n° 19 avril – mai 2010 sommaire 2 8 3 9 4 10 6 11 57 · mes recherches sur le mwaka kogwa. ......

12
5 N° 19 Avril – Mai 2010 édito Ce dernier Langues zOne de l’année scolaire se veut, comme toujours, un reflet de l’INALCO et de la diversité de ses étudiants. La contrainte du format ne limite en rien la liberté de parole, malgré certains arcles nécessitant une relecture à quatre ou huit mains. Le résultat peut sembler surprenant, nous faisant passer d’une loi contre les tortures animales à la beauté des ballets russes. Mais ces associaons inaendues se renouvellent à chaque fois que l’on prend le temps d’échanger avec un autre étudiant. On peut ainsi tour à tour prendre une pause autour de la machine à café avec un contrôleur de trains, un ostéopathe ou un retraité. Ce n’est, après tout, pas plus incroyable que de voir ensemble une Colombienne, une Française et une Sénégalaise aendre le début de leur prochain cours. Il m’est ainsi impossible de vous résumer le contenu de ce journal, véritable reflet de nos préoccupaons et qu’il ne ent qu’à vous de maintenir ou de faire évoluer. Je vous laisse donc le découvrir par vous-même. Bonne lecture ! Ursula CHENU Interview L a Tanzanie, ses parcs naonaux, ses touristes... et ses Masaïs É cologie au pays de Ghandi La Chine cruelle envers ses animaux Centenaire des ballets russes Semi-marathon culturel FICA 2010 Cow Du point de vue personnel Sur la route depuis mon transat In memoriam 2 4 7 8 3 11 12 6 10 9 sommaire N° 19 Avril – Mai 2010

Upload: dinhphuc

Post on 12-May-2018

213 views

Category:

Documents


1 download

TRANSCRIPT

Page 1: N° 19 Avril – Mai 2010 sommaire 2 8 3 9 4 10 6 11 57 · mes recherches sur le mwaka kogwa. ... question viennent pour chasser et n’hésitent pas à déplacer en gros-porteurs

5

N° 19 Avril – Mai 2010

éditoCe dernier Langues zOne de l’année scolaire se veut, comme toujours, un reflet de l’INALCO et de la diversité de ses étudiants. La contrainte du format ne limite en rien la liberté de parole, malgré certains articles nécessitant une relecture à quatre ou huit mains. Le résultat peut sembler surprenant, nous faisant passer d’une loi contre les tortures animales à la beauté des ballets russes. Mais ces associations inattendues se renouvellent à chaque fois que l’on prend le temps d’échanger avec un autre étudiant. On peut ainsi tour à tour prendre une pause autour de la machine à café avec un contrôleur de trains, un ostéopathe ou un retraité. Ce n’est, après tout, pas plus incroyable que de voir ensemble une Colombienne, une Française et une Sénégalaise attendre le début de leur prochain cours. Il m’est ainsi impossible de vous résumer le contenu de ce journal, véritable reflet de nos préoccupations et qu’il ne tient qu’à vous de maintenir ou de faire évoluer. Je vous laisse donc le découvrir par vous-même. Bonne lecture !

Ursula ChenU

Interview La Tanzanie, ses parcs nationaux, ses touristes... et ses Masaïs

écologie au pays de Ghandi La Chine cruelle envers ses animaux Centenaire des ballets russesSemi-marathon culturel

FICA 2010

Cow

Du point de vue personnel Sur la route depuis mon transat

In memoriam

2

4

7

83

1112

6109

sommaire

N° 19 Avril – Mai 2010

Page 2: N° 19 Avril – Mai 2010 sommaire 2 8 3 9 4 10 6 11 57 · mes recherches sur le mwaka kogwa. ... question viennent pour chasser et n’hésitent pas à déplacer en gros-porteurs

Odile Issa 56 ans, habite à SèvresEnseignante de swahili à l’INALCO En quelle année universitaire es-tu entrée à l’INALCO et quel y fut ton parcours ?Ma première inscription date de septembre 1985. J’ai suivi les cours de Pierre Alexandre, Ali Saleh, Aziza Mohamed Aboubacar et Gérard Philippson, qui était alors chargé de cours.J’ai fait un DULCO puis, après deux ans et demi d’interruption parce que j’étais en Tanzanie, un DREA (Diplôme de Recherche en Études Appliquées). As-tu suivi des études parallèles ?Je n’ai pas vraiment suivi des études parallèles mais j’avais fait d’autres études auparavant et lorsque je me suis inscrite en swahili, j’étais au chômage.Après avoir été chargée de cours d’Histoire musulmane à l’époque classique à l’Université de Toulouse pendant deux ans, je me suis retrouvée sans travail. J’avais alors décidé de venir tenter ma chance à Paris et m’étais retrouvée secrétaire (vacations) au Département d’arabe de l’Université de Paris VIII Saint-Denis. Un conseiller A.N.P.E. me dit un jour qu’étant donné que j’avais accepté un poste de secrétaire, j’avais dévalorisé mes diplômes et que je ne serais plus que secrétaire. Dix ans d’études partis en fumée ! Dans la foulée, il me conseilla de faire de l’informatique mais, devant mon désappointement, me parla aussi de l’INALCO. Pour moi, pas question de faire de l’informatique. Et puisque de toute façon, je ne voyais que le chômage comme horizon, je décidai de me faire plaisir avant tout. J’avais envie de faire du wolof, mais cela n’existait pas encore à l’INALCO, alors j’ai opté pour le swahili. Au bout de deux ans, je me suis inscrite en thèse d’ethnologie à l’E.H.E.S.S. sous la direction de Marc Augé, parce que j’avais découvert une fête dans le sud de Zanzibar (le mwaka kogwa de Makunduchi) sur laquelle chacun disait n’importe quoi. Je voulais en savoir plus.

Que t’ont apporté tes études à l’INALCO ?Beaucoup de plaisir et de bonheur. L’ambiance dans les cours était très agréable et apprendre le swahili a été une sorte de jeu. J’ai trouvé cette langue amusante. Je ne dirais peut-être plus cela aujourd’hui, mais ce fut une sorte de révélation. De nos jours, beaucoup de chercheurs, notamment ceux qui travaillent sur les langues bantu, considèrent le swahili comme une langue banale, presque trop décrite. Je ne cesse de l’approfondir et je fais des découvertes tous les jours. Cette langue ne cesse de m’étonner.

