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A LI B I S Polar, Noir & Mystère Au sommaire : 145 Camera oscura (XI) Christian Sauvé 161 Encore dans la mire Christine Fortier Jean Pettigrew Norbert Spehner François-Bernard Tremblay L E VOLET EN LIGNE Gratuit N ˚ 12 L’ A NTHOLOGIE PERMANENTE DU POLAR

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ALIBISPolar, Noir & Mystère

Au sommaire :

145 Camera oscura (XI)Christian Sauvé

161 Encore dans la mireChristine FortierJean PettigrewNorbert SpehnerFrançois-Bernard Tremblay

LE VOLET EN LIGNE

GratuitN˚ 12 L’ANTHOLOGIE PERMANENTE DU POLAR

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Alibis est une revue publiée quatre fois par année par Les Publications delittérature policière inc.

Ces pages sont offertes gratuitement. Elles constituent le Supplément enligne du numéro 12 de la revue Alibis .

Toute reproduction – à l’exclusion d’une impression unique en vue de joindrece supplément au numéro 12 de la revue Alibis –, est strictement interdite àmoins d’entente spécifique avec les auteurs et la rédaction.

Les collaborateurs sont responsables de leurs opinions qui ne reflètent pasnécessairement celles de la rédaction.

Date de mise en ligne : septembre 2004

© Alibis et les auteurs

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Camera oscura( XII )

C’est un truisme, connu de tous les cinéphiles : les saisons sesuivent et ne se ressemblent pas. Au cinéma, l’été n’est pas letemps le plus propice à la réflexion, surtout lorsque s’amènent lesgros canons d’Hollywood. Mais il y a toujours moyen de trouverce que l’on cherche, surtout si l’on ne se laisse pas aveugler…

L’été en documentaireÇa doit être l’effet d’une année électorale. Impossible de le nier:

le cinéma populaire est avant tout le théâtre privilégié de la fiction.Contrairement aux librairies et aux bibliothèques, les cinémas n’ontpas de section « Documentaires ». Même au vidéo-club, la non-fiction est souvent reléguée au rayon des intérêts spéciaux.

Les choses ont commencé à changer en 2002 avec BowlingFor Columbine, de l’activiste Michael Moore. Contrairement àla plupart des documentaires, celui-ci obtint alors un petit succèscommercial. Qui plus est, le film a suscité une controverse, en ex-ploitant la polarisation politique au sud de la frontière. Combledu triomphe, le film remporte l’Oscar du meilleur documentaire,menant à un des discours de remerciement les plus mémorables del’histoire des Academy Awards (Shame on You, Mister Bush…, etc.).

Chemin faisant, Bowling For Columbine a semblé briser labarrière qui coupait les documentaires de l’accès aux cinéplex.L’année 2003 s’avère excellente en la matière, avec des filmscomme Winged Migration, Tupac: Resurrectionet The Fog ofWar , ce dernier remportant également l’Oscar du meilleur docu-mentaire. Une surprise, surtout lorsqu’on considère qu’il s’agitessentiellement d’une entrevue d’une heure trente avec une seuleet même personne.

Les férus d’histoire américaine connaissent bien Robert StrangeMcNamara, le secrétaire de la défense américaine sous Kennedy

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et Johnston, de 1960 à1968. C’est durant satenure qu’a lieu la crised’octobre 1962 et l’em-bourbement américaindans la guerre du Viet-nam. Personnage con-troversé s’il en est, onle décrivait à l’époquecomme un wunderkindtechnocrate, un gestion-naire pour qui destruction massive était synonyme d’efficacité.Sa carrière post-politique s’avérera truffée de regrets, menant àune autobiographie candide, In Retrospect(1995).

The Fog Of War peut être perçu comme une suite et uneapostille de cette autobiographie. Dans le film, McNamara présenteonze leçons apprises lors de sa carrière et nous offre ainsi le portraitd’un homme complexe plongé dans des circonstances extraordi-naires. De ses expériences durant la Deuxième Guerre mondiale(où il maximise le rendement des bombardements américains) à saparticipation dans la crise d’octobre 1962 (« Rationality will notsave us », conclut-il), McNamara déballe les révélations. Réalisésous forme d’entrevues entre le réalisateur Errol Morris (toujoursinvisible, parfois audible) et un McNamara au regard perçant, TheFog Of War est occasionnellement enjolivé d’images d’archives,de matériel symbolique (illustrant, par exemple la « théorie desdominos »), de montage stylisé ou bien, de façon plus fascinante,de conversations enregistrées entre McNamara et d’autres membresde l’administration Kennedy. McNamara a gardé toute sa tête eta gagné en sagesse. Ses conclusions sont impitoyables et pleines debon sens, applicable en tout temps et d’une importance renouveléeaprès tout l’imbroglio ayant mené à l’invasion de l’Iraq sous defaux prétextes.

Une bonne connaissance de la carrière de McNamara permettrasans doute au spectateur plus averti de mieux apprécier sesrévélations. Arrivé depuis peu en club vidéo, The Fog Of Warmérite amplement le détour si vous êtes à la recherche d’un ciné-ma intelligent. Qui aurait pensé voir une thèse de géopolitique augrand écran?

Heureusement, la vague du documentaire astucieux ne s’arrêtepas là. En salles depuis l’an dernier au Canada, récemment distribué

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Photo : Sony

aux États-unis, bientôt disponible en ciné-club, The Corporations’éloigne du strict documentaire pour se rapprocher de l’essai. Àprime abord, ce film peut sembler un choix curieux pour Alibis:qu’est-ce qu’un documentaire sur une institution économique vientfaire dans une revue dédiée aux meurtres et aux mystères ? Maisla vérité s’impose dès les premières minutes. La corporation, noussuggère ce film adapté du livre éponyme de Joel Bakan, a suprofiter d’une entourloupe juridique pour s’imposer comme unepersonne légale. Alors pourquoi ne pas l’étudier comme personnemorale?

Le constat n’est guère flatteur : les corporations ne montrentaucun remord lorsqu’elles affectent la vie des gens, bafouent les

règles imposées par lapopulation ou prennentavantage de l’environne-ment. Les corporations,explique le film, sont desentités fondamentalementamorales, dont toute con-sidération éthique estsubordonnée à la quêtedes profits. Pis encore: àen juger par leurs actes,le profil psychologiquedes corporations en tantque personnes moralescorrespond ni plus nimoins qu’à celuid’un… psychopathe.

