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Naissance de la clinique

Michel FoucaultNaissance de la clinique

La possibilit pour l'individu d'tre la fois sujet et objet de sa propre connaissance implique que soit invers dans le savoir le jeu de la finitudeTable des matiresRsum4Prface5Chapitre I. Espaces et classes19Chapitre II. Une conscience politique43Chapitre III. Le champ libre631. La mise en question des structures hospitalires652. Le droit d'exercice et l'enseignement mdical71Chapitre IV. Vieillesse de la clinique83Chapitre V. La leon des hpitaux961. Les mesures du 14 frimaire an III1042. Rformes et discussions en l'an V et en l'an VI1083. L'intervention de Cabanis et la rorganisation de l'an XI116Chapitre VI. Des signes et des cas1271. Les symptmes constituent une couche primaire indissociablement signifiante et signifie1312. C'est l'intervention d'une conscience qui transforme le symptme en signe1343. L'tre de la maladie est entirement nonable en sa vrit136Chapitre VII. Voir, savoir151Chapitre VIII. Ouvrez quelques cadavres173Chapitre IX. Linvisible visible2051. Principe de la communication tissulaire2052. Principe de limpermabilit tissulaire2063. Principe de la pntration en vrille2074. Principe de la spcificit du mode dattaque des tissus2085. Principe de l'altration de l'altration209Chapitre X. La crise des fivres238Conclusion266Bibliographie272I. Nosologie272II. Police et gographie mdicales273III. Rforme de la pratique et de lenseignement277IV. Les mthodes281V. Anatomie pathologique284RsumLa recherche ici entreprise implique donc le projet dlibr dtre la fois historique et critique, dans la mesure o il sagit, hors de toute intention prescriptive, de dterminer les conditions de possibilit de lexprience mdicale telle que lpoque moderne la connue.Une fois pour toutes, ce livre nest pas crit pour une mdecine contre une autre, ou contre la mdecine pour une absence de mdecine. Ici, comme ailleurs, il sagit dune tude qui essaie de dgager dans lpaisseur du discours les conditions de son histoire.Ce qui compte dans les choses dites par les hommes, ce nest pas tellement ce quils auraient pens en de ou au-del delles, mais ce qui dentre de jeu les systmatise, les rendant pour le reste du temps, indfiniment accessibles de nouveaux discours et ouvertes la tche de les transformer.Michel FoucaultPrfaceIl est question dans ce livre de lespace, du langage et de la mort; il est question du regard.Vers le milieu du xvme sicle, Pomme soigna et gurit une hystrique en lui faisant prendre des bains de 10 12 heures par jour, pendant dix mois entiers. Au terme de cette cure contre le desschement du systme nerveux et la chaleur qui lentretenait, Pomme vit des portions membraneuses semblables des morceaux de parchemin tremp... se dtacher par de lgres douleurs et sortir journellement avec les urines, luretre du ct droit se dpouiller son tour et sortir tout entier par la mme voie. Il en fut de mme pour les intestins qui, dans un autre temps, se dpouillrent de leur tunique interne que nous vmes sortir par le rectum. Lsophage, la trache artre, et la langue staient dpouilles leur tour; et la malade nous avait rejet diffrentes pices soit par le vomissement soit par lexpectoration (1).Et voici comment, moins de cent ans plus tard, un mdecin peroit une lsion anatomique de lencphale et de ses enveloppes; il sagit des fausses membranes quon trouve frquemment chez les sujets atteints de mningite chronique: Leur surface externe applique sur le feuillet arachnodien de la dure-mre est adhrente ce feuillet, tantt dune manire trs lche, et alors on les spare facilement, tantt d'une manire ferme et intime et dans ce cas il est quelquefois trs difficile de les dtacher. Leur surface interne est seulement contigu larachnode, avec laquelle elle ne contracte aucune union... Les fausses membranes sont souvent transparentes surtout lorsquelles sont trs minces; mais ordinairement elles ont une couleur blanchtre,(1) P. Pomme, Trait des affections vaporeuses des deux sexes (4* d., Lyon, 1769), t. I, pp. 60-65.gristre, rougetre et plus rarement jauntre, bruntre cl noirtre. Cette matire offre frquemment des nuances diffrentes suivant les parties de la mme membrane. Lpaisseur de ces productions accidentelles varie beaucoup; elles sont parfois dune tnuit telle quon pourrait les comparer une toile daraigne... Lorganisation des fausses membranes prsente galement beaucoup de diffrences: celles qui sont minces sont couenneuses, semblables aux pellicules albumineuses des ufs et sans structure propre distincte. Les autres offrent souvent sur une de leurs faces des traces de vaisseaux sanguins entrecroiss en divers sens et injects. Elles sont souvent rductibles en lames superposes entre lesquelles sont assez frquemment interposs des caillots dun sang plus ou moins dcolor (1).Entre le texte de Pomme qui portait leur forme dernire les vieux mythes de la pathologie nerveuse et celui de Bayle qui dcrivait, pour un temps dont nous ne sommes pas encore sortis, les lsions encphaliques de la paralysie gnrale, la diffrence est infime et totale. Totale pour nous, puisque chaque mot de Bayle, en sa prcision qualitative, guide notre regard dans un monde de constante visibilit, alors que le texte prcdent nous parle le langage, sans support perceptif, des fantasmes. Mais cet vident partage, quelle exprience fondamentale peut linstaurer en de de nos certitudes, l o elles naissent et se justifient? Qui peut nous assurer quun mdecin du xvme sicle ne voyait pas ce quil voyait, mais quil a suffi de quelques dizaines dannes pour que les figures fantastiques se dissipent et que lespace libr laisse venir jusquaux yeux la franche dcoupe des choses?Il ny a pas eu de psychanalyse de la connaissance mdicale, ni de rupture plus ou moins spontane des investissements imaginaires; la mdecine positive nest pas celle qui a fait un choix objectai port enfin sur lobjectivit elle-mme. Toutes les puissances dun espace visionnaire par o communiquaient mdecins et malades, physiologistes et praticiens (nerfs tendus et tordus, scheresse ardente, organes durcis ou brls, nouvelle naissance du corps dans llment bnfique de la fracheur et des eaux) nont pas disparu; elles ont t dplaces plutt et comme encloses dans la singularit du malade, du ct de cette rgion des symptmes subjectifs qui dfinit pour le mdecin non plus le mode de la connaissance mais le monde(1) A. L. J. Bayle, Nouvelle doctrine des maladies mentales (Paris, 1825), pp. 23-24.des objets connatre. Le lien fantastique du savoir et de la souffrance, loin dtre rompu, est assur par une voie plus complexe que la simple permabilit des imaginations; la prsence de la maladie dans le corps, ses tensions, ses brlures, le monde sourd des entrailles, tout lenvers noir du corps que tapissent de longs rves sans yeux sont la fois contests dans leur objectivit par le discours rducteur du mdecin et fonds comme autant dobjets pour son regard positif. Les figures de la douleur ne sont pas conjures au bnfice dune connaissance neutralise; elles ont t redistribues dans lespace o se croisent les corps et les regards. Ce qui a chang, cest la configuration sourde o le langage prend appui, le rapport de situation et de posture entre ce qui parle et ce dont on parle.Quant au langage lui-mme, partir de quel moment, de quelle modification smantique ou syntaclique, peut-on reconnatre quil sest mu en discours rationnel? Quelle ligne dcisive est donc trace entre une description qui peint des membranes comme des parchemins tremps et cette autre, non moins qualitative, non moins mtaphorique qui voit, tales sur les enveloppes du cerveau, comme des pellicules de blanc duf? Les feuillets blanchtres et rougetres de Bayle sont-ils, pour un discours scientifique, de valeur diffrente, de solidit et dobjectivit plus denses que les lamelles racornies dcrites par les mdecins du xvine sicle? Un regard un peu plus mticuleux, un parcours verbal plus lent et mieux appuy sur les choses, des valeurs pithtiques fines, parfois un peu brouilles, nest-ce pas simplement, dans le langage mdical, la prolifration dun style qui depuis la mdecine galnique a tendu, devant le gris des choses et de leurs formes, des plages de qualits?Pour saisir la mutation du discours quand elle sest produite, il faut sans doute interroger autre chose que les contenus thmatiques ou les modalits logiques, et sadresser cette rgion o les choses et les mots ne sont pas encore spars, l o sappartiennent encore, au ras du langage, manire de voir et manire de dire. Il faudra questionner la distribution originaire du visible et de linvisible dans la mesure o elle est lie au partage de ce qui snonce et de ce qui est tu: alors apparatra, en une figure unique, larticulation du langage mdical et de son objet. Mais de prsance, il ny en a point pour qui ne se pose pas de question rtrospective; seule mrite dtre porte dans un jour dessein