nacqueville en hague - patrimoine normand

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73 Patrimoine normand 72 Patrimoine normand acque- ville fait par- tie de la nouvelle commune de La Hague depuis 2017. Son nom est attesté au XII e siècle sous les formes Nake- villa, Nachevilla et Naguevilla. Sans surprise en un nord Co- tentin colonisé par les Iro- Texte : Thierry Georges Leprévost CHÂTEAU DE NACQUEVILLE JARDIN Norvégiens, le toponyme est formé d’un patronyme viking et du suffixe ville, très courant en Normandie, venu de villa, le domaine rural chez les Ro- mains. Soit Hnakki-villa, la ferme de Hnakki, selon l’éty- mologiste normand Jean Adi- gard des Gautries, le surnom Hnakki désignant un homme au long cou 1 . Par le fait, la vallée creusée par la rivière des Castelets, et la petite baie située à son embouchure, entre la pointe de Nacqueville et Un peu à l’ouest de Cherbourg, trois vallons côtiers s’unissent pour former un paradis de verdure qui baigne de ses bienfaits le château de Nacqueville, en un parc romantique de huit hectares ouvert sur un infini maritime chargé d’histoire, que l’on découvre au terme d’un long cheminement à travers bois. celle de Querqueville, consti- tuent un havre accueillant pour quiconque y arrive en bateau avec les siens. Ils n’y étaient du reste pas les premiers, car on y a découvert des traces de commerce maritime avec la Grande-Bretagne dès le pre- mier siècle avant J.-C. un château médiéval Si la configuration du site ne laisse aucun doute sur son occupation humaine depuis des temps immémoriaux, les premières constructions pé- rennes ne sont attestées qu’à l’aube de la Renaissance. Les Grimouville sont d’une vieille famille du Coutançais attestée dès la fin du XI e siècle : Robert et Nicolas de Grimouville combattent aux côtés de Ro- bert Courteheuse lors de la Première Croisade. Ils sont barons de la Lande d’Airou et de Gouville, seigneurs de Grimouville et de Carantilly. JARDIN i CHÂTEAU DE NACQUEVILLE 50 14 La Hague N Leurs fils et petit-fils, Louis I er et Louis II de Grimouville, seigneurs de Nacqueville et marquis de Mailleraye, em- brassent la carrière des armes et s’éloignent de leur fief, si- gnant ainsi la fin de leur lignée. L’un meurt maréchal de camp des armées du roi en 1668 ; l’autre, devenu gou- verneur du château de Wat- teville et brigadier des armées du roi, succombe à ses bles- sures de guerre en 1685, sans postérité. Ses neveux vendent la seigneurie de Nacqueville quatre ans plus tard pour payer les dettes de leur oncle. premières transformations L’acquéreur, Bernardin Man- gon, sieur du Coudray, décide de moderniser les lieux. La haute muraille d’enceinte est abattue, à l’exception de la poterne ; la partie droite du château est reconstruite, mais il meurt en 1707. Son fils Jean-Hervé procède à de nom- breuses opérations immobi- lières sur le vaste domaine et conserve Nacqueville. Survient un épisode insolite : au milieu du XVIII e siècle, la guerre de Sept Ans fait rage sur trois continents, faisant figure de « première guerre mondiale » aux yeux des his- toriens. Le 7 août 1758, la flotte anglaise de l’amiral Howe fait face à l’anse de Querqueville, canonne les troupes françaises et débarque ses soldats d’infanterie, qui s’installent au château, avant d’aller attaquer Cherbourg. En 1501, Jean V de Grimou- ville épouse Anne Bazan. En dot, elle lui apporte entre au- tres les terres de Nacqueville, où il s’empresse de faire édifier une demeure fortifiée, sur le coteau du vallon. En termes d’Histoire, le Moyen Âge n’est plus, révolu par la fin de la guerre de Cent Ans, la grande traversée de Christophe Colomb et l’in- fluence artistique du Quat- trocento. Pourtant, l’endroit étant isolé et les campagnes peu sûres, la poterne du ma- noir présente encore les ca- ractéristiques de l’architecture médiévale du siècle précédent : deux imposantes tours d’angle à base circulaire, un pont- levis et même des mâchicoulis. L’appareillage de granit, les toitures en schiste et la sobriété des murs ajoutent à l’austérité du bâtiment, tout comme les remparts de six mètres de haut, aujourd’hui disparus. Le domaine de Nacqueville ré- sulte de la conjonction de trois vallons dont le mouvement se poursuit en direction de la mer (© TGL). 1) Cf le mot anglo-saxon neck. Nacqueville en Hague : le parc anglais du Cotentin 1. Bien qu’elle soit du début du XVI e siècle, la poterne est en- core résolument médiévale dans sa forme, avec ses douves et son pont-levis (© TGL). 2. Mécanisme du pont-levis (© TGL). © TGL Armes des Grimouville : de gueules, à trois étoiles d’or (© éditions Spart). Les Grimouville conservent le domaine pendant près de deux siècles. Jean VI épouse Renée de Mont-Saint-Gilles, fille de Jean des Marais de Saint-Gilles et de Marguerite d’Orglandes. Guillemette d’Argouges se marie en 1560 à leur fils Pierre, qui entre- prend d’agrandir le château et de faire sculpter les armes du couple au-dessus de la porte d’entrée de la forteresse. Puis Jacques de Grimouville prend pour femme Charlotte de Moy en 1603. Blason des Grimouville-Ar- gouges, au-dessus du pont-levis (© TGL). 3. La tour ronde du château ré- pond par sa forme à celles de la poterne (© TGL). 4. L’aile droite du château, ici surgie des rhododendrons, est re- faite par Bernardin Mangon au début du XVIII e siècle (© TGL). 5. Le 7 août 1758, les Anglais débarquent sur la plage de Querqueville et occupent le château (© TGL). 6. Ce canon date probablement de l’occupation du château par les Anglais (© TGL). Jean-Hervé Mangon décède sans enfants en 1763. Il lègue les terres de Nacqueville à son petit-neveu de dix ans, Jean- 4. 3. 6. 5. 1. 2.

