monde 3 en 1 du mercredi 25 mars

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Mercredi 25 mars 2015 - 71 e année - N o 21830 - 2,20 € - France métropolitaine - www.lemonde.fr Fondateur : Hubert Beuve-Méry Algérie 180 DA, Allemagne 2,50 €, Andorre 2,40 €, Autriche 2,80 €, Belgique 2,20 €, Cameroun 1 900 F CFA, Canada 4,50 $, Côte d'Ivoire 1 900 F CFA, Danemark 30 KRD, Espagne 2,50 €, Finlande 4 €, Gabon 1 900 F CFA, Grande-Bretagne 1,90 £, Grèce 2,50 €, Guadeloupe-Martinique 2,40 €, Guyane 2,80 €, Hongrie 950 HUF, Irlande 2,50 €, Italie 2,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,20 €, Malte 2,50 €, Maroc 13 DH, Pays-Bas 2,50 €, Portugal cont. 2,50 €, La Réunion 2,40 €, Sénégal 1 900 F CFA, Slovénie 2,50 €, Saint-Martin 2,80 €, Suisse 3,50 CHF, TOM Avion 450 XPF, Tunisie 2,50 DT, Turquie 9 TL, Afrique CFA autres 1 900 F CFA L e président de l’UMP, Nico- las Sarkozy, l’a réaffirmé mardi 24 mars, au lende- main du premier tour des élec- tions départementales : il est fa- vorable à la suppression des me- nus de substitution dans les cantines scolaires pour les en- fants ne mangeant pas de porc. « Il y a une crise républicaine grave, a déclaré sur RTL l’ancien chef de l’Etat. La République, c’est la laïcité, et la laïcité ne doit pas souffrir d’exception. » Comme toujours quand la Répu- blique est perçue comme mena- cée, c’est l’école qu’on appelle au secours. D’où, depuis les attentats de janvier, l’insistance sur le « sanctuaire laïque » qu’elle de- vrait être. Un discours accentué par la tentation de séduire les élec- teurs du Front national. LIRE LA SUITE PAGE 12 Le cinéaste Eugène Green, né aux Etats-Unis, a fait de la langue française sa patrie d’adoption et son terrain d’expérimentation. Son film La Sapienza fait enten- dre des mots et des liaisons oubliés, dans la bouche d’un cou- ple qui se réinvente en partant en Italie. Sur les écrans, on trouvera aussi A trois on y va , un jeu sur le trio amoureux, de Jérôme Bon- nell, illuminé par l’actrice Anaïs Demoustier, souvent attirée par des personnages aux amours singulières. Enfin, Dear White People, une comédie universi- taire, suit Samantha, animatrice d’un talk-show sur un campus imaginaire. Le film en profite pour explorer, avec humour et intelligence, le thème de la ques- tion raciale aux Etats-Unis. LIRE PAGES 18 À 21 ANALYSE LAÏCITÉ À L’ÉCOLE : DU VIVRE-ENSEMBLE À L’EXCLUSION par aurélie collas La verte Italie du cinéaste Eugène Green CINÉMA FRANCE DES ORGANES BIENTÔT PRÉLEVÉS SANS LE CONSENTEMENT DES FAMILLES LIRE PAGE 14 ASIE : LES LEÇONS DU MODÈLE LEE KUAN YEW LIRE PAGE 25 SWISSLEAKS BLANCHIMENT : L’AUTRE SCANDALE DE PANAMA LIRE PAGE 15 ÉCONOMIE FAUT-IL SUPPRIMER LE STATUT D’AUTO- ENTREPRENEUR ? LIRE LE CAHIER ÉCO P. 6-7 PLANÈTE EBOLA : UNE LUTTE SANS FIN EN AFRIQUE DE L’OUEST LIRE PAGE 7 L’inquiétante montée en puissance de l’Iran Six heures pour mettre fin au dialogue de sourds Alexis Tsipras et Angela Merkel, à Berlin, le 23 mars. TOBIAS SCHWARZ/AFP Angela Merkel a reçu longuement le premier ministre grec, Alexis Tsipras, dans sa chancellerie, à Berlin EUROPE CAHIER ÉCO P. 3 SCIENCE & MÉDECINE BÊTES CHERCHEUSES SUPPLÉMENT U ne inquiétude sourde monte dans les chancel- leries occidentales : l’Iran chiite ne risque-t-il pas de devenir trop puissant alors que le monde arabe n’en finit pas de se déchirer ? Sur quatre fronts, Téhéran marque des points. D’abord à Damas, allié du régime des mollahs depuis la révolution iranienne de 1979. Les combat- tants iraniens sont tellement présents qu’un haut responsable des gardiens de la révolution ira- nien a pu écrire : « Bachar Al-As- sad fait la guerre en Syrie comme notre adjoint. » Deuxième front, l’Irak. Téhéran et les Occidentaux y combattent les djihadistes sunnites de l’Etat islamique (EI). Mais, à Washing- ton, l’on s’inquiète d’une emprise croissante de l’Iran sur l’Irak. Que se passera-t-il lorsque l’Etat isla- mique sera battu ? « Est-ce que le gouvernement de l’Irak va rester désireux de maintenir un gouver- nement inclusif » qui fasse place notamment aux sunnites ?, s’est inquiété le chef d’état-major amé- ricain, Martin Dempsey, devant la commission des affaires étrangè- res du Sénat. Troisième front, la négociation sur le nucléaire iranien, qui per- mettrait à l’Iran de faire son re- tour sur la scène mondiale si elle aboutissait. Les tensions sont vi- ves entre les Français, réputés plus durs dans la négociation, et l’administration Obama, pressée de conclure un accord politique d’ici à fin mars, quitte à imposer des conditions moins strictes à Téhéran. L’ambassadeur de France à Washington, Gérard Araud, a agacé le département d’Etat en écrivant que « faire de la fin mars une limite absolue est contre-productif et dangereux ». S’y ajoute la pression du premier ministre israélien, Benyamin Né- tanyahou, qui s’oppose à l’accord en cours avec Téhéran. Enfin, un nouveau front s’est ouvert au Yémen, où des milices houthistes, proches de Téhéran, ont fait tomber le régime pro- américain. LIRE PAGES 2-3 Comment l’enracinement du FN s’est étendu sur tout le territoire Les résultats du premier tour des élections départe- mentales ont fait apparaî- tre une poussée du FN dans des territoires où il était encore peu implanté Loin de pénaliser le parti de Marine Le Pen, le nou- veau mode de scrutin a éliminé des candidats PS ou UMP et a imposé le tripartisme Reportage dans un can- ton de l’Aisne, miroir d’une France coupée en trois, où le président PS a perdu un scrutin, pour la première fois depuis 1983 La projection du vote sur les élections régionales de décembre laisse présager une victoire de la droite dans sept régions LIRE PAGES 8 À 11, 16 ET 25 La négociation nucléaire se télescope avec les conflits arabes THE INNOVATORS OF COMFORT™ Imaginer le confort www.stressless.fr/PR Fabriqué en Norvège Depuis 1934 RCS Pau 351 150 859 Stressless ® Metro

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Le Monde magazine25 march 2015

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Page 1: Monde 3 en 1 Du Mercredi 25 Mars

Mercredi 25 mars 2015 ­ 71e année ­ No 21830 ­ 2,20 € ­ France métropolitaine ­ www.lemonde.fr ― Fondateur : Hubert Beuve­Méry

Algérie 180 DA, Allemagne 2,50 €, Andorre 2,40 €, Autriche 2,80 €, Belgique 2,20 €, Cameroun 1 900 F CFA, Canada 4,50 $, Côte d'Ivoire 1 900 F CFA, Danemark 30 KRD, Espagne 2,50 €, Finlande 4 €, Gabon 1 900 F CFA, Grande-Bretagne 1,90 £, Grèce 2,50 €, Guadeloupe-Martinique 2,40 €, Guyane 2,80 €, Hongrie 950 HUF, Irlande 2,50 €, Italie 2,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,20 €, Malte 2,50 €, Maroc 13 DH, Pays-Bas 2,50 €, Portugal cont. 2,50 €, La Réunion 2,40 €, Sénégal 1 900 F CFA, Slovénie 2,50 €, Saint-Martin 2,80 €, Suisse 3,50 CHF, TOM Avion 450 XPF, Tunisie 2,50 DT, Turquie 9 TL, Afrique CFA autres 1 900 F CFA

L e président de l’UMP, Nico­las Sarkozy, l’a réaffirmémardi 24 mars, au lende­

main du premier tour des élec­tions départementales : il est fa­vorable à la suppression des me­nus de substitution dans les cantines scolaires pour les en­fants ne mangeant pas de porc. « Il y a une crise républicaine grave, a déclaré sur RTL l’ancien chef de l’Etat. La République, c’est

la laïcité, et la laïcité ne doit pas souffrir d’exception. »

Comme toujours quand la Répu­blique est perçue comme mena­cée, c’est l’école qu’on appelle au secours. D’où, depuis les attentats de janvier, l’insistance sur le « sanctuaire laïque » qu’elle de­vrait être. Un discours accentué par la tentation de séduire les élec­teurs du Front national.

→ L IRE L A SUITE PAGE 12

Le cinéaste Eugène Green, né aux Etats­Unis, a fait de la langue française sa patrie d’adoption et son terrain d’expérimentation. Son film La Sapienza fait enten­dre des mots et des liaisons oubliés, dans la bouche d’un cou­ple qui se réinvente en partant en Italie.

Sur les écrans, on trouvera aussi A trois on y va , un jeu sur le trio amoureux, de Jérôme Bon­

nell, illuminé par l’actrice Anaïs Demoustier, souvent attirée par des personnages aux amours singulières. Enfin, Dear White People, une comédie universi­taire, suit Samantha, animatrice d’un talk­show sur un campus imaginaire. Le film en profite pour explorer, avec humour et intelligence, le thème de la ques­tion raciale aux Etats­Unis.

→ L IRE PAGES 18 À 21

ANALYSE

LAÏCITÉ À L’ÉCOLE :DU VIVRE-ENSEMBLE

À L’EXCLUSIONpar aurélie collas

La verte Italiedu cinéaste

Eugène Green

CINÉMA

FRANCEDES ORGANES BIENTÔT PRÉLEVÉS SANS LE CONSENTEMENT DES FAMILLES→ LIRE PAGE 14

ASIE : LES LEÇONS DU MODÈLE LEE KUAN YEW→ L IRE PAGE 25

SWISSLEAKSBLANCHIMENT : L’AUTRE SCANDALE DE PANAMA→ LIRE PAGE 15

ÉCONOMIEFAUT-IL SUPPRIMER LE STATUT D’AUTO-ENTREPRENEUR ?→ LIRE LE CAHIER ÉCO P. 6-7

PLANÈTEEBOLA : UNE LUTTE SANS FIN EN AFRIQUE DE L’OUEST→ LIRE PAGE 7

L’inquiétante montée en puissance de l’Iran

Six heures pour mettre fin au dialogue de sourds

Alexis Tsipras et Angela Merkel, à Berlin, le 23 mars. TOBIAS SCHWARZ/AFP

▶ Angela Merkel a reçu longuement le premier ministre grec, Alexis

Tsipras, dans sa chancellerie, à Berlin

EUROPE → CAHIER ÉCO P. 3

SCIENCE & MÉDECINE

BÊTES CHERCHEUSESSUPPLÉMENT

U ne inquiétude sourdemonte dans les chancel­leries occidentales :

l’Iran chiite ne risque­t­il pas dedevenir trop puissant alors quele monde arabe n’en finit pas dese déchirer ? Sur quatre fronts, Téhéran marque des points.D’abord à Damas, allié du régimedes mollahs depuis la révolutioniranienne de 1979. Les combat­tants iraniens sont tellementprésents qu’un haut responsabledes gardiens de la révolution ira­nien a pu écrire : « Bachar Al-As-sad fait la guerre en Syrie commenotre adjoint. »

Deuxième front, l’Irak. Téhéranet les Occidentaux y combattentles djihadistes sunnites de l’Etat

islamique (EI). Mais, à Washing­ton, l’on s’inquiète d’une emprise croissante de l’Iran sur l’Irak. Que se passera­t­il lorsque l’Etat isla­mique sera battu ? « Est-ce que legouvernement de l’Irak va resterdésireux de maintenir un gouver-nement inclusif » qui fasse placenotamment aux sunnites ?, s’est inquiété le chef d’état­major amé­ricain, Martin Dempsey, devant lacommission des affaires étrangè­res du Sénat.

Troisième front, la négociationsur le nucléaire iranien, qui per­mettrait à l’Iran de faire son re­tour sur la scène mondiale si elleaboutissait. Les tensions sont vi­ves entre les Français, réputésplus durs dans la négociation, et

l’administration Obama, presséede conclure un accord politiqued’ici à fin mars, quitte à imposerdes conditions moins strictes àTéhéran. L’ambassadeur de France à Washington, GérardAraud, a agacé le départementd’Etat en écrivant que « faire dela fin mars une limite absolue estcontre-productif et dangereux ».S’y ajoute la pression du premierministre israélien, Benyamin Né­tanyahou, qui s’oppose à l’accorden cours avec Téhéran.

Enfin, un nouveau front s’estouvert au Yémen, où des miliceshouthistes, proches de Téhéran,ont fait tomber le régime pro­américain.

→ L IRE PAGES 2-3

Comment l’enracinement du FN s’est étendu sur tout le territoire▶ Les résultats du premier tour des élections départe­mentales ont fait apparaî­tre une poussée du FN dans des territoires où il était encore peu implanté

▶ Loin de pénaliser le parti de Marine Le Pen, le nou­veau mode de scrutin a éliminé des candidats PS ou UMP et a imposé le tripartisme

▶ Reportage dans un can­ton de l’Aisne, miroir d’une France coupée en trois, où le président PS a perdu un scrutin, pour la première fois depuis 1983

▶ La projection du vote sur les élections régionales de décembre laisse présager une victoire de la droite dans sept régions→ L IRE PAGES 8 À 11, 16 ET 25

▶ La négociation nucléaire se télescope avec les conflits arabes

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Page 2: Monde 3 en 1 Du Mercredi 25 Mars

2 | international MERCREDI 25 MARS 2015

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au sud de Damas, d’Ali Reza Tava­soli, le leader de la brigade Al­Fati­miyoun, composée d’Afghans chii­tes, principalement azéris, réputésmeilleur marché que les merce­naires libanais ou irakiens. Quel­que temps plus tôt, Tavasoli était apparu en photo, bras dessus, brasdessous avec Ghassem Soleimani, l’architecte en chef de la stratégie d’expansion iranienne. « La mon-tée en puissance des milices chiitesnon syriennes s’explique par l’inca-pacité du régime Assad à pallier sespertes et par le peu d’estime que les pasdarans ont pour les troupes ré-gulières », analyse Noah Bonsey, de l’International Crisis Group.

En Irak, l’influence de Téhéran suscite les inquiétudes américainesLe chef d’état-major Martin Dempsey craint de voir les sunnites exclus du gouvernement une fois l’Etat islamique vaincu

washington - correspondant

L’ inquiétude commence àsourdre au sein de l’admi-nistration américaine à

propos de l’implication de l’Iran contre un ennemi commun en Irak, l’organisation Etat islamique (EI). Coïncidant avec des négocia-tions délicates sur le dossier dunucléaire iranien, elle concerne tout d’abord une éventuelle re-prise des affrontements fratrici-des entre sunnites et chiites qui pourrait succéder aux offensives contre les positions djihadistes, comme à Tikrit, où les combats se livrent sans implication améri-caine. Le 11 mars, le chef d’état-ma-jor, Martin Dempsey, avait fait

part de ses préoccupations. « Que se passera-t-il une fois que les tam-bours auront cessé de retentir ? » etque l’EI battu, s’était-il interrogé. « Est-ce que le gouvernement de l’Irak va rester désireux de mainte-nir un gouvernement inclusif qui fasse une place » à toutes les com-posantes du pays ?, avait-il ajouté.

Washington avait subordonnéà l’été ses bombardements aé-riens pour bloquer l’avance inexorable des troupes de l’EI audépart du premier ministre d’alors, Nouri Al-Maliki, dont lesectarisme avait été perçucomme un facteur jouant en fa-veur de l’organisation terroristesunnite. Son remplacement par Haïder Al-Abadi, qui sera reçu en

avril à la Maison Blanche, avaitété obtenu de haute lutte.

Martin Dempsey a égalementassuré que les Etats-Unis suivent àla loupe le comportement des mi-lices chiites pilotées par la Répu-blique islamique d’Iran engagées dans les combats pour identifier toute forme de « punition ou de nettoyage ethnique » visant les po-pulations sunnites passées briève-ment sous contrôle djihadiste. Al’époque, l’armée américaine as-surait n’avoir pas détecté de phé-nomène massif et, le 13 mars, la Maison Blanche s’était félicitée des appels à la retenue lancés par le grand ayatollah Ali Al-Sistani.

Une autre source d’inquiétudeconcerne l’implication ostensible

de l’Iran dans les combats. En sep-tembre, Ghassem Soleimani, le patron de la force Al-Qods, unité d’élite des gardiens de la révolu-tion qui figure sur la liste améri-caine des organisations terroris-tes, avait déjà été repéré à Amerli, à une centaine de kilomètres de lafrontière avec l’Iran.

« C’est inacceptable »

En mars, sa présence supposée aux avant-postes de Tikrit a sus-cité l’ire du président de la com-mission des forces armées du Sé-nat, le républicain John McCain : « C’est le même homme qui avaitfait parvenir des milliers d’engins explosifs improvisés à l’origine de la mort de centaines de soldats et

de marines. Ce n’est pas seulement incroyable, c’est inacceptable. »

David Petraeus, l’ancien res-ponsable militaire du « surge » (« poussée ») américain en 2007qui avait permis de stabiliserl’Irak jusqu’au départ des troupesaméricaines, en 2011, a aussi mul-tiplié les entretiens pour affir-mer que Washington se trompaitd’ennemi parce que la menace à long terme pour l’Irak n’est pas, selon lui, l’EI mais les milices chiites téléguidées par l’Iran. Ledirecteur de la CIA, John Bren-nan, a ajouté le 22 mars sa voix àce concert en estimant déstabili-satrice l’implication « particuliè-rement active » de Ghassem So-leimani dans ce pays. « Je ne con-

sidère pas actuellement l’Iran comme un allié en Irak », a-t-ilajouté, précisant que les Etats-Unis tentaient de limiter l’in-fluence de Téhéran sur Bagdad.

La tournure des événements auYémen a de quoi alimenter les in-quiétudes américaines. En sep-tembre, M. Obama avait cité le pays comme un succès, s’agissantd’une stratégie visant à appuyer les troupes yéménites régulièresengagées en première ligne. Mais le délitement des institutionssous les coups de boutoir des mili-ces houthistes, qui entretiennent des contacts avec Téhéran, vientprécisément de priver Washing-ton de son allié au sol. p

gilles paris

beyrouth - correspondant

C’est l’un de ceslapsus quiéchappent detemps à autreaux militairesiraniens mais

pas à leurs opposants. En mai 2014, le général Hossein Ha-medani, haut responsable des Gardiens de la révolution (pasda-ran), l’unité d’élite de la Républi-que islamique, déclare que « Ba-char Al-Assad fait la guerre en Sy-rie comme notre adjoint ». Ces propos, sous-entendant que les combats contre les insurgés sy-riens sont conduits depuis Téhé-ran, sont rapportés par l’agence semi-officielle Fars, avant d’être retirés de son site Internet, au bout de quelques heures. Un délaisuffisant pour attirer l’attentiondes milieux hostiles au régimechiite, qui ont procédé à une cap-ture écran de cet aveu fort peu di-plomatique mais très révélateur.

Quatre ans après le début de laguerre en Syrie, le niveau d’impli-cation de l’Iran dans les affaires durégime Assad n’a jamais été aussi élevé. L’alliance entre Damas et Téhéran a été scellée en 1979, aulendemain de la révolution ira-nienne, sur la base de leur hosti-lité commune au régime baasiste irakien et à Israël. En février 2015, le général Ghassem Soleimani, le chef de la force Al-Qods, la bran-che extérieure des pasdarans, s’estrendu dans la province de Deraa, dans le sud du pays. Dans l’offen-sive lancée ce mois-là contre les positions rebelles autour de De-raa, les paramilitaires chiites pa-tronnés par Téhéran ont eu, de l’avis de tous les observateurs, un rôle sans précédent. Les Libanais du Hezbollah, mais aussi les Ira-kiens et les Afghans, rassemblés en milices calquées sur le modèle des bassidjis, le bras répressif des ayatollahs, ont opéré non pas tant comme supplétifs des forces régu-lières syriennes que comme leur quasi-substitut.

« Nous sommes confrontés àune occupation iranienne, accuse le major Essam Al-Rayyès, porte-parole de la rébellion syriennepour le front sud. Le régime Assadest passé du statut d’allié à celui d’agent de Téhéran. » Deux hauts gradés des pasdarans, Abbas Ab-dollahi et Ali Soltan-Morad, ontété tués dans les premiers joursde l’attaque contre Deraa, ainsi que plusieurs dizaines de mili-ciens, ce qui a contribué à la déci-sion de suspendre cette opéra-tion, à l’évidence mal préparée.Les rebelles, qui se sont emparés des cadavres des deux Iraniens,

les ont identifiés grâce à leurs pa-piers et aux données stockées sur leur téléphone cellulaire. Dans la débâcle des forces loyalistes, unedizaine de soldats syriens, accu-sés de collaboration avec les re-belles, ont également été exécu-tés. « C’était une manière de faire comprendre à l’armée syrienne qu’elle ne peut pas protester contresa mise sous tutelle iranienne »,estime le major Al-Rayyès.

Malaise dans l’armée

Un reportage tourné par la deuxième chaîne irakienne dans la localité de Naamer, au nord de Deraa, atteste de la participation de chiites irakiens aux combats. Les miliciens, interviewés sur fondde rafales d’armes automatiques, justifient leur présence en Syrie par la nécessité de défendre le mausolée chiite de Sayeda Zeïnab, dans la banlieue de Damas, et de combattre « les terroristes de l’Etat islamique et du Front Al-Nosra al-liés à Israël », dont ils croient devi-ner les lueurs, à l’horizon.

Début mars, les médias iraniensont également reconnu le décès,

L’ingérence iranienne est à cepoint voyante qu’elle génère undébut de malaise parmi les sou-tiens du régime. D’après un me-diateur occidental, présent en Sy-rie et en contact avec les deux camps, la gêne est notamment palpable au sein de l’armée « Leshauts gradés supportent de plus enplus mal les interférences de leurs homologues iraniens, explique un opposant à qui le mediateur s’est confié. Dans la région d’Alep, les militaires voudraient concentrer leurs forces sur Handarat, un vil-lage clé dans leur stratégie d’encer-clement des rebelles. Mais les pas-darans s’y opposent, en insistantsur la nécessité de lever d’abord lesiège de Nubul et Zahra, deux villa-ges chiites au nord d’Alep. »

Le matériel militaire iraniendans la guerre civile syrienne est également en plein essor. En plusdes chars, des transports de trou-pes, des batteries de roquettes etdes missiles balistiques (Fateh 110 ou M-600) qui ont toujours figurédans l’arsenal de Damas, Téhérana récemment fourni à son protégédix chasseurs bombardiers Su-22.

Ces avions de confection soviéti-que, reliquats de la flotte ira-kienne partie se réfugier en Iran, àla veille de l’opération « Tempêtedu désert » en 1991, ont été répa-rés et remis à niveau en Iran. L’un d’eux a récemment été filmé dansle ciel de Talbiseh, près de Homs.

« La 35e province d’Iran »

Le poids croissant de l’Iran en Sy-rie ne se voit pas que sur le champde bataille. Alors qu’à Damas, la tradition imposait que l’Achoura, la commémoration du martyre de l’imam Hussein, soit circons-crite aux sanctuaires chiites,en 2013 et 2014, ce rite de flagella-tion s’est déroulé en plein centre-ville, au grand dam des sunnites, majoritaires dans la capitale. Des rumeurs, impossibles à vérifier de source indépendante, font étatdu rachat de propriétés, dans l’an-cien Damas, par des investisseurs aux ordres de Téhéran. « Ils con-centrent leurs efforts sur les abordsde Hay Al-Amin, le seul quartier chiite de la capitale, vitupère un entrepreneur exilé à Paris. Ils pro-fitent du fait que la livre syrienne

est au plus bas et que les gens crè-vent de faim. » « Des hommes d’af-faires haut placés se plaignent de perdre des contrats au profit des Iraniens », relève Ayman AbdelNour, un dissident qui a conservé des contacts au sein du pouvoir.

Le pacte entre Damas et Téhérans’est resserré dans les années 2000, après l’accession de BacharAl-Assad au pouvoir. C’est à cette époque que l’entrisme iranien acommencé à faire grincer des dents. Le processus s’est accéléré après le début de la révolution, en 2011. Deux ans plus tard, Me-hdi Taëb, un religieux iranien,proche d’Ali Khamenei, le Guide suprême, se félicitait que la Syrie soit devenue « la 35e province d’Iran ». La peur de perdre son al-lié, passerelle indispensable vers le Hezbollah, la pièce maîtresse desa stratégie de dissuasion à l’égardd’Israël, a poussé Téhéran à s’im-pliquer massivement. Dans le piredes cas, la République islamique pourrait sacrifier Bachar Al-As-sad. Mais elle ne laissera jamais la Syrie sortir de son orbite. p

benjamin barthe

Des Iraniens défilent à Téhéran, le 11 février, avec des portraits de Ghassem Soleimani, chef de la force Al-Qods, qui intervient en Syrie. BEHROUZ MEHRI/AFP

L’Iran, allié envahissant de DamasTéhéran envoie matériel et combattants pour soutenir le pouvoir syrien, relais de son influence dans la région

« Le régime

Assad est passé

du statut d’allié

à celui d’agent

de Téhéran »

ESSAM AL-RAYYÈS

porte-parole de la rébellionsyrienne pour le front sud

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tuel, le président Obama a appelé, vendredi, François Hollande, pour évoquer le nucléaire iranien, alors que leurs échanges sur ce sujet sont rares. A l’évidence, une telle mobilisation des dirigeants améri-cains illustre leur préoccupation face au positionnement français.

Toutefois, dit-on à Paris, « les ob-jectifs des Américains sont analo-gues aux nôtres », les frictions por-tent moins sur la « substance » quesur les verrous que les Occiden-

Nucléaire : tensions entre Washington et ParisLa France affiche une position dure avant la reprise des négociations sur le programme nucléaire de Téhéran

Les négociations sur le nu-cléaire iranien doivent re-prendre, jeudi 26 mars, àLausanne (Suisse), sur

fond de vives tensions entre la France et les Etats-Unis alors que les pourparlers entrent dans une phase critique à quelques jours de la date butoir du 31 mars. Des sour-ces diplomatiques françaises et américaines ont confirmé que les débats entre Paris et Washington ont été particulièrement tendus lors des dernières discussions en-tre l’Iran et les grandes puissances,du 18 au 20 mars, sur les bords du lac Léman.

Au cours de cette session, laFrance a multiplié les mises en garde sur plusieurs points-clés d’un éventuel accord – la durée, la levée des sanctions de l’ONU con-tre Téhéran et le programme de recherche et développement nu-cléaire iranien – au point que les négociations ont été écourtées.Or, l’Iran et les pays du « P5 + 1 »,regroupant les cinq membres per-manents du Conseil de sécurité,plus l’Allemagne, doivent théori-quement parvenir à un accord po-litique, fixant les paramètres d’uncompromis, avant la fin du mois.Ils auront ensuite jusqu’au 30 juinpour régler les annexes techni-ques.

Préoccupation

Mais les dissensions entre la France et les Etats-Unis compli-quent cette dernière étape alors que le président américain, Barack Obama, sous étroite surveillance d’un Congrès méfiant vis-à-vis de l’Iran, s’est dit opposé à toute ex-tension des négociations. Elles ontdéjà été prolongées à deux repri-ses depuis la signature de l’accord intérimaire de novembre 2013 quiavait abouti à un gel provisoire du programme nucléaire iranien, en échange d’une levée partielle des sanctions internationales, en vi-gueur depuis 2006.

Au terme de la réunion de Lau-sanne, le contraste était frappant entre la tonalité des déclarations françaises et américaines. John Kerry, le secrétaire d’Etat améri-cain, a fait une allusion voilée aux critiques françaises : « Nous ne nous précipitons pas », a-t-il as-

suré. Tout en reconnaissant qu’il existait des « divergences » avec l’Iran, M. Kerry a néanmoins es-timé que « des progrès réels ont été accomplis » en Suisse. En revan-che, Laurent Fabius, le chef de la di-plomatie française, a plutôt mis l’accent sur la nécessité de parve-nir à un accord « robuste », laissantainsi entendre qu’il ne l’est pas en-core assez à son goût.

Mohammad Javad Zarif, le mi-nistre des affaires étrangères ira-nien, a malicieusement relevé que ces tiraillements entre les Occi-dentaux sont à l’origine, selon lui, du report des discussions. « Nos interlocuteurs ont eu besoin de plusde temps pour se coordonner en in-terne (…) en raison de la variété des intérêts, des sensibilités politiques ou des problèmes de personnes », a-t-il noté en quittant la Suisse.

La posture offensive de Paris,

ainsi que les propos de Gérard Araud, l’ambassadeur de France à Washington, ancien chef des né-gociateurs français sur le nu-cléaire iranien, ont prodigieuse-ment irrité les Américains. M. Araud a, en effet, provoqué un tollé en écrivant sur son compteTwitter que « faire de la fin mars une date limite absolue est contre-productif et dangereux. On a be-soin de tout notre temps pour bou-cler un accord complexe ».

« Objectifs analogues »

Signe de ces tensions, John Kerry a effectué une escale imprévue, sa-medi à Londres, pour y rencontrer ses homologues français, alle-mand et britannique. Une rencon-tre avant tout destinée à aplanir lesdifférends et à afficher une posi-tion commune avant la reprise desnégociations. Encore plus inhabi-

Les frictions

portent surtout

sur les verrous

à imposer

au programme

nucléaire iranien

« Avec la France, nous avons les mêmes soupçons »Le ministre israélien des affaires stratégiques redoute un accord pas assez contraignant

ENTRETIEN

A la veille de la reprise desnégociations sur le nu-cléaire iranien, le minis-

tre des affaires stratégiques israé-lien, Youval Steinitz a rencontré, lundi 23 mars, à Paris, le conseiller diplomatique du président Fran-çois Hollande, Jacques Audibert, etl’équipe de négociateurs français. M. Steinitz exprime ses réserves sur un éventuel accord.