Durant tes études à l’INALCO, as-tu fait des stages en entreprise, des jobs étudiants ou encore participé à une association estudiantine ayant contribué à ta formation ?J’ai adhéré à une association qui s’appelait les Amitiés franco-tanzaniennes. Cela m’a permis de rencontrer deux prêtres qui étaient venus faire leurs études à Paris et qui ne parlaient pas encore le français lorsqu’ils sont arrivés. L’un d’entre eux a accepté que nous nous rencontrions tous les mercredis pour faire deux heures de français et deux heures de swahili. J’ai beaucoup appris avec lui. Quel a été ton parcours professionnel à la sortie

de l’INALCO ? Quelle est ta situation aujourd’hui ? Comment t’y es-tu prise pour trouver du travail ?À l’époque où j’apprenais le swahili, le Ministère des Affaires Étrangères offrait aux étudiants de swahili une bourse pour faire un séjour linguistique en Afrique de l’est. En 1987, je fus sélectionnée. Durant ce voyage, j’ai traversé toute la Tanzanie en autobus. J’avais aussi prévu de retrouver des membres des Amitiés franco-tanzaniennes à Dar es Salaam. Ces personnes m’emmenèrent un jour à l’ambassade de France, où je rencontrai l’attaché culturel. À l’issue de la mission, nous devions rendre un rapport. J’avais choisi de parler de la restauration de la vieille ville de Zanzibar, où j’avais séjourné le temps d’un stage à l’Institut de swahili et de langues étrangères (TAASISI). Si j’avais fait ce choix, c’est parce que j’avais eu l’occasion de rencontrer l’architecte qui avait ce projet en charge. Il se trouve que

2

Interview

© Odile Issa Fabrication de corde par les femmes à Makunduchi Kae dans le sud d'Unguja (Zanzibar), activité menacée par l’importation de ficelles de Nylon et le tourisme

Page 3: N° 19 Avril – Mai 2010 sommaire 2 8 3 9 4 10 6 11 57 · mes recherches sur le mwaka kogwa. ... question viennent pour chasser et n’hésitent pas à déplacer en gros-porteurs

3

l’attaché culturel défendait ce projet (ce que j’ignorais lorsque j’écrivis mon rapport) : j’ai donc compris ensuite pourquoi il m’avait toujours soutenue.Je suis restée en contact avec lui et un jour, il m’a dit que l’enseignant de français de TAASISI ne s’était pas habitué à la vie zanzibarite. Il avait fait une dépression et avait dû rentrer en France. Il est vrai qu’à l’époque, il n’y avait pratiquement pas de moyen de transport entre Zanzibar et Dar es Salaam et que les conditions de vie pouvaient paraître assez dures, puisque les coupures d’eau et d’électricité étaient quotidiennes. Il cherchait quelqu’un pour le remplacer et, afin d’éviter de nouveaux déboires, souhaitait mettre à ce poste une personne qui ne coûterait pas trop cher (eh oui !) et qui pourrait s’adapter. De mon côté, je me demandais bien ce que je ferais de mes études de swahili. Par ailleurs, je venais de vivre une dizaine d’années à faire des petits boulots précaires ; alors j’ai tout de suite sauté sur l’occasion. Je n’avais pour toute expérience dans le domaine de l’enseignement du français que quelques heures de cours dispensées un été à des étudiants saoudiens. Mais ce n’était pas grave, j’avais trouvé là un excellent moyen de faire

mes recherches sur le mwaka kogwa. Ma première année à Zanzibar, je l’ai passée à essayer de m’adapter et à perfectionner mon swahili pour pouvoir ensuite aller mener des enquêtes auprès des personnes âgées. Je me suis aussi initiée au kikae, le dialecte du sud de Zanzibar, qui n’avait jamais été décrit.

Quelques mois avant la fin de mon contrat, j’ai appris que mon professeur, monsieur Ali Saleh, prenait sa retraite. J’ai donc posé ma candidature et ça a marché. Entre temps, j’avais achevé un DREA sur la description du kikae.

Quel(s) conseil(s) une ancienne étudiante de l’INALCO telle que toi peut nous donner à nous, actuellement étudiants, afin de trouver des débouchés professionnels en fin d’études ?De mon parcours, je tire la conclusion qu’il faut faire ce que l’on aime, même

si ça peut paraître fou. Je crois avoir eu raison de suivre mes aspirations. Là où je suis moins sûre d’avoir fait le bon choix, c’est quand j’ai décidé de rentrer en France. Mon rêve, c’était de vivre en Afrique. Mais comment faire sans travailler dans le tourisme, que je considère comme une autre forme de colonisation ?

Danse masaï © Jean Barak

La Tanzanie, ses parcs nationaux, ses touristes... et ses Masaïs

La Tanzanie fait rêver et la richesse de sa faune et de sa flore en fait une destination de prédilection pour les amateurs de grands espaces. Le gouvernement l’a bien compris et compte sur ces atouts pour développer le tourisme de luxe et faire entrer des devises dans le pays (en 2008, 20% du PIB provenait du tourisme). Aujourd’hui un quart du territoire est protégé, zone qui s’agrandit toujours plus.Mais l’obsession du gouvernement sur la qualité de sa faune devient telle que les hommes qui vivent dans ces grands espaces se retrouvent violemment chassés de chez eux. Il s’agit des Masaïs, à qui l’on demande d’abandonner terre, traditions et mode de vie. Ces pasteurs sont accusés de dégrader l’environnement et donc, de diminuer la qualité du voyage réservé par les étrangers. Le comble reste que les étrangers en question viennent pour chasser et n’hésitent pas à déplacer en gros-porteurs les animaux vivants qui les intéressent.La loi prévoit pourtant que lorsqu’une zone devient protégée, ses habitants doivent recevoir les moyens de se reloger. Des O.N.G. et des gouvernements de nombreuses nationalités tentent de faire pression pour améliorer la situation. Mais régulièrement, et surtout de juillet à septembre, pendant la saison de la chasse, seule la police anti-émeutes intervient, harcèle et incendie les villages. En manque de pâturages, les troupeaux diminuent. En manque de villages, les hommes vivent dans des conditions déplorables. Alors en attendant un quelconque miracle (car si certains Masaïs ont choisi de se défendre, ils sont encore trop peu à réussir à se faire entendre), les jeunes hommes se contentent d’attendre le prochain bus rempli de touristes, pour pouvoir sauter toujours plus haut et déshumaniser ce qui faisait d’eux des hommes fiers.