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Page 1: Nacqueville en Hague - Patrimoine Normand

73Patrimoine normand72 Patrimoine normand

acque-ville fait par-

tie de la nouvellecommune de LaHague depuis 2017.

Son nom est attesté au XIIesiècle sous les formes Nake-villa, Nachevilla et Naguevilla.Sans surprise en un nord Co-tentin colonisé par les Iro-

Texte : Thierry Georges LeprévostCHÂTEAU DE NACQUEVILLEJARDIN

Norvégiens, le toponyme estformé d’un patronyme vikinget du suffixe ville, très couranten Normandie, venu de villa,le domaine rural chez les Ro-mains. Soit Hnakki-villa, laferme de Hnakki, selon l’éty-mologiste normand Jean Adi-gard des Gautries, le surnomHnakki désignant un hommeau long cou1. Par le fait, lavallée creusée par la rivièredes Castelets, et la petite baiesituée à son embouchure, entrela pointe de Nacqueville et

Un peu à l’ouest de Cherbourg, trois vallons côtierss’unissent pour former un paradis de verdure quibaigne de ses bienfaits le château de Nacqueville, enun parc romantique de huit hectares ouvert sur uninfini maritime chargé d’histoire, que l’on découvreau terme d’un long cheminement à travers bois.

celle de Querqueville, consti-tuent un havre accueillantpour quiconque y arrive enbateau avec les siens. Ils n’yétaient du reste pas les premiers,car on y a découvert des tracesde commerce maritime avecla Grande-Bretagne dès le pre-mier siècle avant J.-C.

un château médiéval

Si la configuration du site nelaisse aucun doute sur sonoccupation humaine depuisdes temps immémoriaux, lespremières constructions pé-rennes ne sont attestées qu’àl’aube de la Renaissance. LesGrimouville sont d’une vieillefamille du Coutançais attestéedès la fin du XIe siècle : Robertet Nicolas de Grimouvillecombattent aux côtés de Ro-bert Courteheuse lors de laPremière Croisade. Ils sontbarons de la Lande d’Airouet de Gouville, seigneurs deGrimouville et de Carantilly.