La variété de tech-niques utilisées pourconvaincre le spectateurconfère à The Corpo-ration toute sa force defrappe. En plus du ma-tériel d’archives et desentrevues fort intéres-santes (avec un nombre

impressionnant de personnalités telles Michael Moore, NaomiKlein, Noam Chomsky et, de l’autre côté de la barrière, MichaelWalker, du Fraser Institute), The Corporation expérimente avec de

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Photos : Zeitgeist

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l’infographie, des dramatisations et une réalisation inventive. Il ya beaucoup de matériel connu dans ces quelque 145 minutes, etsuffisamment d’histoires révoltantes pour faire un activiste den’importe quel spectateur. Bref, The Corporation n’est ni plus nimoins que le procès d’un antagoniste déjà bien représenté dansdes films tels Erin Br ockovich ou bien la nouvelle mouture deThe Manchurian Candidate. The Corporation rend-il évidentla forme des débats politiques du XXIe siècle, citoyens et gouver-nements alliés contre les corporations? Le futur le dira…

Et puis il est impossible de parlerde débat autour d’un documentairesans mentionner Michael Moore etl’événement cinématographiquedu trimestre : Fahrenheit 9/11.Séparer le film de son contexteserait un exercice en futilité, maistentons tout de même de soulignerquelques évidences : la politiqueaméricaine n’a cessé de se polariserdepuis une quinzaine d’années. Cetaffrontement gauche/droite a atteintun paroxysme en novembre 2000,alors que l’élection américaine s’estsoldée par un résultat que l’onpourrait charitablement qualifier de

mitigé. Le vote populaire avait opté pour Al Gore ; le résultat ducollège électoral pour George W. Bush. La suite nous est fami-lière : 11 septembre 2001. Loi Patriot. Afghanistan. Iraq.

Fahrenheit 9/11avait été conçu, au départ, comme un examende l’administration Bush : de son incompétence, de ses politiquesrestrictives en matière de liberté civile, de son copinage avec lesmultinationales et de ses liens à la monarchie saoudienne. Maisles événements sont venus bousculer les choses en plein tournage,et c’est ainsi que la deuxième moitié du film prend un détour parl’Iraq, montrant la dévastation laissée par l’occupation américaine.Le résultat est une attaque tous azimuts contre George W. Bush,son inaction le 11 septembre 2001, la composition de sa baseélectorale, « the haves and the haves-more ».

Pareil film ne pouvait passer inaperçu. Des centaines d’éditoriauxont été publiées à sa sortie, soulevant au passage des questions ausujet de l’influence qu’un simple film peut avoir sur le processus

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électoral. Démocrates etrépublicains se sont pré-cipités en salle, pour voirl’objet de la controverse.Triomphant au sommetdu box-office malgré unedistribution plus restreinteque sa compétition, Fa-hrenheit 9/11est devenule premier documentaire à dépasser le cap des 100 millions $ dedollars au box-office. Le test ultime du documentaire, à en croireMoore, se déroulera le 2 novembre 2004, le soir des élections…

Mais au-delà de la controverse, qu’en est-il du film lui-même?Réussit-il à atteindre ses objectifs en tant que film?

Ceux qui sont familiers avec le style de Michael Moore neseront pas surpris d’apprendre que le film atteint sa cible en pleindans le mille. Voir ce film au cinéplex dans une salle bondée,pouvoir jauger la réaction d’une foule finement manipulée par unmaître de la propagande, sont des expériences aussi prenantes quele film lui-même. Jouant avec brio sur plusieurs registres émo-tionnels, Fahrenheit 9/11réussit à prendre une foule et la fairerire, pleurer, ou gronder à l’unisson.

Mais ne nous leurrons pas : malgré la justesse des propos deMoore, son film est une machine conçue pour convaincre. En tantque tel, Fahrenheit 9/11est un triomphe. Mais cette efficacitédébouche également sur un succès artistique : on mettra au défin’importe quel autre film de 2004, documentaire ou pas, de réussirà avoir un tel impact. Les scènes montrant l’effet des bombar-dements américains sont insupportables, tout comme la réactiond’une famille américaine ayant perdu un fils au combat. Ceci estnotre Amérique, suggère Moore, êtes-vous d’accord avec cet étatdes choses?

Essai déguisé en documentaire, le film s’avère tout de mêmed’une exactitude factuelle rigoureuse. Ceux qui suivent la scènepolitique américaine depuis quelques années seront en mesure detémoigner que les faits présentés par Moore sont véridiques. Onnotera en passant que malgré une attention sans précédent, les op-posants à Fahrenheit 9/11n’ont pas réussi à soulever de questionssérieuses au sujet de l’exactitude du film, se rabattant plutôt surdes comparaisons peu subtiles entre Moore et Joseph Goebbels.

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Photo : Lions Gate Films

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Mission accomplie pour Moore, donc. Mais dans un contexteélargi aux documentaires, Fahrenheit 9/11est-il un épiphénomèneou bien la manifestation la plus évidente d’une vague de fond?Il faudra attendre un peu plus longtemps pour voir si les docu-mentaires resteront un genre aussi populaire, surtout une fois misà part les essais politiques. Entre-temps, il faut bien noter que lavague des documentaires de gauche semble en plein essor : c’estainsi que sont déjà parus des films tels Outfoxed (sur le réseaud’information de droite Fox), Control Room(sur la chaîne d’infor-mation Al-Jazirra) et Bush’s Brain (sur Karl Rove, le conseillerpolitique du président). De toute évidence, cette tendance dureraau moins jusqu’aux élections…

L’été en divertissementCôté fiction, impossible de passer sous silence la sortie de

The Bourne Supremacy, et ce même si cette « adaptation » n’arien en commun avec l’œuvre de Robert Ludlum sinon le titre etle nom du personnage. Préférant suivre la mythologie du premierfilm (qui s’éloignait déjà passablement du livre), cette suite renoueavec Jason Bourne, qu’un mafioso russe implique malgré lui dansun assassinat qui contrecarre les plans de la CIA. Agence et ex-agent sont donc amenés à se traquer mutuellement alors que, dansson coin, le mafioso prépare autre chose…

Tout ce qui avait fait le succès du premier film est répété danscette suite : l’atmosphère européenne, la poursuite automobile

frénétique, les trucs du métierd’agent secret et la culpabilité du« nouveau » Bourne alors qu’il dé-couvre ce dont « l’ancien » Bourneest responsable. Le tout est ficelédans un ensemble relativement sa-tisfaisant, qui renoue avec unetradition de films d’espionnage« réalistes » aux enjeux plus simpleset aux méthodes plus classiques (lire:sans calques sur James Bond).

