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MAGAZINE D’INFORMATION RÉGIONALE AVRIL 2009 - N°96 - 3 EUROS N E W S D ' I L L N E W S D ' I L L MAGAZINE D’INFORMATION RÉGIONALE AVRIL 2009 - N°96 - 3 EUROS Les sentiers de la diversité ALSACE Depuis 2005, l’Alsace célèbre le mois de l’Autre. Un temps pour mieux lutter contre les discriminations et valoriser les diversités qu’elle accueille. BIMESTRIEL - CENTRE UNIVERSITAIRE D’ENSEIGNEMENT DU JOURNALISME - N˚ ISSN 0996-9624

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MAGAZINE D’INFORMATION RÉGIONALEAVRIL 2009 - N°96 - 3 EUROS

NEWS D'ILLNEWS D'ILLMAGAZINE D’INFORMATION RÉGIONALEAVRIL 2009 - N°96 - 3 EUROS

Les sentiers de la diversité

ALSACE

Depuis 2005,l’Alsace célèbrele mois de l’Autre.Un temps pourmieux luttercontre lesdiscriminations et valoriser les diversitésqu’elle accueille.

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2 - AVRIL 2009 - n°96 - NEWS D’ILL

Le Dossier L’actualité décryptée en cinq minutes par les étudiants du CUEJ.

Tous les samedis à 7h47 sur France Bleu Alsace, (101.4 dans le Bas-Rhin, 102.6 dans leHaut-Rhin). Egalement téléchargeable sur www.bleualsace.comU N I V E R S I T É D E S T R A S B O U R G

À L’ÉCOLE

DANS L’ENTREPRISE

DANS LA CITÉ

PAGES 6 À 9

Lignes de vie PAGES 4 À 5

PAGES 16 À 23

PAGES 10 À 15

Vivre ensemble s’apprend avec difficultés, réticences et petites victoires.

Il est difficile de lutter contre les préjugés.

De Ferrette à Mertzwiller, la vie de citoyens peu ordinaires

Collège unique, p.6. « Ils disent qu’on est des Schmidt ! », p.7. Dans la cour de Guynemer,l’embrouille des petits, p.8. En classe de russe, la bannière de la langue, p.8. Avec maman, j’apprendsà la maison, p.9.

Discrimination à l’embauche : l’Est encore à la traîne, p.10. Chez les apprentis, le bois reste la matière noble, p.11. Une charte à l’épreuve du terrain, p.12. Quand l’âgenourrit l’échec, p.13. Cinq chômeurs témoignent, p.13. Qui se sert de l’alsacien ?, p.14. Apprendre àlire et à écrire les mots de l’entreprise, p.15.

Raida Bouazza veille sur Wissembourg, p.16. À la compagnie Potimarron, ils jouent le rôle de leur vie,p.17. Anna, lesbienne : « Une famille maintenant, pas dans 30 ans », p.17. Les autres visagesde la famille, p.18. La fragilité des parents isolés, p.18. Bientôt un centre gay et lesbien, p.18. Àla Meinau, un prêche en tamoul, p.19. L’ayran et les spätzle, p.20. La caravane et le colombage, p.21.Rencontres de surface, p.22-23.

Ossètes, Géorgiens et l’envie d’être Strasbourgeois, p.4. La carpe, le héron et les francs suisses, p.5. « Molsheim, pas plus loin », p.5.

Photos: GautierDemouveaux, Elsa

Marnette, OlivierDevos, Florent

Godard, StéphanieGoutte, JulienFournier/CUEJ

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Voyage au pays de l’autre

NEWS D'ILLCENTRE

UNIVERSITAIRE

D’ENSEIGNEMENT

DU JOURNALISME -UNIVERSITÉ DE

STRASBOURG

11, rue du Mal Juin 67043 StrasbourgTél: 03 88 14 45 34Fax: 03 88 14 45 35E-mail :[email protected]://cuej.u-strasbg.frhttp://mcsinfo.u-strasbg.frDIRECTEUR DE LA

PUBLICATION :Alain Chanel.ENCADREMENT :Alain Chanel, Sophie Dufau,José-Alain Fralon,Nicole Gauthier,Stéphanie Peurière,Paul Quinio.RÉDACTEUR

EN CHEF :Amandine Schmitt.RESPONSABLE

ICONOGRAPHIQUE :Anne Ilcinkas.RESPONSABLE

MULTIMÉDIA :Floriane Andrey.RÉALISATION : Lilian Alemagna, Floriane Andrey,Anette Bender, Isabelle Bertinet, Julie Bienvenu, Aurélien Breton,Gaëlle Dietrich, Olivier Devos, Julien Fournier, Mathieu Galtier, Florent Godard, Stéphanie Goutte, Anne Ilcinkas, Sophie Lebrun,Anne-Sophie Legge,Pierre Manière,Elsa Marnette,Anaëlle Penche,Imke Plesch,Adrien Potocnjak-Vaillant, AmauryPrieur, Amandine Schmitt,Christophe Zoïa.PHOTOS DE UNE : Lilian Alemagna,Gautier Demou-veaux, Olivier Devos, StéphanieGoutte, Anne Ilcinkas, Elsa Marnette.INFOGRAPHIES :Floriane Andrey, .Mathieu Galtier.IMPRESSION : Realgraphic, Belfort.

LA géographie et l’histoireont fait de l’Alsace uneterre d’accueil, de passage,d’échanges, d’assimila-tion, où sans cesse, commeailleurs et peut-être plus

qu’ailleurs, il a fallu résister à latentation de l’exclusion. Aujour-d’hui, les immigrés représentent10% de la population, ce qui enfait la deuxième région d’immi-gration, après l’Ile-de-France.Venus dès les années 60 duMaghreb puis de Turquie, à l’ap-pel des industries locales, les im-migrés arrivent à présent de l’an-cien empire soviétique. Ils sontRusses, Serbes, Bosniaques, maisaussi Géorgiens, Azéris, Armé-niens, attirés par l’étoile desdroits de l’Homme dont Stras-bourg est la capitale. Mariages mixtes, œcuméniques,familles monoparentales, homo-parentalité, pacs, divorces... Lemodèle de la famille tradition-nelle rhénane est bousculé parl’émergence de nouveaux modesde vie et par l’engagement des

femmes alsaciennes dans la vieactive. En quête de visibilité, lacommunauté gay aura bientôt pi-gnon sur rue. Sur scène, les vi-sages de la diversité rejouentpour mieux les dénoncer les tra-vers de la discrimination.

Dialecte, atout ou barrière.De la fiction à la réalité... il ne faitpas bon être différent dans lemonde du travail alsacien. Mal-gré les job-datings pour les mal-voyants, les cours basés sur le vo-cabulaire du travail pour lesillettrés, le parrainage des se-niors, seules 34 entreprises sur les57 000 existantes ont signé lacharte de la diversité, qui n’im-pose pourtant aucune contrainte.Pour les handicapés comme pourles immigrés, l’accès à l’emploidemeure une bataille à gagner.Quelquefois confondus avecleurs voisins d’outre-Rhin parceux qu’ils nomment les « Fran-çais de l’intérieur », les Alsaciensrevendiquent leur identité et leurdialecte. Si celui-ci peut être un

atout, il peut aussi être ressentipar cet autre comme une barrière.La première confrontation avecl’autre, le premier apprentissagede la vie en société se fait sur lesbancs de l’école. Malgré la mixitéimposée, qu’elle soit sociale, cul-turelle ou ethnique, les mélangesne se font pas toujours. Aux en-seignants d’imaginer, quand onleur en donne les moyens, les pé-dagogies qui favoriseront les ren-contres : élèves bilingues enclasse avec les non-bilingues,élèves dits excellents qui côtoientles déficients sensoriels.Au confluent de toutes les diver-sités, l’Alsace sait aussi intégrer.Le chanteur Abd Al Malik en estl’un des plus bels exemples.D’origine congolaise, ayantgrandi dans les barres HLM duNeuhof, il a su transgresser ledestin d’enfant des cités pourtriompher aux Victoires de lamusique. Comme un retour auxsources, il chante en alsaciendans son dernier album.

Amandine Schmitt

NEWS D’ILL - n°96 - AVRIL 2009 - 3

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LIGNES DE VIE.

lorsqu’ils évoquent l’anciennerépublique soviétique.Tous les jours, Roman et Maiadescendent en centre-ville.Deux heures à pied aller-retour.« On ne prend pas le tram, ex-plique Roman sans jamais seplaindre de sa situation. On n’apas d’argent pour payer le tic-ket et surtout on a peur descontrôles et peur de lapolice… »

Bénévolat. Ils participentaux permanences et aux coursde français offerts par le Casaset travaillent comme bénévolesà l’Armée du salut ou à laBanque alimentaire. Maia s’oc-

cupe du nettoyage ou dela cuisine. Roman aide àla manutention. « Je suisprêt à faire n’importequel boulot, mais jen’en ai pas le droit. »Pour l’instant, ils ne re-çoivent aucune aide del’Etat, vivent de dons etmangent tous les joursaux Restos du cœur ou àl’Armée du salut. Le fils

de Roman, Léo, suit une forma-tion de menuisier au lycéeHenri-Ebel d’Illkirch.« On veut tout faire pour s’inté-grer et vivre en France avec lesFrançais », souligne Romanavec insistance. « Ici ce n’estpas comme en Géorgie. Lesgens sont gentils. On le voitdans leurs yeux », répète-t-il enmimant de grands gestes. « Jevoudrais vraiment rester ici.Faire venir ensuite ma mère de

être renvoyés en Slovaquie, paysoù ils sont censés demanderl’asile car ils y ont été contrôlés àleur arrivée dans l’Union euro-péenne. Mais pour « raisonsmédicales », ils ont obtenu l’au-torisation de rester sur le sol fran-çais. Juste « tolérés ».Roman et Maia habitent dansune petite chambre d’hôtel de10 m2 dans la zone commercialede Hautepierre. Ils peuvent yrester jusqu’à la fin du moisalors qu’auparavant, ils de-vaient changer d’hébergementtoutes les deux se-maines. Ils l’ont obtenue en fai-sant appel au 115 etgrâce à l’aide du Collec-tif pour l’accueil dessolliciteurs d’asile àStrasbourg (Casas) quiles accompagne dansleurs démarches admi-nistratives auprès del’Office français de pro-tection des réfugiés et apatrides(Ofpra) et de la commission derecours des réfugiés. Seule décoration apportée àcette chambre composée detrois lits dont deux superposés :un petit autel orthodoxe posésous le radiateur à gauche del’entrée. Dans leurs sacs, té-moins de leur vie en Géorgie,quelques photos de famille, encouleur ou en noir et blanc,qu’ils brandissent avec joie

question posée : « Le 3 sep-tembre 2007. » En Géorgie,Roman faisait des affaires dansle textile avant d’être agresséen 1991 pour ses origines os-sètes. Il se réfugie dans lesmontagnes avec sa familleavant de quitter le pays en1997 et de s’installer dans lapartie russe d’Ossétie. En2002, profitant du retour aucalme en Géorgie, il revientau pays. En 2007, après denouvelles agressions, ilémigre clandestinement enFrance via l’Ukraine et la Slo-vaquie, accompagné de safemme Maia, 45 ans, et de sonfils Leo, 19 ans.

Seulement tolérés. « Dèsmon départ je voulais rejoindreStrasbourg. Ici, il y a les insti-tutions européennes. Ici, j’étaissûr que l’on me compren-drait », lance Roman avec unsourire qui le quitte rarement etravi de pouvoir raconter sonvoyage. « Dans le temps,quand mon père avait un pro-blème, il disait qu’il allaitécrire une lettre à Strasbourg.C’est pour cela que j’ai choiside venir ici. »Originaires de Géorgie, Roman,Maia et Leo ne peuvent bénéfi-cier d’un statut temporaire de de-mandeur d’asile et obtenir despapiers. Arrêtés une premièrefois par la police, ils auraient dû

ROMAN G. pensait quec’était impossible. Cinqminutes après avoir pé-nétré pour la premièrefois dans le hall de lamédiathèque Malraux

de Strasbourg, il est fier demontrer sa carte d’adhérentavec, au verso, son nom inscritau feutre noir. Âgé de 45 ans,demandeur d’asile, sans-pa-piers, Géorgien d’origine os-sète, il se réjouit de pouvoiremprunter des dictionnairesfranco-russes ou des méthodesd’apprentissage du français. « Je veux parler votre languele plus vite possible. Mainte-nant je vais pouvoir venir ici -pour m’entraîner », explique-t-il avec un accent très prononcé,mais dans un français malgrétout compréhensible.Quand est-il arrivé à Stras-bourg ? La date fuse dès la

Ossètes, Géorgiens et l’envie d’être StrasbourgeoisEn 2007, Maia et Roman choisissent Strasbourg pour migrer. Demandeursd’asile, ils espèrent réussir leur intégration dans la capitale européenne.

Originairesde Khashurien Géorgie,Roman etMaia (photo-ci-dessous)apprennentle françaisdepuis leurarrivée enAlsace en2007. Parmiles quelquesobjets qui leslient à leurpays, unautelorthodoxe etdes photosde famille(ci-dessus).

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«Mes parents sont proprié-taires d'une boucherie à Ro-thau. Toute ma famille ha-

bite la vallée depuis que monarrière-grand-père est venud'Italie. Mais personne ne parlealsacien ni ne le comprend saufma belle-sœur, qui vient deMollkirch et qui le parle cou-ramment. Je suis très famille.C'est une des raisons qui faitque je ne veux pas quitter laBruche.On est bien dans la vallée, c'estconvivial. Ici, tout le monde sedit bonjour, on se fait des sou-rires alors qu'à Strasbourg, oùje fais mes études, les gensmarchent avec la tête baissée.Je n'aimerais pas habiter àStrasbourg. Je fais tous lesjours l'aller-retour même si j'aiune heure et demie de trajetmatin et soir. Je me sens bienchez moi. En plus, mon compagnon tra-vaille à TRW, un des gros em-ployeurs de la Bruche implantéà Schirmeck. Il est aussi origi-naire de la vallée. A la rigueur,si je devais faire un compro-mis, on s'installerait à Mol-sheim mais pas plus loin. Laplupart des jeunes que jeconnais veulent aussi resterdans la vallée. A Strasbourg, je ne mets ja-mais en avant que je viens de lavallée parce que pour les Stras-bourgeois, la vallée c'est untrou perdu. Pour nous, le trouce sont les Vosges. Là-bas,c'est mort, les maisons sont dé-labrées alors qu'ici tout est vi-vant, coloré, illuminé, entre-tenu. Ici, on a nos propreshabitudes. En vacances, ontrouve des raisons de des-cendre sur Strasbourg mais si-non on reste ici, on y va justepour se distraire.Paris c’est pas mieux! Fran-chement, y a quand même pasgrand chose à part le jardin deVersailles. Que des maisonsgrises ! Alors que dans laBruche, vous pouvez vous pro-mener au col du Donon, skierau Champ du Feu, il y a le mu-sée Oberlin et le Struthof. Pourque j’habite à Paris, il me fau-drait une grande maison avecun jardin et beaucoup de calmecomme celle de La Broque ! »

Propos recueillis par Floriane Andrey

et Anne-Sophie Legge

« Molsheim,pas plus loin »

Julie, 21 ans,

habite à La Broque,

village de 2700

habitantsdans

la vallée de la Bruche

à 50 kmde

Strasbourg.

De nombreuxSundgauvienspassent la frontièrepour allertravailler en Suisse.Là-bas, un balayeurgagnel’équivalentde 2000euros par mois.

Sundgauviens envisagent desétudes plus longues. « Depuisune dizaine d'années, on ob-serve une tendance très nette :le BTS. Les jeunes ont de plusen plus envie d'avoir une forma-tion », confirme Gilbert Sorrol-dini, secrétaire de l'associationde parents d'élèves. Pour autant,l’horizon professionnel ne s’estpas élargi. « Si je peux rester ici,je reste. Mais ça ne me dérange-rait pas de travailler en Suisse,comme mes parents », déclareBenjamin Mara, apprenti char-pentier à Feldbach, à une tren-taine de kilomètres de Bâle.

L’alsacien en déclin. Lapratique de l’alsacien, trèsproche du dialecte bâlois, atoujours aidé les Sundgauviensà travailler en Suisse. Mais lesjeunes oublient peu à peu celangage. Du coup, les classesbilingues franco-allemandesessaiment depuis quelques an-nées dans le sud de l’Alsace. «J’envisage même d’ouvrir une6e bilingue à la rentrée, ex-plique la principale du collègede Ferrette, Elisabeth Mut-schler. Les parents voient làune chance pour leurs enfantsd’avoir un meilleur emploi enSuisse. » Pour bien gagner savie, le modèle du travailleurfrontalier reste présent dansl’imaginaire sundgauvien.Après deux générations rému-nérées en francs suisses, leSundgau s’est enrichi. Pas sespratiques culturelles. Difficilede programmer une séance decinéma en partant travailler tousles matins vers 6 heures, en en-chaînant les semaines de 42heures, 48 semaines par an. Récemment, une troupe dethéâtre en français faisait unetournée dans le Sundgau. Unenouveauté dans cette région ha-bituée aux saynètes en alsacien.« Nous avions organisé un ra-massage pour les enfants, nousavons eu un grand succès », ra-conte Martine Werno. Les pa-rents, eux, ne se sont pas dépla-cés. Un peu trop français.

Olivier DevosStéphanie Goutte

pure souche, qui a choisi de res-ter dans le village de sa famille.Pour Vincent, agriculteur de 23ans à Oberlarg, c’est une évi-dence : « Le Sundgau on y est,on y reste. » Le jeune homme a

ses habitudes dans unbar de Porrentruy, enSuisse, à moins de 10 ki-lomètres de chez lui. Ce qui ne l’empêche pasde critiquer ses voisinshelvètes, tout comme les« Français de l’inté-rieur » (non Alsaciens).« Des étrangers », re-

marque-t-il. Quant à ceux quihabitent au nord de Mulhouse, illeur concède tout juste la qualitéd’Alsaciens. En tout cas, ils nesont pas Sundgauviens.3 à 4% de chômage, des sa-laires élevés : grâce au travailbien rémunéré trouvé chez leurvoisin suisse, les jeunes actifspeuvent rester dans le Sundgau.A Bâle, un balayeur gagnel’équivalent de 2 000 euros parmois. « Quand on demandeaux élèves qui entrent en 6e,quelle est la profession de leursparents, beaucoup répondent“ils travaillent en Suisse”.C’est un métier, par ici »,s’amuse Martine Werno. Aucollège de Ferrette, deux tiersdes parents sont frontaliers.Le développement de l’indus-trie pharmaceutique à Bâle, dèsla fin du XIXe siècle, est pourbeaucoup dans ces migrations.Le phénomène a pourtant vrai-ment démarré après la Secondeguerre mondiale. À l’époque,les salaires dans la Confédéra-tion étaient très avantageux,grâce notamment à un taux dechange favorable.« Les parentsne poussaient pas vers lesétudes. Il fallait travailler enSuisse. Ce qu’on y faisait n’avaitpas d’importance », raconte laprésidente de l’association deparents d’élèves.

