montfaucon de villars: le comte de gabalis ou entretien sur les sciences secretes trascriz

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    GABALIS ENTRETIEN SUR LES SCIENCES SECRTES 1

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    LE COMTE DE GABALIS OU ENTRETIEN SUR LES SCIENCES

    SECRETES

    MONTFAUCON DE VILLARS

    LAbb Montfaucon de Villars naquit en 1635 au manoir de Villars quidpendait du diocse dAlet et, pour lanecdote situ une dizaine de

    kilomtres de Rennes le Chteau.Aprs avoir fait des tudes thologiques Toulouse, il sinstalle Paris vers1660. Ses frquentations le conduisent la Bastille ou son sjour sera de courtedure. La mort de Mazarin mit un terme sa dtention. Quelques temps aprs,revenu dans son domaine il se livre une vendetta familiale : En compagnie deses frres et de sa sur il assassine son oncle, ce dernier ayant certainementparticip au meurtre du pre de notre Abb, et incendie son chteau.Un arrt de la chambre de Toulouse condamne par contumace les auteurs de cemeurtre tre rous ; les justiciables ayant dj quitt la province seul un valet

    subira le chtiment.

    Cest en 1670 que fut dit Le Comte de Gabalis. Si le contenu de louvragedmystifie les sciences occultes (si jtais sr que tous mes lecteurs eussent lespritdroit et ne trouvassent pas mauvais que je me divertisse aux dpens des fous.) unelecture plus attentive peut laisser supposer que ce sont en fait les dogmes deLEglise qui sont principalement viss. Nanmoins lAbb de Villars rvle lesrituels des socits secrtes : Rose-Croix etc.. (Mme le Mot magique desgrandes invocations est divulgu* et expliqu.)

    A til t initi, et trahi leurs arcanes ? On peut facilement le supposer. Si lesuccs de louvrage lui valut dtre souvent plagi (La rtisserie de la reinePedauque pour ne citer que le plus clbre ) les inimitis furent nombreuses etfroces.

    En 1665 lAbb Montfaucon de Villars fut retrouv assassin sur la route deLyon . Vengeance des Rose-Croix (sentence Vehemique), brigands, Vendettafamiliale ? Le crime resta impuni.

    ( Messieurs les curieux ne manqueront pas de dire que ce genre de mort est ordinaire

    ceux qui mnagent mal les secrets des Sages, et que depuis que le bienheureux Raymond

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    Lulle en a prononc larrt dans son testament, un ange excuteur na jamais manqude tordre promptement le col tous ceux qui ont indiscrtement rvl les Mystres

    Philosophiques)

    Les Salamandres ont pargn le manoir de lAbb de Villars.

    LE COMTE DE GABALIS OU ENTRETIEN SUR LES SCIENCES SECRETES

    PREMIER ENTRETIEN SUR LES SCIENCES SECRTES

    DEVANT Dieu Soit lme de M, le comte de Gabalis, que lon vient de mcrire,qui est mort dapoplexie. Messieurs les curieux ne manqueront pas de dire quece genre de mort est ordinaire ceux qui mnagent mal les secrets des Sages, etque depuis que le bienheureux Raymond Lulle en a prononc larrt dans sontestament, un ange excuteur na jamais manqu de tordre promptement le col tous ceux qui ont indiscrtement rvl les Mystres Philosophiques.Mais quils ne condamnent pas lgrement ce savant homme, sans tre claircisde sa conduite. Il ma tout dcouvert, il est vrai; mais il ne la fait quavec toutesles circonspections cabalistiques. Il faut rendre ce tmoignage sa mmoire,

    quil tait grand zlateur de la religion de ses pres les Philosophes, et quil et

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    souffert le feu plutt que den profaner la saintet, en souvrant quelqueprince indigne, quelque ambitieux ou quelque incontinent trois sortes degens excommunis de tout temps par les Sages. Par bonheur je ne suis pasprince, jai peu dambition, et on verra dans la suite que jai mme un peu plusde chastet quil nen faut un Sage. Il me trouva lesprit docile, curieux, peutimide; il ne me manque quun peu de mlancolie pour faire avouer tous ceuxqui voudraient blmer M, le comte de Gabalis de ne mavoir rien cach, que

    jtais un sujet assez propre aux Sciences secrtes. Il est vrai que sans mlancolieon ne peut y faire de grands progrs : mais ce peu que jen ai navait garde de lerebuter. Vous avez (ma-t-il dit cent fois) Saturne dans un angle, dans samaison, et rtrograde; vous ne pouvez manquer dtre un jour aussimlancolique quun Sage doit ltre; car le plus sage de tous les hommes(comme nous le savons dans la Cabale) avait comme vous, Jupiter danslAscendant, cependant on ne trouve pas quil ait ri une seule fois en toute savie, tant limpression de son saturne tait puissante ; quoiquil fut beaucoupplus faible que le vtre.

    Cest donc mon Saturne, et non pas M. le comte de Gabalis, que messieursles curieux doivent sen prendre, si jaime mieux divulguer leurs secrets que les

    pratiquer. Si les astres ne font pas leur devoir, le Comte nen est pas cause; et sije nai pas assez de grandeur dme pour essayer de devenir le matre de laNature, de renverser les Elments dentretenir les Intelligences suprmes decommander aux Dmons, dengendrer les gants, de crer de nouveauxmondes, de parler Dieu dans son trne redoutable et dobliger le Chrubin,qui dfend lentre du paradis terrestre, de me permettre daller faire quelquestours dans ses alles : cest moi tout au plus quil faut blmer ou plaindre; il nefaut pas pour cela insulter la mmoire de cet homme rare, et dire qu est mortpour mavoir appris toutes ces choses. Est-il impossible que, comme ces armessont journalires, il ait succomb dans quelque combat avec quelque lutinindocile? Peut-tre quen parlant Dieu dans le trne enflamm il naura pu setenir de le regarder en face; or il est crit quon ne peut le regarder sans mourir.Peut-tre nest il mort quen apparence suivant la coutume des Philosophes, quifont semblant de mourir en un lieu, et se transplantent en un autre. Quoi quilen soit, je ne puis croire que la manire dont il ma confi ses trsors mritechtiment. Voici comme la chose sest passe. Le sens commun mayanttoujours fait souponner quil y a beaucoup de vide en tout ce quon appelleSciences secrtes, je nai jamais t tent de perdre le temps feuilleter les livresqui en traitent : mais aussi ne trouvant pas bien raisonnable de condamner, sans

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    savoir pourquoi, tous ceux qui sy adonnent, qui souvent sont gens sagesdailleurs, savants la plupart, et faisant figure dans la robe et dans lpe; je mesuis avis(pour viter dtre injuste et pour ne me point fatiguer dune lectureennuyeuse) de feindre dtre entt de toutes ces Sciences, avec tous ceux que

    jai pu apprendre qui en sont touchs.

    Jai dabord eu plus de succs que je nen avais mme espr. Comme tous cesmessieurs, quelque mystrieux et quelque rservs quils se piquent dtre, nedemandent pas mieux que dtaler leurs imaginations, et les nouvellesdcouvertes quils prtendent avoir faites dans la Nature, je fus en peu de jours

    confident des plus considrables dentre eux ; jen avais toujours quelquundans mon cabinet, que javais dessein garni de leurs plus fantasques auteurs. .Il ne passait point de savant tranger que je nen eusse avis ; en un mot, lascience prs je me trouvai bientt grand personnage. Javais pour compagnondes princes, des grands seigneurs, des gens de robe, de belles dames, des laidesaussi; des docteurs des prlats des moines, des nonnains, enfin des gens detoute espce. Les uns en voulaient aux anges, les autres au diable, les autres leur gnie, les autres aux Incubes les autres la gurison de tous maux, lesautres aux astres, les autres aux secrets de la Divinit, et presque tous la Pierre

    Philosophale. Ils demeuraient tous daccord que ces grands secrets, et surtoutla Pierre Philosophale, sont de difficile recherche et que peu de gens lespossdent? Mais ils avaient tous en particulier assez bonne opinion deux-mmes, pour se croire du nombre des lus. Heureusement les plus importantsattendaient alors. Avec impatience larrive dun Allemand grand seigneur etgrand cabaliste, de qui les terres sont vers les frontires de Pologne. Il avaitpromis par lettres aux Enfants des Philosophes, qui sont Paris, de venir lesvisiter et de passer en France allant en Angleterre Jeus la commission de fairerponse la lettre de ce grand homme, je lui envoyais la figure de ma nativit,afin quil juget si je pouvais aspirer la suprme sagesse. Ma figure et malettre furent assez heureuses pour lobliger me faire lhonneur de me rpondreque je serais un des premiers quil verrait Paris; et que si le ciel ne syopposait, il ne tiendrait pas lui que je nentrasse dans la socit des Sages.Pour mnager mon bonheur, jentretins avec lillustre Allemand un commercergulier. Je lui proposais de temps en temps de grands doutes, autant raisonnerque je le pouvais sur les nombres de Pythagore, sur les visions de saint Jean, etsur le premier chapitre de la Gense. La grandeur des matires le ravissait, ilmcrivait des merveilles inoues, et je vis bien que javais affaire un hommede trs vigoureuse et trs spacieuse imagination. Jen ai soixante ou quatre-

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    vingts lentes dun style si extraordinaire, que je ne pouvais plus me rsoudre lire autre chose, ds que jtais seul dans mon cabinet. Jen admirais un jourune des plus sublimes quand je vis entrer un homme de trs bonne mine qui,me saluant gravement, me dit en langue franaise et en accent tranger :

    Adorez, mon fils, adorez le trs bon et le trs grand Dieu des sages, et ne vous

    enorgueillissez jamais de ce quil vous envoie un des enfants de sagesse pour vous

    associer leur Compagnie et pour vous faire participant des merveilles de Sa Toute

    Puissance. .

    La nouveaut de la salutation mtonna dabord, et je commenais douter

    pour la premire fois si lon na pas quelquefois des apparitions : toutefois merassurant du mieux que je pus, et le regardant le plus civilement que la petitepeur que javais me le put permettre. - Qui que vous soyez, lui dis-je, vous dequi le complurent nest pas de ce monde, vous me faites beaucoup dhonneurde venir me rendre visite : mais agrez, sil vous plat quavant que dadorer leDieu des Sages, je sache de quels Sages, et de quel Dieu vous parlez et si vouslavez agrable, menez-vous dans ce fauteuil et donnez-vous la peine de medire quel est ce Dieu, ces Sages, cette compagnie, ces merveilles de toutepuissance, et aprs ou devant tout cela quelle espce de crature jai lhonneur

    de parler.- Vous me recevez trs sagement, monsieur, reprit-il en riant et prenant lefauteuil que je lui prsentais, vous me demandez dabord de vous expliquer deschoses que je ne vous dirai pas aujourdhui sil vous plat. Le compliment que jevous ai fait sont les paroles que les Sages disent labord de ceux qui ils ontrsolu douvrir leur cur et de dcouvrir leurs mystres. Jai cru qutant aussisavant que vous mavez paru dans vos lettres, cette salutation ne vous seraitpas inconnue, et que ctait le plus agrable compliment que pouvait faire lecomte de Gabalis.

