mythocritique et mythanalyse

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Valioso artículo que reseña los aportes de dos perspectivas contemporáneas como la mitocrítica y el mitoanálisis

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Mythocritique et mythanalyse"

Simone VIERNEDtails: | Affichages : 3583 Simone VIERNE (Universit Stendhal)(in IRIS, n 13, 1993, p. 43-56)

Ltude qui va suivre ne prtend pas l'originalit, mais se voudrait seulement une mise au point sur la mthode de lecture des textes que j'ai pratique, avec mes tudiants, depuis une quinzaine d'anne. C'est dire qu'elle a un ct pragmatique, mais videmment bas sur des principes thoriques qui taient dj exprims dans un numro de Recherches et Travaux par Gilbert Durand en 1975 et reprises par lui en 1979 dans Figures mythiques et Visages de l'ceuvre(1), dont la rdition porte ds la couverture le sous-titre explicite: De la mythocritique la mythanalyse ; ce sous-titre renvoie ainsi explicitement la troisime partie, mthodologique, de l'ouvrage. Si je tiens prciser ces dates, c'est qu'il n'est peut-tre pas inutile de rappeler que, contrairement ce qu'affirme un peu lgrement un ouvrage rcent intitul Mythocritique, cette dmarche a exist et produit ouvrages, articles et travaux de recherches bien avant 1992...

De quelques dfinitions et principesDans L'Air et les Songes (2), Bachelard a ouvert la voie la recherche d'une profondeur mythique, dans la lecture des textes littraires, en soulignant le caractre oniriquement naturel des vers de La Fontaine dans Le Chne et le Roseau :Celui de qui la tte au ciel tait voisine
Et dont les pieds touchaient l'empire des morts.S'il faut, pense-t-il, tenir compte de la culture antique du fabuliste pour expliquer cette image, il ne faut pas sous-estimer la rverie personnelle, car la culture nous donne, en quelque sorte la permission de rverEn rvant l'arbre immense, l'arbre du monde, l'arbre qui se nourrit de toute la terre, l'arbre qui parle tous les vents, l'arbre qui porte les toiles... je n'tais donc pas un simple rveur, un songe-creux, une illusion vivante! Ma folie est un rve ancien. En moi rve donc une force rvante, une force qui a rv jadis, dans des temps trs lointains, et qui revient ce soir s'animer dans une imagination disponible! (p. 253).Cet appel au mythe, (et un peu plus loin un retour d'une culture mythique dans l'ducation) comme force imaginante n'est videmment pas encore formalis, mais il situe bien la ligne de pense dans laquelle se situent toutes les recherches ultrieures.
Il faut cependant s'entendre sur quelques dfinitions. Sans prtendre qu'elles sont exclusives, elles sont indispensables pour asseoir une mthode sur une base solide. Et d'abord, videmment, qu'entend-on par mythe ? Bachelard insiste surtout sur l'universalit et l'atemporalit du mythe, qui donne la rverie personnelle et subjective une valeur objective, permet de la classer dans les grandes rveries qui ont hant depuis toujours l'humanit, apportant en outre un surcrot de comprhension et surtout de bonheur au lecteur. Mais si le mythe doit nous servir de faon plus opratoire dans notre lecture, une dfinition plus prcise s'impose. Base aussi bien sur les travaux de Mircea Eliade (voir sa dfinition dans le Dictionnaire des mythologies dirig par Yves Bonnefoy (3), et de Lvi-Strauss, notamment, on pourrait la rsumer ainsi :il s'agit d'un rcit, qui a d'abord t oral (et l'est encore dans certains lieux prservs du monde), puis a t fix par des crits qui prsentent un nombre plus ou moins grand de variations. Le caractre digtique est important : le mythe raconte une histoire ;

cette histoire comporte, dans son droulement, des lments non naturels, magiques, absurdes au regard de la logique et du vcu quotidien. Ces lments, que les ethnologues appellent mythmes, peuvent tre aussi bien des vnements que des dcors, des person-nages (humains, divins, animaux, vgtaux ou des mixtes de tout cela), dont la signification doit tre recherche dans leur valeur symbolique ;