indiffrent la structure parl du peru, cet espace plein au creux duquel le langage prend son volume et sa mesure. Il faut se placer, et, une fois pour toutes, se maintenir au niveau de la spatialisation et de la verbalisation fondamentales du pathologique, l o prend naissance et se recueille le regard loquace que le mdecin pose sur le cur vnneux des choses.La mdecine moderne a fix delle-mme sa date de naissance vers les dernires annes du xvnie sicle. Quand elle se prend rflchir sur elle-mme, elle identifie lorigine de sa positivit un retour, par-del toute thorie, la modestie efficace du peru. En fait, cet empirisme prsum repose non sur une redcouverte des valeurs absolues du visible, non sur labandon rsolu des systmes et de leurs chimres, mais sur une rorganisation de cet espace manifeste et secret qui fut ouvert lorsquun regard millnaire sest arrt sur la souffrance des hommes. Le rajeunissement de la perception mdicale, lillumination vive des couleurs et des choses sous le regard des premiers cliniciens nest pourtant pas un mythe; au dbut du xixe sicle, les mdecins ont dcrit ce qui, pendant des sicles, tait rest au-dessous du seuil du visible et de lnonable; mais ce nest pas quils se soient remis percevoir aprs avoir trop longtemps spcul, ou couter la raison mieux que limagination; cest que le rapport du visible linvisible, ncessaire tout savoir concret, a chang de structure et fait apparatre sous le regard et dans le langage ce qui tait en de et au-del de leur domaine. Entre les mots et les choses, une alliance nouvelle sest noue, faisant voir et dire, et parfois dans un discours si rellement naf quil parat se situer un niveau plus archaque de rationalit, comme sil sagissait dun retour un regard enfin matinal.En 1764, J. F. Meckel avait voulu tudier les altrations de lencphale dans un certain nombre daffections (apoplexie, manie, phtisie); il avait utilis la mthode rationnelle de la pese des volumes gaux et de leur comparaison pour dterminer quels secteurs du cerveau taient desschs, quels autres engorgs et dans quelles maladies. La mdecine moderne na peu prs rien retenu de ces recherches. La pathologie de lencphale &inaugur pour nous sa forme positive lorsque Bichat et surtout Rcamier et Lallemand utilisrent le fameux marteau termin par une surface large et mince. En procdant petits coups, le crne tant plein, il ne peut en rsulter dbranlement susceptible de produire des dsordres. Il vaut mieux commencer par sa partie postrieure, parce que, quand loccipital reste seul casser, il est souvent si mobile que les coups portent faux... Chez les enfants trs jeunes, les os sont trop souples pour tre casss, trop minces pour tre scis; il faut les couper avec des ciseaux forts- (1). Alors le fruit souvre: sous la coque mticuleusement clate, quelque chose apparat, masse molle et gristre, enveloppe de peaux visqueuses nervure de sang, triste pulpe fragile en quoi rayonne, enfin libr, enfin donn au jour, lobjet du savoir. Lagilit artisanale du casse-crne a remplac la prcision scientifique de la balance, et pourtant cest en celle-l que notre science depuis Bichat se reconnat; le geste prcis, mais sans mesure qui ouvre pour le regard la plnitude des choses concrtes, avec le quadrillage menu de leurs qualits, fonde une objectivit plus scientifique pour nous que les mdiations instrumentales de la quantit. Les formes de la rationalit mdicale senfoncent dans lpaisseur merveilleuse de la perception, en offrant comme visage premier de la vrit le grain des choses, leur couleur, leurs taches, leur duret, leur adhrence. Lespace de lexprience semble sidentifier au domaine du regard attentif, de cette vigilance empirique ouverte lvidence des seuls contenus visibles. Lil devient le dpositaire et la source de la clart; il a pouvoir de faire venir au jour une vrit quil ne reoit que dans la mesure o il lui a donn le jour; en souvrant, il ouvre le vrai dune ouverture premire: flexion qui marque, partir du monde de la clart classique, le passage des Lumires au xixe sicle.Pour Descartes et Malebranche, voir, ctait percevoir (et jusque sous les espces les plus concrtes de lexprience: pratique de lanatomie chez Descartes, observations microscopiques chez Malebranche); mais il sagissait, sans dpouiller la perception de son corps sensible, de la rendre transparente pour lexercice de lesprit: la lumire, antrieure tout regard, tait llment de lidalit, linassignable lieu dorigine o les choses taient adquates leur essence et la forme selon laquelle elles la rejoignaient travers la gomtrie des corps; parvenu sa perfection, lacte de voir se rsorbait dans la figure sans courbe ni dure de la lumire. la fin du xvme sicle, voir consiste laisser lexprience sa plus grande opacit corporelle; le solide, lobscur, la densit des choses closes sur elles-mmes ont des pouvoirs de vrit quils nempruntent pas la lumire, mais(1) F. Lallemand, Recherches analomo-palhologiques sur l'encphale (Paris, 1820), Introd., p. vu note. la lenteur du regard qui les parcourt, les contourne et peu peu les pntre en ne leur apportant jamais que sa propre clart. Le sjour de la vrit dans le noyau sombre des choses est paradoxalement li ce pouvoir souverain du regard empirique qui met leur nuit, jour. Toute la lumire est passe du ct du mince flambeau de lil qui tourne maintenant autour des volumes et dit, dans ce chemin, leur lieu et leur forme. Le discours rationnel sappuie moins sur la gomtrie de la lumire que sur lpaisseur insistante, indpassable de lobjet: en sa prsence obscure mais pralable tout savoir, se donnent la source, le domaine et la limite de lexprience. Le regard est passivement li cette passivit premire qui le voue la tche infinie de la parcourir en son entier et de la matriser.Il appartenait ce langage des choses et lui seul sans doute dautoriser propos de lindividu un savoir qui ne ft pas simplement dordre historique ou esthtique. Que la dfinition de lindividu soit un labeur infini ntait plus un obstacle pour une exprience qui, en acceptant ses propres limites, prolongeait sa tche dans lillimit. La qualit singulire, limpalpable couleur, la forme unique et transitoire, en acqurant le statut de lobjet, ont pris son poids et sa solidit. Aucune lumire ne pourra plus les dissoudre dans les vrits idales; mais lapplication du regard, tour tour, les veillera et les fera valoir sur fond dobjectivit. Le regard nest plus rducteur, mais fondateur de lindividu dans sa qualit irrductible. Et par l il devient possible dorganiser autour de lui un langage rationnel. L'objet du discours peut aussi bien tre un sujet, sans que les figures de lobjectivit soient pour autant altres. Cest cette rorganisation formelle et en profondeur, plus que labandon des thories et des vieux systmes, qui a ouvert la possibilit dune exprience clinique; elle a lev le vieil interdit aristotlicien: on pourra enfin tenir sur lindividu un discours structure scientifique.Cet accs lindividu, nos contemporains y voient l'instauration dun colloque singulier et la formulation la plus serre dun vieil humanisme mdical, aussi vieux que la piti des hommes. Les phnomnologies acphales de la comprhension mlent cette ide mal jointe le sable de leur dsert conceptuel; le vocabulaire faiblement rotis de la rencontre et du couple mdecin-malade sextnue vouloir communiquer tant de non-pense les ples pouvoirs dune rverie matrimoniale. Lexprience clinique cette ouverture, premire dans lhistoire occidentale, de lindividu concret au langage de la rationalit, cet vnement majeur dans le rapport de lhomme lui-mme et du langage aux choses a vite t prise pour un affrontement simple, sans concept, dun regard et dun visage, dun coup dil et dun corps muet, sorte de contact pralable tout discours et libre des embarras du langage, par quoi deux individus vivants sont encags dans une situation commune mais non rciproque. Dans ses dernires secousses, la mdecine dite librale invoque son tour en faveur dun march ouvert les vieux droits dune clinique comprise comme contrat singulier et pacte tacite pass dhomme homme. On prte mme ce regard patient le pouvoir de rejoindre, par addition mesure de raisonnement ni trop, ni trop peu , la forme gnrale de tout constat scientifique: Pour pouvoir proposer chacun de nos malades un traitement parfaitement adapt sa maladie et lui-mme, nous cherchons avoir de son cas une ide objective et complte, nous rassemblons dans un dossier qui lui est personnel (son observation) la totalit des renseignements dont nous disposons sur lui. Nous lobservons de la mme manire que nous observons les astres ou une exprience de laboratoire (1).Les miracles ne sont point si faciles: la mutation qui a permis et qui, tous les jours, permet encore que le lit du malade devienne champ dinvestigation et de discours scientifiques nest pas le mlange, tout coup dflagrant, dune vieille habitude avec une logique plus ancienne encore, ou celle dun savoir avec le bizarre compos sensoriel dun tact, dun coup dil et dun flair. La mdecine comme science clinique est apparue sous des conditions qui dfinissent, avec sa possibilit historique, le domaine de son exprience et la structure de sa rationalit. Elles en forment la priori concret quil est possible maintenant de faire venir au jour, peut-tre parce quune nouvelle exprience de la maladie est en train de natre, offrant sur celle quelle repousse dans le temps la possibilit dune prise historique et critique.Mais un dtour ici est ncessaire pour fonder ce discours sur la naissance de la clinique. Discours trange, je le veux bien, puisquil ne veut sappuyer ni sur la conscience actuelle des cliniciens, ni mme sur la rptition de ce quautrefois ils ont pu dire.Il est bien probable que nous appartenons un ge de critique dont labsence dune philosophie premire nous rappelle(1) J.