musset...la nuit vÉnitienne ou les noces de laurette perfide comme l'onde'. shakespeare....

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  • MUSSET

    ~Jel,~ty'eThéâtrecompletÉDITION ÉTABLIE PAR SIMON JEUNE

    GALLIMARD

  • Tout droits de traduction, de reproduction et d'adaptationréservés pour tous les pays.

    © Éditions Gallimard, 1990.

  • COMÉDIES ET PROVERBES

  • AVANT-PROPOS

    D' «UN SPECTACLE DANS UN FAUTEUIL

    (PROSE) »

    1834

    Goethe dit quelque part, dans son roman de WilhelmMeifler, «qu'un ouvrage d'imagination doit être parfait, oune pas exister'?. Si cette maxime sévère était suivie,combien peu d'ouvrages existeraient, à commencer parWilhelm Meifler lui-même!

    Cependant, en dépit de cet arrêt qu'il avait prononcé, lepatriarche allemand fut le premier à donner, dans les arts,l'exemple d'une tolérance vraiment admirable. Non seule-ment il s'étudiait à inspirer à ses amis un respect profondpour les oeuvres des grands hommes, mais il voulait tou-jours qu'au lieu de se rebuter des défauts d'une productionmédiocre, on cherchât dans un livre, dans une gravure,dans le plus faible et le plus pâle essai, une étincelle de vie;plus d'une fois des jeunes gens à tête chaude, hardis ettranchants, au moment où ils levaient les épaules de pitié,ont entendu sortir des lèvres du vieux maître en cheveux

    gris ces paroles accompagnées d'un doux sourire «Il y aquelque chose de bon dans les plus mauvaises choses.»»

    Les gens qui connaissent l'Allemagne et qui ont appro-ché, dans leurs voyages, quelques-uns des membres de cecercle esthétique de Weimar, dont l'auteur de Werther étaitl'âme, savent qu'il a laissé après lui cette consolante etnoble maxime.

    Bien que, dans notre siècle, les livres ne soient guère quedes objets de distraction, de pures superfluités où l'agréable,ce bouffon suranné, oublie innocemment son confrèrel'utile, il me semble que, si je me trouvais chargé, pour une

  • Comédies et proverbes

    production quelconque, du difficile métier de critique, aumoment où je poserais le livre pour prendre la plume, lafigure vénérable de Goethe m'apparaîtrait avec sa dignitéhomérique et son antique bonhomie. En effet, touthomme qui écrit un livre est mû par trois raisons pre-mièrement, l'amour-propre, autrement dit, il désire de lagloire; secondement, le besoin de s'occuper, et, en troi-sième lieu, l'intérêt pécuniaire. Selon l'âge et les cir-constances, ces trois mobiles varient et prennent dansl'esprit de l'auteur la première ou la dernière place, maisils n'en subsistent pas moins.

    Si le désir de gloire est le premier mobile d'un artiste,c'est un noble désir, qui ne trouve place que dans unenoble organisation. Malgré tous les ridicules qu'on peuttrouver à la vanité, et malgré la sentence du Misanthropede Molière, qui fait remarquer

    comme, dans notre temps,C~.M~g~AMK~.f~M';

    malgré tout ce qu'on peut dire de fin et de caustique sur lanécessité de rimer et sur le «qui diantre vous pousse à vousfaire imprimer~?)) il n'en est pas moins vrai que l'homme,et surtout le jeune homme qui, se sentant battre le cœur aunom de gloire, de publicité, d'immortalité, etc., pris mal-gré lui par ce je ne sais quoi qui cherche la fumée, et poussépar une main invisible à répandre sa pensée hors de lui-même que ce jeune homme, dis-je, qui, pour obéir à sonambition, prend une plume et s'enferme, au lieu deprendre son chapeau et de courir les rues, fait par celamême une preuve de noblesse, je dirai même de probité, ententant d'arriver à l'estime des hommes et au développe-ment de ses facultés par un chemin solitaire et âpre, au lieude s'aller mettre, comme une bête de somme, à la queue dece troupeau servile qui encombre les antichambres, lesplaces publiques et jusqu'aux carrefours. Quelque mépris,quelque disgrâce qu'il puisse encourir, il n'en est pasmoins vrai que l'artiste pauvre et ignoré vaut souventmieux que les conquérants du monde, et qu'il y a plus denobles cœurs sous les mansardes où l'on ne trouve quetrois chaises, un lit, une table et une grisette, que dans lesgémonies dorées et les abreuvoirs de l'ambitiondomestique.