cette histoire implique de celui qui la dit comme de celui qui l'coute (ou de celui qui l'crit et de celui qui la lit) une croyance, qui tait, l'origine de nature religieuse. Au fil du temps, la croyance a pu changer de nature (4) : mais il suffit de songer la manire dont on entre dans un livre, ou un film, pour comprendre que l aussi est l'oeuvre une forme de croyance, qui atteint videmment sa dimension la plus forte quand on entre en posie, ou en musique. Freud parlait avec raison du je sais bien (que ce n'est pas vrai) mais quand mme... ;

les rcits mythiques ne sont pas une pure fantaisie, ou une illusion mensongre, ou un ornement gracieux ou didactique comme l'a cru l'ge classique. Le mythe cherche rsoudre une question essentielle (au sens philosophique du terme) et existentielle pour l'homme, que la logique ne peut rsoudre. Les spcialistes nomment ces questions des mythologmes. Elles ne sont finalement pas trs nombreuses: la question de la vie et de la mort, le rapport du Moi et de l'Autre, la place de l'homme dans le cosmos et/ou la socit (l'individu et la totalit ou la masse), d'o vient l'homme et o va-t-il (du Big-Bang Apocalypse now, pour donner un exemple contemporain), le Bien et le Mal (vrit en dea des Pyrnes, etc.). Il peut y avoir d'autres mythologmes, assurment, mais l'tude, on s'aperoit que les grandes questions qui se posent l'tre humain entrent dans l'une ou l'autre de celles proposes ci-dessus ;

il faut insister sur le fait que ces questions ne peuvent recevoir de solution satisfaisante si l'on s'en tient la logique courante dite du tiers exclu, celle que nous pratiquons dans le vcu quotidien et aussi sur laquelle a vcu la science jusqu' une poque rcente, et une grande partie de la rflexion philosophique. En critique littraire, le structuralisme en a t en quelque sorte l'apoge. La science contemporaine, dans ses aspects les plus pointus, aussi bien que notre dmarche de lecture, qui donne la place majeure l'imaginaire, fonctionne au contraire sur la logique du tiers inclus. L'on peut en avoir une illustration dans une figure de rhtorique (la rhtorique m'est forcment plus familire que, par exemple, la physique des particules ou l'astrophysique...) : l'oxymoron, la noire et pourtant lumineuse de Baudelaire (5), ou le soleil noir de Nerval, qui maintiennent dans une mme image des ples opposs, de sorte que l'on n'a pas affaire du gris, mais un noir plus profondment sombre et une lumire plus clatante, en mme temps. On voit bien aussi que cette concidence des contraires a des rfrents non seulement dans l'alchimie, mais aussi dans la troisime structure de l'imaginaire selon les thories de Gilbert Durand, et l'on doit songer l'affirmation d'Andr Breton dans le Second manifeste du surralisme (6) :

Tout porte croire qu'il existe un certain point de l'esprit o la vie et la mort, le rel et l'imaginaire, le pass et le futur, le communicable et l'incommunicable, le haut et le bas cessent d'tre perus contradictoirement. Or, c'est en vain qu'on chercherait l'activit surraliste un autre mobile que l'espoir de dtermination de ce point. (p. 92)De la pertinence du mythe, pour la lecture des textes littraires (entre autres)Ce qui prcde amorce dj la rponse la question : pourquoi le mythe, et en somme pourquoi la mythocritique ?
On pourrait dire dj, et Bachelard le suggrait, que le mythe est la premire expression de l'art mdiatis par la parole, puis par l'crit : l'pope de Gilgamesh, retrouve sur les tablettes d'argile, montre bien que ce n'est pas seulement l'histoire qui commence Sumer, c'est aussi la littrature grce cette premire pope initiatique (7). La manire mythique dont les Grecs concevaient le monde, sa cration et celle de l'homme nous sont transmises par un pome, celui d'Hsiode.