Pourquoi cette visite ?C’est peut-être la dernière oppor-

tunité pour influencer ces négo-ciations avant qu’un mémoran-dum d’entente soit signé. Nous avons le sentiment que ce sera un mauvais accord avec de sévères la-cunes. Si l’Iran est autorisé à pour-suivre son programme de recher-che et développement pour cons-truire des centrifugeuses plus per-formantes, ce sera très dangereux. Le seuil d’obtention de l’arme nu-cléaire pourrait être ramené à troisou quatre mois contre douze ac-tuellement. Plus généralement, en permettant à l’Iran de devenir une puissance nucléaire « du seuil » enun an, l’accord suit le modèle de ce-lui signé avec la Corée du Nord en 2007, avec les résultats que l’on connaît. Il va prévoir un gel des ac-

tivités d’enrichissement et des ins-pections, au lieu d’un démantèle-ment des installations et la neutra-lisation des capacités nucléaires. La direction iranienne va être ten-tée d’acquérir l’arme nucléaire et letemps de contrecarrer ce plan, on ysera déjà. Si l’Iran devient un pays « du seuil », beaucoup de pays sun-nites de la région s’engageront dans la course au nucléaire.

En 2013, vous avez salué la fer-meté de la position française. Vos vues convergent-elles toujours ?

Le dialogue avec le gouverne-ment français est important et productif. Nous avons réussi à convaincre le ministre des affai-res étrangères, Laurent Fabius, et M. Audibert, d’imposer des exi-gences supplémentaires à l’ac-cord intérimaire de novem-bre 2013. Avec la France, nousvoyons les choses de la même fa-çon. Nous avons les mêmes soup-çons sur l’Iran, ses intentions au Moyen-Orient et la possibilitéqu’il ne respecte pas l’accord.

Avez-vous obtenu de la France des garanties sur l’accord qui sera signé ?

Le gouvernement français as-sume sa responsabilité au sein

des « 5 + 1 » [Etats-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni et Al-lemagne] avec beaucoup de sé-rieux. Nous ne savons pas si un accord sera signé ou non. Nous nesommes pas optimistes, nous sommes réalistes. Cet accord va changer le monde. Il peut créer unmonde dangereux si les Iraniens obtiennent l’arme nucléaire.

La critique par Benyamin Néta-nyahou de la politique ira-nienne de M. Obama devant le Congrès américain n’était-elle pas une erreur ?

M. Nétanyahou a senti qu’il étaitde son devoir d’exprimer sa posi-tion sur l’Iran. C’est injuste et ir-réaliste de demander à Israël degarder le silence sur une question aussi cruciale. Ce discours a été important, historique. Nous

avons beaucoup de respect pourBarack Obama, Joe Biden [le vice-président] et John Kerry [le secré-taire d’Etat]. Ils sont les véritables amis d’Israël mais, entre amis, on peut avoir des différences.

Au-delà du nucléaire, M. Néta-nyahou semble vouloir éviter un accord qui pourrait réhabi-liter l’Iran comme puissance régionale…

C’est le bon sens. Les pays arabesdisent que l’Iran est une menace, tout comme les Etats-Unis et la France. Qui peut ignorer que l’Iranest le premier financeur des grou-pes terroristes tels que le Hezbol-lah, le Hamas et le Jihad islami-que ? Téhéran utilise les groupes chiites au Liban, en Syrie, en Irak etaussi au Yémen pour dominer et déstabiliser le Moyen-Orient. S’il y a un accord, cela ne va pas cesser, au contraire. L’Iran sera plus fort etson économie aussi. Il aura les res-sources pour financer les groupes terroristes et développer ses capa-cités balistiques. Le pays pourra ac-croître son influence contre Israëlet les pays arabes. L’idée que l’Iran fait partie de la solution au Moyen-Orient est fausse. L’Iran fait partie du problème. p

propos recueillis par

hélène sallon

Il y a autant de tactique que deconviction dans l’attitude de la France qui cherche, jusqu’au bout, à arracher des concessions à l’Iran. Mais il n’y a pas que les Américainsqui sont désarçonnés par cette stratégie. Même parmi les Euro-péens, la position dure défendue par Laurent Fabius suscite de for-tes réserves, rapporte une source bien informée.

Si, à l’issue de ces ultimes tracta-tions, Paris se retrouve isolé, il se-rait cependant « surprenant », note un diplomate, que la France prenne le risque d’une rupture majeure avec les Etats-Unis. Lacoopération avec Washington est cruciale sur tant d’autres crises qui n’étaient pas présentes lors dublocage français de 2013, de l’Ukraine à la lutte contre l’Etat is-lamique. p

yves-michel riols

taux veulent imposer au pro-gramme nucléaire iranien. « Les Américains ont une contrainte de temps et une pression interne plus forte », souligne un négociateur européen. Il paraît cependant peu probable que la France réitère le scénario de novembre 2013, lors-que Laurent Fabius s’était publi-quement opposé à un texte améri-cain, jugé trop peu exigeant vis-à-vis de l’Iran.

Mais c’était avant le début des né-gociations. Depuis, il y a eu seize mois d’intenses consultations di-plomatiques. Elles n’ont jamais étépoussées si loin depuis les premiè-res discussions avec Téhéran, enta-mées en 2003, à l’initiative de la France. Même les Français le re-connaissent. « Un accord est faisa-ble », insistait, peu avant la réu-nion de Lausanne, une source in-fluente.

Le ministre britannique des affaires étrangères, Philip Hammond, entouré de ses homologues allemand, américain, français, et de la chef de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, samedi 21 mars, à Londres. BRIAN SNYDER/REUTERS

« L’idée que l’Iran

fait partie

de la solution

au Moyen-Orient

est fausse.

L’Iran fait partie

du problème »

LES DATES

2003-2005Premières négociations surle nucléaire iranien, conduites par la France, l’Allemagneet le Royaume-Uni.

2006-2010Le Conseil de sécurité de l’ONU (Chine, Etats-Unis, Russie, France et Royaume-Uni) adopte quatre résolutions contre l’Iran, accusé de dissimuler un pro-gramme en vue de fabriquer une bombe atomique.

2013L’Iran et les pays du « P5 + 1 » (les cinq membres du Conseil de sécurité plus l’Allemagne) si-gnent un accord intérimaire d’un an, le 24 novembre, à Genève.

2015Les protagonistes doivent parve-nir à un accord politique avantle 31 mars et à un accord techni-que d’ici au 30 juin.

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Page 4: Monde 3 en 1 Du Mercredi 25 Mars

4 | international & europe MERCREDI 25 MARS 2015

0123

En Hongrie, l’étoile de Viktor Orban pâlitLe parti du premier ministre perd ses soutiens et est talonné par l’extrême droite dans les sondages

budapest - envoyée spéciale

Sombre dimanche : cetterengaine des années 1930,si triste qu’elle provoqua àl’époque une épidémie de

suicides, revient très fort ces jours-ci – avec un texte adapté auxcirconstances – sur les réseaux so-ciaux en Hongrie, où les grandes surfaces commerciales sont, de-puis la mi-mars, contraintes au re-pos dominical. Le petit parti dé-mocrate-chrétien, KDNP, avec le-quel le premier ministre, ViktorOrban, gouverne depuis bientôtcinq ans, a obtenu la mise en œuvre d’une loi qui oblige les grandes enseignes autrichiennes, françaises, britanniques et alle-mandes à baisser le rideau le jour du Seigneur. Les commercesde proximité, notamment ceux de la chaîne CBA, propriétéd’un groupe hongrois prochedu pouvoir, échappent à cetteréglementation.

Cette loi n’a pas seulement valuà Budapest une plainte des entre-prises étrangères devant les auto-rités de la concurrence de l’Union européenne. Elle est aussi très im-populaire, surtout dans les ré-gions rurales, qui constituent le cœur de l’électorat du Fidesz, le parti conservateur de M. Orban, etpourrait coûter 10 000 emplois au secteur. L’épisode des sombres dimanches illustre l’affaiblisse-ment de Viktor Orban. L’ex-enfantprodige, entré à 26 ans dans l’His-toire, en juin 1989, en appelant audépart des troupes soviétiques,semble avoir perdu la touche ma-gique qui le caractérisait jus-qu’ici : l’art et la manière de rem-porter des batailles politiques.

Un sondage, publié le 17 marspar l’institut Ipsos, a créé un choc en Hongrie. Le parti d’extrême droite Jobbik, si radical qu’il est jugé infréquentable par le Front national français comme par le FPÖ autrichien, serait aujourd’huila deuxième force du pays, avec 18 % d’intentions de vote sur l’en-

semble des électeurs, contre 21 % pour le Fidesz-KDNP. L’écart n’a jamais été aussi ténu. Ce qui in-quiète est moins la montée du Jobbik (qui a obtenu 20,22 % auxlégislatives d’avril 2014, après16,9 % en 2010) que la dégringo-lade de la droite au pouvoir.

Après une série de victoires élec-torales (aux législatives en avril 2014, puis aux européennesfin mai, et aux municipales en oc-tobre), le Fidesz a vu fondre sa base. Il est passé dans les sonda-ges au-dessous du seuil de 2 mil-lions de voix nécessaires à unemajorité, et des scrutins locaux

ont confirmé cette érosion. Lesmanifestations, aussi massives que spontanées, contre un malen-contreux projet de « taxe Inter-net », fin octobre, ont été le pre-mier signe que le vent avait tourné. A Ozd, 34 000 habitants, le candidat du Jobbik a ensuite faitun triomphe, en novembre, con-tre le maire sortant du Fidesz.

Surtout, en février à Veszprem,dans l’ouest, une région qui béné-ficie des investissements de l’in-dustrie automobile allemande, un siège de député, laissé vacant par l’ancien ministre de la justiceTibor Navracsics, devenu Com-

missaire européen, a été rem-porté par le candidat soutenu par la gauche. Avec cette défaite, le Fi-desz a perdu sa majorité des deux tiers au Parlement. Un autre can-didat Fidesz est menacé par l’ex-trême droite, lors d’un autre scru-tin partiel à Tapolca en avril.

« Manières seigneuriales »

Chose inédite, les divisions au sein du Fidesz s’étalent dans les médias, nourries par des accusa-tions d’enrichissement illicite contre les jeunes loups qui entou-rent M. Orban. L’un des vétérans du parti, l’ancien ministre de

l’éducation Zoltan Pokorni, a osécritiquer les « manières seigneu-riales » des nouveaux favoris, ce qui lui a valu une riposte acerbedu chef de cabinet de M. Orban, Ja-nos Lazar, mais aussi, en retour, lesoutien du président du Parle-ment, Laszlo Köver, autre repré-sentant de la vieille garde. Enfin, la rupture fracassante de l’ancientrésorier du Fidesz, l’homme d’af-faires Simicska Lajos, qui avait mis son groupe de presse au ser-vice des ambitions du premier ministre, a été un désaveu de plus.

Après la mise en cause, fin octo-bre, de la directrice du fisc, Ildiko

Vida, interdite d’entrée aux Etats-Unis avec cinq autres membres de« l’Etat-Fidesz », et aujourd’hui épinglée par un audit très sévère pour sa gestion, l’actualité est do-minée depuis deux semaines par la faillite retentissante de deux so-ciétés de courtage, Buda-Cash etQuaestor, où 1 milliard d’euros se sont volatilisés. Or, si la première société était liée à l’ancienne élite socialiste, la deuxième était pro-che de l’actuel gouvernement. Surfond de scandales, le Jobbik peau-fine son image de parti « pro-pre » : 30 % des électeurs du Fi-desz sont tentés de voter pour lui.

Viktor Orban s’est donc remis encampagne. Ses discours – inspiréspar l’idéologue de droite Teller Gyula, auquel on attribue son éloge, durant l’été 2014, d’un « Etat non libéral », qui a irrité lesEtats-Unis et Angela Merkel – ont pris des accents religieux. La célé-bration du 15 mars, où la Hongrie commémorait l’insurrection de1848 contre les Habsbourg, a donné lieu à une débauche de dra-peaux et de cocardes patriotiques.Le premier ministre a évoqué« l’énergie magique » qui anime lanation, exaltant la singularité des Hongrois, cernés par « Vienne,Berlin, Moscou et Istanbul », et que seule leur « différence » onto-logique d’avec les autres peuples européens rend dignes de « de-mander l’aide de Dieu face à nos adversaires ». Une rhétorique qui ne devrait guère charmer Bruxel-les, mais qui séduira peut-être les troupes du Jobbik. p

joëlle stolz

Les divisions dans

le Fidesz s’étalent

dans les médias,

nourries par

des accusations

d’enrichissement

illicite

L’HISTOIRE DU JOURFelipe Gonzalez plaide pour l’opposition au Venezuela

A ncien président socialiste du gouvernement espagnol,Felipe Gonzalez a décidé d’assumer personnellementla défense des deux prisonniers politiques les plus con-

nus du Venezuela : Leopoldo Lopez, incarcéré dans une prisonmilitaire depuis le 18 février 2014, et le maire de Caracas, Anto-nio Ledezma, qui l’a rejoint après une arrestation musclée, le 20 février 2015. Avocat de profession, Felipe Gonzalez, 73 ans, a accédé à la demande des épouses des deux opposants. Lors d’unentretien à El Pais, il s’était dit préoccupé par « la dégradation dufonctionnement de la démocratie en Amérique latine ».

Au même moment, Amnesty International a publié, mardi24 mars, un méticuleux rapport intitulé « Venezuela : les visa-ges de l’impunité », un an après les manifestations qui ontébranlé le pouvoir. Amnesty rejoint la demande de libérationde Leopoldo Lopez faite par le groupe de travail des Nations

unies sur la détention arbitraire,émise dès le mois d’août 2014. Ni lescharges ni le procès à huis clos, sansque les droits de la défense ne soientrespectés, ne sont compatibles avecune justice impartiale. La désigna-tion de Leopoldo Lopez à la vindictepublique par le président Nicolas Ma-duro ne respecte pas davantage l’Etatde droit. Antonio Ledezma, lui, a ététraité de « vampire ». Ces deux oppo-

sants sont incarcérés comme responsables des violences lors des manifestations de 2014, qui ont fait 43 morts. Pour Am-nesty, la responsabilité revient à l’Etat, dont les agents ont eu re-cours à une « force excessive » pour réprimer les protestataires.

Felipe Gonzalez est politiquement proche de ses deux clients.Antonio Ledezma, 59 ans, a fait carrière dans le vieux parti social-démocrate, Action démocratique, avant de fonder sa propre for-mation. Leopoldo Lopez, 43 ans, a poussé son parti Volonté popu-laire à adhérer à l’Internationale socialiste. Au Parlement euro-péen, la gauche radicale a choisi, elle, de ne pas voter la résolutiondu 13 mars demandant la libération des Vénézuéliens. Les Espa-gnols de Podemos sont pris dans une polémique, leur numéro trois, Juan Carlos Monedero étant la cible des critiques pour avoirreçu de l’argent de Caracas pour ses bons conseils. p

paulo a. paranagua

Mogherini planche sur les libertés à CubaLa haute représentante pour la diplomatie de l’UE effectue une visite à La Havane

bruxelles - bureau européen

C ela se veut un voyage àforte portée symboliquecensé faire passer définiti-

vement la relation entre Bruxelleset La Havane « de la confrontationau dialogue » : Federica Moghe-rini, la haute représentante pour la diplomatie de l’Union euro-péenne (UE), effectue depuismardi 24 mars une visite à Cuba. Elle devait rencontrer plusieurs ministres, dont le vice-ministredes relations extérieures, Abe-lardo Moreno, qui mène avec un négociateur européen, Christian Leffler, des conversations en vue d’une normalisation des relationsentre Cuba et l’UE. Mme Mogheriniavait également à son pro-gramme des entretiens avec lesautorités religieuses, des repré-sentants du milieu culturel et des acteurs de la société civile.

« Un mur est tombé »

Cette prise de contact à haut ni-veau marque, de fait, l’abandon de la « position commune » adop-tée en 1996 par les Etats de l’UE. Elle conditionnait un éventuel rapprochement avec le régime cu-bain à des avancées en matière de libertés, de droits civiques et deréformes politiques. Depuis lors,le fil du dialogue – et de l’écono-mie – n’avait jamais été complète-ment rompu. Toutefois, entre2003, année de la condamnationde 75 opposants pacifiques à de

lourdes peines de prison, et 2008, l’époque du retrait officiel de FidelCastro, tout progrès avait été blo-qué. La succession au profit du frère cadet, Raul Castro, avait néanmoins entraîné la levée dequelques sanctions.

L’annonce, le 17 décembre 2014,du rapprochement entre les Etats-Unis et Cuba a réveillé les Euro-péens et fait taire leurs tradition-nelles divergences. « C’est unebonne nouvelle, un mur est tombé », avait commenté, à l’épo-que, Mme Mogherini. La haute re-présentante assistait, un mois plus tard, au 3e sommet de la Com-munauté des Etats latino-améri-cains et caribéens (Celac), fin jan-vier au Costa Rica. Dans son dis-cours, Raul Castro avait pris acteavec beaucoup de prudence de lavolonté américaine de renouer le dialogue et n’avait même pas mentionné l’Europe.

Même si ses services contes-tent toute idée de compétition

L’Union

européenne

va tenter

de convaincre

qu’elle peut jouer

un rôle positif

pour l’avenir

de l’île

entre Washington et Bruxellespour se rapprocher de Cuba,Mme Mogherini va donc tenter deconvaincre ses interlocuteursque l’UE, premier investisseur etdeuxième partenaire commer-cial de l’île, peut y jouer un rôlepositif pour l’avenir. L’Espagne,par la voix de son ministre des af-faires étrangères, José ManuelGarcia-Margallo, a dit clairementqu’il fallait donner la possibilitéaux entreprises européennes deconcurrencer leurs rivales améri-caines. Et les considérations commerciales ne seront pas nonplus absentes du voyage queFrançois Hollande effectuera à Cuba le 11 mai.

« Différences d’interprétation »

Il reste, pour les représentants européens, à concilier les règles de la diplomatie économique avec la défense des droits del’homme, qui a largement condi-tionné leurs relations avec La Ha-vane depuis vingt ans. L’arrivéede Mme Mogherini précède une phase délicate, voire « cruciale », selon un diplomate bruxellois, des négociations entre responsa-bles européens et cubains.

Cette « initiative commune »,censée déboucher sur un accord« de dialogue politique », com-porte trois chapitres : les échan-ges économiques, la coopérationet la gouvernance politique. Ce dernier thème inclut la périlleusequestion des libertés et a suscité,

au début du mois de mars, ce queM. Leffler, le négociateur euro-péen, appelle très diplomatique-ment des « différences d’interpré-tation ». Ses homologues cu-bains lui ont, en effet, répondu par l’évocation du principe denon-ingérence dans leurs affai-res intérieures.

Lors du sommet de la Celac,Raul Castro avait estimé que lesEtats occidentaux n’avaient « pasgrand-chose à démontrer » à sa ré-gion, eux « dont la moitié des jeu-nes sont au chômage, qui paient des salaires inférieurs aux fem-mes, qui recourent à des politiquesinhumaines contre les immi-grants (…) et dont les citoyens ne votent pas parce qu’ils ne voient pas de solution à la corruption despoliticiens ».

Pour éviter que la discussion –qui débutera véritablement enjuin, à Bruxelles – achoppe sur ceproblème, Mme Mogherini devaitdire à ses interlocuteurs officiels qu’il ne s’agit pas, pour l’UE, devouloir « imposer son modèle ».La haute représentante enten-dait évoquer la nécessitéd’« équilibres » satisfaisants pourles deux parties. Soutien écono-mique contre engagement surles libertés, avec la ratification des deux pactes des Nationsunies sur les droits individuels etcollectifs signés par les Cubainsen 2008, mais toujours pas res-pectés. p

jean-pierre stroobants

Viktor Orban,lors de la

commémorationde l’indépendance

de la Hongrie,à Budapest,

le 15 mars 2015. ATTILA KISBENEDEK/AFP

L’EX-CHEF DU GOUVER-NEMENT ESPAGNOL ASSUME LA DÉFENSE DE DEUX PRISONNIERS POLITIQUES

Page 5: Monde 3 en 1 Du Mercredi 25 Mars

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6 | international MERCREDI 25 MARS 2015

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Au Sénégal, l’avenir de Karim Wade compromisPoursuivi pour corruption, le fils de l’ancien président Abdoulaye Wade a été condamné à six ans de prison

Karim Wade, le fils del’ancien président séné­galais Abdoulaye Wade(de 2000 à 2012), a été

condamné, lundi 23 mars, à six ans d’emprisonnement et l’équivalent de 210 millions d’euros d’amende. L’ancien « mi-nistre du ciel et de la terre », sur-nom gagné au temps de sa puis-sance alors qu’il cumulait plu-sieurs postes ministériels, était jugé depuis sept mois pour cor-ruption et enrichissement person-nel illicite, un procès historique pour certains, critiqué par certai-nes ONG pour ses imperfections, et qualifié de « politique » par son père et les partisans de l’accusé.

Karim Wade, 46 ans, avait été ar-rêté en avril 2013, un an aprèsl’élection du président Macky Sall,l’ancien allié devenu le tombeurd’Abdoulaye Wade, qui avait pro-mis durant sa campagne de mora-liser la vie publique sénégalaise. La justice l’accusait alors de« s’être, à Dakar, de 2000 à 2012 (…), enrichi d’un patrimoine estiméà 693 milliards de francs CFA [plus d’un milliard d’euros] et d’avoirété dans l’impossibilité d’en justi-fier l’origine licite ».

Cet argent aurait été capté alorsqu’il occupait diverses fonctions gouvernementales. En cours d’instruction, le dossier s’était en-suite considérablement allégé pour ne retenir finalement « que » la somme de 693 millions de francs CFA (105 millions d’euros) selon un procès verbal demise en demeure de la justice sé-négalaise.

« Ce décalage entre les montantsannoncés importe peu, défend William Bourdon, avocat auprèsde l’Etat sénégalais. Les sommesretenues, même revues à la baisse, sont déjà très significatives par rapport au niveau de vie des Séné-galais. » La justice lui demandait notamment de justifier 2 mil-lions d’euros déposés sur un

compte à Monaco, une assuran-ce-vie de 600 000 euros au Luxembourg, un patrimoine im-mobilier personnel de 6 millions,ainsi que 100 millions d’actifs ré-partis dans un réseau de sociétéscommerciales.

« Tout n’a pas été prouvé, recon-naît Me Bourdon, parce que la mondialisation offre d’innombra-bles mécanismes d’opacification fi-nancière. Mais ce qui a été avéré estdéjà grave : l’abus de pouvoir dans le but de frauder l’Etat. C’est un pro-cès historique, une première en

la défaite électorale de son père en 2012 – il était jugé arrogant et affublé du surnom de « Monsieur 10 % », en référence au pourcen-tage qu’il encaissait, selon la ru-meur, sur les grands chantiers liés à l’organisation du sommet de la conférence islamique de Dakar en 2008 –, Karim Wade a regagné

de la popularité. Il a joué sur sa vic-timisation au fur et à mesure del’avancement d’un procès pas tou-jours exemplaire et a fini par faire oublier que son père préparait en 2012 la voie d’une succession démocratico-dynastique, à la-quelle la rue et les électeurs s’étaient opposés. Samedi 21 mars,les militants du Parti démocrati-que sénégalais (PDS), l’ex-parti au pouvoir, l’ont ainsi désigné à laquasi-unanimité pour représen-ter leur formation à la prochaine présidentielle. Celle-ci pourrait setenir en 2017, si Macky Sall res-pecte sa promesse de ramener le mandat présidentiel à cinq ans contre sept actuellement.

Pour appuyer leurs critiques, lesavocats de la défense ont décidéde se pourvoir en cassation quel-ques heures seulement après leverdict. La Cour suprême devra

examiner « une cinquantaine de cas de violation de la loi et se décla-rer sur l’incompétence de la juridic-tion qui a prononcé le verdict », dé-taille Me Diagne. Sa décision ne devrait pas être rendue avant plu-sieurs mois. L’affaire Wade a en ef-fet été instruite par la Cour de ré-pression de l’enrichissement illi-cite (CREI), un organe judiciairecréé en 1981 mais qui était ensommeil depuis 1984.

Pourvoi en cassation

La Cour de justice de la Commu-nauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest, saisie par la défense en 2013, avait refusé de seprononcer sur l’opportunité deranimer cette juridiction spéciale,mais avait rendu un arrêt dénon-çant « les violations du droit de présomption d’innocence » par le procureur spécial contre l’accusé.

La Fédération internationaledes ligues des droits de l’homme (FIDH) avait aussi regretté, en juin 2014, que la CREI soit « une ju-ridiction d’exception qui viole les droits de la défense et ne garantit pas le droit à un procès équitable ».« La CREI ne prévoit aucune possi-bilité d’appel et les règles de procé-dure renversent la charge de lapreuve », explique Florent Geel,directeur Afrique de la FIDH.

Maigre consolation pour KarimWade, la CREI, dans son jugement,n’a pas retenu les accusations de corruption qui l’auraient privé de ses droits civiques et auraient donc probablement mis un termeà ses ambitions politiques.

Ce sera peut-être un peu tôtpour 2017 mais l’histoire des Wade et du Sénégal n’est peut-êtrepas terminée. p

christophe châtelot

Affiches de l’ancien président sénégalais Abdoulaye Wade et de son fils Karim, à Dakar en avril 2013. REUTERS

Afrique qui en appellera d’autres. Les Sénégalais doivent en êtrefiers », ajoute l’avocat français, fer de lance sur les dossiers dits des« biens mal acquis » (BMA) par les dirigeants africains au détrimentde leurs populations. Une procé-dure entamée en France dans ce cadre contre Karim Wade a étéclassée sans suite par la police.

Dans le camp de l’accusé, les ar-guments sont tout autres. « C’est proprement scandaleux, dénonce Mohamed Seydou Diagne, l’un des avocats de Karim Wade. Ce n’est pas un procès, c’est une cor-rida, une mise à mort politique. »Me Diagne rappelle que Karim Wade avait l’ambition de prendre la relève politique de son père et que « c’est pour cette raison que l’actuelle majorité a instrumenta-lisé la justice pour l’écarter ».

Très impopulaire au moment de

CORRESPONDANCEA la suite de la publication de l’article « Cohabitation forcée entre diplomates russes et ukrainiens à l’ONU », nous avons reçu le cour-rier suivant de Vitali Tchourkine, ambassadeur de la Fédération de Russie auprès des Nations unies.« Nous contestons la teneur de l’article du Monde paru le 6 mars sous le titre “Cohabitation forcée entre diplomates russes et ukrainiens à l’ONU”. La seule assertion véridique de cet article est que les missions permanentes de la Russie et de l’Ukraine à l’ONU (ainsi que la mission permanente de la Biélorussie) utilisent le même bâtiment hérité de l’URSS, situé au 136 East 67th Street, à New York. Tout le reste est faux. A commencer par le fait que l’immeuble aurait été “construit en kit et en préfabriqué en URSS” avant d’être “assemblé à New York”. En réalité, il s’agit d’un immeuble résidentiel américain classique acheté par l’Union soviétique et adapté pour une utilisation à titre de bureau.L’article explique que, selon des “sources diplomatiques”, les diplomates ukrainiens “insoumis” auraient, après “l’annexion de la Crimée”, com-mencé à rencontrer des problèmes : les gardiens russes s’amuseraient à laisser les Ukrainiens à l’extérieur sous la pluie et dans le froid, refusant sciemment d’ouvrir les portes ou coupant l’électricité quand les Ukrai-niens empruntent l’ascenseur. Il est aussi expliqué que la partie ukrai-nienne a fait une offre pour vendre son étage “au prix du marché”, que les Russes ont refusée, proposant un prix deux fois inférieur.C’est absurde. Les missions de la Russie et de l’Ukraine cohabitent de fa-çon tout à fait normale. Les Ukrainiens utilisent le 5e étage comme rési-dence de service, leurs voitures sont garées dans le parking souterrain chauffé. La Russie fournit les services de maintenance et de sécurité. Le personnel ukrainien de la mission et les résidents bénéficient d’un ac-cès libre au bâtiment. La Russie n’a jamais reçu de plainte de leur part, ni d’offre d’achat du 5e étage. Il est impossible de couper l’électricité de l’ascenseur quand des Ukrainiens l’utilisent car le personnel russe (et biélorusse) l’emprunte également.Les portes menant au hall de l’immeuble sont toujours ouvertes. Les Ukrainiens, comme toute personne “de la rue”, peuvent y entrer sans intervention des gardiens de la mission. L’entrée de la mission et la cour intérieure sont dotées d’un patio couvert, par conséquent les Ukrainiens n’ont jamais eu à “patienter sous la pluie”.Le seul vrai problème est que la mission ukrainienne ne paie pas les charges (eau, égouts, chauffage, électricité, gaz) depuis deux ans et que ces frais doivent être pris en charge par la mission permanente de la Russie. »

ÉTHIOPIEAccord de l’Egypte pour un barrage sur le NilL’Egypte et le Soudan ont donné, lundi 23 mars, leur ac-cord de principe pour la cons-truction par l’Ethiopie d’un immense barrage sur le Nil Bleu, dont Le Caire craignait qu’il ne diminue ses approvi-sionnements en eau du Nil.L’accord a été signé à Khar-toum entre le président égyp-tien Abdel Fattah Al-Sissi, son homologue soudanais Omar Al-Bachir et le premier minis-tre éthiopien, Hailemariam Desalegn. L’Ethiopie a com-mencé à détourner les eaux du Nil Bleu en mai 2013 pour construire le barrage de 6 000 mégawatts, qui sera le plus grand d’Afrique lorsqu’il sera terminé, en 2017. – (AFP.)

TUNISIEDeux chefs de la police limogés après l’attentatDeux chefs de la police à Tu-nis ont été limogés, lundi 23 mars, pour des « lacunes » dans la protection du quar-tier du Musée du Bardo après l’attentat qui a fait 21 morts, dont 20 touristes, mercredi 18 mars.En outre, le parquet a indiqué qu’un « mandat de dépôt » avait été émis contre un poli-cier « chargé de la sécurité du musée ». – (AFP.)

ÉTATS-UNISL’Utah rétablit les pelotons d’exécutionL’Utah est devenu, lundi 23 mars, le premier Etat américain à rétablir les pelo-tons d’exécution pour les condamnés à mort, en cas de pénurie de produits d’in-jection létale.La législation, qui avait déjà été adoptée par le Sénat de cet Etat du Sud-Ouest améri-cain plus tôt ce mois-ci, auto-rise le recours à un peloton d’exécution pour mettre à mort un condamné si les substances servant à réaliser les injections létales habituel-les ne sont pas disponibles, comme cela fut le cas récem-ment dans un certain nom-bre d’Etats du pays. – (AFP.)