Etudes supérieures. Julienregrette d’avoir arrêté ses études,il y a quelques années, justeaprès son stage de 3e. Aujour-d’hui, il pose des gaines sur deschantiers suisses, sans espoird’évolution : « Mes parents etmes professeurs m’avaientconseillé d’aller jusqu’au bacprofessionnel, mais j’ai choisi depasser la frontière. »Avec la crise, les entreprisespharmaceutiques bâloises ontcommencé à réduire leurscoûts. Le temps où les Sund-gauviens pouvaient quitter untravail le vendredi pour en trou-ver un autre le lundi est révolu.Les travailleurs frontaliers sontles premiers licenciés. Le bassin d’emplois suisse n’estplus aussi attractif. Et les jeunes

83 ans restée en Géorgie etvivre en paix avec ma famille. »Le 3 avril, Roman et Maia doi-vent se rendre à Paris pour dé-fendre leurs demandes d’asiledevant la commission de re-cours.C’est leur dernière chance depouvoir rester en France depuisle refus de l’Ofpra en juillet. Encas de réponse négative, Romanne sait pas encore ce qu’il déci-dera de faire. « Je prendraideux, trois jours de réflexion.Rester ici, ce sera trop compli-qué avec la police. Rentrer enGéorgie, il n’en est pas ques-tion. Maia ne le supporteraitpas et toute ma famille, exceptéema mère, a quitté le pays… »La guerre en Ossétie qui aéclaté en août 2008 entre laGéorgie et la Russie ne l’incitepas non plus au retour. Mais lestensions ethniques présentesaujourd’hui dans sa régiond’origine pourraient l’aiderdans sa demande d’asile sur leterritoire français. Si elle obtient le statut de réfu-giée, Maia espère pouvoir soi-gner son problème cardiaquepour ensuite aller travailler et« aider les autres ». Roman,lui, imagine bien son avenir enAlsace. « Un petit terrain, unepetite maison dans un petit vil-lage au calme. » Et, pourquoipas, monter sa propre entre-prise. Mais cela reste encore unrêve. Il en est conscient et le ré-pète souvent : « Il faut faire leschoses tout doucement... »

Lilian Alemagna

La carpe, le héron et le franc suisseLe Sundgau revendique une identité forte. Pourtant, ses habitants n’hésitentpas à passer la frontière helvète pour trouver du travail.

Al’extrême sud de l’Al-sace, après Mulhouse etjusqu’à la frontièresuisse, s’étend un paysde collines, le Sundgau.Pas de vignes, mais des

champs à perte de vue,où la neige s’installe enhiver. Sur la rive d’unétang, un héron sedresse fièrement. Aufond de l’eau, une carpeattend patiemment le pê-cheur qui viendra lafaire frire. 50 000 per-sonnes vivent sur cesterres que pour rien au mondeelles ne quitteraient. « Les per-mis de construire se multiplientdans les villages de la région »,affirme Martine Werno, prési-dente de l’association des pa-rents d’élèves du collège deFerrette, capitale du sud Sund-gau, avec 1000 habitants.Originaire du Sud-Ouest, elleest mariée à un Sundgauvien

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« Le Sund-gau,

on y est, on y reste. »

Vincent,agriculteur

NEWS D’ILL - n°96 - AVRIL 2009 - 5

LIGNES DE VIE.

Strasbourgeois

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6 - AVRIL 2009 - n°96 - NEWS D’ILL

À L’ÉCOLE. Vivre ensemble s’apprend. Avec difficultés, réticences et petites victoires.

Collège uniqueLe collège Émile-Zola de Kingersheim accueille à la fois des enfants de zones urbaines sensibles et des élèveshandicapés. Des élèves tuteurs pour leurs camaradeshandicapés, des cours traduits en langue des signes, un internat pour des jeunes de quartiers : malgré leursdifférences, ils cohabitent sur les bancs comme dans la courde récréation. Une journée cartable sur le dos.

JORDAN, un élève de 5e

aux yeux malicieux, seréveille un peu plus tardque ses huit cama-rades : « A 6h40, leséducateurs scolaires

viennent frapper à nos portes,mais beaucoup sont déjà levéspour prendre leur douche etêtre sûrs d’avoir de l’eauchaude. Moi, je me douche lesoir. » La journée commence àl’internat d’excellence. Petitdéjeuner, vérification des car-tables, rangement de lachambre, etc. Depuis la ren-trée 2008, Jordan, Elliot etleurs camarades ont quitté lefoyer familial et leurs écolesmulhousiennes de ZUS (Zoneurbaine sensible) pour le col-lège Émile-Zola de Kinger-sheim et l’internat du Phare àIllzach. Ces neuf adolescentsne sont pas des surdoués, maisils ont des capacités qui leurpermettraient de suivre desétudes longues. Le pro-gramme d’excellence consisteà sortir ces Mulhousiens deleur collège classé ZUS pourleur donner une chance dansun établissement « sans pro-blèmes », selon les mots duprincipal, Bernard Lichtle. Lechoix de cet internat leur a étéproposé par les professeursprincipaux et les responsablesde leurs établissements d’ori-gine. Le petit déjeuner en-glouti, la petite troupe quitte àpied l’internat aux alentoursde 7h30, en compagnie desdeux éducateurs scolaires. Unquart d’heure plus tard, lesvoilà devant la grille du col-lège Émile-Zola.

Inclure plutôt qu’intégrer.Ce collège accueille parmi ses500 élèves trois groupes d’en-fants avec des originalités dis-tinctes. Outre l’internat d’ex-cellence, neuf jeunes souffrantd’un handicap lié aux fonc-tions cognitives se retrouventdans le dispositif de l’unitépédagogique d’insertion(UPI). Le collège ouvre aussi sesportes aux douze élèvesaveugles et sourds du Phare,un institut pour les déficientssensoriels (IDS). L’établisse-ment de Kingersheim tente deprouver chaque jour que ladifférence ne doit pas être sy-nonyme d’exclusion et de re-pli sur soi.

7h50. Alors qu’il discuteavec son ami Eliott, Jordanaperçoit l’arrivée du taxid’Anaïs et Fanny. Les ju-melles, souffrant d’un handi-cap social, rejoignent les septautres élèves de l’UPI.Ce dispositif, créé il y a quatreans dans le collège fraîche-ment repeint de Kingersheim,accueille des élèves handica-pés mentaux légers et moyens.Mathieu Nachbaur est leurprofesseur depuis trois ans. Lapédagogie de ce trentenaireplein d’enthousiasme vise,plus que l’intégration, l’inclu-sion : « Dans l’intégration,c’est l’élève qui doit faire l’ef-fort. Depuis la loi de 2005, onse concentre sur une logiqueinclusive où chacun doit fairel’effort d’aller vers l’autre.

Ces enfants sont des collé-giens comme les autres, quiparticipent, selon leur emploidu temps personnalisé, à descours avec les autres élèves. » Ce matin, Lætitia, en classe de3e, n’arrive dans la salle del’UPI qu’à 9 heures, aprèsavoir suivi un cours de SVT(sciences et vie de la terre)dans une classe dite ordinaire. Dans une salle voisine, Natha-lie Franco enseigne avec pa-tience les bases du français,

du calcul et du langage dessignes à sept jeunes sourdsayant également un léger re-tard mental, avec l’aide d’uneéducatrice spécialisée, Isa-belle Coupat, elle-mêmesourde. Depuis cette rentrée,le collège de Kingersheim metà disposition ses locaux pourles élèves du Phare. Un chan-gement au delà d’un simpledéménagement.La confrontation avec tous lesélèves du collège Emile-Zolaest une nouvelle expériencepour ces déficients sensoriels.« Au Phare, c’était un peufermé, explique Isabelle Cou-pat. Ici, ils se confrontent aumonde extérieur. »

« Un code d’honneur ». Lesenfants du Phare se déplacent

aussi dans les autres classes,mais beaucoup moins queleurs camarades de l’UPI.« C’est dur pour eux desuivre : écrire vite leur posedes difficultés », nuance Na-thalie Franco. Les deux ensei-gnantes restent lucides. « Aumieux, ils iront peut-être dansun CAT (centre d’aide par letravail) », conclut IsabelleCoupat.Bientôt, la sonnerie de10 heures retentit. Les

500 collégiens se ruent dans lacour. Là, les différences ne sevoient plus, les élèves se re-groupent par affinités, et uni-quement par affinités. Surtout,personne ne se moque desélèves différents. « C’est uncode d’honneur, s’enthou-siasme le principal, BernardLichtle. Face à l’injustice duhandicap, les adolescents, quipeuvent parfois se montrertrès cruels entre eux, sont ca-pables de se mobiliser. »Cet ancien professeur desécoles, qui a longtemps exercéen milieu spécialisé, décritl’accueil des enfants handica-pés comme des « momentsmagiques de pédagogie ».Soucieux d’intégrer toutes lesformes de handicap, son éta-blissement est pourvu d’un as-

Sous lasurveillancede MathieuNachbaur (àgauche), lescollégiensfont lestuteurs pourleurscamaradeshandicapés.

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NEWS D’ILL - n°96 - AVRIL 2009 - 7

À L’ÉCOLE.

censeur et tous les obstaclespotentiels pour les fauteuilsroulants ont été remplacés pardes plans inclinés.

11 heures. Les enfantsqui n’ont pas cours se rendenten « perm ». Chloé, l’aide à lavie scolaire (AVS) de la classede l’UPI, en profite pour re-cruter quelques volontaires.Sabri, Ilies et quelques autresenfants déboulent dans lasalle, se précipitent sur le pe-tit cahier rouge pour s’incrirecomme tuteurs. Fanny, unedes jumelles, tire une chaiseprès d’elle pour inviter Sabriet son bagout à s’asseoir prèsd’elle. Ce dernier, armé d’une

ardoise, lui dicte pendant unevingtaine de minutes une sériede nombres qu’elle s’appliqueà écrire. En bon assistant, lecollégien rend compte desprogrès de Fanny à MathieuNachbaur. En récompense :deux points de plus dans laligne « vie scolaire » dansson carnet de correspon-dance. Un moyen de rattra-per les points perdus pourbavardages et comportementdissipé dans les autres cours.« Certains tuteurs jouent lespseudo-caïds quand ils sontdans leur classe, s’amusel’enseignant. Mais ici, tout lemonde travaille ensemble. »Début mars, les collégiensont déjà aidé leurs cama-rades de l’UPI pendant prèsd’un millier d’heures.

12 heures. Direction lacantine. Chloé part avec lesenfants de l’UPI alors que Na-thalie Franco et Isabelle Cou-pat emmènent leurs élèves dé-jeuner. Des préoccupationsd’adolescents comme lesautres. « Les repas étaientmeilleurs avant, il faudraitamener les cuisines du Phareici », plaisante en langage dessignes Brandon, 13 ans.

13 heures. Quelquesaprès-midis par semaine, lesélèves de l’UPI ont atelier.Durant ces temps, ce sont lesélèves « ordinaires » qui sedéplacent. Une roue de vélovoilée ? Pas de problème, Jé-rémy, le chef de l’atelier, sortsa clé à rayons. « Du coup, lecollègien lambda se rendcompte que Jérémy a des com-pétences, détaille MathieuNachbaur. Il lui porte un re-gard positif. Parallèlement,Jérémy gagne en estime de soiet reprend confiance. » Unepédagogie donnant-donnant.L’UPI organise différents pro-jets en rapport avec les autresclasses, comme un cours debricolage ou une sectionthéâtre.

14 heures. Les activitésmanuelles sont majoritairementpratiquées par les élèves duPhare, comme la constructionen cubes et le bricolage. Etquand ils rejoignent des coursclassiques, c’est pour faire dusport, des arts plastiques et de lamusique. De temps en temps, unélève sort de la classe. C’est autour de Romaïssa, sourde pro-fonde. Elle va voir l’orthopho-niste, qui lui apprend à parler.

17 heures. Fin des cours.Enfin presque. Pour les élèvesde l’internat d’excellence,c’est l’heure des devoirs enpermanence. « L’objectif estqu’ils fournissent un travailimportant, insiste Rachid Ez-zedgui, le conseiller principald’orientation. A la fin de la 3

e,

ils doivent être capables dechoisir l’orientation qu’ilsveulent, du bac professionnelaux études supérieures. »

18 heures. Retour à Ill-zach et à l’internat du Phare.« Je finis mes devoirs com-mencés en “perm”, avant d’al-ler dans la salle communepour discuter ou regarder latélé », détaille Jordan. Le dînerest servi à 19 heures. Les in-ternes se mélangent avec lesélèves du Phare. « Au départ,on mangeait entre nous. Maison nous a obligés à partagerles tables. » Loin de considé-rer cela comme un préceptedes bonnes manières, Jordanexplique qu’il a appris ainsiquelques rudiments de lalangue des signes. Après avoirdébarrassé les tables, chacunretourne dans son bâtiment.Avant l’extinction des feux à21h30, Jordan se dirige dansles douches. Et voilà quelquesminutes de sommeil gagnées.

Mathieu GaltierStéphanie Goutte

La loi du 11février2005 sur lehandicap stipule que« tout enfant,tout adoles-cent présen-tant un han-dicap ou untrouble invali-dant est inscrit dansl’école de sonquartier. Ilpourra en-suite être accueilli dansun autre éta-blissement enfonction duprojet person-nalisé de sco-larisation ».

En Alsace, lerectorat re-cense 34unités pé-dagogiquesd’insertion(UPI) :18 dans leHaut-Rhin (15 collègeset 3 lycées),et 16 dans leBas-Rhin (13collèges et 3 lycées).

AU milieu de la cour de ré-création du collège RenéSchickelé de Saint-Louis

(Haut-Rhin), à quelques pas dela frontière suisse, Haslanpointe du doigt un grouped’élèves. « Regardez-les ! Ilsrestent entre eux, au fond »,lance cet élève de 3e d’originekosovare. « Parfois, ils parlentmême en allemand pour ne pasque l'on comprenne ce qu'ilsdisent. » Eux, ce sontles élèves des classesbilingues du collège.Au contraire des autresadolescents des classesdites « monolingues »,ils reçoivent un ensei-gnement en allemandpour leurs cours de ma-thématiques et d'his-toire-géographie. Re-groupés en partie prèsdes casiers, derrière unbosquet jouxtant lacour principale, la majorité deces jeunes restent à l’écart desautres adolescents.Victor, ancien bilingue désor-mais en 3e « classique »,confirme : « Ils restent plutôtde leur côté et ne se mélangentpas. » « On se fait rejeter desautres classes ! Ils disent qu'onest des Schmidt ! », lui ré-torque une jeune fille de 4e nesouhaitant pas être citée. Al'image de ses camarades,Adrien (4e bilingue) concède« parler 75% du temps avecceux de [sa] classe, car on esten cours ensemble depuis lamaternelle ». Les autres élèves paraissentenvier la réussite scolaire desbilingues. « La principale dif-férence entre eux et nous, c'estqu'ils sont sûrs d'avoir du bou-lot plus tard », lâche Samy, enclasse de 3e. « C'est simple : ilssont toujours premiers dansles épreuves communes. » Le

principal de ce collège de 370élèves, Denis Fogarolo,confirme : « Ce sont lesmeilleurs. Ils sont issus declasses socio-professionnellesfavorisées : chercheurs, chi-rurgiens... » La plupart des élèves bilinguesviennent des quartiers pa-villonnaires bordant la ville,tandis que beaucoup de jeunesdes classes normales habitent

des quartiers plus dif-ficiles comme la citédu « 95 », avenueCharles de Gaulle.Même si quelquesélèves monolingues seretrouvent avec les bi-lingues dès la 6e pourcompléter les classes,Denis Fogarolo a dé-cidé, en 3e, de créerdes sections dites« mixtes ». Lesfranco-allemands ont

été séparés en deux classesdifférentes, malgré l'opposi-tion de leurs parents qui crai-gnaient une baisse du niveaugénéral.Pour les monolingues présentsdans ces classes, côtoyer cetteélite motive. « On essaye deles rattraper », lance Samy,élève en 3e. Sounia a intégréune classe franco-allemandeen 5e : « Etre arabe et en bi-lingue, ça fait quoi ? On estfière. On a l'impressiond'avoir des capacités, quelquechose en plus. » Elève de 3e etprésent dans le collège depuisquatre ans, Cheurfi, habitantdes barres d'immeubles prèsdu collège, a pour sa part« toujours eu des potes bi-lingues ». Mais pour lui, mal-heureusement, « ça reste uneamitié de lycée : on ne les voitpas en dehors ».

Lilian AlemagnaPierre Manière

« Ils disent qu’on est des Schmidt ! »Les inégalités sociales et culturelles entre élèves se traduisent dans lechoix des classes linguistiques. Au collège de Saint-Louis, monolingueset bilingues se croisent, mais se parlent peu.

Dans la cour,les bilinguesrestent àl’écart. 370élèves et 13nationalitésfréquententce collège.

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« Parfois, ilsparlentmême

en allemandpour ne pas

que l'oncomprenne

ce qu'ilsdisent. »

Haslan, 3e

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8 - AVRIL 2009 - n°96 - NEWS D’ILL

À L’ÉCOLE.

Arméniens, Tchétchènes, Géorgiens ou Russes : exilés à Strasbourg, ces ados importent la géopolitique de leur pays.

SURVÊTEMENT, bas-kets aux pieds, Mesropest Arménien et habiteHautepierre. Le grandgaillard aux cheveuxnoirs et aux sourcils

bien épais est en classe de 3e aucollège Fustel de Coulanges, leseul à proposer le russe enlangue vivante 1 (LV1) à Stras-bourg. « Ma mère ne voulaitpas que j'aille au collège duquartier, à cause de sa mau-vaise réputation. Si seulementelle savait ce que le collègeFustel est devenu... », racontele jeune homme arrivé enFrance à l'âge de 6 ans.Dans la cour de récréation, lesbagarres ne sont pas rares. Pourla présidente de l’associationdes parents d’élèves du collège,Christine Monsonego, les rus-sophones en sont souvent lesresponsables. Divisés en clans,ils se regroupent selon leursorigines et importent lesconflits qui embrasent leur ré-gion. Arméniens contre Tchét-chènes, Géorgiens contreRusses...