Il ne faut pas, en outre, ngliger dans la cration artistique le poids de la culture, et mme de ce qu'on appelle maintenant inconscient cognitif : mme si l'ducation ne fait plus que peu de place une connaissance mythologique, celle-ci demeure assez vivante pour se retrouver, curieusement, dans des formes apparemment trs peu lies cette connaissance, comme la publicit (8). Ce qui prouve au moins, en passant, que l'imaginaire et ses lois jouent, consciemment ou non, un rle dterminant dans les domaines les plus divers ! Faut-il rappeler que ce qu'on a appel le nouveau roman, qui se voulait trs consciemment destructeur de ce qu'il appelait l'illusion romanesque, a fait appel abondamment au substrat mythique, dipe pour Les Gommes, au mythme du labyrinthe dans Dans le labyrinthe, pour Alain Robbe-Grillet, Thse pour L'Emploi du temps, et diverses lgendes dans La Modification, pour Michel Butor, leur modle tant naturellement l'Ulysse de James Joyce. Les rfrences sont d'ailleurs explicites, et mme si le dessein est de contester le geste primitif commun l'auditeur de mythe et au lecteur de roman, celui de l'adhsion la fiction, je suis persuade non seulement que cela prouve la force du mythe, mais qu'il subsiste une prgnance mythique dans sa ngation mme. Il faudrait d'ailleurs ne pas s'en tenir des rfrents mythologiques tirs de la culture grco-latine, mme si, bien videmment, elle a imprgn notre culture occidentale (par exemple, chez Butor, la lgende du Grand Veneur, qui a un fonds celtique). La Bible fournit un substrat mythique, explicite ou non, notamment par exemple chez Victor Hugo, mais aussi, de nos jours, les mythes de cultures trs diverses, de l'Inde l'Amrique en passant par l'Afrique, et la Nouvelle-Zlande, grce aux travaux des ethnologues et des historiens des religions.
Cependant, en tenant le mythe pour une simple rfrence culturelle, mme profondment rve et actualise, nous en resterions, mon sens, un lien trop superficiel. Si l'on revient la dfinition du mythe que j'ai donne, on peut voir que celui-ci a un rle bien plus complexe et important. D'abord, le fait de faire appel une logique diffrente de la logique purement rationnelle, qui va permettre de rsoudre les questions que se pose l'homme sur son statut mme et son rapport aux autres et au monde, relie cette dmarche aux tudes sur l'imaginaire, dont nous sommes videmment tous persuads au CRI qu'il est le moteur essentiel de la cration artistique. L'art est, comme le mythe, seul capable de transcender l'humaine condition, et de rpondre, ft-ce de faon dsespre, et par le seul acte de crer, son lancinant dsir de la dpasser. Julien Gracq, dans la prface au Roi pcheur, mditant sur le cycle de la Table ronde, qui appartient, dit-il, l'espce de mythes la plus haute, voque la scne de Parsifal :[...] o le roi bless lve le feu rouge du Graal dans un geste de ferveur et de dsespoir qui figure un des symboles les plus ramasss que puisse offrir le thtre - un instantan - des plus poignants que recle l'art - de la condition de l'homme qui est, seul entre tous les tres anims, de secrter pour lui-mme de l'irrespirable, et condamn ce tte tte fascinant et interminable avec ce que de lui-mme il a tir de plus pur, de ne pouvoir faire autre chose que de rpter l'exaltante et dsesprante formule: Je ne puis vivre ni avec toi, ni sans toi (9).On pourrait aussi penser et c'est d'ailleurs un reproche courant, que le support mythique d'une lecture de ce type est tellement gnral qu'il finit par ne plus avoir de pertinence et manquer la spcificit, l'originalit de chaque oeuvre. Mais outre que pour dfinir le particulier, il faut bien avoir des repres gnraux, et le contraire, le fait mythique lui-mme indique trs bien les rapports du gnral et du particulier. Lorsque nous examinons un mythologme, nous avons en effet affaire une des grandes questions qui se posent l'tre humain. Mais suivant les poques, suivant aussi celui qui dit ou crit le mythe, les rponses vont tre extrmement diverses. Les variantes dans une mme culture sont l pour l'attester (voyez le dictionnaire de mythologie de Roscher), et cela ne peut que s'amplifier si l'on change de culture, et d'poque, et si intervient de plus en plus, et c'est le cas de la littrature, la personnalit, consciente et inconsciente, du crateur.