-Ch. Sournia, Logique et morale du diagnostic (Paris, 1962), p. 19. chaque instant le rgne et la fatalit: ge dintelligence qui nous tient irrmdiablement distance dun langage originaire. Pour Kant, la possibilit dune critique et sa ncessit taient lies, travers certains contenus scientifiques, au fait quil y a de la connaissance. Elles sont lies de nos jours et Nietzsche le philologue en tmoigne au fait qu'il y a du langage et que, dans les paroles sans nombre prononces par les hommes quelles soient raisonnables ou insenses, dmonstratives ou potiques un sens a pris corps qui nous surplombe, conduit notre aveuglement, mais attend dans l'obscurit notre prise de conscience pour venir jour et se mettre parler. Nous sommes vous historiquement lhistoire, la patiente construction de discours sur les discours, la tche dentendre ce qui a t dj dit.Est-il fatal pour autant que nous ne connaissions dautre usage de la parole que celui du commentaire? Ce dernier, vrai dire, interroge le discours sur ce quil dit et a voulu dire; il cherche faire surgir ce double fond de la parole, o elle se retrouve en une identit elle-mme quon suppose plus proche de sa vrit; il sagit, en nonant ce qui a t dit, de redire ce qui na jamais t prononc. Dans cette activit de commentaire qui cherche faire passer un discours resserr, ancien et comme silencieux lui-mme dans un autre plus bavard, la fois plus archaque et plus contemporain, se cache une trange attitude lgard du langage: commenter, cest admettre par dfinition un excs du signifi sur le signifiant, un reste ncessairement non formul de la pense que le langage a laiss dans lombre, rsidu qui en est lessence elle-mme, pousse hors de son secret; mais commenter suppose aussi que ce non-parl dort dans la parole, et que, par une surabondance propre au signifiant, on peut en linterrogeant faire parler un contenu qui ntait pas explicitement signifi. Cette double plthore, en ouvrant la possibilit du commentaire, nous voue une tche infinie que rien ne peut limiter: il y a toujours du signifi qui demeure et auquel il faut encore donner la parole; quant au signifiant, il est toujours offert en une richesse qui nous interroge malgr nous sur ce quelle veut dire. Signifiant et signifi prennent ainsi une autonomie substantielle qui assure chacun deux isolment le trsor dune signification virtuelle; la limite, lun pourrait exister sans lautre et se mettre parler de lui-mme: le commentaire se loge dans cet espace suppos. Mais en mme temps, il invente entre eux un lien complexe, toute une trame indcise qui met en jeu les valeurs potiques de l'expression: le signifiant nest pas cens traduire sans cacher, et sans laisser le signifi dans une inpuisable rserve; le signifi ne se dvoile que dans le monde visible et lourd dun signifiant charg lui-mme dun sens quil ne matrise pas. Le commentaire repose sur ce postulat que la parole est acte de traduction, quelle a le privilge dangereux des images de montrer en cachant, et quelle peut indfiniment tre substitue elle-mme dans la srie ouverte des reprises discursives; bref, il repose sur une interprtation du langage qui porte assez clairement la marque de son origine historique: lExgse, qui coute, travers les interdits, les symboles, les images sensibles, travers tout lappareil de la Rvlation, le Verbe de Dieu, toujours secret, toujours au-del de lui-mme. Nous commentons depuis des annes le langage de notre culture de ce point prcisment o nous avions attendu en vain, pendant des sicles, la dcision de la Parole.Traditionnellement, parler sur la pense des autres, chercher dire ce quils ont dit, cest faire une analyse du signifi. Mais est-il ncessaire que les choses dites, ailleurs et par dautres, soient exclusivement traites selon le jeu du signifiant et du signifi? Nest-il pas possible de faire une analyse des discours qui chapperait la fatalit du commentaire en ne supposant nul reste, nul excs en ce qui a t dit, mais le seul fait de son apparition historique? Il faudrait alors traiter les faits de discours, non pas comme des noyaux autonomes de significations multiples, mais comme des vnements et des segments fonctionnels, formant systme de proche en proche. Le sens dun nonc ne serait pas dfini par le trsor dintentions quil contiendrait, le rvlant et le rservant la fois, mais par la diffrence qui larticule sur les autres noncs rels et possibles, qui lui sont contemporains ou auxquels il soppose dans la srie linaire du temps. Alors apparatrait lhistoire systmatique des discours.Jusqu prsent, lhistoire des ides ne connaissait gure que deux mthodes. Lune, esthtique, tait celle de lanalogie dune analogie dont on suivait les voies de diffusion dans le temps (genses, filiations, parents, influences) ou la surface dune plage historique dtermine (lesprit dune poque, sa Weltanschauung, ses catgories fondamentales, lorganisation de son monde socioculturel). Lautre, psychologique, tait celle de la dngation des contenus (tel sicle ne fut pas aussi rationaliste, ou irrationaliste quil le disait et quon la cru), par quoi sinaugure et se dveloppe une sorte de psychanalyse des penses dont le terme est de plein droit rversible le noyau du noyau tant toujours son contraire.On voudrait essayer ici lanalyse dun type de discours celui de lexpcrience mdicale une poque o, avant les grandes dcouvertes du xixe sicle, il a modifi moins ses matriaux que sa forme systmatique. La clinique, cest la fois une nouvelle dcoupe des choses, et le principe de leur articulation dans un langage o nous avons coutume de reconnatre le langage dune science positive. qui voudrait en faire linventaire thmatique, lide de clinique apparatrait sans doute charge de valeurs assez floues; on y dchiffrerait probablement des figures incolores comme leffet singulier de la maladie sur le malade, la diversit des tempraments individuels, la probabilit de lvolution pathologique, la ncessit dune perception aux aguets, inquite des moindres modalits visibles, la forme empirique, cumulative et indfiniment ouverte du savoir mdical: autant de vieilles notions depuis longtemps usages, et qui formaient dj, nen pas douter, lquipement de la mdecine grecque. Rien, dans ce vieil arsenal ne peut dsigner clairement ce qui sest pass au dtour du xvme sicle quand la remise en jeu de lancien thme clinique a produit, sil faut en croire des apparences htives, une mutation essentielle dans le savoir mdical. Mais, considre dans sa disposition densemble, la clinique apparat comme un nouveau profil, pour lexprience du mdecin, du perceptible et de l'nonable: nouvelle distribution des lments discrets de lespace corporel (isolement, par exemple, du lissu plage fonctionnelle deux dimensions, qui soppose la masse fonctionnante de lorgane et constitue le paradoxe dune surface intrieure), rorganisation des lments constituant le phnomne pathologique (une grammaire des signes sest substitue une botanique des symptmes), dfinition des sries linaires dvnements morbides (par opposition au buissonnement des espces nosologiques), articulation de la maladie sur lorganisme (disparition des entits morbides gnrales qui groupaient des symptmes en une figure logique, au profit dun statut local qui situe ltre de la maladie avec ses causes et ses effets dans un espace trois dimensions). Lapparition de la clinique, comme fait historique, doit tre identifie au systme de ces rorganisations. Cette nouvelle structure est signale, mais nest pas puise bien sr, par le changement infime et dcisif qui a substitu la question: Quavez-vous?, par quoi sinaugurait au xviii sicle le dialogue du mdecin et du malade avec sa grammaire et son style propres, cette autre o nous reconnaissons le jeu de la clinique et le principe de tout son discours: O avez-vous mal?. partir de l, tout le rapport du signifiant au signifi se redistribue, et ceci tous les niveaux do lexprience mdicale: entre les symptmes qui signifient et la maladie qui est signifie, entre la description et ce quelle dcrit, entre lvnement et ce quil pronostique, entre la lsion et le mal