« Trop facile ». En cours derusse, Mesrop est toujours aufond de la classe avec ses co-pains. En 3e, 13 élèves suiventles cours d'André Cabaret, pro-fesseur dans l'établissement de-puis environ 20 ans. Seulementdeux d'entre eux sont franco-phones. « Il est trop gentil. Ondiscute et on ne fait pas d’ef-forts. Des fois, je lui dis : maismonsieur, punissez moi ! Il nefait rien », raconte Mesrop. La

majorité de ces élèves parlecouramment la langue. « Leprogramme de 3e est trop facilepour nous, ça ne nous motivepas », ajoute-t-il.À leur arrivée en France, cesjeunes adolescents ne parlentpas un mot de français. Depuisla fin des années 90, leurs fa-milles ont immigré, souventpour des raisons économiques.« Il n’y a pas de travail en Ar-ménie. Là-bas, les gens pensentque les Français sont riches.Mais en fait, on est tous dans lamême galère », affirme Artush,en France depuis cinq ans.D’autres ont fui la guerre,comme la famille d’Amra, arri-vée à Schiltigheim en 2001après les massacres en Tchét-chénie.Avant d'aller au collège, ils pas-sent quelques mois dans uncentre pour enfants de migrantset prennent des cours intensifsde Français langue étrangère(FLE). Une fois au collège Fus-tel de Coulanges, leur niveau delangue est souvent encore insuf-fisant pour suivre tous les courscorrectement. Les résultats sco-laires s’en ressentent. « Ces dernières années, le ni-veau du collège s’est dégradé,si ça continue, ce sera commeun collège de Zep », indiqueChristine Monsonego. Le prin-cipal a décidé de fermer laclasse de russe LV1 à partir dela rentrée prochaine, les respon-sables de l’Académie de Stras-bourg ont donné leur accord.André Cabaret partira à la re-traite et ne sera pas remplacé.

Acause d’un crépage de chi-gnon dans la cour de récréa-tion de l’école Guynemer au

Neuhof, Florentina doit resterdans le bureau de la directricejusqu’à nouvel ordre. Marie-Pascale Hansmann interpelle lapetite fille, élève en CE2, pourparler de la différence : « Pour-quoi tu ne l’aimes pas D... ? » -« Il se lave pas, alors il met unetonne de parfum » - « Oui D...ne sent pas toujours bon, maisc’est parce qu’il vit dans unecaravane et qu’il n’a pas tou-jours l’eau courante. » Laconclusion de la directrice :« L’accueil et la reconnais-sance de l’autre, ça ne va pasde soi pour ces élèves. Il n’y aaucune tolérance. »Florentina vient d’une famillegitane, comme un tiers desélèves de l’école Guynemer.Beaucoup vivent sur le terraindu Polygone réservé aux gensdu voyage, situé à proximité.

Des cours de français. Cesenfants étudient aux côtésd’élèves étrangers arrivés danscette école à la faveur des coursde français pour non-franco-phones, environ six heures parsemaine, dispensés en plus deshoraires habituels. Depuis sep-tembre 2008, une trentaine deprimo-arrivants se sont inscritsà Guynemer : enfants de réfu-giés et demandeurs d’asiles,beaucoup sont originaires desex-républiques soviétiques. Ilsrepartent parfois en cours d’an-née ou s’installent.L’école accueille également uneclasse spécialisée pour enfantsdéficients intellectuellement etaux problèmes comportemen-taux. Au total, environ 190 en-fants cohabitent dans cette

école du Neuhof encadrés pardouze enseignants. « Dans la cour, des groupes seforment selon l’appartenance,remarquent Aurélien Dumez etOlivier Burtin, enseignants enCP tout juste sortis de l’IUFM.Dans la communauté gitane, ily a les manouches espagnols,les tsiganes, les ex-vanniers.Quand un élève se fait embêterpar un autre, il appelle son“cousin” qui en appelle unautre, etc. » Un petit groupevient alors « soutenir » la vic-time. Bien souvent, une insulte dé-clenche une bagarre mais, selonla directrice, « les enfants répè-tent beaucoup de choses sansen comprendre les implications,ni le sens ». Ainsi un élève vatraiter son frère de « fils depute », un autre va parler de« Hitler Boche » sans savoir àqui il fait référence.En classe, les enseignants es-saient d’établir un semblant dedialogue. « On va demander àun Tchétchène nouvellement ar-rivé comment dire bonjour danssa langue et on va faire répéterles autres élèves », expliquentAurélien Dumez et Olivier Bur-tin.Tous les ans, Marie-PascaleHansmann demande des sub-ventions pour faire travailler lesélèves sur leurs différences.Cette année, l’école a pu consti-tuer une « malle thématique »sur « la tolérance, la différence,la ressemblance » qui regrouperomans, albums photos que lesenseignants peuvent utiliser encours. « Mais pour qu’ils ac-ceptent l’autre, il faudrait enfaire un peu plus », estime la di-rectrice de l’école Guynemer.

Elsa Marnette

En classe de russe, la bannière de la langue

Dans la cour de Guynemer,l’embrouille des petitsDans cette école du Neuhof,200 enfants issus d’horizons différents se rencontrent.Les enseignants s’efforcent de leur apprendre la tolérance, la différence, la ressemblance.

Quand lacloche

sonne, lesenfants des

gens duvoyage et

des réfugiésse retrouvent

sur lesmêmesbancs.

Elsa

Mar

nette

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Après le collège, seuls les meilleurs russophones poursuivent leur scolarité en filière générale.

Critères declassement enRAR (Réseau

ambition réussite).

Un établisse-ment scolairedoit avoir, en

6e, au moins :67% d'élèvesde catégoriesdéfavorisées ;10% d'élèvesen retard d'au

moins deuxans, ou ayant

obtenu àl’évaluation en6e un score in-férieur ou égal

à 47%.Le taux de

rmistes et dechômeurs

dans l’académie estégalement pris

en compte.

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NEWS D’ILL - n°96 - AVRIL 2009 - 9

À L’ÉCOLE.

Avec maman, j’apprends à la maisonL’instruction est obligatoire, pas l’école.

DANS un appartement spacieux et calme ducentre-ville de Strasbourg, quatre enfants,pieds nus. La cassette vidéo du dessin animé

Aladdin vient de se terminer. Delphine, 11 ans,dessine, Romain, 13 ans, partage son temps entrela lecture de BD et les jeux sur ordinateur. Pierreest sagement assis sur sa chaise d’écolier. Ambre,3 ans, est dans les bras de sa mère, qui l’allaite.Les vacances passées, les quatre enfants n’irontpas à l’école. Ils n’y sont jamais allés. Romain,l’aîné, a tout juste eu le temps d’user les bancs dujardin d’enfants. « Avant, nous étions bien.L'école a bouleversé notre vie. C’était comme un“caillou dans la soupe” », explique Agnès Jour-dan-Ohlenbusch, la mère, architecte de formationet mariée à un ingénieur.Lorsqu’elle apprend que seule « l’instruction » estobligatoire jusqu’à 16 ans, la décision a été prise« naturellement », dit-elle. Ses fils et filles serontéduqués à domicile, comme près de 3000 enfantsen France.Phobie scolaire, problèmes avec les enseignantsou avec les élèves, une certaine idée de la fa-mille ? Les raisons qui poussent les parents à gar-der les enfants chez eux sont multiples. « C’estvraiment un choix de vie, explique la mère de fa-mille. Chaque année, je laisse le choix aux en-fants de décider s’ils veulent aller à l’école. »Presqu’une philosophie.

L’autogestion. Quand certains parents repren-nent les manuels scolaires et suivent les pro-grammes à la lettre, Agnès Jourdan-Ohlenbuschchoisit l’autogestion. Pour elle, c’est l’enfant quidécide comment et quand il veut apprendre :« Quand on est intéressé par ce qu'on apprend, çafonctionne bien. »En principe, l’enfant construit lui-même sonpropre cheminement. Les phases d’apprentissagese font au gré des questions qu’ils posent. « Parexemple, s’ils me demandent le sens d’un mot,nous allons rechercher dans le dictionnaire, voirl’étymologie, faire un peu de latin et découvrirl’histoire... », explique Agnès Jourdan-Ohlen-busch qui ne veut pas non plus « tout leur donner,mais leur apprendre à apprendre ». Ses enfantssont familiers des moteurs de recherche et des en-cyclopédies en ligne.Du coup, la mère de famille tombe parfois desnues : « Je ne sais pas ce qu’ils apprennent réel-lement, parce qu’ils apprennent tout le temps. Unjour, j’ai découvert qu’ils savaient lire l’anglais. »Il y a parfois des surprises moins plaisantes.Lorsque la mère découvre les « gouffres », qu’ellejuge elle-même assez in-quiétants et affirme vouloir

combler. « Ro-main ne maî-

trise pas encoreses tables de multi-

plication, c’est unecatastrophe. Et quand

on demande à Delphinepourquoi elle n’écrit pas,

elle dit que c’est parce qu’ellene connaît pas l’orthographe. »Plus grave encore, Pierre, 9 ans,ne sait ni lire, ni écrire. Une mo-dification du décret qui régle-

mente le contrôle del’instruc-tion à do-

micile, pas-sée le 5 mars,

devrait imposerdes évaluations

plus rigoureuses etlaisser moins demarge de manœuvreaux familles.

Florent GodardAmandine Schmitt

« Le collège ne souhaite plusles accueillir. Ce n’est pas unproblème de nationalité,c’est un problème de compor-tement », affirme la présidentede l’association des parentsd’élèves.

Filtre de sélection. Le col-lège constitue un premier filtrede sélection. Seuls lesmeilleurs élèves russophonescontinuent leur scolarité dansune filière générale, une di-zaine chaque année. Les autresarrêtent leurs études, ou lespoursuivent dans des filièresprofessionnelles, maçonnerie,esthétique, coiffure...« Les perturbateurssont partis ailleurs »,note Amra, élève de se-conde au lycée Fustelde Coulanges, l’établis-sement qui accueille lesrussophones du collège.Dans une petite salle autroisième étage du lycéeaccolé à la cathédrale,une dizaine d’élèvesrussophones de seconde attendfébrilement sa copie. ValérieGeronimi, la quarantaine, nefait pas durer le suspense.« 15,5 : c’est pas top, Nara !Vu ton niveau, tu aurais dûavoir une meilleure note ! »,dit-elle avec un sourire dans lesyeux. Les cheveux en pétard, lajeune Russe de 17 ans ne prendpas la remarque au sérieux. Enrigolant, elle compare sa noteavec celle de sa voisine. Malgréson 20/20, Anna, jeune filleblonde et coquette, reste dis-

crète. « Elle est excellente enrusse, par contre elle a degrosses difficultés en fran-çais », explique l’enseignante.Anna a suivi sa mère qui aépousé un Français. Cela fait àpeine trois ans qu’elle a quittéle Kazakhstan pour la petiteville d’Eckbolsheim. Pour leproviseur du lycée, ClaudeGriesmar, l’intégration de cesjeunes russophones dans sonétablissement est plutôt réussie.« Ce sont des élèves très rudeset très solidaires entre eux.Lorsqu’un membre du groupeest agressé, tous se sententconcernés. Mais au bout de

trois mois, ils compren-nent le système du lycéeet ne posent plus deproblèmes. »Il affirme mêmequ’après cette périodede transition, on ne dis-tingue plus les copiesdes russophones desautres. Valérie Gero-nimi relativise : « Ilfaut au moins six mois

pour repérer ceux qui sontprêts à bosser. Les autres, ceuxqui ne travaillent pas, serontéjectés du système. Ilsseront réorientés vers des fi-lières professionnelles ou re-doubleront. » Pas à cause deleurs capacités scolaires, pour-suit la professeure : « C’est dubavardage incessant, unmanque d’intérêt, certains tri-chent pendant les interroga-tions... autant d’habitudes héri-tées du collège et difficiles àcorriger. » Adnan s’est fait ex-

clure huit jours du lycée pouravoir dégradé les portes des toi-lettes. « Ce sont des jeunes quiont une réputation de durs dansleur quartier », précise le pro-viseur.Valérie Geronimi reconnaîtqu’au bout d’un moment, lesélèves finissent par comprendreles règles. Le dialogue la rap-proche d’eux : « Je leur parleen russe en dehors des cours, jeleur dis que je connais leurpays et leur culture, et ils sesentent compris. » Anna appré-cie l’attention que lui accordentles professeurs. « Ilssavent que nousavons des difficul-tés de langue et lesprennent encompte. » De fait, lesbagarres ont disparudans la cour du lycée.

Futurs scientif iques.Même intégrés, les russo-phones restent entre eux. Nara,arrivée de Russie à l’âge de 10ans, témoigne : « Je m’entendsbien avec les Français, mais jepréfère être avec des russo-phones. Je ne sais pas expli-quer pourquoi, c’est commeça. » Souvent très forts dans lesmatières scientifiques, cesjeunes ressortissants de l’ex-URSS poursuivront leursétudes en faculté de chimie,physique et économie. ValérieGeronimi s’en réjouit : une foisà l’université, ses élèves re-viennent souvent la voir.

Isabelle BertinetAnne Ilcinkas

« Ceux quine tra-

vaillent passeront éjec-tés du sys-

tème. »Valérie

Geronimi,professeure

de russe

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: exilés à Strasbourg, ces ados importent la géopolitique de leur pays.

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10 - AVRIL 2009 - n°96 - NEWS D’ILL

DANS L’ENTREPRISE,il est difficile de lutter contre les préjugés.

Discrimination à l’embauche : l’Est encore à la traîne

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OrigineFemmeHandicapPhysiqueAge

Les cinq critères les plus flagrants

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Région Est (pas uniquement l'Alsace) France

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32

63

17

36

25

Exemple de lecture du graphique avec l'âge : Si le candidat de référence (28-30 ans, français de souche, sans photo) a 100% de chance d'être convoqué à un entretien d'embauche, le candidat plus âgé sera convoqué dans 25% des cas dans la région Est et dans 32% en moyenne sur le territoire français.

L’origine et le handicap sont les deux critères principaux de discrimination dans le monde du travail en Alsace. Le sexe et l’âge peuvent aussi être facteurs d’exclusion. Les deux antennes régionales de la Halde sont chargéesde recueillir les doléances.

POUR décrocher un en-tretien d'embauche dansla région Est, il est pré-férable de ne pas êtrehandicapé, mère de fa-mille de trois enfants,

quinquagénaire et encoremoins porter un prénom et unnom à consonance maghrébine. Partout en France, ces critèressont discriminants pour l'accèsà l'emploi. Ils le sont encoreplus, pour chacune de ces caté-gories, dans l'Est de l'Hexa-gone, selon un « baromètred’observation des discrimina-tions » publié en novembre2006 par l’agence d’intérimAdia.Rares sont les études qui per-mettent d’appréhender aussiclairement la réalité des discri-minations au travail. Impos-sible de confronter ces chiffresaux taux de chômage corres-pondant à chacune de ces caté-gories de demandeurs d'emploiau niveau régional : ils n’exis-tent pas. Il faut donc se plongerdans des études ponctuelles, ci-blées sur l’une ou l’autre despopulations, et pas nécessaire-ment sur l’emploi.

Pas assez de preuves. Lesréclamations déposées devantles deux antennes régionalesde la Halde (Haute autorité delutte contre les discriminationset pour l'égalité) constituent unautre indicateur des inégalitésque peut ressentir une per-sonne au travail, lors de l'em-bauche, dans l'avancement de

carrière ou dans les procé-dures de licenciement.Dans le Bas-Rhin, l'origine et lehandicap (ou la santé) sont lesdeux principales causes de dis-criminations invoquées. A ladifférence du Haut-Rhin, où lesprincipales doléances émanentde syndicalistes qui se sententfloués dans l'évolution de leurcarrière. Mais sur la centaine dedossiers déposés à la Halde de-puis 2008, aucun n'a été trans-mis aux tribunaux, faute depreuves suffisantes (la discrimi-nation est très difficile à prou-ver) ou parce que les ré-clamations étaientinfondées ou « horschamps ».« On constate deschoses, on en subodored’autres, raconte Ber-nard Marx, secrétairegénéral de la CFDT duBas-Rhin, mais notreboulot n’est pas d’en-voyer le salarié contrele mur, il doit être enmesure d’apporter despreuves. » Les syndicats avouent ainsisouvent conseiller aux per-sonnes qui se sentent discrimi-nées de ne pas engager de pour-suites. « Les gens qui viennentme voir disent qu'ils se sententdiscriminés, rapporte DanielFierobe, correspondant de laHalde à Strasbourg, mais c'estun sentiment qui ne repose pastoujours sur un des 18 critèresdéfinis par la loi », les seuls àpermettre une action en justice.

Parmi eux, le sexe, le handicap,l'âge, les origines.En apparence, les femmes sontles moins discriminées à l’em-bauche. Le taux de chômagedes femmes était de 7,2% en Al-sace, contre 7% pour leshommes selon l’enquête Euro-stat de 2005. Au cours de la dé-cennie 1990, les femmes alsa-ciennes, longtemps moinsengagées dans la vie active, ontrattrapé le retard par rapport à lamoyenne nationale. Si seule-ment 6 femmes sur 10 étaientactives en 1982, elles étaient 9sur 10 en 2005.Le progrès a ses limites : lesdiscriminations au travail per-sistent, notamment dans l’avan-cement de carrière. « Si on veutdes promotions, il faut aussiêtre mobile donc beaucoup defemmes qui ont de jeunes en-fants n’en bénéficient pas », es-time une mère de famille de 40ans, qui n’a pas pu accéder àune fonction de cadre dans lestélécommunications car elle tra-vaille à 80%. Inégalité aussi auniveau des salaires et dela hiérarchie des emplois occu-pés : en Alsace, la rémunérationhoraire nette des hommes étaitsupérieure de 23% à celle desfemmes en 2005, ces dernièresétant moins représentées chezles cadres. A poste égal, l’écartde rémunération entre hommeset femmes reste de 10%.