Pour certains, c’est un œuvrequi manquera d’audace, alors quepour d’autres, il s’agit de l’antidoteparfait à la nouvelle définition dufilm d’espionnage comme film

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Photo : Universal Pictures

d’action. Quoi qu’il en soit, il s’agit d’un film mieux apprécié àla maison qu’au cinéma pour une raison bien simple : il n’y a pasun plan stable durant les deux heures que dure le film. Mêmedans des scènes très simples, la caméra est portée à l’épaule etdivague de façon aléatoire. Yeux sensibles, vous serez prévenus !On renoncera à comprendre les raisons de ce choix artistiqueparticulier, préférant plutôt admirer le reste de la cinématographie,plus réaliste que la norme.

Il est parfois difficile de distinguer certains remakes des suites,surtout dans le cas de la nouvelle mouture de The ManchurianCandidate. L’annonce de ce projet a fait hausser plus d’un sourcilchez les cinéphiles. Pourquoi donc refaire ce classique de la guerrefroide à cette époque-ci ? L’idée même paraissait superflue. Maisaprès visionnement, le projet paraît respectable, voire mêmeinévitable. Partis les communistes : à leur place, une méga corpo-ration appelée non pas Halliburton, mais Manchurian Global. Leurplan diabolique commence en 1991, durant la guerre du Golfe ;une unité de l’armée américaine est capturée, puis reconditionnée

pour donner l’impressionqu’un des soldats a héroï-quement sauvé la situa-tion. Treize ans plus tard,ce soldat est candidat àla vice-présidence desÉtats-Unis, à une seuleballe de la présidence…

Revient donc au so-lide Ben Marco (Denzel

Wahington, égal à lui-même) d’éclaircir la situation lorsqu’ilcommence à avoir des souvenirs impossibles. Son amitié avec lecandidat mandchourien fera-t-elle le poids contre la dominationcomplète de ce dernier par sa mère bourrée d’ambition? Remis augoût du jour, The Manchurian Candidateest une course à épreuveà travers les obsessions d’aujourd’hui. La paranoïa constante en-couragée par la guerre au terrorisme, bien sûr, mais aussi le rôledes corporations dans l’appareil politique, les perfectionnementsdes technologies de surveillance et les techniques de lavage decerveau. La cinématographie est cauchemardesque, empruntanténormément aux films d’horreur. La bande sonore est tout aussidérangeante, profitant de sons incongrus ici et là pour renforcerl’effet d’altérité dans lequel est plongé le protagoniste.

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Photo : Paramount

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Ce n’est pas un film sans failles, la plus importante d’entre ellesétant une fidélité peut-être trop étroite à l’œuvre d’origine. Avantd’être un film, The Manchurian Candidateétait un roman sati-rique, et certains éléments loufoques ont malheureusement survécujusque dans cette version pourtant très sombre. Les machinationspolitiques sont invraisemblables. (Un jeune célibataire à la vice-présidence ? Non.) Les insinuations d’inceste entre le candidatmandchourien et sa mère sont gratuites. L’assassinat d’un sénateurfrise l’incohérence. Certains éléments de l’intrigue sont mal amenés(le rôle de l’agente secrète…) ou « mal abandonnés » (les implants).Ici et là, le film divagueun peu trop pour êtrestrictement crédible, ycompris quelques scènesdélirantes dans la pre-mière moitié du film.

Mais la mise à joureffectuée sur The Man-churian Candidatepourrait bien en fairel’un des films définitifsde notre époque, le typed’œuvres qui sera étudié dans vingt ou trente ans commereprésentative du début du millénaire. Si nous sommeschanceux, ces étudiants y verront une relique ridicule d’une èredémodée ; si nous ne le sommes pas, ils y feront référencecomme de la petite bière innocente…

En revanche, personne ne se souviendra de Collateral deuxsemaines après sa sortie vidéo, ce qui ne veut pas nécessairementdire qu’il s’agit là d’un mauvais film. Le réalisateur Michael Mann(Manhunter , Heat, The Insider) connaît son métier et se con-tente rarement de livrer un simple divertissement. Les premièresimages donnent le ton, superbement servies par la cinématographiegranuleuse du film. On voit Los Angeles en fin de journée nonpas comme une cité, mais comme un organisme desservi par unréseau routier qui l’écrase. Un véhicule parcourt les autoroutes dela ville: le taxi de Max (Jamie Foxx), un conducteur avec du métier.Mais toute son expérience ne lui servira pas à grand-chose avecson prochain passager, un assassin nommé Vincent (Tom Cruise,artificiellement grisonnant) qui a tôt fait de requérir ses services,peu importent ses protestations. De chauffeur, Max devient

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Photo : Paramount

otage, contraint d’accompagnerVincent dans une série d’assas-sinats. Parviendra-t-il à s’en sortiravant que Vincent décide d’éli-miner toute trace de son passageà Los Angeles?

Il y a une certaine originalitéà cette prémisse, une originalitécomblée par le traitement quasiphilosophique que le scénarioimpose à cette situation. Vincentest l’incarnation de l’assassinprofessionnel BCBG, tout aussiprompt à énoncer des épigrammesqu’à descendre ceux dans sonchemin. Les longs trajets à traversla ville deviennent une excusepour que se développe une re-

lation particulière entre chauffeur et assassin. Au cours de la nuit,Max apprendra à s’affirmer, tout comme Vincent en arrive àquelques révélations de son cru.

Clairement, le scénario de Collateral a un bon point de départet une certaine profondeur dans son développement. Hélas, ilsouffre aussi de faiblesses qui diminuent l’impact du film. Max aplusieurs occasions d’échapper à Vincent après que soit révéléela situation et avant que Vincent n’obtienne une autre façon de lefaire chanter. L’intrigue policière ne mène nulle part. La conclusionmolle ne fait que régler l’essentiel (d’une façon bien précipitée)et ignore les autres questions sous-jacentes soulevées par le film.Mais l’élément le plus faible de l’intrigue est certainement lacoïncidence hideuse qui mène à la dernière cible de Vincent, un« retournement » hélas cousu de fil blanc et prévisible dix minutesaprès le début du film. C’est pourquoi on préférera peut-être con-sidérer Collateral avec une interprétation onirique, parfaitementappropriée pour un film qui se déroule en une seule nuit.