    Si le besoin d'argent fait travailler pour vivre, il me

  • Avant-propos ~L~ dans «~~M~7~

    semble que le triste spectacle du talent aux prises avec lafaim doit tirer des larmes des yeux les plus secs.

    Si enfin un artiste obéit au mobile qu'on peut appeler lebesoin naturel du travail, peut-être mérite-t-il plus quejamais l'indulgence il n'obéit alors ni à l'ambition ni à lamisère, mais il obéit à son cœur; on pourrait croire qu'ilobéit à Dieu. Qui peut savoir la raison pour laquelle unhomme qui n'a ni faux orgueil ni besoin d'argent se décideà écrire? Voltaire a dit, je crois, «qu'un livre était une lettreadressée aux amis inconnus que l'on a sur la terre a. Quantà moi, qui ai eu de tout temps une grande admiration pourByron, j'avoue qu'aucun panégyrique, aucune ode, aucunécrit sur ce génie extraordinaire ne m'a autant touchéqu'un certain mot que j'ai entendu dire à notre meilleursculpteur' un jour qu'on parlait de Childe Harold et de DonJ~M~. On discutait sur l'orgueil démesuré du poète, sur sesmanies d'affectation, sur ses prétentions au remords, audésenchantement, on blâmait, on louait. Le sculpteur étaitassis dans un coin de la chambre, sur un coussin à terre et,tout en remuant dans ses doigts sa cire rouge sur sonardoise, il écoutait la conversation sans y prendre part.Quand on eut tout dit sur Byron, il tourna la tête etprononça tristement ces seuls mots «Pauvre hommeb~Jene sais si je me trompe, mais il me semble que cette simpleparole de pitié et de sympathie pour le chantre de ladouleur en disait à elle seule plus que toutes les phrasesd'une encyclopédie.

    Bien que j'aie médit de la critique, je suis loin decontester ses droits, qu'elle a raison de maintenir, etqu'elle a même solidement établis. Tout le monde sentqu'il y aurait un parfait ridicule à venir dire aux gens«Voilà un livre que je vous offre vous pouvez le lire etnon le juger». La seule chose qu'on puisse raisonnable-ment demander au public, c'est de juger avec indulgence.

    On m'a reproché, par exemple, d'imiter et de m'inspi-rer de certains hommes et de certaines œuvres. Je répondsfranchement qu'au lieu de me le reprocher on aurait dûm'en louer. Il n'en a pas été de tous les temps comme il enest du nôtre, où le plus obscur écolier jette une main depapier3 à la tête du lecteur, en ayant soin de l'avertir quec'e~t tout simplement un chef-d'œuvre. Autrefois il y avaitdes maîtres dans les arts, et on ne pensait pas se faire tort,quand on avait vingt-deux ans, en imitant et en étudiant

  • Comédies et proverbes

    les maîtres. Il y avait alors, parmi les jeunes artistes, d'im-menses et respectables familles, et des milliers de mainstravaillaient sans relâche à suivre les mouvements de la

    main d'un seul homme. Voler une pensée, un mot, doitêtre regardé comme un crime en littérature. En dépit detoutes les subtilités du monde et du bien qu'on prend où on letrouve', un plagiat n'en est pas moins un plagiat, comme unchat est un chat. Mais s'inspirer d'un maître est une actionnon seulement permise, mais louable, et je ne suis pas deceux qui font un reproche à notre grand peintre Ingres depenser à Raphaël, comme Raphaël pensait à la Vierge.Oter aux jeunes gens la permission de s'inspirer, c'estrefuser au génie la plus belle feuille de sa couronne,l'enthousiasme; c'est ôter à la chanson du pâtre des mon-tagnes le plus doux charme de son refrain, l'écho de lavallée.

