatrice qui lie le.

patient et ses intervenants de la santé. Au cœur.même.

des décisions prises sur ses soins, le patient devient.

un.partenaire essentiel de l’équipe soignante en plus de.

contribuer.au développement des connaissances.

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MOT A DIREAVOIR SON

SOURCE STOCKSY

Actuellement, Stocksy United constitue un ovni dans le paysage non seulement des agences de banque d’images, mais de l’économienumérique en général.

Plusieursphotographesnous ontconvaincus en nousracontantcomment ils étaientmalheureuxBrianna Wettlaufer, présidente-directrice générale et cofondatrice de Stocksy United

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SOCIÉTÉL E D E V O I R , L E S S A M E D I 1 9 E T D I M A N C H E 2 0 M A R S 2 0 1 6J 6

P I E R R E V A L L É E

L es coopératives et organismes sans but lu-cratif propriétaires d’immeubles locatifs né-

cessitant des rénovations auront dorénavant lavie plus facile. En effet, la Fiducie du Chantierde l’économie sociale vient de lancer sur lemarché un nouveau produit financier à leur in-tention. Il s’agit du Fonds d’aide à la rénovationde l’habitation communautaire (Fonds ARHC).

« Nous avons constaté que plusieurs de cesimmeubles prenaient de l’âge et par consé-quent nécessitaient des rénovations, par foisimportantes, explique Jacques Charest, direc-teur général de la Fiducie du Chantier del’économie sociale. Pour réaliser ces rénova-tions, les coopératives et les organismes sansbut lucratif devaient puiser dans leurs fonds deréserve, souvent insuf fisants pour soutenir pa-reilles rénovations. Les propriétaires n’avaientalors d’autre choix que de renégocier une nou-velle hypothèque, ce qui par fois se traduisaitpar une augmentation des loyers. Avec leFonds ARHC, on a innové en leur of frant unesolution de rechange. »

Pour bien apprécier l’innovation du FondsARHC, il faut comprendre la situation dans la-quelle se trouvent ces coopératives et orga-nismes propriétaires d’habitations collectives,dont l’âge oscille entre 30 et 35 ans. Lors de laconstruction, ou de la conversion, de l’immeu-ble locatif collectif, les propriétaires ont dûcontracter un prêt hypothécaire, généralementétalé sur 35 ans, auprès d’une institution finan-cière. Ce prêt hypothécaire était garanti par laSociété canadienne d’hypothèques et de loge-ment (SCHL). Dans les années 1980, la SCHL achoisi de racheter tous ces prêts hypothécairesafin d’offrir à ces propriétaires un taux d’intérêtinférieur à celui du marché.

Même si la SCHL s’est depuis retirée dumarché hypothécaire de l’habitation collec-tive, elle a évidemment respecté ses engage-ments, de sor te que ces propriétaires onttoujours aujourd’hui une hypothèque avec laSCHL. « Et comme ces hypothèques arriventaujourd’hui à terme et que les propriétairesont déjà remboursé les intérêts et presque toutle capital, il serait préférable pour eux de finirde payer leur hypothèque plutôt que d’épuiserleur fonds de réserve et de renégocier une nou-velle hypothèque pour financer les rénovations

qui s’imposent. Ainsi, avec le Fonds ARHC, ilspeuvent agir tout en conservant leurs acquis. »

Comment ça marche?D’où l’intérêt du Fonds ARHC qui leur sert

alors de pont financier. Les coopératives et or-ganismes sans but lucratif propriétaires des im-meubles n’ont qu’à proposer leur projet de ré-novation au Fonds. Les travaux de rénovationadmissibles sont les travaux de remise à jour :toiture, fenestration, rénovation des cuisines etdes salles de bain, etc. Y sont compris aussi leshonoraires professionnels. « Nous avons établiun barème de 25 000 $ par logement, mais ils’agit seulement d’un barème. Nous sommes plei-nement conscients que certains immeubles néces-siteront des investissements supérieurs à cettesomme, tout comme certains immeubles en né-cessiteront moins. »

Une fois le projet évalué et accepté, leFonds versera au propriétaire sous forme deprêt le montant équivalent au coût des rénova-tions, moins évidemment la contribution fi-nancière du propriétaire, si ce dernier en a lesmoyens. En contrepartie de quoi le proprié-taire s’engage à verser annuellement les inté-rêts dus sur le prêt, qu’il puisera à même sonfonds de réserve, jusqu’au jour où il aura tota-lement remboursé son hypothèque avec laSCHL. « Lorsque le prêt hypothécaire avec laSCHL est totalement remboursé, le propriétairedoit alors rembourser la totalité du prêt et desintérêts du Fonds ARHC en renégociant unenouvelle hypothèque, mais cette fois avec unimmeuble dont il est l’unique propriétaire,puisque af franchi de toute hypothèque. »

Le propriétaire pourra contracter ce nouveauprêt hypothécaire auprès d’un des partenaires

du Fonds ARHC, soit le Groupe financier SSQ,une mutuelle financière. Il pourra aussi, s’il lepréfère, négocier cette nouvelle hypothèqueauprès d’une autre institution financière. Deplus, le propriétaire pourra profiter des judi-cieux conseils de l’Association des groupes deressources techniques du Québec (AGRTQ).Le Fonds ARHC compte aussi deux autres par-tenaires, soit le Chantier de l’économie socialeet le Fonds immobilier de solidarité FTQ.