Les gays dans l’ombre.L’orientation sexuelle est uncritère de discrimination plusdifficile à évaluer, car aucuneétude ne prend en compte cefacteur. Le ressenti reste tou-jours aussi fort. « Nous avonseu une plainte d'un cuisinierqui a subi beaucoup de petits

harcèlements à partir dumoment où ses collèguesont appris son homo-sexualité », raconte Ber-trand Eberhardt, présidentde l’association homo-sexuelle l’Autre cercleAlsace, qui milite pourune plus grande visibilité.« Finalement, analyse-t-il, il est tombé en dépres-sion et a quitté l’entre-prise. Le patron avaitdéclaré que les employésdevaient régler ça entre

eux. C’est un mauvais choix.Quand les responsables de l'en-treprise s'opposent clairementà toute pratique et tous proposdiscriminatoires, il y a moinsd'homophobie. » La discrétionau quotidien est souvent diffi-cile à vivre. « Au travail, celapasse très bien de parler de sonweek-end, de mettre les photosde ses enfants sur son bureau.Si un gay fait la même chose,cela devient tabou. On lui dit :

“c'est votre vie privée, ça nenous regarde pas !” », racontele président de l’association.En France, le taux de chômagede la population reconnue han-dicapée s’élève à 19% mais iln’y a pas de chiffre équivalentau niveau régional. Parmi lesrares indicateurs disponibles, lenombre d’entreprises qui payentune cotisation à l’Agefiph parcequ’elles ne remplissent pasl’obligation d’emploi de 6% detravailleurs handicapés. Cechiffre est légèrement inférieurà la moyenne nationale (25% enAlsace contre 27% en France),mais il ne concerne pas les en-treprises de moins de 20 sala-riés, très nombreuses dans larégion.

Jobdating dans le noir. Plusque les chiffres, les situationspersonnelles témoignent de laréalité des difficultés rencon-trées par les handicapés. JallilHimchichi, 29 ans, a envoyé denombreux courriers pendant lesquatre années de « creux » qu’ila connues, et il avoue n’avoirobtenu que peu de réponses etsurtout « aucun entretien ». Ilfait partie des 19 aveugles et dé-ficients visuels qui ont obtenuun CDD pour guider les visi-teurs de l’exposition « Dialoguedans le noir » qui s’est achevéeau Vaisseau à Strasbourg enmars. Suivis par la cellule em-ploi du Conseil général, ils pré-parent leur projet professionnel.Sept d’entre eux ont participé àun « jobdating », en partie réa-lisé dans le noir.En faisant le parcours qui re-produit une ville dans l’obscu-rité, les recruteurs « se sont ren-dus compte que, même si on nevoit pas, on peut se débrouiller,on est autonome », expliqueJallil. « Je savais qu’ils étaienttrès motivés mais je ne m’atten-dais pas forcément à rencontrerdes gens avec des compétencesaussi élevées, remarque An-toine Goumy, gérant de Hegotransaction, une agence immo-bilière basée à l’Orangerie. J’aisurtout été surpris, ils ne sontpas réticents à se déplacer. Ha-bituellement, quand on ren-contre quelqu’un à Colmar etqu’on lui propose de venir, ilrefuse. »

Un CDD pour un immigré. Les adresses et les noms àconsonance étrangère restent unhandicap majeur. Daniel Kelai,correspondant de la Halde àMulhouse, cite ce cas : « Unjeune d’origine étrangère estvenu se plaindre. Il avait fournile même travail que les 11 col-lègues de son groupe. Pourtantà la fin des contrats de profes-sionnalisation, 11 ont eu un

« Si un gaymet des

photos deses enfantsdans son

bureau, çadevienttabou. »

BertrandEberhardt,présidentde l’Autre

cercle

La HaldeLa Hauteautorité delutte contre lesdiscriminationset pourl’égalité a étécréée par la loidu 30décembre2004.Implantéedans lesrégions etayant desbénévoleslocaux, elledoit identifierles pratiquesdiscriminanteset lescombattre.La Haldeétudie touteslesréclamationsqui lui sonttransmises,peut proposerune médiationet saisir lajustice.Elle peut aussiproposer auxparties une amende accompagnéede dommageset intérêts.Chacun peutla contacterpar téléphoneau08 1000 500.

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NEWS D’ILL - n°96 - AVRIL 2009 - 11

DANS L’ENTREPRISE.

CDI et lui seul un CDD. La dis-crimination était flagrante. »Le chômage des immigrés enAlsace (16,5% en 1999) est ledouble du taux de chômage glo-bal de la région. Des inégalitésapparaissent entre les diffé-rentes communautés. Ainsi lechômage des Portugais et desEspagnols (7,2%) est inférieur àla moyenne régionale. A l’in-verse, celui des Turcs et desMaghrébins est largement supé-rieur (20%).En 2006, dans les 19 zones ur-baines sensibles (ZUS) alsa-ciennes, le taux général de de-mandeurs d'emplois atteignait19%. Dans le cadre du plan« Espoir banlieue », le Bas-Rhin expérimente les contratsd’autonomie. D’ici 2011, 1200jeunes du département de-vraient bénéficier de ce « coa-ching ». Dans les zonesfranches urbaines, à Hautepierreet au Neuhof, les entreprises ontdroit à une exonération decharges si elles emploient desgens du quartier.

Privilégier le quartier. EricKloster emploie 30 salariés, ap-prentis inclus, dont 20 du Neu-hof. « J’ai grandi dans une cité,on m’a donné ma chance, je ladonne à mon tour. Je prends desjeunes du quartier en apprentis-sage, et à la fin de leurs études,je leur propose un contrat. Sou-vent les personnes issues de mi-lieux défavorisés se donnent lesmoyens d’y arriver, c’est unequestion de travail et deconfiance. » Aujourd’hui, cetAlsacien possède quatre boulan-geries. Trois sont situées dans lequartier du Neuhof mais uneseule dans la zone franche, « unpeu par hasard », même si EricKloster reconnaît que cela peut« aider à lancer une affaire ».Le Pôle emploi a pris des me-sures pour éviter la discrimina-tion à l’embauche, notammentdans le choix des candidats en-voyés à l’entretien. Les agentsdu Pôle emploi d’Alsace quin’avaient bénéficié initialementd'aucune formation ont été sen-sibilisés à la non-discriminationen 2008. Depuis 2005, des « pla-

teformes de vocation » permet-tent de sélectionner les candi-dats en leur faisant passer destests d’aptitude et non en exa-minant leur CV. « Ça n’em-pêche pas la discrimination àl’embauche car le recrutementest toujours subjectif, maisça leur donne au moins lachance de s’expliquer en face àface », estime Olivier Gerber,conseiller emploi à la plate-forme de Strasbourg.

Six projets abandonnés.D’autres mesures ont été misesen place dans le cadre du plande cohésion sociale de Jean-Louis Borloo. En Alsace, lessix projets Equal, financés parle Fonds social européen afinde favoriser l’insertion desfemmes, des travailleurs intéri-maires, des personnes handica-pées ou défavorisées se sontachevés en 2008, sans que rienne vienne prendre la suite.La Chambre de commerce etd’industrie du Bas-Rhin « nefait plus rien de particulier enmatière de lutte contre les dis-criminations parce que, ex-plique-t-on, cela ne fait pluspartie des priorités gouverne-mentales ». Interrogée à sontour, la CGPME (Confédéra-tion des petites et moyennesentreprises) répond que « vu lecontexte actuel de crise, il y ad’autres priorités ». La Com-mission pour la promotion del’égalité des chances du Bas-Rhin (Copec, instance de dis-cussion et de conseil mise enplace par l'Etat) ne s'est pas ré-unie en 2008, même si elle en-visage de relancer ses activitésen 2009.De nombreuses associations etinstitutions, par leurs activités,sont amenées à promouvoirl'égalité des chances. La créa-tion de la Haute autorité delutte contre les discriminationssemble les exempter de cetteresponsabilité. Aujourd’hui,acteurs économiques et so-ciaux se reposent volontiers surles deux correspondants béné-voles de la Halde en Alsace.

Julie BienvenuFlorent Godard

social qui va avec. Au contraire,« le travail en usine inspiremoins les enfants », ajoute leprofesseur. Une orientation enfilière mécanique est davantagemotivée par les facilités d’em-bauche sur le secteur géogra-phique.La réforme des diplômes pro-fessionnels lancée fin 2007 n’apas non plus aidé les filièrescomme la mécanique, l’électro-nique ou l’électro-technique àrecruter plus d’élèves. Aujour-d’hui, un lycéen intéressé parces cursus devra obligatoire-ment passer par un bac pro carles CAP et BEP ont disparu. Lesfilières bois, elles, disposent en-core de ces premiers diplômesqui permettent d’attirer lesjeunes et de ne recruter que lesplus motivés pour le bac profes-sionnel. Mais à chaque lycée correspondune tendance, d’après MichelJuchs. « A Molsheim où j'ensei-gnais avant, les élèves choisis-saient massivement les filièresmécaniques, explique le chefd’atelier. À Couffignal, nousavons des filières rares dans

l'académie de Strasbourg,comme les Métiers du bois,qui sont donc très deman-dées. »

Mixité sociale. Le re-crutement géographiquetrès large de cette spécialitépermet une plus grandemixité sociale alors que lebac pro Techniques d'usi-nage de l’établissement ac-cueille majoritairement desélèves venus des quartiersproches et moins favoriséscomme la Meinau, Neu-dorf, le Neuhof ou l'Elsau.Un recrutement qui faitparfois la mauvaise réputa-tion de la filière auprès desélèves. « C'est un cercle vi-

cieux! Certaines filières sontainsi moins réputées, les élèvesles demandent donc moins,etc. », souligne Michel Juchs.En 2008, 412 candidats enFrance ont présenté un bac proÉbénisterie contre 2684 pour laspécialité Techniques d’usinage.La sélectivité ne garantit paspour autant l’accès au travail :les diplômés de mécanique sevoient offrir plus de débouchésprofessionnels que les élèvesdes filières Bois. Tourneur-frai-seur, travail à la chaîne, contrô-leur de production dans l’indus-trie automobile, aéronautique,mécanique ou dans la fabrica-tion de biens de consommation,les emplois potentiels nemanquent pas en Alsace pourles bacheliers en Techniquesd’usinage.

Anaëlle Penche

ARIÉ, 19 ans, les cheveuxbruns et un piercing à l’ar-cade sourcilière, étudie en

bac pro Techniques d’usinage(tourneur-fraiseur) au lycéetechnologique et professionnelCouffignal de Strasbourg.Après avoir commencé un bacsciences et technologies indus-trielles, il s’est réorienté en fi-lière professionnelle méca-nique. « Pas vraiment parintérêt pour la filière mais pargoût du travail manuel,comme plusieurs élèves de maclasse », explique le lycéenqui aurait préféré s’inscrire enbac pro Aéronautique, unespécialité très recherchée.L’important pour lui était depouvoir trouver rapidement dutravail après son bac.

Hiérarchie sociale. Tho-mas, 17 ans, a hésité quelquetemps entre la pâtisserie et lesmétiers du bois. Ce fils d’ébé-niste a finalement choisi desuivre la voie familiale et s’estinscrit en CAP puis en bac prodans le même lycée qu’Arié.« Pour le salaire et la recon-naissance », précisele jeune homme, lesourire aux lèvres.Pour le chef d'atelierd'un lycée techniqueet professionnel alsa-cien, il existe unehiérarchie entre lesfilières profession-nelles jugées nobles,comme l’ébénisterie,et les sections méca-n i q u e s t o u j o u r smoins réputées. Les premières ac-cueillent plutôt desfils d'artisans ou depatrons de PME, nés« des copeaux debois dans les che-veux » et destinés àreprendre l’entreprise fami-liale. Les autres connaissent unpublic un peu moins favorisémais plus métissé. « Lesmeilleurs en 3e choisissent leurorientation, les autres se re-trouvent dans des classes sous-valorisées », commente d’unair résigné le responsableéducatif.

Facilité d’embauche. Se-lon Michel Juchs, chef d'atelierau lycée Couffignal de la Mei-nau, le désamour de certainesspécialités s'explique d'abordpar l'image qu’elles véhiculent.« Dans artisanat, il y a art.Cela fait plus rêver que méca-nique, sourit l'enseignant. Etpuis le métier de menuisier oud’ébéniste se transmet d’unegénération à l’autre », commel’entreprise familiale et le statut

Chez les apprentis, le boisreste la matière noble

DiscriminerC’est interdireou limiterl’accès d’unepersonne à unemploi, unlogement, àdes biens etdes servicesou à uneformationpour desraisonsinterdites parles loisfrançaises.18 critères dediscriminationsont reconnuspar la loi :l’âge ; lesexe ;l’origine ; lasituation defamille ;l’orientationsexuelle ; lesmœurs ;les caractèresgénétiques ;l’appartenancevraie ousupposée àune ethnie,une nation,une race ;l’apparencephysique ; lehandicap ;l’état desanté ; l’étatde grossesse ;le patronyme ;les opinionspolitiques ; lesconvictionsreligieuses ;les activitéssyndicales.

L’AgefiphL'Associationde gestion dufonds pourl’insertion despersonneshandicapéesest uneassociationprivée auservice despersonneshandicapéeset desentreprises.Elle leurapporte aide,conseils etl'appui d'unréseau deprestatairessélectionnéspar ses soins.Elle doitaméliorerl'accès àl'emploi destravailleurshandicapésdans lesecteur privé,aider lesentreprises àles recruter etapprofondir laconnaissancede lapopulation activehandicapée.

Alors que les métiers du bois, considérés commenobles, attirent des fils de patrons et d’artisans, les filières de techniques d’usinage accueillent un public moins favorisé.

Thomas, 17ans et fils

d’ébéniste,a décidé desuivre lestraces deson père.

Anaë

lle P

ench

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©Ha

lde

Montage à partir d’une affiche de la campagne d’informationmenée par la Halde en décembre 2006.

e à la traîne

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12 - AVRIL 2009 - n°96 - NEWS D’ILL

DANS L’ENTREPRISE.

Une charte à l’épreuve du terrainMoins d’une entreprise alsacienne sur mille a signé les engagements de la Halde sur la diversité. Les raresbonnes intentions en la matière ont peu d’impact sur l’emploi des femmes et des personnes handicapées.

MarineFuhrmann,

17 ans, mal-entendante,travaille au

serviced’une

entreprise deplâtre qui

s’estengagée à

respecter lacharte de la

diversitéproposée par

la Halde.

EN quatre ans, seules 34des 57000 entreprisesalsaciennes ont signé lacharte de la diversité dela Haute autorité delutte contre les discri-

minations (Halde). Moinsd’une sur mille. Pourtant,cette charte n’a rien decontraignant, demandant seu-lement aux entreprises de« promouvoir l’application duprincipe de non-discrimina-tion », de l’embauche à la pro-motion en passant par le sa-laire.Cet engagement s’est notam-ment traduit, dans l’entreprisede plâtre Werey Stenger, parl’embauche en septembred’une apprentie malenten-dante. « Je n’ai eu aucune dif-ficulté pour trouver cet ap-prentissage, témoigne MarineFuhrmann, 17 ans. WereyStenger est la première entre-prise que j’ai démarchée, et ilsm’ont très vite acceptée. » Sonchef, Roger Wachenheim, pré-cise : « Marine lit sur leslèvres. Ce qui n’a pas posé deproblème d’intégration. »

« Pas de souci de discrimina-tion » non plus pour Youri De-roche, Guadeloupéen, qui tra-vaille depuis plus d’un an dansla société de services aux en-treprises Golden Facilities àIllkirch, signataire de la charte.« C’était la première entre-prise que je contactais après lafin de mes études, elle m’a ditoui directement », explique-t-il. Pour son patron, FrédéricMoulard, quand « la questiond’embaucher une personne is-sue de la diversité s’est posée,j’ai tranché. Mes clients, c’esttout le monde. Cette différencede couleur donne donc l’imaged’une entreprise humaine, aucontact des évolutions so-ciales. »

Statuts différents. L’entre-prise d’industrie et deconstruction Sotralentz, plusambitieuse, agit sur troisfronts : l’insertion des femmes,des personnes d’origine étran-gère et des handicapés.« Aujourd’hui, dans notre en-treprise, on retrouve desfemmes à tous les niveaux de

hiérarchie », se félicite CaroleRoeser, déléguée syndicale FO.« Nous avons une femme direc-trice financière adjointe pourle groupe, une autre directricedes ressources humaines dansune filiale et une jeune de 29ans directrice de production »,détaille Eric Daliguet, le direc-teur des ressources hu-maines. La majorité desfemmes ont un postedans l’administration deSotralentz, maisquelques unes œuvrentdans les ateliers : sur lesquelque 200 chaudron-niers et soudeurs,quatre sont des femmes.« Certes, c’est peu,concède Eric Daliguet,mais nous avons desdifficultés à trouver desfemmes dans nos mé-tiers physiques. »Par ailleurs, chez Sotralentz,« la direction s’est dit qu’iln’était pas normal que 50%des soudeurs mais pas un seulchef de poste soient d’origineétrangère », souligne Eric Da-liguet. Il n’y en a toujours pas

car l’homme d’origine turquequi a été promu est seulement« adjoint au chef d’atelier »,reconnaît le DRH. « Ce salariéfait le même travail qu’un chefd’équipe !, s’insurge DenisBauer, de la CGT. En plus, enétant adjoint, il garde le statutd’ouvrier alors que la per-

sonne qu’il a remplacéeavait le statut et le sa-laire de chefd’équipe ! » Et le syn-dicaliste d’ajouter :« Je ne dis pas qu’ilsfont cela par racisme,mais sans doute pourdes raisons écono-miques. La directionjoue sur les mots en di-sant qu’elle promeut unadjoint. »

5200 euros d’amende.Pour favoriser l’intégration deshandicapés dans les entreprises,la loi a prévu des quotas. Touteentreprise d’au moins 20 salariésdoit compter 6% d’handicapéssous peine d’une amende com-prise entre 3500 et 5200 eurospar salarié handicapé manquant.

« Aucunhandicapéne s’est ja-mais pré-

senté à unede nos

offres d’em-ploi. »

CatherineSiffermann,gérante de

Dimaco

Chris

toph

e Zo

ia/C

uej

La charteDepuis

octobre 2004,la charte de ladiversité inciteles entreprises

à garantir lapromotion etle respect de

la diversitéculturelle,

ethnique etsociale dans

leurs effectifs.En la signant,

ces entreprisess'engagent à

éviter touteforme de

discriminationet à mettre en

place unedémarche enfaveur de la

diversité.Jusqu’à

présent, 2213entreprises en

France l’ontsignée, dont

34 en Alsace.

