mouvement de versant du pallat (pyrenees …

8
Journées Nationales de Géotechnique et de Géologie de l’Ingénieur JNGG2010 -Grenoble 7-9 juillet 2010 MOUVEMENT DE VERSANT DU PALLAT (PYRENEES-ORIENTALES) THE PALLAT LANDSLIDE (PYRENEES-ORIENTALES) Jérôme GUITTARD, Didier VIRELY Laboratoire régional des Ponts et chaussées de Toulouse RÉSUMÉ – En juin 2007, un mouvement de versant déclenché par le déversement d’un canal d’irrigation (80 l/s), durant 3 semaines, a conduit à la fermeture de la R.N. 116 seul axe reliant la plaine du Roussillon à la Cerdagne. L’analyse de ce mouvement rocheux intéressant un volume estimé à 1,5 Mm 3 est présenté ainsi que les mesures qui ont été prises pour la stabilisation et le suivi à long terme. ABSTRACT – In June 20007, the breakdown of an irrigation canal (80 l/s) led to a slope slide. This slide closed the R.N. 116, which is the only road between the Roussillon coastal plain and the Cerdagne area. A comprehensive study of this landslide is attempted and the measures taken to monitor the displacement are described. The volume involved has been estimated around 1,5 Mm 3 . 1. Contexte Dans le cadre d’un aménagement de la route nationale 116 entre Prades et Mont- Louis (Pyrénées Orientales), un certain nombre d’aménagements de sécurité étaient prévus, dont la réalisation de créneaux de dépassement (figure 1). Le Laboratoire Régional des Ponts et Chaussées de Toulouse a conduit une reconnaissance détaillée du créneau du PALLAT (600 mètres) plus particulièrement vis à vis des conditions de réalisation des talus rocheux. Une zone montrant des signes d’instabilité avait fait l’objet de mises en garde lors de l’étude par le L.R.P.C. Le déversement du canal d’irrigation, à ce niveau, par défaut d’entretien a été un facteur déterminant dans la mise en mouvement du versant. 2. Description du site 2.1. Caractéristiques géologiques du site (figure 2) Dans la partie haute de la zone d’étude, au niveau du canal, les roches rencontrées sont des gneiss. Ces derniers, au niveau de la R.N. 116, présentent des faciès de transition vers des micaschistes. Si l’altération des gneiss donne des arènes, i.e. des sables et limons, les micaschistes voient les micas se dégrader en chlorite puis argile. Des circulations d’eau ont conduit ponctuellement à des surfaces présentant cette dégradation ultime. Ces surfaces altérées et de faible perméabilité sont discontinues dans le massif et ne constituent pas d’horizon de grande extension. Cependant elles sont à la base de nombreux écoulements. Toujours dans la partie haute, vers le canal, on retrouve des chaos constitués de boules de granite. La pente moyenne du versant est comprise entre 35° et 40°. L’ensemble du secteur était exploité en terrasse jusque vers les années 70. Ces 957

Upload: others

Post on 29-Nov-2021

3 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Journées Nationales de Géotechnique et de Géologie de l’Ingénieur JNGG2010 -Grenoble 7-9 juillet 2010

MOUVEMENT DE VERSANT DU PALLAT (PYRENEES-ORIENTALES)

THE PALLAT LANDSLIDE (PYRENEES-ORIENTALES)

Jérôme GUITTARD, Didier VIRELY Laboratoire régional des Ponts et chaussées de Toulouse

RÉSUMÉ – En juin 2007, un mouvement de versant déclenché par le déversement d’un canal d’irrigation (80 l/s), durant 3 semaines, a conduit à la fermeture de la R.N. 116 seul axe reliant la plaine du Roussillon à la Cerdagne. L’analyse de ce mouvement rocheux intéressant un volume estimé à 1,5 Mm3 est présenté ainsi que les mesures qui ont été prises pour la stabilisation et le suivi à long terme.

ABSTRACT – In June 20007, the breakdown of an irrigation canal (80 l/s) led to a slope slide. This slide closed the R.N. 116, which is the only road between the Roussillon coastal plain and the Cerdagne area. A comprehensive study of this landslide is attempted and the measures taken to monitor the displacement are described. The volume involved has been estimated around 1,5 Mm3.