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Leurs fils et petit-fils, Louis Ieret Louis II de Grimouville,seigneurs de Nacqueville etmarquis de Mailleraye, em-brassent la carrière des armeset s’éloignent de leur fief, si-gnant ainsi la fin de leurlignée. L’un meurt maréchalde camp des armées du roien 1668 ; l’autre, devenu gou-verneur du château de Wat-teville et brigadier des arméesdu roi, succombe à ses bles-sures de guerre en 1685, sanspostérité. Ses neveux vendentla seigneurie de Nacquevillequatre ans plus tard pourpayer les dettes de leur oncle.

premières transformationsL’acquéreur, Bernardin Man-gon, sieur du Coudray, décidede moderniser les lieux. Lahaute muraille d’enceinte estabattue, à l’exception de lapoterne ; la partie droite duchâteau est reconstruite, maisil meurt en 1707. Son filsJean-Hervé procède à de nom-breuses opérations immobi-lières sur le vaste domaine etconserve Nacqueville.Survient un épisode insolite :au milieu du XVIIIe siècle, laguerre de Sept Ans fait ragesur trois continents, faisantfigure de « première guerremondiale » aux yeux des his-toriens. Le 7 août 1758, laflotte anglaise de l’amiralHowe fait face à l’anse deQuerqueville, canonne lestroupes françaises et débarqueses soldats d’infanterie, quis’installent au château, avantd’aller attaquer Cherbourg.

En 1501, Jean V de Grimou-ville épouse Anne Bazan. Endot, elle lui apporte entre au-tres les terres de Nacqueville,où il s’empresse de faire édifierune demeure fortifiée, sur lecoteau du vallon.En termes d’Histoire, leMoyen Âge n’est plus, révolupar la fin de la guerre de CentAns, la grande traversée deChristophe Colomb et l’in-fluence artistique du Quat-trocento. Pourtant, l’endroitétant isolé et les campagnespeu sûres, la poterne du ma-noir présente encore les ca-ractéristiques de l’architecturemédiévale du siècle précédent :deux imposantes tours d’angleà base circulaire, un pont-levis et même des mâchicoulis.L’appareillage de granit, lestoitures en schiste et la sobriétédes murs ajoutent à l’austéritédu bâtiment, tout comme lesremparts de six mètres dehaut, aujourd’hui disparus.

Le domaine de Nacqueville ré-sulte de la conjonction de troisvallons dont le mouvement sepoursuit en direction de la mer(© TGL).

1) Cf le mot anglo-saxon neck.

Nacqueville en Hague :le parc anglais du Cotentin

1. Bien qu’elle soit du début duXVIe siècle, la poterne est en-core résolument médiévale danssa forme, avec ses douves et sonpont-levis (© TGL).

2. Mécanisme du pont-levis(© TGL).

© TGL

Armes des Grimouvi lle : degueules, à trois éto iles d’or

(© éditions Spart).

Les Grimouville conserventle domaine pendant près dedeux siècles. Jean VI épouseRenée de Mont-Saint-Gilles,fille de Jean des Marais deSaint-Gilles et de Marguerited’Orglandes. Guillemetted’Argouges se marie en 1560à leur fils Pierre, qui entre-prend d’agrandir le châteauet de faire sculpter les armesdu couple au-dessus de laporte d’entrée de la forteresse.Puis Jacques de Grimouvilleprend pour femme Charlottede Moy en 1603.

Blason des Grimouville-Ar-gouges, au-dessus du pont-levis(© TGL).

3. La tour ronde du château ré-pond par sa forme à celles de lapoterne (© TGL).

4. L’aile droite du château, icisurgie des rhododendrons, est re-faite par Bernardin Mangon audébut du XVIII e siècle (© TGL).

5. Le 7 août 1758, les Anglaisdébarquent sur la plage deQuerqueville et occupent lechâteau (© TGL).

6. Ce canon date probablementde l’occupation du château parles Anglais (© TGL).

Jean-Hervé Mangon décèdesans enfants en 1763. Il lègueles terres de Nacqueville à sonpetit-neveu de dix ans, Jean-

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Querqueville au terme d’unelongue descente à travers lebocage où les prairies succes-sives tendent progressivementvers l’horizontal. Au gré desvallons, des cascades et desfontaines bordées d’arumsprennent naissance en don-nant l’illusion d’y avoir tou-jours existé.En direction de la mer, la vues’éclaircit grâce à un habiledéfrichement. Sur les hauteursen revanche, la zone boiséese densifie, traversée par plu-sieurs allées forestières. Desconifères et des feuillus sontplantés en abondance, ainsique d’autres essences d’origineexotique. Les feuilles de gun-neras impressionnent par leurgigantisme, atteignant un dia-mètre d’1,50 mètre à la bellesaison ! On admire encoreaujourd’hui à l’orée de la clai-rière deux grands séquoias ca-liforniens plantés en 1840,comme un hommage à l’au-teur de De la démocratie enAmérique. La fraîcheur et l’acidité dusol armoricain privilégient les