quelle signale, etc. La clinique, invoque sans cesse pour son empirisme, la modestie de son attention et le soin avec lequel elle laisse venir silencieusement les choses sous le regard, sans les troubler daucun discours, doit sa relle importance au fait quelle est une rorganisation en profondeur non seulement des connaissances mdicales, mais de la possibilit mme dun discours sur la maladie. La retenue du discours clinique (proclame par les mdecins: refus de la thorie, abandon des systmes, non-philosophie) renvoie aux conditions non verbales partir de quoi il peut parler: la structure commune qui dcoupe et articule ce qui se voit et ce qui se dit.La recherche ici entreprise implique donc le projet dlibr dtre la fois historique et critique, dans la mesure o il sagit, hors de toute intention prescriptive, de dterminer les conditions de possibilit de lexprience mdicale telle que lpoque moderne la connue.Une fois pour toutes, ce livre nest pas crit pour une mdecine contre une autre, ou contre la mdecine pour une absence de mdecine. Ici, comme ailleurs, il s'agit dune tude qui essaie de dgager dans lpaisseur du discours les conditions de son histoire.Ce qui compte dans les choses dites par les hommes, ce nest pas tellement ce quils auraient pens en de ou au-del delles, mais ce qui dentre de jeu les systmatise, les rendant pour le reste du temps, indfiniment accessibles de nouveaux discours et ouvertes la tche de les transformer.Chapitre I. Espaces et classesPour nos yeux dj uss, le corps humain constitue, par droit de nature, lespace dorigine et de rpartition de la maladie: espace dont les lignes, les volumes, les surfaces et les chemins sont fixs, selon une gographie maintenant familire, par latlas anatomique. Cet ordre du corps solide et visible nest cependant quune des manires pour la mdecine de spatialiser la maladie. Ni la premire sans doute, ni la plus fondamentale. Il y a eu et il y aura des distributions du mal qui sont autres.Quand pourra-t-on dfinir les structures que suivent, dans le volume secret du corps, les ractions allergiques? A-t-on mme jamais fait la gomtrie spcifique dune diffusion de virus dans la mince lame dun segment tissulaire? Est-ce dans une anatomie euclidienne que ces phnomnes peuvent trouver la loi de leur spatialisation? Et il suffirait de rappeler, aprs tout, que la vieille thorie des sympathies parlait un vocabulaire de correspondances, de voisinages, dhomologies: termes pour lesquels lespace peru de lanatomie nofTre gure de lexique cohrent. Chaque grande pense dans le domaine de la pathologie prescrit la maladie une configuration dont les requisits spatiaux ne sont pas forcment ceux de la gomtrie classique.La concidence exacte du corps de la maladie et du corps de lhomme malade nest sans doute quune donne historique et transitoire. Leur vidente rencontre ne lest que pour nous, ou plutt nous commenons peine nous en dtacher. Lespace de configuration de la maladie et l'espace de localisation du mal dans le corps nont t superposs, dans lexprience mdicale, que pendant une courte priode: celle qui concide avec la mdecine du xix sicle et les privilges accords lanatomie pathologique. Epoque qui marque la suzerainet du regard, puisque dans le mme champ perceptif, en suivant les mmes continuits ou les mmes failles, l'exprience lit dun coup les lsions visibles de lorganisme et la cohrence des formes pathologiques; le mal sarticule exactement sur le corps, et sa distribution logique se fait dentre de jeu par masses anatomiques. Le coup dil na plus qu exercer sur la vrit quil dcouvre l o elle est un pouvoir quil dtient de plein droit.Mais comment sest form ce droit qui se donne pour immmorial et naturel? Comment ce lieu o se signale la maladie a-t-il pu souverainement dterminer la figure qui en groupe les lments? Paradoxalement, jamais lespace de configuration de la maladie ne fut plus libre, plus indpendant de son espace de localisation que dans la mdecine classificatrice, cest--dire dans cette forme de pense mdicale qui, dans la chronologie, a prcd de peu la mthode anatomo-clinique, et la rendue, historiquement, possible.Ne traitez jamais une maladie sans vous tre assur de lespce, disait Gilibert (1). De la Nosologie de Sauvages (1761) la Nosographie de Pinel (1798), la rgle classificatrice domine la thorie mdicale et jusqu la pratique: elle apparat comme la logique immanente des formes morbides, le principe de leur dchiffrement et la rgle smantique de leur dfinition: Ncoutez donc point ces envieux qui ont voulu jeter lombre du mpris sur les crits du clbre Sauvages... Souvenez-vous quil est peut-tre de tous les mdecins qui ont vcu celui qui a soumis tous nos dogmes aux rgles infaillibles de la saine logique. Voyez avec quelle attention il dfinit les mots, avec quel scrupule il circonscrit les dfinitions de chaque maladie. Avant dtre prise dans lpaisseur du corps, la maladie reoit une organisation hirarchise en familles, genres et espces. Apparemment, il ne sagit que dun tableau permettant de rendre sensible lapprentissage et la mmoire le domaine foisonnant des maladies. Mais plus profondment que cette mtaphore spatiale et pour la rendre possible, la mdecine classificatrice suppose une certaine configuration de la maladie: elle na jamais t formule pour elle-mme, mais on peut en dfinir aprs coup les requisits essentiels. De mme que larbre gnalogique, en de de la comparaison quil comporte et de tous ses thmes imaginaires, suppose un espace o la parent est formalisable, le tableau nosologique implique une figure des(1) Gilibert, L'anarchie mdicinale (Neuchfttel, 1772), t. I, p. 198.maladies qui nest ni lenchanement des effets et des causes, ni la srie chronologique des vnements ni son trajet visible dans le corps humain.Cette organisation dcale vers les problmes subalternes la localisation dans lorganisme, mais dfinit un systme fondamental de relations qui mettent en jeu des enveloppements, des subordinations, des partages, des ressemblances. Cet espace comporte: une verticale o buissonnent les implications la fivre concours de froid et de chaleur successive peut se drouler en un seul pisode, ou en plusieurs; ceux-ci peuvent se suivre sans interruption ou aprs un intervalle; ce rpit peut ne pas excder 12 heures, atteindre une journe, durer deux jours entiers, ou encore avoir un rythme mal dfinissable (1); et une horizontale o se transfrent les homologies dans les deux grands embranchements de spasmes, on trouve, selon une symtrie parfaite, les toniques partiels, les toniques gnraux, les cloniques partiels et les cloniques gnraux (2); ou encore dans lordre des panchements, ce que le catarrhe est la gorge, la dysenterie lest lintestin (3). Espace profond, antrieur toutes perceptions, et qui de loin les commande; cest partir de lui, des lignes quil croise, des masses quil distribue ou hirarchise, que la maladie, mergeant sous le regard, insre ses caractres propres dans un organisme vivant.Quels sont les principes de cette configuration primaire de la maladie?1. Selon les mdecins du xvme sicle elle se donne dans une exprience historique, par opposition au savoir philosophique. Est historique la connaissance qui circonscrit la pleursie par ses quatre phnomnes: fivre, difficult de respirer, toux et douleur de ct. Sera philosophique la connaissance qui met en question lorigine, le principe, les causes: refroidissement, panchement sreux, inflammation de la plvre. La distinction de lhistorique et du philosophique nest pourtant pas celle de la cause et de leffet: Cullen fonde son systme classificateur sur lassignation des causes prochaines; ni celle du principe et des consquences puisque Sydenham pense faire recherche historique en tudiant la manire dont la nature produit et entretient(1) F. Boissieb de Sauvages, Nosologie mthodique (Lyon, 1772), t. II.(2) Ibid., t. III.