Pour la suite des chosesLa Fiducie du Chantier de l’économie so-

ciale a présentement deux fonds d’investisse-ment généraux, soit le capital patient opéra-tions (CPO) et le capital patient immobilier(CPI). L’on dit « patient » parce que l’em-prunteur profite d’un congé de rembourse-ment de 15 ans. Le Fonds ARHC vient doncs’ajouter aux deux premiers fonds. Est-ceune nouvelle tendance ? « En fait, oui. Lacréation du Fonds ARHC nous a fait réaliserqu’il y a un besoin pour les entreprises d’éco-nomie sociale de trouver du financementadapté à des contextes par ticuliers auxquelsnos deux fonds classiques répondent mal. Noussommes présentement en train de cerner cesbesoins et il est probable que, à l’avenir, la Fi-ducie du Chantier de l’économie sociale met-tra sur le marché de nouveaux produits finan-ciers conçus pour répondre à des besoins spéci-fiques, comme le fait le Fonds ARHC. »

Mais la priorité pour l’instant ne se situepas du côté des nouveaux outils de finance-ment. Depuis sa création en 2007, la Fiduciedu Chantier de l’économie sociale a investi48 millions de dollars, sur une capitalisationde départ de 50 millions de dollars. « Il nousreste évidemment de l’encaisse, d’autant plusque certains emprunteurs ont déjà commencé àrembourser leurs prêts avant la période degrâce de 15 ans, ce qui nous permet de conti-nuer à investir pour les deux prochaines an-nées. Par contre, ce sont aussi ces deux pro-chaines années qui seront surtout consacrées àune nouvelle ronde de capitalisation. Nous al-lons en discuter avec nos partenaires financiersactuels et nous demeurons ouverts à l’arrivéede nouveaux partenaires financiers. »

CollaborateurLe Devoir

HABITATION COMMUNAUTAIRE

Nouveau fonds d’aide à la rénovation

SOURCE GEORGES COULOMBE

Une fois le projet évalué et accepté, le Fonds versera au propriétaire sous forme de prêt le montantéquivalent au coût des rénovations, moins évidemment la contribution financière du propriétaire, sice dernier en a les moyens.

S T É P H A N E G A G N É

D epuis 1999, un petit miracle s’opère àl ’ É c o l e s e c o n d a i r e J e a n n e - M a n c e

(ESJM). Le programme Bien dans mes bas-kets (BDMB) a permis à des centaines dejeunes, provenant de milieux sociaux dif fi-ciles et à risque de décrochage, d’accéder àla réussite scolaire. Comment ? En les impli-quant dans une équipe de basketball, appe-lée les Dragons, et en leur of frant un enca-drement psychosocial.

Le succès du programme est inespéré. Le di-recteur adjoint de l’école, Gino Ciarlo, en esttout simplement ravi. «Depuis huit ans que j’oc-cupe ce poste, un seul jeune a quitté le pro-gramme, dit-il. À ma connaissance, il n’existe au-cun autre programme aussi efficace pour contrerle décrochage. »

Les débutsTout a commencé il y a 17 ans lors de l’ar-

rivée à l’ESJM de Martin Dusseault, travail-leur social au CLSC du Plateau-Mont-Royal . M. Dusseault , pas-sionné de basketball, constate qu’ily a un manque d’activités parasco-laires à l’école et croit que la pra-tique de ce spor t peut devenir unoutil majeur d’inter vention psycho-sociale. À cette époque, l’ESJM étaitaux prises avec des di f f icultésd’adaptation devant une nouvelleclientèle provenant de l’immigrationet était témoin de conflits interra-ciaux, de violence, de consomma-tion de drogues, etc. Le CLSC n’arri-vait pas à rejoindre cette clientèle.

Constatant un intérêt de plusieursjeunes pour le basketball, Martin Dusseaultdécide alors de les rejoindre au moyen de cesport. Des équipes sont formées et l’entraîne-ment commence. Mais le programme BDMBest plus qu’un simple programme sport-études.Contrairement à la majorité de ces pro-grammes, les bons résultats scolaires ne sontpas une condition sine qua non au maintien del’élève dans sa pratique sportive. Le sport estplutôt utilisé comme un outil pour maintenir lejeune à l’école et pour intervenir sur le plandes dif ficultés scolaires. D’ailleurs, 40 % desjeunes de BDMB éprouvent ce type de difficul-tés. Autre point important : BDMB ne vise pasla per formance spor tive à tout prix. Ce quiprime, c’est le développement positif de l’élève.