Ursula ChenUSource : Les Masaïs martyrs du tourisme, de Marc Perelman, Marianne, 30 janvier au 5 février 2010

Page 4: N° 19 Avril – Mai 2010 sommaire 2 8 3 9 4 10 6 11 57 · mes recherches sur le mwaka kogwa. ... question viennent pour chasser et n’hésitent pas à déplacer en gros-porteurs

4

ÉCOLOgIE Au pAys DE gANDhI

Du 16 février au 16 mai 2009, je suis partie en Inde du Nord, afin de réaliser un reportage-photos sur les différents types de cultures biologiques. Le but était de promouvoir le message du bio, et de faire le lien avec nos produits de consommation et les cultivateurs d’Asie. Ce projet a obtenu des bourses de la D.D.J.S. (Envie d’agir) et de la Mairie de Paris (P.J.A.).

J’ai visité 5 fermes bio dans lesquelles je suis restée une à trois semaines, partageant ainsi la vie quotidienne des agriculteurs et leur travail. En échange, ils ont volontiers répondu à mes questions, m’ont laissé prendre des photos, et j’ai pu considérablement améliorer mon hindi. La plupart de ces fermes sont membres de l’association “WWOOF”, regroupant des exploitations pratiquant diverses techniques de cultures biologiques à travers le monde, et accueillant volontaires et visiteurs.

L’agriculture biologique, c’est le fait de cultiver la terre en observant les lois de la vie, en nourrissant les plantes non pas avec des engrais chimiques ou solubles, mais avec les êtres vivants du sol, qui leur élaborent et fournissent tous les éléments dont elles ont besoin.

Pour obtenir la qualification de “ferme biologique”, les agriculteurs doivent respecter les règles strictes des chartes officielles issues d’organismes gouvernementaux ou d’associations comme “Indocert” (située uniquement en Inde) ou l’IOFA (mondial) et bien d’autres encore. Le cultivateur doit observer une période de “sevrage” de la terre où, pendant trois années entières, il cultivera son sol sans aucun produit, engrais d’origine chimique, ou pesticide. Si, au long de cette période, le moindre usage de ces produits est observé, il faudra renouveler la période de trois ans. À la suite de cela, les “Indian and US (si l’exportation se fait hors du pays) Norms” contrôleront annuellement la qualité de la terre, de l’eau et le travail des employés.

L’une des fermes (située à Dharam Sala) pratique l’agriculture “naturelle”, qui préconise la “non-action”, permettant ainsi l’auto-régénération des plantes, et proscrit l’usage

de tout engrais ou pesticide, qu’il soit d’origine chimique ou naturel.

Voici quelques exemples concrets, situés dans les États côtiers du Nord Ouest, en remontant jusqu’à l’Himalaya :

“HARI CAMP”, village Vikram Ghar : 11 ares1 essentiellement de black tulsi (basilic) et d’akaar kala (plante contre le mal de dent). Le propriétaire, de Bombay, dirige une dizaine de fermes biologiques et exporte les productions dans 45 pays différents (dont la France), essentiellement destinées aux produits ayurvédiques et cosmétiques. Une fois par semaine, les élèves de l’école du village voisin viennent à la ferme étudier sur place ce que sont l’agriculture biologique et l’ayurveda.

“NU TECH FARM”, village Rajan : 17 ares d’aloe vera, de dattiers et d’amlas (petit fruit dur et amer). Le propriétaire, de Bombay, exporte depuis sept ans la production vendue à 90% à Bombay, en Suisse et en Espagne.

“ASHRAM” : ces champs de roses produisent, par jour, entre 15 et 20 kg de pétales frais lors de la première floraison, puis de 6 à 8 kg pour la seconde. Ils sont séchés pour entrer dans des recettes culinaires. À 10 km de l’ashram, se trouve “Sojat City”, le pôle actif, la plate-forme de vente

et d’exportation du henné. C’est ici que le henné est transformé en poudre colorante, crème et cônes.

“SAHARIA ORGANIC FARM” : 15 ares de blé, exportés pour devenir de la bière biologique, vendue légèrement plus cher mais dans tout le Rajahstan. Il est à noter que les agriculteurs n’ont jamais vu, ni goûté cette bière.

“THE FARM” : le propriétaire pratique la “culture naturelle” sur du riz rouge (un riz biologique de qualité) et du blé. Il tente de faire passer le message d’une culture la plus naturelle qui soit, la plus harmonieuse possible, et tente de le démontrer avec sa ferme.

Je remercie tous ceux qui ont rendu ce projet possible et encourage à faire de même.

Gentiane LameLOISe

écologie

Page 5: N° 19 Avril – Mai 2010 sommaire 2 8 3 9 4 10 6 11 57 · mes recherches sur le mwaka kogwa. ... question viennent pour chasser et n’hésitent pas à déplacer en gros-porteurs

5

uNE ChINE CruELLE ENvErs Les ANIMAux ?

Jusqu’alors vivement critiquée par l’Occident pour être particulièrement cruelle envers les animaux, la Chine se lance dans l’élaboration d’une loi de protection animale inspirée des textes à l’étranger. Cette loi modifierait certaines habitudes ancrées depuis des générations.

Fin 2009 se sont réunies, à Pékin, des associations de défense animale, des législateurs, des personnalités officielles et des chercheurs, autour d’un projet de loi de protection animale conduit par le Pr Chang Jiwen, de l’Académie chinoise des sciences sociales, et qui sera soumis au Conseil d’état en avril 2010. Actuellement, seuls les animaux sauvages en voie de disparition sont protégés, tel le panda. Cette nouvelle loi permettra d’étendre la protection aux autres animaux, en encadrant plus strictement les activités les concernant. Parallèlement, des modifications de la Loi Criminelle ont été proposées, afin de traduire en justice les maltraitances et actes de cruauté.

Une Chine cruelle envers les animaux, c’est l’image que le pays renvoie. Souvent ignorants des capacités cognitives des animaux, les Chinois les ont longtemps considérés comme étant uniquement une « ressource », leur infligeant les pires souffrances. Récemment, des abattages massifs de chiens errants ont eu lieu en raison de la rage. Les chats errants n’en sont pas épargnés. Pour les Jeux Olympiques de Pékin en 2007, les rues de la capitale ont du être « nettoyées ».La Chine est également réputée pour sa consommation de chiens et de chats, soit attrapés dans la rue, soit fournis par des éleveurs, qui les entassent en grand nombre dans des cages exiguës, et parfois nourris des cadavres de leurs congénères. Pendant les J.O., le gouvernement avait fait retirer des restaurants de Pékin la “chair parfumée”. Les méthodes de mise à mort des animaux font aussi l’objet de scandales : dans le secteur de la fourrure qui, par ailleurs, alimente le marché européen, les animaux sont dépecés dans la douleur et sont encore vivants une fois la peau arrachée.