BRÉSILLe trésorier du parti au pouvoir jugé pour corruptionLe trésorier du Parti des tra-vailleurs (PT, gauche), au pou-voir au Brésil, et vingt-six autres accusés vont être jugés pour corruption et blanchi-ment d’argent dans le cadre de l’enquête sur le scandale de corruption autour de la com-pagnie pétrolière Petrobras, a annoncé, lundi 23 mars, la jus-tice brésilienne. Joao Vaccari comparaîtra libre, a décidé le juge chargé du dossier à Curi-tiba (sud). – (AFP.)

« C’est

proprement

scandaleux.

Ce n’est pas un

procès, c’est une

corrida, une mise

à mort politique »

MOHAMED SEYDOU DIAGNE

avocat de Karim Wade

« C’est un procès

historique,

une première

en Afrique

qui en appellera

d’autres »

WILLIAM BOURDON

avocat auprès de l’Etat sénégalais

- CESSATIONS DE GARANTIE

COMMUNIQUE - 105233En application de l’article R.211-33 du livre II du code du tourisme,

L’ASSOCIATIONPROFESSIONNELLEDE SOLIDARITE DUTOURISME (A.P.S.T.)

dont le siège est situé: 15, avenueCarnot - 75017 PARIS, annoncequ’elle cesse d’accorder sa garan-tie à :

DJEBEL PASSIONIMMATRICULATION :

IM 017 12 0019SARL au capital de 7 500 €

Siège social : 1 Rue Perrogon17770 BRIZAMBOURG

L’association précise que la cessa-tion de sa garantie prend effet 3jours suivant la publication de cetavis et qu’un délai de 3 mois estouvert aux clients pour produireles créances.

COMMUNIQUE - 105235En application de l’article R.211-33 du livre II du code du tourisme,

L’ASSOCIATIONPROFESSIONNELLEDE SOLIDARITE DUTOURISME (A.P.S.T.)

dont le siège est situé: 15, avenueCarnot - 75017 PARIS, annoncequ’elle cesse d’accorder sa garan-tie à :

FJ TRAVELS – ART DUVOYAGE

IMMATRICULATION :IM 078 10 0033

SARL au capital de 20 000 €

Siège social : 44 Rue de l’Etangd’Or – 78120 RAMBOUILLETL’association précise que la cessa-tion de sa garantie prend effet 3jours suivant la publication de cetavis et qu’un délai de 3 mois estouvert aux clients pour produireles créances

COMMUNIQUE- 105234En application de l’article R.211-33 du livre II du code du tourisme,

L’ASSOCIATIONPROFESSIONNELLEDE SOLIDARITE DUTOURISME (A.P.S.T.)

dont le siège est situé : 15, ave-nue Carnot - 75017 PARIS, an-nonce qu’elle cesse d’accorder sagarantie à :

OTANICImmatriculation :

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Siège social : 11, route de Nay64 290 GAN

L’association précise que la cessa-tion de sa garantie prend effet 3jours suivant la publication de cetavis et qu’un délai de 3 mois estouvert aux clients pour produireles créances

COMMUNIQUE - 105236En application de l’article R.211-33 du livre II du code du tourisme,

L’ASSOCIATIONPROFESSIONNELLEDE SOLIDARITE DUTOURISME (A.P.S.T.)

dont le siège est situé: 15, avenueCarnot - 75017 PARIS, annoncequ’elle cesse d’accorder sa garan-tie à :

CADENCE VOYAGESIMMATRICULATION : IM

075 10 0116SARL au capital de 290 000 €

Siège social : Villa MercedesBâtiment C, 153 route de

Vourles – 69230 SAINT-GENISLAVAL

L’association précise que la cessa-tion de sa garantie prend effet 3jours suivant la publication de cetavis et qu’un délai de 3 mois estouvert aux clients pour produireles créances

Page 7: Monde 3 en 1 Du Mercredi 25 Mars

0123MERCREDI 25 MARS 2015 planète | 7

La lutte sans fin contre Ebola en Afrique de l’OuestUn an après la proclamation officielle de l’épidémie, la chaîne de contamination n’est toujours pas maîtrisée

L’Afrique de l’Ouest n’ena pas fini avec l’épidé-mie d’Ebola, officielle-ment déclarée il y a un

an, le 25 mars 2014, par l’Organisa-tion mondiale de la santé (OMS). Le Liberia comptait les jours de-puis le 5 mars, date à laquelle ledernier patient infecté avait quitté l’hôpital après deux testsnégatifs. Le pays espérait attein-dre le délai de quarante-deux jours sans nouvelle infection (deux fois la durée maximale d’incubation qui est de vingt et unjours) pour proclamer qu’il était débarrassé de la maladie à virusEbola. Hélas, un nouveau cas a étédétecté vendredi 20 mars.

Parallèlement, la Sierra Leone vade nouveau confiner sa popula-tion pour mener des opérationsde porte-à-porte afin de freiner la transmission du virus. Le prési-dent Ernest Koroma, a annoncé,samedi 21 mars, que les six mil-lions d’habitants du pays « de-vront rester à la maison du ven-dredi 27 mars à 6 heures jusqu’audimanche 29 mars à 18 heures ».

La perspective d’une fin de l’épi-démie à la mi-avril s’éloigne, alors qu’au 23 mars 24 842 cas, dont 10 299 mortels, étaient recensés par l’OMS. L’épidémie déclineaprès le pic observé entre septem-bre et décembre. Mais le cas inat-tendu au Liberia et la persistance d’une transmission active en Gui-née et surtout en Sierra Leone confirment qu’il serait erroné de se penser dans l’ère « post-Ebola ».

« Méfiance des populations »

Selon plusieurs témoignages du personnel engagé sur le terrain, malgré l’aide de malades guéris, iln’est pas facile de convaincre de lanécessité d’aller en centre dès les premiers symptômes, de procé-der à des enterrements sécuri-sés… Si ces précautions ne sont pas prises, de même que l’identifi-cation et le suivi des personnesayant été en contact avec un ma-lade d’Ebola, l’épidémie repart.

« Un an après, les problèmes res-tent les mêmes, avec une méfiance maintenue des populations à l’égard des interventions d’équipes étrangères, “les Blancs”, et, sur-tout, un refus de ce que disent legouvernement, les institutions. La théorie du complot a encore ducrédit », assure Jérôme Mouton,coordinateur de l’intervention de

Médecins sans frontières (MSF) en Guinée.

L’anniversaire du début officielde l’épidémie en Guinée est l’occa-sion pour MSF de dresser un bilansans concession de cette crise.Dans un document intitulé Pous-sés au-delà de nos limites, qui re-trace « une année de lutte contre laplus vaste épidémie d’Ebola de l’Histoire », l’organisation fustige ceux qui ont « ignoré les appels à l’aide » et ont réagi avec retard.

Car la pire épidémie de fièvrehémorragique s’est propagée sans attirer l’attention à partir de décembre 2013. Présente en pre-mière ligne dès sa découverte, MSF s’est vite rendu compte que celle-ci était hors norme, avec une

teur des opérations à MSF, cité dans le rapport.

Pourtant, l’OMS ne réagit tou-jours pas. Dans un courrier élec-tronique daté du 5 juin 2014, ré-vélé par l’agence Associated Press le 20 mars dernier, Sylvie Briand,chef du département des mala-dies pandémiques et épidémi-ques à l’OMS, indiquait qu’« il se-rait peut-être plus efficace d’utili-ser d’autres moyens diplomatiquespour le moment », alors qu’un col-lègue évoquait la proclamationd’une « urgence de santé publique de portée internationale ».

Cinq jours plus tard, dans unmémo adressé à la directrice géné-rale de l’OMS, Margaret Chan, le docteur Fukuda et d’autres cadres

affirmaient que déclencher une alerte mondiale ou même convo-quer une réunion pour en débattre« pourrait être pris comme un acte hostile ». L’OMS attendra le 8 août pour déclarer que l’épidémie en cours constitue une urgence inter-nationale, donnant le coup d’envoid’une mobilisation des Etats.

Favipiravir, ZMapp, Ebovac…

Depuis, les chercheurs ont mis lesbouchées doubles pour mettre aupoint et évaluer les traitements etvaccins contre le virus. L’antiviral favipiravir est à présent disponi-ble dans les centres de traitement Ebola de Guinée. Les Instituts na-tionaux de la santé américains (NIH) ont également proposé à

l’Institut national de la santé et dela recherche médicale (Inserm) detester le médicament expérimen-tal ZMapp, dont 150 doses serontprochainement disponibles. LesAméricains le compareront à un placebo (substance inactive) en Sierra Leone, et les Français mè-neront fin avril ou début mai une étude en Guinée comparant le fa-vipiravir seul ou associé auZMapp. Enfin, un essai avec du sé-rum de convalescent (contenant des anticorps contre le virus Ebola) est en cours depuis févrierchez quelques dizaines de pa-tients en Guinée, sous l’égide de l’Institut de médecine tropicale d’Anvers et de l’Etablissement français du sang.

Sur le front des vaccins, les NIHmènent depuis février un essai sur l’efficacité de deux candidats, celui de Merck et celui de GSK. Il inclura près de 30 000 partici-pants. L’OMS fait de même, depuisla mi-mars, en vaccinant avec le candidat-vaccin de Merck les soi-gnants et l’entourage des person-nes infectées par Ebola en Guinée.

Enfin, une autre stratégie vacci-nale dite « prime-boost » est éva-luée avec l’essai Ebovac financé par la Commission européenne : elle consiste à administrer succes-sivement deux vaccins anti-Ebola développés par le laboratoire américain Janssen, dont la com-position diffère afin d’obtenir uneréponse immunitaire plus forte et plus durable. Menée en Europe et en Afrique à partir de juin pro-chain, la phase 2 de l’étude est coordonnée par l’Inserm, tandis que la suivante, qui évaluera l’effi-cacité, le sera par la London School of Hygiene and Tropical Medicine. p

paul benkimoun

avec rémi barroux

GUINÉE

SIERRALEONE

LIBERIA

Meliandou

GUINÉE

SIERRALEONE

LIBERIA

Guéckédou

Conakry

Monrovia

FreetownFreetown

GUINÉE

SIERRALEONE

LIBERIA

Meliandou

Conakry

Freetown

Monrovia

GUINÉE

SIERRALEONE

LIBERIA

Meliandou

Conakry

Freetown

Monrovia

5 20 50

Du 30 décembre 2013au 4 mai 2014

Du 5 maiau 3 août 2014

Du 4 août 2014au 4 janvier 2015

Du 5 janvierau 15 mars 2015

0

100

200

300

400

500

600

5janv.

2fév.

2mars

30mars

27avril

25mai

22juin

20juil.

17août

14sept.

12oct.

9nov.

7déc.

4janv.

1er

fév.1er

mars15mars

Plus d’un an d’épidémie

SOURCES : OMS ; THE NEW YORK TIMES

SIERRA LEONE

LIBERIA

GUINÉE

Selon la base de données de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et les données nationales

NOMBRE DE CAS CONFIRMÉS PAR SEMAINE, SELON LES PAYS

NOMBRE CUMULÉ DE MORTS

9 AOÛT

2014 2015

12 NOV. 23 MARS

NOMBRE MOYEN DE CAS PAR SEMAINE, PAR DISTRICT

L’épidémie aurait débuté en décembre dans le village guinéen de Meliandou, près de la frontière avec le Liberia et la Sierra Leone.

A partir de l’épicentre de Guéckédou d’autres foyers de cas surgissent très à distance et touchent les trois pays.

L’OMS sonne l’alarme alors que les trois capitales sont touchées et que l’on dénombre plus de 1000 cas par semaine.

L’épidémie décline, mais les mouvements de population entretiennent l’épidémie, surtout en Sierra Leone.

8 aoûtL’OMS qualifie l’épidémie

d’« urgence de santé publiquede portée mondiale »

1 013 5 147 10 299

En Floride, il ne fait pas bon parler du climatDes fonctionnaires du ministère de l’environnement de l’Etat affirment ne pas pouvoir employer des expressions comme « changement climatique » sous peine de sanctions

new york - correspondant

L es expressions « change-ment climatique » et « ré-chauffement mondial »

sont-elles bannies du vocabulaire des fonctionnaires du ministère de la protection de l’environne-ment de Floride, sous peine de sanctions ? Depuis plusieurs se-maines, la polémique enfle à la suite des révélations du Florida Center for Investigative Reporting.Cette association à but non lucratifaffirme que le gouverneur républi-cain de l’Etat, Rick Scott, un cli-mato-sceptique patenté, aurait donné des directives pour que le personnel évite d’utiliser ce voca-bulaire. Les démentis répétés de son entourage n’ont pas réussi à désamorcer la controverse, car, en-tre-temps, les langues d’anciens collaborateurs se sont déliées.

Bart Bibler, un cadre du minis-tère, affirme ainsi avoir été mis à pied il y a quelques jours. Sa faute ? Alors qu’il participait à uneréunion sur la gestion des côtes de

Floride, il a évoqué la question de l’élévation du niveau de la mer et du réchauffement climatique. Desmots qu’il avait également utilisésdans un rapport. Lorsqu’il a refuséde les retirer, il s’est fait répriman-der, puis renvoyer chez lui, son re-tour au travail étant désormais conditionné à une visite médicale.

L’association Public Employeesfor Environmental Responsibility (PEER), qui traque les dérives gou-vernementales en matière d’envi-ronnement, a décidé de porter plainte. « Si quelqu’un a besoin d’un dépistage sur sa santé men-

tale, c’est le gouverneur Rick Scott et d’autres responsables, qui disentaux fonctionnaires de faire sem-blant que le changement climati-que et l’élévation du niveau de lamer n’existent pas », affirme JerryPhillips, le responsable du PEER de Floride.

Censure

Le ministère conteste cette ver-sion et reproche à M. Biblerd’avoir fait part, au cours de cette réunion, d’opinions personnellesà propos de Keystone XL, un pro-jet d’oléoduc géant qui fait l’objetd’intenses débats aux Etats-Unis. La loi de Floride interdit auxagents publics de s’engager dans des activités politiques pendantleur temps de travail.

Le problème est que M. Biblern’est pas le seul à se dire victime decensure sur l’utilisation d’expres-sions. « On nous a dit que nous n’étions pas autorisés à discuter de tout ce qui ne reposait pas sur de vé-ritables faits », affirme également Kristina Trotta, une autre em-

ployée du ministère à qui on avait demandé en 2014, lors d’une réu-nion, de ne pas parler de « réchauf-fement climatique ». Christopher Byrd, qui a été avocat pour le mi-nistère de 2008 à 2013, soutient que ce type de recommandation lui avait été aussi formulé, avant qu’il ne quitte ses fonctions.

Les porte-parole du ministère etdu gouverneur soutiennent qu’iln’existe aucune politique de cen-sure. Pourtant, une vidéo publiée,lundi 23 mars, par Forecast theFacts, une organisation de protec-tion de l’environnement, pourraitlaisser penser le contraire. Il s’agitde l’audition de Bryan Koon, le responsable de la gestion des ur-gences pour la Floride, face au sé-nateur démocrate Jeff Clemens. Au prix de contorsions verbales ridicules et malgré les insistances du sénateur, le fonctionnaire réussit le tour de force de ne ja-mais prononcer le terme de « changement climatique », pro-voquant l’hilarité générale. p

stéphane lauer

Le gouverneur

républicain

de l’Etat,

Rick Scott,

est un climato-

sceptique

patenté

2 663Infractions à la règle de la circulation alternée

Le dispositif de circulation alternée, mis en place lundi 23 mars après sept jours consécutifs de pollution de l’air en Ile-de-France, a été « lar-gement respecté, plus respecté encore qu’il ne l’avait été lors du pic de pollution de mars 2014 », s’est félicité la préfecture de police de Paris, en livrant un premier bilan à 17 h 30. Lors de la précédente application de la circulation alternée, 5 122 PV avaient été dressés. Une diminution très significative du trafic a été constatée dans la capitale : entre 25 % et 70 % en moins selon les axes franciliens. Sans pouvoir encore appré-cier précisément l’impact de la mesure sur la qualité de l’air, l’agence de qualité de l’air Airparif a enregistré une concentration en particules plus faible qu’attendu.

INSECTICIDESLa Guyane suspend les pulvérisations de malathionLe conseil général de Guyane a décidé, lundi 23 mars, de suspendre les pulvérisations de malathion, un insecticide controversé utilisé dans la lutte contre le chikungunya, après son classement ven-dredi comme cancérogène « probable » par l’Organisa-tion mondiale de la santé (OMS). La Nouvelle-Calédonie va, quant à elle, saisir l’OMS avant de déciderde suspendre ou passes pulvérisations. – (AFP.)

PALÉONTOLOGIEDécouverte d’une salamandre vieille de 220 millions d’annéesDes ossements fossilisés d’une nouvelle espèce, une sorte de salamandre géante ressemblant à un crocodile, ont été découverts sur le site d’un ancien lac au Portugal. L’amphibien, de la taille d’une petite voiture, pourvue d’une mâchoire énorme avec des centaines de dents acérées, était parmi les plus grands prédateurs de la planète il ya 220 millions d’années, selon une étude dans le Journalof Vertebrate Paleontology.

multitude de foyers et une exten-sion hors des zones forestières vers les grands centres urbains, fa-vorisée par les mouvements depopulations transfrontaliers.

A la mi-avril 2014, tant MSF quele personnel des Nations uniess’inquiètent des proportions et du caractère inhabituel de l’épidé-mie et demandent de l’aide à KeijiFukuda, sous-directeur général chargé de la sécurité sanitaire àl’OMS. « Le 21 juin, nous avons ànouveau tiré la sonnette d’alarme en déclarant publiquement que l’épidémie était hors de contrôle et que, seuls, nous ne pouvions pasgérer le grand nombre de nou-veaux cas et de foyers d’infection »,rappelle le Bart Janssens, direc-

« Un an après,

les problèmes

restent

les mêmes,

la théorie du

complot a encore

du crédit »

JÉRÔME MOUTONcoordinateur MSF en Guinée

Page 8: Monde 3 en 1 Du Mercredi 25 Mars

8 | france MERCREDI 25 MARS 2015

0123

Elections régionales : du bleu à l’horizonLa projection du vote de dimanche sur celui de décembre présage la victoire de la droite dans sept régions

Les élections départemen-tales ont montré l’instal-lation d’un tripartismeFN-UMP-PS. Les régiona-

les, en décembre, devraient con-firmer l’ancrage de cette nouvelle donne politique. C’est ce que ten-

dent à montrer les projections réalisées par le cabinet de straté-gie Liegey Muller Pons (LMP). Ces experts de la carte électorale ont calculé comment se compose-raient les treize nouveaux con-seils régionaux à partir de la ré-

partition des forces politiques,observée au premier tour des dé-partementales du 22 mars. « L’hy-pothèse principale qui se dégage est qu’on va assister à des triangu-laires dans toutes les régions au se-cond tour, sauf en Corse, où la pré-sence des nationalistes pourrait déboucher sur une quadrangu-laire », explique Vincent Pons, chercheur en économie politique.

Dans ce scrutin proportionnel,le parti qui arrive en tête au se-cond tour bénéficie d’une prime de 25 % des sièges, ce qui lui per-met de constituer une majorité. La gauche serait en mesure de conserver au moins quatre gran-des régions (la Bretagne, l’Aqui-taine - Limousin - Poitou-Charen-tes, Languedoc-Roussillon - Mi-di-Pyrénées et la Corse), avec uneavance confortable. Elle pourraitégalement garder d’un cheveu le Nord - Pas-de-Calais - Picardie (moins de deux points d’écart avec le FN). La situation en Ile-de-France apparaît extrêmement serrée avec l’UMP.

La droite gagnerait pour sa partles sept autres régions, avec un net avantage dans trois d’entre el-les (en Alsace - Champagne-Ar-denne - Lorraine, dans les Pays de la Loire et en Centre - Val de Loire).La situation serait plus tendue en Provence-Alpes-Côte d’Azur, oùl’UMP est talonnée par le FN. Le PSn’est pas très loin en Auver-

gne - Rhône-Alpes, en Normandieet en Bourgogne - Franche-Comté.

Mais pour le parti au gouverne-ment, qui détient actuellement 21 régions sur 22, la défaite serait quand même lourde, avec une majorité des 13 nouvelles collecti-vités – nées de la réforme territo-riale de 2014 – qui passerait dans les mains de l’opposition. La perted’ancrage local des socialistes, déjà observée aux municipales et aux départementales, se confir-merait encore un peu plus.

Rapport de force

La méthode a certes ses limites. Il ne s’agit que d’une projection, quipart du principe que l’équilibre des forces politiques resterait in-changé d’ici à la fin décem-bre 2015. Les événements du moisde janvier ont prouvé que la donne nationale pouvait évoluerrapidement. Les voix de gauche etde droite sont de plus agrégées,partant de l’hypothèse que la pré-sence du FN partout au second tour va pousser les grands blocs à s’entendre.

Dans ce scrutin, la barre à fran-chir pour se qualifier est beaucoupmoins élevée au premier tour, avecseulement 10 % des exprimés. Mais les listes peuvent fusionner àpartir du moment où elles ont dé-passé les 5 %. Enfin, dernier écueil, Paris et Lyon n’ont pas voté lors de ces départementales. Le cabinet

LMP a donc extrapolé ses projec-tions pour ces deux grandes villes en tenant compte des différences de comportement électoraux avec leurs régions observés lors des der-niers scrutins, notamment en ter-mes de participation et de poids respectifs des différents camps.

Pour l’assemblée de Corse, ilfaut par ailleurs tenir compte de deux particularités : le seuil de qualification au second tour est moins haut, et la prime majori-taire pour le parti arrivé en tête estmoins élevée qu’ailleurs (18 % des sièges contre 25 %). En outre-mer, toutes les collectivités n’ayant pasvoté, l’exercice s’avérait trop com-pliqué. Le résultat de cette projec-tion ne doit donc pas être pris comme une prédiction, mais plu-tôt une photographie qui donneune idée du rapport de force géné-ral avant la bataille régionale.

Elle fournit également des indi-cations sur les thèmes de la cam-pagne dans les mois à venir. La tri-partition devrait pousser les

Strasbourg

Lille

Orléans

Paris

Nantes

Rennes

Rouen

Marseille

Ajaccio

Toulouse

Bordeaux

Dijon

LyonAQUITAINE + LIMOUSIN+ POITOU-CHARENTES

LANGUEDOC-ROUSSILLON + MIDI-PYRÉNÉES

AUVERGNE + RHÔNE-ALPES

BOURGOGNE+ FRANCHE-COMTÉ

ALSACE + CHAMPAGNE-ARDENNE+ LORRAINE

CENTREVAL-DE-LOIRE

BASSE-NORMANDIE+ HAUTE-NORMANDIE

NORD-PAS-DE-CALAIS+ PICARDIE

PAYSDE LA LOIRE

BRETAGNE

PROVENCE-ALPES-CÔTE D’AZUR

CORSE**

52 %

54 %

52 %

57 %

52 %

55 %

53 %

58 %

56 %

58 %

59 %

55 %

55 %

ILE-DE-FRANCE

LES SCORES INDIQUÉS SONT DES PROJECTIONS ARRONDIES À L’UNITÉ : CERTAINS TOTAUX PEUVENT DÉPASSER OU ÊTRE INFÉRIEURS À 100 %

CHIFFRES NON DISPONIBLES POUR LES DOM-TOM

26 %

24 %

21 %

18 %

26 %

22 %

19 %

27 %

28 %

22 %

20 %

21 %

52 %

57 %

52 %

54 %

52 %

NORD-PAS-DE-CALAIS + PICARDIE

ALSACE + CHAMPAGNE-ARDENNE+ LORRAINE

BOURGOGNE + FRANCHE-COMTÉ

AUVERGNE + RHÔNE-ALPES

PROVENCE-ALPES-CÔTE D’AZUR

LANGUEDOC-ROUSSILLON+ MIDI-PYRÉNÉES CORSE

îLE-DE-FRANCE

BASSE-NORMANDIE+ HAUTE-NORMANDIE

CENTRE VAL-DE-LOIRE BRETAGNE

PAYS DE LA LOIRE AQUITAINE + LIMOUSIN + POITOU-CHARENTES

59 %

15 %*

8 %

22 %

55 %

15 %

28 %

14 %20 %

20 %

30 %

26 %

16 %

28 %

25 %

27 %

15 %

58 %

56 %

58 %

55 %

53 %

55 %

PAR LA GAUCHE

REMPORTÉ :

PAR LA DROITE

AVEC UNE FORTE PRÉSENCE DE LA DROITE

AVEC UNE FORTE PRÉSENCE FN

AVEC UNE FORTE PRÉSENCE DE LA GAUCHE

AVEC UNE FORTE PRÉSENCE FN

Front national

Gauche

Indépendantisteset/ou régionalistes

La prime au vainqueur sera de 18 %

Droite

PROJECTION DE LA RÉPARTITION DES SIÈGES AU CONSEIL RÉGIONALSUR LA BASE DES ÉLECTIONS DÉPARTEMENTALES DU 22 MARS

PROJECTION DE LA RÉPARTITIONDES SIÈGES AU CONSEIL RÉGIONAL

SO

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NS

Le scrutin départemental projeté sur les régionales

La perte

d’ancrage local

des socialistes

pourrait se

confirmer encore

un peu plus

grands partis à tenter de consti-tuer des blocs en amont. « Il y aura un enjeu à être très uni dès le premier tour, confirme Vincent Pons. Par ailleurs, pour la majorité,cette élection a prouvé qu’avec un niveau de participation plus élevé que prévu la gauche résistait un peu mieux. » Appels au rassem-blement et à la mobilisation. Voilàqui ressemble fort à la campagnedes départementales.

Redécoupage

Enfin, dernier enseignement de cette projection, le redécoupage électoral avec la constitution des 13 grandes régions ne profite pas forcément au parti au pouvoir. Enappliquant le même procédé surles actuelles 22 collectivités, la gauche aurait été en mesure dedéfendre davantage de bastions(12 au total), comme la Haute-Nor-mandie, la Franche-Comté ou en-core l’Auvergne.

Le FN de son côté aurait été asseznettement en tête en Picardie et aurait été en position de dirigerun conseil régional, pour la pre-mière fois de son histoire. La fu-sion avec le Nord-Pas-de-Calais luirend la tâche plus difficile. Mais sil’extrême droite venait à mettre lamain sur cette nouvelle entité du nord de la France, la prise deguerre n’en serait que plus im-pressionnante. p

nicolas chapuis

Mercredi 25mars à 20h30

Florian PHILIPPOT

Invité de

Emission politique présentéepar Frédéric HAZIZA

Avec :Françoise FRESSOZ, Frédéric DUMOULIN et Marie-Eve MALOUINES

sur le canal 13 de la TNT, le câble, le satellite, l’ADSL, la téléphonie mobile, sur iPhone

et iPad. En vidéo à la demande sur www.lcpan.fr et sur Free TV Replay.

www.lcpan.fr

Et

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0123MERCREDI 25 MARS 2015 france | 9

Manuel Valls, au risque du « déni »Le premier ministre appelle au rassemblement de la gauche mais n’envisage pas d’infléchir sa politique

Le symbole de la visitecrève les yeux, presquetrop. Pour son premier dé-placement après le pre-

mier tour des élections départe-mentales, Manuel Valls s’est rendu, lundi 23 mars, à Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis) où la gauche unie (socialistes, radicaux et écologistes) est arrivée en tête, dimanche soir, devant la droite et le FN. L’occasion rêvée, pour le pre-mier ministre, de pourfendre le « ni-ni mortifère » édicté par l’UMPpour le second tour, mais surtout de vanter « le rassemblement de tous à gauche » pour « mobiliser » et l’emporter le 29 mars.

Le rassemblement de la gaucheest pour l’exécutif l’un des enjeux principaux du second tour et, au-delà, des semaines qui s’ouvrent. Mais pour l’instant, M. Valls can-tonne celui-ci au seul registre du barrage contre l’extrême droite et refuse de l’élargir plus avant, no-tamment dans la perspective de l’après-élections. L’urgence n’est pas aux grandes manœuvres par-tisanes puisque, selon lui, le PS « n’a pas subi de déroute » diman-che soir et que « tout reste ouvert » pour le second tour.

Cet optimisme n’est pas sans ef-frayer au gouvernement et au PS. « Ils sont sur la lune, c’est très in-quiétant, se désole un conseiller ministériel. Le FN atteint son ni-veau historique record, il est au se-cond tour dans plus d’un canton sur deux, Sarkozy est consolidé comme leader de l’opposition, le PS va perdre de 20 à 30 départements,

et on nous explique que les Françaissont allés voter et que le FN a calé… C’est du déni absolu. »

Jean-Christophe Cambadélis, lepremier secrétaire du PS, s’est en-tretenu lundi par téléphone avec Emmanuelle Cosse, la secrétaire nationale d’Europe Ecologie-Les Verts, et Pierre Laurent, son homo-logue au PCF. Mais pas question pour l’instant d’organiser un grand meeting unitaire ni d’enta-mer des négociations program-matiques pour la fin du quinquen-nat. « Le rassemblement, ce n’est pas une question de partis, mais de citoyens, il faut mobiliser les élec-teurs », verrouille M. Valls, promet-tant de « poursuivre une politique qui va donner des résultats ».

Pour le premier ministre, le seulsujet doit rester le second tour des départementales. Ce manque d’ouverture fait craindre le pire à ceux qui, au PS, sont favorables à un élargissement rapide du gou-vernement aux écologistes et aux communistes, jugé inévitable sur fond d’installation du tripartisme. « Depuis dimanche soir, c’est une évidence : l’union de la gauche est indispensable pour sauver des ré-gions en décembre et pour que le PSse qualifie pour le second tour de la présidentielle. Valls fait tout le con-traire. Sa stratégie condamne Hol-lande pour 2017 », s’alarme un diri-geant socialiste.

Présent aux côtés du premierministre à Noisy-le-Grand, Claude Bartolone, qui doit pour sa part te-nir mercredi un meeting à Bondy avec Mme Cosse et M. Laurent,

plaide en privé auprès du chef de l’Etat pour que l’exécutif, dès le 30 mars, tende la main à ses parte-naires. « J’espère qu’après le second tour, le premier ministre et sa majo-rité auront à cœur d’envisager tou-tes les méthodes pour rassembler lereste de la gauche et les écologis-tes », explique le président de l’As-semblée nationale.