Pour un véritable rêve cinématographique, il faudra regarderHero, un film d’arts martiaux de 2002, tout récemment paru enAmérique du Nord grâce aux bons soins de Miramax. Il y ahabituellement peu à dire au sujet de ce genre de film : on aimeraou pas. Hero, cependant, se démarque de ses congénères un peu

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comme l’avait fait Crouching Tiger, Hidden Dragonen 2000par l’excellence de ses images et la maturité de sa narration.

Il ne s’agit pas d’unehistoire complexe : à lafin de l’ère chinoise dessept royaumes, un préfetraconte au roi commentil s’est débarrassé de troisassassins. La manièredont l’histoire est ra-contée est cependant as-tucieuse, mêlant retour-nements et retours enarrière tels qu’interprétéspar la perspective duraconteur d’histoire. Ily a eu des films d’artsmartiaux plus divertis-sants (Ir on Monkey),mais peu d’entre eux ren-ferment des images aussi saisissantes que Hero. Ici, chaque combata lieu dans des environnements distincts, saturés de couleurs etdoté de contraintes particulières. Sous la pluie, dans le désert, aumilieu d’une forêt jaune ou sur un lac, les combats fortementstylisés de ce film s’approchent de la danse. La chorégraphie desscènes d’action évite l’ennui et la répétition, tout en donnant unecharge symbolique aux actions des personnages.

Il n’est pas souvent donné de rencontrer un film d’arts mar-tiaux qui peut avoir de l’intérêt pour ceux qui n’aiment pas parti-culièrement le genre. Hero est un de ceux-là. Même ceux qui nepeuvent distinguer le wuxiad’un wokse laisseront intéresser parl’intrigue et prendront plaisir à se perdre dans les images fabu-leuses du film.

L’été ordinaireÀ l’instar de Troy, King Arthur choisit de présenter une

légende fantastique en évacuant toute dimension fantastique.Malheureusement, le choix s’avère ici bien moins réussi : leschevaliers de la table ronde sont des chevaliers romains, le triangleamoureux entre Arthur, Guenièvre et Lancelot est réduit à un oudeux regards furtifs et Merlin est le chef d’une tribu peinturée en

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Photos : Miramax

bleu. Vous aurez devinéque de présenter « la vé-ritable histoire derrière lalégende » est un exercicedifficile qui débouchele plus souvent sur unrésultat singulièrementennuyeux. La premièreheure de King Arthurpasse par obligation,alors que le réalisateur

Antoine Fugua se croitobligé de démontrer qu’ily avait beaucoupde bouecongelée au moyen âge.Les choses commen-cent à se réchauffer dèsqu’Arthur et ses cheva-liers doivent conduireune bande de réfugiésloin des hordes saxonnes.Une scène particuliè-rement poignante prend place au-dessus (puis au milieu) d’un lacrecouvert de glace. Le tout se soldera, bien sûr, par un affronte-ment entre deux armées, bataille qui n’est pas sans rappeler desfilms tel Braveheart.

King Arthur se divise en parties bien inégales, et le « réalisme »est aussi peu consistant que le tout. À quoi bon ignorer les aspectsmystiques de la légende de Camelot lorsque l’on ne peut résisterà la tentation des clichés de films d’action? Des coups de hachebien placés font fendre la glace d’un lac ; des flèches atteignentleur cible cachée un kilomètre plus loin ; les chevaliers sont d’uneefficacité improbable sur les champs de bataille ; un personnageest en mesure d’utiliser un arc quelques heures après s’être fait re-placer les os d’une main. Et ainsi de suite…

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Mais pour les férus des épopées historiques, King Arthurcomporte sa part de récompenses. La bataille finale, saisissante,est aussi bien réalisée que l’on peut s’attendre de ce genre defilm. Clive Owen réussit sans peine à assumer l’air commandeurque l’on peut s’attendre d’un roi Arthur. Sa bande de chevaliers estrelativement bien campée, surtout dans un contexte historique peufamilier à la plupart des spectateurs. Suffit seulement d’endurerla première heure…

Heureusement, il n’y a pas d’attente nécessaire avant d’êtreintrigué par Les Rivières Pourpres 2: Les Anges de l’apocalypse.

Dès le générique dégou-linant, cette suite à l’hybridepolicier/ horreur de 2001 ale mérite de livrer la mar-chandise. Cela dit, il faudrafaire preuve d’une certaineindulgence pour embarquerdans ce mélange d’icono-graphie chrétienne, de LigneMaginot, de moines ninjas etde survivants nazis. Après lavague de films d’horreurapocalyptique de 1999-2000(End Of Days, Stigmata,

Bless The Child, etc.), cette suite arrive un peu comme un après-coup distant. Le scénario de Luc Besson a au moins le mérite dene pas être aussi abruti que ceux de, disons, Taxi 3 ou Yamazaki,et le réalisateur Olivier Dahan sait comment réaliser un filmd’horreur, même si la plupart de ses meilleures idées sontempruntées à d’autres films. Couleurs prononcées, un suremploide nuits pluvieuseset de vagues ratio-nalisations viennentcompléter le portrait.Les amateurs deJean Reno ne serontpas déçus ; ceux quin’ont généralementpas trop d’attentesnon plus.

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Photos : EuropaCorp

L’été trompeur (en capsules)Certains films commencent en créant une certaine impression

et se terminent en en laissant une autre, surtout lorsque la publi-cité les entourant est délibérément trompeuse. Plutôt que de tenterde décider quel film devait être exclu de notre tour d’horizon,voici un aperçu rapide des choix marginaux du trimestre :