    L'étranger qui visite le Campo Santo à Pise s'est-iljamais arrêté sans respect devant ces fresques à demi effa-cées qui couvrent encore les murailles2? Ces fresques nevalent pas grand-chose; si on les donnait pour un ouvragecontemporain, nous ne daignerions pas y prendre garde;mais le voyageur les salue avec un profond respect quandon lui dit que Raphaël est venu travailler et s'inspirerdevant elles. N'y a-t-il pas un orgueil mal placé à vouloir,dans ses premiers essais, voler de ses propres ailes? N'y-a-t-il pas une sévérité injuste à blâmer l'écolier qui respectele maître? Non, non, en dépit de l'orgueil humain, desflatteries et des craintes, les artistes ne cesseront jamaisd'être des frères; jamais la voix des élus ne passera sur leursharpes célestes sans éveiller les soupirs lointains de harpesinconnues; jamais ce ne sera une faute de répondre par uncri de sympathie au cri du génie; malheur aux jeunes gensqui n'ont jamais allumé leur flambeau au soleil! Bossuet lefaisait, qui en valait bien d'autres.

    Voilà ce que j'avais à dire au public avant de lui don-ner ce livre, qui est plutôt une étude, ou, si vous voulez,une fantaisie, malgré tout ce que ce dernier mot a deprétentieux. Qu'on ne me juge pas trop sévèrement j'es-saye.

    J'ai, du reste, à remercier la critique des encourage-ments qu'elle m'a donnés, et, quelque ridicule qui s'at-tache à un auteur qui salue ses juges, c'est du fond du cœurque je le fais. II m'a toujours semblé qu'il y avait autant de

  • Avant-propos d'«(Un ~~f/~ dans ~7~

    noblesse à encourager un jeune homme, qu'il y a quel-quefois de lâcheté et de bassesse à étouffer l'herbe quipousse, surtout quand les attaques partent de gens à qui laconscience de leur talent devrait, du moins, inspirer quel-que dignité et le mépris de la jalousie.

  • LA NUIT VÉNITIENNE

    ou

    LES NOCES DE LAURETTE

    Perfide comme l'onde'.

    SHAKESPEARE.

    PERSONNAGES

    LE PRINCE D'EYSENACH2.

    LE MARQUIS DELLA RONDA.

    RAZETTA3.

    Le secrétaire intime GRIMM.

    LAURETTE.

    MADAME BALBI°4.

    Venife.

    SCÈNE PREMIÈRE

    Une rue; il est nuit.

    RAZETTA descend d'une gondole.LAURETTE paraît à un balcon.

    RAZETTA Partez-vous, Laurette? E~t-il vrai que vouspartiez?

    LAURETTE Je n'ai pu faire autrement.RAZETTA Vous quittez Venise!LAURETTE Demain matin.

    RAZETTA Ainsi cette funeste nouvelle qui courait laville aujourd'hui n'est que trop vraie; on vous vend auprince d'Eysenach. Quelle fête! votre orgueilleux tuteurn'en mourra-t-il pas de joie! Lâche et vil courti-san

    LAURETTE Je vous en supplie, Razetta, n'élevez pas lavoix; ma gouvernante est dans la salle voisine; on m'attend,je ne puis que vous dire adieu.

    RAZETTA Adieu pour toujours?

  • Comédies et proverbes

    LAURETTE Pour toujours!RAZETTA Je suis assez riche pour vous suivre en Alle-

    magne.

    LAURETTE Vous ne devez pas le faire. Ne nous opposonspas, mon ami, à la volonté du ciel.

    RAZETTA La volonté du ciel écoutera celle de l'homme.

    Bien que j'aie perdu au jeu la moitié de mon bien', je vousrépète que j'en ai assez pour vous suivre, et que j'y suisdéterminé.

    LAURETTE Vous nous perdrez tous deux par cetteaction.

    RAZETTA La générosité n'est plus de mode sur cetteterre.

    LAURETTE Je le vois vous êtes au désespoir.RAZETTA Oui; et l'on a agi prudemment en ne m'invi-

    tant pas à votre noce.LAURETTE Écoutez, Razetta; vous savez que je vous

    ai beaucoup aimé. Si mon tuteur y avait consenti, jeserais à vous depuis longtemps. Une fille ne dépendpas d'elle ici-bas. Voyez dans quelles mains est madestinée; vous-même ne pouvez-vous pas me perdrepar le moindre éclat? Je me suis soumise à mon sort.Je sais qu'il peut vous paraître brillant, heureux.Adieu! adieu! je ne puis en dire davantage. Tenez!voici ma croix d'or que je vous prie de garder.

