nervl et le langage des oiseaux

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  • 8/20/2019 Nervl Et Le Langage Des Oiseaux

    1/15

    Romantisme

    Nerval et le langage des oiseauxJacques Buenzod

    Citer ce document Cite this document :

    Buenzod Jacques. Nerval et le langage des oiseaux. In: Romantisme, 1984, n°45. Paradoxes. pp. 43-56.

    doi : 10.3406/roman.1984.4701

    http://www.persee.fr/doc/roman_0048-8593_1984_num_14_45_4701

    Document généré le 20/10/2015

    http://www.persee.fr/collection/romanhttp://www.persee.fr/doc/roman_0048-8593_1984_num_14_45_4701http://www.persee.fr/author/auteur_roman_1283http://dx.doi.org/10.3406/roman.1984.4701http://www.persee.fr/doc/roman_0048-8593_1984_num_14_45_4701http://www.persee.fr/doc/roman_0048-8593_1984_num_14_45_4701http://dx.doi.org/10.3406/roman.1984.4701http://www.persee.fr/author/auteur_roman_1283http://www.persee.fr/doc/roman_0048-8593_1984_num_14_45_4701http://www.persee.fr/collection/romanhttp://www.persee.fr/

  • 8/20/2019 Nervl Et Le Langage Des Oiseaux

    2/15

    Jacques BUENZOD

    Nerval et le langage des oiseaux*

    L'étude du bestiaire nervalien

    que

    Léon Cellier appelait naguère

    de

    ses

    vœux —

    reste

    à

    faire.

    A qui

    l'entreprendrait, le thème ornitholo-

    gique

    apparaîtrait

    vite comme occupant une place prépondérante. La

    femme-oiseau, l'oiseau

    en cage, l'oiseau sacrifié, l'oiseau cathartique

    (que

    l'on

    songe

    au

    perroquet de Pandora

    ),

    la présence insistante

    du

    corbeau,

    du

    coq

    et

    surtout

    du

    cygne,

    véritable hiéroglyphe

    du

    poète,—

    autant

    de facettes

    d'un

    thème polymorphe dont

    la

    valeur symbolique

    est

    plus qu'évidente.

    Voyageur ailé

    dont la

    substance

    légère semble seule capable de

    s arracher aux

    lois

    de la

    pesanteur, réalité

    tout à la fois

    sensible et

    spirituelle, l'oiseau constitue assurément,

    chez Nerval,

    l'une des

    images

    les

    plus adéquates

    de cette

    transparence

    céleste

    à laquelle il n'a jamais

    cessé

    d'aspirer. Tel le pêcheur

    Yousouf

    de YHistoire du Calife Hakem,

    il

    s'imagine volontiers s'élançant

    vers

    les cieux, entraîné

    dans

    les espaces

    « à travers

    les

    astres tourbillonnants

    et les

    atmosphères

    blanchies

    d'une

    semence d'étoiles ». Vivante allégorie de

    la liberté

    affranchie des

    contingences

    terrestres,

    messager des

    dieux

    (et,

    comme

    tel,

    possédant

    un

    langage qu'il s'agit de déchiffrer),

    l'oiseau

    devient ici un scheme

    quasiment

    obsessionnel. Ce que Gérard aime en lui, c'est son impondérabili-

    té, son surgissement

    gracieux d'insaisissable

    flamme

    vivante,

    c'est

    aussi

    son

    mystère,

    son evanescence.

    Laissant

    toutefois

    de côté ces

    diverses valeurs

    symboliques,

    nous

    aimerions, dans ce

    bref

    article, nous limiter au seul problème du «

    langage des oiseaux

    », problème d'autant

    plus

    important qu'il débouche sur

    une

    aporie

    qui

    troubla Nerval tout au

    long

    de son existence, — la

    relation profonde du sens

    et

    des

    signes, la communication.

    Fasciné par les doctrines boehmo-martinistes de la

    connaissance

    et

    de

    la

    «

    réintégration

    »

    dans

    l'Unité harmonieuse

    et

    originelle,

    hanté

    par

    l'idée

    que l'homme

    parviendra

    sans

    doute quelque

    jour à édifier un

    « vaste

    et

    solide

    édifice [...],

    Babel

    chacun

    parle

    la même langue,

    noble

    et prompte, où

    rien

    n'est

    confondu »,

    il

    n'est

    pas

    douteux

    que

    Nerval rêva,

    sa

    vie durant, à

    un

    code ultime de

    communication,

    capable

    (*)

    Les

    citations in extenso

    de Nerval

    sont

    faites d après le

    tome I

    (éd. 1966) et

    II

    (éd. 1961) de la

    Pléiade,

    désignés ici

    par

    I

    et

    II

    suivis d une indication de page. OC

    renvoie aux «

    Oeuvres complémentaires »,

    réunies et éditées par Jean

    Richer

    (Minard, 6 vol.). Sauf indication

    contraire,

    c est nous

    qui

    soulignons.

  • 8/20/2019 Nervl Et Le Langage Des Oiseaux

    3/15

    44

    Jacques Buenzod

    d'abolir barrières

    et

    interdits, langage spirituel d'innocence

    et

    de diapha-

    néité, où les mots mêmes,

    devenus dérisoires,

    ne sont

    plus

    nécessaires,

    toutes choses

    se comprenant

    et

    se

    rassemblant par intuition. Comme le

    dit Michel Jeanneret

    dans

    un

    remarquable

    essai (1), «

    ce

    que le

    sujet

    aspire

    à

    reconstituer,

    ça

    n'est

    pas

    seulement

    le sens,

    mais

    le

    véhicule

    idéal

    du sens, le

    langage

    sacré d'avant

    Babel,

    où coïncidaient le signe

    et

    sa

    signification,

    où s'identifiaient

    le mot

    et

    la chose ». Ainsi se

    constituent

    peu à

    peu en

    instruments de

    connaissance,

    les signes (déchiffrés), les

    messages (décryptés),

    — expérience fondamentale à

    Aurélia

    :

    «

    Du

    moment où je fus

    assuré

    de

    ce

    point

    que j étais soumis

    aux épreuves de

    l initiation sacrée,

    une

    force invincible entra dans

    mon esprit.

    Je méjugeais

    un

    héros

    sous

    le regard des dieux ; toute la

    nature prenait

    des

    aspects nouveaux,

    et

    des voix secrètes sortaient de la plante, de

    l arbre,

    des animaux, des plus

    humbles insectes, pour m avertir et m encourager

    ».

    (1,

    403).

    Voix

    secrètes, « phrases

    mystérieuses

    vibr[e]

    l'écho

    des

    mondes

    disparus », n'est-ce

    pas là ce que

    Nerval

    appelle

    ailleurs « la recherche

    de

    la

    lettre perdue

    et

    du signe

    effacé

    »

    (2), la

    recomposition de la

    gamme

    dissonante

    qui

    permet au poète (à l'homme de

    Parole)

    de «

    reprendre force dans le monde des esprits » ? Vieux

    rêve,

    assurément, issu

    de

    la Gnose et de l'hermétisme

    antique :

    « Mercure, comme

    je

    le disais

    plus

    haut, marche

    depuis

    longtemps

    dans les

    voies de l harmonie sociétaire ; c est lui qui nous apprendra l alphabet de la

    langue

    unitaire

    et

    harmonique

    ».

    (1, 533).

    Cette langue intemporelle,

    cet

    «

    alphabet

    magique

    »,

    c'est

    dans la

    totalité

    du monde

    vivant

    et divin

    que

    Nerval

    les

    pressent, et

    singulièrement dans le monde

    des oiseaux, dont

    une

    très

    antique tradition

    veut

    qu'ils aient été,

    in illo tempore,

    Maîtres

    du Monde

    et Seigneurs

    de la

    Terre

    (on se souvient

    qu'Aristophane

    écrivait déjà dans

    ses Oiseaux

    :

    « Vous êtes plus

    anciens

    et d'origine plus reculée que

    Kronos

    et les

    Titans »,

    et plus

    loin : «Que ce

    n'étaient

    pas les

    dieux qui commandaient

    aux hommes jadis,

    mais les

    oiseaux, il est de cela

    bien des

    preuves »).