Puisqu’il s’agit d’un film de M. Night Shyamalan, The Villagecontient quelques retournements majeurs. Donnant l’impressionau départ d’une histoire dans laquelle des monstres menacentune ville du siècle dernier, le film se métamorphose bientôt enquelque chose d’un peu plus intéressant. S’il y a une recomman-dation à faire au sujet de The Village, c’est de demander volon-tairement à connaître les révélations finales avant de voir le film.Pourquoi ? Parce que Shyamalan-le-scénariste triche et déçoit :savoir à quoi s’attendre vous libérera donc du sentiment de trahisoninévitable qui se manifestera en vous lorsque vous apprendrezen quoi consiste le retournement. De la même façon, connaîtrece retournement à l’avance permet d’admirer à sa juste valeur detravail de Shyamalan-le-réalisateur. Alors que la qualité de sesscénarios ne cesse de faiblir depuis The Sixth Sense, on ne peuten dire autant de son travail de mise en scène. En tant qu’artisandu suspense, Shyamalan sait sur quoi pointer sa caméra et, peut-être de façon plus importante, sur quoi ne pas la braquer ! Il y aun talent indéniable dans la cinématographie du film, un travailque le scénario, parfois loufoque, risque de saboter. Impossible,finalement, de ne pas mentionner l’utilisation toujours aussihabile des couleurs, un choix artistique qui mène à une réflexion

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Photo : Touchstone

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sur un autre plan: une société cherchant à se protéger des monstresqui rôdent autour du périmètre grâce à un conditionnement socialastucieux basé sur les couleurs rouges et jaunes, ça ne vous rap-pelle pas quelque chose?

Suspect Zero est d’une autre eau. À l’origine, le scénario deZak Penn (écrit en 1997) s’intéressait au concept de tueurs ensérie traqués par un autre tueur en série. Prémisse intéressante(bien que similaire à Watch Me, d’A.J. Holt) et titre accrocheur(en épidémiologie, le « patient zéro » est celui à l’origine del’épidémie), qui nous permettront de comprendre sans peine queles droits furent rafléspar le studio Universal.Hélas, des changementsont suivi dès la vente duscénario… beaucoup dechangements. Ce quinous donne, au final, unfilm où le concept dedépart est devenu celuide tueurs en série traquéspar un autre tueur ensérie… psychique. Non, vraiment! C’est lorsqu’on apprend, peinée,cette révélation trop tardive que l’on se rend compte que ce filmn’aura, en fin de compte, aucune cohérence.

Malgré la forte présence de Ben Kingsley dans un rôle prin-cipal, et une réalisation qui a ses bons moments, Suspect Zeroest une histoire tellement tirée par les cheveux qu’il finit… par sepayer la tête de son auditoire !

Désolant, vide et à peine plus intéressant que des médiocritéstelles Taking Lives ou Twisted.

Open Water est, au moins, plus honnête avec sa prémissesimple : imaginez que, lors d’une excursion de plongée sous-marine, on vous oublie en plein océan. La nage est futile : vousêtes au milieu d’un fort courant. Et voilà que les requins com-mencent à tourner autour de vous… Dramatique, comme situation.Non?

Malheureusement, Open Water prend une quarantaine deminutes à nous mener jusque-là, et de façon peu trépidante. Puis,le film patauge sur place pendant une autre quarantaine de minutesavant de se terminer par la voie la plus facile.

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Photo : Paramount

Open Water réussit néanmoins à maintenir une certaine ten-sion. Mais celle-ci est gaspillée, ne menant jamais à quelquechose de plus satisfaisant. On admirera tout de même au passagel’audace technique du réalisateur Chris Kentis, qui a développécette histoire toute simple avec un micro-budget : l’image digitaleest boueuse, certes, mais tel The Blair Witch Project , OpenWater fait beaucoup avec très peu. Dommage que ça ne soit pasassez.

Les petits génies du département du marketing à la MGMtentent de vendre Wicker Park comme un thriller à la SingleWhite Female, où une femme est prête à tout pour séduire l’objetde son affection. Même s’il s’agit là effectivement de l’intrigue,n’y croyez rien: remake du film L’Appartement (1996) de GillesMimouni, Wicker Park (partiellement tourné à Montréal) n’estpas autre chose qu’un drame romantique. Un peu de suspense etde tension sont créés alors que le mystère et les mensonges s’em-pilent (les parallèles avec Hitchcock, empruntés au film original,ne sont pas accidentels), mais le film n’a vraiment rien à voir avecune quelconque interprétation du genre criminel. On se laissera toutde même emporter par la structure complexe. Hélas, la finale estun peu frustrante, de parsa longueur inutile etquelques incohérencesmalheureuses. Tout demême, pas mal… sur-tout lorsqu’on se met àvoir l’intrigue commecelle d’une comédie ro-mantique, mais réaliséede façon inquiétante.

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Photo : Lions Gate Films

Photo : Metro-Goldwin-Mayer

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Bientôt à l’afficheIl y aura de tout pour tous au programme du prochain

trimestre. L’écrivain Larry Cohen continue, après Phone Booth,sa lancée en suspense téléphonique avec Cellular . Pompiers etphotographes sont promis à de mauvaises heures dans, respec-tivement, Ladder 49 et Paparazzi. Si les remakesvousintéressent, vous pourrez vous précipiter à la sortie des nouvellesversions de Flight of The Phoenixet de l’adaptation américainede Taxi, où Queen Latifah vient remplacer Samy Naceri dans lerôle principal. (Pardon?) Dans une veine aussi loufoque, il seradifficile de faire mieux que la prémisse bizarroïde de NationalTreasure : aventuriers à la recherche d’une carte au trésorinscrite au dos de la déclaration d’indépendance ! Dans uneveine plus sérieuse, il faudra compter sur Alexander, la biogra-phie romancée du légendaire Alexandre le Grand. Puis, dans unregistre nettement plus angoissant, la bande annonce de Sawcréée déjà une tension à vous couper le souffle… à la scie.

Bien sûr, le véritable thriller de l’automne 2004 risque d’êtrela campagne présidentielle états-unienne. Si l’anxiété devientintolérable, Team Americapourrait très bien remettre tout ce cirqueen perspective dès la mi-octobre : à en croire la bande-annonce,il s’agira d’une parodie des films de Jerry Bruckheimer « mettanten vedette » des célébrités politiques et artistiques… réalisée ensuper-marionation. Est-il utile de préciser que c’est une créationdes deux comédiens derrière South Park?

Sur ce, bon cinéma!

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CAMERA OSCURA (XII)

■ Christian Sauvé est informaticien et travaille dans la région d’Ottawa. Sa fascination pour le cinémaet son penchant pour la discussion lui fournissent tous les outils nécessaires pour la rédaction decette chronique. Son site personnel se trouve au http://www.christian-sauve.com/.