« Il faut persévérer »

Fin connaisseur de la carte électo-rale, François Hollande n’ignore rien de ces rapports de force. Di-manche à minuit, dans son bureaude l’Elysée, il se renseignait encore sur les résultats dans tel ou tel can-ton. Lundi, avec le ministre de l’in-térieur, Bernard Cazeneuve, il a étudié ceux-ci dans le détail au ni-veau national. MM. Hollande et Valls, qui ont déjeuné ensemble lundi et se sont retrouvés le soir pour un dîner avec plusieurs poidslourds du PS, n’ont pas pour autantl’intention de modifier leur straté-gie dans l’immédiat. « Les axes de

campagne choisis pour le premier tour ont été les bons, estime-t-on à l’Elysée. Il faut persévérer. »

Laissant les effets d’estrade à Ma-nuel Valls, qui va multiplier les dé-placements cette semaine (no-tamment dans le Val-de-Marne, mardi, et dans le Gard, vendredi), M. Hollande va continuer, d’ici à dimanche, sa campagne de mobi-lisation sur le thème de « la France qui gagne ». Il sera question d’éco-nomie, bien sûr, avec un possible

déplacement en Lorraine, ven-dredi. Mais aussi d’environne-ment et de santé, avec une visite mardi matin au siège de la Ligue nationale contre le cancer. Autant de thèmes susceptibles d’illustrer des mains tendues à la gauche.

Officiellement, le président nes’est entretenu depuis dimanche qu’avec Jean-Michel Baylet, le pré-sident du Parti radical de gauche réélu dans le Tarn-et-Garonne. Mais pas avec les écologistes, les communistes ou les proches de Martine Aubry. Ces discussions de-vraient avoir lieu « dans les jours qui viennent », explique un de ses proches. Mais pour le chef de l’Etat,seul le verdict des urnes compte. Le faible score des écologistes au premier tour, comme la mauvaise posture de la maire de Lille après l’élimination du PS dans le Nord, ne place pas l’exécutif en position de dépendance, et ne devrait donc pas l’inciter à multiplier les larges-ses à leur égard.

L’injonction au rassemblement,

paradoxalement, ne s’accompa-gne à ce stade d’aucune volonté dechangement significatif au sein de l’exécutif. La cohérence idéologi-que du gouvernement depuis le départ d’Arnaud Montebourg en août 2014, qualifiée de « conforta-ble », semble primer sur la néces-sité d’élargir son assise. « Je ne senspas l’urgence du remaniement, confie un ami de M. Hollande. Per-sonne ne se dit que c’est le grand soir. Il n’y a pas eu de choc. » Juste une défaite de plus, la troisième d’envergure en une année. Mais le fait qu’elle se révèle moins désas-treuse que prévu la rendrait pres-que acceptable…

La défaite du 29 mars, quels qu’enseront les contours exacts, doit avoir le minimum de conséquen-ces, ont déjà prévenu MM. Valls et Hollande. Un conseiller ministé-riel, cependant, n’y croit pas : « Si on passe de 60 à 30 départements, ils seront obligés de bouger. » p

bastien bonnefous

et david revault d'allonnes

« J’espère que le

premier ministre

aura à cœur

d’envisager

toutes les

méthodes pour

rassembler »

CLAUDE BARTOLONEprésident PS de l’Assemblée

emmanuelle cosse est à l’imagede son mouvement : elle marche sur un fil et ne sait pas si elle par-viendra à traverser le précipice. Au lendemain d’élections départe-mentales décevantes pour son parti, la secrétaire nationale d’Eu-rope Ecologie-Les Verts (EELV) tente de maintenir l’équilibre en-tre les partisans d’un retour au gouvernement et ceux qui souhai-tent ouvrir des perspectives à gau-che, loin de la politique défendue par MM. Hollande et Valls. Les ré-sultats du premier tour du scrutin,dimanche 22 mars, ne devraient pas l’aider, puisque les deux camps assurent y trouver leur compte.

Dans les cas – majoritaires – oùles candidats d’EELV se présen-taient en autonomie ou en duo avec au moins une des composan-tes du Front de gauche, le parti a recueilli respectivement 9,7 % et 13,6 % des voix. Quand ils étaient alliés avec le PS, ils ont obtenu 27 %des suffrages. Et sur les 80 cantonsoù EELV est qualifié pour le secondtour, 55 sont concernés par un ac-cord avec le PS. « L’avenir de l’écolo-gie n’est pas dans une dilution-dis-parition au sein d’un Front de gau-che rebaptisé, mais bien dans un partenariat renouvelé au sein d’une gauche qui agit », a réagi le coprésident du groupe écologiste à l’Assemblée nationale, François de Rugy, satisfait de ce rapport de forces en apparence favorable à l’alliance avec le PS.

Du côté des partisans d’uneouverture vers le Front de gauche, l’on s’efforce de mettre en avant quelques résultats encourageants, comme les 21,5 % glanés par un bi-nôme Front de gauche-EELV à Lilleou les près de 30 % obtenus en moyenne à Grenoble par l’alliance EELV-Parti de gauche. « Comme les résultats sont moyens, chacun peutfaire les analyses qu’il veut. Le dé-bat n’est pas clos », relève un pro-che de Mme Cosse.

Toujours est-il que le travail de lasecrétaire nationale va être com-pliqué pour faire oublier ces mai-gres 2 % des voix affichés et répé-

tés au niveau national à partir de20 heures, dimanche soir. Un chif-fre qui ne prenait pas en compte lepetit nombre de candidats écolo-gistes, présents dans seulement lamoitié des cantons, ni leurs allian-ces multiples, classées sous les éti-quettes « divers gauche » et « union de la gauche ». Il n’empê-che. Si la conseillère régionale d’Ile-de-France a d’emblée appelé au rassemblement pour le secondtour, dimanche 29 mars, elle es-père encore pousser le gouverne-ment à infléchir sa ligne politique au lendemain du scrutin. Et ces 2 % risquent de lui être renvoyés au visage.

Une attitude qui dérange

Depuis quelques semaines, la se-crétaire nationale d’EELV entre-tient des « échanges informels » avec l’exécutif, selon son entou-rage. Son nom circule pour entrer au gouvernement en cas de rema-niement, et elle prépare l’agenda souhaité par les écologistes pour la fin du quinquennat, préalable à toute participation. Un dîner or-ganisé lundi par le député du Gard, Christophe Cavard, a réuni ses proches dans le but de formali-ser l’espace politique de Mme Cosse, qui tente de se placer au-dessus des clivages. « Ce dîner est une initiative de la part de per-sonnes qui éprouvent une lassi-tude face au débat caricatural Pla-cé-Duflot et qui se retrouvent dans les positions d’Emmanuelle Cosse. Elle critique le gouvernement, maiselle n’est pas dans le radicalisme », explique un de ses conseillers.

Cette attitude dérange : sa pré-sence le 4 avril à une réuniond’écologistes pro-Hollande a dumal à passer. « Le périmètre de cette réunion est regrettable, elleest commanditée par l’Elysée pour réunir les soutiens de François Hol-lande et de Manuel Valls », estime David Cormand, numéro deux d’EELV et proche de Cécile Duflot, en éludant le cas de Mme Cosse : « La secrétaire nationale est maî-tre de son agenda. » p

olivier faye

A EELV, Emmanuelle Cosse joue les équilibristes

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10 | france MERCREDI 25 MARS 2015

0123

Dans l’Aisne, miroir d’une France coupée en troisA Marle, l’UMP affrontera le FN au second tour. Arrivé troisième, le candidat du PS a choisi de se retirer

marle (aisne) – Envoyée spéciale

Pendant près de trenteans, Marie-Jeanne Par-fait a été employée à lamunicipalité de Marle,

dans l’Aisne, notamment à l’entre-tien. Il lui fallait emprunter l’esca-lier d’honneur pour utiliser une salle de bains, son logement defonction n’en comptant pas, et marcher sur la pointe des piedsles jours de réception. Le maire s’appelait Yves Daudigny, socia-liste, devenu l’un des politiquesles plus puissants et respectés dudépartement, président du con-seil général, de la communauté decommunes, puis sénateur.

Depuis ses débuts, en 1983, Dau-digny n’a jamais perdu un seul scrutin, passant dès le 1er tour, et à chaque fois. Sa première défaite, particulièrement cuisante, vient d’avoir lieu aux élections départe-mentales : dimanche 22 mars, il a échoué à la troisième place dans le canton de Marle. C’est Pierre-Jean Verzelen, jeune hussard de l’UMP, qui est arrivé en tête, unesurprise, avec 37,62 % des voix. En-tre les deux, un binôme s’est in-terposé, faisant définitivement trébucher Daudigny : celle qui le conduit, pour le Front national, est Marie-Jeanne Parfait, safemme de ménage, ou plutôt cellede la mairie. Et le canton de Marle paraît soudain une fable de l’épo-que, celle de cette France qui vientde se découvrir politiquementcoupée en trois.

« On est nouveau »

Un des mérites de Marle, 2 200 ha-bitants, est d’y laisser apparaître les choses si franchement, qu’elles tirent vers la caricature. « C’est aupoint que notre canton a été ciblé par la presse pour représenter la pauvreté, le délaissement et la montée du FN au dernier scrutin », commente un employé munici-pal. Ici, des luttes ont pourtant été menées, acharnées, pour garder la gare et une usine, construire une maison de retraite ou quelques tronçons à quatre voies sur la na-tionale 2, la seule grande route du département.

A Crépy, une boulangère abaissé le prix de la baguette ; plus loin, un fast-food vend des sand-

wichs grecs par demi et quart de portion. Mais les rues de Marle ressemblent à un décor avant le lever du rideau, maisons serréesles unes contre les autres, si vides et silencieuses qu’on les croiraitinhabitées, magasins abandon-nés, surplombés par l’ombre dé-mesurée d’une Notre-Dame depierre et d’ardoise. « On savait qu’Yves Daudigny allait vers sa chute, explique une commer-çante. On se demandait seulementcomment ça se passerait. »

Cela a commencé dans un vil-lage à côté, Crécy-sur-Serre, où Pierre-Jean Verzelen se met à frap-per aux portes avec sa belle petite gueule et son enthousiasme com-municatif. On ouvre. Et là, il tend son tract avec son plus grand sou-rire : « On est nouveau, votez pour des jeunes. » Il a 30 ans, dont lamoitié à l’UMP. Il aime ça, ça se sent, les soirées électorales l’exci-tent comme d’autres un match de

foot. Il peut passer des soirées à parler stratégie avec ses copainsrencontrés dans l’écurie des pou-lains du parti.

Depuis tout petit, Pierre-JeanVerzelen a l’impression d’enten-dre répéter que le système ne peutplus durer – « trop de mécaniqueusée et d’éléments de langage, pas assez de courage politique ; lesgens ne croient plus aux élus qui rasent gratis ». Pendant la campa-

gne, Pierre-Jean Verzelen n’a pas résisté à l’envie ne plus faire « que ça », c’est-à-dire de la politique. Il adémissionné de son emploi dansune banque. Son parrain en politi-que est Bernard Ronsin, l’ancienmaire de Crécy, qui l’a poussé à prendre sa place et le trouve « hy-perbrillant ». En passant, un co-pain lui demande : « Tu crois tou-jours que Pierre-Jean va devenir président de la République ? » Oui, il le croit.

A Montigny-sous-Marle, Marie-Jeanne Parfait vit dans deux an-ciens wagons de chemins de fer aménagés, posés devant un pota-ger. Le linge sèche sur sa corde, Jacques et Elvis ouvrent la porte. Jacques est le mari, Elvis le chien. Elle pensait être éliminée dès le premier tour. Depuis dimanche, elle se prend à y croire.

Marie-Jeanne Parfait, 61 ans, estentré au FN à l’époque où elle cherchait des moyens pour en-

voyer son petit-fils à une consul-tation médicale à Paris, il y a un oudeux ans peut-être. Elle avait prisrendez-vous avec les partis politi-ques, on la renvoyait de l’un à l’autre, quand une amie lui aglissé comme un tuyau : « Essaie le FN. » Franck Briffaut, le maire FN de Villers-Cotterêts, et sa femme se sont démenés pour dé-bloquer la situation. Alors, elle apris sa carte, « c’est normal ».

En novembre 2014, un chauf-feur-livreur de Saint-Quentin lui ademandé d’être son binôme pour les départementales. Ça l’a éton-née, mais pas plus que ça. Dans son canton, on la connaît peu, y compris ses 31,75 % d’électeurs. « Les gens en ont ras-le-bol des po-litiques », dit-elle. Et son mari : « Alors pourquoi pas nous ? »

Pour les départementales, YvesDaudigny, le socialiste, avait tout juste envisagé pouvoir cette foisn’être élu qu’au deuxième tour.

Dans le miroir de cette nouvelleFrance coupée en trois, il se dé-couvre soudain l’incarnation « dupouvoir à abattre », concentrant tout ce qu’on reproche aujourd’hui à un politique, le cu-mul des fonctions, les mandats qui s’enchaînent interminable-ment, lui qui était un symbole de probité et de travail, à son arrivée comme professeur au collège deMarle dans les années 1970.

Yves Daudigny a déjà annoncé leretrait de sa candidature au secondtour pour barrer le passage au FN. Dans trois autres cantons de l’Aisne présentant une situation si-milaire (deux à Soissons et celui deGuignicourt), les listes de gauche ont en revanche décidé de se main-tenir, contrairement aux consi-gnes nationales du PS. Le conseil départemental pourrait être diviséen trois blocs presque égaux, ce quile rendrait presque ingérable.

« Tout s’apprend, non ? »

64 % des jeunes se sont abstenus au scrutin. Cette époque est la sienne, Pierre-Jean Verzelen en est sûr. « Le Front national va encore cartonner aux élections régionales en décembre 2015, et puis ce sera l’effondrement », estime-t-il.

Au conseil départemental, Ma-rie-Jeanne Parfait se voit faire des permanences, recevoir des gens. « Tout s’apprend, non ? » Pour les régionales, elle tient déjà à annon-cer ne pas se présenter : le conseil est à Amiens – peut-être bientôt à Lille : « Ça me ferait monter trop loin, au moins une heure trente de voiture. » Le département, en re-vanche, siège à Laon, 26 kilomè-tres. « Ça va encore. » Elle n’a pas lepermis, alors ce sera Jacques qui la conduira. p

florence aubenas

Les électeurs imposent le tripartisme malgré le mode de scrutinLa loi de 2013 avait fixé à 12,5 % le seuil de qualification au second tour des départementales pour entraver la poussée du Front national

ANALYSE

U ne fois de plus se vérifiel’adage selon lequel lesmodifications des règles

électorales profitent rarement àleurs auteurs. Le Parti socialisteen fait l’amère et douloureuse ex-périence après le premier tour de ces élections départementalesqui voient les candidats qu’il sou-tenait écartés du second tour dans 580 cantons. Plus d’un cin-quième de ces binômes le doiventau fait qu’ils n’ont pas franchi le seuil des 12,5 % des inscrits, fixé par la loi du 17 mai 2013, néces-saire pour se maintenir.

Encore convient-il de rendre àCésar ce qui appartient à César.Un peu d’histoire s’impose. Lors-que le projet de loi relatif à l’élec-tion des conseillers départemen-taux est déposé, en novem-bre 2012, il prévoyait initialement de fixer cette barre à 10 % des ins-crits, soit de revenir au seuil histo-rique de qualification au secondtour pour les élections cantonalesque la loi de 2010 instaurant les conseillers territoriaux avait porté à 12,5 %. Ce seuil sera appli-qué aux élections cantonales demars 2011. Ainsi, lors de ce scrutin,portant sur le renouvellement de la moitié des cantons, le second tour donnera lieu à 52 triangulai-res. Si la barre avait été maintenueà 10 % des inscrits, il y aurait eu

259 triangulaires, 9 quadrangu-laires et, même, 2 pentagulaires.

Une évolution qui n’était pasétrangère aux résultats des élec-tions régionales de mars 2010,marquées par une sévère défaite de la droite – qui ne conserve que l’Alsace en métropole –, accentuée par la poussée du Front national,présent au second tour dans douze des vingt-deux régions mé-tropolitaines. Ainsi germe, chez les dirigeants de l’UMP, au premierrang desquels celui qui préside alors le groupe des députés, Jean-François Copé, l’idée, pour l’élec-tion des futurs conseillers territo-riaux, du « deux tours sec » : un

scrutin à deux tours mais avecsuppression des triangulaires, oùseuls les deux candidats arrivés entête au premier tour sont admis à concourir au second, comme pour l’élection présidentielle. Cer-tains envisagent même d’étendre ce système aux législatives.

« Manœuvre »

Les dirigeants de la droite n’enfont pas mystère : il s’agit bel etbien d’écarter la concurrence de l’extrême droite afin d’affronter lagauche dans les meilleures condi-tions. Certains, toutefois, pres-sentent que le piège pourrait se refermer sur l’UMP. Après de vifsdébats internes à la droite, c’est la solution du relèvement à 12,5 % des inscrits qui est retenue.

Retour, donc, aux débats parle-mentaires qui ont précédé l’adop-tion de la loi sur les conseillers dé-partementaux. En première lec-ture, la droite, désormais dans l’opposition, combat le retour au seuil de 10 % des inscrits, subodo-rant une « manœuvre » du gou-vernement pour lui mettre, autant que possible, le FN dans lespattes. En vain. Le ministre de l’in-térieur, Manuel Valls, repousse fermement les assauts de la

droite. Mais, surprise, endeuxième lecture, le gouverne-ment se fait une douce violence etaccepte de rétablir le seuil de12,5 %. Dans les faits, la majorités’est elle-même convertie à l’idée que, faute de parvenir à endiguerpolitiquement la progression duFN, mieux valait, autant que pos-sible, l’entraver électoralement.

Cet épisode révèle l’état d’espritdes responsables des deux princi-pales formations de gauche et de droite. La question qui se posepour eux est, d’abord, d’empêcherun « intrus » d’exercer sa capacité de nuisance et de perturber la tra-ditionnelle bipolarisation que lesinstitutions de la Ve Républiquesont censées garantir. A ce titre, lescrutin majoritaire à deux tours en vigueur pour les élections ma-jeures – présidentielle et législati-ves – a longtemps contribué à fi-

ger le paysage politique.Mais la mutation politique est

allée plus vite que l’évolution ins-titutionnelle. L’affaissement des forces dominantes, lié à l’irrup-tion du FN, réceptacle de tous les dépits et de toutes les colères, oblige à constater que le tripar-tisme s’installe comme une réa-lité. Qui va considérablement mé-tamorphoser le jeu électoral. Noussortons d’une classique opposi-tion bipolaire droite-gauche pour entrer dans une ère qui voit troisacteurs majeurs se disputer les suffrages. Avec cette notable parti-cularité – pour l’instant, du moins – qu’aucune de ces trois forces ne peut envisager de faire alliance avec l’une des deux autres.

Quel que soit le mode de scrutin– majoritaire ou proportionnel avec prime, comme pour les mu-nicipales et les régionales –, cette « règle de trois » va imposer deux exigences. Un : être en situationd’éviter l’élimination dès le pre-mier tour. Deux : réunir les condi-tions pour arriver en tête au se-cond tour. Car, quoi qu’il arrive,c’est le plus gros des trois tiers quiremportera le morceau. Mais, à cejeu, malheur au battu. p

patrick roger

Plus d’un

cinquième des

binômes PS ontété éliminés au

premier tour carils n’ont pas

franchi le seuildes 12,5 %

des inscrits

La candidate du FN Marie-Jeanne Parfait chez elle à Montigny-sous-Marle (Aisne) le 23 mars. CYRIL BITTON POUR « LE MONDE »

Marie-Jeanne Parfait avait pris

rendez-vous avecles partis, on la

renvoyait de l’unà l’autre. Une

amie lui a glissé :« Essaie le FN »

Yves Daudigny,le président

socialiste sortantdu département,

se découvre l’incarnation du « pouvoir

à abattre »

La mutation politique est allée

plus vite que l’évolution

institutionnelle

- CESSATIONS DE GARANTIE

LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRETD’APPLICATION N° 72-678 DU 20

JUILLET 1972 - ARTICLES 44QBE FRANCE, sis Cœur Défense – TourA – 110 esplanade du Général de Gaulle– 92931 LA DEFENSE CEDEX (RCSNANTERRE 414 108 708), succursalede QBE Insurance (Europe) Limited,Plantation Place dont le siège social est à30 Fenchurch Street, London EC3M 3BD,fait savoir que, la garantie financière dontbénéficiait la :

SAS SELFY IMMOBILIER9 rue Saint-Jacques

57990 HUNDLING - RCS: 805 264 355depuis le 16 octobre 2014 pour ses activi-tés de : GESTION IMMOBILIERE depuisle 16 octobre 2014 pour ses activités de :TRANSACTIONS SUR IMMEUBLESET FONDS DE COMMERCESANS ENCAISSEMENT ET SANSMANIEMENT DE FONDS cessera de por-ter effet trois jours francs après publicationdu présent avis, Les créances éventuellesse rapportant à ces opérations devrontêtre produites dans les trois mois de cetteinsertion à l’adresse de l’Etablissementgarant sis Cœur Défense – Tour A – 110esplanade du Général de Gaulle – 92931LA DEFENSE CEDEX. Il est précisé qu’ils’agit de créances éventuelles et que le pré-sent avis ne préjuge en rien du paiementou du non-paiement des sommes dues etne peut en aucune façon mettre en causela solvabilité ou l’honorabilité de la SASSELFY IMMOBILIER.

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Existe-t-il encore des ter-res de mission pour leFront national ? Rienn’est moins sûr, à la vue

des résultats du premier tour desélections départementales. LeFront national sort certes ren-forcé dans ses bastions du Nord-Est et du Sud-Est, avec des pointesà plus de 30 % des suffrages dansl’Aisne (38,67 %) ; l’Oise (35,1 %) ; laSomme (34,23 %) ; le Pas-de-Ca-lais (35,63 %) ; le Var (38,9 %) ; leVaucluse (37,40 %) et le Gard (35,54 %).

Mais le fait nouveau est la per-cée du parti d’extrême droitedans des zones qui, jusqu’à pré-sent, restaient imperméables àson discours. « Le Front national aréalisé des scores inférieurs à samoyenne nationale mais qui de-meurent élevés, dans des terres demission absolues », note Jean-Yves Camus, qui prend commeexemple la Creuse. « Dans ce dé-partement, où le FN réalise 17,58 % des voix, il ne présentait, dans les années 1990, qu’un ou deux candi-dats aux cantonales avec des sco-res assez faibles », a ajouté M. Ca-mus lors d’une conférence depresse de l’Observatoire des radi-calités politiques (ORAP) qu’il di-rige au sein de la Fondation Jean-Jaurès, lundi 23 mars, à Paris.

Ces nouvelles poches frontistesse situent sur la façade ouest-sudouest du pays, mais aussi au cen-tre de l’Hexagone. Il en va ainsi dela Manche (23,85 % des suffrages) ;la Mayenne (19,7 %) ; la Sarthe (26,37 %) ; l’Ille-et-Vilaine (18,39 %) ; le Loiret (28,67 %) ; l’In-dre-et-Loire (23,38 %) ; le Loiret (28,67 %) ; le Tarn-et-Garonne, oùil est en tête avec 27,26 % des voix,

tout comme dans le Lot-et-Ga-ronne (27,05 %).

De même, dans certains dépar-tements, des cantons connaissent une poussée frontiste inédite comme le Nord-Médoc (37,86 %) en Gironde ou dans le canton de Chantilly (27,06 %) dans l’Oise. Dans ces deux cas, cela concerne des zones plutôt aisées dont les habitants ne devraient pas, a priori, être séduits par le discours économique de Marine Le Pen et qui ne connaissent pas non plus lacrise de la ruralité ou le chômage, deux facteurs de vote FN dans les zones rurales et postindustrielles.

Lissage

Comment expliquer cela ? Tous ces territoires recouvrent donc des réalités sociales, économi-ques et sociologiques différentes. Et tous ces territoires ont des rai-sons propres à un vote frontiste important.

« Il y a trois étapes dans la cons-truction électorale du FN. La pre-mière est celle du Sud-Est, avec ladroite radicalisée et le vote pied-noir, explique Pascal Perrineau,professeur à Sciences Po Paris. La

deuxième est celle du grand Nord-Est, avec un électorat plus com-plexe. Une partie proteste contre lasociété postindustrielle. Une autre vit une résurgence du nationa-lisme blessé et s’est tournée, fautede mieux, vers le FN. Enfin, la troi-sième étape est celle concernant le Centre et l’Ouest, où la crise rurale et rurbaine nourrit un vote fron-tiste d’une population qui a perdu ses repères. Peu ou prou, il n’y a plus de terres de mission pour leFront national. »

Ce lissage du vote pour le partinationaliste est, pour une part, lerésultat mécanique de la présencemassive dans plus de 93 % des cantons du FN. De même, la nou-velle façon de Marine Le Pen de défendre ses idées, avec moinsd’outrances que ne le faisait son père, a pu, également, rassurer unélectorat qui pouvait être effrayé par la personnalité de Jean-MarieLe Pen. Mais ces phénomènes ne peuvent tout expliquer.

Pour Joël Gombin, politologue à

l’université de Picardie Jules-Verne et membre de l’ORAP, un mouvement similaire avait déjàeu lieu lors des élections euro-péennes. « C’est un rééquilibrage de la géographie et probablementde la sociologie de l’électorat FN », explique le chercheur. Il com-plète : « L’évolution du vote fron-tiste se fait par une forme de stabi-lisation, voire de tassement dans les territoires les plus périphéri-ques, les plus ruraux, les plus popu-

laires. En revanche, dans un cer-tain nombre de territoires plutôt aisés, urbains ou périurbains, le FNprogresse de manière significa-tive. »

Ainsi, en Picardie, région quivote le plus pour le parti lepéniste,le FN régresse, en nombre de voix,dans presque tous les cantons si l’on compare avec les élections européennes de mai 2014. Avecparfois moitié moins de suffra-ges, alors même que la participa-tion était meilleure.

Vote réflexe

En revanche, il progresse de ma-nière significative, à Senlis, Com-piègne 2, Chantilly et Amiens, soitdes cantons très aisés – dans le sud de l’Oise – soit des cantons très urbains – dans l’Amiennois.On voit ici une sorte de vote ré-flexe d’un camp contre un autre. La droite contre la gauche au pou-voir. « La question sociale dans lediscours du FN est secondaire, poursuit M. Gombin. Ce qui

compte, c’est l’immigration plusl’opposition radicale au système politique. C’est un vote d’opposi-tion. »

C’est ce qui fut à l’origine del’émergence frontiste au débutdes années 1980. Aujourd’hui, lecatalyseur du mécontentementde droite est toujours le vote FN, qui à la fois rejette le PS et de-mande également à l’UMP demuscler son discours. M. Camusle résume : « Le FN se nourrit d’une opposition exacerbée, tri-pale, au PS. » C’est ce qui expliqueque des populations d’extrac-tions sociales opposées se retrou-vent autour du message de Ma-rine Le Pen.

M. Perrineau confirme. « C’estvrai que le ciment du vote frontisteest l’immigration et l’insécurité, mais il n’y a pas que cela. La figure de l’immigré incarne de la manièrela plus complète une globalisation – économique, sociétale et cultu-relle – que le FN abhorre. » p

abel mestre

Le « ni-ni » de l’UMP n’enchante pas son alliée l’UDIJean-Christophe Lagarde, président du parti de centre droit, « regrette » la position de son partenaire, mais n’en fait pas un casus belli

L e jour d’après, la droite et lecentre pourraient juste ap-précier leur victoire annon-

cée. Faire les comptes et se proje-ter dans une carte des départe-ments aux deux tiers bleue. Mais après leur bon score du premiertour, l’UMP et ses alliés centristes ont affiché leurs divergences quant à l’attitude à adopter vis-à-vis du Front national au secondtour.

Dès dimanche soir, NicolasSarkozy a réaffirmé la ligne offi-cielle de son parti, en appelant àne voter « ni pour le FN ni pour la gauche » dans les départements où les candidats UMP sont élimi-nés. « Je ne dévierai pas de cette li-gne », a-t-il assuré, mardi 24 mars,sur RTL : « Nous ne voterons, dans les rares cas où nos candidats nepeuvent pas se maintenir, ni pour les candidats de la gauche, dont nous combattons la politique, ni pour les candidats du Front natio-nal avec qui nous n’avons rien àvoir. » Dans les quelque 260 duels gauche-FN, les électeurs de droite sont donc invités à voter blanc ou à s’abstenir.

A moins qu’ils n’écoutent lescentristes. Car l’UDI tient un toutautre discours. « Là où les candi-dats de droite et du centre sont éli-minés, j’appelle à utiliser le bulle-tin républicain pour faire barrageà l’extrême droite », affirme auMonde le président de l’UDI,

Jean-Christophe Lagarde. « Re-grettant » la position de l’UMP, ilsouligne sa différence avec Nico-las Sarkozy qui n’a eu cessé de dé-noncer le « FNPS », collusionsupposée entre socialistes etfrontistes : « Je ne trace pas de si-gne égal entre les socialistes, quisont dans le champ républicain, etl’extrême droite, qui n’en fait paspartie. »

Maintien en cas de triangulaire

M. Lagarde défend le front répu-blicain, mais n’en fait pas pour autant une ligne de fracture avecl’UMP. « C’est normal d’avoir des différences, ce qui compte, c’est deconstruire des alternances », a-t-il expliqué, lundi après-midi, après avoir rencontré M. Sarkozy au siège de l’UDI.

Même s’il est engagé dans unemoindre mesure que l’UDI avec l’UMP, le MoDem s’est lui aussiclairement démarqué de la straté-gie du parti de droite : « Je ne suis pas pour le “ni-ni” », a rappelé son président, François Bayrou, souli-gnant qu’il y avait « au-dessus des étiquettes et des programmes, des valeurs ».

En revanche, l’UMP et l’UDI s’ac-cordent sur la ligne à tenir pour les triangulaires : les deux partis appellent leurs candidats à semaintenir partout où ils le peu-vent. Y compris lorsqu’ils se sont classés en troisième position à

l’issue du premier tour. Ce cas defigure existe notamment dans l’Aisne, dans les cantons de Guiseet de Ribemont, et dans le Vau-cluse, dans les cantons de Pernes-les Fontaines et de Vaison-la-Ro-maine.