    (1) La Lettre

    perdue,

    Paris,

    Flammarion, 1978.

    (2) «

    La

    parole

    perdue n était

    autre chose, pour les

    premiers

    Rose-Croix, que cette

    parole

    magique

    dont

    on croyait

    que

    Salomon

    avait

    été possesseur.

    Nous

    avons

    donné

    à

    cette parole une plus haute dérivation et une interprétation plus

    philosophique » (Ragon :

    Cours

    philosophique

    et

    interprétatif

    des initiations

    anciennes

    et

    modernes,

    Paris, 1841).

    Cf.

    le

    Dictionnaire

    des

    Symboles

    (Paris, Laffont, 1969) :

    « Symbole

    de

    la volonté

    créatrice de Dieu,

    la

    parole

    est

    simultanément celui de

    la

    Révélation

    primordiale [...].

    La

    quête souvent évoquée

    de

    la

    Parole perdue

    est celle

    de la

    Révélation première. Le

    symbolisme de la

    langue

    primordiale en est

    un

    autre

    synonyme. Selon

    la tradition musulmane, il s agit de la

    langue syriaque,

    ou

    solaire,

    expression transparente de la

    lumière

    reçue dans le centre

    spirituel

    primordial.

    Il

    est significatif que la

    langue paradisiaque ait été

    comprise

    des animaux.

    L introduction chamanique au langage des animaux est, à l inverse, un symbole

    du

    retour

    à

    l état

    édénique. Plus précisément

    encore,

    cette langue est

    parfois

    celle des oiseaux ;

    or, la langue

    des oiseaux

    est une langue céleste ou angélique

    symboliquement

    analogue

    à

    la langue syriaque

    -

    et

    qui

    ne

    peut

    être

    perçue

    que

    par l atteinte

    de

    certains

    états spirituels ».

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    4/15

    Nerval

    et

    le langage des oiseaux

    45

    Tel

    ce personnage des

    Nuits

    d'octobre

    qui « s'arrêtera

    une

    heure à la

    porte d'un

    marchand

    d'oiseaux,

    cherchant

    à

    comprendre

    leur langage

    »,

    Gérard

    ne

    cesse

    de moduler ce thème :

    «

    Mais,

    à

    y

    bien

    penser, l intelligence

    des

    animaux

    est

    quelquefois

    si

    inexplicable Descartes ne

    veut

    voir

    en eux que des machines ;

    le

    père

    Bougeant

    croit

    qu ils

    sont des

    diables ;

    Helvétius,

    d après Anaxagore, pense que leur forme

    seule les empêche de faire tout ce que font les hommes, et Dupont de Nemours

    leur accorde

    non seulement la raison, mais la

    parole.

    Ce dernier

    a

    eu,

    comme on

    sait,

    la patience de noter

    et

    d écrire

    le

    langage des

    divers

    animaux.

    C est

    une

    série de dictionnaires fort

    curieux.

    D'après cet

    auteur, l homme serait même inférieur jusqu'ici,

    dans

    ce

    sens

    que l animal le

    comprend et que lui ne comprend pas

    l animal

    » .

    (OC

    II,

    660).

    Rêverie typiquement nervalienne donc, liée à tout un contexte

    pythagoricien

    et plotinien, mais

    aussi illuministe

    et surtout martiniste

    (3),

    que

    celle

    d'une

    langue

    naturelle,

    idiome

    sacré

    reflétant

    l'homogénéité

    de l'Age d'Or (le « langage adamique » selon Jacob Boehme) auquel

    participeraient

    la

    totalité

    des êtres

    et

    des choses,

    l'esprit et

    la

    matière.

    Ainsi

    voyons-nous,

    dans Le

    Prince

    des

    Sots,

    le

    jeune

    Aubert Le

    Flamenc

    à la campagne,

    prêter

    l'oreille à la grande rumeur panique

    :

    « Sa

    véritable

    patrie fut

    dans les

    clairières isolées où

    sur les brandes solitaires,

    il peupla la terre de ses visions ; se

    soudant

    avec elles, il

    finit par

    ne plus

    distinguer

    le possible

    de

    l impossible,

    le vrai du

    faux.

    Enfermé

    le

    soir dans sa cabane,

    espèce

    de guérite mobile,

    il

    écoutait les

    mille

    rumeurs de la solitude prenant

    pour lui un langage inconnu

    des

    autres. Il

    devinait,

    dans les rafales

    du

    vent,

    des

    appels,

    des

    luttes

    de

    Géants,

    il

    reconnaissait

    le chuintement des

    sorcières

    dans

    le

    murmure

    des

    sources, les

    cris

    des oiseaux de proie traversant l'espace furent

    pour

    ce jeune sauvage des voix

    maudites accomplissant

    quelque chasse

    d épreuve,

    et le

    hurlement des loups que la faim promenait aux environs du

    parc

    de

    son troupeau ou sur les lisières des

    bois,

    lui

    semblait

    prendre,

    par

    instant,

    un

    accent humain qui le

    faisait

    tressaillir ». (OC

    VIII,

    68).

    Tout se passe comme si, pour Nerval, ce

    langage dont

    l'homme ne

    connaît

    plus

    que

    des formes

    corrompues ou altérées (« L'alphabet

    magique,

    l'hiéroglyphe mystérieux

    ne

    nous arrivent qu'incompris ou

    faussés

    »,

    écrit-il

    dans Aurélia)

    était

    lié

    à l'expérience

    entropique

    de la

    dégradation et de la fragmentation

    du

    monde. Seul, peut-être, le

    rêve

    «

    enfantin

    »

    état

    de transparence

    absolue

    permet-il,

    à

    ses

    yeux,

    une

    communication

    essentielle.

    C'est

    ainsi

    que

    dans Pandora,

    immédiatement

    après l'épisode

    de

    Jésabel,

    chargé d'angoisse,

    l'atmosphère est

    devenue

    irrespirable

    et

    où il

    semble

    que

    « le

    monde va

    finir

    »,

    le

    narrateur, ayant

    traversé

    à la

    nage

    « les bancs de corail de l'Océan

    et

    de la

    mer pourprée

    des

    tropiques

    », se trouve soudain «

    jeté

    sur la rive

    ombragée de l'île des Amours »

    :

    (3)

    Voir

    sur

    ce

    sujet

    la

    rigoureuse étude

    d Anne-Marie

    Amiot

    Rêve nervalien

    et

    idéologie :

    une

    lecture

    martiniste

    ďAurélia ») dans Cahiers de l Herne, 1980.

  • 8/20/2019 Nervl Et Le Langage Des Oiseaux

    5/15

    46

    Jacques Buenzod

    « Trois jeunes filles m entouraient

    et

    me faisaient peu

    à

    peu revenir. Je leur

    adressai la

    parole.

    Elles avaient

    oublié

    la

    langue

    des hommes : — Salut, mes

    sœurs

    du

    Ciel, leur dis-je en souriant

    ».

    (1,355).

    (l'expression

    de «

    sœurs

    du

    ciel

    »

    est

    ici

    d'autant

    plus

    significative

    que

    la

    voix féminine, chez

    Nerval,

    possède

    souvent une connotation

    religieuse et

    angélique :

    «

    Voix

    inspirées

    des

    saintes filles, écrit-il par

    exemple

    dans Loreley, élancez-vous au ciel

    entre

    le

    chant

    de l'ange

    et

    le

    chant

    de

    l'oiseau

    »).

    Il arrive

    aussi parfois

    que

    cette langue oubliée, inconnue, s'instaure

    dans le monde de la magie

    et

    du «

    carmen

    ». Ainsi, dans

    Octavie, cette

    étrange

    vieille

    femme ressemblant à «

    l'une

    de

    ces

    magicienne de

    Thes-

    salie

    à

    qui l'on

    donnait son âme

    pour

    un rêve » :

    « Elle parla tout

    à coup dans

    une langue que je n avais pas encore entendue.