    - Ah monsieur, mcriais-je me souvenant que javais un grand rle jouer,comment me rendrai-je digne de tant de bont ? Est-il possible que le plusgrand de tous les hommes soit dans mon cabinet et que le grand Gabalismhonore de sa visite ?

    - Je suis le moindre des Sages, repartit-il dun air srieux, et Dieu qui dispenseles lumires de sa Sagesse avec le poids et la mesure quil plat saSouverainet, ne men a fait quune part trs petite en comparaison de ce que

    jadmire avec tonnement en mes compagnons. Jespre que vous pourrez les

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    galer quelque jour, si jose en juger par la figure de voue nativit, que vousmavez fait lhonneur de menvoyer : mais vous voulez bien que je me plaigne vous monsieur, ajouta til en riant de ce que vous mavez pris dabord pour unfantme Ah non pas pour un fantme, lui dis-je, mais je vous avoue, monsieur,que me souvenant tout coup de ce que Cardan 6 raconte que son pre fut un

    jour visit dans son tude par sept inconnus vtus de diverses couleurs, qui luitinrent des propos assez bizarres de leur nature et de leur emploi...- Je vous entends, interrompit le comte, ctait des Sylphes dont je vous parleraiquelque jour, qui sont une espce de substances ariennes, qui viennentquelquefois consulter les Sages sur les livres dAverros quelles nentendentque trop bien. Cardan est un tourdi davoir publi cela dans ses subtilits; ilavait trouv ces mmoires-l dans les papiers de son pire, qui tait un desntres; et qui, voyant que son fils tait naturellement babillard ne voulut lui rienapprendre de grand et le laissa amuser lastrologie ordinaire, par laquelle il nesut prvoir seulement que son fils serait pendu. Ce fripon est cause que vousmavez fait linjure de me prendre pour un Sylphe.

    - Injure ? repris-je. Quoi monsieur, serais-je assez malheureux pour...

    - Je ne men fche pas, interrompit-il, vous ntes pas oblig de savoir que tousces esprits lmentaires sont nos disciples; quils sont trop heureux, quand nousvoulons nous abaisser les instruire et que le moindre de nos Sages est plussavant et plus puissant que tous ces petits messieurs-l 3Ia nous parlerons detout cela quelque autre fois; il me suffit aujourdhui davoir eu la satisfaction devous voir. Tchez mon fi1s de vous rendre digne de recevoir les lumirescabalistiques; lheure de votre rgnration est arrive, il ne tiendra qu vousdtre une nouvelle crature. Priez ardemment Celui qui seul la puissance decrer des curs nouveaux, de vous en donner un qui soit capable des grandeschoses que jai vous apprendre, et de minspirer de ne vous tien taire de nos

    mystres.

    Il se leva alors et membrassant sans me donner le loisir de lui rpondre :

    - Adieu, mon fils poursuivit-il, jai voir nos compagnons qui sont Paris,aprs quoi je vous donnerai de mes nouvelles. Cependant, veilliez, priez, esprezet ne parlez pas. Il sortit de mon cabinet en diront cela, je me plaignis de sacourte visite en le reconduisant, et de ce quil avait la cruaut de mabandonnersi tt aprs mavoir fait entrevoir une tincelle de ses lumires. Mais mayantassur de fort bonne grce que je ne perdrais rien dans lattente, il monta dans

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    son carrosse, et me laissa dans une surprise que je ne puis exprimer. Je nepouvais croire mes propres yeux ni mes oreilles : Je suis sr, disais-je, quecet homme est de grande qualit, quil a cinquante mille livres de rentes depatrimoine; il parat dailleurs fort accompli. Peut-il stre cod de ces folies-l ?Il ma parl de ces Sylphes fort cavalirement. Serait-il sorcier en effet, et meserais-je tromp jusquici en croyant quil ny en a plus ? Mais aussi sil est dessorciers, sont-ils aussi dvots que celui ci parat ltre ?

    Je ne comprenais rien tout cela; je rsolus pourtant den voir la fin; quoi que jeprvisse bien quil y aurait quelques sermons essuyer, et que le dmon qui

    lagitait tait grandement moral et prdicateur.

    SECOND ENTRETIEN SUR LES SCIENCES SECRTES

    Le Comte voulut me donner toute la nuit pour vaquer la prire; et lelendemain, ds le point du jour, il me fit savoir par un billet quil viendrait chezmoi sur les huit heures; et que si je le voulais bien, nous irions faire un tourensemble. Je lattendis, il vint, et aprs les civilits rciproques ;:

    - Allons, me dit-il quelque lieu o nous soyons libres, et o personne ne

    puisse interrompre notre entretien.- Ruel, lui dis-je, me parat assez agrable et assez solitaire.

    - Allons-y, reprit-il.

    Nous montmes en son carrosse. Durant le chemin jobservais mon nouveaumatre. Je nai jamais remarqu en personne un si grand fond de satisfactionquil en paraissait en toutes les manires. Il avait lesprit plus tranquille et pluslibre quil ne me semblait quun sorcier le put avoir. Tout son air ntait pointdun homme qui la conscience reprocht rien de noir, javais une

    merveilleuse impatience de le voir entrer en matire; ne pouvant comprendrecomment un homme, qui me paraissait si judicieux et si accompli en toute autrechose, stait gt lesprit par les visions dont javais connu le jour prcdentquil tait bless. Il me parla divinement de la politique, et fut ravi dentendreque javais lu ce que Platon en a crit.

    - Vous aurez besoin de tout cela quelque jour, me dit-il, un peu plus que vousne croyez. Et si nous nous accordons aujourdhui il nest pas impossible quavecle temps vous mettiez en usage ces sages maximes.

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    Nous entrions alors Ruel, nous allmes au jardin, le comte ddaigna enadmirer les beauts et marcha droit au labyrinthe. Voyant que nous tions aussiseuls quil le pouvait dsirer :

    - Je loue, scria-t-il levant les yeux et les bras au ciel, je loue la Sagesse ternellede ce quelle minspire de ne vous rien cacher de ses vrits ineffables. Quevous serez heureux mon fils, si elle a la bont de mettre dans votre me lesdispositions que ces hauts mystres demandent de vous ? Vous allez apprendre commander toute la Nature; Dieu seul sera votre matre, et les Sages seulsseront vos gaux. Les suprmes intelligences feront gloire dobir vos dsirs;

    les dmons noseront se trouver o vous serez; votre voix les fera trembler dansle puits de labme, et tous les peuples invisibles, qui habitent les quatrelments sestimeront heureux dtre les ministres de vos plaisirs. Je vousadore, o grand Dieu davoir couronn lhomme de tant de gloire, et de lavoirtabli souverain monarque de tous les ouvrages de vos mains. Sentez-vous,mon fils ajouta-t-il se tournant vers moi sentez-vous cette ambition hroque,qui est le caractre certain des Enfants de Sagesse ? osez-vous dsirer de neservir qu Dieu seul, et de dominer sur tout ce qui nest point Dieu ? Avez-vous compris ce que cest qutre homme ? et ne vous ennuie-t-il point dtre

    esclave, puisque vous tes n pour tre souverain ? Et si vous avez ces noblespenses (comme la figure de voue nativit ne me permet pas den douter),considrez mrement si vous aurez le courage et la force de renoncer toutesles choses qui peuvent vous tre un obstacle parvenir llvation pourlaquelle vous tes n ? Il sarrta la et me regarda fixement, comme attendantma rponse, ou comme cherchant lire dans mon cur.

    - Autant que le commencement de son discours mavait fait esprer que nousentrerions bientt en matire, autant en dsesprais-je par ses dernires paroles.Le mot de renoncermeffraya, et je ne doutais point quil nallt me proposer de

    renoncer au baptme ou au paradis. Ainsi ne sachant comment me tirer de cemauvais pas :

    - Renoncer, lui dis-je, monsieur, quoi, faut-il renoncer quelque chose ?

    - Vraiment, reprit-il, il le faut bien et il le faut si ncessairement quil fautcommencer par l Je ne sais si vous pourrez vous y rsoudre : mais je sais bienque la Sagesse nhabite point dans un corps sujet au pch, comme elle nentrepoint dans une me prvenue derreur ou de malice. Les Sages ne vousadmettront jamais leur compagnie, si vous ne renoncez ds prsent une

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    chose qui ne peut compatir avec la Sagesse. Il faut, ajouta-t-il tout bas en sebaissant mon oreille, il faut renoncer tout commerce charnel avec lesfemmes.

    - Je fis un grand clat de rire cette bizarre proposition.

    - Vous mavez monsieur, mcriais-je, vous mavez quitt pour peu de chose.

    Jattendais que vous me proposeriez quelque trange renonciation : maispuisque ce nest quaux femme que vous en voulez laffaire est faite dslongtemps, je suif assez chaste, Dieu merci? Cependant, monsieur, commeSalomon &ait plus sage que je ne serai peut-tre; et que toute sa sagesse ne ptlempcher de se laisser corrompre, dites-moi, sil vous plat, quel expdientvous prenez-vous autres messieurs pour vous passer de ce sexe-l ? et quelinconvnient il y aurait que dans le paradis des Philosophes chaque Adam etson Eve.

    - Vous me demandez l de grandes choses, repartit-il en consultant en lui-mmesil devait rpondre ma question. Pourtant, puisque je vois que vous vousdtacherez des femmes sans peine, je vous dirai lune des raisons qui ont oblig

    les Sages dexiger cette condition de leurs disciples : et vous connatrez ds ldans quelle ignorance vivent tous ceux qui ne sont pas de notre nombre.

    Quand vous serez enrl parmi les Enfants des Philosophes, et que vos yeuxseront fortifis par lusage de la trs sainte mdecine, vous dcouvrirez dabordque les lments sont habits par des cratures trs parfaites, dont le pch dumalheureux Adam a t la connaissance et le commerce sa trop malheureusepostrit. Cet espace immense qui est entre la terre et les cieux a des habitantsbien plus nobles que les oiseaux et les moucherons; ces mers si vastes ont biendautres htes que les dauphins et les baleines; la profondeur de la terre nest

    pas pour les taupes seules; et llment du feu plus noble que les trois autres,na pas t fait pour demeurer inutile et vide.

    Lair est plein dune innombrable multitude de peuples de figure humaine,un peu fiers en apparence mais dociles en effet : grands amateurs des sciencessubtiles, officieux aux Sages, et ennemis des fous et des ignorants. Leursfemmes et leurs filles sont des beauts mles telles quon dpeint les amazones.

    - Comment, monsieur, mcriais-je, est-ce que vous voulez me dire que ceslutins-l sont maris?