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NEWS D’ILL - n°96 - AVRIL 2009 - 13

DANS L’ENTREPRISE.

Sotralentz, qui ne comptait passuffisamment d’handicapésparmi ses salariés pour remplirles quotas, a lancé il y a environun an un recrutement spécifiquepour 23 handicapés physiques.Pour Eric Daliguet, « c’est unfiasco ».Seuls neuf handicapés ont ré-pondu et trois ont quitté la for-mation en cours de route. Pouremployer davantage d’handica-pés et pour pouvoir reclasser lesemployés victimes de maladieou d’accident, la directioncompte réintégrer au sein del’entreprise les activités de net-toyage et de sécurité, qui étaientjusque-là sous-traitées. Un pro-jet qui semble faire l’unanimité.« Ils ne le font pas parce qu’ilsont bon cœur, mais pour ne paspayer d’amende », affirme le dé-légué CGT. « Ce qu’on fait au-jourd’hui pour intégrer les han-dicapés nous coûte bien pluscher que verser la taxe pour lesquotas », assure de son côté leDRH. En 2010, l’amende payée par lesentreprises qui ne remplissentpas les quotas de personnelshandicapés va être multipliéepar trois. « Nous voulons favori-ser l’embauche de ces personnespour atteindre les quotas, sou-ligne Alfred Abert, directeur ad-ministratif pour la région Est dugroupe de transport et de logis-tique Heppner, lui aussi signa-taire de la charte de la Halde.Mais il est difficile de trouver lespersonnes compétentes pour lespostes proposés. » CatherineSiffermann, gérante de la PMEindustrielle Dimaco à Wolfi-sheim, assure qu’« aucun handi-capé ne s’est jamais présenté àune de nos offres d’emploi ».

Rien de concret. Si, dans lediscours, les entreprises signa-taires de la charte mettent enavant leur volonté d’embau-cher des personnes issues desminorités, cela ne se traduit pastoujours dans les actes. Rien despécial n’a été mis en place, parexemple, dans la PME Oxalis,un organisme de formationcontinue. Rien non plus dansdes sociétés plus grandescomme Würth, spécialisée dansl’outillage, qui compte 3600salariés en France, dont envi-ron 900 en Alsace : « En réa-lité, nous avons toujours eu unepolitique de promotion de la di-versité », assure Gaëlle Sil-vestre, la responsable de lacommunication. Basée à Souf-felweyersheim et Haguenau,l’entreprise de contrôle tech-nique et de l’expertise automo-bile Casterot met en avant« une femme parmi nos contrô-leurs techniques ». Sauf quecette employée n’est restéequ’une semaine en poste. Enremplacement. Plus inattenduencore est l’aveu du directeurgénéral de l’entreprise stras-bourgeoise de stockage de pho-tos KoffeeWare : « Je ne savaismême pas que nous avionsadopté la charte de la diver-sité. » De quoi remettre encause l’efficacité d’une tellecharte.

Christophe Zoia

Quand l’âge nourrit l’échec

EN Alsace, un chômeur sursept a plus de 50 ans. Maisplus la durée d’inactivité

s’allonge, plus la part des « se-niors », comme l’ANPE lesappelle, augmente. « En chô-mage de longue durée, ils sontmême plus de la moitié », ex-plique Michèle Forté, ensei-gnante chercheuse au sein del’Institut du travail de l’Uni-versité de Strasbourg.Les quinquas en recherched’emploi doivent lutter contredes préjugés encore très répan-dus. « On estime qu'un quin-qua n'a pas d'avenir, qu'il amoins de punch, est moinsmalléable et trop cher, ex-plique Dolly Kracher, prési-dente de l'association Quin-qua67. Résultat : leurcandidature est souvent rejetéedès la lecture du CV. »Et plus les refus s’accumulent,plus ils doutent, dépriment.Pierre Lorentz, psychologuedu travail, a pu observer cesmécanismes au cours de l’ate-lier qu’il anime une fois parmois au sein de Quinqua67 :« Recevant peu de réponses,les quinquas commencent à fo-caliser sur leur âge, vu commel’unique raison de l’échec. Ilsse renferment sur eux-mêmes,parce qu’ils ont le sentiment dene rien pouvoir y changer. »

Parrainage des seniors.D’autant plus que la perte d’unemploi s’accompagne de laperte du réseau professionnel.Pour lutter contre cet isole-ment, une action-pilote de par-rainage des seniors est menéeen Alsace depuis octobre 2008.Douze anciens cadres diri-

Souvent rejetés par les entreprises dès la lecture de leur CV, les plus de 50 ans focali-sent sur leur âge et dépriment. Lutter contre les préjugés fait partie de leur quotidien.

Bernard (à droite), chômeur depuis trois ans, participe à un atelier de création d’entreprises proposé par Quinqua67.

Auré

lien

Bret

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Quinqua67L’association a

été créée en2004 pour

contribuer auretour à l’em-

ploi de sesmembres parune entraidemutuelle, lepartage des

adresses et ré-seaux et desmesures de

soutien spéci-fiquement

adaptées aupublic des 50

ans et plus.

geants âgés de plus de 50 ansont été mis en relation avecdes collègues en pleine acti-vité, plus jeunes, afin qu’ils lesaident dans leur démarche deretour à l’emploi.« Le parrainage doit avanttout permettre aux quinquas deremettre le pied à l’étrier, dereprendre confiance en eux »,explique Sylvie Vigneron,chargée de mission à la Co-pire, un organisme paritaire re-groupant salariés et em-

ployeurs, partenaire de l’opé-ration. Ici, il s’agit d’abord de décro-cher des entretiens. « Les pre-miers retours sont très posi-tifs, annonce Angèle Rieffel,animatrice du réseau de parrai-nage au centre de ressourcesCrapt-Carrli. Tous ont décro-ché au moins un entretien.L’un d’entre eux a même re-trouvé du travail et un autreest en négociation avancée. »

Aurélien Breton

Cinq chômeurs témoignent« Je laissais la voiture au garage pour que les voisins ne voientpas que je n’allais pas travailler. »Bernard, 53 ans. Ancien responsable de filiales françaises d’un groupe industriel allemand. Au chômage depuis 2006.

« Chaque journée devient une succession d’espoir et de lassitude. »Agnès, 51 ans. Démotivée, elle alterne les périodes de travail et de chômage depuis une dizaine d’années.

« Pour un quinqua, perdre sonemploi s’apparente à uneperte d’identité. Tout s’ef-fondre autour de vous. J’aimis un an à faire le deuil demon dernier emploi. Je lais-sais la voiture au garage pourque les voisins ne voient pasque je n’allais pas travailler.Et les échecs successifs nesont pas faits pour remonter le

moral. Dernièrement encore,j’avais décroché un entretienpour un poste qui correspon-dait parfaitement à mon pro-fil. Mais deux jours avant, lerecruteur m’appelle pour an-nuler parce que je ne corres-pondais plus au cahier descharges. À la première lecturede mon CV, son doigt avaitcaché mon âge. »

« Plus j’avance en âge, plus jevis difficilement la recherched’emploi. Chaque journée de-vient une succession d’espoiret de lassitude. Je suis toujoursen train de me dire : “Aujour-d’hui, tu n’as rien eu, maispeut-être que demain tu décro-

cheras un entretien.” Certainsjours, cela demande beaucoupd’énergie. Sans véritable ob-jectif dans la journée, il fautvraiment aller chercher aufond de soi pour se lever, s’ha-biller et reprendre la re-cherche. » lll

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14 - AVRIL 2009 - n°96 - NEWS D’ILL

DANS L’ENTREPRISE.

LE 27 février, quelquespersonnes manifestentdevant l’agence Pôle em-ploi à Guebwiller (Haut-Rhin) : le mouvementd’extrême-droite Alsace

d’abord proteste contre une dé-cision de l’agence, qui a refuséde diffuser une offre d’emploiexigeant la connaissance del’alsacien. Elle émanait d’uneentreprise d’entretien des es-paces verts qui cherchait unpaysagiste, un travail qui ne né-cessite pas de contact directavec des clients. « Commel’employeur ne souhai-tait pas retirer la men-tion du dialecte, on n’apas publié son annonce,explique Stéphanie Le-moine, directrice duPôle emploi. Et nousavons le droit de refuserune annonce si elle negarantit pas l’égalitédes chances. »

Un précédent. Selon MichelPfister, chef de cabinet du direc-teur régional de Pôle emploi àStrasbourg, « l’alsacien n’a pasle statut juridique d’une langue.Il n’existe pas à l’écrit, n’a pasde grammaire et n’est enseignéque dans la région. Une languene peut s’apprécier que si l’em-ployeur peut déterminer le ni-veau qu’il exige de son futuremployé (débutant ou intermé-diaire, parlé ou écrit, courantou technique), ce qui n’est pasle cas des dialectes régio-naux ». Dans ce cas, poursuit-il,faire de l’alsacien un critèred’embauche dans une annonce« renvoie seulement à une sé-lection par l’origine et est doncdiscriminatoire. Après, l’entre-prise peut prendre sa décisionau moment de l’entretien. »D’après les connaisseurs dudossier, la petite annonce deGuebwiller constitue un précé-dent. La Halde (Haute autorité

de lutte contre les discrimina-tions et pour l’égalité) a été sai-sie en février 2009 à la demandedu Conseil régional qui souhai-tait un avis de portée généralesur l’usage du dialecte dans lemilieu professionnel. « Sur leslangues régionales, nousn’avons été saisis que deux foisdepuis notre fondation, ex-plique-t-on au siège parisien del’organisation. La première fois,il s’agissait d’un particulier, ré-sident à Strasbourg, convaincude ne pas avoir obtenu un posted’ouvrier technicien parce qu’il

ne parlait pasalsacien. » Les dossierssont en cours d’examen.Pharmacien et directeurde l’école de formationau sein de l’Initiativefrancaise du marketingofficinal (IFMO), Jean-Luc Bury propose de-puis environ cinq ansdes cours d’alsaciendestinés aux pharma-

ciens. Avec Raymond Bitsch,auteur de multiples pièces dethéâtre en alsacien et d’un dic-tionnaire français-alsacien en2004, il tente d'initier étudiants,formateurs ou professionnels àla langue régionale.

Favoriser le contact. Il aégalement créé en coopérationavec l’Office pour la langue etla culture d’Alsace (Olca) undictionnaire adapté au domainede la santé. « On a senti que laconnaissance de l’alsacien ser-vait à améliorer la convivialitéavec les clients âgés », préciseJean-Luc Bury. La faculté depharmacie de l’Université deStrasbourg propose égalementune brochure avec les noms desmaladies et des médicaments enalsacien. Mais la méthode choi-sie pour favoriser le contactavec la clientèle dialectophoneest différente. « Depuis une di-zaine d’années, quelques tra-

Considéré comme un critère discriminant à l’embauche, le dialecte alsacienpeut être un atout, notamment pour l’accueil des personnes âgées.

Qui se sert de l’alsacien ?

« Parler alsacien

améliore lesrelationsavec les

personnesâgées. »

Jean-LucBury(Olca)

AlsacienEn 1999,545 000 per-sonnes décla-raient parlerl’alsacien enFrance, dont500 000 enAlsace, faisantde ce dialectela deuxièmelangue régio-nale derrièrel’occitan.

lll« J’en voulais à la Terreentière, mais aussi à moi-même. »Hervé, 50 ans. Ancien tech-nico-commercial dans l’indus-trie du bâtiment. Au chômagedepuis fin 2007.

« Je suis incapable de dire àcombien de postes j’ai postulétellement j’ai envoyé de candi-datures. Au mieux, je recevaisune réponse sur dix lettres en-voyées, généralement négative.C’est une situation difficile àvivre. En plus, comme j’habitedans un petit village à côté deSaverne, j’avais l’impressiond’être seul. J’étais partagé entrel’incompréhension et la ran-cœur. J’en voulais à la Terre en-tière, mais aussi à moi-même.Heureusement, ma femme m’abeaucoup soutenu et a réussi àme trouver quelques missionspar son travail. »

« À force d’entendre quemon âge est le problème,je me suis fait une raison. »Thibert, 58 ans. Ancien res-ponsable de filiale d’une so-ciété d’ingéniérie électrique.Au chômage depuis trois ans,bientôt en fin de droits.

« La première année, j’ai en-voyé plein de demandes. Envain. En insistant un peu, unconseiller a fini par me dire quecertaines entreprises lui de-mandaient explicitement de neprésenter aucun quinqua. Maisça, personne ne vous le dit ja-mais en face. À force d’en-tendre que mon âge est le pro-blème, je me suis fait uneraison. Même si grâce au par-rainage lancé par le Medef, j’aipeut-être une opportunité, jevais sûrement continuer à en-chaîner les missions ponc-tuelles jusqu’à la retraite.D’ailleurs, je prépare déjà mondossier pour que tout soit prêtquand je déciderai d’arrêter. »

« Parfaite pour le poste,mais trop chère pour nous. »Catherine, 52 ans. Ancienneresponsable d’une agence detourisme à Strasbourg. Au chô-mage depuis avril 2007.

« Au début, je pensais retrou-ver du travail rapidement parceque l’expérience compte beau-coup dans le domaine du tou-risme. Après une cinquantainede lettres sans réponse et unedouzaine d’entretiens où onm’a dit “Vous êtes parfaite pourle poste, mais trop chère pournous”, je me suis découragée.Je me sentais obligée de mejustifier auprès de mes amis. Jene voulais pas qu’ils puissentpenser qu’ils travaillaient pourpayer mes allocations. Aujour-d’hui, je n’ai plus beaucoupd’espoir d’être embauchée parune agence de tourisme, alorsj’ai décidé de créer ma propreentreprise. Si tout va bien, danssix mois, je serai courtier envoyages. »

Des membres d’Alsace d’Abord manifestent devant le Pôle emploi de Guebwiller. Ils contestentla décision de l’agence de ne pas publier une annonce qui demandait la pratique de l’alsacien.

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Taux dechômageLe taux dechômage estle pourcen-tage de chô-meurs dans lapopulation ac-tive (actifs oc-cupés + chô-meurs). Autroisième tri-mestre 2008,il s’élevait à6,3% en Al-sace, contre7,3% dansl’ensemble dupays.

vaux pratiques se déroulent enallemand. Ainsi, on peuts’adresser aux clients venantd’Allemagne. Et les non-dialec-tophones s’adresseront égale-ment en allemand aux clientsâgés parlant alsacien », ex-plique Jean-Michel Lantz, duservice scolarité de la faculté.Nombre de personnes âgéesdont s’occupent les structuresde santé en Alsace ont connuune période de scolarisation enallemand.

Pas obligatoire. Au final,beaucoup de professionnels es-timent que la connaissance del’alsacien n’est pas indispen-sable à l’exercice d’un métier,quel qu’il soit. « Parler le dia-lecte est un atout, mais pouravoir un poste chez nous, l’es-sentiel est le diplôme et le per-mis de conduire, souligneEmmy Lagouge, infirmière aucentre de soins infirmiers dessœurs du Très saint Sauveur àSaverne (Bas-Rhin). Durantl’entretien d’embauche, cen’est pas une question qui estposée. » À l’Association haut-rhinoise d’aide aux personnesâgées à Mulhouse, les em-ployés dialectophones sont si-gnalés sur le planning de tra-vail, « au cas où une personneâgée préfèrerait parler alsa-cien. Mais on ne peut pas tou-jours répondre aux besoins ».Selon Catherine Sosianski,chargée de recrutement dans ceservice de 2600 employés quicouvre tout le Haut-Rhin, cesdemandes ne concernent pasque l’alsacien. « Avec l’âge, lespersonnes retombent souventdans leur langue maternelle.Ça peut être l’alsacien maisaussi le turc ou le polonais.Mais toutes les personnesâgées alsaciennes maîtrisentplus ou moins le français au-jourd’hui. »

Imke Plesch

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NEWS D’ILL - n°96 - MARS 2009 - 15

DANS L’ENTREPRISE.

Apprendre à lire et à écrireles mots de l’entreprise11% des salariés alsaciens ont des difficultés importantes face à l’écriture de la languefrançaise. Des enseignements basés sur le vocabulaire professionnel sont dispensés.

à deux cours d’une heure etquart par semaine. Lesséances sont principalementaxées sur le vocabulaire pro-fessionnel « pour mieuxles intégrer dansl’entreprise ». Pour le peintreen bâtiment, mieux vaut sa-voir reconnaître un pinceau à

virole coudée qu’un fu-tur antérieur. Les blan-chisseuses doivent maî-triser le nettoyage à secdavantage que l’impar-fait du subjonctif.

Pas de tableau noir.Dans les locaux de Re-travailler, quai de Zorn,une trentaine de sala-riés d’entreprises d’in-sertion se retrouventpar groupes de niveau,

trois heures par semaine, pourperfectionner leur connais-sance de la langue de Molière.Ici, tableau noir et tables ins-tallées en rang sont proscrits.« Il ne faut pas que cela leurrappelle l’école, précise Au-drey Jacquot qui enseigne lefrançais. L’important est dedonner du sens à ce qu’onleur apprend. »Les exercices prennent racinedans la vie quotidienne : re-cette de cuisine pour ap-prendre l’impératif, lectured’un plan de ville, etc.En Alsace, 11% des personnesayant un emploi rencontrent

des difficultés avec l’écrit,contre 8% sur le territoire na-tional*. « On est très loin del’idée reçue du débile ou dujeune qui écrit en phonétique,façon SMS », constate Natha-lie Jecker-Wassmer, chargé demission sur la lutte contrel’illétrisme au Crapt-Carrli(lire ci-contre). Un enfant met environ 700 à1200 heures pour apprendre àlire. Impossible pour un tra-vailleur de libérer autant detemps. Surtout que les profilstrès divers des employés né-cessitent un travail plus im-

portant. Certains immigrésn’ont aucune notion de fran-çais. D’autres ont été scolari-sés en France, mais avec unparcours très chaotique. D’oùl’idée de leur enseigner lalangue à partir de leur envi-ronnement professionnel.