(3) W. Cullen, Institutions de mdecine pratique (trad., Paris, 1785), t. II, pp. 39-60.les diffrentes formes de maladies (1); ni mme exactement la diffrence du visible et du cach ou du conjectural puisquil faut parfois traquer une histoire qui se replie et se drobe un premier examen, comme la fivre hectique chez certains phtisiques: cueils cachs sous leau (2). Lhistorique rassemble tout ce qui, en fait ou en droit, tt ou tard, de plein fouet ou indirectement peut tre donn au regard. Une cause qui se voit, un symptme qui peu peu se dcouvre, un principe lisible ds sa racine ne sont pas de lordre du savoir philosophique, mais dun savoir trs simple, qui doit prcder tous les autres, et qui situe la forme originaire de lexprience mdicale. Il sagit de dfinir une sorte de plage fondamentale o les perspectives se nivellent et o les dcalages sont aligns: leffet a le mme statut que sa cause, lantcdent concide avec ce qui le suit. Dans cet espace homogne les enchanements se dnouent et le temps scrase: une inflammation locale nest pas autre chose que la juxtaposition idale de ses lments historiques (rougeur, tumeur, chaleur, douleur) sans que vienne en question leur rseau de dterminations rciproques ou leur entrecroisement temporel.La maladie est perue fondamentalement dans un espace de projection sans profondeur, et de concidence sans droulement. Il ny a quun plan et quun instant. La forme sous laquelle se montre originairement la vrit, cest la surface o le relief la fois se manifeste et sabolit le portrait: Il faut que celui qui crit lhistoire des maladies... observe avec attention les phnomnes clairs et naturels des maladies quelque peu intressants quils lui paraissent. Il doit en cela imiter les peintres qui lorsquils font un portrait ont soin de marquer jusquaux signes et aux plus petites choses naturelles, qui se rencontrent sur le visage du personnage quils peignent (3). La structure premire que se donne la mdecine classificatrice, cest lespace plat du perptuel simultan. Table et tableau.2. Cest un espace o les analogies dfinissent les essences. Les tableaux sont ressemblants, mais ils se ressemblent aussi. Dune maladie lautre, la dislance qui les spare se mesure au seul dgrad de leur ressemblance sans mme quintervienne lcart logico-temporel de la gnalogie. Disparition des mouvements volontaires, assoupissement de la sensibilit intrieure ou ext-(1) Th. Sydenham, Mdecine pratique (trad. Jault, Paris, 1784), p. 390.(2) Ibid.(3) Th. Sydenham cit par Sauvages (loc. cil., t. I, p. 88).rieure, cest le profil gnral qui sc dcoupe sous des formes particulires comme lapoplexie, la syncope, la paralysie. lintrieur de cette grande parent, des carts mineurs stablissent: lapoplexie fait perdre lusage de tous les sens, et de toute-la motricit volontaire, mais elle pargne la respiration et les mouvements cardiaques; la paralysie, elle, ne porte que sur un secteur localement assignable de la sensibilit et de la motricit; la syncope est gnrale comme lapoplexie, mais elle interrompt les mouvements respiratoires (1). La distribution perspective qui nous fait voir dans la paralysie un symptme, dans la syncope un pisode, dans lapoplexie une atteinte organique et fonctionnelle, nexiste pas pour le regard classificateur qui est sensible aux seules rpartitions de surface o le voisinage nest pas dfini par des distances mesurables, mais par des analogies de formes. Quand elles deviennent assez denses, ces analogies franchissent le seuil de la simple parent et accdent lunit dessence. Entre une apoplexie qui suspend dun coup la motricit, et les formes chroniques et volutives qui gagnent peu peu tout le systme moteur, pas de diffrence fondamentale: dans cet espace simultan o les formes distribues par le temps se rejoignent et se superposent, la parent se recroqueville en identit. Dans un monde plat, homogne, non mtrique, il y a maladie essentielle l o il y a plthore danalogies.3. La forme de lanalogie dcouvre lordre rationnel des maladies. Quand on peroit une ressemblance, on ne fixe pas simplement un systme de reprages commodes et relatifs; on commence dchiffrer lordonnancement intelligible des maladies. Le voile se lve sur le principe de leur cration: cest lordre gnral de la nature. Comme pour la plante ou lanimal, le jeu de la maladie est, fondamentalement, spcifique: LEtre suprme ne sest pas assujetti des lois moins certaines en produisant les maladies ou en mrissant les humeurs morbifiques quen croisant les plantes et les animaux... Celui qui observera attentivement lordre, le temps, lheure o commence laccs de fivre quarte, les phnomnes de frisson, de chaleur, en un mot tous les symptmes qui lui sont propres, aura autant de raisons de croire que cette maladie est une espce quil en a de croire quune plante constitue une espce parce quelle crot, fleurit et prit toujours de la mme manire (2).Double importance, pour la pense mdicale, de ce modle(1) W. Cullen, Mdecine pratique (trail. fr., Paris, 1785', t. II, p. 86.(2) Sydenham cit par Sauvages (toc. cit., t. I, pp. 124-125).botanique. Il a permis dabord le retournement du principe danalogie des formes en loi de production des essences: aussi lattention perceptive du mdecin qui, ici et l, retrouve et apparente, communique de plein droit avec lordre ontologique qui organise de lintrieur, et avant toute manifestation, le monde de la maladie. Lordre de la maladie nest dautre part quun dcalque du monde de la vie: les mmes structures rgnent ici et l, les mmes formes de rpartition, la mme ordonnance. La rationalit de la vie est identique la rationalit de ce qui la menace. Elles ne sont pas, lune par rapport lautre, comme la nature et la contre-nature; mais, dans un ordre naturel qui leur est commun, elles sembotent et se superposent. Dans la maladie, on reconnat la vie puisque cest la loi de la vie qui fonde, de surcrot, la connaissance de la maladie.4. Il sagit despces la fois naturelles et idales. Naturelles puisque les maladies y noncent leurs vrits essentielles; idales dans la mesure o elles ne sont jamais donnes dans lexprience sans altration ni trouble.La perturbation premire est apporte avec et par le malade lui-mme. la pure essence nosologique, que fixe et puise sans rsidu sa place dans lordre des espces, le malade ajoute, comme autant de perturbations, ses dispositions, son ge, son mode de vie, et toute une srie dvnements qui, par rapport au noyau essentiel, font figure daccidents. Pour connatre la vrit du fait pathologique, le mdecin doit abstraire le malade: Il faut que celui qui dcrit une maladie ait soin de distinguer les symptmes qui laccompagnent ncessairement et qui lui sont propres, de ceux qui ne sont quaccidentels et fortuits, tels que ceux qui dpendent du temprament et de lge du malade (1). Paradoxalement, le patient nest pas rapport ce dont il souffre quun fait extrieur; la lecture mdicale ne doit le prendre en considration que pour le mettre entre parenthses. Certes, il faut connatre la structure interne de nos corps; mais pour la soustraire plutt, et librer sous le regard du mdecin la nature et la combinaison des symptmes, des crises, et des autres circonstances qui accompagnent les maladies (2). Ce nest pas le pathologique qui fonctionne, par rapport la vie, comme une contre-nature, mais le malade par rapport la maladie elle-mme.Le malade, mais aussi le mdecin. Son intervention est(1) Sydenham, cit ibid.(2) Clifton, Elal de la mdecine ancienne el moderne (trad.fr., Paris, 1742), p. 213.violence, si elle nest pas strictement soumise lordonnance idale de la nosologie: La connaissance des maladies est la boussole du mdecin; le succs de la gurison dpend dune exacte connaissance de la maladie; le regard du mdecin ne sadresse pas initialement ce corps concret, cet ensemble visible, cette plnitude positive qui est en face de lui, le malade; mais des intervalles de nature, des lacunes et des distances, o apparaissent comme en ngatif les signes qui diffrencient une maladie dune autre, la vraie de la fausse, la lgitime de la btarde, la maligne de la bnigne (1). Grille qui cache le malade rel, et retient toute indiscrtion thrapeutique. Administr trop tt, dans une intention polmique, le remde contredit et brouille lessence de la maladie; il lempche daccder sa vraie nature, et en la rendant irrgulire, il la rend intraitable. Dans la priode dinvasion, le mdecin doit seulement retenir son souffle, car les commencements de la maladie sont faits pour faire connatre sa classe, son genre et son espce; quand les symptmes saccroissent et prennent de lampleur, il suffit de diminuer leur violence et celle des douleurs; dans la priode dtat, il faut suivre pas pas les routes que prend la nature, la renforcer si elle est trop faible, mais la diminuer si elle sattache trop vigoureusement dtruire ce qui lincommode (2).Dans lespace rationnel de la maladie, mdecins et malades ne sont pas impliqus de plein droit; ils sont tolrs comme autant de brouillages difficiles viter: le rle paradoxal de la mdecine consiste surtout les neutraliser, maintenir entre eux le maximum de distance pour que la configuration idale de la maladie, dans le vide qui se creuse de lun l'autre, devienne forme concrte, libre, totalise enfin en un tableau immobile, simultan, sans paisseur ni secret o la reconnaissance souvre delle-mme sur lordre des essences.La pense classificatrice se donne un espace essentiel. La maladie nexiste quen lui, puisqu'il la constitue comme nature; et pourtant elle apparat toujours un peu dcale par rapport lui puisquelle soffre chez un malade rel, aux yeux dun mdecin pralablement arm. Le bel espace plan du portrait, cest la fois lorigine et le rsultat dernier: ce qui rend possible, la racine, un savoir mdical rationnel et certain, et ce vers quoi(1) Frieh, Guide pour la conservation de l'homme (Grenoble, 1789), p. 113.