1. Contexte

Dans le cadre d’un aménagement de la route nationale 116 entre Prades et Mont-

Louis (Pyrénées Orientales), un certain nombre d’aménagements de sécurité étaient prévus, dont la réalisation de créneaux de dépassement (figure 1). Le Laboratoire Régional des Ponts et Chaussées de Toulouse a conduit une reconnaissance détaillée du créneau du PALLAT (600 mètres) plus particulièrement vis à vis des conditions de réalisation des talus rocheux. Une zone montrant des signes d’instabilité avait fait l’objet de mises en garde lors de l’étude par le L.R.P.C. Le déversement du canal d’irrigation, à ce niveau, par défaut d’entretien a été un facteur déterminant dans la mise en mouvement du versant.

2. Description du site 2.1. Caractéristiques géologiques du site (figure 2)

Dans la partie haute de la zone d’étude, au niveau du canal, les roches

rencontrées sont des gneiss. Ces derniers, au niveau de la R.N. 116, présentent des faciès de transition vers des micaschistes. Si l’altération des gneiss donne des arènes, i.e. des sables et limons, les micaschistes voient les micas se dégrader en chlorite puis argile. Des circulations d’eau ont conduit ponctuellement à des surfaces présentant cette dégradation ultime. Ces surfaces altérées et de faible perméabilité sont discontinues dans le massif et ne constituent pas d’horizon de grande extension. Cependant elles sont à la base de nombreux écoulements.

Toujours dans la partie haute, vers le canal, on retrouve des chaos constitués de boules de granite. La pente moyenne du versant est comprise entre 35° et 40°. L’ensemble du secteur était exploité en terrasse jusque vers les années 70. Ces

957

Journées Nationales de Géotechnique et de Géologie de l’Ingénieur JNGG2010 -Grenoble 7-9 juillet 2010

terrasses constituent des surcharges avec à l’aval des murs de soutènement en blocs cyclopéens et un remplissage de matériaux meubles et terre végétale.

Figure 1 : Extrait de la carte IGN de la France au 1 / 25 000eme (2249 ET)

Figure 2. Carte géologique du site

2.2. Contexte hydrogéologique Le massif rocheux présente une perméabilité de fissures. Le secteur est soumis à

des précipitations particulièrement denses, concentrées géographiquement et temporellement. En juin 2006 un événement pluvieux a déclenché des coulées boueuses nécessitant l’interruption de la circulation sur la R.N. 116 à proximité de la localité d’Olette. Cette pluie avait été estimée à 200 mm sur une journée. 2.3. Environnement

958

Journées Nationales de Géotechnique et de Géologie de l’Ingénieur JNGG2010 -Grenoble 7-9 juillet 2010

Le canal d’irrigation agricole serpente à flanc de versant en amont de la zone de

travaux du Pallat. En 2007, ce dernier a été mis en eau le 22 avril et l’eau n’a atteint l’extrémité du canal que le 8 mai alors qu’habituellement le remplissage ne dure que quelques jours. Le canal est constitué alternativement de sections en terre, de sections en U bétonnées et de zones trapézoïdales cuvelées. Différentes constatations peuvent être faites de part et d’autre de la zone bougée :

- Zone ouest en terre : en aval de ce secteur des ruptures circulaires dans les sols de surface des terrasses présentant des ouvertures de grandes ampleurs sont trouvées. De nombreux dépôts de fines témoignent de circulations d’eau chargées dans le massif.

- Zone cuvelée (figure 3) : la rupture de murs de soutènements est consommée. On observe un déversement du canal, lié à un embâcle (d’après les exploitants), dans un thalweg non débouchant vers l’aval. Ce phénomène semble dû à un défaut de structure du canal et un entretien négligé. Ceci s’est produit dans une zone que les anciens jugeaient sensible, de vieilles buses métalliques en témoignent.

Figure 3. Photographie du canal de Canaveilles (passage cuvelé)

On peut considérer que durant trois semaines les deux tiers de la capacité du

canal s’est répandue dans la zone soit environ 100 000 m3. Une telle quantité d’eau est comparable sur un secteur de 12 hectares à une pluie de 500 mm. Il s’agirait d’un phénomène tout à fait exceptionnel. Ces pertes d’eau ont contribué à la saturation des anciennes terrasses agricoles, augmentant significativement leur masse, puis à la saturation du massif lui-même.