plantes endémiques de terrede bruyère : alignementsd’hortensias bleus, massifs derhododendrons, bouquetsd’azalées et de camélias quigarnissent les sous-bois deleurs variétés sauvages.Les années passent, et le tempsfinit de modeler le paysage.En 1857, Alexis de Tocquevilleécrit à son ami Gustave deBeaumont4 : « J’étais avant-hier chez mon frère Hippolyte.Ils ont dépensé assez d’argentet de goût à Nacqueville pourfaire de ce lieu un des plusjolis lieux du monde ».

de nouveaux propriétaires

Sans descendance, Hippolytede Tocqueville suit de peu sonépouse dans la mort en 1877.Pour la seconde fois depuisson origine, le domaine estmis en vente, par les neveuxd’Émilie. La troisième familleà occuper les lieux est celled’Hildevert Hersent5, un per-sonnage hors du commun.Il naît en 1827 à Vacherie-sur-Hondouville, dans l’Eure,au sein d’une modeste famillede paysans. Ses universités selimitent à l’école primaire : à14 ans, il entre en apprentissageà Évreux dans l’entreprise detravaux publics de M. Jeanne.Une fois acquises les bases d’unmétier où il se sent à l’aise, ilintègre en 1856 la société Castoret Jacquelot, dont il devient as-socié en 1860, puis directeuren 1874. Son esprit novateurfait merveille dans la conceptiondes ponts.

mettra en valeur tout en pro-fitant de sa présence, une al-chimie interactive qui a faitses preuves sous l’Ancien Ré-gime lors du développementdes jardins à la française autourdes châteaux.À Nacqueville, la forte décli-vité du terrain n’est favorable,ni aux longues allées recti-lignes, ni aux parterres géo-métriques qui ont fait la re-nommée d’André Le Nôtre.Du reste, ce parti ne s’accordepas avec les souhaits du marid’Émilie. Cédant à la nouvellemode européenne du XIXesiècle venue d’outre-Manche,il veut un jardin à l’anglaise,créé par les meilleurs de sontemps.Si William Kent2 a été au dé-but du XVIIIe siècle le pro-moteur de la nouvelle vogue

Baptiste Barbou de Querque-ville. La Révolution lui amènedes bandes de pillards quimettent à sac le château. En1794, il est arrêté, jugé som-mairement et guillotiné. Ledomaine passe alors à sa sœur,puis à sa nièce, et en 1822 àsa petite-nièce Émilie Érardde Saint-Rémy de Belisle, âgéede dix-sept ans, qui va épouserle capitaine de dragons Hip-polyte Clérel, comte de Toc-queville, né en 1797, dont lefrère Alexis deviendra célèbrepour ses travaux sur les États-Unis d’Amérique.Ils sont issus d’une famille lé-gitimiste au passé prestigieux :arrière-petits-fils de Males-herbes, neveux par alliance deJean-Baptiste de Chateau-briand, et même descendantsde Louis IX par leur grand’mèrepaternelle. Leur père HervéClérel de Tocqueville a servidans la garde constitutionnellede Louis XVI et échappé dejustesse à la guillotine, commeleur mère Louise. Hippolyteest le deuxième de la fratriepar ordre de naissance.

un parc à l’anglaise

Hippolyte Clérel modifie l’as-pect du château en recons-truisant sa partie centrale. Ladisparition du mur d’enceinte120 ans plus tôt lui permetde donner corps à son désirde jardin, en ouvrant la de-meure sur un espace qui la

JARDIN i CHÂTEAU DE NACQUEVILLE

paysagère, il a trouvé en Lan-celot Brown3 un disciple degénie qui va populariser sonart. Auteur de plus de 200jardins dont la plupart existentencore, il doit à ses qualitésd’adaptation au profil du pay-sage son surnom de « Capa-bility », qu’on peut traduirepar « potentiel », car il voyaitd’emblée tout le parti qu’ilpourrait tirer d’un site. Ainsi,il semble évident à Hippolytede Tocqueville qu’il doits’adresser à l’école de Lancelot« Capability » Brown. L’èredes transformations est ouvertedès 1830, à l’apogée du ro-mantisme français.Une nouvelle avenue issue dulong chemin d’accès au do-

JARDIN i CHÂTEAU DE NACQUEVILLE

Le château est mis à sac parles révolutionnaires sous laTerreur (© TGL).