(2) T. Guindant, La nature opprime par la mdecine moderne (Paris, 1768), pp. 10-11.sans cesse il doit sacheminer travers ce qui le drobe la vue. Il y a donc tout un travail de la mdecine qui consiste rejoindre sa propre condition, mais par un chemin o elle doit effacer chacun de ses pas puisquelle atteint son but en neutralisant non seulement les cas sur lesquels elle sappuie, mais sa propre intervention. Do ltrange caractre du regard mdical; il est pris dans une spirale indfinie: il sadresse ce quil y a de visible en la maladie mais partir du malade qui cache ce visible en le montrant; par consquent il doit reconnatre pour connatre. Et ce regard, en progressant, recule puisquil ne va jusqu la vrit de la maladie quen la laissant gagner sur lui, en sesquivant lui-mme et en permettant au mal dachever lui-mme, dans ses phnomnes, sa nature.La maladie, reprable sur le tableau, apparat travers le corps. L, elle rencontre un espace dont la configuration est foute diffrente: cest celui des volumes et des masses. Ses contraintes dfinissent les formes visibles que prend le mal dans un organisme malade: la manire dont il sy rpartit, sy mani-teste, progresse en altrant les solides, les mouvements ou les fonctions, provoque des lsions visibles lautopsie, dclenche, en un point ou en un autre, le jeu des symptmes, provoque des ractions et par l soriente vers une issue fatale ou favorable. Il sagit de ces figures complexes et drives par lesquelles lessence de la maladie, avec sa structure en tableau, sarticule sur le volume pais et dense de lorganisme et prend corps en lui.Comment lespace plat, homogne des classes peut-il devenir visible dans un systme gographique de masses diffrencies par leur volume et leur distance? Comment une maladie, dfinie par sa place dans une famille, peut-elle se caractriser par son sige dans un organisme? Cest le problme de ce quon pourrait appeler la spatialisation secondaire du pathologique.Pour la mdecine classificatrice, latteinte dun organe nest jamais absolument ncessaire pour dfinir une maladie: celle-ci peut aller dun point de localisation lautre, gagner dautres surfaces corporelles, tout en restant identique de nature. Lespace du corps et lespace de la maladie ont latitude de glisser lun par rapport lautre. Une seule et mme affection spasmodique peut se dplacer du bas-ventre o elle provoquera des dyspepsies, des engorgements viscraux, des interruptions du flux menstruel ou hmorrodal, vers la poitrine avec touffements, palpitations, sensation de boule dans la gorge, quintes de toux, et finalement gagner la tte en provoquant des convulsions pileptiques, des syncopes ou des sommeils comateux (1). Ces glissements, quaccompagnent autant de modifications symptomatiques, peuvent se produire avec le temps chez un seul individu; on peut les retrouver aussi en examinant une srie dindividus o les points daccrochage sont diffrents: sous sa forme viscrale, le spasme se rencontre surtout chez les sujets lymphatiques, sous sa forme crbrale, chez les sanguins. Mais de toute faon, la configuration pathologique essentielle nest pas altre. Les organes sont les supports solides de la maladie; jamais ils nen forment les conditions indispensables. Le systme de points qui dfinit le rapport de laffection lorganisme nest ni constant ni ncessaire. Ils nont pas despace commun pralablement dfini.Dans cet espace corporel o elle circule librement, la maladie subit mtastases et mtamorphoses. Le dplacement la remodle en partie. Un saignement de nez peut devenir hmoptysie ou hmorragie crbrale; seule doit subsister la forme spcifique de lpanchement sanguin. Cest pourquoi la mdecine des espces a eu, tout au long de sa carrire, partie lie avec la doctrine des sympathies les deux conceptions ne pouvant que se renforcer lune lautre pour le juste quilibre du systme. La communication sympathique travers lorganisme est parfois assure par un relais localement assignable (le diaphragme pour les spasmes, ou lestomac pour les engorgements dhumeur); parfois par tout un systme de diffusion qui rayonne dans lensemble du corps (systme nerveux pour les douleurs et les convulsions, systme vasculaire pour les inflammations); dans dautres cas par une simple correspondance fonctionnelle (une suppression des excrtions se communique des intestins aux reins, de ceux-ci la peau); enfin par un ajustement de la sensibilit dune rgion lautre (douleurs lombaires dans lhydrocle). Mais quil y ait correspondance, diffusion ou relais, la redistribution anatomique de la maladie ne modifie pas sa structure essentielle; la sympathie assure le jeu entre lespace de localisation et lespace de configuration: elle dfinit leur libert rciproque et les limites de cette libert.Plutt que limite, il faudrait dire seuil. Car au-del du transfert sympathique et de lhomologie quil autorise, un rapport peut stablir de maladie maladie qui est de causalit sans tre de parent. Une forme pathologique peut en engendrer(1) Encyclopdie, article .une autre, trs loigne sur le tableau nosologique, par une force de cration qui lui est propre. Le corps est le lieu dune juxtaposition, dune succession, dun mlange despces diffrentes. Do les complications; do les formes mixtes; do certaines successions rgulires ou du moins frquentes, comme entre la manie et la paralysie. Haslam connaissait ces malades dlirants chez qui la parole est embarrasse, la bouche dvie, les bras ou les jambes privs de mouvements volontaires, la mmoire affaiblie et qui, le plus souvent, nont pas conscience de leur position (1). Imbrication des symptmes, simultanit de leurs formes extrmes: tout cela ne suffit pas former une seule maladie; lloignement entre lexcitation verbale et cette paralysie motrice dans le tableau des parents morbides empche que la proximit chronologique ne lemporte et dcide de lunit. Do lide d'une causalit, qui se manifeste dans un lger dcalage temporel; tantt le dclenchement maniaque apparat le premier; tantt les signes moteurs introduisent lensemble symptomatique: Les affections paralytiques sont une cause de folie beaucoup plus frquente quon ne le croit; et elles sont aussi un effet trs courant de la manie. Aucune translation sympathique ne peut ici franchir lcart des espces; et la solidarit des symptmes dans lorganisme ne suffit pas constituer une unit qui rpugne aux essences. Il y a donc une causalit inter-nosologique, dont le rle est inverse de la sympathie: celle-ci conserve la forme fondamentale en parcourant le temps et lespace; la causalit assure les simultanits et les entrecroisements qui mlangent les purets essentielles.Le temps, dans cette pathologie, joue un rle limit. On admet quune maladie puisse durer, et que dans ce droulement des pisodes puissent, chacun leur tour, apparatre; depuis Hippocrate on calcule les jours critiques; on connat les valeurs significatives des pulsations artrielles: Lorsque le pouls rebondissant parat chaque trentime pulsation, ou environ, lhmorragie survient quatre jours aprs, quelque peu plus tt ou plus tard; lorsquil survient chaque seizime pulsation, l'hmorragie arrive dans trois jours... Enfin, quand il revient chaque quatrime, troisime, seconde pulsation ou lorsquil est continuel, on doit attendre lhmorragie dans lespace de vingt-quatre heures (2). Mais cette dure numriquement fixe fait partie(1) J. Haslam, Observations on madness (Londres, 1798), p. 259.(2) Fr. Solano de Luques, Observations nouvelles et extraordinaires sur la prdiction des crises, enrichies de plusieurs cas nouveaux par Nihell (trad. fr., Paris, 1748) p. 2.de la structure essentielle de la maladie, comme il appartient au catarrhe chronique de devenir au bout dun certain temps fivre phtisique. Il ny a pas un processus dvolution, o la dure apporterait delle-mme et par sa seule insistance des vnements nouveaux; le temps est intgr comme constante nosologique, il ne Test pas comme variable organique. Le temps du corps ninflchit pas et dtermine moins encore le temps de la maladie.Ce qui fait communiquer le corps essentiel de la maladie avec le corps rel du malade, ce ne sont donc ni les points de localisation, ni les effets de la dure; cest plutt la qualit. Meckel, dans une des expriences relates lAcadmie royale de Prusse en 1764, explique comment il observe l'altration de lencphale dans diffrentes maladies. Quand il fait une autopsie, il prlve sur le cerveau de petits cubes de volume gal (6 lignes de ct) en diffrents endroits de la masse crbrale: il compare ces prlvements entre eux, et avec ceux oprs sur dautres cadavres. Linstrument prcis de cette comparaison, cest la balance; dans la phtisie, maladie dpuisement, le poids spcifique du cerveau est relativement plus faible que dans les apoplexies, maladies dengorgement (1 dr 3 gr 3/4 contre1 dr 6 ou 7 gr); alors que chez un sujet normal, mort naturellement, le poids moyen est 1 dr 5 gr. Selon les rgions de lencphale ces poids peuvent varier: dans la phtisie cest surtout le cervelet qui est lger, dans lapoplexie les rgions centrales qui sont lourdes (1). Il y a donc, entre la maladie et