    C étaient

    des syllabes

    sonores,

    gutturales,

    des

    gazouillements

    pleins

    de

    charme,

    une

    langue

    primitive

    sans

    doute

    » .

    (1,289).

    Une

    langue primitive

    qui est

    en même

    temps

    un gazouillement,

    comment ne pas songer à

    cette

    « langue

    des

    oiseaux » chère aux hermé-

    tistes (4),

    et dont Nerval

    pressent obscurément qu'elle

    peut

    être le

    Verbe de

    l'Origine,

    lieu

    « essentiel »

    de l'identité

    triomphante

    qui se

    propage

    et

    prolifère à

    travers l'épaisseur

    de la conscience ?

    (4)

    On

    sait

    que

    G.

    Le

    Breton

    voyait

    dans

    les

    Chimères

    (et

    singulièrement dans

    Erythréa) une suite d emprunts axa Dictionnaire my tho-herme tique de DomPernety,

    et

    à ses Fables

    égyptiennes et

    grecques.

    Or

    on trouve dans

    le second

    volume de cet

    ouvrage (p.

    143)

    les lignes suivantes : « Quelques

    Anciens

    ont pensé [...] qu Orphée

    était

    non seulement

    très versé

    dans la

    science des

    Augures

    et

    de la

    Magie,

    mais qu'il

    était lui-même un magicien

    d Egypte.

    Mais

    n en

    a-t-on pas

    dit

    autant du

    philosophe

    Démocrite

    qui

    avait puisé

    sa science

    chez

    les Égyptiens

    ? Ce dernier entendait,

    dit-on, le langage

    des

    oiseaux, comme Apollonius de Tyane, et nous a laissé

    dans

    ses

    écrits, que le

    sang

    de plusieurs de

    ces

    oiseaux

    qu il

    nomme,

    mêlé

    et travaillé,

    produisait un serpent

    ;

    que celui

    qui

    aurait mangé ce serpent, entendait aussi

    le langage

    des

    autres volatiles

    [...J.

    Ces prétendus oiseaux, dont

    Démocrite

    entendait le langage,

    n étaient

    autres

    que les parties volatiles, que les disciples d Hermès désignent

    presque toujours par le

    nom

    d aigle, de vautour ou d autres oiseaux.

    Et

    par

    le

    serpent

    qui

    naît

    du sang

    mêlé

    de

    ces

    volatiles,

    il

    faut

    entendre

    le

    dragon

    ou

    serpent

    philosophique

    dont

    nous

    avons

    parlé

    si

    souvent.

    Si

    quelqu'un

    mange de

    ce

    serpent,

    il

    entendra

    indubitablement le langage

    des

    autres oiseaux

    ;

    car celui

    qui

    a

    eu

    le bonheur de

    parfaire le Magistère des

    Sages,

    et d en faire

    usage,

    n ignore pas ce qui se passe

    pendant

    la volatilisation, et par conséquent

    les différents

    combats

    qui se

    donnent

    dans

    le

    vase, lorsque les parties de la

    matière

    y

    circulent ».

    Sur

    Apollonius

    de Tyane

    et

    la «

    langue

    des oiseaux », cf.

    au

    tome II de La vie

    d'Apollonius

    de Tyane, de Philostrate (ouvrage

    traduit

    et commenté par

    Charles

    Blount en 1774) : «[...]

    l autre

    chose est la sagesse par laquelle

    il

    apprit à entendre,

    comme

    les

    Arabes,

    le langage des

    oiseaux.

    Car parmi

    ces peuples,

    il est commun

    d entendre, aussi bien que les oracles, les oiseaux

    qui

    prédisent l avenir ».

    Le

    commentaire

    de Blount est le

    suivant

    : « Pline (X, 49),

    parmi d autres récits

    fabuleux,

    rapporte la fausse histoire

    des

    dragons

    qui

    enseignèrent à Mélampe à comprendre

    le

    langage des oiseaux en

    lui

    léchant les oreilles.

    [...] Porphyre

    (Livre III, de

    absti-

    nentia)

    écrit

    que

    si

    l on

    veut

    ajouter

    foi

    à

    l antiquité,

    il y

    avait

    dans son

    temps

    plusieurs personnes qui entendaient

    le langage

    des oiseaux

    et

    des

    bêtes

    ».

  • 8/20/2019 Nervl Et Le Langage Des Oiseaux

    6/15

    Nerval et le

    langage des oiseaux 4 7

    Or

    assimiler le langage humain à celui de Foiseau ne peut

    qu aboutir à cette réciprocité évidente : l'oiseau, à son tour, se met à parler

    comme un être

    humain. Ainsi dans Aurélia

    :

    «

    Je

    m étendis

    sur

    un

    lit

    à

    colonnes

    drapé de

    perse

    à

    grandes

    fleurs

    rouges.

    Il y

    avait

    en face de

    moi

    une horloge rustique accrochée au mur, et sur

    cette

    horloge

    un

    oiseau

    qui

    se mit à

    parler comme une

    personne. Et j'avais l idée que

    l âme de mon aïeul était dans cet oiseau ; mais

    je

    ne

    m étonnais

    pas plus de son

    langage

    et

    de sa forme que de me

    voir

    transporté

    un

    siècle en arrière. L'oiseau

    me

    parlait

    de personnes de

    ma

    famille vivantes ou mortes

    en divers

    temps,

    comme si elles

    existaient

    simultanément

    ».

    (1, 366) (5).

    Le thème de l'oiseau est donc, chez Nerval, lié à celui du Temps —

    et

    subséquemment

    de la Mort. Si

    l'oiseau

    incarne

    ici

    l'âme d'un aïeul

    (ces aïeux, écrira-t-il un

    peu plus

    loin,

    qui

    «

    prenaient

    la forme de

    certains animaux

    pour

    nous

    visiter

    sur la

    terre

    ») et transporte le narrateur

    «

    un

    siècle

    en

    arrière

    »,

    il

    peut aussi exprimer l'avenir,

    comme

    dans

    ce

    fragment non

    utilisé de la

    première

    Aurélia

    :

    «

    En

    ouvrant les

    yeux, je me trouvai

    dans

    une

    chambre

    assez

    gaie. Une horloge

    était

    suspendue au mur et

    au-dessus de cette horloge était

    une

    corneille,

    qui

    me sembla douée des

    secrets

    de l avenir » (1,

    420).

    L'on

    conçoit, dès lors, que

    l'oiseau

    — doté

    tout à la fois d'un

    regard

    prospectif et

    rétrospectif,

    de mémoire et

    du don de prophétie —

    devienne

    l'agent par

    excellence

    de

    cette

    vision

    simultanée, synchronique

    et

    permanente, dont Nerval

    a

    si

    souvent

    parlé (« II serait consolant,

    écrit-il

    en 1

    840

    dans

    la

    préface de

    Faust,

    de penser

    que

    rien

    ne meurt

    de

    ce

    qui

    a frappé

    l'intelligence, et

    que

    l'éternité conserve

    dans

    son sein une sorte

    d'histoire universelle,

    visible par les

    yeux

    de l'âme, synchronisme

    divin,

    qui

    nous ferait

    participer

    un jour

    à la science de Celui qui

    voit

    d'un seul

    coup d'œil tout l'avenir et tout le passé

    »).

    L'oiseau

    — « prophète »

    selon

    Schumann — apparaît bien comme le

    détenteur

    de ce

    langage originel perdu,

    connote

    par

    de

    multiples

    références à la transparence et à la pureté édéniques. Par essence,

    il est

    paradisiaque,

    ne

    pouvant

    exister

    que

    dans une altitude

    heureuse,

    espace de

    lumière et

    de beauté. C'est, au

    demeurant,

    un lieu commun de l'histoire

    des

    religions

    que

    d'associer l'oiseau — en tant que

    figure

    de l'âme ou

    auxiliaire des

    dieux

    aussi

    bien

    au

    symbolisme spatial de

    la

    transcendance qu'aux

    hiérophanies atmosphériques. L'oiseau est en effet

    universellement

    lié aux

    espaces sacrés et

    aux «

    centres

    du

    Monde

    »,

    tels

    que

    (5)

    L'oiseau

    nervalien accompagne souvent l image de l horloge. Ainsi dans le

    Voyage en Orient

    :

    «

    Écoutez,

    dit le Marseillais, puisque

    le

    pacha est

    votre

    ami, il

    faut que vous fassiez quelque chose pour moi.