La suppression du mur d’en-ceinte a ouvert la demeure surle vallon, jusqu’à la mer (© TGL).

Premier à utiliser l’air com-primé lors de leur construc-tion, l’ingénieur en hydrau-lique se singularise au pontsur le Rhin à Kehl avec desfondations à 20 mètres sousl’eau. Son efficacité le conduitsur d’autres réalisations : denombreux ponts de cheminde fer, la régularisation ducours du Danube autrichienpar une drague à godets etun excavateur monté sur rails.On le sollicite dans le mondeentier pour des travaux por-

1. Hippolyte de Tocquevi llefait reconstruire la partie cen-trale du château et crée leparc à l’anglaise (© TGL).

2. Malgré de nombreuses modi-fications au cours du temps, lechâteau présente une étonnanteunité architecturale, avec ses fe-nêtres à meneaux et ses man-sardes surhaussées. Grâce à lapierre utilisée, les éléments lesplus anciens s’intègrent parfai-tement dans cet ensemble envi-ronné de verdure (© TGL).

2) 1685-1748. On considère William Kentcomme le père du jardin à l’anglaise.3) 1716-1783. La renommée de LancelotBrown n’a curieusement guère dépasséle cadre de ses frontières. Adulé par cer-tains, il est vivement critiqué par d’autresqui lui reprochent d’avoir défiguré lescampagnes anglaises traditionnelles parses travaux gigantesques.

1. 2.

Le chemin d’accès est marquépar des gunneras, des horten-sias et la forêt adjacente (© TGL).

La rivière Les Castelets surgit dela forêt pour traverser le parc(© TGL).

maine fait face au château enpassant par la poterne, laquelledevient de fait une prestigieusefabrique, comme un pointd’exclamation avant le corpsdu logis.Le réseau hydrographique quiirrigue le domaine constitueun atout majeur. Les anciennesdouves deviennent l’axe centraldu jardin romantique : encontrebas de la poterne, la ri-vière des Castelets alimenteun petit étang entouré defrênes et de saules ; celui-ciest agrandi pour que s’y reflètel’ouvrage défensif, marquantle site de son empreinte, avantd’atteindre au loin l’anse de

Hippolyte de Tocqueville a créé levaste étang, élément indispensa-ble du parc. Celui-ci ajoute unetouche romantique (© TGL).

4) 1802-1866. Le comte Gustave deBeaumont est le coauteur avec Alexis deTocqueville de l’essai Du système péni-tentiaire aux États-Unis.5) 1827-1903.

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(Projet Tournesol). Il s’agit,ni plus ni moins, de formerles cadres de la future sociétéallemande au sein d’une Europepacifiée ! Parmi les 70 000 pri-sonniers qu’ils ont sous la

main, tous rassemblés sur leshauteurs du parc, ils vont ten-ter de choisir les meilleurs.Écartant d’emblée tous lesmembres du parti nazi, ils fi-nissent par en sélectionner632 pour donner corps à leurvision de l’après-guerre, enfonction de leurs qualités in-tellectuelles et sur la base duvolontariat. Cette étrange uni-versité prend ses quartiers surplace, autour du château.Le programme du centre édu-catif est basique et circons-tanciel : enseignement de lalangue anglaise, histoire del’Allemagne et des États-Unisd’Amérique, fonctionnementdes gouvernements militaires,principes de la démocratie etmise en application de celle-ci dans les différents pays. LesAnglais ont ouvert un centreanalogue à Wilton Park, dansle Sussex, à la même époque.Le choix de Nacqueville n’estpas dû au hasard. Proche deCherbourg, dans le secteuraméricain, il s’impose aussipar son pouvoir symbolique.Les libérateurs ne connaissent

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de perfectionner sa technique :cloches plongeantes à Brest,caissons à Toulon, air compriméà Anvers. Président de la Sociétédes Ingénieurs de France, on leconsulte pour le percement dePanama, où Ferdinand de Les-seps ne veut qu’un canal à ni-veau, tandis qu’il prône desécluses, ce qui le conduit à seretirer du projet.Autant dire qu’il n’est pas àcourt d’idées en s’installant àNacqueville, où il réside leplus souvent possible, comptetenu de ses occupations. Il faitconstruire à l’entrée le pavillondu concierge, crée une grottede rocaille, des serres, un