lorganisme, des points de raccord bien situs, et selon un principe rgional; mais il sagit seulement des secteurs o la maladie scrte ou transpose ses qualits spcifiques: le cerveau des maniaques est lger, sec et friable puisque la manie est une maladie vive, chaude, explosive; celui des phtisiques sera puis et languissant, inerte, exsangue, puisque la phtisie se range dans la classe gnrale des hmorragies. Lensemble qualificatif qui caractrise la maladie se dpose dans un organe qui sert alors de support aux symptmes. La maladie et le corps ne communiquent que par llment non spatial de la qualit.On comprend dans ces conditions que la mdecine se dtourne dune certaine forme de connaissance que Sauvages dsignait comme mathmatique: Connatre les quantits et savoir les mesurer, par exemple dterminer la force et la vitesse du pouls, le degr de la chaleur, lintensit de la douleur, la violence de(1) Compte rendu in Gazelle salutaire, t. XXI, 2 aot 1764.la toux et de tels autres symptmes (1). Si Meckel mesurait, ce ntait pas pour accder une connaissance de forme mathmatique; il sagissait pour lui de jauger l'intensit dune certaine qualit pathologique en quoi consistait la maladie. Aucune mcanique mesurable du corps ne peut, dans ses particularits physiques ou mathmatiques, rendre compte dun phnomne pathologique; les convulsions sont peut-tre dtermines par un asschement et un rtrcissement du systme nerveux ce qui est bien de lordre de la mcanique, mais dune mcanique des qualits qui senchanent, des mouvements qui sarticulent, des bouleversements qui se dclenchent en srie, non dune mcanique de segments quantifiables. Il peut sagir dun mcanisme, mais qui ne relve pas de la Mcanique. Les mdecins doivent se borner connatre les forces des mdicaments et des maladies au moyen de leurs oprations; ils doivent les observer avec soin et studier en connatre les lois, et ne point se fatiguer la recherche des causes physiques (2).La perception de la maladie dans le malade suppose donc un regard qualitatif; pour saisir la maladie, il faut regarder l o il y a scheresse, ardeur, excitation, l o il y a humidit, engorgement, dbilit. Comment distinguer sous la mme fivre, sous la mme toux, sous le mme puisement, la pleursie de la phtisie, si on ne reconnat pas l une inflammation sche des poumons, et l un panchement sreux? Comment distinguer, sinon par leur qualit, les convulsions dun pileptique qui souffre dune inflammation crbrale, et celles dun hypocondriaque atteint dun engorgement des viscres? Perception dlie des qualits, perception des diffrences dun cas lautre, perception fine des variantes il faut toute une hermneutique du fait pathologique partir dune exprience module et colore; on mesurera des variations, des quilibres, des excs ou des dfauts: Le corps humain est compos de vaisseaux et de fluides; ... lorsque les vaisseaux et les fibres nont ni trop, ni trop peu de ton, lorsque les fluides ont la consistance qui leur convient, lorsquils ne sont ni trop, ni trop peu en mouvement, lhomme est dans un tat de sant; si le mouvement... est trop fort, les solides sendurcissent, les fluides deviennent pais; sil est trop faible, la fibre se relche, le sang sattnue (3).Et le regard mdical, ouvert sur ces qualits tnues, devient(1) Sauvages, loc. cit., I, pp. 91-92.(2) Tissot, Avis aux gens de lettres sur leur sant (Lausanne, 1767), p. 28.(3) Ibid., p. 28.attentif par ncessit toutes leurs modulations; le dchiffrement de la maladie dans ses caractres spcifiques repose sur une forme nuance de la perception qui doit apprcier chaque quilibre singulier. Mais en quoi consiste cette singularit? Ce nest point celle dun organisme dans lequel processus pathologique'et ractions senchaneraient dune manire unique pour former un cas. Il sagit plutt de varits qualitatives de la maladie auxquelles viennent sajouter, pour les moduler au second degr, les varits que peuvent prsenter les tempraments. Ce que la mdecine classificatrice appelle les histoires particulires, ce sont les effets de multiplication provoqus par les variations qualitatives (dues aux tempraments) des qualits essentielles qui caractrisent les maladies. Lindividu malade se rencontre au point o apparat le rsultat de cette multiplication.De l sa position paradoxale. Qui veut connatre la maladie dont il sagit doit soustraire lindividu, avec ses qualits singulires: Lauteur de la nature, disait Zimmermann, a fix le cours de la plupart des maladies par des lois immuables quon dcouvre bientt si le cours de la maladie nest pas interrompu ou troubl par le malade (1). ce niveau lindividu nest quun lment ngatif. Mais la maladie ne peut jamais se donner hors dun temprament, de ses qualits, de leur vivacit ou de leur pesanteur; et quand bien mme elle garderait sa physionomie densemble, ses traits en leur dtail reoivent toujours des colorations singulires. Et le mme Zimmermann, qui ne reconnaissait dans le malade que le ngatif de la maladie, est tent parfois, contre les descriptions gnrales de Sydenham, de nadmettre que des histoires particulires. Quoique la nature soit simple dans le tout, elle est cependant varie dans les parties; par consquent, il faut tcher de la connatre dans le tout et dans les parties (2).La mdecine des espces sengage dans une attention renouvele lindividuel une attention toujours plus impatiente et moins capable de supporter les formes gnrales de perception, les lectures htives dessence. Certain Esculape a tous les matins cinquante soixante malades dans son antichambre; il coute les plaintes de chacun, les range en quatre files, ordonne la premire une saigne, la seconde une purgation, la troisime un clystre, la quatrime un changement dair (3).(1) Zimmermann, Traiti de iExprience (trad.fr., Paris, 1800), t. I, p. 122.2) Ibid., p. 184.(3) Ibid, p. 187.Ceci nest point de la mdecine; il en est de mme de la pratique hospitalire qui tue les qualits de lobservation, et touffe les talents de lobservateur par le nombre des choses observer. La perception mdicale ne doit s'adresser ni aux sries ni aux groupes; elle doit se structurer comme un regard travers une loupe qui, applique aux diffrentes parties dun objet, y fait encore remarquer dautres parties quon ny apercevait pas sans cela (1), et entamer linfini travail de la connaissance des dbiles singuliers. ce point, on retrouve le thme du portrait voqu plus haut; le malade cest la maladie ayant acquis des traits singuliers; la voici donne avec ombre et relief, modulations, nuances, profondeur; et le labeur du mdecin quand il dcrira la maladie sera de restituer cette paisseur vivante: Il faut rendre les mmes infirmits du malade, ses mmes souffrances, avec ses mmes gestes, sa mme attitude, ses mmes termes et ses mmes plaintes (2).Par le jeu de la spatialisation primaire, la mdecine des espces situait la maladie sur une plage dhomologies o lindividu ne pouvait recevoir de statut positif; dans la spatialisation secondaire, elle exige en revanche une perception aigu du singulier, affranchie des structures mdicales collectives, libre de tout regard de groupe et de lexprience hospitalire elle-mme. Mdecin et malade sont engags dans une proximit sans cesse plus grande, et lis, le mdecin par un regard qui guette, appuie toujours davantage et pntre, le malade par lensemble des qualits irremplaables et muettes qui, en lui, trahissent cest--dire montrent et varient les belles formes ordonnes de la maladie. Entre les caractres nosologiques et les traits terminaux quon lit sur le visage du malade, les qualits ont travers librement le corps. ce corps, le regard mdical na gure de raison de sattarder, au moins dans ses paisseurs et son fonctionnement.On appellera spatialisation tertiaire lensemble des gestes par lesquels la maladie, dans une socit, est cerne, mdicalement investie, isole, rpartie dans des rgions privilgies et closes, ou distribue travers des milieux de gurison, amnags pour tre favorables. Tertiaire ne veut pas dire quil sagit dune structure drive et moins essentielle que les prcdentes; elle engage un systme doptions o il y va de la manire dont un groupe, pour se maintenir et se protger, pratique les exclusions, tablit les formes de lassistance, ragit la peur de la mort, refoule ou soulage la misre, intervient dans les maladies ou les laisse leurs cours naturel. Mais plus que les autres formes de spatialisation, elle est le lieu de dialectiques diverses: institutions htrognes, dcalages chronologiques, luttes politiques, revendications et utopies, contraintes conomiques, affrontements sociaux. En elle, tout un corps de pratiques et dinstitutions mdicales font jouer les spatialisations primaire et secondaire avec les formes dun espace social dont la gense, la structure et les lois sont de nature diffrente. Et pourtant, ou plutt pour cette raison mme, elle est le point dorigine des mises en question les plus radicales. Il est arriv qu partir delle, toute lexprience