Trois ans à l’école. Solu-tion miracle pour lutter à lafois contre l’illettrisme et pours’intégrer par le travail ? Laréalité s’avère plus complexe.Viviane Desportes comme Au-drey Jacquot ont toutes deuxdes exemples d’élèves quiviennent en traînant des pieds.À partir de 50 ans, il est plusdifficile d’apprendre.Employée dans une entreprisede restauration industrielle,Béatrice, 46 ans, est ravie descours qu’elle prend : « Pourmon problème d’écriture, çam’aide bien. » Elle poursuit :« Mes parents ne parlaientque le dialecte alsacien. J’aifait trois ans à l’école pri-maire, c’est tout. Ensuite, onm’a mis dans une école deperfectionnement où je n’aijamais vraiment appris à lireet écrire. »

Tard pour changer de vie.Si elle vient de bon cœur dansces cours, elle reste lucide surleurs impacts dans sa vie. « Àmon âge, c’est un peu tardpour changer de vie. Quand laCAF (Caisse d’allocations fa-miliales) m’envoie une lettre,je dois la montrer à des gensde Retravailler pour qu’ilsm’expliquent certains motscompliqués. Ça ne changerapas. » Selon l’Union régio-nale des structures d’insertionpar l’activité économique (Ur-siae), 413 salariés alsacienssont passés en 2008 par desstructures – entreprises, as-sociations, chantiers d’inser-tion – pour les aider à amélio-rer leur connaissance de lalangue française.

Mathieu Galtier

* Selon l’enquête information et vie quoti-dienne (IVQ) menée par l’Insee en 2004portant sur les personnes âgées de 18 à 65ans. La différence s’explique en partie parla tendance des Alsaciens à suivre desétudes moins longues que le reste desFrançais.

D’ORIGINE turque, Sa-riye, jeune femme ti-mide d’une trentained’années, est arrivéedans l’entreprise d’in-sertion Proxim, il y a

quatre ans, ne sachant quequelques rudiments de fran-çais. Aujourd’hui, elle est chefd’équipe dans le sec-teur du nettoyage. Elle a réussi en 2008sa formation quali-fiante. « Je voulais de-venir autonome, ex-plique-t-elle dans unfrançais hésitant maiscompréhensible. Mêmeen dehors du travail, jepeux parler. »Viviane Desportes estemployée à pleintemps par Proxim,basé dans le quartier défavo-risé du Neuhof, pour donnerdes cours de français. Avantd’atteindre sa salle de classe,il faut traverser la pièce où sè-chent les blouses de travail.« Mes élèves sont des em-ployés avant tout, explique-t-elle. Je dois tenir compte deleur emploi du temps pourconstituer mes groupes. »Proxim emploie 113 salariés,dont 80 en contrat d’insertion,répartis sur trois activités : bâ-timent, nettoyage et blanchis-serie. Majoritairement d’ori-gine étrangère, les salariés eninsertion sont tenus d’assister

Crapt-CarrliCentre régio-nal d’appuipédagogiqueet technique -Centre d’appuiet de res-sources régio-nales pour lalutte contrel’illettrisme.Cet organismeest chargéd’accompa-gner régiona-lement les po-litiquespubliques enmatière d’in-sertion profes-sionnelle.

« L’impor-tant est dedonner dusens à ce

qu’on leurapprend. »

AudreyJacquot,

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Dans cette entreprise, les cours varient selon les niveaux d’alphabétisation.

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16 - AVRIL 2009 - n°96 - NEWS D’ILL

A L’ECOLE.DANS LA CITÉ. De Ferrette à Mertzwiller, la vie de citoyens peu ordinaires.

Raida Bouazza veille sur WissembourgPilier de l’équipe de foot pendant 25 ans, il a hérité de son père l’esprit de la République.

Avec la compagnie Potimarron, ils jouent le rôle de leur vie Réfugiés, militants ou simples citoyens montent sur scène pour incarner l’étranger qui débarque en Alsace.

UN Africain passe devant lacommission de recours desréfugiés. Les fonction-

naires, deux femmes et unhomme, ont l’air blasé, distant.Presque agacé. « Est-ce qu’ilparle français ? », demandeune des deux femmes. « Oui »,dit l’avocat. « Je veux que cesoit lui qui réponde », réplique-t-elle sèchement. Chaque dos-sier se conclut abruptement parla même sentence : « Réponsedans trois semaines.»Les réfugiés ne sont pas vrai-ment réfugiés, les fonction-naires pas de vrais fonction-naires. Ce sont des acteurs etcet échange a lieu lors de l’ate-lier hebdomadaire des comé-diens de la compagnie Potimar-ron, fondée en 1983 parJean-Michel Sicard, comédiendu Théâtre national populairede Jean Vilar. La séance de tra-vail fait partie de l’élaborationd’une pièce sur le thème :« Quels effets provoquent surle corps social l’accueil del'étranger aujourd'hui en Al-sace, en France, en Europe ? »Jacqueline Martin, une des res-ponsables de la compagnie, ex-plique : « La particularité de

DANS son petit bureauau deuxième étage del’imposant Hôtel deville de Wissembourg,Raida Bouazza, chefde la police munici-

pale, peste contre son nouvelordinateur. La peau tannée, lescheveux bruns virant au poivreet sel, les yeux clairs, cethomme de 41 ans aux traitsfins est le benjamin d’une despremières familles nord-afri-caines à s'être installées « aupôle nord de l'Alsace ». Raidaironise volontiers sur sa cou-leur de peau : « A l'école pri-maire, j'étais le seul Suédois. »Sur l’étagère, devant les livresde lois et les dossiers adminis-tratifs, trône une photode son père lors de lacérémonie qui en a faitun chevalier de l’Ordrenational du mérite, en1996, pour son engage-ment dans l’associationdes rapatriés d’Algériedu Bas-Rhin. MoktarBouazza vient de rece-voir sa médaille, il setient à part. Son visagerayonne d'un bonheur mo-deste, mais profond. Un bon-heur souligné par les visagesfermés des militaires autourde lui.

Il ne parle pas arabe. Cepère, décédé en 2005, était lesocle de la famille. Né en 1919dans la région d'Oran, il estmobilisé pendant la guerre de39-45 et combat en Indochineen 1949. Sous le drapeau fran-çais, il reçoit plusieurs décora-tions. Il travaille dans les an-nées 50 comme fonctionnaireà la sous-préfecture de Né-mour, proche d’Oran. Après l’indépendance, il estincarcéré trois jours par la po-lice algérienne pour des « vé-rifications ». Quand il sort, ilaperçoit la liste des gens quil'ont « dénoncé ». Ce sont desvoisins. « Il ne s’est plus sentien sécurité, raconte Raida. Ilétait mis dans le même sac queles harkis, alors il a décidé dequitter le pays » et rejoint

Wissembourg, la nouvelle af-fectation du sous-préfet PierreNorth pour lequel il travaillait.Il obtient un poste au servicedes douanes à Lauterbourg. Ja-mais il ne retournera au bled etmettra beaucoup de temps àlaisser sa femme aller voir safamille. « En 1983, avec monfrère, nous avons réussi à leconvaincre et nous avons ac-compagné ma mère, insisteRaida. Mais il avait très peurqu’on ait des problèmes carelle ne savait pas lire. »Raida Bouazza aime se mettreen scène. Souvent, ses phrasescommencent par « je vais vousfaire une confidence ». Il a unléger accent alsacien. Il le

parle, et l’allemandaussi. Sa compagne estoriginaire de l'autre côtédu Rhin. En revanche, ilne parle pas arabe, il lecomprend seulement. Son approche de l’inté-gration est pragmatique.« Il ne faut pas trop mar-quer sa différence. Ilfaut se demander : “Est-

ce que je fais le maximum pourm’intégrer ?” et trouver uncompromis culturel et psycho-logique entre ses origines et larégion où l'on vit. » Ses cinq frères et sœurs ont lafibre musicale, mais lui, sapassion, c’est le foot. De 7 à32 ans, il a porté les couleursdu FC Wissembourg. « Dansles années 1990, Raida sort àpeine du lycée et il joue dansl’équipe alors que le club évo-lue dans le championnat fran-çais amateur », se souvientson frère Kamel. Il gardera longtemps l’envie dedevenir footballeur profession-nel. Etudiant en langue puis ensociologie à Strasbourg, il esttous les week-ends sur les ter-rains. Si son bon niveau l'aaidé à être accepté, c'est durantles matches qu'il s’est le plusfréquemment heurté au ra-cisme. Pour cela, il admetavoir distribué « quelques châ-taignes ». Il est fier d’évoquerson amitié avec Roland Bloch,ancien président, juif, du FC

Wissembourg, qu’il désignecomme « un père spirituel ».Une ouverture d’esprit qu’il at-tribue à son père. « Au bac defrançais, je suis tombé sur unpoème de Victor Hugo, Boozendormi. L'examinateur m'aquestionné sur le contenu de laBible, j'ai séché. Mon père m'adit : “Bien fait pour toi, ça faitpartie de la culture”. » Malgrétout, la religion ne l’intéressepas vraiment : « J’aime plutôtce qui rapproche les peuplesque ce qui les divise. Et com-ment vivre en Alsace sansmanger du cochon et boire duvin ? »En 1987, il trouve un poste desurveillant à l’internat d’un ly-cée privé à Walbourg. Il y res-tera sept ans, jusqu’en 1994,quand il passe le concours depolice. « J’étais sûr de ne pasl’avoir, je le passais plus pourme tester. J’avais d’ailleursoublié d’aller voir les résul-tats, se rappelle-t-il. Ma co-pine de l’époque est arrivée,toute heureuse, et m’a dit “tues premier !” J’ai répondu :“Mince, il va falloir que j’yaille”. »

« Vous êtes d’ici ? » Aprèsavoir fait ses classes à l’écolede police de Strasbourg, il re-vient en poste à Wissembourg.Cinq ans plus tard, il fait le tra-vail d’un chef de service, maisn’obtiendra le grade qu’aprèsavoir passé le concours, en2004. « On a déjà entendu des ré-flexions sur le fait qu’il estd’origine étrangère, comme“ça devrait être un Françaisqui commande” mais ça resteune minorité et surtout ça re-lève de la rumeur, confie Yan-nick, brigadier depuis sept ansà Wissembourg. En revanche,il y a quelques années, on fai-sait un contrôle sur la voie pu-blique et un ancien s’approchede nous. Il regarde Raida et luidemande “Vous êtes d’ici ?”,Raida répond qu’il habite Wis-sembourg. L’ancien insiste enle dévisageant de haut en bas :“Mais vous êtes d’où, pour devrai ?” Raida lui répond en al-sacien qu’il vient d’ici. L’an-cien, étonné, a eu un petitmouvement de recul, il estparti mais on voyait dans sesyeux qu’il n’y croyait pas. » Raida Bouazza tapote le dra-peau cousu sur la manche deson uniforme : « Je suis fier deporter les couleurs de laFrance. C’est une manièred'épouser la philosophie de laRépublique, à laquelle j'ad-hère totalement. J’aime cepays, cette culture. Je suis deculture française et d'originealgérienne. »

Sophie LebrunAdrien Potocnjak-Vaillant

Raida Bouazza(à droite) a éténommé chef dela policemunicipale deWissembourgen 2004. Sur laphoto du haut,son pèreMoktar Bouazzareçoit l’Ordrenational dumérite en 1996.

« Je suis deculture

française etd'origine

algérienne. »Raida

Bouazza

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NEWS D’ILL - n°96 - AVRIL 2009 - 17

DANS LA CITÉ.

notre projet, c’est qu’on ne seplace pas d’un point de vue in-dividuel mais du point de vuede la société. La politique d’ex-clusion a des effets : c’est lecas, par exemple, des gaminsqui, après avoir assisté à l’in-tervention de la police dans uneécole, font des cauchemars. Ilspensent que c’est la guerre etqu’on va leur prendre leurs pa-rents. Mais il y a d’autres typesde malaises, sur d’autres typesde personnes. Le corps socialest comme un corps vivant. Sion ampute un membre, c’esttout le corps qui souffre. »

Théâtre de l’opprimé. Der-rière un bric-à-brac d’anciensdécors et d’accessoires, la tren-taine d’acteurs présents, pour laplupart amateurs, sont assis encercle, dans un espace où le solest tapissé de vert et où leschaussures sont prohibées. Uneadolescente blanche à lunettescôtoie un nain basané, un petithomme aux airs de savant foudiscute avec une femme obèse,une jeune femme en joggings’entretient avec un quadragé-naire en costume soigné. Troissans-papiers sont là ce soir.

Basée à l’Elsau à Strasbourg, lacompagnie recrute beaucoup deses membres dans les associa-tions locales. « Certains n’ontjamais fait de théâtre de leurvie. Ils viennent ici parce qu’ilsont envie de faire quelquechose. Il y a des gens engrande difficulté socialedans ce groupe. C’estaussi un lieu d’intégra-tion, une mini-société,une ouverture aumonde », analyse Cathe-rine Charrier, actrice etpilier de la troupe. En 1995, elle découvrele théâtre de l’opprimé,aussi appelé théâtre-fo-rum, inventé dans les an-nées 60 par le brésilien Au-gusto Boal, et la compagnies’y convertit : « Le théâtre fo-rum permet à ceux qui y parti-cipent de démonter lesrouages et de montrer les mé-canismes cachés, d’apprendrepar le jeu comment fonctionneune commission de recours.C’est une manière de com-prendre autrement le fonction-nement de la société. Il estfondamental d’être acteur etpas uniquement spectateur. »

Jacqueline Martin supervise larépartition en quatre groupesd’une demi-douzaine d’acteurs.« Qui veut s’occuper du tribu-nal administratif ? » Certainsmettront en scène l’arrivée d’unmigrant en situation irrégulière,

d’autres la délation dupersonnel de l’hôpitaloù un sans-papier vientse faire soigner. Danschaque groupe, les rôlessont répartis et, petit àpetit, les histoires sestructurent. Le résultatest joué devant lesautres, puis retranscrit. D’autres séances au-ront lieu d’ici la pré-sentation de la pièce, à

l’automne. « Les acteurs ap-porteront des éléments d’infor-mation. Ensuite, les gens pour-ront monter sur scène etintervenir dans une situationqui les concerne, dans un es-pace où ils pourront s’expri-mer », explique JacquelineMartin. Ainsi, le spectacle seraune alternance de moments ré-servés aux acteurs et d’espacesplus ouverts, consacrant legenre du théâtre-forum.

Adrien Potocnjak-Vaillant

Les deuxacteursamateurssimulent unecommissionde recours :l’un jouel’avocat,l’autre unAfricaintorturé dansson pays etqui veutrester enFrance.

«Je ne suis pas encore rési-gnée, même si cela fait cinqans que l'on cherche à fon-

der une famille. Je suis trèsconsciente, en revanche, quenous vivons clairement une si-tuation de discrimination, sem-blable à celle de toute autre mi-norité qui a subi ou qui subitencore des discriminations enraison d'une particularité : cou-leur de peau, appartenance àune religion, à un sexe. Notre situation va forcémentchanger dans les décennies àvenir. Le changement est déjàenclenché. Ça va vite àl'échelle d'une société, maistrop lentement à l'échelle d'unindividu – surtout en France.C'est maintenant que je vou-drais, et que je peux, fonderune famille et non pas dans30 ans. La situation nous oblige donc à“bricoler” : faire des insémina-tions ou des fécondations in vi-tro en Belgique, adopter en Al-lemagne via les Etats-Unis, etc.Beaucoup partent à l’étranger.Je connais un Alsacien vivantavec un Allemand qui est partiaux Etats-Unis pour adopter.Dans le New Jersey, ils ont pufaire apparaître les noms desdeux pères sur l’acte de nais-sance et l’ont fait transposerdans les textes allemands. Ilsenvisagent aujourd’hui de fairede même en France. Quand onpart en Belgique, je pense par-fois à ces femmes françaises ouallemandes qui devaient partir àl'étranger pour subir un avorte-ment. Nous, on part à l'étrangerpour faire un enfant. C'est vrai,c'est assez absurde ! Nousavons déménagé à Kehl pourobtenir un agrément d’adop-tion, car en France cela auraitété presque impossible. Je dois préciser que l'union ci-vile allemande (Lebenspartner-schaft) est réservée aux couplesde même sexe et permet dechoisir l'un des deux nomscomme nom de famille. Autre-ment dit, ma compagne peutprendre mon nom de famille, jepeux adopter son enfant biolo-gique et en Allemagne tout lemonde portera le même nom.La France, en revanche, pour-rait porter plainte contre macompagne pour “usurpation denom”. C'est arrivé très récem-ment à un couple d'hommesfranco-allemand vivant à Mu-nich. Il serait urgent d'harmoni-ser les différentes formesd'union civile existant en Eu-rope. »

Propos recueillispar Florent Godard

* Le prénom a été modifié.

« Si on ampute un

membre du corps

social, c’esttout le

corps quisouffre. »

JacquelineMartin, duPotimarron

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« Une famillemaintenant,pas dans30 ans »Anna* est membre de l’As-sociation des parents gays etlesbiens (AGPL).

mpagnie Potimarron, ils jouent le rôle de leur vie imples citoyens montent sur scène pour incarner l’étranger qui débarque en Alsace.

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18 - AVRIL 2009 - n°96 - NEWS D’ILL

DANS LA CITÉ.

Les autres visages de la famille

Trouver un logement constitueune des principales difficultéspour les familles monoparen-tales. « J’ai des dettes et j’ai de-mandé une tutelle. Depuis un an,j’attends pour accéder à un lo-gement social », raconte Sandra.En Alsace, 30% des famillesmonoparentales habitaient unlogement HLM en 2005, contre15% de l’ensemble des famillesayant la charge d’un enfant demoins de 25 ans.

Problèmes de logement.« Nous sommes en manque delogement social. Les associa-tions comme la nôtre peuventinsister auprès des organismeslogeurs à Colmar, mais il n’y apas de priorité pour la famillemonoparentale », dit Chris-tiane Diemunsch, présidente del’Association syndicale des fa-milles monoparentales et re-composées à Colmar. Amélie*,20 ans, est une de ses adhé-rentes. Avec ses filles âgées de18 mois et 3 ans, elle occupe

un des deux apparte-ments provisoires del’association, ne payantque 50 euros par mois.« Loyer payé, il mereste 700 euros del’API », dit cette jeunemère, victime de vio-lence intrafamiliale.A 37 ans, Yvam, chargéde projet dans une entre-prise de bâtiment, faitpartie, lui, des 15% depères isolés en Alsace.