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    - Ne vous gendarmez pas, mon fils, pour si peu de chose, rpliqua-t-il. Croyezque tout ce que je vous dis est solide et vrai; ce ne sont ici que les lments delancienne cabale, et il ne tiendra qu vous de le justifier par vos propres yeux :mais recevez avec un esprit docile la lumire que Dieu vous envoie par monentremise. Oubliez tout ce que vous pouvez avoir ou sur ces matires dans lescoles des ignorants : ou vous auriez le dplaisir, quand vous seriez convaincupar lexprience, dtre oblig davouer que vous vous tes opinitr mal propos. Boutez donc jusqu la fin, et sachez que les mers et les fleuves sont habits

    de mme que lair; les anciens Sages ont nomm Ondins, ou Nymphes, cetteespce de peuples. Ils sont peu de mles, et les femmes y sont en grand nombre;leur beaut est extrme, et les filles des hommes nont rien de comparable.

    La terre est remplie presque jusquau centre de Gnomes gens de petite stature,gardiens des trsors des minires, et des pierreries. ceux-ci sont ingnieux amisde lhomme et faciles commander. Ils fournissent aux Enfants des Sages toutlargent qui leur est ncessaire, et ne demandent gure, pour prix de leurservice, que la gloire dtre commands. Les Gnomides, leurs femmes, sontpetites, mais fort agrables et leur habit est fort curieux. Quant aux

    Salamandres, habitants enflamms de la rgion du feu ils servent auxPhilosophes : mais ils ne recherchent pas avec empressement leur compagnie; etleurs filles et leurs femmes se font voir rarement.

    - Elles ont raison, interrompis-je, et je les tiens quittes de leur apparition.

    - Pourquoi ? dit le comte.

    - Pourquoi, monsieur, repris-je, et quai-je affaire de converser avec une aussilaide bte que la salamandre mle ou femelle?

    - Vous avez tort rpliqua-t-il, cest lide quen ont les peintres et les sculpteursignorants; les femmes des salamandres sont belles, et plus belles mme quetoutes les autres puisquelles sont dun lment plus pur. Je ne vous en parlaispas, et je passais succinctement la description de ces peuples, parce que vous lesverrez vous-mme loisir et facilement si vous en avez la curiosit. Vous verrezleurs habits, leurs vivres, leurs murs, leur police, leurs lois admirables. Vousserez charm de la beaut de leur esprit encore plus que de celle de leur corps :mais vous ne pourrez vous empcher de plaindre ces misrables, quand ilsvous diront que leur me est mortelle, et quils nont point desprance en la

    jouissance ternelle de lEtre suprme quils connaissent et quils adorent

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    religieusement. Ils vous diront, qutant composs des plus pures parties dellment quils habitent, et nayant point en eux de qualits contraires,puisquils ne sont faits que dun lment, ils ne meurent quaprs plusieurssicles : mais quest ce que le temps au prix de lternit ? Il faudra rentrerternellement dans le nant. Cette pense les afflige fort, et nous avons bien dela peine les en consoler.

    Nos Pres les Philosophes parlant Dieu face face se plaignirent lui dumalheur de ces peuples : et Dieu de qui la misricorde est sans bornes, leurrvla quil ntait pas impossible de trouver du remde ce mal. Il leur inspira

    que de mme que lhomme, par lalliance qu a contracte avec Dieu a t faitparticipant de la Divinit : les Sylphes, les Gnomes les Nymphes et lessalamandres, par lalliance quils peuvent contracter avec lhomme, peuventtre faits participants de limmortalit. Ainsi une Nymphe ou une sylphidedevient immortelle et capable de la batitude laquelle nous aspirons, quandelle est assez heureuse pour se marier un Sage; et un Gnome ou un Sylphecesse dtre mortel du moment quil pouse une de nos filles. De l naquit lerreur des premiers sicles, de Tertullien, du martyr Justin, de

    Lactance, Cyprien, Clment dAlexandrie, dAthnagore philosophe chrtien, et

    gnralement de tous les crivains de ce temps-l. Ils avaient appris que cesdemi hommes lmentaires avaient recherch le commerce des filles; et ils ontimagin de l que la chute des anges ntait venue que de lamour dont ilsstaient laiss toucher pour les femmes. Quelques Gnomes, dsireux dedevenir immortels avaient voulu gagner les bonnes grces de nos filles et leuravaient apport des pierreries dont ils sont gardiens naturels; et ces auteurs ontcru sappuyant sur le livre dEnoch mal entendu, que ctaient les piges que lesanges amoureux avaient tendus la chastet de nos femmes. Aucommencement ces Enfants du ciel engendrrent les gants fameux, stant faitaimer aux filles des hommes, et les mauvais cabalistes Joseph et Philon(commetous les Juifs sont ignorants), et aprs eux tous les auteurs que jai nomms tout lheure, ont dit aussi bien quOrigne et Macrobe que ctaient des anges etnont pas su que ctaient les Sylphes et les autres peuples des lments qui,sous le nom denfants dEloym, sont distingus des enfants des hommes. Demme ce que le sage Augustin a eu la modestie de ne point dcider, touchantles poursuites que, ceux quon appelait Faunes ou Satyres, faisaient auxAfricains de son temps, est clairci par ce que je viens de dire, du dsir quonttous ces habitants des lments de sallier aux hommes comme du seul moyende parvenir limmortalit quils nont pas.

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    Ah! nos Sages nont garde dimputer lamour des femmes la chute despremiers anges ; non plus que de soumettre assez les hommes la puissance dudmon, pour lui attribuer toutes les aventures des Nymphes et des Sylphes,dont tous les historiens sont remplis. Il ny eut jamais rien de criminel en toutcela. Ctaient des Sylphes qui cherchaient devenir immortels. Leursinnocentes poursuites, bien loin de scandaliser les Philosophes, nous ont paru si

    justes que nous avons tous rsolu, dun commun accord, de renoncerentirement aux femmes et de ne nous adonner qu immortaliser les Nympheset les Sylphides.

    - O Dieu, me rcriais je quest-ce que jentends ? Jusquo va la f,,,

    - oui, mon fils, interrompit le comte, admirez jusquo va la flicitphilosophique! Pour des femmes dont les faibles appas se passent en peu de

    jours, et sont suivis de rides horribles les Sages possdent des beauts qui nevieillissent jamais et quils ont la gloire de rendre immortelles. Jugez de lamouret de la reconnaissance de ces matresses invisibles et de quelle ardeur ellescherchent plaire au Philosophe charitable, qui sapplique les immortaliser.Ah monsieur, je renonce, mcriais-je encore une fois

    - oui, mon fils, poursuivit-il derechef sans me donner le loisir dachever.Renoncez aux inutiles et fades plaisirs quon peut trouver avec les femme ; laplus belle dentre elles est horrible auprs de la moindre Sylphide : aucundgot ne suit jamais nos sages embrassements. Misrables ignorants, que voustes plaindre de ne pouvoir pas goter les volupts philosophiques.- Misrable comte de Gabalis, interrompis-je dun accent ml de colre et decompassion, me laisserez-vous dire enfin que je renonce cette sagesseinsense, que je trouve ridicule cette visionnaire philosophie, que je dteste cesabominables embrassements qui vous mlent des fantmes; et que je tremble

    pour vous, que quelquune de vos prtendues Sylphides ne se hte de vousemporter dans les enfers au milieu de vos transports, de peur quun aussihonnte homme que vous ne saperoive la fin de la folie de ce zlechimrique, et ne fasse pnitence dun crime si grand.

    - Oh! oh rpondit-il en reculant de trois pas et me regardant dun oeil colre,malheur vous, esprit indocile son action meffraya je lavoue ; mais ce fut bienpis, quand je vis que sloignant de moi il tira de sa poche un papier, que

    jentrevoyais de loin, qui tait assez plein de caractres que je ne pouvais biendiscerner. Il lisait attentivement, se chagrinait et parlait bas. Je crus quil

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    voquait quelques esprits pour ma ruine, et je me repentis un peu de mon zleinconsidr. Si jchappe cette aventure, disais-je, jamais cabaliste ne me fera rien. Je

    tenais les yeux sur lui comme sur un juge qui mallait condamner mort, quandje vis que son visage redevint serein.

    - Il vous est dur, me dit-il en riant et revenant moi, il vous est dur de regimbercontre laiguillon. Vous tes un vaisseau dlection. Le ciel vous a destin pourtre le plus grand cabaliste de votre sicle. Voici la figure de voue nativit quine peut manquer. Si ce nest pas maintenant et par mon entremise, ce sera

    quand il plaira votre Saturne rtrograde.

    - Ah si jai devenir Sage, lui dis-je, ce ne sera jamais que par lentreprise dugrand Gabalis; mais parler franchement, jai bien peur quil sera malais, quevous puissiez me flchir la galanterie philosophique.

    - Serait ce, repartit-il, que vous seriez assez mauvais physicien pour ntre paspersuad de lexistence de ces peuples ?

    - je ne sais, repris-je, mais il me semblerait toujours que ce ne serait que lutins

    travestis.- En croirez-vous toujours plus votre nourrice, me dit-il, qu la raisonnaturelle, qu Platon, Pythagore, Celse, Psellus, Procle, Porphyre, Jamblique,Plotin, Trismegiste, Nollius, Dorne, Fludd, quau grand Philipe-Aureole-Thophraste-Bombast Paracelse de Honeinhem et qu tous nos compagnons.

    - Je vous en croirais, monsieur, rpondis-je, autant et autant et plus que tous cesgens-l : mais mon cher monsieur, ne pourriez-vous pas mnager avec voscompagnons que je ne serai pas oblig de me fondre en tendresse avec cesdemoiselles lmentaires.

    - Hlas reprit-il, vous tes libre sans doute, et on naime pas si on ne veut; peude Sages ont pu se dfendre de leurs charmes : mais il sen est pourtant trouvqui, se rservant tout entiers de plus grandes choses (comme vous saurez avecle temps), nont pas voulu faire cet honneur aux Nymphes.

    - Je serai donc de ce nombre, repris-je, aussi bien ne saurais-je me rsoudre perdre le temps aux crmonies que jai ou dire un prlat, quil faut pratiquer,pour le commerce de ces gnies.

    - Ce prlat ne savait ce quil disait, dit le comte, car vous verrez un jour que ce

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    ne sont pas l des gnies; et dailleurs jamais Sage nemploya ni crmonies, nisuperstition pour la familiarit des gnies, non plus que pour les peuples quenous parlons.

    - Le cabaliste nagit que par les principes de la Nature : et si quelquefois ontrouve dans nos livres des paroles tranges, des caractres et des fumigations,ce nest que pour cachet aux ignorants les principes physiques. Admirez lasimplicit de la Nature en toutes ses oprations les plus merveilleuses, et danscette simplicit une harmonie et un concert si grand, si juste, et si ncessairequil vous fera revenir, malgr vous, de vos faibles imaginations. Ce que je vais

    vous dire, nous lapprenons ceux de nos disciples, que nous ne voulons paslaisser tout fait entrer dans le sanctuaire de la Nature, et que nous ne voulonspourtant point priver de la socit des peuples lmentaires, pour lacompassion que nous avons de ces mmes peuples.