A ce point, je voudrais donner quelques prcisions sur les deux termes, que j'ai vits jusqu'ici, de mythocritique et de mythanalyse. Malgr le prcdent de Denis de Rougemont, qui a utilis en effet le premier le terme de mythanalyse (10), mais dans un sens trs diffrent, c'est bien Gilbert Durand qui a, dans l'article et l'ouvrage que j'ai signals au dbut, mis au point et expriment la mthode d'analyse qui se fonde sur le mythe. En principe, il rserve le terme de mythocritique l'analyse littraire et artistique, et ne se cache pas d'ailleurs de l'avoir forg en songeant la psychocritique de Mauron. Il y a en effet une dmarche assez proche, dans la mesure o l'on va superposer, en tout cas rapprocher, non pas seulement des images qui tmoignent des composantes inconscientes d'une psych particulire, comme c'est le cas pour Mauron, mais des mythmes qui appartiennent la fois en propre au crateur, et en mme temps un fonds commun de l'humanit. En revanche, la mythanalyse, malgr son nom qui fait penser psychanalyse, et fait un peu confusion avec ce qui prcde, tudiera les phnomnes socio-culturels, par exemple comment une priode culturelle donne, dans un lieu et un contexte historique prcis, est tributaire, dans ses expressions diverses, d'un mythe ou d'une figure mythique qui s'impose peu peu (et ensuite dgnre), parce qu'elle est confronte des problmes spcifiques, certes, mais qui se sont aussi poss, sous d'autres formes, en d'autres lieux, d'autres groupes humains. Ainsi la place de l'homme dans le monde, face aux puissances qui le dpassent, sera peu peu, dans la priode de la premire moiti du XIXe sicle, place sous le signe de Promthe, celui qui a voulu permettre aux hommes de s'galer aux Dieux. Il va sans dire qu'on aurait pu trouver une autre figure de rfrence, dans une autre mythologie. Mais il se trouve que Promthe hante si bien l'incons-cient collectif qu'il est explicitement voqu dans des oeuvres majeures de l'poque.
Ce qui montre aussi qu'il est pratiquement impossible de ne faire que de la mythanalyse, ou que de la mythocritique, ce que diverses rflexions prcdentes indiquaient de reste. Car dans une perspective mythocritique, il est vident que le contexte socio-culturel joue sur la cration particulire, et dans une perspective mythanalytique, les oeuvres de l'art sont partie prenante dans l'analyse des donnes socio-culturelles. Je rappellerais pour mmoire la belle thse d'Alain Pessin, Le Mythe du peuple et la Socit franaise du XIXe sicle (11), o une grande partie des exemples pris l'appui de ce mythe sont tirs d'oeuvres littraires (Hugo, Michelet, Sue, Ballanche, Lamennais, Leroux, G. Sand). Peut-tre aussi, dans notre perspective littraire, faudrait-il tenir compte du support utilis, qui va jouer un rle non ngligeable non seulement dans l'originalit de l'oeuvre, ce qui va de soi, mais mme dans l'interprtation (au sens musical du terme) du mythe.Les chemins de la mythocritiqueTout cela, bien sr, ne nous dit pas comment procder afin de mener bien une lecture mythocritique (et mythanalytique). Comment cerner, ou discerner, ce qui, dans une oeuvre ou un groupe d'oeuvres donns, a servi de schma dynamique, de processus de cristallisation? Julien Gracq a quelque part cette belle image de la limaille de fer, qui, tout coup, sous l'impulsion magntique de l'aimant, se regroupe en figures signifiantes. Le mythe, dfini comme il est dit prcdemment, joue certes ce rle, mais quel mythe, et continent ? Par exprience, je dirais qu'il y a plusieurs manires d'approcher ce phnomne cristallisateur, et cela permet d'ailleurs au chercheur, au lecteur, une grande souplesse. Rien ne serait pire qu'une grille applique, telle le lit de Procuste, aux textes.Mythe explicite
C'est bien tort qu'on considrerait comme plus faciles tudier dans cette perspective les oeuvres o le mythe est explicitement donn, comme par exemple dans les pices du XXe sicle, celles de Giraudoux, Cocteau, Sartre, voire le Promthe mal enchan de Gide. Car le travail consiste alors tudier les variations et les inflexions que les auteurs ont donnes des mythes alors mieux connus dans leur forme canonique que de nos jours. Ce qui suppose, de proche en proche, des travaux comme ceux souvent mens en littrature compare, par exemple ceux de Raymond Trousson sur Promthe, le livre de Jean-Louis Backs sur Le Mythe d'Hlne (12) ou la collection aujourd'hui disparue chez Armand Colin, sous la direction de Philippe Sellier (13). Une rcente thse, sur Ren Char, a tent avec succs une interprtation de l'oeuvre partir du mythe d'Orion, nommment utilis par le pote. Mais encore fallait-il en trouver le sens particulier dans une oeuvre qui est tout de mme, volontairement ou non, cryptique.