mdicale bascule et dfinisse pour ses perceptions les plus concrtes des dimensions et un sol nouveaux.Selon la mdecine des espces, la maladie a, par droit de naissance, des formes et des saisons trangres lespace des socits. Il y a une nature sauvage de la maladie qui est la fois sa nature vraie et son plus sage parcours: seule, libre dintervention, sans artifice mdical, elle laisse apparatre la nervure ordonne et presque vgtale de son essence. Mais plus lespace social o elle est situe devient complexe, plus elle se dnature. Avant la civilisation, les peuples nont de maladies que les plus simples et les plus ncessaires. Paysans et gens du peuple restent proches encore du tableau nosologique fondamental; la simplicit de leur vie le laisse transparatre dans son ordre raisonnable: chez eux, point de ces maux de nerfs variables, complexes, mls, mais de solides apoplexies, ou des crises franches de manie (1). mesure quon slve dans lordre des conditions, et quautour des individus le rseau social se resserre,la sant semble diminuer par degrs; les maladies se diversifient, et se combinent; leur nombre est grand dj dans lordre suprieur du bourgeois; ... et il est le plus grand possible chez les gens du monde (2).Lhpital, comme la civilisation, est un lieu artificiel o la maladie transplante risque de perdre son visage essentiel. Elle y rencontre tout de suite une forme de complications que(1) Tissot, Trait des nerfs et de leurs maladies (Paris, 1778-1780), t. II, pp. 432-444.(2) Tissot, Essai sur la sant des gens du monde (Lausanne, 1770), pp. 8-12.les mdecins appellent fivre des prisons ou des hpitaux: asthnie musculaire, langue sche, saburale, visage plomb, peau collante, dvoiement digestif, urine ple, oppression des voies respiratoires, mort du huitime ou onzime jour, au plus tard le treizime (1). Dune faon plus gnrale, le contact avec les autres malades, dans ce jardin dsordonn o les espces sentrecroisent, altre la nature propre de la maladie et la rend plus difficilement lisible; et comment, dans cette ncessaire proximit, corriger leffluve malin qui part de tout le corps des malades, des membres gangrens, dos caris, dulcres contagieux, de fivres putrides (2)? Et puis, peut-on effacer les fcheuses impressions que fait sur un malade, arrach sa famille, le spectacle de ces maisons qui ne sont pour beaucoup que le temple de la mort? Cette solitude peuple, ce dsespoir perturbent, avec les ractions saines de lorganisme, le cours naturel de la maladie; il faudrait un mdecin dhpital bien habile pour chapper au danger de la fausse exprience qui semble rsulter des maladies artificielles auxquelles il doit donner ses soins dans les hpitaux. En effet, aucune maladie dhpital nest pure (3).Le lieu naturel de la maladie, cest le lieu naturel de la vie la famille: douceur des soins spontans, tmoignage de lattachement, dsir commun de la gurison, tout entre en complicit pour aider la nature qui lutte contre le mal, et laisser le mal lui-mme se dployer dans sa vrit; le mdecin dhpital ne voit que des maladies louches, altres, toute une tratologie du pathologique; celui qui soigne domicile acquiert en peu de temps une vritable exprience fonde sur les phnomnes naturels de toutes les espces de maladies (4). La vocation de cette mdecine domicile est ncessairement dtre respectueuse: Observer les malades, aider la nature sans lui faire violence et attendre en avouant modestement quil manque encore bien des connaissances (5). Ainsi se ranime propos de la pathologie des espces le vieux dbat de la mdecine agissante et de la mdecine expectante (6). Les nosologistes sont favorables (1) Tenon, Mmoires sur les hpitaux (Paris, 1788), p. 451.(2) Pebcival, Lettre M. Aikin, in J. Aikin, Observations sur les hpitaux (trad. fr., Paris, 1777), p. 113.(3) Dupont de Nemours, Ides sur les secours donner (Paris, 1786), pp. 24-25.(4) Ibid.(5) Moscati, De l'emploi des systmes dans la mdecine pratique (trad. fr., Strasbourg, an VII), pp. 26-27.(6) Cf. Vice dAzyb, Remarques sur la mdecine agissante (Paria, 1786).celle-ci, et lun des derniers, Vitet, dans une classification qui comporte plus de deux mille espces et qui porte le titre de Mdecine expeclante, prescrit invariablement le quina pour aider la nature accomplir son mouvement naturel (1).La.mdecine des espces implique donc pour la maladie une spatialisation libre, sans rgion privilgie, sans contrainte hospitalire une sorte de rpartition spontane en son emplacement de naissance et de dveloppement qui doit fonctionner comme le lieu o elle dveloppe et achve son essence, o elle parvient son terme naturel: la mort, invitable si telle est sa loi; la gurison, souvent possible si rien ne vient en troubler la nature. L o elle apparat, elle est cense, du mme mouvement, disparatre. Il ne faut pas la fixer dans un domaine mdicalement prpar, mais la laisser, au sens positif du terme, vgter dans son sol dorigine: le foyer, espace social conu sous sa forme la plus naturelle, la plus primitive, la plus moralement solide, la fois repli et entirement transparent, l o la maladie nest livre qu elle-mme. Or, ce thme concide exactement avec la manire dont est rflchi dans la pense politique le problme de lassistance.La critique des fondations hospitalires est au xvme sicle un lieu commun de lanalyse conomique. Les biens qui les constituent sont inalinables: cest la part perptuelle des pauvres. Mais la pauvret, elle, nest pas perptuelle; les besoins peuvent changer, et lassistance devrait porter tour de rle sur les provinces ou les villes qui en ont besoin. Ce ne serait pas transgresser, mais reprendre au contraire sous sa forme vritable la volont des donateurs; leur but principal a t de servir le public, de soulager lEtat; sans scarter de lintention des fondateurs, et en se conformant mme leurs vues, on doit regarder comme une masse commune le total de tous les biens affects aux hpitaux (2). La fondation, singulire et intangible, doit tre dissoute dans l'espace dune assistance gnralise, dont la socit est la fois la seule grante et la bnficiaire indiffrencie. Cest, dautre part, une erreur conomique que dappuyer lassistance sur une immobilisation du capital cest--dire sur un appauvrissement de la nation qui entrane son tour la ncessit de nouvelles fondations: do, la limite, un touffement de lactivit. Il ne faut brancher(1) Vitet, La mdecine expeclante (Paris, 1806', 6 vol.(2) Chamousset (C.H.P.), Plan gnral pour ladministration des hpitaux, in Vues d'un citoyen (Paris, 1757), t. II.w. foucault 2 lassistance ni sur la richesse productrice (le capital) ni sur la richesse produite (la rente, qui est toujours capitalisable), mais sur le principe mme qui produit la richesse: le travail. Cest en faisant travailler les pauvres quon leur portera secours sans appauvrir la nation (1).Le malade, sans doute, nest pas capable de travailler, mais sil est plac lhpital, il devient pour la socit une charge double: lassistance dont il bnficie ne porte que sur lui, et sa famille, laisse labandon, se trouve expose son tour la misre et la maladie. Lhpital, crateur de la maladie par le domaine clos et pestilentiel quil dessine, lest une seconde fois dans lespace social o il est plac. Ce partage, destin protger, communique la maladie et la multiplie linfini. Inversement, si elle est laisse dans le champ libre de sa naissance et de son dveloppement, elle ne sera jamais plus quelle-mme: elle stein-dra comme elle est apparue; et lassistance quon lui prtera domicile compensera la pauvret quelle provoque: les soins assurs spontanment par lentourage ne coteront rien personne; et la subvention accorde au malade profitera la famille: Il faut bien que quelquun mange la viande dont on lui aura fait un bouillon; et en chauffant sa tisane, il nen cote pas plus de chauffer aussi ses enfants (2). La chane de la maladie des maladies, et celle de lappauvrissement perptuel de la pauvret sont ainsi rompues, lorsquon renonce crer pour le malade un espace diffrenci, distinct et destin, dune manire ambigu mais maladroite, protger la maladie et prserver de la maladie.Indpendamment de leurs justifications, les thmes des conomistes et ceux des mdecins classificateurs concident pour les lignes gnrales: lespace dans lequel la maladie saccomplit, sisole et sachve, est un espace absolument ouvert, sans partage ni figure privilgie ou fixe, rduit au seul plan des manifestations visibles; espace homogne o aucune intervention nest autorise que celle dun regard qui, en se posant, sefface, et dune assistance dont la valeur est dans le seul effet dune compensation transitoire: espace sans morphologie propre que celle des ressemblances perues dindividu individu, et de soins apports par une mdecine prive un malade priv.Mais dtre ainsi pousse son terme, la thmatique sinverse. Une exprience mdicale dilue dans lespace libre dune socit(1) Turgot, article Fondation de VEncyclopdie.(2) Dupont de Nemours, I