La médecine traditionnelle est grande consommatrice de produits issus des tigres (ex : les os) et c’est ainsi qu’en douze ans, le nombre de tigres sauvages en Asie du sud-est a chuté de 70%. L’entrée dans l’année du Tigre fait craindre une augmentation de la demande en produits issus de cet animal mythique. La médecine chinoise prescrit également des produits dérivés de la bile d’ours. Ce commerce mutile plusieurs milliers d’ours noirs, dont certains capturés dans la nature. En élevage, les ours sont immobilisés en permanence en position allongée dans une cage. L’extraction quotidienne de la bile se fait par une sonde qui traverse le flanc, entraînant à chaque fois

d’atroces souffrances.

Les conditions de vie dans les cirques et les zoos ne sont pas plus enviables : dressage, privations, besoins physiologiques niés… autant de facteurs qui conduisent à la démence. Des cirques avaient d’autre part suscité la colère en obligeant les animaux à exécuter des numéros

terrifiants et contre nature, comme ceux du tigre écuyer et de l’ours cycliste-funambule. La pratique la plus choquante reste l’utilisation de vaches vivantes pour servir de pâture aux fauves dans certains zoos (une attraction pour les visiteurs). D’autres loisirs revêtent le même caractère barbare, comme les combats d’ours ou la torture à mort de taureaux. Récemment, la Chine envisageait la construction d’une arène près de la Grande Muraille, ce qui a fait vivement réagir le mouvement mondial anti-corrida.

Il y a quelques années, un premier projet de loi de protection animale avait vu le jour timidement et en vain. Beaucoup plus d’espoir repose sur ce nouveau projet, qui sera non seulement historique et bénéfique aux millions d’animaux victimes et au pays, qui véhiculera ainsi une image de progrès social, mais qui répondra également au souhait de la majorité des Chinois. Aujourd’hui, l’introduction d’animaux de compagnie dans de plus en plus de foyers est perçue par les défenseurs de la cause animale comme un signe annonciateur. Plus d’informations : Viande de chiens et chats : www.fondationbardot.frFourrure : www.fourrure-torture.comMédecine chinoise : www.animalsasia.comCirques : www.cirques.org Corrida : www.crac.com

Michelle LINE

Monde

« Ours à bile » confiné dans une cage à la dimension de son corps. © Animals Asia

Page 6: N° 19 Avril – Mai 2010 sommaire 2 8 3 9 4 10 6 11 57 · mes recherches sur le mwaka kogwa. ... question viennent pour chasser et n’hésitent pas à déplacer en gros-porteurs

LE CENtENAIrE DEs bALLEts russEs

Serge de Diaghilev, grand visionnaire, crée la compagnie des Ballets russes en 1907, à partir des meilleurs éléments du théâtre Mariinski de Saint-Pétersbourg. Les tournées internationales commencent en 1909, au théâtre du Châtelet, à Paris et, dès 1911, la troupe devient privée.

La dernière représentation a lieu en 1929, car la troupe ne survit pas en tant que telle à son fondateur. Mais l’esprit, lui, est préservé (par une troupe, qui ne tarde pas à se scinder en deux) :

* premièrement, de 1935 à 1938, par les Ballets russes du colonel W. Basil, devenus Covent Garden Russian Ballet de 1938 à 1939, puis Original Ballet russe de 1939 à 1948 ; * deuxièmement, de 1936 à 1938, par les Ballets de Monte-Carlo de René Blum, devenus Ballets russes de Monte-Carlo de 1938 à 1963, sous la direction de Serge Denham ; enfin, à partir de 1985 et à la demande de Grace de Monaco, la troupe est recréée sous le nom de Ballet de Monte-Carlo.

Diaghilev, en lui-même, ne possède pas de talent artistique particulier, mais il a un don inné pour dénicher, révéler et faire travailler en osmose les meilleurs artistes de son époque. Citons, parmi eux :

- les danseurs et chorégraphes George Balanchine, Adolph Bolm, Michel Fokine, Serge Lifar, Léonid Massine, Vaslav Nijinski, Bronislava Nijinska (sœur de Vaslav) ; la plus grande danseuse russe Anna Pavlova, mais aussi Tamara Karsavina et Ida Rubinstein ;

- les compositeurs, entre autres : * russes : Modeste Moussorgski, Serge Prokofiev, Igor Stravinski et Nicolas Rimski-Korsakov ; * français : Maurice Ravel, Claude Debussy, Francis Poulenc, Erik Satie, Darius Milhaud ;

- les peintres : Léon Bakst, Alexandre Benois, Nathalie Gontcharova, Michel Larionov, Nicolas Roerich, Boris Anisfeld, Fedor Fedorovski, Mstislav Doboujinski, Jose Maria Sert, Pablo Picasso, Henri Matisse, Georges Braque, André

Derain, Maurice Utrillo, Georges Rouault, Marie Laurencin, Giogio de Chirico.

Les costumes de Train bleu, de 1924, sont d’une certaine Gabrielle Chanel, plus connue sous le nom de Coco Chanel. Dans Parade, de 1917, le poème est de Jean Cocteau.

Les ballets créés sont :

- en 1909 : Le pavillon d’Armide, Les danses polovtsiennes, Le festin, Les Sylphides, Cléopâtre ;- en 1910 : Carnaval, L’oiseau de feu,

Shéhérazade ;- en 1911 : Narcisse, Petrouchka, Sadko, Le spectre de la rose ;- en 1912 : L’après-midi d’un faune, Daphnis et Chloé, Le dieu bleu, Thamar ; - en 1913 : Jeux, La khovanchtchina, Le sacre du printemps ;- en 1914 : Le coq d’or, La légende de Joseph, Midas, Papillon ;- en 1915 : Soleil de nuit ;- en 1916 : La Meninas ;- en 1917 : Les contes russe, Parade ;- en 1919 : La boutique fantasque, Le tricorne ;

- en 1920 : Le chant du rossignol, Pulcinella ;- en 1922 : Renard ;- en 1923 : Noces ;- en 1924 : Les biches, Le fâcheux, Le train bleu ; - en 1925 : Barabau, Les matelots, Zéphyr et Flore ;- en 1926 : Jack in the box, Pastorale, Une nuit sur le Mont Chauve ;- en 1927 : La chatte, Le pas d’acier ;- en 1928 : Apollon musagète, Les dieux mendiants, Ode ;- en 1929 : Le bal, Le fils prodigue.