    Dites-lui

    que j'ai

    à

    lui vendre une

    pendule

    à

    musique

    qui exécute tous les

    opéras

    italiens.

    Il

    y a dessus des oiseaux qui

    battent

    des

    ailes et qui chantent. C est une

    petite

    merveille ».

    (H,

    410), et

    plus

    loin

    :

    « On fit

    jouer

    pour nous, dans la salle

    principale,

    une pendule à

    musique, exécutant

    plusieurs airs d opéras italiens.

    Des

    oiseaux mécaniques, des rossignols chantants,

    des paons

    faisant

    la roue, égayaient

    l aspect

    de ce petit

    monument

    ». (II, 496).

    (6)

    Voir

    en

    particulier

    Le

    Voyage

    en

    Orient

    de

    Nerval,

    étude

    des

    structures,

    de

    Gérard

    Schaeffer (Neuchâtel, La Baconnière,

    1969,

    p. 382-384).

  • 8/20/2019 Nervl Et Le Langage Des Oiseaux

    7/15

    48

    Jacques

    Buenzod

    l'arbre cosmique, les bétyles

    ou la montagne sacrée. On ne s'étonnera

    donc pas de

    rencontrer

    à

    mainte

    reprise, chez Nerval, l'image de l'oiseau

    associée à

    celle

    de la montagne,

    dont

    le sommet représente pour lui,

    comme

    on

    sait, le

    lieu

    mystique par excellence, source de l'énergie

    triomphante

    Sur

    le

    pic

    le

    plus

    élevé

    des

    montagnes

    d'Yémen,

    on

    distingue une cage dont le

    treillis se

    découpe

    sur

    le ciel. Un oiseau

    merveilleux

    y

    chante »).

    Or

    dans

    Y

    Histoire de la

    Reine

    du Matin, en déclarant

    à Adoniram : « Tes pieds foulent la grande pierre d'émeraude

    qui

    sert

    de pivot et de racine à la montagne de Kaf ;

    tu as abordé

    le

    domaine

    de

    tes

    pères », Tubal-Kaïn

    se réfère

    aux anciennes traditions orientales,

    selon lesquelles cette

    montagne

    est le

    lieu

    d'habitat de la huppe

    Hud-Hud,

    « oiseau

    unique

    au monde, dont l'intelligence n'appartient pas aux

    espèces

    connues

    ;

    dont l'âme [...]

    a

    été

    tirée de l'élément du feu ». Nerval,

    qui

    connaissait tout

    cela,

    avait pu lire dans

    les

    Contes inédits

    des

    Mille

    et Une Nuits de von

    Hammer

    : « La montagne de

    Kaf

    repose sur le

    rocher

    ou

    pierre

    mystérieuse

    appelée

    Sakhrat,

    espèce

    d'émeraude

    dont

    le

    reflet

    donne aux

    yeux

    leur

    couleur

    azurée [...] Toutes

    les

    autres

    mont agne s ne sont

    que

    des rameaux de

    cette

    montagne

    mère

    qui

    s'élève

    jusqu au ciel,

    et

    au sommet de laquelle

    l'oiseau

    Simorgh

    ou

    anka fait son

    séjour ». De même rencontre-t-on, dans cette Bibliothèque orientale

    d'Herbelot

    de Molainville,

    si souvent

    consultée

    par Gérard,

    à

    l'article

    Simorgh

    :

    «

    Ce

    mot persien signifie proprement

    un

    oiseau

    fabuleux,

    que

    nous appelons Gryphon et

    qui

    nous

    est

    venu de l'Orient.

    Car

    les

    Juifs

    font

    mention

    dans le Talmud, d'un

    Oiseau monstrueux, qu'ils nomment

    Lukneh et

    Ben Lukneh, duquel les rabbins

    racontent

    mille

    extravagances,

    et les

    Mahometans

    disent que

    le Simorg se trouve dans la montagne

    du

    Caf

    ». On

    se

    souvient de

    cette

    note glissée

    par

    Nerval

    dans

    son «

    carnet

    »

    du Voyage en

    Orient

    :

    « Simorganka

    ce

    div[e] qui avait la fîg[ure]

    d'un

    oiseau »...

    Dans la cosmologie musulmane,

    en

    effet, la montagne de Kaf

    (proche parente de VOlympe

    grec,

    de

    VAlborj persan,

    du

    Moriah

    maçonnique,

    du Thabor

    et

    du Montsalvat du

    Graal,etc)

    constitue

    la limite entre

    le monde visible et le monde invisible. La présence de l'oiseau

    merveilleux qui s'y

    est retiré

    et y vit

    en

    sage

    conseiller

    des

    rois

    et des héros

    fait

    qu'on lui donne souvent le nom de « montagne de

    la sagesse

    » Ce

    mythe semble avoir

    fasciné

    Nerval,

    et la

    huppe Hud-Hud est

    assurément,

    des nombreux oiseaux que

    l'on trouve

    dans son œuvre, celui

    dont

    le

    rôle

    est

    le

    plus important,

    ce

    qui

    faisait dire

    plaisamment

    à

    Théophile Gautier dans son Histoire du romantisme : «

    Tout

    ce

    que les

    poètes

    persans

    ont raconté du Hudhad, Gérard le

    savait, et nous

    ne

    serions

    pas

    surpris

    qu'il

    ait entendu

    le langage

    de

    la huppe

    ».

    On le

    rencontre

    en effet :

    Dans

    YHistoire

    de la

    Reine

    du Matin

    et

    de Soliman

    Prince

    des Génies

    :

    « Votre Sérénité, dit-il

    à

    la

    reine

    Balkis, possède là un bien bel oiseau, dont

    l'espèce m est inconnue

    [...].

    Nous l appelons Hud-Hud, répondit-elle.

    Le

    trisaïeul

    de cet oiseau a été autrefois rapporté

    par

    des Malais d une contrée

    lointaine qu ils ont seuls entrevue et que nous ne connaissons plus.

    C est

    un animal

    très

    utile

    pour

    diverses

    commissions

    aux

    habitants

    et

    aux

    esprits

    de l air

    ».

    (II,

    519

    et

    passim).

  • 8/20/2019 Nervl Et Le Langage Des Oiseaux

    8/15

  • 8/20/2019 Nervl Et Le Langage Des Oiseaux

    9/15

    50 Jacques

    Buenzod

    a pu

    lire chez Herbelot

    de

    Molainville

    :

    «

    II

    sera

    bon

    de remarquer sur le

    sujet de cet

    oiseau

    qui

    se

    fit

    entendre à l'Arabe, qu'il y

    a

    parmi les

    peuples de l'Arabie des gens

    qui prétendent savoir

    le

    langage des oiseaux.