Aussitôt, le PS a tenté de mettrela pression sur l’UMP, en lui repro-chant de prendre volontairement le risque de favoriser l’élection d’un candidat d’extrême droite.« Nicolas Sarkozy commet unefaute politique et morale ma-jeure », a accusé le premier minis-tre, Manuel Valls, lundi, en souli-gnant que son parti, de son côté,appelait « à faire barrage partoutau FN ». Les socialistes ont an-noncé qu’ils retireraient leurs candidats dans les cantons de l’Aisne, où l’extrême droite est enposition de gagner, et ont de-mandé à l’UMP d’agir de la même manière, en se désistant des terri-

toires du Vaucluse où le FN peut l’emporter. Mais l’UMP a opposé une fin de non-recevoir. « Le PSinstrumentalise le FN et adore donner des leçons de morale », arétorqué M. Sarkozy mardi, sur RTL.

Pas de remise en cause ouverte

Grands perdants du premier tour de ce scrutin, les socialistes cher-chent à plonger dans l’embarras leurs adversaires de droite en ravi-vant les fractures internes au sein de l’UMP. Chacun a en souvenir l’épisode de la partielle du Doubs, où les ténors de la droite s’étaient entre-déchirés sur la question du FN. A l’époque, Alain Juppé et Na-thalie Kosciusko-Morizet s’étaientvivement opposés à la ligne du « ni-ni », avant que l’ensemble desténors de l’UMP ne reviennent fi-nalement sur cette doctrine rom-pant avec la stratégie du front ré-publicain.

Cette fois, M. Juppé n’a pas faitentendre aussi bruyamment sadivergence de vue. Alors qu’il avait affirmé qu’il voterait « à titrepersonnel » pour le PS s’il étaitélecteur dans le Doubs, le fonda-teur de l’UMP a écrit sur son blogqu’il respectait la ligne de son parti, tout en rappelant que sa« priorité » restait de « faire bar-rage au FN ». Bien qu’il soit tou-jours opposé au « ni-ni », le mairede Bordeaux estime que le mo-

ment n’est pas venu d’exposer sesétats d’âme. Pas question de ris-quer de briser la dynamique de son camp, avant le second tour. « Il n’a pas changé d’opinion, mais il est hors de question de remettre une pièce dans la machine, confie Gilles Boyer, son conseiller politi-que. Alain Juppé n’est pas dans la transgression systématique, mais chacun sait ce qu’il pense. La pri-maire sera le moment pour en dé-battre. »

Même prudence de la part desautres dirigeants incarnant l’ailemodérée de l’UMP : que ce soit Nathalie Kosciusko-Morizet ou Gérard Larcher, aucun n’a ouver-tement remis en question la lignedu « ni-ni » lors du bureau politi-que réuni lundi soir autour deM. Sarkozy. « On a tiré les leçons du Doubs et on ne veut pas relan-cer la machine à divisions », expli-que un participant.

L’ancien chef de l’Etat a lui-même tout fait pour éviter les fausses notes : dans la journée de lundi, il a appelé l’ensemble des ténors du parti pour leur deman-der de ne pas afficher leurs diver-gences de vue dans l’entre-deux-tours. « Le message était simple : ilfaut mobiliser pour le second tour, pas question de se déchirer en pleinmilieu d’une élection », résumel’un d’eux. p

matthieu goar

et alexandre lemarié

Dans le local de la députée Marion Maréchal-Le Pen, à Carpentras (Vaucluse), dimanche 22 mars. ARNOLD JEROCKI/NEWS PICTURES POUR « LE MONDE »

« C’est un

rééquilibrage

de la géographie

et probablement

de la sociologie

de l’électorat FN »

JOËL GOMBIN

politologue à l’université

de Picardie-Jules-Verne

LES CHIFFRES

54 %des électeurs de l’UMP ne

suivraient pas le « ni-ni »

Plus d’un électeur de l’UMP sur deux ne compte pas suivre la consigne de Nicolas Sarkozy de ne choisir « ni le PS ni le FN » au second tour des élections dépar-tementales, selon un sondage Odoxa paru mardi 24 mars dans Le Parisien-Aujourd’hui en France. En cas de duel PS-FN, 27 % des électeurs UMP-UDI vo-teraient pour le FN, 27 % pour le PS et seuls 46 % choisiraient l’abstention ou le vote blanc ou nul, selon cette enquête menée au lendemain du premier tour.

57 %des électeurs de gauche

voteraient pour l’UMP

Du côté des électeurs de gauche, la consigne du PS de voter con-tre le FN est majoritairement sui-vie en cas de duel UMP-FN : 57 %ont l’intention de voter pour l’UMP, 3 % pour le FN et 40 % opteraient pour le « ni-ni ».

Le FN perce dansde nouveauxterritoiresDes poches frontistes apparaissentnotamment dans des zones aisées

« Le Front

national

se nourrit

d’une opposition

exacerbée,

tripale, au PS »

JEAN-YVES CAMUS

directeur de l’Observatoire

des radicalités politiques

Bien qu’il soit

toujours opposé

au « ni-ni », Alain

Juppé n’a pas fait

entendre aussi

bruyamment

sa divergence

de vue

Page 12: Monde 3 en 1 Du Mercredi 25 Mars

12 | france MERCREDI 25 MARS 2015

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« Votre Bible, à vous, ce sont les programmes »Reportage en Seine-Saint-Denis, pendant une formation à la laïcité pour les professeurs contractuels

Il y a d’abord eu la partiethéorique. Trente minutesde cours magistral pour re-mettre en perspective la laï-

cité, son émergence et ses dates clés, résumées avec brio par Ami-nata Diallo, l’inspectrice quiprend en charge, ce 18 mars, la for-mation d’une vingtaine de con-tractuels rassemblés au collège Gustave-Courbet de Romainville(Seine-Saint-Denis).

Penchés sur leur cahier, ces en-seignants débutants mais pas tous inexpérimentés – quelques-uns ont 40, voire 50 ans – pren-nent des notes scrupuleusement. Sûrs que leur réputation de « profs de seconde zone » les pré-cède dans certaines des écoles où ils sont envoyés pour pallier les difficultés de remplacement, de-venues quasi chroniques dans le département.

Sûrs aussi qu’après les attentatsde janvier, la laïcité figurera ce printemps au concours de l’ensei-gnement, alors que deux sessionssont exceptionnellement organi-sées à Créteil pour attirer les can-didats, certes, mais aussi pour ac-célérer la titularisation du « vo-lant » de précaires dont ils font partie. En Seine-Saint-Denis, ils sont cette année 520 à colmaterles brèches à l’école primaire, une première – on n’avait jusqu’à pré-sent recours à eux que dans le se-cond degré.

Place, ensuite, aux travaux pra-tiques. Mme Diallo partage sa « classe » en deux groupes, etpropose à chacun une étude de cas. « Vous identifierez les problè-mes déontologiques, réglementai-res et pédagogiques, explique-t-elle, en vous demandant : si vous étiez l’enseignant de la classe, que feriez-vous ? »

Premier cas : celui d’un profes-seur de CM2 dont des élèves, ap-puyés par leurs parents, s’oppo-sent à une sortie prévue dans uneéglise pour écouter du Vivaldi.

Dans le deuxième cas, c’est un cours sur l’islam qui vaut à un en-seignant la réaction courroucéed’un parent. A chaque fois, les fa-milles ont mis en avant leur reli-gion – musulmane dans le pre-mier exemple, catholique dans lesecond –, affirmant agir au nom même de la laïcité. « Ce sont deux histoires vraies, précise la forma-trice, l’une en Seine-et-Marne, l’autre dans le Val-de-Marne. Ellessont antérieures à cette année, cer-tes, mais elles cristallisent des cris-pations de la société qui détei-gnent sur l’école. »

Pour aider les contractuels, niLarousse, ni code de l’éducation,

d’histoire occultés, la colonisation notamment… Que leur répon-dre ? » Un troisième s’interroge sur « la possibilité de se référer, en classe, à une autorité religieuse ». Achaque question, Aminata Diallo répond avec le même aplomb : « Restez dans le champ des savoirs,jamais des croyances. Il n’y a pas derecettes toutes faites… Votre Bible,votre livre à vous, ce sont les pro-grammes », répète-t-elle.

Mezza voce, des discussionss’engagent sur ces sujets qui agi-tent l’opinion : les repas de subs-titution, les mères voilées… Des anecdotes que l’on se répète entreprofesseurs – ici, un cours de na-

tation problématique, là, une le-çon de SVT contestée –, en se de-mandant si elles sont avérées ou de l’ordre de la rumeur. « Quandon se sent légitime, droit dans sesbottes, on n’a pas de problèmeparticulier avec la laïcité, assureJulie Reteuna, 26 ans mais déjàdes études de droit et d’histoireen poche. Sur 26 ou 27 élèves parclasse, vous en aurez toujours un ou deux pour faire les malins,mais quand ils m’interpellent, sur-pris qu’on aborde la christianisa-tion ou l’islam, je leur réponds quela religion ne m’intéresse pas. Lefait religieux, l’histoire, ça, oui ! »

Ce n’est pas Sadia Mazni, 50 ans,

qui lui donnerait tort. Pour cette ex-enseignante en CFA (centre de formation des apprentis) qui s’oc-cupe désormais de CE1-CE2, ces « entorses à la laïcité qui font lebuzz, ça ne marque pas notre quo-tidien ». A l’écouter, « c’est plutôt une lubie de ministres » qui passe à côté des « vrais problèmes » :l’absence de mixité, la ségréga-tion sociale et scolaire. « Ensei-gner ici, c’est très dur, note-t-elle. On peut se retrouver face à des élè-ves qui ne savent pas écrire le fran-çais en CM2. Il est là, le nœud ! »

« Le 9-3 ostracisé »

Parmi les participants à cette de-mi-journée de formation – l’unedes six promises dans le cadre du « plan d’action » pour la Seine-Saint-Denis –, certains n’ont dé-buté qu’en janvier. Parfois la veilledes attentats. C’est le cas d’Emilie Grattepanche, 27 ans, qui a com-mencé à enseigner le 5 janvier. « Jen’ai pas vécu de dérapages, mais l’émotion était vive, raconte cette ancienne assistante d’éducation,qui ne comprend pas qu’« on aitmis l’accent sur ces jeunes affir-mant “ne pas être Charlie”, quand tant d’autres étaient solidaires ». Isabelle (elle a préféré conserver l’anonymat), 42 ans, est plus cir-conspecte. « Autour de moi, la pe-tite phrase “Ils l’ont bien cherché”,en référence aux journalistes as-sassinés, je l’ai entendue dans labouche d’élèves, mais aussi d’adul-tes », regrette-t-elle.

Ces contestations, AminataDiallo ne les occulte pas. « Elles ont existé, mais pas plus je pense dans le 9-3 qu’à Trappes ou Nan-terre… même si c’est le 9-3 qui est aujourd’hui ostracisé. » Dans sa circonscription de Montreuil, « les profs n’ont rien lâché », af-firme l’inspectrice. L’émotion aété d’autant plus forte que le des-sinateur Tignous y était connu comme parent d’élève. p

mattea battaglia

Des enseignants contractuels lors d’une formation sur la laïcité à l’école, le 18 mars, à Romainville. MARLÈNE AWAAD/IP3 POUR « LE MONDE »

mais la Charte de la laïcité affichéedans tous les établissements de-puis la rentrée 2013, dans le but defaciliter l’appropriation par cha-cun – parents, enseignants, élèves – de ce principe républicain.

« Contre-histoire »

Dix-huit mois ont passé et beau-coup sur le terrain confient leurs difficultés à « faire vivre » cet outil.« Quand des élèves, tout jeunes, vous parlent de Dieu, comment réagir ? », interroge une contrac-tuelle trentenaire. « On se retrouveparfois face à des parents qui vous parlent d’une “contre-histoire”, re-lève un autre, invoquent des pans

Le contexte électoral favorise une vision répressive de la laïcité à l’écolesuite de la première page

C’est le maire UMP de Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire), Gilles Pla-tret, qui a relancé le débat sur les cantines en annonçant le 10 mars,à quelques jours des élections dé-partementales, sa décision de supprimer les menus de substitu-tion les jours où est servi du porc. Il s’est mis à voir, dans cette prati-que en vigueur depuis plus de trente ans, une « discrimination » qui « ne peut être acceptée dans le cadre d’une République laïque ».

Sur ce sujet, l’ancien premier mi-nistre François Fillon a indiqué lundi qu’il était en « désaccord » avec Nicolas Sarkozy et estimé que la laïcité « n’est pas l’oppres-sion des religions, c’est le respect des différences ».

C’est aussi « au nom de la laï-cité » que le débat sur le voile à l’université a refait surface. Nico-las Sarkozy s’en est emparé, affir-mant qu’il ne voyait pas « la cohé-rence d’un système où on interdi-rait le voile à l’école et où on l’auto-riserait à l’université ». Peu de

temps avant, le Parti radical de gauche avait déposé une proposi-tion de loi visant à interdire le portdu voile dans les crèches privées.

Mais de quelle laïcité parle-t-on ?« Manifestement, il ne s’agit plus decelle qui garantit la liberté de cons-cience et de pratiquer sa religion. C’est au contraire celle qui dit : “En France, on mange du porc !” », ob-serve, effaré, le sociologue Fran-çois Dubet. Pour lui, la suppres-sion des menus de substitution dans les cantines scolaires est ré-vélatrice d’un « glissement du thème laïc au thème national ». « Parler de laïcité devient une façonde revendiquer une France blanche et chrétienne, où tout le monde par-tage la même culture et les mêmes mœurs. Une façon de dire qu’on ne veut pas des musulmans. »

Durcissement

Le maire de Chalon-sur-Saône n’est pas le premier édile à vouloirfaire des cantines des « espaces de neutralité », au prétexte d’être en accord avec les principes de l’écolelaïque. C’est méconnaître que le père fondateur de cette école était,

contre des laïcs intransigeants, unfervent défenseur de la liberté de conscience, incluant la liberté reli-gieuse. « Pour Jules Ferry, la Répu-blique n’était pas dans l’assiette !,ironise l’historien de l’éducation Claude Lelièvre. Il était anticlérical,au sens où il se méfiait du rôle poli-tique de l’Eglise, mais pas anti-reli-gieux. Pour lui, il n’était pas ques-tion de heurter les sentiments reli-gieux. » D’où la « vacance » du jeudi pour permettre la tenue du catéchisme ou la présence des aumôniers dans les lycées.

C’est cette laïcité « soft » qui, àl’école, a triomphé des tendances

plus combatives à l’égard des reli-gions. Force est de constater qu’un durcissement s’opère. Il se manifeste depuis plusieurs an-nées et revient en force ces der-nières semaines. « Ce qui me frappe dans le débat public, c’estune définition implicite de la laï-cité qui ne correspond en rien àcelle de notre Constitution, dudroit européen et international, observe le sociologue PierreMerle. Une laïcité qui interdit lesmanifestations religieuses plutôtque de les respecter, qui conduit àdes logiques d’exclusion au lieu de favoriser le vivre-ensemble. »

« Un vulgaire racisme »

Dans les faits aussi, le champ des interdits gagne du terrain depuis la loi de 2004 interdisant le portde signes religieux ostensibles à l’école. Il ne se limite plus au voile et à ce qui se porte sur la tête – bandanas, bonnets… Voilà que les jupes longues, les tenues sombresou amples sont suspectées d’êtredes signes religieux. « On est passé à un autre niveau de sur-veillance, qui concerne l’apparencede façon générale, rapporte Lila Charef, responsable juridique du Collectif contre l’islamophobie enFrance. Or, il faut le rappeler, tantl’islam est méconnu : il n’y a pas detenue religieuse à proprement par-ler dans la religion musulmane. Le principe est celui d’une tenue dé-cente et pudique. »

S’ils ne font pas forcément l’objetd’une interdiction à proprement parler, ces « signes » suscitent, parendroits, des agacements, des cris-pations. Ils donnent lieu à des con-trôles, des convocations, des pres-sions. « On en vient à dire à des jeu-

nes filles originaires d’Albanie oudu Moyen-Orient que leurs jupes sont trop longues, qu’on ne s’ha-bille pas comme ça en France ! Je nepeux pas y voir autre chose qu’unvulgaire racisme », dénonce Fran-çois Dubet.

Les crispations se portent aussià l’encontre des familles. Ici, on sedemande si l’on peut accepterdans l’enceinte de l’école les gran-des sœurs qui viennent chercher les plus petits avec le voile. Là, si l’on peut autoriser les mères voi-lées à siéger dans les instances desétablissements ou à accompa-gner les sorties scolaires.

La ministre de l’éducation, NajatVallaud-Belkacem, a déclaré, le16 mars dans un entretien au Fi-garo, qu’il « valait mieux permet-tre aux mères en foulard, volontai-res pour aider l’école », de partici-per aux sorties, puisqu’en tantqu’usagers du service public, ellesne sont pas soumises au principe de neutralité. Reste que dans lesfaits, il est toujours possible de s’en référer à la circulaire de 2012dite « Chatel » – du nom de l’an-cien ministre de l’éducation deNicolas Sarkozy – pour les excluredes sorties scolaires.

Cette focalisation sur l’habit estdoublement dommageable. Outre qu’elle conduit au résultatinverse de ce qui est attendu – ex-clure au lieu d’intégrer –, elle dé-tourne l’attention des vrais pro-blèmes : l’échec scolaire, l’inéga-lité des chances, la ghettoïsationde certains établissements, le sen-timent d’injustice et d’abandonchez les jeunes des quartiers dés-hérités. Autant de sujets absents de la campagne électorale. p

aurélie collas

« Parler de laïcité

devient

une façon de

revendiquer une

France blanche

et chrétienne »

FRANÇOIS DUBET

sociologue

L’Eglise catholique appelle à la tolérance

L’Eglise catholique défend la laïcité et la liberté religieuse, y com-pris pour les musulmans. Mgr Georges Pontier, président de la Conférence des évêques de France, a rappelé, mardi 24 mars, à Lourdes (Hautes-Pyrénées), que « la laïcité de l’Etat est gardienne de la liberté de conscience, de la liberté religieuse, de la liberté de culte, comme de celle de ne pas en avoir ». On ne peut assurer la « paix civique en surveillant les uns, en leur demandant de renoncer à l’expression de leurs convictions religieuses tout en permettant à d’autres de les stigmatiser. L’Etat ne saurait passer sans risque de la garantie des libertés à leur surveillance soupçonneuse. (…) On ne peut bâtir l’avenir de notre pays en se repliant sur nous-mêmes, en mettant en œuvre des politiques d’exclusion et de rejet ».

Le décryptagede l’éco

du lundi au vendredi à 8h10

avec Vincent Giret,

journaliste auMonde

avec

Page 13: Monde 3 en 1 Du Mercredi 25 Mars

0123MERCREDI 25 MARS 2015 france | 13

« Nous sommes sortis d’une culture de contrôle des affaires judiciaires »Robert Gelli, directeur des affaires criminelles, se porte garant de l’absence d’intervention dans les dossiers

ENTRETIEN

Robert Gelli, ancien prési-dent de la Conférence na-tionale des procureurs,procureur de Nîmes puis

de Nanterre, ex-conseiller de Lio-nel Jospin de 1997 à 2002, est de-puis le 10 septembre 2014 direc-teur des affaires criminelles et des grâces (DACG). Cette puissante di-rection du ministère de la justice, forte de 370 personnes – 140 à Pa-ris, dont 53 magistrats et 230 char-gés à Nantes du casier judiciaire – est considérée comme le bras armé de la chancellerie. Elle a pen-dant des années surveillé les affai-res sensibles et discrètement orienté les poursuites pour le gou-vernement. Une période révolue, assure fermement Robert Gelli, qui s’en veut « le garant ».

Etes-vous une courroie de transmission de la chancellerie ?

« Courroie de transmission », lemot n’est pas adapté pour qualifiernotre position entre les parquets généraux et la chancellerie. Le di-recteur des affaires criminelles et des grâces est d’abord un directeur

d’administration centrale ; sa mis-sion est de mettre en musique les décisions prises à un niveau gou-vernemental, même s’il est aussi une force de proposition, qui donne son expertise. Ce n’est pas simplement un exécutant.

Il n’y a plus d’instructions individuelles, officiellement, depuis la loi de juillet 2013 ?

Pas seulement officiellement :c’est une réalité absolue et quoti-dienne et j’en suis le garant. Il n’y a aucune instruction individuelle, etil n’y en aura pas tant que je serai là. Ce qui a discrédité la DACG pen-dant trop longtemps, c’est qu’elle était centrée sur les affaires indivi-duelles. La suppression des ins-tructions est inscrite dans la loi, ce n’est pas rien, et cela se traduit con-crètement par une absence totale d’intervention. Je peux garantir qu’aucune instruction n’est don-née dans aucun dossier.

C’est un virage important. Il fautpasser d’une culture de contrôledes affaires à l’animation d’une politique pénale générale, nour-rie par une série d’éléments. Dontles affaires individuelles font par-tie, mais pas plus que l’analyse desphénomènes ou les problèmes concrets des juridictions. C’est un changement complet de culture.

Mais les informations remontent jusqu’à vous ?

Il faut savoir clairement à quoiservent ces remontées d’informa-tions, ce qu’on en fait, et quel enest le contenu. Pour être très clair, savoir que M. Untel est inquiété

dans une affaire ne m’intéresseabsolument pas. Mais cette infor-mation est dans le domaine pu-blic. Souvent d’ailleurs, la presse le sait avant moi.

On a du mal à le croire…Je peux vous l’assurer. La mis-

sion du ministère est de veiller au bon fonctionnement de la justice –dès lors qu’un dysfonctionnementest évoqué, on se tourne vers lui et on lui dit : « Qu’est-ce que vous fai-tes ? » Le ministre doit pouvoir ré-pondre, il faut bien qu’il soit in-formé.

Par ailleurs, et j’y tiens, à partirdu moment où mon rôle est de fournir une analyse juridique per-tinente, il faut bien que j’aie des in-formations sur ce qui se passe. Tous les dossiers traités dans les JIRS [les juridictions interrégiona-les spécialisées, chargées de la cri-minalité organisée] font l’objet deremontées régulières, qui me ser-vent à savoir, non pas que M. Untela été mis en examen, mais que tel phénomène criminel est en train de se produire, que tel trafic se pro-duit dans tel quartier, que les ma-gistrats sont confrontés à une pro-blématique juridique particulière.

Reste la question du contenu decette information. Deux princi-pes sont pour moi indispensa-bles. Il est d’abord hors de ques-tion d’avoir des remontées de procès-verbaux. Seulement des rapports administratifs du par-quet général. Et il n’est ensuite pasquestion d’avoir des informa-tions sur des événements avantqu’ils se produisent. Je ne veux pas savoir que, dans trois jours, ilva y avoir une perquisition. Par contre, lorsqu’elle a eu lieu, jeveux le savoir. Parce qu’immédia-tement tout le monde s’abat sur leministère pour avoir sa réaction.

La DACG a demandé aux parquets généraux d’envoyer moins de rapports ?

Nous avons fait un ménage dras-tique. Entre le 1er septembre 2013 etaujourd’hui, le nombre d’affaires suivies par la direction des affaires criminelles et des grâces a baissé de 53 %. Nous sommes passés d’un

peu plus de 12 000 à 6 000 affairessuivies. L’essentiel de ces affairessont celles des JIRS, puis les affairesde terrorisme, ou celles qui ont un impact particulier sur la durée, je pense aux accidents collectifs. Et un certain nombre d’affaires éco-nomiques et financières, compte tenu de l’intérêt de l’information. J’ai créé, en février, une mission de lutte contre la corruption et les at-teintes à la probité – c’est l’un des enjeux majeurs de notre société.

La garde des sceaux, Christiane Taubira, avait provoqué un ma-laise après la garde à vue de Ni-colas Sarkozy en disant qu’elle n’était pas au courant, alors qu’elle brandissait un rapport ?

Je ne l’ai pas vécu à ce poste, je nepeux pas porter de jugement. Simplement, le discours doit êtreclair. Le fait qu’il y ait des informa-

tions qui remontent n’est pas un péché en soi. La question est en-suite de savoir à quoi ça sert, et s’ily a ne serait-ce que des velléités d’influer sur le cours des choses. Aujourd’hui, je peux dire très clai-rement, ce risque n’existe pas.

Si un procureur général dit, comme c’était l’usage, « sauf meilleure analyse de votre part, je vais classer telle plainte » ?

On ne lui répondra pas. Et cetteformule a disparu. On ne nous de-mande pas d’avis sur la suite à donner à une affaire. En revanche,nous sommes sur le plan juridi-que au service de tous les magis-trats, et cela, c’est complètement rentré dans les mœurs.

Cette nouvelle façon de procé-der induit-elle un changement de mentalité des procureurs ?

Je suis totalement partisan d’uneréforme du statut du parquet, mais il faudrait une révision cons-titutionnelle. En attendant, tout cequi va dans le sens d’une évolutionest positif. Qu’il n’y ait plus d’ins-tructions individuelles est une sa-crée révolution : le dire est une chose, l’écrire dans la loi en est uneautre. Après, il faut instaurer des pratiques qui consacrent cette réa-lité législative et rompre avec une histoire qui n’était pas celle-là.

Si le cabinet de la ministre de-mandait à examiner vos ordi-nateurs après la fuite d’une in-formation, comme en septem-bre 2012, vous accepteriez ?

Seulement si c’est à la demanded’un juge ou de l’inspection desservices judiciaires. p

propos recueillis par

franck johannès

Affaire Bettencourt : MM. Woerth et de Maistre de retour au tribunalL’ex-gestionnaire de fortune de la milliardaire est accusé d’avoir embauché la femme de l’ancien ministre en échange de la Légion d’honneur

bordeaux - envoyée spéciale

L e président Denis Roucou aune inépuisable capacitéd’étonnement. Il l’oppose à

chacune des réponses que lui li-vrent, tour à tour, Patrice de Mais-tre et Eric Woerth qui comparais-sent depuis lundi 23 mars devantle tribunal correctionnel de Bor-deaux, pour trafic d’influence dans le second volet de l’affaireBettencourt. Il est reproché au premier, alors gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt,d’avoir procédé, en 2007, à l’em-bauche de Florence Woerth, l’épouse du second, devenu qua-tre mois plus tôt ministre du bud-get, en échange de l’attribution d’une Légion d’honneur. Patrice de Maistre est renvoyé pour « tra-fic d’influence actif », Eric Woerthpour « trafic d’influence passif ».

Le président et les deux préve-nus se connaissent bien pour s’être déjà affrontés lors de l’exa-

men en janvier et février, du volet« abus de faiblesse » de ce dossier.L’expérience a manifestementnourri une solide dose de dé-fiance mutuelle, qui suinte de chaque question adressée d’unton suspicieux par Denis Roucouet de chaque réponse formuléeavec agacement par les prévenus.

Quant au procureur de la Répu-blique, Gérard Aldigé, il ne cache pas son exaspération à voir le tri-bunal se substituer à lui pour sou-tenir une accusation à laquelle il a renoncé, conformément à la posi-tion du parquet qui a requis pen-dant l’instruction un non-lieu en faveur de Patrice de Maistre et Eric Woerth au motif que les charges retenues contre eux ne sont pas suffisantes.

Denis Roucou, donc, s’étonnedes coïncidences de dates qui ja-lonnent le dossier. En mars 2007, Eric Woerth appuie la demande de Légion d’honneur de Patrice de Maistre dans une lettre adressée

au candidat Nicolas Sarkozy. En juin, son épouse Florence est reçuepar le gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt pour un entre-tien de recrutement, qui se traduit par une embauche en septembre. Entre-temps, le 13 juillet, Patrice deMaistre est élevé à la dignité de chevalier de la Légion d’honneur.

« Il n’y a pas eu de contrepartie »

Le président traque méthodique-ment le moindre indice suspect. Ainsi de ce livre d’Eric Woerth, con-sacré au duc d’Aumale et retrouvé en perquisition chez Patrice de Maistre, avec cette dédicace de l’auteur – « En toute amitié » – alors que les deux hommes affir-ment qu’à l’époque ils venaient tout juste de faire connaissance, l’un étant le trésorier de la campa-gne de Nicolas Sarkozy, l’autre ayant rejoint le Premier cercle, l’as-sociation des plus généreux dona-teurs du candidat. « On n’envoie pas son livre dédicacé à des gens

que l’on ne connaît pas », observe leprésident. « Cela a dû m’arriver des dizaines de fois », lui répond Eric Woerth. « C’est étonnant, tout de même… », souligne Denis Roucou.

La lettre de recommandationd’Eric Woerth est adressée à Nico-las Sarkozy sur un papier à en-tête « Ensemble tout est possible » – slogan du candidat UMP à la prési-dentielle de 2007. « C’est la seule in-tervention que vous faites en tant que trésorier, relève Denis Roucou.

– Sans doute parce que les autresmembres du Premier cercle avaient déjà la Légion d’honneur.

– C’est étonnant, tout de même…,insiste le président.

– J’étais dans un contexte politi-que : on se connaît dans le cadre dela campagne, il va beaucoup aider,ses mérites sont clairs et nets. Doncj’écris, et j’écris au candidat.

– Cette Légion d’honneur estdonc liée à la campagne présiden-tielle ? », interroge Denis Roucou.

Cette fois, c’est le procureur de la

République qui lui répond sèche-ment :

« Ce qui est reproché à EricWoerth, c’est l’embauche de son épouse par Patrice de Maistre, pas un éventuel financement de lacampagne de Nicolas Sarkozy. Je rappelle que, sur ce point, il y a eu un non-lieu.

– Sur réquisition du parquet…,commente, aigre-doux, le prési-dent.

– Suivi par les juges d’instruc-tion », répond sur le même ton Gérard Aldigé. Eric Woerth s’im-misce dans l’échange : « Il n’y apas eu de contrepartie. Je n’ai pas négocié cette Légion d’honneur, et je n’ai pas négocié l’embauche de mon épouse. Ce sont deux bons dossiers qui suivent des droites pa-rallèles », assure-t-il. Son épouse, Florence Woerth, est attendue mardi à la barre des témoins. C’estla première fois qu’elle sera inter-rogée dans ce dossier. p

pascale robert-diard

PHILIP PROVILY POUR « LE MONDE »

« Qu’il n’y ait plus

d’instructions

individuelles

est une sacrée

révolution :

le dire est une

chose, l’écrire

dans la loi en est

une autre »

LE CONTEXTE

LES AUTRES PROCÈSAbus de faiblesse

Dix personnes ont été jugées, du 26 janvier au 27 février, accusées d’avoir abusé de l’état de fai-blesse de Liliane Bettencourt pour bénéficier de sa fortune. Le procureur a requis trois ans de prison dont 18 mois avec sursis et 375 000 euros d’amende con-tre Patrice de Maistre et la relaxe pour Eric Woerth.