Sur YouTube, vous pouvez voir Nijinski lui-même dans des extraits de L’après-midi d’un faune de 1912, des photos du ballet dansé par lui, des affiches, une version dansée par Rudolf Nureev, qui dure 10 minutes et donne un bon aperçu de l’élan novateur de l’époque en matière de chorégraphie (Ida Rubinstein avait refusé le rôle de la nymphe parce que les mouvements étaient par trop inhabituels : saccadés, buste de face, jambes et tête de profil), si novateur qu’il avait suscité le scandale, la critique n’étant pas encore habituée à la mise en valeur du corps masculin avec une telle sensualité.

Estelle DeLavennat

6

Culture

Nijinski dans L’après-midi d’un faune © Adolph Meyer

Page 7: N° 19 Avril – Mai 2010 sommaire 2 8 3 9 4 10 6 11 57 · mes recherches sur le mwaka kogwa. ... question viennent pour chasser et n’hésitent pas à déplacer en gros-porteurs

uN seMI-MArAThON CuLTureL Qu’imaginer de plus agréable dans l’apprentissage d’une langue que de découvrir in situ la civilisation qui s’y rapporte et ménager un dépaysement au soleil, loin de l’ardeur hivernale parisienne ? Ainsi est né le projet de quatre étudiants1 du département d’arabe de l’INALCO de participer au semi-marathon de Marrakech. Courir pour concilier le plaisir de pratiquer une activité sportive et la découverte d’un environnement étudié sur les bancs de l’université.

Les examens de fin de premier semestre tout juste terminés, direction l’aéroport. Après 3h30 de vol, une terre ocre parsemée de teintes vertes laisse place à une oasis de verdure dominée par les montagnes enneigées. Voici Marrakech. Fondée au milieu du XIème siècle, elle fut la capitale des dynasties berbères des Almoravides puis Almohades, qui régnèrent sur Al-Andalus à partir de la prise de Tolède en 1085 par les armées chrétiennes d’Alphonse VI de Castille.

Vue du ciel, l’ancienne ville, la Médina, se distingue très nettement. Son dédale de rues ceint d’un mur de protection contraste très distinctement avec les avenues rectilignes de la ville nouvelle. Sous le protectorat français consacré par le traité de Fès de 1912, Lyautey fit bâtir ces quartiers neufs à l’extérieur de la ville historique dans le souci de la préserver. En outre, les rues de la Médina se virent attribuer des noms et chaque habitation un numéro.

Aujourd’hui encore, les vestiges du passé sont visibles dans l’organisation de la Médina, qui sépare les espaces publics et privés.

Les secteurs d’activités regroupant les souqs, les cafés, les hammams, la grande mosquée (la Koutoubia érigée au XIIème siècle) et la place Jemaa el Fna constituent l’espace public. Celui-

1 L’équipe était composée de Stéphane Chauffard, Ghislain Dardenne, Rémi Séguier et Fabien Tabarly, tous les quatre en L1 de L.L.C.E. arabe. Ce projet ayant reçu le soutien de la COVE, les participants arboraient les couleurs de l’INALCO pendant la course.

ci dispose d’un réseau viaire ouvert favorisant les déplacements et l’approvisionnement des marchandises.

D’un contraste saisissant, les quartiers d’habitation sont souvent indépendants et clos. Repliées sur elles-mêmes, diverses impasses débouchent sur une rue centrale, qui était autrefois fermée par une porte en période de troubles. Ses rues aveugles, c’est-à-dire sans fenêtres à hauteur des regards des passants, préservent l’intimité familiale.

Nous avons eu le plaisir d’y être hébergés dans une maison marocaine traditionnelle : un riad. Un riad s’articule autour d’une grande cour centrale. Une fontaine y dispense sa fluide mélodie et sa fraîcheur dans un décor de mosaïques. Toutes les pièces de la maison s’ouvrent sur cette cour. Et la terrasse sur le toit offre un beau panorama sur la ville et ses environs à l’heure du petit-déjeuner, au lever du soleil.

Enfin, le dimanche 31 janvier, à 8h30, notre groupe de quatre étudiants se lance pour une course de 21 kilomètres prévue en moins de deux heures. Une petite dizaine de degrés, un ciel légèrement couvert, 6 000 participants, une ambiance très chaleureuse et survoltée, propre aux manifestations sportives de masse. Tous les ingrédients étaient réunis pour passer un bon moment. Après 1h20 de course, à notre surprise, le panneau des 17,5 km était en vue. Nous fûmes alors saisis d’un sursaut d’élan pour accélérer et finir en beauté. Mais une multitude de faux plats et de descentes se succédèrent… Interminablement… Pendant 5 kilomètres. Ah ! La joie de découvrir un marquage peu rigoureux qui a mis notre moral à l’épreuve. Puis, enfin, l’arrivée… Objectif atteint : un effort physique intense clôturant une période d’études, dans un cadre agréable et illustrant nos apprentissages.

Nous conserverons un bon souvenir de cette expérience, qui nous stimule pour retourner sur les bancs de l’université.

Ghislain DarDenne

7

Sports

L’équipe au complet

Page 8: N° 19 Avril – Mai 2010 sommaire 2 8 3 9 4 10 6 11 57 · mes recherches sur le mwaka kogwa. ... question viennent pour chasser et n’hésitent pas à déplacer en gros-porteurs