    RAZETTA Jette-la dans la mer; j'irai la rejoindre2.LAURETTE Mon Dieu! revenez à vous.

    RAZETTA Pour qui, depuis tant de jours et tantde nuits, ai-je rôdé comme un assassin autour deces murailles? Pour qui ai-je tout quitté? Je neparle pas de mes devoirs, je les méprise; je ne parlepas de mon pays, de ma famille, de mes amis; avecde l'or, on en trouve partout3. Mais l'héritage demon père, où est-il? J'ai perdu mes épaulettes; iln'y a donc que vous au monde à qui je tienne.Non, non, celui qui a mis sa vie entière sur uncoup de dé ne doit pas si vite abandonner lachance.

    LAURETTE Mais que voulez-vous de moi?RAZETTA Je veux que vous veniez avec moi à Gênes.LAURETTE Comment le pourrais-je? Ignorez-vous que

    celle à qui vous parlez ne s'appartient plus? Hélas! Razetta,je suis princesse d'Eysenach.

  • La Nuit vénitienne, f

    RAZETTA Ah! rusée Vénitienne, ce mot n'a pu passersur tes lèvres sans leur arrachera un sourire.

    LAURETTE II faut que je me retire. Adieu, adieu, monami.

    RAZETTA Tu me quittes? Prends-y garde; je n'aipas été jusqu'à présent de ceux que la colère rendfaibles. J'irai te demander à ton second père l'épée à lamain.

    LAURETTE Je l'avais prévu que cette nuit nous seraitfatale. Ah! pourquoi ai-je consenti à vous voir encore unefois!

    RAZETTA Es-tu donc une Française' ? Le soleil du jourde ta naissance était-il donc si pâle que le sang soit glacédans tes veines?. ou ne m'aimes-tu pas? Quelques béné-dictions d'un prêtre, quelques paroles d'un roi ont-elleschangé en un instant ce que deux mois de supplice. oumon rival peut-être.

    LAURETTE Je ne l'ai pas vu.RAZETTA Comment? tu es cependant princesse d'Eyse-

    nach.

    LAURETTE Vous ne connaissez pas l'usage de ces cours.Un envoyé du prince, le baron Grimm, son secrétaireintime~, est arrivé ce matin.

    RAZETTA Je comprends. On a placé ta froide maindans la main du vassal insolent, décoré des pouvoirsdu maître; la royale procuration, sanctionnée par l'of-ficieux chapelain de Son Excellence, a réuni aux yeuxdu monde deux êtres inconnus l'un à l'autre. Je suis aufait de ces cérémonies. Et toi, ton cœur, ta tête, ta vie,

    marchandés par entremetteurs, toutaété vendu auplus offrant; une couronne de reine t'a faite esclavepour jamais; et cependant ton fiancé, enseveli dans lesdélices d'une cour, attend nonchalamment que sa nou-velle épouse.

    LAURETTE Il arrive ce soir à Venise.

    RAZETTA Ce soir? Ah! vraiment, voilà encore uneimprudence de m'en avertir.

    LAURETTE Non, Razetta; je ne puis croire que tuveuilles ma perte; je sais qui tu es et quelle réputation tut'es faite par des actions qui auraient dû m'éloigner de toi.Comment j'en suis venue à t'aimer, à te permettre dem'aimer moi-même, c'est ce dont je ne suis pas capable derendre compte. Que de fois j'ai redouté ton caractère

  • Comédies et proverbes

    violent, excité par une vie de désordres quia seule aurait dûm'avertir de mon danger! Mais ton cœur est bon.

    RAZETTA Tu te trompes; je ne suis pas un lâche, et voilàtout. Je ne fais pas le mal pour le bien; mais, par le ciel! jesais rendre le mal pour le mal. Quoique bien jeune, Lau-rette, j'ai trop connu ce qu'on est convenu d'appeler la vie,pour n'avoir pas trouvé au fond de cette mer le mépris dece qu'on aperçoit à sa surface' Sois bien convaincue querien ne peut m'arrêter.