    Les Salamandres, comme vous lavez dj peut-tre compris, sont compossdes plus subtiles parties de la sphre du Feu, conglobes et organises parlaction du feu universel (dont je vous entretiendrai quelque jour), ainsi appelparce quil est le principe de tous les mouvements de la Nature. Les Sylphes demme sont composs des plus purs atomes de lair, les Nymphes, des plusdlies parties de leau; et les Gnomes, des plus subtiles parties de la Terre. Il yavait beaucoup de proportion entre Adam et ces cratures si parfaites, parcequtant compos de ce quil y avait de plus pur dans les quatre lments, ilrenfermait les perfections de ces quatre espces de peuples, et tait leur roinaturel. Mais ds lors que son pch leut prcipit dans les excrments deslments (comme vous verrez quelque autre fois), lharmonie fut dconcerte, etil neut plus de proportion, tant impur et grossier, avec ces substances si pureset si subtiles. Quel remde ce mal ? Comment remonter ce luth, et recouvrercette souverainet perdue ? O Naturel pourquoi ttudie-t-on si peu ? Ne

    comprenez-vous pas, mon fils, avec quelle simplicit la Nature peut rendre lhomme ces biens quil a perdus ?

    - Hlas monsieur, rpliquais-je, je suis trs ignorant en toutes ces simplicits-l.

    - Il est pourtant bien ais dy tre savant, reprit-il. Si on veut recouvrer lempiresur les Salamandres il faut purifier et exalter llment du feu qui est en nous etrelever le ton de cette corde relche. Il ny a qu concentrer le feu du mondepar des miroirs concaves dans un globe de verre; et cest ici lartifice que tousles Anciens ont cach religieusement et que le divin Thophraste a dcouvert. Il

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    se forme dans ce globe une poudre solaire, laquelle stant purifie delle-mme, du mlange des autres lments et tant prpare selon lart, devient enfort peu de temps souverainement propre exalter le feu qui est en nous, et nous faire devenir, par manire de dire, de nature igne. Ds lors les habitantsde la sphre du feu deviennent nos infrieurs et, ravis de voir rtablir notremutuelle harmonie et que nous nous soyons rapprochs deux, ils ont pournous toute lamiti quils ont pour leurs semblables, tout le respect quilsdoivent limage et au lieutenant de leur crateur, et tous les soins dont lespeut faire aviser le dsir dobtenir de nous limmortalit quils nont pas. Il estvrai que, comme ils sont plus subtils que ceux des autres lments, ils viventtrs longtemps, ainsi ils ne se pressent pas dexiger des Sages limmortalit.Vous pourriez vous accommoder de quelquun de ceux-l, mon fils, silaversion que vous mavez tmoigne vous dure jusqu la fin peut-tre nevous parlerait-il jamais de ce que vous craignez tant.

    Il nen serait pas de mme des Sylphes, des Gnomes et des Nymphes. Commeils vivent moins de temps, ils ont plutt affaire de nous : aussi leur familiarit estplus aise obtenir. Il ny a qu fermer un verre plein dair conglob deau oude terre et le laisser expos au soleil un mois. Puis sparer les lments selon la

    science; ce qui surtout est trs facile en leau et en la terre. Il est merveilleuxquel aimant cest que chacun de ces lments purifis pour attirer Nymphes,Sylphes et Gnomes. On nen a pas pris si peu que rien tous les jours pendantquelques mois, que lon voit dans les airs la rpublique volante des Sylphes, lesNymphes venir en foule au rivage et les gardiens des trsors taler leursrichesses. Ainsi sans caractres sans crmonies, sans mots barbares, on devientabsolu sur tous ces peuples. Ils nexigent aucun culte du Sage, quils savent bienqui est plus noble queux. Ainsi la vnrable Nature apprend ses enfants rparer les lments par les lments. Ainsi se rtablit lharmonie. Ainsilhomme recouvre son empire naturel et peut tout dans les lments, sansdmon et sans art illicite. Ainsi vous voyez, mon fils, que les Sages sont plusinnocents que vous ne pensez. Vous ne me dites rien...

    - Je vous admire, monsieur, lui dis-je, et je commence craindre que vous ne mefassiez devenir distillateur.

    - Ah Dieu vous en garde, mon enfant, scria-t-il, ce nest pas ces bagatelles-lque votre nativit vous destine. Je vous dfends au contraire de vous y amuser;

    je vous ai dit que les Sages ne montrent ces choses qu ceux quils ne veulentpas admettre dans leur troupe. Vous aurez tous ces avantages, et dinfiniment

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    plus glorieux et plus agrables, par ces procds bien autrementphilosophiques. Je ne vous ai dcrit ces manires que pour vous faire voirlinnocence de cette philosophie et pour vous ter vos terreurs paniques.

    - Grce Dieu, monsieur, rpondis-je, je nai plus tant de peur que jen avaistantt. Et quoi que je ne me dtermine pas encore laccommodement que vousme proposez avec les Salamandres, je ne laisse pas davoir la curiositdapprendre comment vous avez dcouvert que ces Nymphes et ces Sylphesmeurent.

    - Vraiment, rpartit-il, ils nous le disent et nous les voyons mourir.- Comment pouvez-vous les voir mourir, rpliquais-je, puisque votre commerceles rend immortels ?

    - cela serait bon, dit-il, si le nombre des Sages galait le nombre de ces peuples;outre qu y en a plusieurs dentre eux qui aiment mieux mourir que risquer, endevenant immortels, dtre aussi malheureux quils voient que les dmons lesont, cest le diable qui leur inspire ces sentiments, car il ny a rien quil ne fassepour empcher ces pauvres cratures de devenir immortelles par notre alliance.

    De sorte que je regarde, et vous devez regarder, mon fils, comme une tentationtrs pernicieuse et comme un mouvement trs peu charitable, cette aversion quevous y avez.

    Au surplus, pour ce qui regarde la mort dont vous me parlez, qui est-ce quiobligea loracle dApollon de dire que tous ceux qui parlaient dans les oraclestaient mortels aussi bien que lui, comte Porphyre le rapporte ? Et que pensez-vous que voulut dire cette voix qui fut entendue dans tous les rivages dItalie etqui fit tant de frayeur tous ceux qui se trouvrent sur la mer ? LE GRANDPAN EST MORT. Ctait les peuples de lair qui donnaient avis aux peuples des

    eaux que le premier et le plus g des Sylphes venait de mourir.

    - Lorsque cette voix fut entendue, lui dis-je, il me semble que le monde adoraitPan et les Nymphes. Ces messieurs, dont vous me prchez le commerce, taientdonc les faux dieux des paens ?

    - Il est vrai, mon fils, repartit-il. Les Sages nont garde de croire que le dmon aitjamais eu la puissance de se faire adorer. Il est trop malheureux et trop faiblepour avoir jamais eu ce plaisir et cette autorit. Mais il a pu persuader ces htesdes lments de se montrer aux hommes et de se faire dresser des temples; et

    par la domination naturelle, que chacun deux a sur llment quil habite, ils

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    troublaient lair et la mer, branlaient la terre et dispensaient les feux du ciel leur fantaisie, de sorte quils navaient pas grand-peine tre pris pour desdivinits, tandis que le souverain tre ngliget le salut des nations. Riais lediable na pas reu de sa malice tout lavantage quil en esprait, car il est arrivde l que Pan, les Nymphes et les autres peuples lmentaires, ayant trouvmoyen de changer ce commerce de culte en commerce damour (car il voussouvient bien que chez les Anciens, Pan tait le roi de ces dieux quilsnommaient dieux incubes, et qui recherchaient fort les filles), plusieurs despaens sont chapps au dmon et ne brleront pas dans les enfers.

    - Je ne vous entends pas, monsieur, repris-je.

    - vous navez garde de mentende, continua-t-il en riant et dun ton moqueur,voici qui vous passe et qui passerait aussi tous vos docteurs qui ne savent ceque cest que belle physique voici le grand mystre de toute cette partie dephilosophie qui regarde les lments, et ce qui srement vous tera (si vousavez un peu dautour pour vous-mme) cette rpugnance si peu philosophiqueque vous me tmoignez tout aujourdhui. Sachez donc, mon fils (et nallez pasdivulguer ce grand Arcane quelque indigne ignorant), sachez que, comme lesSylphes acquirent une me immortelle par lalliance quils contractent avec leshommes qui sont prdestins, de mme les hommes qui nont point de droit la gloire ternelle, ces infortuns qui limmortalit nest quun avantagefuneste pour lesquels le Messie na pas t envoy...

    - vous tes donc jansnistes aussi messieurs les cabalistes ? interrompts-je.

    - Nous ne savons ce que cest, mon enfant, reprit-il brusquement, et nousddaignons de nous informer en quoi consistent les sectes diffrentes et lesdiverses religions dont les ignorants sinfatuent. Nous nous en tenons lancienne religion de nos pres les Philosophes, de laquelle il faudra bien que jevous instruise un jour. Mais pour reprendre notre propos : ces hommes de quila triste immortalit ne serait quune ternelle infortune, ces malheureuxenfants, que le Souverain Pre a ngligs, ont encore la ressource quils peuventdevenir mortels en salliant avec les peuples lmentaires. De sorte que vousvoyez que les Sages ne risquent rien pour lternit; sils sont prdestins, ils ontle plaisir de mener au ciel (en quittant la prison de ce corps) la Sylphide ou laNymphe quils ont immortalise; et sils ne sont pas prdestins, le commercede la Sylphide rend leur me mortelle et les dlivre des horreurs de la secondemort. Ainsi le dmon se vit chapper tous les paens qui sallirent aux

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    Nymphes. Ainsi les Sages ou les amis des Sages qui Dieu nous inspire decommuniquer quelquun des quatre secrets lmentaires (que je vous ai appris peu prs) saffranchissent du pril dtre damns.

    - Sans mentir, monsieur, mcrirai-je, nosant le remettre de mauvaise humeur,et trouvant propos de diffrer de lui dire plein mes sentiments, jusqu cequil met dcouvert tous les secrets de sa cabale, que je jugeais bien par cetchantillon devoir tre fort bizarres et rcratifs. Sans mentir vous poussez bienavant la Sagesse Et vous avez eu raison de dire que ceci passerait tous nosdocteurs. Je crois mme que ceci passerait tous nos magistrats, et que sils

    pouvaient dcouvrir qui sont ceux qui chappent au dmon par ce moyen,comme lignorance est inique, ils prendraient les intrts du diable contre cesfugitifs et leur feraient mauvais paru.

    - Aussi est-ce pour cela reprit le comte, que je vous ai recommand et que jevous recommande saintement le secret. Vos juges sont tranges! Ils condamnentune action trs innocente comme un crime trs noir. Quelle barbarie davoir faitbrler ces deux prtres, que le prince de la Mirande dit avoir connus, quiavaient eu chacun sa Sylphide lespace de quarante ans! Quelle inhumanitdavoir fait mourir Jeanne Hervillier qui avait travaill immortaliser unGnome durant trente et six ans! Et quelle ignorance Bodin de la traiter desorcire et de prendre sujet de son aventure, dautoriser les chimres populairestouchant les prtendus sorciers par un livre aussi impertinent que celui de sarpublique est raisonnable.