8

LE FEstIvAL INtErNAtIONAL des CINéMAs d’AsIe 2010

Du 26 janvier au 2 février 2010 s’est tenu à Vesoul (Est de la France), le 16ème Festival International des Cinémas d’Asie. Le FICA, de son petit nom, est une machine extraordinaire qui fait venir des films de toute l’Asie. Quelques chiffres de cette édition : 1 semaine, 80 films dont 51 inédits, 6 jurys (dont un de l’INALCO), 7 prix dont 1 du public, soit 9 films et 7 documentaires en compétitions, et 36 000 entrées. Les mauvaises langues qui pensent que ces films ne trouvent pas leur public hors de Paris se trompent lourdement. On vient de toute la région et depuis des années pour assister au festival. Les créateurs de ce festival, Martine et Jean-Marc Therouanne, épaulés par Yannik Denoix, sont des passionnés animés d’une énergie formidable. À eux trois, ils forment le noyau dur du festival et autour d’eux s’est formée une équipe toujours en mouvement, qui atteint son maximum la semaine du festival.Mais le charme du FICA est que tout y est à dimension humaine. Le public est en contact direct avec les différents jurys, mais aussi les réalisateurs et professionnels du cinéma venus assister au festival. Alors Vesoul, on y va une fois et on espère y retourner souvent. Wafa Ghermani en est l’exemple le plus parlant. Sa première participation, c’est en 2001 en tant qu’étudiante de licence de cinéma à Paris III, qu’elle l’a effectuée : elle n’était que spectatrice, puis elle a travaillé en coulisses à de nombreuses reprises. Cette année, elle s’est particulièrement impliquée dans l’organisation. Elle a mis sur pied la rétrospective sur le cinéma taïwanais, a assisté J.-M. Therouanne et s’est chargée du volet communication. Actuellement, elle fait une thèse sur le cinéma taïwanais et profite de ses voyages sur place pour repérer des films pour le festival. C’est d’ailleurs elle qui a proposé au « comité de sélection » les Cyclo d’or ex aequo, No puedo vivir sin ti de Leon Dai (Taiwan) et Cow de Guan Hu (Chine).

La sélection de cette année a été riche en émotions, même si elle a été particulièrement

violente. J’ai été subjuguée par la beauté de Frontiers blues de l’Iranien Babak Jalali, bouleversée par la relation père-fille de no puedo vivir sin ti (Cyclo d’or et prix Émile Guimet); horrifiée par l’humanité d’un pédophile, terrorisée par la folie d’un mari violent, agressée par l’absurdité de la guerre. Le palmarès récompense des films forts, aux choix esthétiques très marqués. Le prix INALCO n’a pas été facile à décerner, notre mission étant de valoriser les films qui apportent un éclairage culturel. Le prix a été décerné au film philippin The pawnshop de Millo Sogueco. Il est consacré à une des innombrables boutiques de prêts sur gages. Les Philippins en sont fous et tout est bon à mettre au clou. Le coup de cœur de l’INALCO va au film indien The damned rain

de Satish Manwar (projection prévue le 6 mai). Le sujet est lourd et d’actualité : les suicides de paysans au Maharashtra. Mais le film est léger et n’accable jamais le spectateur. Tout au long du festival, en plus de notre mission de jury, nous interviewons les réalisateurs présents dans leur langue. Cette année, nous avons rapporté des interviews en persan, hindi, indonésien, filipino et chinois. Une relation particulière se crée lors de ces rencontres. Les réalisateurs sont surpris et amusés par cet exercice. Certains en perdent même leurs moyens, tant l’occasion de

parler de leur film dans leur langue est rare.

Chaque année, le musée Guimet organise« Vesoul à Paris », trois jours de projection des films primés (entrée gratuite pour les étudiants de l’INALCO). Ne manquez pas cette année le Coup de cœur Guimet Supermen of Malegaon de Faiza Ahmad Khan (Inde) le 8 avril à 12h15, documentaire hilarant sur le tournage d’une parodie de Superman, qui revient sur la nature même du cinéma : avec de bonnes idées, tout est possible. Le Prix Émile Guimet est quant à lui décerné à mon coup de cœur : No puedo vivir sin ti. Il sera projeté le 9 avril à 20h30. Enfin le Cyclo d’or ex aequo Cow est programmé le 8 avril à 12h15. Pour plus d’informations sur le festival et son palmarès : http://www.cinemas-asie.com/.

Hélène KESSOUS

Festival

Page 9: N° 19 Avril – Mai 2010 sommaire 2 8 3 9 4 10 6 11 57 · mes recherches sur le mwaka kogwa. ... question viennent pour chasser et n’hésitent pas à déplacer en gros-porteurs

9

COw (斗牛, dOu NIu)DE 管虎 GuAN hu, 2008

Cyclo d’or Vesoul 2010 (ex æquo avec No Puedo Vivir Sin ti)

L’enjeu du film est simple : (re-)parcourir la complexe période de l’histoire chinoise qui précède la révolution communiste, et qui est comprise entre la guerre civile et l’occupation japonaise, depuis le point de vue d’un petit village du Shandong.

Le récit se déroule dans le pays natal de Niu’er, l’idiot de ce village reculé, que l’on a chargé, avant l’arrivée des Japonais, de veiller sur une vache au prix de sa propre vie. Cette vache hollandaise, un don offert par un pays ami — l’U.R.S.S., qui comptait soutenir la révolution communiste en fournissant des vaches capables de produire plus de lait que les vaches locales — est aussi incongrue dans le panorama du Shandong que ce paysan apparemment fou, qui est pourtant bien plus tenace que tous les autres villageois.

La scène s’ouvre sur un massacre : les corps de tous les paysans ont été brûlés par l’armée japonaise ; perdu dans cette forêt devenue noire des cendres des corps, Niu’er se retrouve tout seul, désespéré. C’est alors que derrière un mur près de lui, il entend un bruit : c’est la vache qui lui apparaît comme un dieu venu du ciel et qui lui rappelle son mandat à poursuivre.

A mi-chemin entre drame et humour, le film raconte la détermination de Niu’er à suivre ce défi qu’il a pris face à son village entier : il combat non seulement les soldats japonais — ici représentés, selon une nouvelle vague assez présente dans le nouveau cinéma chinois, comme un ennemi plus humain qu’avant — mais aussi les nationalistes, et les villageois comme lui, sans l’aide de personne. Tous ceux que Niu’er rencontre ne semblent intéressés par rien d’autre que les profits à tirer de la vache.

Sur ce point-là, le scénario fonctionne très bien en prenant cette vache comme métaphore du peuple chinois, exploité pour ses fonctions

par n’importe quel parti politique. S’il est un concept remarquable dans le film — tout à côté avec l’attention accordée aux détails de production qui en font une œuvre plus commerciale, véritable blockbuster de

l’année en Chine continentale — c’est justement d’insister sur le manque d’attention que l’on réserve, dans la société chinoise, à ceux qui renoncent à leur propre individualité pour poursuivre un but que la société leur donne.

Sur la résolution de cette problématique, le film reste pourtant trop ambigu pour convaincre : dans la scène finale, les seuls qui renoncent à chasser la vache, et la laissent finalement au pauvre Niu’er, sont les soldats de l’Armée Rouge, arrivés pour « libérer » les paysans en 1949.