C'est aussi ce que j'ai tent autour des figures mythiques d'Iris et d'Artmis. Pour un colloque sur Herms, j'avais dcid, un peu par provocation, de m'intresser la figure mythique fminine qui, dans la mythologie grecque, est la messagre des dieux, la scintillante et lgre Iris. Il s'agissait d'abord d'en tracer le portrait tel que les Grecs (et leur suite les Romains) l'avaient conue l'aide du prcieux dictionnaire Roscher. Puis de voir ses avatars, tant sous forme de desse que sous la figure de l'arc-en-ciel, et ses apparitions dans la littrature baroque, chez Nerval et chez Giraudoux. Mais j'ai tent d'aller plus loin et de rflchir sur ce que pouvait apporter, sur la concidence hermtique des contraires, cette figure du message qui se symbolise par un passage continu, et non par une opposition surmonte. En travaillant sur une autre desse, Artmis, plus reprsente, notamment dans l'iconographie, j'arrivais notamment la conclusion qu'il tait utile de revenir sur la signification profonde de ces figures devenues des clichs, comme d'ailleurs l'avait fait excellemment Klossowski (14).
Il faut aussi prendre garde un certain automatisme culturel de l'auteur, qui peut parfois induire en erreur: Chantal Robin avait bien montr que Proust, en qualifiant M. de Charlus, entrav sur son lit, de Promthe sur son rocher, ne faisait que cder une sorte de clich oblig devant une personne enchane. Car M. de Charlus n'est nullement un personnage promthen, qui se rvolte contre les dieux; il est au contraire un personnage hermtique, lien entre les sexes, les classes sociales, voire entremetteur (15).Mythe implicite
Cependant le mythe, pris dans le sens de principe dynamisant de l'imaginaire, est le plus souvent implicite. Assurment, un autre danger nous guette, celui de vouloir trop prouver, par ide prconue, ou excs de zle. Il m'est arriv de calmer l'ardeur symbolisatrice de tel tudiant, qui, dans les premiers pomes de Rimbaud, voyait Hb dans une servante rousse qui servait de la bire, ou voulait prouver la prsence d'un mythe initiatique en faisant en quelque sorte ressusciter le dormeur du val. Sans compter que le lecteur a, lui aussi, un inconscient et une forme d'imaginaire personnels, qui peuvent fausser son analyse c'est--dire la rendre non cohrente avec ce que l'on sait du reste de l'oeuvre, et de l'auteur, et de son temps. C'est dire la fois que la prudence s'impose, si elle ne doit pas brider l'enthousiasme, et qu'il faut tenir bien des fils en mme temps pour tisser la lecture mythocritique.
Par o commencer ? disait Barthes dans un article clbre, qui inaugurait la revue Potique (16). Par lire, bien entendu, mais s'efforant de relever tous les lments mythiquement significatifs, (dfinition du mythme), dans les situations, le droulement des vnements, les personnages, les lments du dcor. Ce qui pour nous, habitus dchiffrer les images et symboles, ne devrait poser, en principe, qu'un problme, outre la prudence signale ci-dessus, " celui de l'organisation et de l'interprtation des fiches. Or ce n'est pas un mince problme, car il faut arriver dessiner, avec ce matriau, des constellations qui renvoient un substrat mythique cohrent et dominant, avec ventuellement des ramifications adventices qui peuvent en inflchir la signification, comme on le verra plus loin.
Tout cela, dira-t-on, est encore bien thorique. Passons donc des exemples pratiques. Et disons tout de suite qu'il existe plusieurs manires de faire, fort heureusement, car cela laisse de la latitude au critique, suivant son got, et suivant aussi ce qu'il entend montrer. La recherche du mythe organisateur
La mythocritique n'existait pas encore lorsque j'ai commenc ma thse sur Jules Verne et le Roman initiatique. Pourtant, la rflexion, il s'agissait bien dj de lire une oeuvre rpute claire et sans profondeur en trouvant son sens symbolique et en expliquant la fascination qu'elle a pu exercer sur tant de potes dans le substrat mythique de l'initiation. Il est juste de prciser que je n'ai pas eu chercher ce thme mythique, car il m'avait ds le dpart t indiqu par mon directeur de thse Lon Cellier (op. cit. p. 118, avec diverses analyses dans les textes romantiques). Encore fallait-il le dmontrer, ce qui fut sans doute d'autant plus, sinon ais, du moins vident, qu'il s'agissait de romans d'aventures. Or, les romans d'aventures, s'ils sont bien rvs, comme dirait Bachelard, sont toujours plus ou moins des avatars de la qute modle du Graal. Il fallait nanmoins retrouver les mythmes dans les oeuvres, et pour cela se rfrer une structure, ou un scnario, qui tablisse les constantes symboliques prsentes dans divers mythes et rites initiatiques, que j'ai retrouvs aussi, pour assurer mon propos, dans d'autres textes, pomes, romans, films, et mme une bande dessine (17).