    Mais il est tard, et je ne prends pas garde que vous navez pas encore mang.- Cest donc pour vous que vous parlez, monsieur, lui dis-je, car pour moi jevous couterais jusqu demain sans incommodit.

    - Ah! pour moi, reprit-il en riant et marchant vers la porte, il parat bien quevous ne savez gure ce que cest que Philosophie. Les Sages ne mangent quepour le plaisir et jamais pour la ncessit.

    - Javais une ide toute contraire de la Sagesse, rpliquai je, je croyais que leSage ne dut manger que pour satisfaire la ncessit.

    - Vous vous abusiez dit le comte. Combien pensez-vous que nos Sages peuventdurer sans manger ?

    - Que puis-je savoir ? lui dis-je. Moise et lie sen passrent quarante jours, vos

    Sages sont sans doute quelques jours moins.

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    - Le bel effort que ce serait, reprit-il. Le plus savant homme qui fut jamais, leDivin, le presque adorable Paracelse assure quil a vu beaucoup de Sages, avoirpass des vingt annes sans manger quoi que ce soit. Lui-mme avant qutreparvenu la monarchie de la Sagesse, dont nous lui avons justement dfr lesceptre, voulut essayer de vivre plusieurs annes en ne prenant quun demi-scrupule de quintessence solaire. Et si vous voulez avoir le plaisir de faire vivrequelquun sans manger, vous navez qu prparer la terre, comme jai dit quonpeut la prparer pour la socit des Gnomes. Cette terre applique sur lenombril et renouvele quand elle est trop sche, fait quon se passe de mangeret de boire sans nulle peine : ainsi que le vridique Paracelse dit en avoir faitlpreuve durant six mois.

    Mais lusage de la mdecine catholique cabalistique nous affranchit bienmieux de toutes les ncessits importunes, quoi la nature assujettit lesignorants. Nous ne mangeons que quand il nous plat, et toute la superfluit desviandes svanouissant par transpiration insensible, nous navons jamais hontedtre hommes.

    Il se tut alors, voyant que nous tions prs de nos gens. Nous allmes au villageprendre un lger repas, suivant la coutume des hros de Philosophie.

    TROISIME ENTRETIEN SUR LES SCIENCES SECRTES

    APRS avoir dn, nous retournmes au labyrinthe. Jtais rveur, et la piti quejavais de lextravagance du comte, de laquelle je jugeais bien quil me seraitdifficile de le gurir, mempchait de me divertir de tout ce quil mavait dit,autant que jaurais fait, si jeusse espr de le ramener au bon sens. Je cherchaisdans lAntiquit quelque chose lui opposer, o il ne pt rpondre, car de luiallguer les sentiments de lglise, il mavait dclar quil ne sen tenait qulancienne religion de ses pres les Philosophes ; et de vouloir convaincre uncabaliste par raison, lentreprise tait de longue haleine : outre que je navaisgarde de disputer contre un homme de qui je ne savais pas encore tous lesprincipes. Il me vint dans lesprit que ce quil mavait dit des faux dieux,auxquels il avait substitu les Sylphes et les autres peuples lmentaires,pouvait tre rfut par les oracles des paens, que lcriture traite partout dediables et non pas de Sylphes. Mais comme je ne savais pas si, dans lesprincipes de sa cabale, le comte nattribuerait pas les rponses des oracles quelque cause naturelle, je crus quil serait propos de lui faire expliquer fondce quil en pensait. Il me donna lieu de le mettre en matire, lors quavant que

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    de sengager dans le labyrinthe, il se tourna vers le jardin.- voil qui est assez beau, dit-il, et ces statues font un assez bon effet.

    - Le cardinal, repartis-je, qui les fit apporter ici, avait une imagination peu dignede son grand gnie. Il croyait que la plupart de ces figures rendaient autrefoisdes oracles, et il les avait achetes fort cher, sur ce pied-l.

    - Cest la maladie de bien des gens, reprit le comte. Lignorance fait commettretous les jours une manire didoltrie trs criminelle, puisque lon conserve avectant de soin et quon tient si prcieux les idoles dont lon croit que le diable sestautrefois servi pour se faire adorer. O Dieu ne saura-t-on jamais dans le mondeque vous avez ds la naissance des sicles prcipit vos ennemis sous lescabellede vos pieds et que vous tenez les dmons prisonniers sous la terre, dans letourbillon de tnbres ? Cette curiosit si peu louable : dassembler ainsi cesprtendus organes des dmons, pourrait devenir innocente, mon fils, si lonvoulait se laisser persuader quil na jamais t permis aux anges de tnbres deparler dans les oracles.

    - Je ne crois pas, interrompis-je, quil ft ais dtablir cela parmi les curieux,

    mais il le serait peut-tre parmi les esprits forts. Car il ny a pas longtemps quila t dcid dans une confrence faite exprs sur cette matire, par les espritsdu premier ordre, que tous ces prtendus oracles ntaient quune supercheriede lavarice des prtres gentils ou quun artifice de la politique des souverains.

    - taient-ce, dit le comte, les Mahomtans envoys en ambassade vers votre roiqui tinrent cette confrence et qui dcidrent ainsi cette question ?

    - Non, monsieur, rpondis-je.

    - De quelle religion sont donc ces messieurs-l, rpliqut-il, puisquils ne

    comptent pour rien lcriture divine qui fait mention en tant de lieux de tantdoracles diffrents ? Et principalement des pythons qui faisaient leur rsidenceet qui rendaient leurs rponses dans les parties destines la multiplication delimage de Dieu ?

    Je parlais, rpliquais-je, de tous ces ventres discoureurs, et je fis remarquer lacompagnie que le roi Sal les avait bannis de son royaume, o il en trouvapourtant encore un la veille de sa mort, duquel la voix eut ladmirable

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    puissance de ressusciter Samuel sa prire et sa ruine. Mais ces savantshommes ne laissrent pas de dcider quil ny eut jamais doracles- Si lcriture ne les touchait pas, dit le comte, il fallait les convaincre par toutelAntiquit, dans laquelle il tait facile de leur en faire voir mille preuvesmerveilleuses. Tant de vierges enceintes de la destine des mortels, lesquellesenfantaient les bonnes ou les mauvaises aventures de ceux qui les consultaient.Que nallguiez-vous Chrysostome, Origne et Oecumenius, qui font mentionde ces hommes divins, que les Grecs nommaient Engastrimandres, de qui leventre prophtique articulait des oracles si fameux. Et si vos messieursnaimentpas lcriture et les Pres, il fallait mettre en avant ces fillesmiraculeuses, dont parle le Grec Pausanias, qui se changeaient en colombes, etsous cette forme rendaient les oracles clbres des colombesDodonides, ou bienvous pouviez dire la gloire de votre nation quil y et jadis dans la Gaule desfilles illustres qui se mtamorphosaient en toutes figures, au gr de ceux qui lesconsultaient, et qui, outre les fameux oracles quelles rendaient, avaient unempire admirable sur les flots et une autorit salutaire sur les plus incurablesmaladies.

    - on et trait toutes ces belles preuves dapocryphes, lui dis je.

    - Est-ce que lantiquit les rend suspectes ? reprit-il. Vous naviez qu leurallguer les oracles qui se rendent encore tous les jours.

    - Et en quel endroit du monde ? lui dis-je.

    - A Paris, rpliqua-t-il.

    - A Paris! mcrirai-je.

    - Oui, Paris, continua-t-il. Vous tes matre en Isral et vous ne savez pas cela.

    Ne consulte-t-on pas tous les jours les oracles aquatiques dans des verres deauou dans des bassins, et les oracles ariens dans des miroirs et sur la main desvierges ? Ne recouvre-t-on pas ainsi des chapelets perdus et des montresdrobes ? Napprend-on pas ainsi des nouvelles des pays lointains et ne voit-on pas les absents ?

    - H, monsieur, que me contez-vous l ? lui dis-je.

    - Je vous raconte, reprit-il, ce que je sais sur qui arrive tous les jours et dont il neserait pas difficile de trouver mille tmoins oculaires,

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    - Je ne crois pas cela, monsieur, rpartis-je. Les magistrats seraient quelqueexemple dune action si punissable, et on ne souffrirait pas que lidoltrie...

    - Ah! que vous tes prompt interrompit le comte. Il ny a pas tant de mal quevous pensez en tout cela, et la Providence ne permettra pas quon extirpe cereste de Philosophie qui sest sauv du naufrage lamentable qua fait la vrit.Sil reste encore quelque vestige parmi le peuple de la redoutable puissance desnoms divins, seriez-vous davis quon leffat et quon perdt le respect et lareconnaissance quon doit au grand nom (......), qui opre toutes ces merveilles,lors mme quil est invoqu par les ignorants et par les pcheurs, et qui ferait

    bien dautres miracles dans une bouche cabalistique. Si vous eussiez vouluconvaincre vos messieurs de la vrit des oracles, vous naviez qu exaltervotre imagination et votre foi, et vous tournant vers lOrient crier haute voix(.....)

    - Monsieur, interrompis-je, je navais garde de faire cet espce dargument daussi honntes gens que le sont ceux avec qui jtais, ils meussent pris pourfanatique, car assurment ils nont point de foi en tout cela et quand jeusse sulopration cabalistique dont vous me parlez, elle net pas russi par mabouche : jy ai encore moins de foi queux.

    - Bien, bien, dit le comte, si vous nen avez pas, nous vous en ferons venir.Cependant si vous aviez cru que vos messieurs neussent pas donn crance ce quils peuvent voir tous les jours Paris, vous pouviez leur citer une histoiredassez frache date. Loracle que Celius Rhodiginus dit qu a vu lui-mme,rendu sur la fin du sicle pass, par cet homme extraordinaire qui parlait etprdisait lavenir par le mme organe que lEurycles de Plutarque.

    - Je neusse pas voulu, rpondis-je, citer Rhodiginus ; la citation et tpdantesque et puis on net pas manqu de me dire que cet homme tait sansdoute un dmoniaque.

    - On et dit cela trs monacalement, reprit-il.

    - Monsieur, interrompis-je, malgr laversion cabalistique que je vois que vousavez pour les moines, je ne puis que je ne sois pour eux en cette rencontre. Jecrois quil ny aurait pas tant de mal nier tout fait quil ny ait jamais eudoracles que de dire que ce ntait pas le dmon qui parlait en eux. Car enfinles pres et les thologiens...

    - Car enfin, interrompit-il, les thologiens ne demeurent ils pas daccord que la

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    savante Sambeth, la plus ancienne des Sibylle, tait fille de No ?- H? quimporte, repris-je.

    - Plutarque, rpliqua-t-il, ne dit-il pas que la plus ancienne Sybille fut lapremire qui rendit des oracles Delphes ? Cet esprit que Sambeth logeaitdans son sein ntait donc pas un diable, ni son Apollon un faux dieu, puisquelidoltrie ne commena que longtemps aprs la division des langues; et il seraitpeu vraisemblable dattribuer au pre de mensonge les livres sacrs des Sybilleset toutes les preuves de la vritable religion que les Pres en ont tires. Et puis,

    mon enfant, continua-t-il en riant, il ne vous appartient pas de rompre lemariage quun grand cardinal a fait de David et de la Sybille, ni daccuser cesavant personnage davoir mis en parallle un grand prophte et unemalheureuse nergumne Car, ou David fortifie le tmoignage de la Sybille, oula Sybille affaiblit lautorit de David.