76 Patrimoine normand

JARDIN i CHÂTEAU DE NACQUEVILLE JARDIN i CHÂTEAU DE NACQUEVILLE

kiosque dans les bois, moder-nise l’intérieur du château, lepourvoit en nouveau mobilier,et améliore les circuits d’eaudu parc grâce à l’ajout de bar-rages et de vannes, et en agré-mentant Les Castelets d’un la-voir en rocaille. Il agrandit laforêt de 15 ha supplémentaires,en y implantant de nombreusesessences d’origine américaine.Mécène, il fait par ailleursconstruire une église à Nac-queville-le-Haut (détruite en1944) et un orphelinat. Ilmeurt en 1903 ; on l’inhumeà Nacqueville. Jean, son fils etsuccesseur à la tête de la société,reprend le domaine au décèsde sa mère, seize ans plus tard.

la secondeguerre mondiale

Les Nazis prennent possessiondes lieux en 1940. Ici commeailleurs, l’Occupation a deseffets calamiteux sur le patri-moine et l’environnement. Lesite est transformé en caserneà destination des Jeunesses hit-lériennes, plus de 2 000 arbressont abattus pour aider à laconstruction du Mur de l’At-lantique avec les tristementcélèbres asperges de Rommel,l’intérieur du château est en-dommagé.

Le domaine est saccagé pourla seconde fois.Quand Marcel Hersent6, se-cond fils de Jean Hersent, lerécupère à la mort de sonpère en 1946, il est dans unétat désastreux : toitures éven-trées, intérieur saccagé, parcméconnaissable, bois dévastés.C’est la même année que, dé-livrée des incertitudes de laguerre, Jacqueline, la fille de

pas beaucoup de Français il-lustres, mais deux d’entre euxfont l’objet outre-Atlantiqued’un véritable culte républicain :Gilbert du Motier de LaFayette et Alexis de Tocque-ville. Ils n’ont pas mis long-temps à savoir que l’auteurde De la démocratie en Amé-rique était originaire du Co-tentin, ni que l’un des pro-priétaires du château s’appelaitTocqueville. Certes, c’était lefrère de l’essayiste, mais ilsne vont pas s’embarrasser dece détail : désormais, Nac-queville est le domaine deTocqueville, à tel point qu’ilsvont lui donner son nom.C’est ainsi que l’élite de l’Al-lemagne à venir est forméeau « château Tocqueville » ! L’école est implantée en hautdu vallon, à droite de l’alléed’accès rebaptisée « cheminde Cherbourg ». De nombreuxautres baraquements sontéparpillés un peu partout dansle parc, autour du plan d’eau,de part et d’autre de la rivièreque les libérateurs ont canaliséeet couverte, où se déversentles latrines, sur tous les espacesplus ou moins aménageables.

Où que l’on se trouve, lapoterne est toujours visi-ble, vér itable référencecentrale du parc (© TGL).

1. Cascade des Castelets à l’ar-rivée du cours d ’eau dansl’étang (© TGL).

2. Hortensias et rhododendronsde part et d’autre de la cascade(© TGL).

3. Les fleurs d’hortensias s’épa-nouissent à merveille sur la terrede bruyère (© TGL).

4. Les feuilles de gunneras peu-vent atteindre un diamètred’1,50 m ! (© TGL).

Ce til leul est l’un des plus anciens arbresdu parc (© TGL).

Croix de chemin sur le par-cours du domaine (© TGL).

Le call istemon, courammentappelé rince-boutei lle, es td ’or igine australienne (© TGL).

Une charmante maisonnette auxallures de fabrique (© TGL).

En 1944, séduits à leur tourpar l’intérêt stratégique dudomaine, les Américains pren-nent la place des Allemands.Ils y installent leur quartiergénéral, implantent des ba-raquements, créent des par-kings pour l’état-major, et selancent dans la plus impro-bable entreprise culturelle dela Libération.Conscients que la victoire al-liée doit nécessairement ouvrirla voie vers la démocratie dansle cadre d’une paix durableavec l’ennemi d’hier, ils met-tent sur pied le Sunflower project

tuaires, notamment en Europeà Anvers, Lisbonne, Brest, Tou-lon et Cherbourg, mais aussien Tunisie, au Sénégal, en Ar-gentine, ou en Indochine.Chaque chantier lui permet

6) 1895-1971.4.