Par la suite, j'ai encore prcis, dans des articles et dans Jules Verne, Mythe et modernit (18), ce que ce modle avait, dans ces romans, de particulier, d autant au pessimisme foncier de l'auteur qu' sa position par rapport au contexte historique et culturel du dernier tiers du XIXe sicle. Je l'ai fait aussi pour George Sand, notamment dans Consuelo, la suite de Lon Cellier, et pour des auteurs plus contemporains (Carpentier, Gracq, Le Clzio), et en bnficiant alors des travaux mthodologiques de G. Durand. Thmes adventices
On voit par ce qui prcde qu'il fallait combiner la mythocritique et la mythanalyse, d'autant plus ncessairement que les romans de Jules Verne devaient, dans leur forme et dans leur fond, se conformer aux directives de l'diteur Hetzel, dont le projet didactique tait fortement caractristique de l'idologie dominante, avec le mythe du progrs, forme promthenne qui perdure au-del du romantisme dans la croyance positiviste dans les bienfaits de la science. C'est pourquoi mon second ouvrage consacr Jules Verne tudie aussi les figures de Promthe, Faust et Hphastos, qui toutes trois sont lies cette thmatique du progrs, mais avec des nuances qui permettent de montrer que mme si la qute initiatique, dans les romans, semble se fonder sur une conqute par l'homme de pouvoirs suprieurs, c'est--dire par la possibilit de surmonter son destin mortel, profondment elle est voue la catastrophe, soit par l'gosme faustien, soit par l'impuissance de l'homme devant les puissances de la nature, les piges de Vulcain (et des volcans...).
On peut voir ainsi comment le mythe organisateur principal est li d'autres mythes, celui de la place de l'homme dans le cosmos, ou ses origines (autre exemple, moderne, La Guerre du Feu), et sa fin (toute la science-fiction base sur la fin de notre civilisation). Cela n'est qu'un exemple.Les figures mythiquesOn vient de voir aussi l'amorce d'une autre manire d'utiliser la lecture mythique, celui de l'tude de figures (personnages, hros). On peut aller plus loin et partir de ces figures pour tudier, non plus une oeuvre ou un groupe d'oeuvres, mais un mme thme mythique avec l'extension que l'on voudra ou pourra donner.
Dans ce que j'ai appel Figures mythiques de la femme, j'avais t d'abord frappe par le fait que, dans les romans du XIXe sicle, les hrones taient soit des anges, soit des dmons, et la fin du sicle, des figures dmoniaques seulement. Les textes eux-mmes (de Balzac Baudelaire) indiquaient cette dualit par les termes d'ange ou dmon, Lilith (ou Eve) ou Marie, madone ou lorette. Echappaient cette dichotomie les hrones de George Sand... J'ai tendu cette tude aux hrones des qutes du Graal, du Moyen Age nos jours (en y incluant donc la Kundry de Wagner et celle de Julien Gracq), et chez les auteurs contemporains, hommes et femmes (travail en cours...). Ce genre d'tude doit tenir compte, et en mme temps rendre compte, des mentalits, tout en expliquant par exemple que l'imaginaire d'un Victor Hugo, pourtant champion des droits politiques de la femme, n'chappe pas cette dichotomie, en crant par exemple Dea et Josiane dans L'Homme qui rit. Bien entendu, une tude prcise doit montrer les nuances, les variations, les particularits.
Il n'est pas inutile de signaler que l'tude des figures de desses mentionnes ci-dessus aboutit des conclusions analogues, quant la figure mythique de la femme. Il ne serait pas inutile, d'ailleurs, de confronter ces figures avec celles des hros masculins, partir des tudes dj menes sur le mythe du hros19, et en particulier, dans les romans modernes, les figures de hros masculins dans les romans crits par des femmes.