    - Je vous prie, monsieur, interrompis-je, reprenez votre srieux.

    - Je le veux bien, dit-il, condition que vous ne maccuserez pas de ltre trop.Le dmon, votre avis, est-il jamais divis contre lui-mme ? Et est-il

    quelquefois contre soc intrts ?- Pourquoi non ? lui dis-je.

    - Pourquoi non ? dit-il Parce que celui que Tertullien a si heureusement et simagnifiquement appel la Raison de Dieu ne le trouve pas propos. Satan nest

    jamais divis de lui-mme. Il sensuit donc, ou que le dmon na jamais parldans les oracles, ou quil ny a jamais parl contre ses intrts. Il sensuit doncque si les oracles ont parl contre les intrts du dmon, ce ntait pas le dmonqui parlait dans les oracles.

    - Mais Dieu na-t-il pas pu forcer le dmon, lui dis-je, de rendre tmoignage lavrit et de parler contre lui-mme ?

    -Mais, reprit-il, si Dieu ne ly a pas forc ?

    - Ah en ce cas-l, rpliquais-je, vous aurez plus de raison que les moines.

    - Voyons-le donc, poursuivit-il, et pour procder invinciblement et de bonne foije ne veux pas amener les tmoignages des oracles que les Pres de lgliserapportent quoique je sois persuad de la vnration que vous avez pour ces

    grands hommes. Leur religion et lintrt quils avaient laffaire pourraient les

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    avoir prvenus, et leur amour pour la vrit pourrait avoir fait, que la voyantassez pauvre et assez nue dans leur sicle, ils auraient emprunt pour la parerquelque habit et quelque ornement du mensonge mme : ils taient hommes etils peuvent par consquent - suivant la maxime du Pote de la Synagogue -avoir t tmoins infidles.

    Je vais donc prendre un homme qui ne peut tre suspect en cette cause :paen, et paen dautre espce que Lucrce ou Lucien ou les picuriens, unpaen infatu quil est des dieux et des dmons sans nombre, superstitieux outremesure, grand magicien, ou soi-disant tel, et par consquent grand partisan des

    diables, cest Porphire. Voici mot pour mot quelques oracles quil rapporte.

    ORACLE

    IL Y A AU-DESSUS DU FEU CLESTE UNE FLAMME INCORRUPTIBLE,TOUJOURS TINCELANTE, SOURCE DE LA VIE, FONTAINE DE TOUS LESTRES ET PRINCIPE DE TOUTES CHOSES, CETTE FLAMME PRODUITTOUT, ET RIEN NE PRIT QUE CE QUELLE CONSUME, ELLE SE FAITCONNATRE PAR ELLE-MME ; CE FEU NE PEUT TRE CONTENU ENAUCUN LIEU ; IL EST SANS CORPS ET SANS MATIRE, IL ENVIRONNE

    LES CIEUX ET IL SORT DE LUI UNE PETITE TINCELLE QUI FAIT TOUT LEFEU DU SOLEIL, DE LA LUNE ET DES TOILES. VOILA CE QUE JE SAIS DEDIEU , NE CHERCHE PAS A EN SAVOIR DAVANTAGE, CAR CELA PASSETA PORTE, QUELQUE SAGE QUE TU SOIS. AU RESTE, SACHE QUELHOMME INJUSTE ET MCHANT NE PEUT SE CACHER DEVANT DIEU.NI ADRESSE NI EXCUSE NE PEUVENT RIEN DGUISER A SES YEUXPERANTS. TOUT EST PLEIN DE DIEU, DIEU EST PARTOUT.

    - Vous voyez bien, mon fils, que cet oracle ne sent pas trop son dmon.

    - Du moins, rpondis-je, le dmon y sort assez de son caractre,

    - En voici un autre, dit-il, qui prche encore mieux.

    IL Y A EN DIEU UNE IMMENSE PROFONDEUR DE FLAMME & LE COEURNE DOIT POURTANT PAS CRAINDRE DE TOUCHER A CE FEUADORABLE OU DEN TRE TOUCH( IL NE SERA POINT CONSUM PARCE FEU SI DOUX, DONT LA CHALEUR TRANQUILLE ET PAISIBLE, FAITLA LIAISON, LHARMONIE ET LA DURE DU MONDE. RIEN NE SUBSISTEQUE PAR CE FEU, QUI EST DIEU MME. PERSONNE NE LA ENGENDR,

    IL EST SANS MRE, IL SAIT TOUT, ET ON NE LUI PEUT RIEN APPRENDRE

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    : IL EST INBRANLABLE DANS SES DESSEINS, ET SON NOM ESTINEFFABLE. VOILA CE QUE CEST QUE DIEU CAR POUR NOUS QUISOMMES SES MESSAGERS, NOUS NE SOMMES QUUNE PETITE PARTIEDE DIEU.

    - H bien ! Que dites-vous de celui-l ?

    - Je dirais de tous les deux, rpliquai-je, que Dieu peut forcer le pre dumensonge rendre tmoignage la Vrit.

    - En voici un autre, reprit le comte, qui va vous lever ce scrupule.

    ORACLE

    HLAS TRPIEDS, PLEUREZ ET FAITES LORAISON FUNBRE DE VOTREAPOLLON ; IL EST MORTEL IL VA MOURIR IL SETEINT, PARCE QUE LALUMIRE DE LA FLAMME CLESTE LE FAIT TEINDRE.

    - Vous voyez bien, mon enfant, que qui que ce puisse tre qui parle dans cesoracles, et qui explique si bien aux paens lEssence, lUnit, lImmensit,lternit de Dieu, il avoue quil est mortel et quil nest quune tincelle de

    Dieu. Ce nest donc pas le dmon qui parle puisquil est immortel et que Dieune le forcerait pas dire quil ne lest point. Il est arrt que Satan ne se divisepoint contre lui-mme. Est-ce le moyen de se faire adorer que de dire quil ny aquun Dieu ? Il dit quil est mortel; depuis quand le diable est-il si humble quede ster mme ses qualits naturelles ? vous voyez donc, mon fils, que si leprincipe de celui qui sappelle par excellence le Dieu des Sciences subsiste, ce nepeut tre le dmon qui a parl dans les oracles.

    - Mais si ce nest pas le dmon, lui dis-je, ou mentant de gaiet de cur, quandil se dit mortel ou disant vrai par force, quand il parle de Dieu, quoi donc

    votre cabale attribuera-t-elle tous les oracles que vous soutenez qui onteffectivement t rendus ? Sera ce lexhalaison de la terre, comme Aristote,Cicron et Plutarque ?

    - ah non, pas cela, mon enfant, dit le comte. Grce la sacre cabale, je nai paslimagination blesse jusqu ce point-l.

    - Comment, rpliquai je, tenez-vous cette opinion-l fort visionnaire ? Sespartisans sont pourtant gens de bon sens.

    - Ils ne le sont pas, mon fils, en ce point ici, continua-t-il, et il est impossible

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    dattribuer cette exhalaison tout ce qui 3est pass dans les oracles. Parexemple cet homme, chez Tacite, qui apparaissait en songe aux prtres duntemple dHercule en Armnie et qui leur commandait de lui tenir prts descoureurs quips pour la chasse. Jusque-l ce pourrait trelexhalaison, mais quand ces coureurs revenaient le voir tout outrs et lescarquois vides de flches, et que le lendemain on trouvait autant de btesmortes dans la fort quon avait mis de flches dans les carquois vous voyezbien que ce ne pouvait pas tre lexhalaison qui faisait cet effet ? Ctaitencore moins le diable, car ce serait avoir une notion peu raisonnable et peucabalistique du malheur de lennemi de Dieu, de croire quil lui ft permis de sedivertir courir la biche et le livre.

    - A quoi donc la sacre cabale, lui dis-je, attribue telle tout cela ?

    - Attendez rpondit-il. Avant que je vous dcouvre ce mystre, il faut que jegurisse bien votre esprit de la prvention o vous pourriez tre pour ce eprtendue exhalaison, car il me semble que vous avez cit avec emphaseAristote, Plutarque et Cicron, vous pouviez encore citer Jamblique qui, toutgrand esprit quil tait, fut quelque temps dans cette erreur quil qui a pourtantbientt, quand il eut examin la chose de prs dans le livredesMystres. PierredApone, Pomponace, Levinius, Sirenius et Lucilio Vanino sont ravis encoredavoir trouv cette dfaite dans quelques-uns des Anciens. Tous ces prtendusesprits forts qui, quand ils parlent des choses divines, disent plutt ce quilsdsirent que ce quils connaissent, ne veulent pas avouer rien de surhumaindans les oracles, de peur de reconnatre quelque chose au-dessus de lhomme.Ils ont peur quon leur fasse une chelle pour monter jusqu Dieu quilscraignent de connatre par les degrs des cratures spirituelles, et ils aimentmieux sen fabriquer une pour descendre dans le nant. Au lieu de slever versle ciel ils creusent la terre et, au lieu de chercher dans des tres suprieurs

    lhomme la cause de ces transports qui llvent au-dessus de lui-mme et lerendent une manire de divinit, ils attribuent faiblement des exhalaisonsimpuissantes cette force de pntrer dans lavenir, de dcouvrir les chosescaches et de slever jusquaux plus hauts secrets de lEssence divine.

    Telle est la misre de lhomme, quand lesprit de contradiction et lhumeur dePenser autrement que les autres le possde? Bien loin de parvenir ses fins, ilsenveloppe et sentrave. Ces libertins ne veulent pas assujettir lhomme dessubstances moins matrielles que lui, et ils lassujettissent une exhalaison; et,sans considrer quil ny a nul rapport entre cette chimrique fume et lme de

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    lhomme, entre cette vapeur et les choses futures, entre cette cause frivole et ceseffets miraculeux, il leur suffit dtre singuliers pour croire quils sontraisonnables. Cest assez pour eux de nier les esprits et de faire les esprits forts.

    - La singularit vous dplat donc fort, monsieur ? interrompis-je.

    - Ah? mon fils, me dit-il, cest la peste du bon sens et la pierre dachoppementdes plus grands esprits. Aristote, tout grand logicien quil est, na pu viter lepige o la fantaisie de la singularit mne ceux quelle travaille aussiviolemment que lui.

    - Il na su viter, dis-je, de sembarrasser et de se couper. Il dit dans le livre de lagnration des Animaux et dans ses Morales, que lesprit et lentendement delhomme lui vient de dehors et quil ne peut nous venir de notre pre; et par laspiritualit des oprations de notre me il conclut quelle est dune autre natureque ce compos matriel quelle anime, et dont la grossiret ne faitquoffusquer les spculations, bien loin de contribuer leur production.