Apprentis espionsAprès Le Réseau Corneille et Code Zéro

(Robert Laffont, 2001 et 2002), l’auteur bri-tannique remet ça avec Le Vol du frelon, untroisième roman d’espionnage se déroulantdurant la Seconde Guerre mondiale et dont laformule éprouvée commence à montrer dessignes de faiblesse. Contrairement au RéseauCorneille, qui commençait lentement pour ensuites’accélérer dans un suspense soutenu et efficacejusqu’à la fin, Le Vol du frelon prend son envoltardivement, et ne trouve jamais sa vitesse decroisière. Dans ce cas-ci, les passages palpitantssont presque toujours suivis d’un passage àvide au suspense quasi inexistant. Sur le planhistorique, par contre, Le Vol du frelon est tota-lement réussi. D’où l’intérêt pour ce roman dontl’histoire commence au Danemark en 1941, soitun an après le début de l’occupation allemande.

Aucun doute là-dessus, Ken Follett demeureun excellent conteur. Ses personnages sontsympathiques et on s’intéresse d’emblée à leurhistoire. Pourquoi se plaindre alors? Parce quela trame de base de ses romans d’espionnages

se ressemble toute. Comme Le Réseau Corneille,Le Vol du frelon débute avec l’échec d’unemission menée par les Britanniques contre lesAllemands. Entre ensuite en scène l’héroïne deservice, Hermia Mount, qui vient à bout de tousles obstacles grâce à son immense courage et àsa grandiose intelligence. De l’autre côté du ringse trouve le méchant de service. Ici, il s’agit dePeter Flemming, un policier danois à cheval surles principes et tellement avide de pouvoir qu’iln’hésite pas à dénoncer ses concitoyens pourobtenir l’approbation de l’occupant. Au centre,Harald Olufsen, jeune étudiant trop curieux etfutur ingénieur, qui découvre comment l’ennemiparvient à décimer les escadrilles de l’armée del’air britannique.

Débute alors un chassé-croisé entre les troishéros du roman. Hermia demande aux « Veilleursde nuit », le petit groupe d’espions qu’elle a crééavant de fuir en Angleterre, de découvrir où ensont les Allemands dans le développement duradar. De son côté, Peter tente de découvrir lesmembres du réseau d’espionnage pour ensuiteles traduire devant la justice. Quant à Harald,

ENCOREDANS LA MIRE

de

Christine Fortier, Jean Pettigrew,Norbert Spehner, François-

Bernard Tremblay

Karin ne fait pas dans la dentelle…Au fil du rasoir, de Karin Slaughter, commence

par une scène-choc : Jeffrey Tolliver, le chef dela police locale, est obligé d’abattre une ado-lescente qui menaçait son petit ami avec unrevolver tout en suppliant qu’on la tue. L’autopsierévèle des choses horribles et troublantes. Ledocteur Sara Linton et Jeff Tolliver vont essayerde découvrir ce qui a bien pu mener à ce drameterrible. Chapitre après chapitre, les faits se pré-cisent, les témoins se dévoilent et l’atrocevérité se fait jour, encore plus révulsante que ceque l’on pouvait imaginer.

Karin Slaughter ne fait pas dans la dentelle.Je l’avais déjà remarqué dans son premierroman, Mort aveugle, mais là, elle se surpasse.Oubliez les comparaisons putassières avecPatricia Cornwell (est-ce vraiment encore uncompliment ?) ou avec Thomas Harris (rien àvoir), Slaughter n’a pas écrit un thriller, nimême un suspense, même si son récit empruntedes éléments aux deux pour plus d’efficacité.Ce qu’elle nous propose ici, c’est une sorte deroman criminel psychologique, une plongéedans l’horreur absolue des déviances sexuelles,

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ENCORE DANS LA MIRE

désireux de mettre en échec les Allemands, iln’hésite pas à mettre sa vie en danger pourchanger le cours de la guerre et donner aux Britan-niques les informations dont ils ont absolumentbesoin. À travers cette première intrigue fortintéressante malgré son aspect prévisible, deuxhistoires d’amour, racontée en filigrane : celle deHarald avec la belle Karen, puis celle de Hermiaet de Arne, le frère de Harald, qui se termine tragi-quement.

Tout compte fait, Le Vol du frelon n’est pas unsi mauvais roman. Ceux et celles qui n’ont paslu les précédents livres de Ken Follett n’y verrontque du feu. Quant aux autres, ils découvrirontun aspect moins connu de la Deuxième Guerremondiale. Dans tous les cas, les lecteurs savou-reront le savoir de l’écrivain, qui étaye son romanpar d’impressionnantes recherches, comme c’estle cas pour chacun de ses livres. (CF)

Le Vol du frelonKen FollettParis, Robert Laffont, 2004, 445 pages.

dans le bourbier innommable de la pédophiliedans ce qu’elle a de plus extrême et de révoltant.Ce que découvrent Sara et Jeff dépasse l’enten-dement. Certains passages de ce livre noushantent encore longtemps après la fin de notrelecture, surtout que le dénouement nous réservede très mauvaises surprises. À ne pas lire dansune période de déprime… (NS)Au fil du rasoirKarin SlaughterParis, Grasset (Thriller), 2004, 440 pages.

En singeant l’ApocalypseAttention ! Quand Pouy rencontre Raynal (et

de Kerversau), tout peut arriver. Ils sont lescréateurs du Poulpe, bien sûr, mais aussi duroman La Chasse à l’homme, paru en 2000 auxéditions Mille et une nuits. Dieu seul sait – etpeut-être le Diable, sans doute – ce qui peutaccoucher d’un tel copinage! Parlant de ces deuxvieux loups (Dieu et Diable, pas les deux autres),c’est précisément eux qui sont les principauxprotagonistes de cette comédie un peu noire (sipeu) qui a pour titre La Farce du destin et quivient juste de paraître dans la boîte d’Antoine deKerversau, les Contrebandiers éditeurs. Voyonsdonc ce que font Lulu alias Lucifer et Gégé aliasJéhovah dans ce petit roman pas tristounet dutout…

Gégé et Lulu se retrouvent tous les dimanchesdans un petit bistrot du onzième arrondissement.Ils picolent et rigolent en se remémorant leursmeilleurs (mauvais) coups, discutent de l’histoirede l’humanité (l’un critiquant plus que l’autre)et jouent aux cartes. Attention, pas de paquetvoleur à l’horizon, de poker ou de Black Jack,mais un jeu de rôle qui pourrait bien tournerparfois à la roulette russe. Ils tirent des cartesreprésentant des personnes qui ne devraientpas se rencontrer… mais Gégé et Lulu arrangentbien des choses à leur convenance. Ici, c’est ledestin d’Antoine qu’ils vont jouer aux cartes.