    LAURETTE Que feras-tu?RAZETTA Ce n'est pas du moins mon talent de spadas-

    sin qui doit t'effrayer ici. J'ai affaire à un ennemi dont lesang n'est pas fait pour mon épée.

    'LAURETTE Eh bien donc?.

    RAZETTA Que t'importe? c'est à moi de m'occuper demoi'. Je vois des flambeaux traverser la galerie; on t'at-tend.

    LAURETTE Je ne quitterai pas ce balcon que tu ne m'aiespromis de ne rien tenter contre toi, ni contre.

    RAZETTA Ni contre lui?

    LAURETTE Contre cette Laurette que tu dis avoiraimée, et dont tu veux la perte. Ah!Razetta, ne m'accablezpas; votre colère me fait frémir. Je vous supplie de medonner votre parole de ne rien tenter.

    RAZETTA Je vous promets qu'il n'y aura pas de sang.LAURETTE Que vous ne ferez rien; que vous attendrez.

    que vous tâcherez de m'oublier, de.RAZETTA~ Je fais un échange; permettez-moi de vous

    suivre.

    LAURETTE De me suivre, ô mon Dieu!

    RAZETTA À ce prix, je consens à tout.LAURETTE On vient. Il faut que je me retire. Au nom

    du ciel. Me jurez-vous?RAZETTA Ai-je aussi votre parole? alors vous avez la

    mienne.

    LAURETTE Razetta, je m'en fie à votre cœur; l'amourd'une femme a pu y trouver place, le respect de cettefemme l'y trouvera. Adieu! adieu! Ne voulez-vous doncpas de cette croix?

    RAZETTA Oh! ma vie!

    Il reçoit la iT(MX'; elle se retire.

    RAZETTA, seul Ainsi je l'ai perdue. Razetta, il fut un

  • La Nuit vénitienne, 1

    temps où cette gondole, éclairée d'un falot de mille cou-leurs, ne portait sur cette mer indolente que le plus insou-ciant de ses 61s'. Les plaisirs des jeunes gens, la passionfurieuse du jeu t'absorbaient; tu étais gai, libre, heureux;on le disait, du moins; l'inconstance, cette sœur de la folie,était maîtresse de tes actions quitter une femme te coûtaitquelques larmes; en être quitté te coûtait un sourire. Où enes-tu arrivé?

    Mer profonde, heureusement il t'est facile d'éteindreune étincelle. Pauvre petite croix, qui avais sans doute étéplacée dans une fête, ou pour un jour de naissance, sur lesein tranquille d'un enfant; qu'un vieux père avaitaccompagnée de sa bénédiction qui, au chevet d'un lit,avais veillé dans le silence des nuits sur l'innocence; sur

    qui, peut-être, une bouche adorée se posa plus d'une foispendant la prière du soir; tu ne resteras pas longtempsentre mes mains.

    La belle part de ta destinée est accomplie; je t'emporte,et les pêcheurs de cette rive te trouveront rouillée sur moncœur.

    Laurette! Laurette! Ah! je me sens plus lâche qu'unefemme. Mon désespoir me tue; il faut que je pleure2.

    On entend le son d'

  • Comédies et proverbes

    LA VOIX DE FEMME Adieu, converti.

    Elle lui jette un masque

    LE JEUNE HOMME Adieu, loup devenu berger. Si tu esencore là, nous te prendrons en revenant.

    Af«H~ La gondole s'éloigne.

    RAZETTA J'ai changé subitement de pensée. Ce masqueva m'être utile'. Comment l'homme est-il assez insensé

    pour quitter cette vie tant qu'il n'a pas épuisé toutes seschances de bonheur? Celui qui perd sa fortune au jeuquitte-t-il le tapis tant qu'il lui reste une pièce d'or? Uneseule pièce peut lui rendre tout. Comme un mineraifertile, elle peut ouvrir une large veine. Il en e~t demême des espérances. Oui, je suis résolu d'aller jusqu'aubout.

    D'ailleurs la mort est toujours là; n'est-elle pas partoutsous les pieds de l'homme qui la rencontre à chaque pasdans cette vie? L'eau, le feu, la terre, tout la lui offre sanscesse; il la voit partout dès qu'il la cherche; il la porte à soncôté.