    - Aveugle Aristote, puisque selon vous, notre compos matriel ne peut tre lasource de nos penses spirituelles, comment entendez-vous quune faible

    exhalaison puisse tre la cause des penses sublimes et de leffort que prennentles pythiens qui rendent les oracles? Vous voyez bien, mon enfant, que cetesprit fort se coupe et que la singularit le fait garer.

    - Vous raisonnez fort juste, monsieur, lui dis-je ravi de voir en effet quil parlaitde fort bon sens et esprant que sa folie ne serait pas un mal incurable, Dieuveuille que...

    - Plutarque, si solide dailleurs continua-t-il en minterrompant, fait piti dansson dialogue : Pourquoi les oracles ont cess? Il se fait objecter des choses

    convaincantes quil ne rsout point. que ne rpond-il donc ce quon lui dit ?Que si cest lexhalaison qui fait ce transport, tous ceux qui approchent dutrpied fatidique seraient saisis de lenthousiasme, et non pas une seule fille,encore faut-il quelle soit vierge. Mais comment cette vapeur peut-elle articulerdes voix par le ventre ? De plus cette exhalaison est une cause naturelle etncessaire qui doit faire son effet rgulirement et toujours; pourquoi cette fillenest elle agite que quand on la consulte ? Et ce qui presse le plus pourquoi laterre a-t-elle cern de pousser ainsi des vapeurs divines ? Est-elle moins terrequelle ntait ? Reoit-elle dautres influences? A-t-elle dautres mers et dautresfleuves ? Qui a donc ainsi bouch ses pores ou chang sa nature?

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    Jadmire Pomponace, Lucile et les autres libertins, davoir pris lide dePlutarque et davoir abandonn la manire dont il sexplique. Il avait parl plusjudicieusement que Cicron et Aristote, comme il tait homme de fort bon sens;et, ne sachant que conclure de tous ces oracles aprs une ennuyeuseirrsolution, il stait fix que cette exhalaison, quil croyait qui sortait de laterre, tait un esprit trs divin; ainsi il attribuait la divinit ces mouvements etces lumires extraordinaires des prtresses dApollon. Cette vapeur divinatriceest, dit-il, une haleine et un esprit trsdivinettrs saint.

    Pomponace, Lucile et les athes modernes ne saccommodent pas de ces

    faons de parler qui supposent la divinit. Ces exhalaisons, disent-ils, taientde la nature des vapeurs qui infestent les atrabilaires lesquels parlent deslangues quils nentendent pas. Mais Fernel rfute assez bien ces impies enprouvant que la bile, qui est une humeur peccante, ne peut causer cettediversit de langues qui est un des plus merveilleux effets de la considration etune expression artificielle de nos penses. Il a pourtant dcid la choseimparfaitement quand il a souscrit Psellus et tous ceux qui nont pas pntrassez avant dans notre sainte philosophie. Ne sachant o prendre les causes deces effets si surprenants, il a fait comme les femmes et les moines, et les a

    attribus au dmon.- A qui donc faudra-t-il les attribuer ? lui dis-je. Il y a longtemps que jattend cesecret cabalistique.- Plutarque mme la trs bien marqu, me dit-il, et il eut bien fait de sen tenul. Cette manire irrgulire de sexpliquer par un organe indcent ntant pasassez grave et assez digne de la majest des dieux, dit ce paen, et ce que lesoracles disaient surpassant aussi les forces de lme de lhomme, ceux-l ontrendu un grand service la philosophie, qui ont tabli des cratures mortellesentre les dieux et lhomme, auxquelles on peut rapporter tout ce qui surpasse la

    faiblesse humaine et qui napproche pas de la grandeur divine.

    Cette opinion est de toute lancienne philosophie. Les Platoniciens et lesPythagoriciens lavaient prise des gyptiens, et ceux-ci de Joseph le sauveur etdes Hbreux qui habitaient en gypte avant le passage de la mer Rouge. LesHbreux, appelaient ces substances qui sont entre lange et lhomme, Sadaim; etles Grecs, transposant les syllabes et najoutant quune lettre, les ont appelesDaimonas. Ces dmons sont chez les anciens philosophes une gent arienne,dominante sur les lments, mortelle, engendrante, mconnue dans ce sicle parceux qui recherchent peu la vrit dans son ancienne demeure, cest--dire dans

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    la cabale et dans la thologie des Hbreux, lesquels avaient par dvers eux lartparticulier dentretenir cette nation arienne et de converser avec tous ceshabitants de lAir.

    - Vous voil je pense, encore revenu vos sylphes, monsieur ? interrompis-je.

    Oui, mon fils, continua-t-il. Le Theraphim des Juifs ntait que la crmoniequil fallait observer pour ce commerce; et ce Juif Michas, qui se plaint dans leLivre des Juges quon lui a enlev ses dieux, ne pleure que la perte de la petitestatue dans laquelle les Sylphes lentretenaient. Le dieu que Rachel droba son

    pre tait encore un Theraphim. Michas ni Laban ne sont pas repris didoltrie,et Jacob net eu garde de vivre quatorze ans avec un idoltre ni den pouser lafille; ce ntait quun commerce de Sylphes, et nous savons, par tradition, que lasynagogue tenait ce commerce permis et que lidole de la femme de Davidntait que le Theraphim la faveur duquel elle entretenait les peupleslmentaires, car vous jugez bien que le Prophte du cur de Dieu net passouffert lidoltrie dans sa maison.

    Ces nations lmentaires, tant que Dieu ngligea le salut du monde enpunition du premier pch, prenaient plaisir expliquer aux hommes dans les

    oracles ce quelles savaient de Dieu, leur montrer vivre moralement, leurdonner des conseils trs sages et trs utiles, tels quon en voit un grand nombrechez Plutarque et dans tous les historiens.

    Ds que Dieu prit piti du monde et voulut devenir lui-mme son docteur,ces petits matres se retirent. De l vint le silence des oracles.

    - Il rsulte donc de tout votre discours, monsieur, repartis-je, quil y a euassurment des oracles, et que ctait les Sylphes qui les rendaient et qui lesrendent mme tous les jours dans des verres ou dans des miroirs.

    - Les Sylphes ou les Salamandres, les Gnomes ou les Ondins, reprit le comte.- Si cela est, monsieur, rpliquai-je, tous vos peuples lmentaires sont bienmalhonntes gens. .- Pourquoi donc ? dit-il.

    -H peut-on rien voir de plus fripon, poursuivis je, que toutes ces rponses double sens quils donnaient toujours.

    - Toujours? reprit-il, ah non, pas toujours. Cette Sylphide qui apparut ce

    Romain en Asie et qui lui prdit quil y reviendrait un jour avec la dignit de

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    proconsul, parlait-elle bien obscurment ? Et Tacite ne dit-il pas que la chosearriva comme elle avait t prdite ? Cette inscription et ces statues fameusesdans lhistoire dEspagne, qui apprirent au malheureux roi Rodrigues que sacuriosit et son incontinence seraient punies par des hommes habills et armsde mme quelles ltaient, et que ces hommes noirs sempareraient delEspagne et y rgneraient longtemps ? Tout cela pouvait-il tre plus clair, etlvnement ne le justifia-t-il pas lanne mme? Les Mores ne vinrent-ils pasdtrner ce roi effmin? Vous en savez lhistoire, et vous voyez bien que lediable, qui depuis le rgne du Messie ne dispose pas des empires, na pas putre auteur de cet oracle, et que a t assurment quelque grand cabaliste quilavait appris de quelque salamandre des plus savants. Car comme lesSalamandres aiment fort la chastet, ils nous apprennent volontiers lesmalheurs qui doivent arriver au monde par le dfaut de cette vertu.

    - Mais, monsieur, lui dis-je, trouvez-vous bien chaste et bien digne de la pudeurcabalistique, cet organe htroclite dont ils se servaient pour prcher leurmorale ?

    - Ah pour cette fois, dit le comte en riant, vous avez limagination blesse, etvous ne voyez pas la raison physique qui fait que le Salamandre enflamm seplat naturellement dans les lieux les plus igns, et est attir par...

    - Jentends, jentends, interrompis-je, ce nest pas la peine de vous expliquerplus au long.

    - Quant lobscurit de quelques oracles, poursuivit-il srieusement, que vousappelez friponnerie, les tnbres ne sont-elles pas lhabit ordinaire de la vrit ?Dieu ne se plat il pas se cacher de leur voile sombre, et loracle continuel quila laiss ses enfants la divine Ecritures nest elle pas enveloppe duneadorable obscurit, qui confond et fait garer les superbes autant que sa lumireguide les humbles ?

    Si vous navez que cette difficult, mon fils, je ne vous conseille pas dediffrer dentrer en commerce avec les peuples lmentaires. Vous les trouvereztrs honntes gens, savants bienfaisants craignant Dieu. Je suis davis que vouscommenciez par les Salamandres : car vous avez un Mars au haut du ciel dansvotre figure; ce qui veut dire quil y a bien du feu dans toutes vos actions. Etpour le mariage je suis davis que vous preniez une Sylphide; vous serez plusheureux avec elle quavec les autres, car vous avez Jupiter la pointe de votre

    ascendant que Vnus regarde dun sextil. Or Jupiter prside lair et aux

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    peuples de lair. Toutefois il faut consulter votre cur l-dessus; car commevous verrez un jour, cest par les astres intrieurs que le Sage se gouverne, et lesastres du ciel extrieur ne servent qu lui faire connatre plus srement lesaspects des astres du ciel intrieur qui est en chaque crature. Ainsi, cest vous me dire maintenant quelle est votre inclination, afin que nous procdions votre alliance avec les peuples lmentaires qui vous plairont le mieux.

    - Monsieur, rpondis-je, cette affaire demande mon avis un peu deconsultation.

    - Je vous estime pour cette rponse, me dit-il mettant la main sur mon paule.Consultez mrement cette affaire, surtout avec celui qui se nomme parexcellence lange du Grand Conseil : allez-vous mettre en prire, et jirai demainchez vous deux heures aprs midi.

    Nous revnmes Paris. Je le remis durant le chemin sur le discours contre lesathes et les libertins : je nai jamais ou si bien raisonner ni dire des choses sihautes et si solides pour lexistence de Dieu et contre laveuglement de ceux quipassent leur vie sans se donner tout entier un culte srieux et continuel deCelui de qui nous tenons et qui nous conserve notre tre. Jtais surpris du

    caractre de cet homme, et je ne pouvais comprendre comme il pouvait tre tout la fois si fort et si faible, si admirable et si ridicule.

    QUATRIME ENTRETIEN SUR LES SCIENCES SECRTES

    JATTENDIS chez moi M. le comte de Gabalis, comme nous lavions arrt ennous quittant. Il vint lheure marque, mabordant dun air riant.

    - Eh bien mon fils, me dit-il, pour quelle espce de peuples invisibles Dieu vousdonne-t-il plus de penchant, et quelle alliance aimerez-vous mieux, celle des

    Salamandres ou des Gnomes, des Nymphes ou des Sylphides?- Je nai pas encore tout fait rsolu ce mariage, monsieur, repartis je.