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Antoine, un moine au lourd passé judiciaire, quia du mal, par les temps qui courent, avec savocation. Ce n’est pas qu’il s’ennuie sous lasoutane, mais la simple évocation de la viergearrive à le mettre dans tous ses états, alorsimaginez les ménagères rencontrées au super-marché du coin, quand elles y vont parfois unpeu fort sur les tenues suggestives… Mais cen’est pas sur la simple ménagère en talons hautset minijupe que va tomber Antoine, mais sur uneeffeuilleuse qui se sent attirée par la soutane !

On s’amuse beaucoup dans ce petit romanqui nous gave à la fois de bons mots et de situa-tions comiques. D’autres, qui n’aiment pas voirleur polar envahi par la comédie, trouverontpeut-être à redire, comme d’habitude. Cepen-dant, il faut avouer que tout est amené avecgoût et modération, ce qui devrait permettreaux plus exigeant d’apprécier cet opus à quatremains, celles de deux des figures de proue dupolar français.

Personnellement, j’ai trouvé la fin un peuprécipitée, mais l’humour, l’efficacité et l’ori-ginalité de La Farce du destin, écrit par desécrivains pour qui le français veut encore dire

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kilos particulièrement combatif, ou quelquechose du genre, pour que je condescende à melancer dans la lecture de ce Kill me tender(Daniel Klein) dont j’attendais le pire et mêmeplus. Croyez-le ou non, Elvis est presqu’aussibon détective que chanteur et ce roman, malgréles apparences un peu kitsch, est un récit policierde bonne tenue que j’ai lu avec beaucoup deplaisir.

L’action se situe après le retour de Presley àla vie civile. Il a encore un peu de mal à regagnerson ancienne audience quand les présidentesde ses fans-clubs commencent à tomber commedes mouches, tuées dans de mystérieuses con-ditions. Il décide d’enquêter lui-même, avecl’aide de quelques personnages de rencontre dontla séduisante Selma qui va, pendant quelquetemps, lui faire oublier Priscilla, toujours enAllemagne. La Selma, elle sait y faire…

L’auteur, qui n’est pas un vrai fan Elvis, maisqui connaît tout de sa vie (ou presque), a situél’enquête dans le cadre de la vie du King dansle Tennesse ségrégationniste du début desannées 60. Les personnages réels (comme lefameux colonel Parker, le manager d’Elvis) ycôtoient les personnages de fiction et, bienentendu, la musique est omniprésente. Il y ades séquences amusantes (Elvis se faisant passerpour un de ses sosies, les concours de sosies),mais d’autres sont plutôt noires. Même la fin estétonnante, quoique prévisible pour qui connaîtun peu la biographie de Presley.

Ce roman est le premier d’une série de quatre.Je n’ai pas encore lu les autres, mais s’ils sonttraduits, je jure que je retourne au Tennesseeme goinfrer de beurre de cacahuète frit et desandwiches à la banane, tout en chantant BlueSuede Shoes ou Don’t be cruel. Yeah! (NS)Kill me tenderDaniel KleinParis, Pygmalion (Suspense), 2004, 297 pages.

quelque chose, l’emportent sur toutes les petitesrécriminations que j’aurais pu avoir. C’est à lire!(FBT)La Farce du destinJean-Bernard Pouy & Patrick RaynalParis, Les Contrebandiers, 2004, 175 pages.

Je l’ai toujours cru : le King est vivant !Quand j’ai reçu ce livre, je me suis dit spon-

tanément que c’était un autre de ces polarsgadgets dont on nous inonde depuis quelquesannées, un de ces trucs excentriques que je nelirai jamais : polars hyper-régionalistes faisant lapromotion touristique du coin, polars vinicoles(pas toujours des bons crus), polars félins (chatme rebute) polars sécurité sociale, polars mé-decine, polars qui n’en sont pas vraiment, hérosimprobables et j’en passe. Elvis Presley détec-tive? Et puis quoi encore? Non mais…

Je devais être bien fatigué, épuisé après unelongue lutte contre un brochet de quelques

E S P I O N N A G E & P O L A R

À PARAÎTRE EN OCTOBRE

Cyril Drecker, un antiquaire deToronto, est mort par asphyxie dansl’incendie criminel de son commerce.Coïncidence, accident, meurtre pré-médité?

Charlie Salter, à qui on a demandéde faire la lumière sur cette histoire,trouve rapidement plusieurs suspectspotentiels – un assistant nonchalant,une épouse peu concernée, une maî-tresse sans grande passion… Mais àson grand dam, toutes les pistes qu’ildébusque semblent mener nulle part.

Et puis il y a tous les problèmes dela vie quotidienne à affronter…

256 pages 12,95 $

À PARAÎTRE EN OCTOBRE

Août 1943… Afin de finaliser lesplans du grand débarquement desAlliés en Europe, la « Conférencede Québec » réunira dans la VieilleCapitale, au Château Frontenac leprésident américain, Frank D.Roosevelt, le premier ministre de laGrande-Bretagne, Winston Churchill,et leur hôte, le premier ministre cana-dien Mackenzie King.

Or, dans le plus grand secret, AdolphHitler a planifié l’élimination surplace des trois dirigeants…

367 pages 14,95 $

Quand la littérature se donne du genre !

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Pas l’ombre d’un Frankenstein !Disons le tout net, L’Ombre de Frankenstein,

de François Rivière, est un livre totalement insi-gnifiant et sans intérêt. Je ne comprends d’ailleurspas que ce texte d’une drabitude extrême aittrouvé un quelconque éditeur. Seul le titre estprometteur, mais après ça, quelle déception !Et surtout, n’allez pas croire un mot de ce quedit le menteur de service sur le quatrième decouverture, à savoir que « Ce roman d’appren-tissage est en même temps un récit de mystèreet celui d’une innocence enfantine au point crucialoù elle menace de chavirer et de se perdre défi-nitivement ». Ce livre n’est ni un roman fantas-tique, ni un récit de science-fiction, et surtout pasun polar. Quant au mystère annoncé… Quelmystère? À la fin de l’été 1932, Tony Montero,un adolescent anglais, emménage avec sa fa-mille dans une maison voisine de celle de l’acteurBoris Karloff. Karloff? Ah, ah… Et que se passe-t-il alors? Verra-t-on surgir l’ombre de Franken-stein? Que nenni… L’intrigue (quel grand motdans les circonstances !) peut se résumer ainsi :

Boy meets Karloff – Hi Karloff ! Hi Boy ! ByeBye Karloff ! – Rideau. That’s all Folks !