959

Journées Nationales de Géotechnique et de Géologie de l’Ingénieur JNGG2010 -Grenoble 7-9 juillet 2010

3. Désordres observés et caractérisation du mouvement Dans l'emprise du chantier, différents désordres ont été observés. On note en

particulier un soulèvement en accent circonflexe de la demi-chaussé non circulée. Lors de notre arrivée, le soulèvement atteignait 90 cm (figure 4). Il tendait à s’amplifier. La buse, d’un diamètre de 250-300 mm, qui collecte ses eaux et traverse la chaussée coulait au tiers de sa capacité. Ce soulèvement de la chaussée est lié à un phénomène hydraulique : un effet de vérin lié à la mise en pression du drain sous le caniveau longitudinal de la chaussée. Ce phénomène est donc à prendre en compte de façon indépendante, car il est lié à une augmentation significative du régime hydraulique dans le massif. De plus, la risberme inférieure du talus "projet" comprenait également une zone déstabilisée sur une largeur de 15-20 m et une profondeur de 5 à 8 m vers le talus.

Au-delà du terrassement, un ensemble d’indices de glissements a été identifié. On a pu noter des lèvres ouvertes avec un décalage dans le plan de l’ordre de 60 à 80 cm (figure 5). Ces structures sont discontinues et présentent des extensions ne dépassant pas une vingtaine de mètres. Elles sont réparties de façon diffuse sur une douzaine d’hectares. Des résurgences ont également été identifiées : des sources pré-existaient, mais lors de cet épisode exceptionnel, ces résurgences laissaient sourdre une eau laiteuse. Cette teinte est liée au transport de limons et sables fins qui sont les produits de décomposition des gneiss trouvés dans les diaclases. Enfin, nous avons pu identifier la mise en activité d’un chaos amont par la caractérisation de traces et de ruptures fraîches des blocs de granite constituant ce chaos.

Figure 4. Désordres rencontrés sur

chaussée (bourrelet de 1,5 m)

Figure 5. Lèvre dans le versant (décrochement >1m)

Le massif concerné est essentiellement rocheux. Les indices de mouvements

caractérisent le jeu de compartiments rocheux. Chaque casier est susceptible

960

Journées Nationales de Géotechnique et de Géologie de l’Ingénieur JNGG2010 -Grenoble 7-9 juillet 2010

d’évoluer de façon indépendante participant à une reptation de l’ensemble de la zone. Un tel mouvement se distingue des ruptures circulaires qui peuvent être vues dans les sols. À l’inverse d’un mouvement selon une rupture circulaire (en cuillère), les compartiments de ce massif rocheux ne se déplacent pas de façon homogène.

Le volume du compartiment glissé identifié en 2004 peut servir de référence. Il est estimé en surface à 720 m2 pour une hauteur bougée de l’ordre de 15 m. Les casiers peuvent présenter des volumes comparables (10 000 m3). Une estimation en l’absence de sondages conduit à évaluer la masse en mouvement sur 12 – 15 hectares de 750 000 m3 à 1 500 000 m3.

4. Suivi et Instrumentation mise en œuvre Il a été réalisé une cartographie au 1/1000ème précise de tous les désordres

rencontrés aussi bien à l’amont qu’à l’aval de la route nationale. Le suivi visuel des désordres est assuré conjointement par le R.T.M. et le L.R.P.C. de Toulouse. Il est conduit lors de prospection dans le versant.

4.1. Suivi topographique

Le suivi topographique a été assuré par une quarantaine de cibles disposées sur

l’ensemble de la zone (figure 6). Les cibles sont des prismes optiques placés sur des barres d’acier de 28 mm foncées dans les sols de surface ou scellées dans la roche sur une hauteur de 1,50 m. Ces cibles sont suivies par un tachéomètre de précision pour obtenir tant en Z que dans le plan une précision infra-centimétrique. Les mesures de ces cibles en X,Y,Z étaient journalières jusqu’au 1er novembre 2007, puis elles sont passées à une fréquence bi-hebdomadaire et enfin mensuelle. Ce suivi est couplé à des mesures météorologiques (température, pluviométrie).

Figure 6. Implantations GPS des désordres et des cibles sur le MNT du versant

La précision actuelle des mesures est de +/- 1 mm. Une série de mesure automatique dure une journée. Du 11 juin au 19 juillet 2007, le déplacement global de l'ensemble du dispositif de mesure sur le versant était de 5 à 6 cm, du 19 juillet au

961

Journées Nationales de Géotechnique et de Géologie de l’Ingénieur JNGG2010 -Grenoble 7-9 juillet 2010

1er août 2007 le déplacement partiel de certaines cibles était de 2 à 3 cm (figure 7). À compter du le 1er août il n’y a eu aucun déplacement significatif, jusqu’aux pluies importantes du 30 novembre 2008 qui ont réactivé le mouvement.