    Ils

    disent que

    cette science leur

    est connue depuis

    le temps

    de

    Salomon

    et

    de

    la

    reine

    de

    Saba,

    lesquels

    avaient

    un

    oiseau,

    nommé Hudhud,

    qui

    est la Houppe, pour messager de

    leurs

    amours «. Goethe enfin, dans le

    3e

    livre du Divan (Uschk Nameh,

    ou

    Livre de

    l'Amour) mentionne,

    lui

    aussi, cet

    oiseau :

    « Houd-Houd,

    lui dis-je,

    en vérité

    tu

    es un

    bel

    oiseau

    Huppe, va promptement, va dire à ma bien-aimée

    que

    je

    lui

    appartiens

    pour

    jamais. Tu fus

    bien autrefois

    messagère d'amour

    entre

    Salomon

    et

    la reine de Saba »

    Qu'il se nomme Hud-Hud,

    Yâfour,

    Anka ou Karshiphtar, l'oiseau

    merveilleux appartient à d'anciennes traditions orientales, et

    de

    nombreux textes

    mystiques

    (arabes

    ou

    persans) y font allusion. Dans

    l'antiquité

    grecque déjà, la huppe était considéré comme un «

    oiseau

    royal»,

    ayant prééminence

    sur

    tous

    ses

    congénères,

    en

    particulier

    lors

    des

    «

    colloques

    d'oiseaux ». Ainsi dans

    Aristophane, c'est

    chez la huppe (c'est-

    à-dire l'ancien

    roi

    Térée

    métamorphosé en oiseau)

    que

    se

    rendent

    Pis-

    thétairos et

    Evelpidès,

    pour

    lui communiquer

    leur projet de vivre

    chez

    les oiseaux. La huppe

    approuve

    avec empressement, et convoque

    les

    autres oiseaux pour

    leur

    faire

    part

    de

    cette

    proposition. Il

    s'agit,

    en

    général, de récits

    fabuleux

    symbolisant

    l'ascension

    céleste de l'âme,

    traditionnellement représentée sous la forme d'un

    oiseau.

    « La

    même

    vision

    symbolique, écrit H.

    Corbin

    (7), fait transparaître

    l'âme

    à

    elle-même, et

    à travers elle-même, le Soi

    qui n'est plus

    qu'elle-même,

    l'enveloppe et

    la

    contient. D où la persistance

    et

    les variantes d'une même figure. La Si-

    morgh,

    par

    exemple,

    dont émanent les âmes

    (et

    dont

    l'équivalent

    arabe

    est

    l'oiseau

    Anqâ)

    est

    une

    figure

    aussi

    de Gabriel l'Archange,

    Intelligence agente et Saint-Esprit.

    Aussi

    bien

    lui sont

    conférés

    les

    mêmes

    attributs

    qui dans le christianisme

    sont

    conférés à la colombe comme le

    symbole de PEsprit-Saint ».

    Dans

    la

    même étude,

    H.

    Corbin mentionne le « Poème de l'Oiseau »

    {Risâlat

    al-Tayr) d'Avicenne, poème

    dont

    il

    existe plusieurs traductions

    persanes (notamment le

    Tarjamat

    lisân al-Haqq wa

    howa

    Risâlat al-Tayr

    « Traduction de la langue

    divine,

    et

    c'est l'Ëpître de l'Oiseau »). On sait

    qu'Avicenne

    apparaît dans

    YHistoire du Calife

    Hakem, au

    moment où

    ce dernier est

    enfermé

    dans

    la prison

    des

    fous

    du

    Moristan

    :

    «

    Est-ce

    que vous êtes aussi médecin ?

    dit

    le

    calife au docteur étranger.

    — C est le

    prince

    de la science, s écria le médecin

    des

    fous, c est

    le

    grand

    Ebn-

    Sina

    (Avicenne),

    qui, arrivé nouvellement de Syrie, daigne visiter le Moristan.

    Cet

    illustre

    nom d'Avicenne, le

    savant

    docteur,

    le

    maître vénéré de la santé

    et

    de la

    vie

    des hommes, —

    et

    qui passait aussi

    près

    du

    vulgaire

    pour

    un

    magicien

    capable des plus

    grands

    prodiges, — fit une

    vive

    impression sur l esprit du

    calife

    ».

    (11,378).

    H.

    Corbin

    signale,

    en

    outre, le

    poème

    mystique d'Abû

    Hâmid

    Gha-

    zâti,

    et,

    naturellement, le Mantiq-al-Tayr (ou « Langage des Oiseaux »)

    (7)

    Avicenne

    et

    le

    récit visionnaire, Paris-Téhéran, 1954.

  • 8/20/2019 Nervl Et Le Langage Des Oiseaux

    10/15

    Nerval et

    le langage des oiseaux 51

    de Farid Uddin Attar. Dans ce long poème mystico-philosophique, le

    poète raconte comment

    tous les

    oiseaux du monde

    partent en voyage

    à la recherche

    d'un roi

    (8).

    C'est

    la huppe qui

    va

    leur servir de

    guide.

    Elle se présente

    en

    tant que messagère du monde invisible, portant sur

    la

    tête la

    couronne de

    la

    Vérité

    :

    « Sois la bienvenue, ô huppe toi qui

    as

    servi

    de guide

    au roi

    Salomon, toi qui

    fus réellement la

    messagère

    de toute vallée ;

    ô

    toi qui

    est

    parvenue

    heureusement

    aux frontières

    du

    royaume de

    Saba

    toi dont le

    colloque

    gazouillant

    avec

    Salomon fut excellent, tu

    fus

    la confidente des secrets de Salomon

    et

    tu obtins

    ainsi une couronne de gloire » .

    Si Nerval

    n'a

    pu

    connaître

    de Garçin de

    Tassy sur La Poésie

    philosophique et religieuse

    chez les

    Persans

    d'après

    le

    Mantic

    Uttaïr (qui

    parut

    en 1860,

    suivie

    en

    1863

    de

    la traduction du poème), on peut néanmoins

    supposer

    qu'il

    avait

    entendu

    parler

    de

    ce

    texte

    fort

    célèbre

    (Gœthe,

    dans le Divan,

    cite

    « Les entretiens des oiseaux » de Ferîdeddin-Attar),

    voire

    même

    qu'on

    lui

    en

    avait traduit certains passages

    lors

    de son

    séjour au Caire en 1843. Qui

    plus

    est,

    il a

    fort bien pu lire Les Oiseaux et

    les Fleurs,

    d'Azz Eddin

    Elmocaddesi, dont

    une traduction française de

    Sylvestre de Sacy parut en 1821,

    et où

    Ton trouve

    (dans

    l'allégorie

    XXIX,

    La

    Huppe)

    ce

    passage

    aux

    résonances

    étrangement

    nervaliennes

    :

    «[...] Alors une

    douce rêverie s étant

    emparée

    de moi,

    je

    me

    sentis comme

    inspiré et je eras

    entendre distinctement ces

    paroles

    : О toi qui écoutes

    le

    langage

    énigmatique des oiseaux,

    et

    qui

    te

    plains que

    le

    bonheur semble

    te fuir, sache

    que,

    si le

    cœur

    était attentif

    à

    s instruire, l intelligence pénétrerait le sens des

    allégories

    [...].

    Ton

    esprit

    corrompu

    te

    jette

    dans

    un

    état

    d hésitation pénible,

    et ton jugement vicieux te fait paraître mauvais ce

    qui

    est bon, et

    bon

    ce

    qui

    est mauvais.

    Tu devrais entrer

    dans

    l hôpital de la pitié,

    et, présentant

    le

    vase

    de

    l affliction,

    exposer

    le

    récit de tes souffrances

    à

    ce médecin

    qui

    connaît ce

    qu'on

    tient

    secret

    et

    ce qu'on lui découvre [...].

    Il te

    garderait ensuite dans

    le

    sanctuaire de la

    protection

    et

    écrirait sur le cahier de ton traitement

    le

    rétablissement de ta

    santé [...].

    Considère

    la huppe : lorsque sa

    conduite est régulière et

    que son cœur

    est pur, la vue perçante pénètre

    dans

    les

    entrailles

    de la terre, et

    y

    découvre ce

    qui

    est

    caché

    aux yeux

    des

    autres êtres

    ;

    elle aperçoit l'eau

    qui

    y coule, comme

    tu pourrais la

    voir

    au

    travers d un cristal »

    Faisons

    un

    pas de plus. On sait que,

    pour

    le

    psychanalyste,

    comprendre

    le « langage

    des

    oiseaux

    »,

    c'est pressentir

    dans

    les bruits de la

    nature la voix

    et

    le langage maternels.