La première année du programme donne debons résultats et les années subséquentesaussi. Si bien qu’au fil des années, BDMB a prisde l’ampleur. Aujourd’hui, 108 élèves de l’ESJMy participent, intégrés dans huit équipes, ainsiqu’une centaine de jeunes du 3e cycle du pri-maire dans sept écoles du Plateau-Mont-Royal.« Nous sommes aussi en train de faire des dé-marches pour ajouter neuf écoles primaires duquartier Centre-Sud», dit M. Dusseault. En plusde M. Dusseault, trois autres salariés sont im-pliqués dans BDMB ainsi que 20 bénévoles.Une partie du financement vient du ministèrede la Santé et des Services sociaux et l’autre estassurée par la Fondation santé et mieux-êtreJeanne-Mance, laquelle reçoit des sous notam-

ment de la Fondation Lucie et André Chagnonet de l’organisme Québec en forme.

BDMB comme objet d’étudesÀ la fin des années 2000, le programme a

augmenté en crédibilité en devenant un objetd’études. Une équipe de chercheurs du Dé-partement de kinésiologie de l’Université deMontréal, sous la gouverne de Suzanne La-berge, a réalisé plusieurs recherches sur lesujet. Il a été constaté qu’un sport de groupetel que le basketball, utilisé comme outil d’in-tervention psychosociale auprès de jeunes endifficulté, augmente leur estime de soi, déve-loppe leurs habiletés communicationnelles etles incite à l’effort répété. Il est aussi un puis-sant antidote au décrochage et à la délin-quance. Dans une étude de Mme Laberge da-tant de 2011, le témoignage d’une des fillesparticipant au programme est éloquent à cetégard. Andrea y affirme que le basket l’a sur-tout aidée à ne pas aller dans des gangs derue et à ne pas prendre de drogue en plus de

lui donner une grande confiance enses capacités.

D’autres études ont fait ressortirque le programme permet aux étu-diants de développer un for t senti-ment d’appartenance à leur école età leur groupe, les Dragons. C’estd’ailleurs ce que M. Dusseault veutrenforcer. « Les jeunes auront bientôtleur propre salle dans l’école où ilspourront se réunir après l’entraîne-ment, y faire leurs devoirs oudiscuter. Nous projetons aussi de créerun mur des célébrités où seront expo-sés des photos et des témoignages d’an-ciens par ticipants qui ont réussi et

dont cer tains œuvrent aujourd’hui au seind’équipes de basketball professionnelles. »

BDMB comme outil d’intégrationsociale

Hors des murs de l’ESJM, un projet similaireà BDMB à l’école Gédéon-Ouimet pourraitavoir des retombées intéressantes. « Il s’agitd’intégrer la pratique du basketball et l’interven-tion sociale au programme de francisation desjeunes réfugiés syriens dans le but de faciliter leurinclusion à la société québécoise, dit LorraineBeauvais, chef d’administration de pro-grammes au Centre intégré de santé et de ser-vices sociaux Centre-Sud et gestionnaire deBDMB. En mettant en place ce programme,nous favorisons ainsi le transfer t de connais-sances vers d’autres lieux d’éducation. »

Le rayonnement internationalBien que le programme ne fasse pas grand

bruit ici (BDMB a tout de même fait l’objetd’un documentaire intitulé Martin et les Dra-gons, qui sera bientôt à l’affiche dans divers fes-tivals), il intéresse beaucoup nos cousins fran-çais. Lors de ses nombreuses conférences enFrance à propos de BDMB, M. Dusseault a ren-contré la ministre de l’Éducation nationale, Na-jat Vallaud-Belkacem, et Thierry Braillard, se-crétaire d’État aux Sports. « Nous entretenonsaussi des liens étroits avec l’Agence pour l’éduca-tion par le sport et leur délégué général, Jean-

Philippe Acensi », qui est d’ailleurs venu au Qué-bec à la mi-février pour discuter de possiblesprojets conjoints.

Comment expliquer ce grand intérêt de laFrance ? «Des projets d’intervention par le sportont déjà été expérimentés dans ce pays, mais ja-mais en y incluant la dimension sociale, ditM. Dusseault. Pour eux, le croisement entre lesocial, le sport et l’éducation, c’est quelque chosede nouveau et ils s’intéressent beaucoup au faitde savoir comment ils pourraient intégrer de fa-çon ef ficace le volet spor tif dans leurs pro-grammes éducatifs. »

Ce grand intérêt de la France pour BDMBest prometteur, mais semble confirmer l’adagequi dit que nul n’est prophète en son pays.

CollaborateurLe Devoir

Quand le sport favorise la persévérance scolaire

inspirée par l’innovation

Une collaboration unique : des chercheurs de l’UQAM et des citoyens de Sainte-Camille réunis pour repenser ensemble le développement rural.

#uqam

Bien que le programmene fasse pasgrand bruit ici,il intéressebeaucoup les Français

SOURCE BDMB

Le coach Martin et ses Dragons