    - A quoi tient-il donc ? reprit-il.

    - Franchement, monsieur, lui dis-je, je ne puis gurir mon imagination; elle mereprsente toujours ces prtendus htes des lments comme des tiercelets dediables.

    - O Seigneur scria-t-il, dissipez, Dieu de lumire, les tnbres que

    lignorance et la perverse ducation ont rpandu dans lesprit de cet lu, que

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    vous mavez fait connatre et que vous destinez de si grandes choses. Et vous,mon fils, ne fermez pas le passage la vrit qui veut entrer chez vous; soyezdocile. Mais non, je vous dispense de ltre : car aussi bien est-il injurieux lavrit de lui prparer les voies. Elle sait forcer les portes de fer, et entrer o elleveut, malgr toute la rsistance du mensonge. Que pouvez-vous avoir luiopposer ? Est-ce que Dieu na pu crer ces substances dans les lments tellesque je les ai dpeintes ?

    - Je nai pas examin, lui dis-je, sil y a de limpossibilit dans la chose mme, siun seul lment peut fournir du sang, de la chair et des os, sil peut y avoir un

    temprament sans mlange, et des actions sans contrarit ; mais supposez queDieu ait pu le faire, quelle preuve solide y a-t-il quil la fait ?

    - Voulez-vous en tre convaincu tout lheure, reprit-il sans tant de faons. Jemen vais faire venir les Sylphes de Cardan, vous entendrez de leur proprebouche ce quils font, et ce que je vous en ai appris.

    - Non, pas cela, monsieur, sil vous plat, mcriai-je brusquement, diffrez, jevous en conjure, cette espce de preuve, jusqu ce que je sois persuad que cesgens-l ne sont pas ennemis de Dieu ; car jusque-l jaimerais mieux mourir que

    de faire ce tort ma conscience de...

    - Voil voil lignorance et la fausse pit de ces temps malheureux interrompitle comte dun ton colre. Que nefface-t-on donc du calendrier des saints le plusgrand des anachortes ? Et que ne brle-t-on ses statues ? Cest grand dommagequon ninsulte pas ses cendres vnrables et quon ne les jette au vent,comme on ferait de celles des malheureux qui sont accuss davoir eucommerce avec les dmons . Sest-il avis dexorciser les Sylphes? et ne les a-t-il pas traits en hommes ? Quavez-vous dire cela, monsieur le scrupuleux,vous, et tous vos docteurs misrables ? Le sylphe qui discourut de sa natureavec ce patriarche, votre avis, tait-ce un tiercelet de dmon ? Est-ce avec unlutin que cet homme incomparable confra de lvangile ? Et laccusez-vousdavoir profan les mystres adorables en sen entretenant avec un fantmeennemi de Dieu? Athanase et Jrme sont donc bien indignes du grand nomquils ont parmi vos savants, davoir dcrit avec tant dloquence lloge dunhomme qui traitait les diables si humainement ? sils prenaient ce sylphe pourun diable, il fallait ou cacher laventure, ou retrancher la prdication en espritou cette apostrophe si pathtique que lanachorte plus zl et plus crdule quevous fait la ville dAlexandrie; et sils lont pris pour une crature ayant part,

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    comme il lassurait, la Rdemption aussi bien que nous, et si cette apparitionest leur avis une grce extraordinaire que Dieu faisait au saint dont ils criventla vie, tes-vous raisonnable de vouloir tre plus savant quAthanase et Jrme,et plus saint que le divin Antoine ? Queussiez-vous dit cet homme admirablesi vous aviez t du nombre des dix mille solitaires qui il raconta laconversation quil venait davoir avec le sylphe? Plus sage et plus clair quetous ces anges terrestres, vous eussiez sans doute remontr au saint abb quetoute son aventure ntait quune pure illusion, et vous eussiez dissuad sondisciple Athanase de faire savoir, toute la terre, une histoire si peu conforme la religion, la philosophie et au sens commun. Nest-il pas vrai?

    - Il est vrai, lui dis-je, que jeusse t davis, ou de nen rien dire du tout, ou dendire davantage.

    - Athanase et Jrme navaient garde, reprit-il, den dire davantage; car ils nensavaient que cela, et quand ils auraient tout su, ce qui ne peut tre si lon nestdes ntres, ils neussent pas divulgu tmrairement les secrets de la Sagesse.

    - Mais pourquoi, repartis-je, ce Sylphe ne proposa-t-il pas saint Antoine ce quevous me proposez aujourdhui ?

    - Quoi, dit le comte en riant, le mariage ? Ah ceut t bien propos ?

    - Il est vrai, repris-je, quapparemment le bon homme neut pas accept le parti.

    - Non, srement, dit le comte, car cet t tenter Dieu de se marier cet ge-let de lui demander des enfants.

    - Comment, repris-je, est-ce quon se marie ces Sylphes pour en avoir desenfants ?- Pourquoi donc, dit-il, est-ce quil est jamais permis de se marier pour une

    autre fin ?

    - Je ne pensais pas, rpondis-je, quon en prtendit ligne, et je croyaisseulement que tout cela naboutissait qu immortaliser les Sylphides.

    - Ah vous aviez tort, poursuivit-il, la charit des philosophes fait quils seproposent pour fin limmortalit des Sylphides : mais la Nature fait quilsdsirent de les voir fcondes. Vous verrez, quand vous voudrez, dans les airsces familles philosophiques. Heureux le monde, sil navait que de ces familles,et sil ny avait pas des enfants de pch.

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    - Quappelez-vous enfants de pch, monsieur ? interrompis-je.- Ce sont, mon fils, continua-t-il, ce sont tous les enfants qui naissent par la voieordinaire; enfants conus par la volont de la chair, non pas par la volont deDieu; enfants de colre et de maldiction, en un mot, enfants de lhomme et dela femme. Vous avez envie de minterrompre, je vois bien ce que vous voulezme dire oui, mon enfant, sachez que ce ne fut jamais la volont du Seigneur quelhomme et la femme eussent des enfants comme ils en ont. Le dessein du trssage ouvrier tait bien plus noble; il voulait bien autrement peupler le mondequil ne lest. Si le misrable Adam neut pas dsobi grossirement lordre

    quil avait de Dieu de ne toucher point Eve et quil se fut content de tout lereste des fruits du jardin de volupt, de toutes les beauts des Nymphes et desSylphides, le monde net pas eu la honte de se voir rempli dhommes, siimparfaits quils peuvent passer pour des monstres auprs des Enfants desPhilosophes.

    - Quoi, monsieur, lui dis-je, vous croyez, ce que je vois, que le crime dAdamest autre chose quavoir mang la pomme ?

    - Quoi, mon fils, reprit le comte, tes-vous du nombre de ceux qui ont la

    simplicit de prendre lhistoire de la pomme la lettre ? Ah sachez que lalangue sainte use de ces innocentes mtaphores pour loigner de nous les idespeu honntes dune action qui a caus tous les malheurs du genre humain.Ainsi quand Salomon disait, je veux monter sur la palme, et jen veux cueillir lesfruits, il avait un autre apptit que de manger des dattes. Cure langue que lesanges consacrent, et dont ils se servent pour chanter des hymnes au Dieuvivant, na point de terme qui exprime ce quelle nomme figurment, lappelant

    pommeoudatte. Mais le sage dmle aisment ces chastes figures. Quand il voitque le got et la bouche dEve ne sont point punis et quelle accouche avec

    douleur, il connat que ce nest pas le got qui est criminel et, dcouvrant quelfut le premier pch par le soin que prirent les premiers pcheurs de cacheravec des feuilles certains endroits de leur corps, il conclut que Dieu ne voulaitpas que les hommes fussent multiplis par cette lche voie. O Adam? tu nedevais engendrer que des hommes semblables toi ou nengendrer que deshros ou des gants.

    - H quel expdient avait-il, interrompis-je, pour lune ou pour lautre de cesgnrations merveilleuses ?

    - Obir Dieu, rpliqua-t-il, ne toucher quaux Nymphes, aux Gnomes, aux

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    Sylphides ou aux Salamandres. Ainsi il net vu natre que des hros, etlunivers et t peupl de gens tous merveilleux, et remplis de force et desagesse. Dieu a voulu faire conjecturer la diffrence quil y et eu entre cemonde innocent et le monde coupable que nous voyons, en permettant detemps en temps quon vt des enfants ns de la force quil lavait projet ?

    - On a donc vu quelquefois monsieur, lui dis-je, de ces enfants des lments? Etun licenci de Sorbonne, qui me citait lautre jour saint Augustin, saint Jrmeet Grgoire de Nazianze, sest donc mpris, en croyant quil ne peut natreaucun fruit de ces amours des esprits pour nos femmes, ou du commerce que

    peuvent avoir les hommes avec certains dmons quil nommait hyphialtres.

    - Lactance a mieux raisonn, reprit le comte, et le solide Thomas dAquin asavamment rsolu que non seulement ces commerces peuvent tre fconds,mais que les enfants qui en naissent sont dune nature bien plus gnreuse etplus hroque. Vous lirez en effet quand il vous plaira les hauts faits de ceshommes puissants et fameux que Mose dit qui sont ns de la force; nous enavons les histoires par dvers nous dans le livre des guerres du Seigneur, citau vingt-troisime chapitre des Nombres. Cependant jugez de ce que le mondeserait, si tous ces habitants ressemblaient par exemple Zoroastre.

    - Zoroastre, lui dis-je, quon dit qui est auteur de la Ncromance?

    - Cest lui-mme, dit le comte, de qui les ignorants ont crit cette calomnie. Ilavait lhonneur dtre fils du Salamandre Oromasis et de Vesta, femme de No.Il vcut douze cents ans le plus sage monarque du monde, et puis fut enlev parson pre Oromasis dans la rgion des Salamandres.

    - Je ne doute pas, lui dis-je, que Zoroastre ne soit avec le Salamandre Oromasisdans la rgion du feu : mais je ne voudrais pas faire No loutrage que vous

    lui faites.

    - Loutrage nest pas si grand que vous pourriez croire, reprit le comte, tous cespatriarches-l tenaient grand honneur dtre les pres putatifs des enfants,que les enfants de Dieu voulaient avoir de leurs femmes, mais ceci est encoretrop fort pour vous. Revenons Oromasis; il fut aim de Vesta, femme de No.Cette Vesta, tant morte, fut le gnie tutlaire de Rome et le feu sacr quellevoulait que des vierges conservassent avec tant de soin tait en lhonneur duSalamandre son amant. Outre Zoroastre, il naquit de leur amour une fille dunebeaut rare et dune sagesse extrme; ctait la divine grie, de qui Numa

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    Pompilius reut toutes les lois. Elle obligea Numa, quelle aimait, de faire btirun temple Vesta sa mre, o on entretiendrait le feu sacr en lhonneur de sonpre Oromasis. Voil la vrit de la fable, que les potes et les historiensromains ont conte de cette nymphe grie. Guillaume Postel (le moinsignorant de tous ceux qui ont tudi la cab