Est-il utile d'insister sur deux points ? Le premier, c'est qu'il existe bien des chemins dans la mythocritique, et que l'objet lui-mme commande la dmarche, mais aussi le got ou l'intrt du lecteur critique. Le second, pour revenir au titre de ce numro d'IRIS, c'est que le mythe est forcment moderne, post-moderne, et mme un peu trop au got du jour, et je me demande, avec quelque remords, si je n'ai pas sacrifi cette mode dans le sous-titre de mon dernier ouvrage sur Jules Verne. Je voulais seulement montrer que loeuvre de Jules Verne avait nous dire, ici et maintenant, des choses autrement plus importantes que les douteuses et approximatives prophties sur les dcouvertes modernes de la science, dont on lui fait gloire tort et travers (y compris dans un tour du monde en quatre-vingts jours la voile...). La modernit du mythe se trouve justement dans le fait qu'il traduit la fois ce qui est spcifiquement un problme d'aujourd'hui, dit par un homme d'aujourd'hui dans le langage d'aujourd'hui, mais qu'en mme temps, il a des rsonances qui font que l'homme se sent rattach toute la communaut humaine, de tous temps et de tous pays. Julien Gracq l'avait bien compris (op. cit. p. 12-13). Il constate la fois le plaisir fivreux entre tous qu'on prouve aujourd'hui encore - encore et toujours - dans ces jardins magiques et obsdants que sont les lgendes du Graal. Il ajoute :Ce plaisir et cet intrt, capable d'aller jusqu' la hantise, pourraient bien tenir la prise que retrouvent tout coup de nos jours ces mythes sur certains aspects de la modernit.
Et cette prise vient de ce que le mythe est un rsonateur dont l'accord avec la sensibilit collective [est] sculairement garanti. Je ne crois pas qu'il faille ajouter autre chose, aprs la parole du pote.

NOTES
1. Durand Gilbert, Figures mythiques et Visages de l'oeuvre, Paris, Berg, 1979, rd. Dunod, 1992.
2. Bachelard, L'air et les Songes, Paris, Corti, 1943.
3. Bonnefoy Yves, Dictionnaire des mythologies, Paris, 1981.
4. Voir Veyne Paul, Les Grecs ont-ils cru leurs mythes : essai sur l'imagination constituante, Paris, Seuil, Des travaux, 1983.
5. Voir Cellier Lon, Parcours initiatiques, Baudelaire et l'oxymoron, Neuchtel, La Baconnire et PUG, 1977.
6. Breton Andr, Les Manifestes du surralisme, Paris, Le Sagittaire, 1947.
7. Kramer Samuel, L'Histoire commence Sumer, Paris, Arthaud, 1975.
8. Voir mon article, Le mythe initiatique aujourdhui , dans L'Initiation, Actes du colloque international de Montpellier Il -14 avril 1991, Montpellier, 1992, Publications de la recherche, Universit Paul Valry, tome Il.
9. Gracq Julien, Le Roi pcheur, Paris, Corti, 1948, p. 15-16.
10. Comme y insiste Pierre Brunel, dans Mythocritique, thorie et parcours, Paris, PUF, 1992.
11. Pessin Alain, Le Mythe du peuple et la Socit franaise du XIXe sicle, Paris, PUF, 1992.
12. Backs Jean-Louis, Le Mythe d'Hlne, Clermont-Ferrand, Adosa, 1984.
13. Trousson Raymond, Le Thme de Promthe dans la littrature europenne, Droz, Genve, 1976. Chez Armand Colin, dans la collection Uprisme, diverses tudes sur le mythe de Faust, le mythe de la mtamorphose, le mythe du dandy etc. o les titres mme indiquent un certain flottement dans la notion de mythe, mme si les tudes sont trs intressantes.
14. Voir Le Mythe et le Mythique, Paris, Albin Michel, Cahiers de l'Hermtisme, Colloque de Cerisy, 1987, p. 65-74. Klossowski Pierre, Le Bain de Diane, Paris, Gallimard, 1956.
15. Robin Chantal, L'Imaginaire du Temps retrouv, Hermtisme et criture chez Proust, dans Circ, Cahiers de recherches sur l'imaginaire , Paris, Minard, 1977.
16. Paris, Seuil, 1970, p. 3-9.
17. Vierne Simone, Rite, roman, initiation, Grenoble, PUG, 1973, rd. 1987.
18. Paris, P.U.F., 1989.
19. Baudoin Charles, Le Triomphe du hros, Paris, Pion, 1952.