Violation du secret

de l’instruction

La juge d’instruction Isabelle Prévost-Deprez sera jugée en juin pour violation du secret de l’instruction concernant des fui-tes à la presse relatives à une perquisition menée en 2010 chez Liliane Bettencourt.

L’ESSENTIEL

LA DACGLa direction des affaires crimi-nelles et des grâces (DACG), qui a fêté ses 200 ans, a trois mis-sions principales. La première, historique, est normative : elle prépare les textes en matière pénale. La deuxième, qui reste, selon son directeur, à bâtir, porte sur la mise en œuvre de la politique pénale et sa traduc-tion dans les juridictions. La troisième, enfin, est internatio-nale. Les demandes d’entraide, qu’il s’agisse de criminalité transfrontalière ou de terro-risme, arrivent toutes à la DACG, qui conduit également les négo-ciations européennes ou inter-nationales en matière pénale.

Page 14: Monde 3 en 1 Du Mercredi 25 Mars

14 | france MERCREDI 25 MARS 2015

0123

Des organes bientôt prélevés sans l’avis des famillesUn amendement à la loi santé conditionne l’opposition au don à l’inscription préalable sur le fichier des refus

Pourra-t-on, demain, sepasser de consulter lesproches d’une personnedécédée avant de lui pré-

lever des organes ? Un amende-ment adopté en commission desaffaires sociales de l’Assem-blée nationale, jeudi 19 mars, lors de l’examen du projet de loi santé,prévoit qu’à partir du 1er jan-vier 2018, afin de lutter contre le manque de greffons disponibles, seules les personnes qui se serontexplicitement inscrites sur le re-gistre national des refus seront exclues des prélèvements.

Pour toutes les autres, si ellessont majeures, la famille et les proches seront simplement « in-formés » de l’opération et non plus consultés, comme c’est le cas aujourd’hui. Un caractère quasiautomatique qui, en transfor-mant le don en « obligation »,marque un « changement de pa-radigme », selon la juriste Frédéri-que Dreifuss-Netter, spécialiste du droit de la santé et membre duComité consultatif national d’éthique.

Manque de concertation

Si la loi prévoit déjà aujourd’huiun consentement présumé dudonneur, elle dispose égalementdepuis 1994 que le médecin doit« s’efforcer de recueillir auprès des proches l’opposition (…) éventuel-lement exprimée de son vivant parle défunt ». Une enquête qui abou-tit à un refus dans 32 % des cas où le prélèvement aurait pu avoir lieu, selon les chiffres de l’agencede la biomédecine. Une propor-tion que le député PS Jean-Louis Touraine (Rhône), auteur de l’amendement, aimerait bien voirdiminuer et approcher le seuil des15 % à 20 % de Français qui se dé-clarent hostiles au don. « Certai-nes familles refusent par igno-rance ou par angoisse, explique-t-il. Cela les soulagerait que la déci-sion de prélèvement soit de nature réglementaire. »

« La moitié des familles qui refu-sent le regrettent ensuite, souvent dès les jours qui suivent », ajoute Jean-Pierre Scotti, le président de la Fondation Greffe de vie, qui mi-lite depuis des années pourl’adoption d’une telle mesure. Evoquant les « milliers de patients en attente », il ne voit pour sa part« que des avantages » à un tel dis-positif qui pourrait « sauver descentaines de vie ». Pour lui, le don d’organe n’aura pas de caractère automatique dans la mesure où il existe un fichier des refus. « Dé-sormais, on pourra dire à la fa-mille : “S’il était contre, il se seraitinscrit.” » Aujourd’hui, ce registre de refus compte un peu plus de

93 000 inscrits.« C’est inapplicable et contre-

productif, juge Bruno Riou, méde­cin responsable de la coordina­tion des prélèvements d’organeset de tissus à la Pitié-Salpêtrière, à Paris. On ne peut pas rendre le pré-lèvement obligatoire, car on n’ira jamais contre la volonté d’une fa-mille totalement opposée. » Il re-grette qu’au cours de l’élaborationde cet amendement, qui a bénéfi-cié du soutien du ministère de la santé, « il n’y ait jamais eu de con-certation avec ceux qui s’occupent des prélèvements ».

Yvanie Caillé, la directrice de Re-naloo, une association de patientsconcernés par la dialyse et la

greffe de rein, dit, elle aussi, crain-dre des « phénomènes de dé-fiance » si la loi venait à changer. « Certains trouvent que cela va un

peu loin en termes de non-adhé-sion des familles, il vaut mieux op-timiser la phase d’accompagne-ment, fait-elle valoir. Certainespersonnes pourraient percevoirtout cela comme une appropria-tion des organes des défunts et le ressentir comme une violence. »

« On ne passera pas en force »

« On entre dans une logique auto-ritaire presque collectiviste avec unregistre qui exclut les proches et la famille de tout dialogue », s’in-quiète Tugdual Derville, le porte-parole de l’association provie Al-liance Vita. Evoquant une « méde-cine de fait accompli », il consi-dère que cette évolution de la loi

« enlève le sens du don ». « On ne peut pas décréter le don d’organe automatique », dit-il.

Après avoir assuré que « cela faitquatre ans que ce texte est prêt »,M. Touraine se veut rassurant. « Cette mesure n’est pas faite pour forcer la main des familles oppo-santes, promet-il. Ce sera précisé ultérieurement par décret ou par circulaire, mais le prélèvement ne se fera jamais en force. S’il y a la moindre trace d’un refus, ou si la famille est très revendicatrice, cela ne se fera évidemment pas. »

A la Fondation Greffe de vie, onest un peu moins catégorique : « On ne passera pas en force sur-tout au début, dit M. Scotti. Comme pour le port de la ceinture de sécurité ou de l’interdiction de fumer dans certains lieux, il fautlaisser du temps aux gens pour qu’ils connaissent la loi. » L’amen-dement sera débattu à l’Assem-blée à partir du 31 mars. p

françois béguin

« Certains

trouvent que cela

va un peu loin

en termes

de non-adhésion

des familles »

YVANIE CAILLÉdirectrice de l’association

de patients Renaloo

Cinq policiers de Seine-Saint-Denisen garde à vue pour trafic de stupéfiantsLes agents de la brigade anticriminalité auraient volé des trafiquants et puisé dans les scellés

E t de quinze. C’est le nom-bre de policiers interpellésdans le cadre de quatre

dossiers différents depuis le dé-but de cette année. Personne n’est épargné, du simple gardiende la paix au sommet du « 36 », letemple de la PJ parisienne. Lundi23 mars, dans l’après-midi, ce sont cinq policiers de la brigadeanticriminalité (BAC) de Stains,en Seine-Saint-Denis, qui ont étéplacés en garde à vue dans le ca-dre d’une information judiciaireconduite par un juge d’instruc-tion du tribunal de grande ins-tance de Bobigny pour « vol et violences aggravés, association demalfaiteurs en vue de se livrer autrafic de stupéfiants ».

Interpellés pour certains surleur lieu de travail par l’inspectiongénérale de la police nationale, ils sont suspectés d’avoir, depuis au moins deux ans, volé des trafi-quants de drogue, les délestant deleurs produits comme de leur ar-gent. Selon une information du Point.fr, la drogue était ensuite re-vendue par des fournisseurs pro-tégés. Les présumés « ripoux » se seraient servis dans les scellés et auraient volé 10 000 euros dans une fourrière.

Ils se seraient également livrés àdes « perquisitions à la mexi-caine », qui n’avaient jamais été ordonnées par la justice, « en si-mulant un cadre légal » pour se

servir chez leurs victimes, a pré-cisé une source judiciaire citée parl’AFP. Les investigations portentégalement sur des soupçons de « modification d’une scène decrime ».

D’après nos informations, cetteaffaire trouve son origine danscelle qui a valu l’incarcération, en octobre 2014, de deux fonction-naires de la BAC départementalede Seine-Saint-Denis, suspectés de participer à un trafic de voitu-res volées. Les deux hommes éta-blissaient de faux procès-verbauxde découverte de voitures, afin deles faire sortir du fichier des véhi-cules volés. En réalité, ceux-ci étaient toujours aux mains desmalfrats qui pouvaient alors cir-culer en toute impunité.

L’enquête a établi que les con-sultations informatiques avaientété effectuées depuis des ordina-teurs du commissariat de Stains.

La jeune commissaire alors en poste avait fait part de ses doutes à l’égard de certains de ses hom-mes à la direction territoriale de lasécurité de proximité de Seine-Saint-Denis, qui avait saisi en mai 2014 le parquet de Bobigny.

« Sanctions disciplinaires »

« La police dénonce les agisse-ments de ses policiers qui franchis-sent la ligne jaune, se félicite un haut gradé. Nous ne pouvions pasrester avec un doute. Si le grand public veut avoir confiance danssa police, nous devons nettoyer les écuries d’Augias ! » Mais cette opé-ration mains propres a un prix. Lacommissaire de Stains a été nom-mée en Gironde le 20 mars. Lespoliciers n’auraient pas hésité àmenacer physiquement leur su-périeure, la poussant à demandersa mutation.

Lundi soir, le ministre de l’inté-rieur a réagi vivement. « Les faits dont ils sont suspectés sont extrê-mement graves », a déclaré Ber-nard Cazeneuve dans un com-muniqué. « Si ces faits sont avé-rés », le ministre « prendra dessanctions disciplinaires d’unegrande sévérité ».

Mi-janvier, cinq policiers ontété interpellés dans le cadre duvol de 52 kg de cocaïne au 36, quaides Orfèvres. Ils sont suspectésd’avoir aidé le principal suspect,un enquêteur de la brigade des

stupéfiants de Paris. Dimanche25 janvier, deux fonctionnaires de la police aux frontières ont étéarrêtés sur le tarmac de l’aéro-port de Roissy - Charles-de-Gaulle avec 39 kg de cocaïne dansle coffre de leur voiture de fonc-tion. En 2012, sept douaniers deRoissy avaient déjà été interpel-lés, soupçonnés d’avoir, des an-nées durant, pillé les millions destrafiquants de drogue qui transi-taient par l’aéroport.

Enfin, dans une affaire n’ayantrien à voir avec le trafic de drogue,mais portant sur la régularisationde deux femmes sans papiers, le patron de la PJ parisienne, Ber-nard Petit, et son chef de cabinet, suspectés de « violation de secret de l’instruction », ont été mis en examen et limogés dans la foulée,début février.

Dans son rapport sur la crimina-lité organisée, en France, en 2013-2014, le service d’information, derenseignement et d’analyse stra-tégique sur la criminalité organi-sée (Sirasco) stigmatisait la cor-ruption des « avocats, conseils en gestion de patrimoine, banquiers » dans le cadre de trafics de drogue générant plusieurs dizaines demillions d’euros de bénéfices. Le prochain rapport pourra étudier la corruption des fonctionnaires de police. Le Sirasco dispose detous les cas d’espèce nécessaires. p

matthieu suc

« Si le grand

public veut avoir

confiance dans

sa police, nous

devons nettoyer

les écuries

d’Augias ! »

UN POLICIER HAUT GRADÉ

67C’est le nombre de décrets d’application de la loi du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (Alur) qui n’ont toujours pas été publiés, un an après la promulgation du texte. Seuls treize l’ont été, sur les 80 prévus pour permettre la mise en œuvre d’une multitude de mesures touchant à la location, la copropriété, la vente, les profes-sionnels de l’immobilier, etc. Le décret relatif à l’encadrement des loyers, l’une des dispositions phares de la loi, devrait être publié à l’été.

JUSTICEUn instituteur soupçonnéde viols en garde à vueLe directeur d’une école pri-maire de Villefontaine (Isère), soupçonné de viols sur mi-neurs, a été placé en garde à vue, lundi 23 mars, a indiqué à l’AFP le procureur de la Ré-publique de Vienne, confir-mant une information du Dauphiné libéré. Le suspect, qui nie les faits, aurait im-posé « par surprise » des fella-tions à deux de ses élèves de 6 ans et demi. Les faits se se-raient produits, entre décem-bre et mars, au fond d’une salle de classe, derrière un pa-ravent. Le suspect avait déjà été condamné en 2008 pour recel d’images à caractère pé-dopornographique, à six mois de prison avec sursis, avec obligation de soins et mise à l’épreuve.

Un préfet jugé coupable de violences conjugalesL’ex-préfet de Lot-et-Garonne, Marc Burg, a été reconnu, lundi 23 mars, coupable de violences contre sa femme, mais la cour d’appel d’Agen l’a dispensé de peine. Il a an-noncé, par le biais de son avo-

cat, qu’il se pourvoira en cas-sation. En mars 2014, M. Burg avait été condamné en pre-mière instance par le tribunal correctionnel de Cahors à deux mois de prison avec sur-sis. Décédée en juillet 2013 d’un AVC sans lien avec les faits, son épouse n’a jamais li-vré sa version des faits durant un procès. – (AFP.)

Bébés congelés : une information judiciaire pour meurtre ouverteLe parquet de Bordeaux a ouvert, samedi 21 mars, une information judiciaire pour meurtre sur mineurs dans l’affaire des cinq nouveau-nés retrouvés morts, jeudi, à Lou-chats (Gironde). Les autopsies ont révélé que les bébés étaient nés viables et à terme, ce qui pose la question du de-gré de responsabilité du mari. Il a été mis en examen pour non-dénonciation de crime et recel de personnes victimes d’homicide ou de violences entraînant la mort sans in-tention de la donner. La mère supposée est toujours hospi-talisée en milieu psychiatri-que et n’a pu être entendue par les enquêteurs.

DROIT À L’OUBLIFrançois Hollande devait annon-cer, mardi 24 mars, la signature d’un protocole visant à mettre en œuvre un « droit à l’oubli » pour les cancers survenus avant l’âge de 15 ans, cinq ans après la date de fin du protocole thérapeutique. Cette mesure, discutée dans le ca-dre de la loi santé, vise à permet-tre à d’anciens malades de sous-crire des prêts bancaires sans subir de pénalités. Un droit serait effectif quinze ans après la date de fin du protocole thérapeutique pour toutes les pathologies cancé-reuses. Une « grille de référence » permettant d’assurer au tarif nor-mal des personnes ayant con-tracté certains cancers doit égale-ment être mise en place.

Page 15: Monde 3 en 1 Du Mercredi 25 Mars

0123MERCREDI 25 MARS 2015 enquête | 15

L’autre scandale

de PanamaQuelque 350 000 sociétés offshore, près de 1 800 milliards de dollars d’actifs… Depuis les révélations de SwissLeaks, ce pays d’Amérique centrale vit au rythme des affaires de corruption et d’argent sale

anne michel

panama city - envoyée spéciale

Il déboule dans son costume trois piè-ces, sueur au front, un miniverre rem-pli d’une substance verdâtre à la main.« Détox, annonce-t-il tout de go. Dujus de gazon. Efficace quand on a faitdes excès. Ça peut arriver, ici, au Pa-

nama. » Avec sa drôle de coiffure venue des années 1990, sa barbe de trois jours et son sourire pincé, Adolfo Enrique Linares a desfaux airs de Bono, le chanteur de U2.

Il ne faut pas s’y fier. L’associé du prestigieuxcabinet Tapia, Linares & Alfaro, expert en im-matriculation de sociétés et de bateaux, est l’un des avocats les plus courus de Panama City. Et depuis quelques mois, le flamboyantporte-drapeau de la finance panaméenne, dont il défend les intérêts face aux attaques des grands pays de l’OCDE – ce club rassem-blant les grandes puissances et les économies émergentes, voué au développement.

Le Panama ? Paradis fiscal opaque. Doté d’unsecret bancaire parfaitement étanche. Réfrac-taire au mouvement de transparence qui s’amorce partout ailleurs… Tandis que la Suisse, le Luxembourg et Singapour nettoient leurs coffres-forts, ce petit pays d’à peine 75 000 km2, situé à la jonction entre Amériquecentrale et Amérique du Sud, est décrit par l’OCDE et le GAFI, l’organisme intergouverne-mental de lutte contre le blanchiment, comme l’un des derniers trous noirs finan-ciers de la planète.

Un trou noir où viennent se cacher sans dis-tinction, derrière le paravent de plus de 350 000 sociétés offshore défiscalisées, l’ar-gent de la fraude et de l’évasion fiscales, et ce-lui du trafic de drogue et d’armes… L’argent ducrime organisé se recycle aussi directementdans les secteurs les moins régulés du pays :les casinos, l’immobilier et la célèbre zone franche de la ville de Colon, la deuxième plus grande zone franche au monde, située à moins d’une heure de voiture de la capitale.

Des révélations de l’enquête mondiale Swiss-Leaks, le 9 février, aux affaires de fraude quirythment l’actualité, la mauvaise réputation du Panama ne se dément pas. Quand la ban-que HSBC bâtit un système d’évasion fiscale pour ses clients – simples fraudeurs ou sou-tiens financiers d’Al-Qaida –, c’est par le Pa-nama qu’elle passe. Quand les dictateurs ca-chent l’argent de la corruption, c’est au Pa-nama qu’ils trouvent refuge. Quand, en France, les époux Balkany dissimulent leur villa de Marrakech au fisc, c’est encore au Pa-nama qu’ils domicilient leur société offshore.

Sans foi ni loi, le Panama ? « Intoxication !,rétorque Adolfo Linares, qui avale à présent d’un trait le contenu d’une canette de soda. L’OCDE se fiche pas mal de la transparence. Si les grands pays s’en prennent à Panama et aux paradis fiscaux, c’est pour réformer le système fiscal mondial à leur avantage et récupérer enimpôts les fortunes dilapidées dans leurs politi-ques publiques irresponsables ! » Poings sur latable, l’avocat martèle que le Panama est un Etat souverain. « L’OCDE n’a pas de légitimité. Ses principes ne s’appliquent pas ici. Nous en-tendons décider seuls du régime fiscal qui est le meilleur pour nous. »

La colère d’Adolfo Linares est à la mesure del’inquiétude qui traverse le petit Etat. Avec ses 3,8 millions d’habitants et très peu de terres cultivables ou propices à l’activité industrielle,le Panama, né en 1903 après sa séparation d’avec la Colombie, a construit sa prospérité sur son actif le plus précieux : sa situation géo-graphique. Pile entre les deux plus grands océans, Pacifique à l’ouest, Atlantique à l’est.

JUTEUX BUSINESS

Son économie repose sur deux piliers : sonmythique canal, cédé par les Etats-Unis en 1999, qui absorbe 5 % du commerce mari-time mondial et dont l’extension en cours multipliera par trois la capacité de transportdès 2016 ; son offre de services pour des mul-tinationales et des grandes fortunes étrangè-res, dont les atouts maîtres sont la taxation zéro – seules les activités réalisées sur le sol panaméen sont soumises à l’impôt, en vertu d’un régime fiscal assis sur la territorialité – et la confidentialité, garantie par la Constitu-tion. Avec 90 banques établies sur son sol,dont les plus grandes mondiales (Citibank, BBVA…), et 1 800 milliards de dollars d’actifs,le Panama est devenu l’un des plus grandscentres financiers du monde, au coude-à-coude avec Singapour et Hongkong.

Accepter la transparence totale et la règle del’échange automatique de renseignements entre Etats sur les contribuables du monde entier que l’OCDE veut faire appliquer seraitouvrir la boîte de Pandore. Et perdre à coupsûr une grosse partie de ce juteux business qui dope l’économie : pas seulement la fi-nance et les innombrables cabinets d’avocatsqui détiennent le monopole de l’enregistre-ment des sociétés offshore et dont les noms

s’affichent en lettres brillantes en haut desbuildings. Mais aussi le transport, les com-merces et surtout l’immobilier.

Depuis dix ans, Panama City connaît un fa-buleux boom immobilier, au point de res-sembler, dans sa partie nord, à Punta Pacifica,et à l’est, sur la Costa del Este, à un gigantes-que chantier de BTP, hérissé de grues déme-surées, traversé par un entrelacs de routes oùfilent de gros 4 × 4 aux vitres fumées, impra-ticables à pied. Plus de 80 % des biens sont achetés par des étrangers, vénézuéliens, co-lombiens, américains et canadiens. Une par-tie des immeubles sont vides, comme en té-moignent les nombreuses fenêtres qui res-tent sombres à la nuit tombée. Beaucoup d’appartements demeurent inachevés, comme s’ils ne devaient jamais être habités. Ce qui alimente les rumeurs de blanchiment.

« On a dansé sur les milliards. Les investisse-ments liés au canal nous ont profité, c’est vrai.

Mais une large partie de la croissance excep-tionnelle qu’on a connue était artificielle ouliée à la corruption. » Miguel Antonio Bernal, professeur de droit à l’université de Panama et figure politique locale, est l’un des rares Pa-naméens à parler sans tabou. « Ici, je suis unactiviste politique. Chez vous, on dirait agita-teur de consciences », lâche-t-il dans un demi-sourire. Dans le café discret où il a donné ren-dez-vous, des gens de tous âges se déplacent pour le saluer. Le félicitent. Lui pressent l’épaule, l’air entendu.

Exilé par deux fois, en 1976 et en 1986,sous la dictature de Torrijos et Noriega, vi-rulent opposant de l’ex-président Ricardo Martinelli, qu’il a sans relâche accusé de bâ-tir une « méga-entreprise criminelle » – etqui est désormais sous le coup d’une en-quête judiciaire pour corruption –, MiguelAntonio Bernal a payé plus que son dû poursa liberté de parole.

L’émission de radio à succès qu’il animaitvient d’être censurée par le nouveau gouver-nement du conservateur Juan Carlos Varela.« Depuis toujours, à Panama, gouverner, c’estpiller, accuse-t-il. Les politiques mènent une vie de “rich and famous”. Il est grand temps de

mettre fin à la corruption et dechasser les entreprises cri-

minelles venues s’établirchez nous. » « Vu de

l’extérieur, poursuit-il,Panama est une démocra-

tie prospère. Mais, d’une rue àl’autre, on passe de Genève à Port-au-Prince.Pour un pays qui a un canal, c’est un comble,non, d’avoir 300 000 habitants privés d’eaucourante ? Les riches sont de plus en plus ri-ches et les pauvres abandonnés à leur sort. Ona 26 % de pauvreté malgré une situation de

quasi-plein emploi. »

CORRUPTION « ENDÉMIQUE »Richard Koster renchérit, dénonçant

une corruption « endémique ». Expatriédepuis 1957 dans ce pays dont il s’est éperdu-

ment épris, ce vieil écrivain américain aux cheveux blanchis en a fait la substance deson best-seller paru en 1990, Au Temps des

tyrans. « Ici, on fait des lois sur mesurepour les amis du pouvoir. Des proches

dont on fait la fortune. Des compagniesétrangères qu’on favorise », raconte-t-il,derrière les persiennes mi-closes de samaison – une maison qu’il voudraitvendre, mais pas sur un compte offs-hore comme l’exigent tous les ache-teurs qui se présentent…

Depuis quelques mois, pourtant,le nouveau gouvernement donnedes signes d’ouverture. Il a érigé lalutte contre la corruption en prio-rité. La répression du trafic de dro-gue s’intensifie à San Miguel et

Chorrillo, ces quartiers chauds de laville où claquent quotidiennementdes coups de feu. Où des bandes dedealers liées aux narcotrafiquants

colombiens – Calor Calor, Bagdad… –imposent leur loi, enrôlant petits frè-

res, fils, cousins. Des saisies record decocaïne sont opérées loin du rivage,

dans les fast boats qui croisent au largedes côtes, puis brûlées en présence des jour-

nalistes et des photographes.Les proches de l’ancien président Martinelli

sont poursuivis en justice. Le 4 mars, le pre-mier des juges du pays, Alejandro Moncada Luna, ex-président de la Cour suprême, s’est fait passer les menottes aux poignets pourcorruption. Du jamais-vu. Une nouvelle loi an-tiblanchiment est en passe d’être votée, le con-trôle des banques se durcit…

Mais les questions restent nombreuses. Legouvernement a-t-il réellement comprisqu’il était de son intérêt de restaurer sa ré-putation pour ne pas se trouver fiché surune future liste noire des pays bannis, auxcôtés du Bahreïn, des îles Cook et de Va-nuatu, derniers irréductibles ? De mettre à profit ses réels atouts économiques ? Etquelle est sa marge de manœuvre face auxlobbys ? La collusion entre l’exécutif et les milieux d’affaires reste forte. L’un des con-seillers du président Varela n’est autre queRamon Fonseca, dirigeant du puissant cabi-net d’avocats Mossack Fonseca, leader de ladomiciliation d’entreprise, cité dans des af-faires de corruption internationale.

« Ce qui se passe est historique. C’est la fin del’impunité. Le début d’une ère nouvelle », veut croire Roberto Eisenmann, qui fut l’un des plusgrands opposants à Noriega et à Martinelli. Il a fondé le premier journal indépendant, La Prensa (« la presse »), en 1980, sous la dictature militaire. « Le Panama est un pays de pirates, çafait cinq cents ans qu’on trafique, ici. Il faudra que l’Etat se renforce… », ajoute un diplomate.

La transition prendra du temps. Car à Pa-nama, le passé pèse lourd. « Il est là. Dans unecellule à l’isolement », dit tout à coup Aquiles Gonzalez, un capitaine de bateau de 33 ans, rompant soudain le silence, dans la barque qu’il a accepté de conduire jusqu’en lisière dela zone interdite, à quelques milles d’une pri-son cernée de barbelés rouillés, à demi-man-gée par la forêt pluviale. « Il doit payer pourles crimes qu’il a commis, poursuit le jeune homme. Pour ce qu’il a fait au peuple du Pa-nama. Ici, comme au Mexique, des familles pleurent des disparus dont elles n’ont jamais retrouvé les corps »… C’est de Manuel AntonioNoriega, 81 ans, qu’il parle.

Après vingt ans dans les geôles américaineset françaises, l’ex-dictateur panaméen, rapa-trié en 2011, purge dans son pays une peine desoixante ans de prison. Enfermé dans un éta-blissement planté à l’entrée même du canal de Panama, El Renacer – « la renaissance » –, àla jonction avec le rio Chagres, un affluent in-festé de crocodiles, Noriega, vieilli, malade, n’est plus que le fantôme de lui-même. Mais un fantôme terrible et encombrant, dont le Panama peine à se débarrasser. p

« L’OCDE N’A PASDE LÉGITIMITÉ.SES PRINCIPES

NE S’APPLIQUENT PAS ICI »

ADOLFO ENRIQUE LINARESavocat

Page 16: Monde 3 en 1 Du Mercredi 25 Mars

16 | débats MERCREDI 25 MARS 2015

0123

¶Vincent Duclert est historien et chercheur

à l’Ecole des hautes études en sciences sociales(Cespra). Il a notamment publié « Réinventer la République. Une constitution morale » (Armand Colin, 2013)

Orientation | par fabio viscogliosi

Une résistance inattendue

par vincent duclert

A bstention contenue, résistance inat-tendue de la gauche tous partis con-fondus, nouveau succès du Front na-

tional après les élections européennes, soliditéde l’électorat de droite qui place l’UMP en têtedes suffrages, telles sont les principales conclu-sions du premier tour des départementales du22 mars. Ce scrutin pourrait signifier que le so-cle électoral de la gauche n’a pas déserté les ur-nes et qu’il continue d’accorder sa confianceau Parti socialiste comme aux formations con-testataires de la politique gouvernementale. Lecombat de Manuel Valls contre le Front natio-nal, aussi bien que les qualités d’homme d’Etatrévélées par François Hollande en face des at­tentats de janvier, ont su crédibiliser un partiqu’on disait proche de l’effondrement. Le lien politique n’est pas rompu.

Un sursaut s’est réalisé, de surcroît dans uneélection intermédiaire jamais favorable auparti majoritaire. On peut rapprocher ce résul-tat dans les urnes, qui confirme le maintien d’un socle de sympathisants, de la mobilisa-tion populaire en réponse aux attentats. Cer-tes, elle n’a pas été l’apanage exclusif de la gau-che. Mais celle-ci s’est largement fait entendre lors de ces événements tragiques. Elle l’a faitselon des termes qui ont confirmé un ancragedans les valeurs républicaines.

La gauche a pu faire le lien avec une dimen-sion plus morale de la politique, qui existe au-delà des élections, des partis et des gouverne-ments, mais qui reste capable de s’exprimer dans des scrutins, surtout en face d’une forma-tion d’extrême droite se situant aux antipodesde ces valeurs.

RECONQUÊTE MORALE ET CIVIQUEOn aura noté à cet égard que le Front nationals’était placé très en retrait de la mobilisationpopulaire et intellectuelle de janvier. Si le sur-saut de la gauche se confirme au second tour,et il y a tout lieu de le penser, le scrutin des dé-partementales sera lourd d’enseignements pour le Parti socialiste au pouvoir en France.Les manifestations de janvier comme l’expres-sion d’un socle électoral devant la menacefrontiste sont le signal d’une demande sociale en faveur d’une politique clairement auda-cieuse, s’inscrivant dans un récit républicainrenouvelé, et démocratisé. La gauche n’a sem-ble-t-il pas épuisé ses forces de combat.

L’Histoire peut lui servir de boussole. Ellepeut avec elle approfondir les résonances dupassé aussi bien que définir les dynamiques ac-tuelles de la reconquête, laquelle doit être mo-rale et civique, pour élargir ce monde de con-fiance.

François Hollande présidera le 27 mai letransfert des cendres de Jean Zay au Panthéon :ce sera l’occasion de revenir sur l’action d’unministre qui a fait pour l’enseignement secon­daire ce que Jules Ferry et Ferdinand Buisson avaient réalisé pour le primaire, cinquante ansplus tôt. Le Front populaire à l’épreuve de la

connaissance démontre sa capacité à innover et rassurer, pas seulement dans le domaine so-cial, mais aussi dans le domaine scolaire.

Le grand ministère confié à Jean Zay s’est ré-vélé un outil de première main pour doterl’éducation nationale et la recherche de projetset de structures qui ont perduré longtempsdans la France de la IVe et de la Ve République.Avec la refondation de l’école aujourd’hui, la gauche détient le pouvoir de redonner une confiance à la société en restaurant sa projec-tion dans l’avenir à travers les jeunes généra-tions. L’école représente également des lieux publics, probablement les plus nombreux etles mieux répartis en France, des classes de pri-maire aux classes préparatoires, où peuvents’exprimer et s’incarner intelligemment les va-leurs républicaines.

Il s’agit en d’autres termes d’en faire le labo-ratoire de la socialité démocratique dans lesquartiers et les campagnes, là où les profes-seurs et les personnels, déjà, réalisent un tra-vail de terrain exemplaire.

Apaiser les relations sociales et rassurer surla capacité de la France à exister comme pays solidaire suppose aussi l’instauration d’unelaïcité ouverte, fondée sur la liberté de cons-cience, double ressort du dialogue entre lescultures constitutives de la société française etde lutte contre le fondamentalisme, l’antisé­mitisme et le communautarisme.