Certes, on remarque du sarcasme, dans cette scène tachée d’un léger sous-entendu de propagande, puisque les soldats n’écoutent point le besoin de Niu’er de se débarrasser de la vache, mais le plus important est qu’il n’y a finalement pas d’opinion claire sur le rôle que l’individu joue dans ce cadre. Il est laissé seul, sans aide, sans amour — la femme qu’avait voulu épouser Niu’er ne l’avait fait que pour la vache, puis elle décède — et pourtant il ne sent jamais le besoin de se rebeller. On est dans l’absurde, mais sans l’angoisse de la perte de signification, ni le rire engendré par un non-sens critique.

Cet homme ne devient apparemment têtu, dans sa quête, que parce que les autres l’ont choisi, et il la poursuit sans même s’en convaincre. On pourrait donc se demander si, au fond, Cow est un simple divertissement. Et là, on pourrait douter des intentions du film.

En revanche, Cow est sorti en Chine dans l’année que l’horoscope chinois consacre à la vache : pour ceux qui y croient, c’est un signe de bonne fortune qui a offert au film un grand succès en salle et jusqu’à son élection pour représenter la Chine aux prochains Oscars.

Stefano CentInI

Cinéma

Page 10: N° 19 Avril – Mai 2010 sommaire 2 8 3 9 4 10 6 11 57 · mes recherches sur le mwaka kogwa. ... question viennent pour chasser et n’hésitent pas à déplacer en gros-porteurs

10

Du pOINt DE vuE pErsONNEL

Il est deux heures du matin. Que fais-je ? Je ne fais pas la fête et je n’ai ni insomnie, ni tout simplement l’envie de rester debout. Non ! C’est naturellement parce que j’ai du travail à faire. Vous devez être en train de vous dire, « Eh bien, pour rester debout jusqu’à cette heure-là, c’est que cela doit être une obligation. » Pas faux ! Mais, c’est aussi du plaisir. Je m’explique !

Dans une journée, on vit énormément de choses, dès que le réveil sonne, ou pas ! Nous avons certaines obligations, pour la plupart, ou pas. C’est-à-dire se réveiller, ou pas, prendre son petit-déjeuner, ou pas, prendre une douche, ou pas, entreprendre ses occupations de la journée, ou pas. Tout est un choix. En étant plus jeune, on a comme l’impression que la prise de décision a été plus facile ; aller à l’école, ou pas ; prendre du Nutella sur sa tartine, ou pas ; jouer avec un camarade de classe, ou pas ; aimer un camarade plus qu’un autre, ou pas ; enfin, la liste est inter-minable, tout compte fait, c’était soit noir soit blanc mais jamais un mariage des deux couleurs ! Par contre, une fois « presque » adulte, d’autres couleurs s’incrustent ; les couleurs qui représentent des « peut-être », des « pourquoi pas ? », des « ça dépend…. » pour n’en mentionner que quelques unes ! Et un jour on se réveille et on se dit « j’en veux plus de ces prises de décisions » et on s’inscrit dans un mouvement quelconque pour lutter contre les gens, les idéaux, le système, bref, le courant de la vie. Mais est-ce possible ?

Alors ce que je fais, moi, c’est que de temps à autre, quand je me retrouve les yeux grands ouverts à deux heures du matin, j’apprécie le silence, aucun bruit, je suis seule avec mes pensées, ma musique préférée et éventuelle-ment un petit café à la main tout en contemplant le ciel noir avec quelques étoiles … euh non … c’est la lumière des avions décollant ou atterrissant, les bâtiments (car il ne faudrait pas oublier que nous sommes à Paris) et enfin ma petite lampe de nuit. Quel bonheur ! C’est vrai qu’au point de vue personnel, cela me suffit pour passer une agréable nuit et une bonne lancée dans la journée à venir, ou pas ! C’est un choix, n’est-ce pas ? Subséquem-ment, vous pouvez soit être souriant à la fin de votre lecture de cet article, ou pas ! Quelque soit votre réaction, bonne journée !

Bellinda AyAKA (texte)Solyane (illustration)

Expression Libre

Page 11: N° 19 Avril – Mai 2010 sommaire 2 8 3 9 4 10 6 11 57 · mes recherches sur le mwaka kogwa. ... question viennent pour chasser et n’hésitent pas à déplacer en gros-porteurs

11

sur LA rOuTe depuIs MON TrANsAT

Récit et carnet de voyage sont deux genres lit-téraires différents. Tandis que le premier est très linéaire, le second associe textes, croquis, photos, tickets de métro et une multi-tude d’autres petits trésors. Des artistes aussi variés que Victor Hugo, Paul Gau-guin ou Eugène Delacroix ont tenu des carnets de voyages, qu’ils soient partis à l’autre bout du pays ou à l’autre bout du monde. Et tous les deux ans le genre est célébré à Clermont-Ferrand, lors de la biennale du carnet de voyage1.

En face, se tient donc le récit de voyage, plus littéraire, à ne pas confondre avec le journal de bord. À travers le texte, l’auteur nous fait découvrir son périple. Avec lui, nous rencontrons de nouveaux peuples et de nouvelles coutumes. Le récit est souvent véridique, mais on y trouve aussi des voyages imaginaires, tels ceux de Robinson Crusoë et Gulliver.

Voici une sélection, toute personnelle, de récits, pour voyager à travers l’espace et le temps.

Un anthropologue en déroute, de Nigel BarleyAfin d’avoir une formation complète d’anthropologue, Nigel Barley décide de partir faire une étude de terrain au Cameroun. Il ne connaît rien à l’Afrique et a choisi sa destina-tion un peu par hasard. Heureusement son flegme britannique lui permettra de s’adapter à toutes les situations et de prendre rapide-ment conscience que lui aussi est devenu un sujet d’étude passionnant pour les habitants de son nouveau village. Drôle et juste !

Des pas dans la neige, Aventures au Pakistan, d’Erik L’HommeL’auteur est parti il y a quinze ans avec son frère et un ami dans les montagnes au Nord du pakistan. Leur envie de liberté les a conduits à poursuivre de façon scientifique les « hommes sauvages » pendant près de deux ans. Récit de voyage, aventure humaine, découverte d’une autre société, réflexion sur ce passage au stat-ut d’homme, ce livre est riche et totalement captivant. La faim côtoie l’émerveillement, les rencontres sont souvent à la limite du fée-rique, et le Pakistan se découvre, loin de son actualité sanglante.