    Essayons donc. Qu'ai-je dans le cœur?Une haine et un amour. Une haine, c'est un

    meurtre. Un amour, c'est un rapt. Voici ce que lecommun des hommes doit voir dans ma position.

    Mais il me faut trouver quelque chose de nouveau ici,car d'abord j'ai affaire à une couronne. Oui, tout moyenusé d'ailleurs me répugne. Voyons, puisque je suis déter-miné à risquer ma tête, je veux la mettre au plus haut prixpossible. Que ferai-je dire demain à Venise? Dira-t-on«Razetta s'est noyé de désespoir pour Laurette, qui l'aquitté?» Ou « Razetta a tué le prince d'Eysenach, etenlevé sa maîtresse?» Tout cela est commun «II a été

    quitté par Laurette, et il l'a oubliée un quart d'heureaprès?» Ceci vaudrait mieux; mais comment? En aurai-je"le courage?

    Si l'on disait «Razetta, au moyen d'un déguisement,s'e~t d'abord introduit chez son infidèle»; ensuite «Au

    moyen d'un billet qu'il lui a fait remettre, et par lequel ill'avertissait qu'à telle heure.»Il me faudrait ici. del'opium. Non! point de ces poisons douteux ou timidesb,qui donnent au hasard le sommeil ou la mort. Le fer est leplus sûr~. Mais une main si faible?. Qu'importe? Le cou-

  • La Nuit vénitienne, jj

    rage est tout. La fable qui courra la ville demain matin seraétrange et nouvelle'.

    Des /&~MrM traversent une j'~o~tfla /t;~o~.

    Réjouis-toi, famille détestée, j'arrive; et celui qui ne craintrien peut être à craindre.

    Il met son masque et entre.

    UNE voix, dans la coulirse Où allez-vous?

    RAZETTA, de mêmeJe suis engagé à souper chez le marquis.

    SCÈNE D

    Une salle donnant sur un jardin. Plusieurs masques se promènent.

    LE MARQUIS, LE SECRÉTAIRE

    LE MARQUIS Combien je me trouve honoré, monsieur lesecrétaire intime, en vous voyant prendre quelque plaisir àcette fête qui est la plus médiocre du monde!

    LE SECRÉTAIRE Tout est pour le mieux, et votre jardin estcharmant. Il n'y a qu'en Italie qu'on en trouve d'aussidélicieux.

    LE MARQUIS Oui, c'est un jardin anglais. Vous ne désire-riez pas de vous reposer ou de prendre quelques rafraî-chissements ?

    LE SECRÉTAIRE Nullement.

    LE MARQUIS Que dites-vous de mes musiciens?LE SECRÉTAIRE Ils sont parfaits; il faut avouer que là-

    dessus, monsieur le marquis, votre pays mérite bien saréputation.

    LE MARQUIS Oui, oui, ce sont des Allemands. Ils arri-

    vèrent hier de Leipsick, et personne ne les a encore possédésdans cette ville. Combien je serais ravi si vous aviez trouvéquelque intérêt dans le divertissement du ballet!

    LE SECRÉTAIRE À merveille, et l'on danse très bien àVenise.

    LE MARQUIS Ce sont des Français. Chaque bayadère mecoûte deux cents florins. Pousseriez-vous jusqu'à cette ter-rasse ?

    LE SECRÉTAIRE Je serai enchanté de la voir.

  • Table

    Note sur le texte i 3 1oNotes 1 3 1o

    JUDITH ET ALLORI

    Notice 1311INote sur le texte 13144Notes 1315f

    LA SERVANTE DU ROI

    Notice 1 3 16Note sur le texte 1320oNotes et variantes 1320o

    FAUSTINE

    Notice 1323Note sur le texte 1326GNotes et variantes 1326G

    MADAME DE CHÂTEAUROUX

    Notice 1334çNote sur le texte 13355Notes et variantes 1336G

    PROJETS ET FANTÔMES

    Notes 13388

    AppendicesFRAGMENT DU LIVRE XV DES «CHRONIQUES FLORENTINES»

    Notes 1339

    GEORGE SAND «UNE CONSPIRATION EN I 5 37»»

    Notes 1340

    Bibliographie 1 3433