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Page 4: Nacqueville en Hague - Patrimoine Normand

Informations pratiques

Parc du château de Nacqueville, Urville-Nacqueville,50460 La HagueTél. et fax : 02 33 03 21 12Site : http://www.nacqueville.comCourriel : [email protected] d’ouverture : du Ier mai au 30 septembre ; les jeudis, vendredis, dimanches et jours fériés, de 12 hà 18 h ; visites libres et à pied ; fermeture du parc à18 h.

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Marcel, épouse le résistantFrançois Azan.En 1943, le gouvernementvichyste crée les Équipes na-tionales, une unité de Défensepassive destinée à porter se-cours aux victimes des bom-bardements alliés, en liaisonavec la Croix Rouge. C’est labrèche dans laquelle s’engouf-frent de jeunes volontairespatriotes, qui y voient l’occa-sion de lutter contre l’occu-pant. À leur tête, Jean-GérardVerdier, qui joue le jeu de lalégalité en créant la SectionMotorisée du XVIe, dont Fran-çois Azan fait partie. Ce jeunesaint-cyrien prend en 1944la tête de la SM, devenue unevéritable organisation auto-nome de résistance, dotéed’une formation et de matérielmilitaires, ce qui lui permetde prendre une part essentielleaux combats pour la libérationde Paris. Elle intègre la 2e DBdu général Leclerc, à l’instardes Normands de la compa-gnie Scamaroni, qui avaitcombattu les Allemands pen-dant la bataille de Caen.

où ils vivaient depuis douzeans, afin de s’y établir et des’en occuper au mieux. Leurplan de gestion du site metl’accent sur le caractère boisédu vallon, qu’ils entendentmaintenir et renforcer ; laforêt demeure pour l’instantfermée au public.Leur mariage constitue unesorte de retour aux sourcesfamiliales, puisqu’on se rap-pelle que Pierre de Grimou-ville avait au XVIe siècle épouséGuillemette d’Argouges, quiétait elle-même descendantedes Harcourt. Faut-il rappelerque cette illustre famille nor-mande trouve son origine auXe siècle, en la personne deBernard le Danois, l’un desplus proches compagnons deRollon ?C’est aussi un retour auxsources avéré pour Florence

d’Harcourt, qui renoue avecles parfums de son enfancedans le parc où elle venaitvoir ses grands-parents. Ellerevient toujours avec plaisirau premier étage de la poterne,devenu espace pédagogique,qui constituait sa salle de jeu !Cinq siècles après sa création,la pérennité de Nacquevilleest assurée. n TGL.

la résurrectionIl faudra plus de dix ans àMarcel Hersent pour effacerles outrages de la guerre. Lechâteau bénéficie d’une res-tauration totale. Après la sup-pression des terrassements suc-cessifs, les déclivités sont ré-tablies dans le parc et dansles bois, des arbres replantésà profusion, les fermes répa-rées. Enfin, un jour de 1962,la consécration tant attenduea lieu : le parc et le châteaus’ouvrent à la visite du public.C’est le début d’une ère nou-velle qui se poursuit encoreaujourd’hui.En 1971, Jacqueline Azan hé-rite de la propriété. Pendant29 ans, elle et son mari lamaintiennent en parfait étatet lui conservent son charmeromantique retrouvé. Seul bé-mol : la tempête d’octobre1987 dont les vents de 200km/h sont fatals aux arbressur 25 hectares. Le parc et lechâteau sont inscrits à l’in-ventaire supplémentaire desMonuments historiques. Le jar-din a reçu les labels Jardin re-marquable, Jardin coup de cœuret Club parcs et jardins deNormandie.Enfin, en 2000, le domainerevient à leur fille Florence età son époux Thierry d’Har-court, qui avec leurs trois en-fants rentrent de l’Australie

Vis ion romantique de la po-terne, dominée par la puis-sance de la nature (© TGL).

La grotte de rocaille est unecréation d’Hi ldevert Hersent.(© Florence d’Harcourt).

Les fontaines sont propices aufoisonnement végétal (© TGL).

JARDIN i CHÂTEAU DE NACQUEVILLE