1 Prochaine édition : novembre 2010

Vacances indiennes, de William SutcliffeRoman sous la forme d’un récit de voyage. L’auteur nous emmène à la suite de Dave, heureux de passer simplement son année sab-batique en Suisse. Mais pour les beaux yeux

de Liz, il se retrouve en Inde, à suivre à la lettre chaque indication du Livre (Guide du Routard, Lonely Planet, à chacun le sien). Avec beaucoup d’humour et de péripéties, l’auteur pointe du doigt tous ces jeunes à la recherche de leur moi profond et au-tres spiritualités, qui partent, avant d’entrer dans la vie active, au bout du monde dans des pays toujours plus lointains, en prenant garde de ne surtout pas approcher de trop près les locaux.

Tokyo Sanpo, de Florent ChavouetL’auteur-illustrateur a passé six mois au Japon, où sa copine avait trouvé un stage. Il abandonne l’idée de se trouver lui-même un travail pour arpenter Tokyo et dessiner tout ce qui lui plaît. Le résultat de ses pérégrinations donne un super carnet de voyage qui permet de découvrir la ville sans en avoir l’air. Derrière les plans, les caricatures et les étiquettes de fruits se cache un Japon contemporain décalé, surprenant et gourmand.

La huitième couleur / Le huitième sortilège, de Terry PratchettDeuxfleurs est un précurseur, il est le tout premier touriste du disque-Monde. Avec son appareil photo autour du cou et un guide par-ticulier, il se lance à la découverte de ce monde totalement inconnu de lui. Ces deux livres qui forment un tout ouvrent la série prolifique du Disque-Monde. Deuxfleurs est un touriste naïf et confiant, sorte de Candide de la fantasy, et l’auteur en profite pour faire une critique tout en humour de notre société.

Autres titres :La ferme africaine, de Karen Blixen. Décou-verte du Kenya colonial.Ébène, de Ryszard Kapuscinski. Souvenirs d’un journaliste en Afrique.L’anthropologue mène l’enquête, de Nigel Bar-ley. L’Indonésie sur les pas de S. Raffles.Sur la route, de Jack Kerouac. L’Amérique d’Est en Ouest, et un peu plus.Chronique japonaise, de Nicolas Bouvier. Périple à travers le Japon dans les années cinquante.

Ursula ChenU

Littérature

Page 12: N° 19 Avril – Mai 2010 sommaire 2 8 3 9 4 10 6 11 57 · mes recherches sur le mwaka kogwa. ... question viennent pour chasser et n’hésitent pas à déplacer en gros-porteurs

Ne

me

jete

z pa

s ! P

asse

z m

oi à

vot

re v

oisi

n de

cou

rs !

12

http://sites.google.com/site/journallangueszone

HommageLangues zOneDIRECTEUR DE LA

PUBLICATIONRenaud Barne

REDACTRICE EN CHEF

Ursula Chenu

ONT COLLABORE (TEXTES)

Bellinda AkayaStefano CentiniUrsula Chenu

Ghislain DardenneEstelle DelavennatHélène Gérardin

Odile IssaHélène Kessous

Gentiane Lameloise

ONT COLLABORE (IMAGES)

Solyane GoutOdile Issa

GentianeLameloise

CORRECTIONEstelle Delavennat

Latéfa FaizSophie Gauthier

Marie-Amélie Giraux

GRAPHISME(COUVERTURE)Pierre Plessis

(MISE EN PAGE)Renaud Barne

EDITEURLangues zOne

(association loi 1901)

IMPRIMEURInalco, 2 rue de Lille, 75343 Paris cedex 07 D’après la loi de 1957,

les textes et illustrations publiés engagent la seule responsabilité de leurs auteurs. L’envoi de textes, photos ou documents implique leur libre utilisation par le journal. La reproduction des textes et dessins publiés est interdite. Ils sont la propriété exclusive de Langues zOne qui se réserve tous droitsde reproduction. ISSN : 1774-0878

Rejoignez-nous !Faire partie du journal, c’est mettre au service des étudiants vos talents de jour-nalistes, de dessinateurs, de graphistes ou d’amateurs de la grammaire française. Ce numéro est le dernier de l’année, mais que cela ne vous empêche pas de nous rejoindre pour préparer tous ensemble celui de la rentrée prochaine. À bientôt, L’équipe du journal [email protected]

IN MeMOrIAM : gEOrgEs ChArAChIDzÉ

Ce numéro ne pouvait pas sortir sans un dernier hommage à celui qui fut un des grands maîtres de notre établissement et dont le nom dépasse de loin les limites de l’INALCO. C’est avec tristesse que nous avons appris la disparition de Georges Charachidzé, survenue le 20 février dernier, alors qu’il avait quatre-vingts ans. Linguiste et ethno-logue spécialiste du Caucase, il aura laissé un nom indissociable des études caucasiques.

Né dans une famille géorgienne exilée en France et élevé dans les cul-tures de ces deux pays, il s’intéressa très tôt au Caucase, et cet intérêt devint passion après sa rencontre avec Georges Dumézil, qui dirigea sa thèse et, avec Claude Lévi-Strauss, le fit entrer au C.N.R.S. Il s’intéressa d’abord aux religions et mythes du Caucase, des anciennes mytholo-gies à l’arrivée du christianisme puis de l’islam (Le système religieux de la Géorgie païenne, La Mémoire indo-européenne du Caucase). Et dans le même temps, il fut confronté très vite à une autre richesse du Caucase : ses langues (il qualifiait ces montagnes de « véritable réser-voir de langues »). On se demande encore combien il en parlait, parmi lesquelles le russe, le géorgien, l’ossète, le mingrélien, l’abkhaze. Actif dans le travail de terrain, il s’attacha à sauver des langues en danger d’extinction ; on lui doit une Grammaire de la langue avar, et avec lui, l’oubykh s’est éteint une seconde fois (il était la dernière personne à le parler depuis la mort du dernier natif en 1992). À l’époque soviétique, où il était impossible de se rendre en U.R.S.S., il fit de nombreux voy-ages en Turquie pour rencontrer les descendants de Caucasiens exilés. Il enseigna à l’E.P.H.E. et à l’INALCO, où il forma de nombreux linguistes et chercheurs, présida la Société de linguistique de Paris en 1984 et fonda avec Georges Dumézil la Revue des études géorgiennes et cau-casiennes, revue à la fois littéraire et linguistique. On lui doit de nom-breux ouvrages, dont plusieurs sont des références uniques dans leur domaine.

C’est à la fois au savant et au maî-tre que nous voulions rendre un hommage, et un hommage plein de respect, puisque nous ne nous per-mettrons jamais de dire « Gogui », comme le font affectueusement ses proches.

Merci pour tout Monsieur Charachidzé.

Hélène GérarDInGeorges Charachidzé © nouvel observateur