Adhérent à la même associa-tion, cet homme élégant avec lescheveux poivre et sel raconte :« J’y suis allé pour gérer le sen-timental. Au début je pleurais.Avant tout, je voulais savoircomment faire avec un enfant. »Christiane Diemunsch précise :« Nous proposons de l’écoute,de l’information et de l’accom-pagnement. Notre principe estd’interroger les gens pour qu’ilstrouvent eux-mêmes une optionqui leur correspond. »Yvam s’est séparé de la mère desa fille il y a quatre ans, quandEva avait 2 ans. Depuis, il vitavec l’enfant dans une moitié dela ferme de ses parents, dans unvillage du canton de Ribeau-villé. Ce jour-là, Yvam est en-rhumé. « Quand je suis maladeet qu’Eva ne l’est pas, c’est

des formations de sensibilisationà l’homophobie, en particulierpour les agents de la CUS. Noussongeons aussi à installer des ar-chives. C’est important deconserver la mémoire des homo-sexuels, notamment la recon-naissance de la déportation, et dela transmettre aux jeunes géné-rations. Il faut également despersonnes prêtes à s’investir. Cen’est pas parce qu’il y a plusd’associations qu’il y a plus deforces disponibles pour fairetourner la structure. Au début,tout le monde est partant. Au fi-nal, ce sont des gens qui portentle projet, pas les associations. »

Patrice Kantor, président del’association gay et lesbiennede randonnée Alsarando.« Le centre LGBTI est une pro-position qui a déjà été formulée

L’IMAGE d’une famille alsa-cienne traditionnelle etconservatrice reste vivace

dans les esprits. Pourtant,comme partout en France, denouveaux modes de vie s’impo-sent et bousculent ce modèle. Philippe Krafft, chargé de mis-sion à l’UDAF 67 (Union dé-partementale des associationsfamiliales), met ainsi en gardecontre la prégnance de ces re-présentations héritées de l’his-toire : « Cela me paraît un peu

hasardeux de dire que la famillealsacienne est réfractaire àtoute évolution du fait de sonancrage religieux et tradition-nel. Il faut se baser sur des in-dicateurs précis. »Et ceux-ci traduisent bien lesprofondes mutations du modèlefamilial rhénan. Divorces, Pacs,activité des femmes : tous ces in-dicateurs sont à la hausse. Aucours de l’année 2005, plus de4400 divorces ont été prononcésen Alsace, soit près de 20% de

plus qu’en 1999. Ces séparationsentraînent souvent une augmen-tation du nombre de familles mo-noparentales. Cette progression aété particulièrement importantesur la période 1999-2005 :+ 20% en Alsace, + 13,3% enFrance métropolitaine.Enfin, les femmes alsaciennestravaillent désormais autant quedans le reste de la France.D’une part, les communes etentreprises se sont équipées enstructures d’accueil pour les en-

fants. De l’autre, les femmes,en devenant chef de famille,doivent désormais garantir lesressources nécessaires à l’entre-tien de leur foyer.Une question reste encore en dé-bat. Celle des droits à accorderaux familles homoparentales.Mariage, adoption, inséminationartificielle : ces nouvelles pro-blématiques doivent maintenanttrouver leur place dans le pay-sage alsacien.

Anne Ilcinkas

En 2007,3250 pactescivils de solidarité(Pacs) ont étéconclus devant les tribunauxd’instance alsaciens, soit37% de plusqu’en 2006.Globalement,11 780 Pacsont été signésen Alsace depuis 1999,l’année deleur création.

Famillemono-parentaleFamille constituéed’un parentisolé et d’unou plusieursenfants(n’ayant eux-mêmes niconjoint, nienfant)

Les mères defamille mono-parentale sontplus fréquemmentau chômage(16% contre9% pour lesmères encouple).

Bientôt un centre gay et lesbienLes associations homosexuelles devront prendre en charge l’animation.

SANDRA, cheveux teintsen blond, fouille parmiles vêtements avec sonfils Lucas. Les traits ti-rés, elle fait plus que ses36 ans. Depuis 2004,

« Le Vestiaire » à Munster per-met aux personnes touchant lesminima sociaux de s’habiller àmoindre coût. Cinq t-shirts pourenfants : 1,50 euro. « C’est rareque j’achète quelque chose deneuf. Mes filles aînées n’aimentpas venir mais je connais leurstyle et souvent je leur trouvequelque chose. C’est ma sortiedu mois », s’emballe Sandra.Elle fait partie des 50 000 famil-les alsaciennes monoparentales,un chiffre deux fois plus élevéqu’il y a 20 ans.Vosgienne d’origine, Sandraélève seule ses cinq enfants,âgés de 17 mois à 18 ans et nésde trois pères différents. Aprèsune « phase difficile », dont elles'est tirée elle-même « par vo-lonté » et « pour ses enfants »,elle a un comportement décidé.« Ma famille ne m’a ja-mais soutenue », ditSandra qui n’a jamaisdemandé d’aide à uneassociation. « Je n’aipas envie de rencontrerles mêmes personnesque moi. » En ce moment, Sandrane travaille pas. « J’ai-merais suivre une forma-tion pour devenirconducteur de bus, maisobtenir le permis coûtecher. Je me débrouille avecl’API et les allocations fami-liales. » 5000 des mères isoléesbénéficient de l’allocation de pa-rent isolé (API), une ressourcenécessaire à leur survie.

API, RMI, RSA... Les fa-milles monoparentales consti-tuent 70 % des foyers qui ontdroit à la fois aux prestations fa-miliales, aux allocations loge-ment et à un minimum social.En juillet 2009, l’API et le RMIseront remplacés par le Revenude solidarité active (RSA). « Onattend encore les textes. Pourles mères sans travail, il y auraprobablement une forte incita-tion à se chercher un emploi »,estime Marcelle Treguer, délé-guée régionale aux droits desfemmes et à l’égalité.

DÉJÀ en discussion dans lesannées 90, le projet d’uncentre LGBTI (Lesbien, gay,

bi, transexuel et intersexe), pour-rait voir le jour en 2010. Confor-mément aux promesses faites parRoland Ries lors des électionsmunicipales, la Ville de Stras-bourg soutient la création de lanouvelle structure. Elle a déjàproposé plusieurs locaux. Les as-sociations formuleront leurs pro-positions à l’automne.

Youssef Labsate, président ducollectif d’associations gaysFestigays.« On voudrait, pour le futurcentre LGBTI, disposer d’uncafé associatif, d’un pôle santéqui donnerait des informationssur la prévention du sida, des hé-patites et du suicide. On propo-serait également un catalogue

dur », rigole-t-il. Sinon, il vit se-reinement avec sa fille. « J’aivoyagé beaucoup quand j’étaisétudiant. Maintenant ma prio-rité est tout autre. » Aujour-d’hui, Yvam a retrouvé une co-pine mais ils ne vivent pasensemble. Les pères alsaciensqui élèvent seuls leurs enfantss’en sortent mieux que lesmères : un sur deux est proprié-taire de son logement, contreune femme sur trois.« Mon ex est infirmière libérale,la garde partagée ne fonctionnepas à cause des horaires. Elle

voit Eva de temps en temps,confie Yvam. Mais ma mère ha-bite en dessous et m’aide. Lematin elle s’occupe d’Eva, àmidi et le soir c’est moi quim’en charge. À l’école mater-nelle, il y a un professeur quipense que l’enfant doit être édu-qué par la femme, raconteYvam. Je ne retiens pas ce dis-cours, c’est un non-sens. Il fautenvisager le meilleur intérêt del’enfant. Etre un homme ou pas,je m’en fiche. »

Anette Bender*Le prénom a été modifié.

Gays et lesbiennes se retrouvent aux randonnées de l’association Alsarando.

« J’ai beau-coup

voyagé.Maintenantma priorité

est toutautre. »Yvam,

père isoléd’Eva,6 ans

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La fragilité des parents isolésLes femmes sont à la tête de la grande majorité des 50 000 familles monoparentales d’Alsace.

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NEWS D’ILL - n°96 - AVRIL 2009 - 19

DANS LA CITÉ.

L’Église pentecôtiste internationale de Strasbourg (Epis) se veut « une porte vers l’intégration ».

En 2006,l’Alsace comptait150 commu-nautés évan-géliques (85dans le Bas-Rhin et 65dans le Haut-Rhin). La partdes chrétiensévangéliquesest deux foisplus impor-tante en Alsace qu’enFrance métro-politaine.Beaucoup decommunautéssont membresde l’Allianceévangéliquefrançaise oud’autres orga-nismes fédéra-teurs commela Fédérationdes églisesévangéliquesde France. Uneminorité adhère à laFédérationprotestante deFrance.Certaines sontcomplètementindépen-dantes.

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trale défilent les paroles deschants de louange.Dans l’assemblée bigarrée, onse lève et on s’asseoit à sa guisesous la lumière froide desnéons. Au fond de la salle, dansdes petits boxes, des interprètesassurent la traduction directe dusermon en arménien, russe et ta-moul. Une vingtaine de fidèlesdemandent des écouteurschaque dimanche.

Multi-culturelle. Aujour-d’hui, près de 50% des membresde l’Epis sont d’origine étran-gère, une part importante prove-nant d’Afrique noire et des An-tilles, mais aussi deThaïlande, d’Algérie, duSri Lanka, du Mexique.En tout, plus de quarantenationalités se croisentdans ce lieu de culte.Une constante, selon lepasteur Michel Scahnei-der, qui estime quel’Église évangéliques’est toujours distinguéepar sa grande mixité eth-nique et culturelle.« Tous les dimanches, jem’asseois à côté de quelqu’unde nouveau », confie Anne,d'origine haïtienne, en pleinediscussion avec Marie, alsa-cienne « de père en fille ».« C’est aussi ce que j’aime ici :contrairement aux églises eth-niques qui regroupent descroyants uniquement d’un mêmepays, l’Epis reflète la sociétéfrançaise dans sa diversité. »Pour Goinda Murthen, élu PSau conseil municipal de Stras-bourg et membre de l’Epis de-puis 1990, « l’Église évangé-

DEBOUT, le dos courbé, lesyeux fermés, Mariam prie.Emmitouflée dans une

parka noire, cette adolescentearménienne est venue trouverdu réconfort au culte del’Église pentecôtiste internatio-nale de Strasbourg (Epis), à laMeinau. Sa mère, Joanna, estmorte trois jours plus tôt.Celle-ci, arrivée en France endécembre, cherchait un soutienmoral et spirituel auprès decette église évangélique où elles'était fait baptiser.« Dès que la communauté a ap-pris la triste nouvelle, plusieursfamilles ont proposé d'hébergerMariam. J’ai eu du mal à leurfaire comprendre que la loifrançaise ne le permet pas »,explique Pierre Yeremian, res-ponsable du groupe des Armé-niens à l'Epis, composé d’unevingtaine de familles. Grand, lessourcils poivre et sel brous-sailleux, il glisse dans une enve-loppe les dons des membrespour aider la jeune fille. « Unedame nous a donné des vête-ments et plusieurs personnes del’église se sont relayées pour luirendre visite au foyer dans le-quel elle a été placée. »

Prières en batterie. Dans lagrande salle de prière del’Epis, vaste immeuble coincéentre un concessionnaire auto-mobile et une entreprise désaf-fectée, ils sont près de 600 àbattre des mains et lever lesbras au ciel en suivant lerythme d’une batterie, d’unebasse et d’une guitare élec-trique. Sur deux écrans fixésau mur derrière la scène cen-

lique est une micro-société.Pour les primo-arrivants, elleest une première porte vers l’in-tégration car à travers elle, ilsont déjà un aperçu de ce qu’estla société française. »« Il y a des groupes constituéspar nationalité qui se rencon-trent durant la semaine, ex-plique Michel Schneider. Onleur propose bien sûr un ac-compagnement spirituel maison peut aussi répondre à desdemandes personnelles, commeaider à monter un dossieradministratif. »Pierre Yeremian a parfois ferméson cabinet de conseil aux entre-

prises une matinée pouraccompagner un Armé-nien de son église à unentretien d’embauche.« Cette année, je me suisporté caution pour unjeune arrivant, dit-il. Onfait au cas par cas, maisc’est vrai que l’on a descontacts réguliers avecles services publics et lesassociations d’entraide.Nous ne pouvons pastout faire, alors nous

servons de relais. » Les étudiants étrangers qui fré-quentent l’Epis viennentd’abord chercher le soutien desleurs. « Près de 40 membres dugroupe des jeunes viennentd’un autre pays pour suivreleurs études à Strasbourg, ra-conte Magali Geiser, coordina-trice du groupe. Ils retrouventce qu’ils ont laissé chez eux :une communauté, presque unefamille. »

Julien FournierSophie Lebrun

À la Meinau, un prêche en tamoulPlus de quarante nationalités fréquentent le culte évangélique.

au moment des élections muni-cipales. Aujourd’hui, la Villepousse un peu pour la réalisationde ce centre. Mais il ne faut pastomber dans la précipitation.Beaucoup de questions se po-sent encore : Quels sont les be-soins ? Qu'est-ce qu'on y met ?Qui va le gérer ? Est-ce un lieude rencontre, une bibliothèque,une vitrine ? Comment va-t-ilêtre financé ? Sommes-nousprêts ? Le risque serait que lecentre voie le jour trop tôt etqu’il tombe à l’eau au bout desix mois. Ce serait catastro-phique pour la crédibilité et lacause des associations LGBT. »

Armand Berthemé, déléguérégional de Sida info service. « Le centre est important carsouvent les associations ramentpour obtenir une certaine visibi-lité. Beaucoup de structuresn’ont pas de locaux, mais seule-ment une boîte aux lettres à lamaison des associations. Il fautun lieu qui soit visible de la rue,avec des vitrines. Toutes lescommunautés doivent y être re-présentées. C’est difficile demobiliser les jeunes. Ils consom-ment de la vie gay, mais ils nes’impliquent pas. La transmis-sion de la fibre militante ne s’estpas faite. Les jeunes se tournentdavantage vers les bars, lesboîtes et les établissements gayset lesbiens pour parler de leursproblèmes. »

Michel Kiffel, responsable dugroupe local de l’associationLGBT chrétienne David et Jo-nathan.« L’utilité d’un centre seraitd’abord de donner des salles deréunion aux associations. L’im-mense majorité des associationsn’a pas de local. David et Jona-than loue ses salles. Cela am-pute fortement notre budget.Une fois le centre créé, il faudraêtre attentif à la manière dontfonctionnent les autres établis-sements du même type enFrance, pour ne pas reproduireles mêmes erreurs. »

Florence, responsable du re-lais alsacien de l’associationdes parents gays et lesbiens(APGL).« La demande des parents et fu-turs parents en Alsace estd’abord de pouvoir se rencon-trer, par exemple via desgroupes de parole. Pour pouvoirobserver comment les uns et lesautres fonctionnent et trouver ouimaginer le modèle d’homopa-rentalité qui leur correspond.Car il n’y a pas de modèleunique. Certains couples gayss’associent avec des couples les-biens dans un projet de co-parentalité et vivent dans lemême immeuble pour donner àl’enfant un lieu de vie communeet du confort. D’autres procè-dent à l’insémination artificielleen Belgique ou envisagent de serendre à l’étranger afin d’avoirrecours à une mère porteuse. Lecentre pourrait aussi accueillirun espace pour les enfants. »

Propos recueillis par Florent Godard

et Amandine Schmitt

« Ils retrou-vent unecommu-nauté,

presque unefamille. »MagaliGeiser,

membre de l’Epis

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20 - AVRIL 2009 - n°96 - NEWS D’ILL

DANS LA CITÉ.

L’ayran et les spätzleEn 1985,Makbul Çil aouvert unbar, LeCappadoce,aujourd’huigéré par sonfils Murat.

Venus comme ouvriers dans les années 70, les Turcs représentent 20% de la population de Bischwiller.

AU bar La Cappadoce,rue des Ecoles à Bisch-willer, un habitué boitun expresso, accoudéau comptoir. Un autreremplit sa grille de

Loto. Un bistrot traditionnel,sauf que les publicités pour lesvols Stuttgart-Istanbul et labière Efes sont écrites enlangue turque. Derrière lecomptoir, une affiche informele client. « Lütfen veresive tefliketmeyin », « la maison ne faitpas crédit ».Makbul Çil, le propriétaire dubar, a la soixantaine ac-cueillante et un visage rondbarré d’une épaisse moustache.Dans un français hésitant, il serappelle son parcours : « En1971, je viens de la Cappadoce.J’arrive comme menuisier àHaguenau. Puis je travaille àBischwiller, à la fonderied’abord et ensuite à l’usine dematelas. En 1973, j’emmène mafemme. »

Un esprit d’entrepreneur.Son histoire ressemble à cellede beaucoup d’immigrés turcsappelés en Alsace, au début desannées 1970, par les patronsfrançais en manque de main-d’œuvre. Bischwiller compte

alors trois grandes entreprises :la fonderie, l’usine de confec-tion Vestra et Schneider, spécia-lisée dans l’électricité. La crisequi frappe l’industrie localedans les années 1980 conduitles ouvriers à se reconvertir. En1985, Makbul rachète un im-meuble rue des Ecoles, rénoveles appartements à l’étage pourles louer et transforme le rez-de-chaussée en bar.A l’image de Makbul, beau-coup d’immigrés turcs choisis-sent de monter leur propre en-treprise, pour la plupart dans larestauration ou le bâtiment.Leurs enseignes s’inscriventdans le paysage ducentre-ville, aux côtésde celles des Alsaciensde souche. Aujourd’hui,Bischwiller, 12 000 ha-bitants, compte environ2500 personnes origi-naires de Turquie. Retour à La Cappadoce.C’est désormais Murat,le fils de Makbul, quigère le bar. Le jeunehomme, 35 ans, estl’aîné de quatre enfantset regrette de ne pas avoir faitd’études supérieures. Son frère,lui, est inscrit en droit à Metz etsa jeune sœur de 15 ans, Fatma,

veut devenir directrice d’écoleou d’hôpital. « Je les pousse àfond, assure Murat. Pour masœur, on a fait une demande aulycée privé Saint-Philomène àHaguenau. Là-bas, ils sont plusconcentrés sur le travail quedans le public. »

Des femmes peu visibles.Quelques rues plus loin, l’en-seigne du salon de coiffureChez Guy va bientôt être dé-montée. Gülay Icel, coiffeuse,et son mari Serdal, chef d’uneentreprise de pavage, ont ra-cheté en octobre 2008 le local àleur voisin alsacien. Le jeune

couple fait partie de ceque Stéphane de Tapia,spécialiste de l’immi-gration turque, appelle« première générationet demie ». Nés en Tur-quie mais scolarisés enAlsace, ces jeunes par-lent mieux français queturc.