    (8)

    Plusieurs

    poèmes

    mystiques orientaux ont pour

    sujet des

    « assemblées

    d'oiseaux ». Citons

    par

    exemple le

    poème

    thibétain By a

    с

    os Rin c en Sp'r'eng Ba,

    traduit

    par Henriette Meyer,

    et

    paru aux

    éditions des

    Cahiers du

    Sud

    (1953)

    sous

    le

    titre :

    Précieuse guirlande

    de la Loi des

    oiseaux.

  • 8/20/2019 Nervl Et Le Langage Des Oiseaux

    11/15

    52

    Jacques Buenzod

    Analysant la

    figure

    du

    Siegfried

    wagnérien,

    C.G. Jung

    constate

    que

    si,

    dans

    la légende,

    Siegelinde est

    la mère humaine

    du

    héros,

    sa

    « mère

    spirituelle »

    en

    revanche {Yimago

    maternelle) est

    Brunhild, la Walkyrie,

    sorte

    de

    dédoublement

    de

    Wotan,

    «

    une

    des multiples

    figures

    de V

    anima

    attribuée

    à

    des

    divinités

    masculines

    et

    qui

    représentent

    toutes une

    scission dans la

    psyché

    mâle, obsédée par son penchant à mener

    une

    existence indépendante. Symboliquement, Wotan, le père, s'est

    confondu avec la fille qu'il

    a

    créée lui-même pour

    se

    rajeunir [...]. C'est à

    bon

    droit

    que Wotan

    est

    furieux contre Brunehilde,

    car

    elle

    a

    joué le rôle

    d'Isis, et,

    par la

    naissance

    d'un fils, elle

    a

    enlevé le

    pouvoir

    des mains

    du vieillard ».

    Pour

    Jung,

    c'est Mime

    (nain

    estropié,

    dieu

    chtonien

    jouant

    ici

    le

    rôle de

    la mère-nourrice et

    de

    représentant

    mâle de la

    « mère terrible »)

    qui

    place le ver

    venimeux

    sur la route de son

    fils.

    Le

    désir qu'a Siegfried de Yimago maternelle l'entraîne loin de Mime :

    il

    veut, en effet, « se

    débarrasser

    de l'angoisse

    qu'était pour

    lui sa

    mère

    dans

    le

    passé,

    et il

    marche

    en avant,

    plein

    du

    désir

    qui

    va

    vers

    l'autre

    mère ».

    C'est

    alors que la nature acquiert à ses

    yeux

    une

    secrète

    signification maternelle :

    « Gracieux

    oiseau

    Je

    ne

    t ai sans doute

    jamais entendu ;

    Habites-tu

    ici cette

    forêt

    ?

    Si je comprenais ton

    doux

    gazouillement

    Certainement

    il

    me dirait quelque chose,

    Peut-être me

    parlerait-il

    de ma mère chérie ? »

    «

    Or, ajoute Jung,

    par son

    dialogue,

    Siegfried

    attire Fafner

    hors

    de la

    caverne.

    Son

    désir

    de

    Yimago

    maternelle

    Га

    inopinément

    exposé

    au

    danger

    de

    regarder

    en

    arrière,

    vers son enfance

    et

    vers sa mère

    naturelle

    qui se

    transforme

    immédiatement

    en un

    dragon,

    menaçant

    de le faire mourir.

    Ainsi

    il

    attire l aspect

    mauvais

    de

    l inconscient,

    sa nature dévorante. Fafner est le

    gardien

    du

    trésor ;

    c est dans

    sa

    caverne que se trouve le hort (trésor), source de

    vie

    et de

    puissance. La

    mère

    retient, semble-t-il,

    la libido du fils (elle garde jalousement ce

    trésor)

    et il en est en

    réalité

    ainsi tant

    que

    le

    fils reste inconscient de

    lui-même.

    Traduit

    en

    langue psychologique,

    cela signifie : c est dans Yimago maternelle,

    c est-à-dire dans

    l inconscient,

    que gît le trésor

    difficilement

    accessible.

    Ce

    symbole fait allusion à

    un secret

    de

    vie

    dont la mythologie parle en

    d innombrab les

    symboles [...].

    La légende de Siegfried a largement décrit le bénéfice

    de cette lutte contre

    Fafner :

    selon YEdda, Sigurd mange le cœur de Fafner,

    siège

    de

    la

    vie.

    En

    outre,

    Siegfried

    boit

    le

    cœur

    du

    dragon

    ;

    à

    la

    suite

    de

    quoi

    il

    comprend le langage des oiseaux

    et

    se trouve placé en une

    relation

    particulière

    avec la nature, situation que son savoir rend

    prépondérante. En

    outre,

    et

    ce

    n est pas son

    moindre

    bénéfice,

    il

    conquiert le trésor

    ».

    La Tétralogie

    datant

    de 1863,

    Nerval

    ne put la connaître. Il n'en

    demeure pas moins que

    l'univers

    mythique de

    Wagner

    lui était familier,

    et

    que le «

    climat

    » wagnérien correspondait,

    partiellement,

    à ses propres

    rêveries. Nerval ne

    fut-il

    pas, avec Baudelaire,

    l'un

    des

    premiers

    et

    des

  • 8/20/2019 Nervl Et Le Langage Des Oiseaux

    12/15

    Nerval

    et le

    langage des oiseaux

    53

    plus

    ardents thuriféraires de

    Wagner

    en France ? (9). Etudier

    les

    rapports existant

    entre

    la légende de Siegfried et

    certains

    aspects

    du

    mythe

    nervalien déborderait le cadre de

    cet

    article.

    Il est évident

    qu'une telle

    recherche devrait tenir

    compte

    d'autres mythes germaniques,

    et

    que

    tout

    une constellation thématique

    recouvre

    les situations nervaliennes

    archéty

    piques,

    mises

    naguère

    en

    lumière par Charles Mauron

    (ainsi

    la

    légende de Lohengrin, liée au thème du cygne, est-elle l'objet d'un

    chapitre

    des

    Souvenirs

    de

    Thuringe).

    Le seul fait que, dans sa

    fameuse

    généalogie « délirante », Gérard

    associe —

    par une de ces vertigineuses

    etymologies

    dont il

    est coutumier — le nom de Labrunie

    et ceux

    de

    « Brunhild, Brunchild,

    Brauhilda »,

    etc.,

    paraît

    déjà significatif. On

    peut dès lors

    se demander

    si,

    dans son inconscient,

    il n'existerait

    pas

    un

    rapport

    entre sa

    propre recherche

    angoissée

    de Vimago maternelle

    (cette

    quête où

    les

    blonds fantômes s'effaceront peu à peu

    au profit

    de la

    forme

    unique et rédemptrice,

    la « Grande Amie », la Sophia, la

    Compagne

    éternelle)

    et

    le

    pressentiment

    de

    cette

    même voix

    qu'allégorise

    traditionnellement le « langage

    des

    oiseaux ».

    Par ailleurs, le « trésor » dont

    il

    vient

    d'être question, c'est aussi, en

    langage symbolique, celui que recherchent les

    Argonautes.

    C'est la

    Toison

    d'or,

    c'est-à-dire la quête (ou la

    conquête)

    de

    ce que

    la raison juge

    impossible. Selon

    les traditions

    antiques (Pindare,

    Apollonius de

    Rhodes,

    etc),

    Orphée

    fit

    partie de l'expédition

    des

    Argonautes, en raison,

    semble-t-il, du pouvoir magique de

    ses chants.

    L'importance, chez

    Nerval, de la figure d'Orphée

    est trop connue pour

    qu'il soit

    ici besoin

    d'insister (10). En

    revanche,

    il

    n'est pas

    sans

    intérêt

    de noter que l'oiseau

    joue dans ce mythe

    un

    rôle

    important.

    La présence

    d'Orphée parmi les

    compagnons de

    Jason

    n'est

    pas

    le

    seul

    exemple

    d'un

    héros

    entretenant

    des

    rapports magiques

    et

    privilégiés avec les

    animaux

    les

    oiseaux en

    particulier (11).