Figure 7. Représentation en plan des vecteurs de déplacement au 29/06/07

(Déplacements verticaux représentés en bleu et en orange en x-y, valeurs en cm)

4.2. Suivi débimétrique Le suivi débimétrique a été effectuées tous les jours jusqu’au 1er novembre 2007,

avec deux points de mesures distincts (figure 8). Il a montré un essorage du massif suite à la fermeture du canal en amont. Depuis sa réouverture après des travaux de réfection, les débits sont stabilisés.

Figure 8. Tableau de suivi des débits

4.3. Suivi inclinométrique et piézomètrique en forage

962

Journées Nationales de Géotechnique et de Géologie de l’Ingénieur JNGG2010 -Grenoble 7-9 juillet 2010

Le suivi inclinométrique est assuré par deux inclinomètres, de 30 mètres de profondeur, positionnés en pied de talus et en arrière du mur de soutènement de la route nationale. Il s’agit d’identifier des mouvements internes au massif (surface de rupture), leur position, leur ampleur et leur évolution dans le temps. Ces inclinomètres n’ont pas montré de zones de rupture dans le soubassement de la route nationale.

Le suivi piézométrique est quant à lui assuré par deux sondages de 15 mètres, situés en pied de talus, équipés de sondes enregistrées. Cet équipement permet de suivre l’évolution du niveau d’eau dans le massif, les remontées de nappe étant à l’origine de petits éboulements dans le talus. Ces données sont actuellement transmises au L.R.P.C. de Toulouse par liaison G.S.M. Les niveaux piézométriques oscillent actuellement entre 10 et 12 mètres sous le terrain naturel. La baisse du niveau piézométrique d’une vingtaine de mètre a été observée jusqu’au 31 août, depuis les niveaux piézométriques restent constants.

5. Synthèse Les phénomènes observés sont locaux et regroupés par secteurs. Ceci traduit un

glissement rocheux par « casiers ». Cette hypothèse a été étudiée numériquement (Raffiee et al., 2009; Raffie, 2008).

Dans le cadre de notre étude structurale de la zone une collecte de 1 000 points (orientation de la discontinuité, persistance, espacement, état) a été réalisée. Ces données présentées dans le stéréogramme de la figure 7 ont fait l’objet par les deux auteurs mentionnés d’une analyse géostatistique qui a conduit à une modélisation en 3-D du réseau de discontinuités. La stabilité du massif rocheux a ensuite été analysée par la méthode Non-Smooth Contact Dynamics [NSCD] (Jean, 1999). Les résultats obtenus par Raffiee et al (2009) semblent valider le principe de casiers en mouvements relatifs.

6. Conclusion

Les pertes d’eau du canal sont un élément déterminant de la mise en mouvement

du massif de migmatites tectonisées en équilibre initial sans doute précaire. Les terrassements réalisés ont supprimé une partie de la butée de pied, d’un compartiment déjà bougé et particulièrement tectonisé d’une part et une imbibition comparable à une pluie d’une intensité de 500 mm d’autre part ont favorisé l’amorce ou la reprise du mouvement de versant. Le mouvement s’est alors propagé de façon régressive de casiers en casiers. La discrétisation du massif à partir des donnés structurales acquises puis l’approche numérique semble corroborer cette analyse. Ce modèle doit être validé sur d’autres structures rocheuses ayant fait l’objet d’une analyse structurale fine et d’une détermination des propriétés mécaniques des discontinuités.

963

Journées Nationales de Géotechnique et de Géologie de l’Ingénieur JNGG2010 -Grenoble 7-9 juillet 2010

Figure 9. Extrait de la modélisation du massif réalisée par l’Ecole des Mines d’Alès et

des déplacements verticaux estimés en mètre

Références bibliographiques

JEAN, M. (1999) "The non-smooth contact dynamics method," Computer Methods in Applied

Mechanics and Engineering, Vol. 177, p 25. RAFFIEE, A., M. VINCHES, and C. BOHATIER (2009) "Comportement mécanique d'un

massif rocheux fracturé considéré comme un assemblage d'éléments discrets : exemple d'une modélisation par la méthode Non-Smooth Contact Dynamics," Revue française de géotechnique, No. 128, p 8.

RAFIEE, Ali (2008) "Docteur de l'Université Montpellier II," Mécanique des matériaux et des milieux complexes des structures et des systèmes. Montpellier: Université Montpellier II - Sciences et techniques du Languedoc, p 271.

964