Il s’agit également de mettre fin aux repré­sentations humiliantes des immigrés, les em­pêchant de s’intégrer à la société française, end’autres termes, clore définitivement la guerred’Algérie. Enfin, allant de la base au sommet, ilfaut proposer que la Constitution intègre un préambule des droits digne de ce nom, qui puisse être adopté par tous et enseigné, qui re-définisse la France comme une nation et une« nation politique » (Dominique Schnapper), etles Français comme des citoyens. Il s’agit demettre fin à l’invisibilité des droits fondamen-taux qui pèse lourdement sur la pratique de l’égalité civique.

L’histoire politique de la démocratie nous en-seigne la nécessité et le prix des textes fonda-teurs. Ces axes de reconquête pour la gauched’aujourd’hui et de demain sont ceux que lesmilitants, sur le terrain, peuvent porter avec une fierté retrouvée. p

En ancrant son discoursdans les valeurs civiquesaprès le 11 janvier, la gauche montre qu’elle n’a pas épuiséses capacités politiqueset ses réserves électorales

Avec un score de 21,85 % obtenu au premier tour des départementales,le Parti socialiste est battu mais évite la déroute. Un sursaut politique est-il encore possible en dépit de ses lourdes fractures idéologiques ?

Maintien ou déclin de la gauche ?

Le PS fait face à la défiance sociologique de son électorat

par laurent bouvet

A l’occasion du premier tour de ces élec-tions départementales, la désunion en-tre les partis de gauche, pointée du

doigt comme la raison majeure de la défaite, estpatente. Elle n’est pourtant que le symptôme d’un mal bien plus profond et bien plus durablequ’une soirée électorale : l’impossibilité d’une gauche. Une double impossibilité : celle de dési-gner par un singulier l’ensemble disparate, voire irréconciliable, de visions du monde que ses composantes véhiculent ; celle pour ses par-tis et responsables de représenter désormaisdurablement une majorité de nos concitoyens.Comme si la position électorale quasi hégémo-nique acquise en 2012 – la gauche dominaitalors toutes les institutions nationales et locales– avait masqué, pendant un court moment, ladépression qui couvait depuis des années ; sansdoute depuis ce « 21 avril 2002 » jamais totale-ment digéré et réellement analysé.

N’y avoir vu qu’un simple accident électoralalors que les victoires locales puis nationales dela décennie qui a suivi ont été, elles, perçues comme le rétablissement d’une situation nor­male, a en effet constitué une erreur stratégiquefondatrice. Cela n’a pas permis en tout cas aux différentes composantes de la gauche politique de se remettre en question et, de là, de proposerde nouvelles perspectives, une « nouvelle of-fre » politique en quelque sorte, aux Français.Durant ces dix dernières années, ce sont la

transformation sarkozyste de la droite, l’enraci-nement du FN dans le paysage et la montée en puissance de l’abstention qui ont bouleversé ladonne, pas les atermoiements de la gauche.

C’est finalement l’exercice du pouvoir, à tra-vers les responsabilités, les contraintes et les difficultés, électorales notamment, qu’il induit, qui, comme souvent, force l’ensemble de la gau-che à une réflexion sur les fractures idéologi-ques qui la parcourent. C’est désormais très net concernant l’orientation économique entre,d’un côté, l’ajustement budgétaire et la politi-que de l’offre sous contrainte européenne et, del’autre, le maintien du culte de la dépense publi-que comme solution à la crise sociale. Ça l’est moins sur les questions dites de société à pro-pos desquelles la ligne de partage du « progres-sisme » reste sinueuse en fonction des sujets abordés, de l’évolution des mœurs aux défisbioéthiques. Ça l’est devenu, plus clairement en-core depuis les attentats du mois de janvier, enmatière de républicanisme et de laïcité, notam-ment autour de la notion d’« islamophobie » comme nouvel avatar de l’antiracisme.

LES PROMESSES ET LES ACTESCette clarification à marche forcée, au rythmede l’exercice du pouvoir, n’en est qu’à ses dé-buts faute d’avoir eu lieu assez tôt. Ce qui sou-lève un problème de taille, celui du public poli-tique auquel elle s’adresse. Le « peuple de gau-che » ne s’intéresse en effet qu’au résultat,c’est-à-dire au projet de société qu’on veut bienlui proposer, au-delà des postures et desmanœuvres. Or, aujourd’hui, il se tient en ré-serve : réserve électorale, réserve de mobilisa-tion et réserve de confiance. En raison, bien sûr, de la distance entre les promesses du Bourget et les actes depuis 2012, mais aussi,plus profondément, de la manière dont il estdésormais traité, comme un simple agrégatd’électorats considérés comme plus ou moinsacquis. La défiance idéologique se double d’une défiance sociologique.

Ainsi, depuis des années, la démarche politi-que qui consiste à bâtir, collectivement, unprojet politique et à aller ensuite convaincre les Français d’y adhérer a­t­elle été totalementinversée. On a voulu, à rebours, partir d’électo-rats supposément homogènes (femmes, jeu-nes, « banlieues », CSP +…) en leur proposantde communier dans un « progressisme des va-leurs » aussi flou que fluctuant, dont la seule motivation était finalement de tenir à distancedes « catégories populaires » jugées morale-ment perdues puisque compromises dans le vote conservateur, voire réactionnaire, pour leFN. Cette substitution d’une démarche pro-phylactique à la démarche pédagogique (pour-tant centrale dans ce qui constitue historique-ment la gauche) se paie depuis d’une défianceprofonde et durable envers toutes les compo-santes de la gauche, gouvernementale comme« critique ».

Cette défiance vis-à-vis de l’ensemble de lagauche est aussi, ultimement, le résultat d’une illusion, entretenue par toute une génération de ses dirigeants : celle que les choses finissent toujours, en politique, par s’arranger, au gré desaléas de la conjoncture ou des nécessités del’Histoire. Leur carrière politique, longue et bienremplie, ne saurait pour autant masquer l’am-pleur de leur responsabilité et de leur échec. Il ne faudrait pas, en tout cas, qu’une telle attitudeempêche la possibilité, à nouveau, d’une gau-che. C’est l’un des enjeux majeurs des années qui viennent. p

La défaite électorale de la gauche confrontée à l’épreuve du pouvoir l’oblige à réfléchir aux profondes dissensions qui la parcourent et qui ne se limitent plus, loin de là, aux aspects économiques

¶Laurent Bouvet est professeur de science politique à l’université Versailles - Saint-Quentin-en-Yvelines, auteur de « L’Insécurité culturelle » (Fayard, 192 pages, 12 euros)

LE « PEUPLE DE GAUCHE » NE S’INTÉRESSE QU’AU

PROJET DE SOCIÉTÉ QU’ON VEUT BIEN LUI PROPOSER. AUJOURD’HUI, IL SE TIENT

EN RÉSERVES ÉLECTORALE, DE MOBILISATION ET DE CONFIANCE

UN SURSAUTS’EST RÉALISÉ,DE SURCROÎT

DANS UNE ÉLECTION

INTERMÉDIAIRE

JAMAIS FAVORABLE

AU PARTI

MAJORITAIRE

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0123MERCREDI 25 MARS 2015 éclairages | 17

LES INDÉGIVRABLES PAR GORCE

ANALYSE

gilles pariswashington – correspondant

Benyamin Nétanyahou a toujours en-tretenu des relations délicates avecles administrations américaines. Ja-mes Baker l’avait déclaré un temps

persona non grata au département d’Etat. BillClinton était ressorti exaspéré par sa suffi-sance lors de leur première rencontre,en 1996, et n’avait guère eu l’occasion de chan-ger d’avis par la suite. Avec Barack Obama, parvenu au pouvoir peu de temps avant que lechef du Likoud n’y revienne, la mésentente s’était également très vite installée, sous levernis de plus en plus écaillé des proclama-tions rituelles d’attachement réciproque.

Du 3 au 16 mars, à l’initiative de M. Nétanya­hou, cette dégradation a cependant franchi un palier critique. Devant un Congrès réquisi-tionné pour ses besoins de campagne, le pre-mier ministre israélien sortant a tout d’abord délivré le réquisitoire le plus virulent jamaisprononcé par un visiteur étranger au cœur dela capitale fédérale contre les négociations avec l’Iran. A la veille du scrutin, en annon-çant qu’il ferait obstacle à un Etat palestinien, il a ensuite piétiné la ligne directrice des Etats­Unis sur ce dossier depuis plus d’une décen­nie et jeté aux orties le discours qu’il avait pro­noncé en 2009 pour revenir à la doctrine ori­ginelle de son parti, qui refuse la création d’un second Etat à l’ouest du Jourdain.

A peine déclaré vainqueur, M. Nétanyahous’est empressé de revenir sur ses proposs’agissant de la Palestine. Mais il s’est heurté àla Maison Blanche à une muraille de scepti­cisme dans laquelle on voit mal comment ilpourrait ouvrir une brèche. L’administrationObama, en effet, a fait le choix de dresser l’in-ventaire de tout ce qui l’oppose au chef du Likoud. Sur la forme, comme sur le fond.

Dès le lendemain des élections, Josh Ear-nest, le porte-parole de M. Obama, a rappelé à l’ordre M. Nétanyahou pour des propos stig­matisants tenus la veille à propos des Arabesisraéliens, assurant qu’ils constituaient unabandon des principes démocratiques qui constituent le cœur de la relation israélo­américaine. Renvoyant en quelque sorte le chef du Likoud à un autre discours, prononcé en 2009 devant le Congrès, dans lequel il avaitfait de ces principes le socle d’un exceptionna-lisme israélien.

Deux jours seulement après les élections,alors que M. Obama avait attendu bien plus longtemps après les deux succès électorauxenregistrés par M. Nétanyahou en 2009 et en 2013, le président des Etats-Unis a joint le premier ministre israélien sortant, officielle-ment pour le féliciter, mais aussi et surtoutpour rappeler qu’il ne dévierait pas de saroute sur les dossiers iranien et palestinien.Car le différend dépasse désormais l’animo-sité qui peut s’installer entre deux personnali-tés aussi éloignées l’une de l’autre qu’on peut l’imaginer. Il concerne plus fondamentale-

ment la définition des intérêts stratégiques deleurs pays respectifs. Dit autrement, les Etats-Unis de Barack Obama ne semblent pluspoursuivre les mêmes objectifs que l’Israël de Benyamin Nétanyahou.

« MURAILLE DE FER »

Quand le premier juge fondamental un com-promis avec l’Iran et le règlement d’un conflit qui participe au pourrissement du Proche-Orient, le second défend une vision obsidio-nale inspirée de la « muraille de fer » jabotins-kienne – leader de l’aile droite du mouvement sioniste, Zeev Vladimir Jabotinsky avait déve-loppé, en 1923, une théorie selon laquelle l’ar-mée juive devait imposer par la force le sio-nisme sur les deux rives du fleuve Jourdain –,un rapport à somme nulle où le gagnant fait nécessairement un perdant. Chaque fois qu’Is-raël s’est retiré, rappelle M. Nétanyahou, ses ad-versaires ont avancé, du Liban sud à Gaza, se gardant bien cependant de préciser qu’à cha-que fois les retraits unilatéraux ont précisé-ment offert sur un plateau un succès militaire,politique et symbolique à ces mêmes ennemis.

En écoutant le 16 mars Benyamin Nétanya-hou raconter pourquoi la création de la colo-nie de Har Homa, en 1997, avait été fonda-mentale à ses yeux pour couper Bethléem de la partie orientale de Jérusalem, Barack Obama n’a pu que se résoudre à cette évi-dence que la litanie des appels d’offres pourde nouvelles constructions ne fait que confir-mer depuis longtemps : le premier ministre

sortant ne veut vraiment pas d’un Etat pales-tinien. Ce jour-là, M. Nétanyahou est crédible. Beaucoup moins trois jours plus tard.

Ce constat, s’agissant du dossier palestinien,offre peu de perspectives à l’administration américaine. En décembre 2014, M. Obama a si-gné une loi de finances qui prévoit une aide militaire de 3,1 milliards de dollars au bénéfice d’Israël. Ce président démocrate, si décrié en Is-raël, est celui qui a porté à des niveaux inégaléscette assistance, alors qu’elle entretient pour-tant l’illusion selon laquelle il n’est pas de pro-blèmes territoriaux qu’une solution technolo-gique ne permette de gérer, faisant ainsi l’éco-nomie d’une véritable réflexion politique.

En dehors de mesures cosmétiques – le rem-placement d’un ambassadeur à Washington, lareprise par Israël du versement à l’Autorité pa-lestinienne de l’argent qui lui appartient –, la divergence entre les deux pays pourrait passer,une fois n’est pas coutume, par les Nationsunies. En 1997, les Etats-Unis avaient opposéleur veto à une résolution du Conseil de sécu-rité dénonçant la construction de Har Homa. Iln’est pas dit à l’avenir que Washington étende àNew York ce bouclier symbolique aussi méca-niquement qu’il a pu le faire à des dizaines de reprises pour complaire à son allié. Et ce ne sont pas les micro-Etats du Pacifique votant systématiquement en faveur d’Israël qui pour-ront alors dissimuler un isolement internatio-nal sans précédent. p

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LA DIVERGENCE ENTRE LES DEUX PAYS POURRAIT

PASSER, UNE FOIS N’EST PAS COUTUME,

PAR LES NATIONS UNIES

Une défiance sans précédent entre Israël et les Etats-Unis

LETTRE DE NEW DELHI | julien b ouissou

Nid d’espions dans les ministères indiens

Des espions se cachent dans les cou-loirs des ministères indiens. Finfévrier, le Bureau central d’investi-gation (CBI, le principal organisme

de police en Inde) a démantelé un vaste ré-seau de recel de documents confidentiels émanant des ministères de l’énergie, du pé-trole et du charbon.

Une douzaine d’employés sont suspectésd’avoir vendu des notes portant sur les arbi-trages en cours sur la fixation des prix du pé-trole ou du gaz, ou encore de l’ouverture decertains secteurs aux investissements étran-gers, à des intermédiaires qui les revendaient à de grandes entreprises. Pas un jour ne passe,ou presque, sans que les médias ne livrent les noms de nouveaux suspects : le géant indien des hydrocarbures Reliance Industries Limi-ted, Cairn India, Essar ou encore le cabinet de conseil PricewaterhouseCoopers (PwC).

Les premiers soupçons sont apparus il y aquelques mois, lorsqu’un haut fonctionnaire, seul à son bureau tard le soir, utilisa pour lapremière fois la photocopieuse et eut la sur-prise de constater que les feuilles sortant du bac à papier étaient des copies de documents secrets, qui avaient sans doute été rangées là, à l’abri des regards. Nul besoin de « craquer » un système informatique pour espionner les

sommets du pouvoir indien. La révolution numérique ne s’est pas tout à fait déroulée comme prévu dans certaines administra-tions, puisque des employés y sont préposés àla tâche d’« impression des courriels » pour les remettre à leurs destinataires. Tout est sur papier, dans des paquets de dossiers ficelés ouenrubannés. Et les documents les plus confi-dentiels, estampillés à l’encre rouge « top se-cret », sont paradoxalement les plus faciles à repérer. Reste à les photocopier discrètement.

LE JUGE ET LE CUISINIER

Il faut aussi un peu d’entregent. Subhas Chan-dra, arrêté dans l’affaire d’espionnage, étaitun simple sténographe au ministère du pé-trole et du gaz naturel, rémunéré 100 eurospar mois. Il démissionna, s’acheta un faux di-plôme d’école de commerce et fut recruté par le cabinet de conseil Jubilant Energy, avec unsalaire d’environ 2 500 euros par mois. Ses an-ciennes accointances lui furent bien utiles pour récupérer des informations sensibles.

L’espionnage est une vieille pratique héritéedu « Licence Raj », un système d’autorisationsadministratives par lequel l’Etat régulait les activités des entreprises. A l’époque, les es-pions s’appelaient les liaison officers. Leur mé-tier consistait à passer de longues heures dans

les différentes administrations pour obtenirdes autorisations d’importation, de conver-sion des devises, ou pour démarrer une nou-velle ligne de production.

Même après la disparition du « LicenceRaj », la profession d’« intermédiaire » se porte à merveille dans une Inde gangrenée par la corruption. Il faut rendre ici hommage àquelques génies de la profession. Ce cuisinier, par exemple, employé chez un juge et qui pro-mettait aux criminels d’être en mesured’« acheter » la clémence des verdicts. En réa-lité, le cuisinier ne faisait que se faufiler àl’heure du dîner, dans la chambre ou le bu-reau du magistrat, pour y lire la liste des juge-ments prononcés le lendemain. Ce qui lui per-mettait de vendre, ou pas, les décisions de jus-tice prétendument achetées.

Plusieurs médias rapportent que le cabinetdu premier ministre indien serait à l’origine dece vaste coup de filet tendu par le CBI. Sous-en-tendu : M. Modi, sentant la gronde anti-cor-ruption monter en Inde, veut nettoyer les écu-ries d’Augias de l’administration. Mais aumême moment, le quotidien Indian Expressrévélait que le ministre des transports routiersavait passé quelques jours de vacances en 2013,lorsqu’il était encore dans l’opposition, sur le yacht privé du groupe Essar, au large de la Côte

d’Azur. La même entreprise, justement, soup-çonnée de s’être procurée des documents con-fidentiels provenant des ministères espion-nés. Essar a même affrété un hélicoptère pour faire venir Nitin Gadkari et sa famille.

« Le yacht était de toute façon inoccupé », arépondu Nitin Gadkari, en toute décontrac-tion, avant d’ajouter : « Et comment aurais-je pu aller depuis Nice sur le yacht sans hélicop-tère ? A la nage ? » Le ministre s’en est sorti sans aucune égratignure. L’espionnage et la collusion entre responsables politiques et mi-lieux d’affaires sont pourtant les deux faces d’un « capitalisme de connivence » en pleinessor. Ou comment la proximité avec le pou-voir politique facilite l’accès à certaines res-sources, comme des concessions minières oudes licences téléphoniques.

Certains commentateurs se sont par exem-ple étonné que le groupe Adani ait reçu un prêt d’un milliard de dollars (940 millionsd’euros) d’une banque publique quelquesmois seulement après que M. Modi a utiliséun de leurs avions privés lors de sa campagneélectorale. « La fuite de documents confiden-tiels d’un ministère est juste le sommet de l’ice-berg », prévient le magazine Frontline. p

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DES MÉDIAS RAPPORTENT

QUE LE CABINETDU PREMIER

MINISTRE SERAIT À L’ORIGINE DU COUP DE FILET TENDU PAR LE

BUREAU CENTRAL D’INVESTIGATION

Le cardinal Sarah fustige l’Occident décadent

LIVRE DU JOUR

cécile chambraud

L’Eglise catholique est loin d’en avoirfini avec son débat sur la famille.Cinq mois après le synode, qui a misen scène les divergences en son sein

sur la place des divorcés remariés et des homo-sexuels, la bataille du prochain synode d’octo-bre est déjà bien lancée. Par ce livre, le cardinal Robert Sarah s’y enrôle dans la légion de ceux qui opposent à la pression des sociétés séculari-sées l’intangibilité du magistère : le sacrement du mariage, c’est un homme et une femme unis pour la vie et ouverts à la procréation. L’af-faiblir en permettant des accommodements, c’est ni plus ni moins organiser « une confron-tation et une rébellion contre Dieu, une bataille organisée contre le Christ et son Eglise » qui con-duira ses auteurs à « la géhenne éternelle ».

La personnalité remarquable du cardinal Sa-rah donne sa force à cet engagement. Néen 1945 dans un village reculé du nord de laGuinée, évangélisé par des Pères de la congré-gation du Saint-Esprit établis au début du siè-

cle, ordonné prêtre peu avant l’arrestation de l’évêque de Conakry, Mgr Tchidimbo, par legouvernement alors marxisant de Sékou Touré, nommé plus jeune évêque du monde, à 33 ans, par Paul VI, Robert Sarah est aujourd’hui l’un des plus hauts dignitaires de lacurie romaine, à la tête de la congrégation pourle culte divin et la discipline des sacrements.

RÉSISTANCE À UN POUVOIR DICTATORIALSa foi trempée par la résistance à un pouvoir dictatorial, son ancrage africain lui donnent des points de convergence avec le pape. Il estaussi sévère que François envers les clercs dé-voyés par la « mondanité », aussi fervent dé-fenseur des pauvres et de la centralité de la prière. Mais sa ferveur n’est pas moindre lors-qu’il s’oppose frontalement au souhait prêté au pape argentin : rendre l’Eglise plus ac-cueillante aux couples « irréguliers ». A sesyeux, cette tentation aurait pour conséquencede défigurer deux mille ans d’enseignement de l’Eglise et de mettre en péril son unité.

L’Africain évangélisé Robert Sarah a desphrases très dures contre ce qu’est devenu sonévangélisateur européen. Il décrit l’Occident et

son « relativisme moral » comme une ma-chine à broyer la vérité, les peuples et lescroyants. Ayant liquidé Dieu pour s’adonner à ce relativisme, ces sociétés, accuse-t-il, vou-draient contraindre le reste du monde à en faire autant. Aussi y a-t-il péril en la demeure :« Si l’Occident ne se convertit pas au Christ, il pourrait finir par paganiser le monde entier. »

Or, affirme le prélat guinéen, toutes les so-ciétés, notamment africaines, ne sont pas prê-tes à se soumettre à ce monde sans Dieu etaux principes qu’il véhicule, au premier rangdesquels « le féminisme idéologique », « l’idéo-logie du genre » promue « avec violence » parles mouvements féministes, la contraception.La famille à géométrie et durée de vie varia-bles en fait partie. « L’Eglise d’Afrique, prévientle cardinal, s’opposera fermement à toute ré-bellion contre l’enseignement de Jésus et du magistère. » D’un synode l’autre, les passions autour de la famille n’ont pas tiédi au sein de l’Eglise catholique. p

Dieu ou rien, entretien sur la foiCardinal Robert Sarah avec Nicolas DiatFayard, 424 pages, 21,90 euros

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18 | culture MERCREDI 25 MARS 2015

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LA SAPIENZA

pppv

C’est une vieille histoire,qui remonte à la fin duXVe siècle, quand les trou-pes de Charles VIII, allantpar-delà les Alpes con-quérir le royaume de Na-

ples, découvrirent un monde inconnu et ra-dieux : cette merveilleuse Italie, dont la lu-mière fertile et les formes alanguies leur dé-sobscurcirent si bien et le cœur et l’espritqu’ils en rapportèrent le germe de ce qu’on appelle la Renaissance.

C’est encore Jules Michelet qui en parle lemieux : « Les Français ne soupçonnaient pas ce pays de beauté, où l’art, ajoutant tant de siè-cles à une si heureuse nature, semblait avoir réalisé le paradis de la terre. Le contraste était sifort avec la barbarie du Nord que les conqué-rants étaient éblouis, presque intimidés de la nouveauté des objets. » La Sapienza, cin-quième film de l’excentrique Eugène Green,amoureux du baroque venu au cinéma, après le théâtre, en 2001, ne raconte pas autre choseque cette rencontre entre deux mondes, éblouissement qui réchauffe et régénère les âmes engourdies.

Ceux qui ne connaissent pas (ou que tropbien) l’antinaturalisme forcené du cinéaste, son travail rigoureux sur la parole et les corps, risquent bien de ne voir, dans le débutde ce nouveau film, que des tics : hiératismedes postures, rigidité des cadres, fétichisme extrême de la langue dont les liaisons inac-coutumées font d’abord saigner l’oreille et, plus généralement, une abhorration du con-

temporain qui menaçait déjà d’enfermer Le Pont des arts (2004) dans une petite bulle debeauté protégée.

Or, ce que Green expose ici en prémices,c’est moins sa propre poétique qu’une usure bien réelle : celle du couple trop mûr et sans enfants que forment Alexandre (Fabrizio Rongione, transfuge réussi du cinéma des Dardenne), architecte décoré qui se définit comme « matérialiste », et sa femme Aliénor (la trop rare Christelle Prot Landman), psycho-logue sociale qui ne sait plus vraiment à qui venir en aide ; mais aussi celle d’un monde, ceParis d’aujourd’hui balafré par la circulation automobile, écrasé sous la grisaille d’une ar-

chitecture fonctionnelle, qui n’offre aux hom-mes qu’accès et destinations, mais plus aucunlieu à habiter. A ce stade, le film ménage sur-tout un contraste avec ce qui va suivre, qui re-lève cette fois d’une complète illumination.

Spiritualité cristalline

En crise, Alexandre décide de partir avec safemme dans le Tessin, puis à Rome, sur lestraces de son maître, l’architecte baroque Francesco Borromini (1599-1667), auquel ilprojette de consacrer un ouvrage. En pro-menade au bord du lac Majeur, ils surpren-nent une adolescente s’évanouissant dansles bras de son frère.

La rencontre évanescente a pour effet derecomposer les couples et le film lui-même :tandis qu’Aliénor reste au chevet de la frêle Lavinia (Arianna Nastro), atteinte d’un mal obscur, Goffredo (Ludovico Succio), aspirant architecte, accompagne le ténébreux Alexandre dans son pèlerinage. Si l’archi-tecte semble d’abord gêné par ce compa-gnonnage impromptu, la vision claire de son jeune disciple, son enthousiasme et saréceptivité aux formes baroques préparentmalgré tout le lit d’une transmission, mais pas dans le sens attendu.

Sous les auspices de Monteverdi, le filmprend alors la forme d’un jeu de piste parmi

SOUS LES AUSPICES DE MONTEVERDI, LE FILM PREND

LA FORME D’UN JEU DE PISTE PARMI

LES ŒUVRES DE BORROMINI

L’Italie, pays de toutes les renaissancesLe Français Eugène Green, fidèle à son style baroque, fait voyager de l’autre côté des Alpes un couple à bout de souffle, régénéré par la beauté des lieux et le charme de deux jeunes gens

A Rome, la coupole de l’église Sant’Ivo alla Sapienza, construite entre 1642 et 1660 par Borromini.YOUNGTAE/LEEMAGE

Eugène Green : « La sapience, c’est le savoir qui conduit à la sagesse »ENTRETIEN

E ugène Green est né en 1947aux Etats-Unis. Lui, pourqualifier ce pays honni, uti-

lise le mot « Barbarie ». La coquet-terie dit bien, par contraste, l’atta-chement que le cinéaste porte aufrançais, dont il respecte scrupu-leusement les liaisons. Sur sonsourire, relevé d’une moustache, vous trouverez moins de malice,cependant, que d’amour : Greenaime le bon et le beau. C’est un mystique, doublé d’un esthète.Pour parler de son cinquième long-métrage, La Sapienza, où l’architecture occupe le premierplan, il donne rendez-vous dans un café au nom idoine, près des Halles, à Paris : L’Esplanade.

Pourquoi avoir choisi ce café ?Ils mettent de la musique, hélas,

mais pas trop fort. Les gens ont peur du silence… J’ai longtempsvécu à Saint-Sulpice, mais le quar-tier a tellement changé que je ne regrette pas d’avoir déménagé ici, il y a cinq ans.

Que vous inspire le chantier

qui nous fait face ?Quand je suis arrivé en France,

en 1969, les anciennes Hallesn’avaient pas tout à fait disparu. Ily avait encore quelques bouchers.Puis il y a eu une période d’effer-vescence culturelle, avec des spec-tacles donnés dans le « trou », avant qu’il ne soit bouché, à la fin des années 1970. Dans l’absolu, la « Canopée » pourrait être une réussite, mais dans le contexte…Disons qu’il y a pire [il pointe un édifice grisâtre et fonctionnel, quele personnage principal de La Sa-pienza aurait pu avoir conçu].

Qu’est-ce qui vous a mené à Paris ?

Le français. A l’âge de 5 ans, j’aicompris qu’on existe par sa lan-gue. Enfant, cette langue étaitpour moi l’anglais. Je pensais que mon destin serait de quitter la« Barbarie » pour la Grande-Bre-tagne. Mais, en arrivant en Eu-rope, je me suis rendu compte quela culture latine me correspondaitdavantage que la culture anglo-saxonne. Je suis passé par Mu-nich, Prague, Venise. Puis j’ai dé-couvert Paris. La ville a beaucoup

changé. La langue, elle, est restée.

Pourquoi vous touche-t-elleautant ?

J’aime toutes les langues – saufle barbare. Je lis avec plaisir les poèmes de Biagio Marin écrits en vénitien. Pour mon prochain do-cumentaire, je filme quatre jeu-nes gens dont le basque est la pre-mière langue. Mais, en apprenant le français, j’ai eu le sentiment de retrouver quelque chose qui était déjà en moi – comme une rémi-niscence platonicienne. Seul leportugais m’a fait le même effet.

Et le cinéma, comment vousest-il venu ?

Enfant, je regardais beaucoup de« bougeants » barbares – c’est ma traduction de « movies ». Un jour,mes parents, qui n’étaient pas trèscultivés – mon père travaillait dans une compagnie d’assuran-ces, ma mère était secrétaire –, m’ont emmené voir La Dolce Vita,de Fellini. Ce fut un éblouisse-ment. A 16 ans, devant Le Désertrouge, d’Antonioni, j’ai su que je ferais des films. J’avais la chance de vivre à La Nouvelle York, la

seule ville de « Barbarie » où lesfilms étrangers sont diffusés enversion originale.

A votre arrivée à Paris, vousétudiez les lettres et l’histoire de l’art, puis fondez votre compa-gnie, le Théâtre de la Sapience, en 1977. Pourquoi ce mot ?

La sapience, ce n’est ni le savoirni la sagesse, mais le savoir qui conduit à la sagesse. J’ai décou-vert le terme grâce à FrancescoBorromini, l’architecte de l’égliseSant’Ivo alla Sapienza, à Rome, que l’on voit dans le film. Etu-diant, je lui ai consacré un mé-moire ; j’avais déjà l’idée d’une fic-tion sur lui, en costumes. Mais, à partir du moment où, en 1999, j’aieu l’occasion de réaliser des films, j’ai compris que, quand on met uncostume sur un acteur, il fait du théâtre. C’est pourquoi La Sa-pienza se déroule de nos jours.

Le baroque, dans ses versants littéraires, musicaux ou archi-tecturaux, traverse toutes vos mises en scène, au théâtre comme au cinéma…

Et mes romans, aussi ! Le baro-

que est une nécessité existentiellepour moi. A l’âge de 2 ans, j’ai eu une expérience mystique. J’ai passé le reste de ma vie à essayer de lui donner une expression. Apartir de 1530, l’homme a déve-loppé un modèle rationnel et mé-canique de connaissance de l’Uni-vers, tout en croyant que la vérité absolue était Dieu – un Dieu ca-ché, celui de Pascal, qui n’apparaîtqu’à des moments exceptionnels. C’est ce que j’appelle l’oxymore baroque. Il a perduré jusqu’aux Lumières.