Serdal, 35 ans, giletnoir sans manche surchemise bleue, jeansbien coupé et chaus-

sures de chantier tachées depeinture, a grandi à Drusen-heim. Dans cette ville de5000 habitants, lui et ses frères

étaient les seuls Turcs del’école. Un choix délibéré desparents : « Leur idée, en s’ins-tallant à Drusenheim et pas àBischwiller, c’était de nous te-nir à l’écart de la communautépour qu’on puisse rencontrerdes Alsaciens et mieux s’inté-grer. »Sa femme Gülay ne se sou-vient pas avoir rencontré dedifficultés du fait de ses ori-gines. En montrant ses che-veux acajou et sa peau claire,elle nuance : « Moi, je ne suispas voilée. Physiquement, jen’ai pas l’air d’une Turque. Al’école, on a grandi mélangés.Avec mes amis turcs, on parlaitfrançais. »Pourtant, dans les rues deBischwiller, les femmesturques sont peu visibles et peuaccessibles. A l’épicerie Au pe-tit marché, où l’ayran et le fro-mage Gazi Peynir côtoient lesspätzle alsaciennes, la ven-deuse parle mal le français. Aucafé Efes, une quarantained’hommes jouent aux cartes,boivent du Dark Dog et fumentcigarette sur cigarette. « Il fautvenir le samedi pour voir desfemmes », souligne le serveur. Même public exclusivementmasculin à l’association cultu-

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« Quand jevais en

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l’accent alsacien. »

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NEWS D’ILL - n°96 - AVRIL 2009 - 21

DANS LA CITÉ.

relle franco-turque, rue desRames. Exclusivement turcaussi. « Il y a peu d’échangesavec les Alsaciens. On n’orga-nise pas beaucoup d’événe-ments. Cela tient au fait quenous abritons un lieu deprière », explique Umit Güney,président de l’association. Al’heure du culte, la salle sevide. Les hommes se réunissentà l’étage autour de l’imam dansun espace qui peut accueillir350 fidèles. Un quart d’heureplus tard, ils allument la télévi-sion : l’écran géant diffuse unmatch de football opposantdeux équipes turques. La communauté a à sa disposi-tion tous les médias de sonpays d’origine mais aussi desjournaux créés par et pour lesmigrants. Post, un mensuel gra-tuit en langue turque, s’adresseà des personnes qui ne parlentpas français et veulent s’infor-mer de l’actualité locale. ErhanEgemen Ögünc, responsablecommercial dans le grand Est,explique : « Le slogan “la com-munication pour l’intégration”résume le principe du journal.Concernant Bischwiller, on afait une interview de madamele maire, Nicole Thomas, qui aété appréciée. »

Tartes flambées turques.Le magazine reflète le para-doxe d’une communauté quihésite entre deux identitésfortes. Ainsi Erhan expliquequ’il mange des tartes flambées« version turque » avec viandehachée à la place des lardons.Une fois par an, il part en va-cances en Turquie, « là-bas ondit que j’ai l’accent alsacien »,sourit-il. Mais s’il avait100 000 euros à la banque, ils’y installerait illico : « Chezmoi, la vie est quand même plusconviviale, plus agréable. EnAlsace, on vit les quatre sai-sons tous les jours ! »Animateur au centre socio-cul-turel de la rue des Casernes,Ahmet Tektas assume sans pro-blème ses deux identités. De-puis 2000, il est également pré-sident de l’Union sportiveturque de Bischwiller (USTB),qui réunit des joueurs, d’ori-gine turque ou pas. Ahmet vitavec une Alsacienne, dont ilcomprend le dialecte. Ils ont unenfant de 21 mois à qui il parleturc « pour lui transmettre unhéritage ».Selon le sociologue SamimAkgönül, « certaines commu-nautés comme celles des Algé-riens se sont construit unepluri-appartenance. Bien sou-vent, ce n’est pas le cas desTurcs, surtout depuis le débatsur l’intégration de leur paysdans l’Union européenne et lescritiques qui ont été faites àleur culture ». A ceux qui re-prochent à ses compatriotes dene pas s’intégrer assez vite,Serdal Icel, le chef d’entreprisede pavage, répond : « Ça faitseulement trente ans qu’on estlà. Regardez le chemin qu’on afait, il ne faut pas non plus êtretrop pressé ! »

Gaëlle DietrichElsa Marnette

il a pu signer un bail en sonnom propre. Ses griefs sontsurtout dirigés vers la banque.« Quand j’ai retrouvé un em-ploi, on m’a demandé d’ouvrirun compte à mon nom pourpouvoir virer mon salaire.Mais à la banque, ils ne veu-lent personne de notre famillecomme client », raconte-t-il.Avec le temps, et grâce à sontravail sur un chantier d’entre-tien des espaces verts à Nie-derbronn, il sent le regard desautres changer. « Les gensvoient que je suis volontaire,que je travaille bien. Du coup,ils me font un peu plusconfiance. » Même si, modèreKatia, « lorsque la porte del’immeuble est dégradée c’està lui qu’on pense en premier ».Une famille au moins a ouvertles bras à Maxime. Celle de sacompagne Stéphanie, arrivée àMertzwiller à 12 ans en prove-nance de la région parisienne,qui sans problème a acceptéleur couple mixte. « N’étantpas originaires d’ici, nousn’avions pas cet a priori néga-tif sur la famille de Maxime. Etil faut aussi dire qu’en tant queParisiens nous n’avons jamaisété complètement intégrés parles Alsaciens », précise-t-elle.Aujourd’hui, Stéphanie habiteencore, avec mari et enfants, lemême immeuble que ses pa-rents.

Gitane à 100%. Tout lecontraire de Marie, la com-pagne de Robert, qui, elle, agrandi à Mertzwiller. Elle avait18 ans quand elle a décidé dequitter ses parents pour s’ins-taller dans une caravane, avecRobert. Depuis, elle a perdutout contact avec sa famille etses amis « d’avant ». « Mamère ne me parle plus. Au dé-but, mon père était plus com-préhensif, mais avec le tempsil a fini par penser comme mamère », raconte-t-elle. Ses pa-rents ne connaissent pas leursquatre petits-enfants, dont l’aî-née a 4 ans. « Je leur ai de-mandé un jour s’ils voulaientles voir, ils ont refusé », dit-elle simplement, sans rancœurapparente. Aujourd’hui, elle ne regrettepas son choix. « Je me suistrouvé une deuxième famille.Très vite, j’ai dû apprendre lalangue et les coutumes gitanes.Je me sens gitane à 100% »,explique-t-elle. Myriam, sa belle-mère, « ac-cueille tout le monde à brasouvert » dans sa famille. Surses douze enfants, neuf viventen couple: quatre sont avec desFrançaises, un avec une Algé-rienne. « Il ne nous manqueplus qu’une Chinoise », plai-sante Myriam.

Aurélien BretonAdrien Potocnjak-Vaillant

Amaury Prieur*Tous les prénoms ont été modifiés.

gitans souhaitent partir, trouverun logement ailleurs, « faire denouvelles connaissances ». Co-rine Alter est régulièrement sol-licitée pour intercéder en leurfaveur en matière de logementou d’emploi et souhaiterait que

ROBERT*, le gitan, est uneboule de muscles d’unmètre soixante-dix, la peau

brune. Marie, l’Alsacienne,blonde, élancée, est plusgrande que lui. Depuis neufans, ils forment l’un des nom-

En 2004, lesressortis-sants venusde Turquieforment la pre-mière commu-nauté étran-gère en Alsace,avec 28 500personnes. Ils yreprésentent16% des im-migrés, contreun peu moinsde 7% au ni-veau national.Avec une aug-mentation an-nuelle de plusde 5% depuis1999, l’immi-gration turqueprogresse plusvite en Alsacequ’ailleurs enFrance.Pour Stéphanede Tapia, géo-graphe spécia-liste des faitsmigratoires,environ35 000 per-sonnes origi-naires de Tur-quie vivraienten Alsace, encomptantcelles qui ontobtenu la na-tionalité fran-çaise depuis ledernier recen-sement.

breux couples mixtes qui sesont formés à Mertzwiller,commune de 3500 habitantsproche de Haguenau.C’est en 1929 que Mertzwillera accueilli les premières fa-milles gitanes. Rapidement,elles achètent un petit terrainet construisent leur maison.Elles vivaient d’expédients,« tiraient leurs revenus de lafabrication de paniers et debalais », raconte Corine Alter,chargée des affaires sociales àla mairie de Mertzwiller. Ex-pulsées vers les Pyrénées pen-dant la Seconde Guerre mon-diale, elles reviennent à laLibération à Mertzwiller, oùelles sont accueillies fa-vorablement par la po-pulation. À l’époque,elles animent les balsavec leur guitare.Au fur et à mesure quela communauté s’élargit– 200 personnes aujour-d’hui – que les enfantsse marient, des tensionsapparaissent. Des ba-garres éclatent, descoups de feu sont mêmeéchangés. Progressive-ment, l’inactivité desjeunes, l’absence descolarisation et les pro-blèmes de logement ag-gravent la désocialisa-tion.

Un rêve : partir. Myriam,la mère de Robert, occupe unmobile-home, presque un tau-dis, posé à la sortie du village,en bordure de forêt. Commeson fils, la plupart des jeunes

des fonds soient débloquéspour pouvoir les aider.

Invivable caravane. Ro-bert, qui a connu la prison àplusieurs reprises, et Mariesouhaitaient s’installer dansune ville où ils ne seraient pasimmédiatement rejetés. Mais« dès que les bailleurs sociauxapprenaient mon nom, c’étaitfini. Impossible de discuteravec eux. » Pendant deux ans, après avoirété obligés de quitter leur cara-vane devenue invivable, ils ontvécu avec leurs quatre enfantsdans un Algeco de trois mètressur trois. Alors, ils font appel à

Katia Frache. Pharmacienne à Mertz-willer, cette femmed’origine italienne auxcheveux frisés et auxboucles d’oreille d’Es-meralda consacre l’es-sentiel de son tempslibre à la communautégitane. Grâce à elle, lecouple obtient en sep-tembre 2008 que l’asso-ciation Le Toit, basée àHaguenau, signe un bailpour un quatre pièces àBischwiller et se portegarante pour la famille.« Ici personne ne nousconnaît. Nous sommes

plus sereins pour élever nos en-fants », explique Robert.Son frère, Maxime, a commelui dû attendre quatre ans pouravoir un appartement. « Nousavons même fait appel à SOSRacisme », explique Maxime.Mais, contrairement à son frère,

La caravane et le colombage Les gitans sont venus s’installer à Mertzwiller il y a 80 ans. Les couples mixtes quise forment connaissent des fortunes diverses.

Des photos de famille sont affichées dans le coin salon du mobile-home.G

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22 - AVRIL 2009 - n°96 - NEWS D’ILL

DANS LA CITÉ.

DU haut de ses 15 ans,Zinédine, cheveux dres-sés en pics sur la tête,sweat-shirt rouge à ca-puche, connaît lesmoindres recoins des

deux étages et de la centaine demagasins des Halles de Stras-bourg : « Ici c'est ma deuxièmemaison, je ne peux pas dire autrechose. »Avec une dizaine d’autresjeunes, aux coiffures extrava-gantes, en crêtes ou lissées à

l’extrême, il arpente presquequotidiennement les larges cou-loirs du centre commercial,entre deux heures de cours. Re-connaissables à leurs jeansslims, ce sont des adeptes de ladanse tektonik. « De l'électro-nique », tient à préciser Hainjy,un grand noir de 15 ans, avantde s’enfoncer un bonnet sur latête, et de rabattre la capuche deson sweat bleu roi. Quelques minutes plus tard, lesvoici devant l'entrée du centre

commercial. Les uns s’assoient,d’autres restent debout. Les re-gards sont fixés sur Zinédine. Ilse lance dans une démonstra-tion de tektonik, au son d’unemusique inaudible crachée parun téléphone portable.

Lieu de rendez-vous. Unpeu plus loin, un jeune leur jetteun regard en passant : « Ils setapent la honte eux-mêmes. »Tout concourt pour faire desHalles le lieu de rendez-vous

incontournable de la jeunessestrasbourgeoise. Les tramwayss’y arrêtent, étirant leurs tenta-cules jusqu’aux quartiers défa-vorisés de la périphérie stras-bourgeoise, de Hautepierre auNeuhof. A deux minutes à pied de laplace Kléber, les jeunes ducentre y partagent régulière-ment un hamburger du Mc Do-nald’s. D’autres débarquent desvillages de la CUS, descendantdes cars qui s’arrêtent sur le

Rencontres de surfaceIci, ils draguent, dansent, se défient... Le centre commercial des Halles est devenu le QG de beaucoup d’adolescents strasbourgeois qui s’y croisent sans se mélanger.

2

452 637C’est lenombre dejeunes demoins de20 ans présents en Alsace au 1er janvier2007 selonl’INSEE.

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NEWS D’ILL - n°96 - AVRIL 2009 - 23

DANS LA CITÉ.

parking derrière le centre com-mercial. Assise au pied de cecube de béton dédié à laconsommation, Ambre, 17 ans,tire sur sa cigarette avec unenonchalance travaillée. La ly-céenne, aux cheveux bruns, fri-sés, et sa copine Christelle atten-dent leur bande de potes. « Il y aun coiffeur, un autre qui fait ducommerce, détaille l’adolescentede 18 ans. On a tous une natio-nalité différente. » Les deuxjeunes filles, qui se sont rencon-trées ici, sont fières de mettre enavant leurs racines : espagnolespour Ambre et autrichiennespour Christelle. « Nous, ontraîne aux Halles tous les jours,de 14 heures à 19 heures. »Mickaël et Julia, enlacés sur unbanc, ont fait des Halles leur

place Saint-Marc. Ils ignorentavec superbe la foule venue fairedu lèche-vitrine dans les gale-ries. Leurs propres amis ne sontpas épargnés : « On leur ditquand même bonjour,assure le garçon. Maison file vite. » Ils filent,en tout cas, le parfaitamour. Ils viennent troisfois par semaine d’Itten-heim, à une quinzainede kilomètres de Stras-bourg, tout simplementpour se retrouver. Yvain,lui, ne retrouve personneau Mc Donald’s. Il ne fait quepasser « pour utiliser les toi-lettes ». Ancien SDF et ancientoxicomane, âgé de 27 ans, ils’amuse du regard desautres : « Je fais peur aux gens

ici. » Veste militaire, cheveuxgras, piercing sur la figure, iln’est pas mécontent de quitterStrasbourg : il est sur le point dereprendre le travail début avril

au Club Med, commehomme de ménage. Ce « punk-hippie-teu-feur », comme il se dé-finit, ne porte pas lesjeunes dans soncœur : « Quand je faisdu stop, ce ne sont pasles teufeurs qui s’arrê-tent mais les vieux encostard dans leur Mer-

cedes. » A deux tables de là, Ti-mothée est en tête à tête avecson hamburger et sa portion defrites. Etudiant en chimie de21 ans, il vient régulièrement seposer aux Halles en attendant

son train pour Erstein. Il enprofite « pour aller faire untour à Micromania [magasinde jeux vidéo] ». Il porte à tra-vers ses lunettes rectangulairesun regard mi-ironique, mi-désabusé sur ses congé-nères : « Les jeunes ici ? Tousles mêmes : jeans-Converse. »

Dragues et embrouilles.Des Converse, peut-être, maispailletées pour Charlène. Ca-ban rouge et chic pour sa co-pine Marion. Toutes deux sontscolarisées au lycée privéNotre-Dame, à deux pas ducentre commercial. Tous lesélèves se retrouvent ici. « Onfait du lèche-vitrine, expliqueCharlène. C'est aussi un lieude drague pour les garçons.J'ai rencontré mon ex ici. »Des fringues et de l'amour, quedemander de plus ?Des embrouilles... « Parfois onse bouscule exprès, raconteClément, et ça dégénère pourun regard. Il arrive que ça setermine mal. Un de mes potesa déjà fini à l’hôpital aprèsavoir pris un coup decouteau. »Le jeune homme de 16 ans esten première année de CAPélectricité à Illkirch. Sac ba-nane en bandoulière sur lequelun lecteur mp3 est discrète-ment clippé, il déambule entreles magasins, le bras posé surles épaules d’Ema. Autour ducou de la jeune fille d’à peine14 ans, un keffieh. En 4e au collège Louis-Pasteur,elle reste silencieuse quandson amoureux raconte ses faitsd’armes. A quelques pas, leurpote Antony, qui habite près deLampertheim, la joue plus mo-deste : « Si on est à plusieurs,on va donner des coupsd'épaule aux autres bandes.Mais si on sent la provocation,presque toujours des Chinoisou des Arabes, on esquive. »

Liens de cité. Postés der-rière le Mc Donald's, quatrejeunes adolescents sont accou-dés à une jardinière géante.Entre Mathias, d’allure encoretrès juvénile, et Jonathan, che-veux blonds coupés à ras, ungouffre. L’un, à 14 ans, est encore aucollège, l’autre, à 16 ans,cherche déjà du travail. Au mi-lieu Vincent, d’origine asia-tique, et Lionel, le plus grandde la bande, complètent lepatchwork. Ils sont différents,mais unis par les liens de lacité. Ils habitent le même im-meuble à la Robertsau. « Nous,on ne cherche pas l’affronte-ment. » Pourtant, les regards de mé-fiance se multiplient avec labande d’en face, adossée aumur du Mc Donald’s. Un grandclassique de la vie urbaine esten train de se jouer. « On veutpas parler », lancent les autres,plus nerveux. Les deuxgroupes se toisent. Quelquesinvectives fusent. Mais ça n’irapas plus loin. Demain, tous se-ront là, à nouveau.

Olivier Devos Mathieu Galtier

« On a tousune

nationalité différente. »Christelle,

18 ans,franco-

autrichienne

Un après-midide vacancesdans lesgaleries ducentrecommercialdes Halles àStrasbourg(photo 1), lesgroupes dejeunes commecelui deZinédine etHainjy seretrouvent surles bancsdevant lesvitrines (photo 2). En attendantson train pourErstein,Timothéepatiente au Mc Donald’s(photo 3),tandis queChristellediscute,comme tousles jours, avecson amieAmbre àl’extérieur ducentre (photo 4).Derrière lebâtiment, lesbus du réseaudépartementalmultiplient lesallers-retoursentre lecentre-ville deStrasbourg etles communesde la CUS oùhabitent unepartie desjeunes quipassent auxHalles aprèsleurs cours(photo 5).

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Pôle de ressources«conduites à risque»

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Des espaces réservés aumoins de 25 ans, pour :

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