On est à la page 120 et on attend toujours lafameuse ombre. Une perte de temps, sauf peut-être pour les cinéphiles mordus et inconditionnelsqui jouissent à la seule mention des noms de réa-lisateurs, d’acteurs et de scénaristes dont Rivièresaupoudre son texte. Maigre consolation… (NS)L’Ombre de FrankensteinFrançois RivièreParis, Cahiers du Cinéma, 2004, 120 pages.

Traitement de choc !Les Ténèbres du crime est le premier roman

de Michael Prescott que j’ai lu et je me suispromis de récidiver dès que possible car cetécrivain américain, qui partage sa vie entre ledésert de l’Arizona et New York, sait raconterune histoire même si elle est parfois cousue defil blanc (un comble pour un roman noir !).

Robin Cameron est une psychiatre qui a misau point un instrument magnétique qui doit

permettre aux criminels de retrouver le souvenirrefoulé des traumatismes subis dans leur en-fance. Ainsi pourront-ils guérir. C’est du moins cedont elle est persuadée, mais encore faut-il leprouver. Elle compte expérimenter cette nouvelletechnique sur un policier nommé Brand, con-damné pour avoir tué un malfaiteur qui se trouvaiten légitime défense. Hélas, elle ignore que Brand,manœuvré par des mafieux infiltrés dans lapolice, risque de révéler une vérité gênante pourlui-même et les truands qu’il fréquente. Cesderniers passent à l’action en enlevant Meg, lafille de Robin. Commence alors une descenteaux enfers, Robin Cameron n’ayant qu’uneobsession : retrouver sa fille vivante. Elle aura unallié surprise dans la personne d’un redoutabletueur de jeunes femmes sur qui le traitementsemble avoir eu des effets bénéfiques.

Tout ça est très efficace, à condition, bien en-tendu, de mettre en veilleuse son esprit critique.En effet, si tous les faits sont plausibles, ilssont aussi hautement improbables, commec’est souvent le cas dans ces best-sellers à l’amé-ricaine. Disons, pour être polis, que les hérosont beaucoup de chance et que les méchants,ma foi, ont mal choisi leur vocation, même sil’auteur insiste pour dire qu’ils sont les meilleursdans leur domaine : le mal.

Il y a beaucoup de coups de théâtre, c’esttrès distrayant et la partie de bras de fer entrel’idéalisme naïf (très agaçant, parfois) de lapsychiatre et le cynisme des policiers est plutôtréjouissante. De ce même auteur, chez le mêmeéditeur, on peut lire aussi L’Arracheur de visages,le Tueur des bois, L’Étrangleur masqué, et LaProchaine victime. (NS)Les Ténèbres du crimeMichael PrescottParis, Pygmalion (Suspense), 2004, 396 pages.

Un traître sympathiqueLe Traître, de Guy Walters, est à la fois un

roman de guerre, un récit historique, un livre

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d’espionnage et un bon suspense. Pour écrirecette tragique et poignante histoire, l’auteurs’est inspiré d’un fait peu connu, parce que peuglorieux, de la Seconde Guerre mondiale : l’exis-tence d’un corps de Waffen SS britannique dontl’idéal (si on peut dire…) était de combattrele bolchévisme.

Le roman raconte l’histoire de John Lockhart,un officier anglais qui est capturé en Crète parles Allemands en novembre 1943. Plutôt quede le fusiller comme espion, les Nazis lui pro-posent un étrange marché : s’il accepte de col-laborer (donc, de trahir son pays), sa femme, pri-sonnière dans un camp de concentration, aurala vie sauve. Lockhart fait semblant d’accepteret se retrouve sous l’uniforme allemand à latête d’une unité de renégats britanniques, fas-cistes convaincus ou opportunistes recrutés dansles stalags. Quand il apprend que les Allemandsont une arme secrète (V2 + gaz Sarin) aveclaquelle ils veulent anéantir la population deLondres, il voit là une occasion de se racheter.

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Il retourne contre les Allemands la bande detraîtres qu’on l’a contraint à former et va touttenter pour empêcher le massacre. La suite durécit raconte les préparatifs et les circonstancesdramatiques dans lesquelles va se dérouler cetteétrange mission-suicide.

Certes, le thème du traître malgré lui n’est pasentièrement nouveau dans le roman d’espion-nage, mais il reste que, question de goût per-sonnel, j’aime beaucoup ce type de roman quimêle adroitement une réalité historique peuconnue à une aventure fictive riche en action,avec des personnages très forts, notamment lehéros, et surtout son ennemi juré, l’AllemandStrasser dont le portrait nuancé est fort réussi.

Le Traître est le premier thriller de Guy Walters,qui a travaillé pendant huit ans comme reporterpour le Times de Londres. À suivre… (NS)Le TraîtreGuy WaltersParis, Presses de la Cité, 2004, 494 pages.

Je le braderai, c’est sûr !C’est une icône. Un incontournable. L’un des

grands de la littérature états-unienne de l’ima-ginaire du XXe siècle. Les inoubliables Chroniquesmartiennes, le très poétique Homme illustré, ledramatique Fahrenheit 451 sont autant de chefs-d’œuvre qui survivront au passage des décennies,voire des siècles, si tant est que l’Humanité elle-même réussisse à ne pas sombrer entre-temps!

Hélas, le dernier opus du vieux maître n’estpas à la hauteur. Certes, Bradbury a toujours étémoins dominant en polar, mais les pérégri-nations dans une Californie hollywoodienne desannées 60 du narrateur (l’auteur) et de sonacolyte, Crumley le détective, ne tiennent pasla route. Car tout ça n’est que le prétexte d’unerevisite nostalgique d’un passé révolu, une sorted’autobiographie imaginaire et un peu puérile.

Le projet était noble ; le résultat est décevant.On me permettra donc, pour les émotions, deplutôt conseiller la (re)lecture d’Un remède à lamélancolie. (JP)Il faut tuer ConstanceRay BradburyParis, Denoël (& D’ailleurs), 2004, 227 pages.