    La nef

    Argo

    est précédée

    d'une colombe, quand elle

    n'est pas

    elle-même

    assimilée

    à

    cette

    dernière. Quant à Orphée, son rôle,

    dans la Quête, consiste à ouvrir à la société

    des Argonautes

    l'accès à

    trois

    initiations essentielles

    pour un

    prince égéen

    :

    celle de la maîtrise de

    la mer, celle des

    mystères

    mêmes de la

    vie

    (où

    il aura

    Médée

    pour

    collaboratrice), celle enfin,

    particulièrement précieuse, de l'harmonie

    musicale,

    qui

    rend efficaces les incantations, l'action sur les éléments

    et

    sur

    les

    êtres,

    et

    qui

    correspond au

    prestige

    de la « voix juste » dans la

    mystique

    égyptienne.

    (9)

    Voir

    les

    Lettres

    d A llemagne

    ainsi que

    la

    lettre

    au

    docteur

    Blanche

    du

    30

    juin

    1854 : « Je me sens fort disposé en faveur de la

    musique,

    et mes théories, que je

    n expose pas souvent, se rapportent

    assez à

    celles de

    Richard Wagner ».

    D autre

    part,

    Wagner,

    dans

    une

    lettre à Liszt, du 2

    octobre

    1850, dira sa satisfaction à la

    lecture d un

    article

    de

    Nerval

    paru dans La Presse

    :

    «

    Nerval

    a conçu et tracé un

    portrait qui, du moins, indique clairement ce que je veux ».

    (1). Voir

    le

    chapitre

    XVI

    de

    Nerval,,

    expérience

    et

    création de

    Jean

    Richer,

    ainsi

    que

    Gérard

    de Nerval ou le nouvel Orphée de

    Charles Baudouin

    (Psyché,

    janvier

    1947).

    (11) « Toutes les

    atténuations

    des héros argonautiques dans

    un sens

    conventionnel

    n ont

    pu

    affaiblir

    les natures

    extraordinaires d un

    Méléagre, qui

    sent

    sa vie

    liée

    à

    un

    tison

    gardé dans

    un coffre, et qui a

    des

    sœurs

    destinées

    à prendre un

    jour

    leur

    vol

    sous

    la forme d'oiseaux ; d un

    Coronos, le

    fils d un héros que la

    Terre-Mère

    a

    englouti

    tout vivant, en

    pleine

    bataille,

    pour

    la préserver de la mort

    ;

    d un Mopsos, qui

    a passé sa

    jeunesse au

    milieu

    d oiseaux

    dont

    il

    comprend

    la

    voix

    ».

    (R.

    Roux,

    Le

    Problème

    des Argonautes,

    Paris,

    de Boccard, 1949).

  • 8/20/2019 Nervl Et Le Langage Des Oiseaux

    13/15

    54

    Jacques Buenzod

    Les

    Argonautes, pour communiquer

    avec la nef

    magique, possèdent

    un

    langage secret,

    le «

    langage des

    oiseaux » — lointain

    ancêtre

    de cet

    autre

    langage

    ésotérique qu'est

    l'argot (12), sur

    les origines duquel,

    malgré tant de travaux érudits, plane

    encore

    un certain mystère.

    Or

    l'intérêt

    de Nerval pour

    la

    « langue

    verte

    »

    (que

    Victor

    Hugo appelait

    «

    la

    langue

    des

    ténèbres

    ») est bien connu ; de nombreux

    textes

    en

    témoignent,

    tels

    le Prince

    des

    Sots,

    La

    main

    enchantée

    ou

    les

    Nuits d'octobre :

    « J ai peur de ne

    plus

    parler français

    [...]. Le

    français de M. Scribe,

    celui

    de

    Montansier, celui des estaminets, celui des lorettes, des concierges, des réunions

    bourgeoises,

    des salons,

    commence

    à

    s éloigner

    des traditions du grand

    siècle.

    La langue

    de

    Corneille

    ou de Bossuet devient peu

    à

    peu du

    sanscrit

    (langue

    savante).

    Le

    règne

    du

    prâcrit (langue vulgaire) commence pour nous

    ». (I,

    88).

    et l'on peut

    se

    demander si

    cette

    curiosité

    ne

    cache

    pas

    ici une

    motivation

    plus

    profonde. Le

    véritable sanscrit

    (langue

    « parfaite

    », écrite en

    caractères dévanagari,

    c'est-à-dire

    « de la ville

    des dieux

    ») pourrait

    bien être à ses yeux, précisément, l'Argot, non pas considéré en tant

    qu « orphisme dérisoire

    du

    cabaret,

    du caveau

    ou

    du bouge,

    des

    forains

    et

    du

    trottoir

    », mais

    bien,

    stricto

    sensu, langage

    cabalistique, proche

    de

    la « langue

    des

    oiseaux »

    et

    du trobar dus (ou Gay Savoir) cher aux

    troubadours.

    Le trobar dus

    est

    généralement

    considéré

    comme une

    science

    du

    double sens :

    « Un déchiffrement complet

    du

    trobar dus, écrit

    Gérard de

    Sède, devrait

    porter

    à

    la fois et

    de façon articulée, sur

    la symbolique, la phonétique, la métrique

    et

    la

    musique qui, selon

    la philosophie

    du

    temps,

    entretenaient

    entre

    elles des

    rapports d harmonie

    et

    d analogie,

    inspirés

    du système pythagoricien ». « Le

    Noble

    Savoir, le Gay Savoir, ajoute-t-Û, est une langue phonétique, celle

    des

    rébus

    et

    des

    calembours. Or Gay,

    Gahl,

    Gau,

    dans

    la langue d'Oc,

    c est le coq

    et,

    plus

    généralement,

    l'oiseau

    mâle. Plutôt

    qu'une

    science « gaie »,la Gaye

    Science

    est

    le galimatias, habile

    à

    entrebescar les motz, c est-à-dire,

    sous couleur

    de

    cymbalistes et

    de

    symbolistes,

    la « science du coq », du coq emblème

    d Hermès

    [...].

    C est aussi la

    langue

    du geai, beau

    parleur

    et habile

    à

    se travestir.

    C est

    la langue du jars, gardien du Capitule, le jars réservé

    à

    ceux quiYentervent, le

    jargon, c est-à-dire le « gazouillement des oiseaux » , cette langue symbolique —

    et

    donc

    adéquate

    et universelle - chère

    à

    liiermétiste Cyrano de Bergerac»(13).

    (12)

    Voir

    l introduction aux Etudes

    de

    philologie

    comparée

    sur

    l argot,

    de

    Francisque-Michel (1856) : « Un autre de nos contemporains,

    Nodier,

    peu

    porté,

    comme

    il

    le

    dit

    lui-même,

    à

    chercher

    des

    etymologies grecques aux

    mots qui

    paraissent

    anciennement naturalisés dans notre

    langue,

    rapporte l opinion qui attribue

    au mot

    argot

    l étymologie

    d'àpyoç,

    otiosus,

    qui

    veut

    que jargon

    soit le même mot à

    peine

    modifié

    ».

    (13) Rendant compte,

    dans La

    Presse (19 août

    1850), d une

    comédie-vaudeville en

    un acte de Clairville, Siraudin

    et

    Moreau, La Société du Doigt dans l Oeil,

    Nerval

    écrit :

    «

    Quant

    à l argot,

    il

    a

    eu

    aussi

    différentes phases,

    depuis

    celui que

    parlaient

    les Bohémiens français

    du

    moyen âge

    jusqu'au

    jargon réformé

    par

    Villon,

    puis

    jusqu à

    l argot mélangé d espagnol du

    capitaine Carrefour,

    qui vivait du temps de

    Louis

    XIII. Celui

    de

    Cartouche

    se

    latinise, et

    les principes

    en

    sont

    posés

    dans les

    Dialogues du Malingreux, contresigné par Fiacre l emballeur. A partir de cette

    époque,

    l idiome

    se

    mêle

    davantage avec

    le

    français,

    et

    ne

    conserve

    plus

    qu'un

    certain

    nombre de vocables

    primitifs

    dans

    une phrase

    dont

    le fond

    est

    intelligible

    à

    tous

    ».

  • 8/20/2019 Nervl Et Le Langage Des Oiseaux

    14/15

    Nerval

    et

    le langage des

    oiseaux 55

    Dans

    quelle

    mesure Gérard (14)

    qui

    aimait à rappeler ses origines

    agenaises, et

    qui

    voyait

    dans

    Gaston Phœbus d'Aquitaine l'un de ses

    lointains ancêtres

    fut-il touché par la poésie occitane, elle-même,

    sem-

    ble-t-il, résurgence de la

    Gnose et

    de la

    doctrine

    cathare ? Il est évident

    qu'il

    dut trouver

    dans

    le

    catharisme

    des thèmes

    assez

    nombreux

    pour

    alimenter ses rêveries et

    enrichir

    son propre univers mythique (15). Le

    combat du Jour

    et

    de la Nuit, la

    nature

    divine

    et

    angélique de

    l'âme

    prisonnière des formes

    créées et

    de

    la matière, le culte d'Isis, et surtout

    cette tendance vers l'Absolu que

    chantent

    les

    troubadours — ce

    principe

    suprême

    de la Minne, qui exclut l'idée

    d'amour

    physique

    et

    de

    mariage

    tout

    cela a dû

    le

    faire

    longuement

    rêver.

    On sait combien Nerval, hanté par le rêve nostalgique et

    lancinant

    de

    l'Unité

    première,

    était

    résolu à le « fixer », à

    en

    percer le

    secret pour

    pénétrer

    enfin

    les arcanes de

    la

    vie

    universelle.

    Dans

    cette

    quête

    héroïque

    et

    douloureuse — qui trouvera dans Aurélia sa convergence

    ultime

    —, la «

    consonance

    »

    (pour

    reprendre le mot de

    J.-P.

    Richard) joue un

    rôle essentiel. Tout l'être

    nervalien, dans

    l'extrême tension de la

    dernière œuvre,

    vise

    à

    retrouver,

    à travers le déchiffrement

    du plan

    divin, la

    transparence

    de

    l'Origine et la

    pureté

    d'un

    logos universel, verbe

    éternel

    révélateur de l'Etre et, selon Diogène Laerce, principe

    actif agissant

    sur

    la matière.

    Rêverie ontologique

    donc, en même

    temps que

    linguistique,

    où se dessine en

    filigrane

    le mythe archaïque

    des

    noces de Cadmos

    et

    d'Harmonie...

    Aux

    funestes

    images d'horreur et

    d'effroi,

    à la «

    sombre

    contemplation

    du

    fouillis

    sanglant

    de

    membres

    et

    de têtes

    »,

    succède

    l'irruption

    bienheureuse d'un Paradis

    retrouvé

    : « Les prés

    verdissaient, les

    fleurs

    et

    les feuillages s'élevaient de

    terre

    [...]. Le jour commençait à poindre

    ».

    Après quelques

    autres

    considérations, Nerval conclut

    par

    cette

    pirouette

    : « Mais

    laissons là l argot,

    qui entraîne ici

    trop

    de

    longueur par

    des

    explications

    qu'il faut

    donner

    aux sinvres (aux

    ignorants). Notre érudition

    est d ailleurs de

    trop

    fraîche

    date pour

    y

    résister

    longtemps

    ».(OCII,733).

    (14)

    L'on songe

    au fameux

    portrait gravé

    de

    Gervais,

    objet

    de

    tant

    de

    commentaires au-dessus duquel

    Nerval

    dessina un

    oiseau

    en

    cage —

    geai ou corbeau —

    accompagné du jeu

    de mots « cigne

    allemand

    » et de la formule si troublante : feu G. rare.

    Comparer

    Nerval

    à

    un

    oiseau

    le

    geai-rare

    -

    semble

    avoir

    été

    une plaisanterie

    familière

    de

    ses

    intimes.

    Jules

    Janin,

    dans l article

    fameux

    qu'il

    lui

    consacra

    en

    1841

    déclare : « II se réveillait en causant le matin, comme

    l'oiseau

    se réveille en chantant,

    et en

    voilà

    pour

    jusqu'au

    soir ». Cf. également la lettre de Francis Wey du 6 mars

    1841

    :

    «

    Tu

    vis au

    milieu

    d un

    tas

    d arbres comme une fauvette

    (on dit

    même

    que

    tu manges comme un corbeau

    )

    ». Quant à

    Théophile

    Gautier

    (cité par

    Jean Richer

    dans Nerval

    par

    les

    témoins

    de sa

    vie),

    il écrit : «[Gérard]

    vint nous

    faire

    une

    de ces

    rapides

    visites

    dont

    il

    avait l habitude et où, comme une

    hirondelle

    familière entrant

    par

    la fenêtre ouverte,

    il

    voltigeait autour de la chambre en

    poussant

    de

    petits

    cris

    et

    ressortait bientôt,

    car cette

    nature légère,

    ailée,

    que des

    souffles semblaient soulever

    comme Euphorion, le fils

    d Hélène

    et de Faust, souffrait visiblement de rester en

    place

    ».

    (15) Voir à

    ce propos l article de

    Roger Matelier, «

    Gérard de Nerval

    et

    les

    Cathares

    en Périgord », Europe,

    no

    516, avril 1972. L auteur suggère

    que Nerval

    dut

    être

    «

    initié

    »

    aux

    réalités

    albigeoises

    par

    une

    lecture

    de

    YHistoire du

    Languedoc

    de

    Dom

    Vaissette

    (1737),

    rééditée en 1833.

  • 8/20/2019 Nervl Et Le Langage Des Oiseaux

    15/15

    56

    Jacques Buenzod

    La

    musique

    apaisée et suave des Mémorables

    se fait

    alors entendre,

    pareille à celle du rossignol

    sauvage,

    dans le miracle

    d'une transparence et

    d'une légèreté qui

    « emprisonne dans un fin cristal

    la

    lourde

    réalité

    de

    tout le

    destin

    des

    hommes »

    (A.

    Béguin). C'est en effet dans la totalité

    harmonique du monde,

    et

    dans

    elle

    seule,

    que

    le

    poète

    pressent

    et

    devine

    cet

    accord

    :

    « cette

    pensée me conduisit

    à

    celle qu'il y

    avait une

    vaste conspiration de

    tous

    les

    êtres

    animés pour

    rétablir le monde dans

    son harmonie

    première [...] et que les chants, les

    danses,

    les

    regards

    aimantés de proche en proche,

    traduisaient la

    même

    aspiration

    ». Et

    quand un peu plus loin, Nerval

    ajoute

    que « le langage de (ses)

    compagnons avait

    des

    tours

    mystérieux

    dont

    (il) comprenai(t) le sens

    »,

    c'est

    encore le

    chant, l'unissant

    profondément

    au catatonique Saturnin,

    le

    chant

    d'innocence et

    d'amour, «

    Parole

    qui

    vient

    d'ailleurs » selon

    l expression de Michel Jeanneret, qui médiatisera, par la Charité, le don

    ultime

    du

    Pardon.

    Symbole

    de

    cet univers

    angélique

    les

    signes circulent sans

    obstacle, « réseau transparent

    qui

    couvre le monde,

    et

    dont

    les fils

    déliés se

    communiquent de proche en

    proche

    aux planètes

    et

    aux étoiles »,

    proche du chœur

    des

    astres

    faisant

    tourner l'orbe éternel (« Sois bénie, ô

    première octave

    qui

    commenças

    l'hymne

    divin »), le langage

    des oiseaux,

    au-delà du simple

    langage

    humain, au-delà de l'Exil et de la cacophonie

    d'un monde

    fêlé

    et

    fragmenté,

    retrouve ici,

    dans

    l'invention d'une

    langue

    inouïe, l'Unicité

    de la Parole perdue.

    (Genève)