Existe-t-il un cinéma baroque ?A sa naissance, le théâtre corres-

pondait à l’oxymore baroque : c’était à travers le faux, l’artifice, qu’on accédait à la vérité cachée, au divin. Le cinéma est baroquepar essence : il capte des frag-ments de la réalité matérielle et parvient à y révéler une spiritua-lité. Antonioni, Ozu, Bresson, Du-mont sont des cinéastes haute-ment spirituels. Les gens des com-missions, qui décident de l’octroi des subventions, me considèrent comme un Martien obscuran-tiste. Or, je connais plusieurs jeu-

nes cinéastes qui partagent mes préoccupations.

Dans Soumission, Michel Houellebecq diagnostique un retour du religieux…

Je n’ai pas d’attirance pour sonlivre. Mais son succès témoigne d’une remise en cause du maté-rialisme dominant. L’Europe a re-noncé à sa civilisation : tout est àvendre. L’homme ne peut vivreainsi. La France est le seul pays, avec la Corée du Nord, où l’athéisme est une religion d’Etat. J’entrevois un renouveau de la spiritualité, mais il serait dom-mage qu’on l’enferme dans desdogmes. Le dogmatisme est un refus de l’oxymore. Il mène à une sécheresse spirituelle, voire à laviolence. Ce fut le cas des chré-tiens lors des guerres de religion, c’est celui d’une partie des musul-mans sunnites aujourd’hui. Auxreligieux, je préfère les mystiques.Souvenez-vous du sermon de maître Eckhart : il existe un châ-teau fort de l’âme où même Dieune peut entrer. p

propos recueillis par

aureliano tonet

pppp CHEF-D'ŒUVRE pppv À NE PAS MANQUER ppvv À VOIR pvvv POURQUOI PAS vvvv ON PEUT ÉVITER

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les œuvres de Borromini, du splendide esca-lier du palais Barberini à la majestueuse lan-terne de l’église Sant’Ivo alla Sapienza, en pas-sant par les terrasses oniriques du palais Bor-romée et la voûte ovoïde de l’église Saint-Charles-des-Quatres-Fontaines, la caméra épousant leurs lignes et motifs par une suite de mouvements ascendants et désirants qui en font bien plus que des idées matérialisées :des corps vivants.

Le projet architectural du maître baroque re-couvre alors celui de la mise en scène : faire entrer la lumière au centre (des espaces comme des personnages), cet éclat du midi qui rosit les toits de Rome et fait flamber lesfaçades de ses édifices. Projet qui prend la forme d’un cinglant démenti des conceptionsmodernistes d’Alexandre, lui qui confie avoir un jour construit un hôpital comme un gros cube hermétique sans la moindre fenêtre.

Mais cette lumière resplendissante, c’estaussi la parole des jeunes protagonistes, d’unespiritualité cristalline, qui, lors de magnifi-ques échanges frontaux face caméra (dans le style d’Ozu), rejaillit sur leurs aînés et, sou-dain, les fait briller de l’intérieur, ouvrant à une fascinante unité de l’être et de la parole.Ainsi, entre Aliénor et Lavinia, ce sont les mots de la gracile convalescente qui guéris-sent la femme bien portante de son dévorant vague à l’âme. De même, entre Alexandre et Goffredo, et ce jusque dans leurs lectures op-posées des œuvres de Borromini, il y a d’abord toute la distance entre celui qui sait (l’adulte) et celui qui croit (l’adolescent), dis-tance qui va se résorber peu à peu.

L’humour fait également son entrée dans lefilm et en décrispe la tenue stricte lors, par exemple, d’une savoureuse visite à la Villa Medicis, où Green croque malicieusement les ridicules des institutions culturelles, ou en-core avec les vitupérations outrées d’un tou-riste australien en butte au gardiennage des monuments. Le cinéaste s’ouvre même aux espaces hétérogènes qu’il filme avec une cu-riosité amusée, comme cette boîte de nuit ro-maine, ou encore les rêves nocturnes d’Alexandre, bouleversantes épures représen-tant par le détail (une main, un coin de sol, unbout d’étoffe, des voix) les dernières heuresangoissées de Borromini avant son suicide.

Il va même jusqu’à s’exposer lui-même sousles traits d’un chaldéen réfugié d’Irak, exilé

dans cette langue française peut-être pas ma-ternelle (Green est né à New York), mais qu’il aquand même adoptée de sa belle voix roucou-lante. Le charme profond de ces petites em-bardées tient à ce que, à travers elle, Greenprend soin de ne jamais se laisser enfermer dans son propre système, mais ne cesse de le confronter à ce qui lui est a priori étranger.

En bon mélomane, il module la tonalité desscènes, frotte son approche très soustractive (disons bressonienne, pour aller vite) à d’autres registres, d’autres lieux, d’autres temporalités. En définitive, son cinéma sem-ble suivre le même cheminement que ses per-sonnages et atteindre ici un état de grâce et deprésence qui renvoie à la désarmante et lim-pide beauté de son premier film, Toutes les nuits (2001).

Grâce adolescente

C’est d’ailleurs précisément là que réside la plus belle idée de La Sapienza : comme dans Voyage en Italie de Rossellini (1954), le périple n’est autre qu’un retour à l’origine, celle d’une passion que le couple étranger avait perdue enchemin et qui renaît par le biais d’une expé-rience esthétique. Green pousse le paradoxe encore plus loin, faisant de la jeunesse ren-contrée la dépositaire d’une expérience pure, entière, dont l’âge mûr se trouvait désemparé,l’ayant remplacée par l’attirail du savoir et de l’expertise.

Notre monde est vieux, trop vieux, hantépar des idées rouillées, abîmé dans la répéti-tion de tristes mécanismes, recouvert par l’ombre de la catastrophe. Seule la jeunesse d’idées simples, trempées dans la contempla-tion d’une beauté séculaire abandonnée au fildes temps, serait à même de le régénérer. C’estdonc à l’idéalisme et à la grâce des adolescentsque le couple va pouvoir puiser son propre re-nouveau : « C’est par la lumière que nousaurons des enfants », finit par reconnaîtreAlexandre. Car la sapience, mot rabelaisien luiaussi tombé en désuétude, désigne avant toutune source : « A l’origine de la beauté, il y a l’amour ; à l’origine de la science, il y a la sa-pience. » p

mathieu macheret

Film français et italien d’Eugène Green. Avec Fabrizio Rongione, Christelle Prot Landman, Ludovico Succio (1 h 44).

Un duo de solitudes dans le silence de la fouleAu Brésil, un conducteur de métro et une contrôleuse

ferroviaire filmés avec une nonchalance sensuelle

L’HOMME DES FOULES

ppvv

Situé dans le Belo Hori-zonte d’aujourd’hui, enpleine jungle urbaine bré-silienne, L’Homme des fou-

les emprunte son titre à une nou-velle d’Edgar Allan Poe.

De ce texte en forme de monolo-gue intérieur, celui d’un homme fondu dans la foule, qui observe lesattitudes de ses contemporains, Cao Guimaraes et Marcelo Gomes,deux cinéastes œuvrant à la lisière de l’expérimental, ont principale-ment gardé des idées. Celle de la foule anonyme d’abord, dontémerge le personnage principal, un homme blond d’une quaran-taine d’années, à l’air doux, au physique malingre.

Mystère et opacité

Entre son travail de conducteur demétro, les soirées qu’il passe im-manquablement seul dans sonappartement vide, les rares déjeu-ners qu’il partage, sans piper mot, avec sa collègue contrôleuse ferro-viaire accro aux réseaux sociaux, son existence est d’une monoto-nie à faire rougir un tapis roulant.

Lorsque la jeune femme lui de-mande d’être témoin à son ma-riage, l’homme panique, oppose un refus catégorique, qu’il accepte de reconsidérer lorsqu’elle lui ré-

vèle l’étendue de sa propre soli-tude. Hormis quelques éructa-tions proférées à la seule attention des murs de son studio, aucun motn’est jamais posé sur l’angoisse de ce personnage dont la mise en scène cherche essentiellement à incarner le mystère, à révéler l’opa-cité, comme le faisait la nouvelle : « Il y a des secrets qui ne veulent pasêtre dits. Des hommes meurent la nuit dans leur lit, tordant les mains des spectres qui les confessent et les regardant pitoyablement dans les yeux — des hommes meurent avec le désespoir dans le cœur et des con-vulsions dans le gosier à cause de l’horreur des mystères qui ne veu-lent pas être révélés. Quelquefois, hélas !, la conscience humaine sup-porte un fardeau d’une si lourde horreur qu’elle ne peut s’en déchar-

ger que dans le tombeau. »Acceptera ou acceptera pas ?

L’incertitude quant à la réponse du personnage nourrit un sus-pense sur lequel repose l’équilibre fragile du film. Avec une noncha-lance sensuelle qui rappelle le cli-mat de Il était une fois Veronica, unautre film de Marcelo Gomes, sortien 2014 en France mais tourné comme celui-ci en 2012, la caméra observe, rêveuse, dans un format carré à la fois aride et séduisant, cesdeux personnages dans leurs soli-tudes respectives.

L’impossibilité de pénétrer sousleur peau se traduit par un jeu déli-cat avec les textures d’image, les filtres des caméras de surveillance et des murs de moniteurs de con-trôle ferroviaire, les scintillements de l’eau, des pixels, du moindre rai de lumière…

Si le mutisme et la réticence gé-néralisée de ce Bartleby de l’ère de la surveillance de tous par tous font parfois poindre la lassitude, cebain sensoriel sophistiqué en-traîne le film vers un état gazeux, une forme de rêverie cristalline qu’il serait dommage de ne pas ap-précier pour elle-même. p

isabelle regnier

Film brésilien de Cao Guimaraes et Marcelo Gomes. Avec Silvia Lourenço, Paulo André, Jean-Claude Bernardet (1 h 35).

La caméra

observe dans

un format carré,

à la fois aride

et séduisant,

ces personnages

dans leurs

solitudes

respectives

L ANTIQUAIRE,RobeRt HiRscH LoUis-Do De LeNcQUesAiNG

UN FiLM De FRANÇois MARGoLiN

ANNA SIGALEVITCH FRANÇois beRLÉAND MICHEL BOUQUET

avec le soutien de la RÉGioN iLe De FRANce en coproduction avec coMMUNe iMAGe MeDiAavec la participation du ceNtRe NAtioNAL DU ciNeMA et De L’iMAGe ANiMee

Ventes internationales otHeR ANGLe PictURes

Un film de François Margolin / Écrit par François Margolin, sophie seligmann, Vincent Marietteet Jean-claude Grumberg sur une idée originale de sophie seligmann / image olivier Guerbois

caroline champetier / Montage Xavier sirven / son Delphine Malaussena, thomas Fourel, Antoine baillyMusique bernard Herrmann / Étalonnage Réginald Gallienne / Production Florence cohen, benoît baverel

Une production MARGo ciNeMA

avec ben jamin s iksou / Adam siga lev i t chAlice de Lencquesaing / Nie l s schne ider / Fabienne babe

christophe bourseiller / olga Grumberg / Lolita chammah / caterina barone

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MARGO CINEMA

“Un thrillerstylé et moderne”

Time Out, London

MARGo ciNeMA Présente

AU CINEMA ACTUELLEMENT

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20 | culture MERCREDI 25 MARS 2015

0123

Julien, de Valérie Donzelli, qui sortprochainement. Sur un scénariojamais tourné de François Truf-faut, coécrit en 1971 avec le scéna-riste Jean Gruault, le film parle desamours incestueuses d’un frère etd’une sœur, exécutés en raison deleur passion scandaleuse. Le film s’inspire d’un fait divers célèbre, survenu au XVIIe siècle, au sein dela fratrie du seigneur de Tourla-ville. Exalter, à travers ses person-nages, la liberté que ses parentslui ont transmise porte et accom-pagne Anaïs Demoustier. Plutôttrois fois qu’une. p

sandrine marques

avoir renouvelé sa confiance à la jeune comédienne. Isabelle Cza-jka (D’amour et d’eau fraîche, en 2010, qui lui vaut le prix Romy Schneider) ou Robert Guédiguian (Les Neiges du Kilimandjaro,en 2011) l’ont engagée sur plu-sieurs de leurs projets.

Jamais deux sans trois ? Elle estnommée à deux reprises aux Cé-sars, mais n’obtient pas le pré-cieux trophée. Fidèle à son goût pour les histoires d’amour singu-lières, et dessinant, grâce à de bel-les intuitions, un parcours cohé-rent d’actrice, elle tiendra le rôle de Marguerite, dans Marguerite et

Elle abandonne rapidement son cursus, rebutée par les apprentis-sages formatés et sa difficulté à tra-vailler en groupe.

Ses réticences relatives au fonc-tionnement collectif ne l’empê-chent pas de s’illustrer au théâtre où elle dit ne pas ressentir la même solitude qu’au cinéma.Christophe Honoré la fait jouer deux fois sur scène (Angelo, tyran de Padoue en 2009-2010 et Nou-veau roman, en 2012) et au ci-néma. Après La Belle Personne(2008), on la verra en 2016 dansLes Malheurs de Sophie, en cours de tournage. Il n’est pas le seul à

tue (2014), qui l’initie au cinéma. Lajeune fille arrive à Paris en 2005, après son baccalauréat, pour faire une licence Lettres et cinéma à Pa-ris-III. Mais le chiffre trois, cette fois-ci, ne lui porte pas bonheur.

premier film, bien qu’elle ait eu une expérience antérieure. Les deux mois et demi de tournage en Autriche la marquent à jamais pour « la stimulation et l’ivresse » qu’elle a ressenties alors.

Radicalisme

Rien ne prédestinait la fraîche Anaïs à investir un cinéma d’auteur si radical. Elle naît en 1987à Lille, et grandit à Villeneu-ve-d’Ascq (Nord). Son père est ca-dre commercial, sa mère femme au foyer. Anaïs grandit avec trois frère et sœurs. C’est Stéphane, l’aîné et le réalisateur de Terre bat-

PROFIL

A trois on y va : le titre dudernier film de JérômeBonnell ne pouvaitmieux éclairer la récur-

rence du motif ternaire qui imprè-gne le parcours personnel et artis-tique de la sémillante Anaïs De-moustier. Parsemé de lancinants éclats de mélancolie, ce faux vau-deville, doublé d’un vrai mélo, lui offre l’occasion de renouer avecun triangle amoureux. Une confi-guration sentimentale qu’elleavait déjà explorée avec ManuPayet (Situation amoureuse : c’est compliqué, 2013), François Ozon (Une Nouvelle Amie, 2014) et qu’elle retrouve grâce à Emma-nuel Mouret (Caprice, en salles le 22 avril). De film en film, les cartesse redistribuent. Ce sont, au ha-sard des scripts, des hommes ti-raillés entre deux femmes ou unehéroïne, amoureuse d’un couple,comme c’est le cas chez JérômeBonnell, où son mélange de grâce,de vulnérabilité et d’aplomb em-porte tout.

Ses taches de rousseur, saupou-drées sur un visage juvénile, s’ani-ment quand on lui pose la ques-tion de son attirance pour les triosamoureux. Elle en est la première étonnée, n’a identifié que très ré-cemment la permanence de cette figure dans sa filmographie et in-voque un « choix inconscient ». Jouer les amoureuses correspond aux préoccupations de son âge,argumente-t-elle.

Des amours hors normes

A 27 ans, Anaïs Demoustier a célé-bré, au gré de ses incarnations, desamours hors normes. Chez Ozon, son personnage s’éprenait d’un travesti. La frontière poreuse entrele féminin et le masculin, les vi-vants et les morts reconfigurait la notion même de genre. Même constat chez Jérôme Bonnell, où le trio amoureux atypique se forme à la faveur de sentiments, sincères et innocents. La comédienne ana-lyse que « ces deux films mettent enscène des esprits libres ». Ce qui ca-dre avec sa nature affranchie et une personnalité, en apparence docile, exploitée intelligemment par Pascale Ferran dans Bird Peo-ple. Anaïs Demoustier dit affec-tionner les « personnages qui s’autorisent à vivre ce qu’ils sont etvont vers eux-mêmes ». Elle confie que c’est le trajet qu’elle se sent de-voir accomplir : « Je suis moi-même en mouvement, et les films me rapprochent de moi. » Plus que le jeu, « c’est restituer la complexité des êtres humains » qui l’intéresse.

Son entrée dans le cinéma por-tait les auspices de cette noble quête. Elle tourne encore adoles-cente sous la direction de Michael Haneke et au côté d’Isabelle Hup-pert dans Le Temps du loup (2003), qu’elle considère comme son tout

Deux filles et un garçon dans le tourbillon de la vieÀ TROIS ON Y VA

ppvv

E lle, c’est Charlotte (SophieVerbeeck). Lui, c’est Micha(Félix Moati). Ils vivent en-

semble dans une maison qu’ilsviennent d’acheter, près de Lille.Et ils s’aiment, assurément. Saufque Charlotte trompe Micha avecMélodie (Anaïs Demoustier). Etque Micha ne va pas tarder à tromper Charlotte, égalementavec Mélodie. Le nouveau film deJérôme Bonnell s’appelle A troison y va. Le précédent, Le Temps del’aventure, aurait très bien pus’intituler A deux, on pourrait yaller.

Y aller, donc. Mais où ? Visible-ment, nos trois jeunes personna-ges n’en ont pas une idée très pré-cise. Ils débutent dans la vie et n’ont pas encore tout compris

des relations humaines (y arrive-t-on jamais, d’ailleurs ?). Ce sontdes précaires, professionnelle-ment, mais aussi sentimentale-ment parlant.

Avec ses chaussettes trouées etson air ahuri, Micha est vétéri-naire et se passionne pour la fé-minisation des poissons d’eaudouce. Débutante elle aussi, Mé-lodie est avocate dans un gros ca-binet de la ville. Quant à Char-lotte, on ne sait pas trop ce qu’ellefait. Elle non plus d’ailleurs.

Inutile de chercher un point devue moral dans tout ça, il n’y en apas. Pas la peine non plus de sedemander à quel genre appar-tient A trois on y va. L’alchimieest subtile, composée de comé-die, de burlesque même, maisaussi d’ingrédients plus graves,plus mélancoliques, donnant au film sa saveur douce-amère.

Au fond, nos trois personnages,chacun à sa manière, sont des in-nocents qui se laissent emporterpar le courant de la vie. Même s’ils passent leur temps à mentiret à se culpabiliser, leurs senti-ments sont toujours vrais à l’ins-tant précis où ils les expriment.

Incapables d’envisager un pointd’arrivée, ils donnent l’impres-sion de vivre chaque minute comme si leur histoire, passée età venir, n’avait pas d’importance.A chaque fois qu’un motif de con-flit semble surgir, un stratagèmepermet de l’éviter. La légèreté,avant tout.

Décor à la Feydeau

A mesure que le film avance, lejeu se resserre, les caractères s’af-firment. Au centre du dispositif,semblant s’être emparée du trio,Mélodie est la seule à connaître lemensonge des deux autres. Jus-qu’où en jouera-t-elle ? Pourra-t-elle indéfiniment supporter lepoids de cette situation de plusen plus inextricable ? Ou bien fi-nira-t-elle par être submergée ? Prise dans un vertige amoureux,elle aime les deux personnes

d’un même couple sans, appa-remment, se poser de question.Homo, bi, hétéro, ces mots sem-blent ne pas exister, ni pour elleni pour Charlotte et Micha.

Film générationnel, ancré dansson époque, A trois on y va par-vient à retrouver certains des res-sorts du théâtre classique. Ainsi,dans une séquence fort réussie,la maison lilloise ressemble à s’yméprendre à un décor de Fey-deau. On s’y cache, on y entre parune porte dérobée, on s’enfuit par la fenêtre en courant sur lestoits. Et lorsque Mélodie finit parse retourner, c’est pour constaterque la mécanique du vaudeville aparfaitement fonctionné.

Devant ces jeux de l’amour etdu mensonge, difficile égale-ment de ne pas penser à Mari-vaux. En particulier à l’une de sespièces les plus courtes : Le Dé-

nouement imprévu. Son intriguen’a pas grand-chose à voir aveccelle imaginée par Bonnell, mais l’idée de proposer une fin à la foisinattendue et logique, si.

Espiègle et charmante, AnaïsDemoustier assume bien l’ambi-valence de Mélodie, à la fois pau-mée et pleine d’aplomb. FélixMoati, lui, campe un Micha sansprise face aux événements quil’assaillent. Quant à Sophie Ver-beeck, la plus énigmatique, elleparviendra in fine à déjouer ladouble inconstance de ses deuxpartenaires. Comment ? Vous lesaurez en allant voir ce film ré-jouissant qui éclaircit agréable-ment la noirceur ambiante. p

franck nouchi

Film français de Jérôme Bonnell.

Avec Anaïs Demoustier, Félix Moati, Sophie Verbeeck (1 h 26).

Sophie Verbeeck, Anaïs Demoustier et Félix Moati dans « A trois on y va ». WILD BUNCH DISTRIBUTION

Le parcours

cohérent d’une

actrice fidèle à

son goût pour les

histoires d’amour

singulières

Anaïs Demoustier, la règle de trois« A trois on y va » offre à la comédienne, âgée de 27 ans, un nouveau rôle dans une histoire de trio amoureux

Film générationnel,

ancré dans son

époque, « A trois

on y va » parvient

à retrouver

certains des

ressorts du

théâtre classique

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LE

S

AU

TR

ES

F

IL

MS K Lire l’intégralité de la critique sur Lemonde.fr

(édition abonnés)

ppvv À VOIRParis of the NorthFilm islandais, danois et français de Hafsteinn Gunnar Sigurosson (1 h 35).En Islande, Hugi mène une vie morose jusqu’à l’arrivée de son extravagant de père… Entre drame familial et comédie, ce film propose à ses personnages des situations cocasses pour mieux les rendre à une humanité finement peinte. p n. lu.

pvvv POURQUOI PAS300 hommesDocumentaire français d’Emmanuel Gras et Aline Dalbis (1 h 22).Emmanuel Gras (Bovines, 2012) et Aline Dalbis posent caméra et micros, deux hivers durant, dans un centre d’hébergement à Marseille et tirent le portrait d’une humanité en détresse, celle des sans-logis qui viennent y chercher abri. En dépit de son évidente valeur documentaire et politique, on regrette que le résultat ne décroche jamais d’un régime d’observation ronron-nant qui finit par le neutraliser. p m. ma.

El Evangelio de la carne (Un octobre violet à Lima)Film péruvien d’Eduardo Mendoza de Echave (1 h 50).A Lima, trois histoires s’entrecroisent : un policier tente de sauver sa femme atteinte d’une maladie grave ; un chauffeur de bus espère être admis dans une confrérie religieuse ; le chef d’un groupe de supporteurs de football essaye de faire sortir son frère de prison. Sur fond de religiosité et de croyances, ce film montre une face cachée de la capitale péruvienne. p f. n.

Enfances nomadesFilm français de Christophe Boula (1 h 33).Christophe Boula choisit la fiction pour faire le portrait d’en-fants des hauts plateaux du Tibet, nés dans la steppe et appelés à la ville… Trois histoires simples comme des paraboles. p n. lu.

Un amour (roman)Documentaire français de Richard Copans (1 h 30).Richard Copans évoque ses parents, un Américain d’origine juive fou de jazz et une Française originaire de Soissons. Les lettres d’amour échangées par le couple, des portraits de gens rencontrés et des dégagements fictionnels forment la trame du film, sur fond de déchaînement historique. Le portrait s’en trouve singulièrement distancié. p j. m.

Le Petit HommeFilm autrichien de Sudabeh Mortezai (1 h 38).Après la mort de son père en Tchétchénie, Ramasan, sa mère et ses sœurs ont fui en Autriche. Dans le camp de réfugiés, Rama-san est, à 11 ans, l’homme de la famille… Si le jeune acteur qui joue Ramasan offre une interprétation émouvante, l’esthétique naturaliste du film bride un peu sa créativité. p n. lu.

Waste LandFilm belge de Pieter Van Hees (1 h 37).Un flic torturé enquête sur le meurtre d’un Congolais et perd pied. Chargé d’une dimension onirique, ce polar sophistiqué ne gagne jamais ni en opacité ni en mystère. p s. ma

vvvv ON PEUT ÉVITERVoyage en ChineFilm français de Zoltan Mayer (1 h 36).L’odyssée de Yolande Moreau, mère accablée de douleur qui ar-rive en Chine pour récupérer le corps de son fils, mort dans un accident. La paix avec elle-même passera par l’ouverture à l’autre, idée qui pourrait être belle si l’auteur se laissait aller à la liberté qu’il revendique pour son personnage. p i. r.

DiversionFilm américain de Glenn Ficarra et John Requa (1 h 45).Mix de comédie romantique et de film d’escroquerie, porté par un Will Smith dans le rôle, usé jusqu’à la corde, de tombeur autosatisfait. Recyclant le folklore des Ocean’s 11, 12, 13, la mise en scène ne s’intéresse qu’à la plastique de poule de luxe du personnage féminin, qui passe pourtant tout le film à se défen-dre d’être une prostituée. p i. r.

CendrillonFilm américain de Kenneth Branagh (1 h 45).L’adaptation du conte de Perrault, par Kenneth Branagh, ac-cuse un total manque de vision, de souffle et de personnalité. Reste les jolies robes pour faire rêver les petites filles… p s. ma.

Divergente 2 : l’insu… 1 919 740 615 919 740

Un homme idéal 1 224 751 280 224 751

American Sniper 5 207 753 742 ↓ – 8 % 2 704 553

Big Eyes 1 147 573 320 147 573

Le Dernier Loup 4 130 250 652 ↓ – 16 % 1 047 895

Night Run 2 119 358 401 ↓ – 33 % 333 328

Kingsman : services… 5 105 504 408 ↓ – 19 % 1 441 233

La Famille Bélier 14 100 916 552 ↑ + 16 % 7 208 024

Papa ou maman 7 94 034 434 ↓ – 6 % 2 696 657

Bis 5 85 654 511 ↓ – 14 % 1 381 728

Nombrede semaines

d’exploitationNombre

d’entrées (1)Nombre

d’écrans

Evolutionpar rapport

à la semaineprécédente

Totaldepuis

la sortie

AP : avant-premièreSource : Ecran total

* EstimationPériode du 18 au 22 mars inclus

Démarrage en fanfare de Divergente 2 : l’insurrection, le deuxième vo-let de la saga adaptée des best-sellers de Veronica Roth (1 496 specta-teurs par copie). Pour des présences en salles plus réduites, Hacker et Still Alice font d’honorables débuts. Big Eyes, en revanche, déçoit. En 5e semaine, American Sniper fait mieux que se défendre (plus de 2 700 000 entrées). Quant à La Famille Bélier, elle a accueilli plus de 100 000 spectateurs en 14e semaine pour franchir la barre des 7,2 mil-lions d’entrées.

Le campus en voit de toutes les couleursDans son premier long-métrage, Justin Simien choisit le genre de la comédie universitaire pour évoquer la question raciale, aux Etats-Unis

DEAR WHITE PEOPLE

pppv

L e campus aux Etats-Unis,son architecture néoclassi-que-gothique-victorienne

(rayez la mention inutile), ses ri-tuels à faire se pâmer l’ethnologue le plus endurci, ses types humains répertoriés – rat de bibliothèque, cancre iconoclaste, professeur libi-dineux… Décors, enjeux sociaux et affectifs, rôles en or : depuis des décennies, l’industrie américaine du cinéma exploite ce gisement, sibien que la fréquentation régu-lière d’une salle obscure devrait conférer une équivalence de PhD (doctorat), au moins.

Avec son quatuor d’étudiants dé-finis en quelques plans dès le dé-but du film, ses couples instables et ses plaisanteries transgressives, Dear White People est fait de la même étoffe qu’American College, de John Landis, ou Damsels in Dis-tress, de Whit Stillman, deux va-riantes de référence de la comédie universitaire. Mais il est aussi tisséd’une autre trame : le premier long-métrage de Justin Simien est avant tout un film politique, qui considère sous tous les angles qu’offre une situation donnée – la présence d’une petite minorité afro-américaine sur un campus dunord-est des Etats-Unis – ce qu’il est convenu d’appeler, de l’autre côté de l’Atlantique, la « question raciale ». Que l’on puisse rire (par-fois en s’étranglant) tout au long du film témoigne du talent du jeune (31 ans) cinéaste.

Sur le campus de l’universitéimaginaire de Winchester, les nuits sont égayées par les apostro-phes radiophoniques de Saman-tha White (Tessa Thompson), qui aintitulé son talk-show « Dear White People ». « Chers Blancs, dit-elle, je suis au regret de vous an-noncer que le minimum réglemen-taire d’amis noirs pour ne pas être considéré comme raciste a été re-levé à deux. Et Tyrone, votre dealerd’herbe, ne compte pas. »

Samantha est bientôt élue prési-dente d’un dortoir où sont tradi-tionnellement logés les étudiants afro-américains, au moment où l’identité du bâtiment est mena-cée par un nouveau règlement qui stipule que les chambres sont af-fectées de façon aléatoire. Dear White People commence donc par une étude incisive et cruelle du dé-bat qui oppose la communauté à l’intégration, l’identité à l’égalité. Tessa a remporté l’élection contre Troy Fairbanks (Brandon Bell), un

joli garçon qui a le malheur d’être le fils du doyen (Dennis Haysbert, ci-devant président des Etats-Unis de « 24 heures chrono »). Troy vit une idylle un peu forcée avec la fille du président blanc de l’univer-sité.

Ces événements sont observéspar Lionel Higgins (Tyler James Williams). Apprenti journaliste, il est bientôt recruté par la publica-tion du campus pour chroniquer les conflits raciaux. Lionel est l’ob-jet de toutes les moqueries, pas tant à cause de ses grosses lunettesque de son énorme coiffure afro qui fascine les Blancs (ils ne peu-vent s’empêcher – surtout les filles– d’y passer les doigts) et heurte lesNoirs, renvoyés à une histoire qu’ils préfèrent ignorer.

Rigueur analytique

Au quatrième coin du ring, Coco Conners (Teyonah Parris), une jeune femme aux longs cheveux lisses qui préfère rechercher les fa-veurs d’un producteur de télé-réa-lité qui hante le campus plutôt quecelles des enseignants. Si elle bran-dit son identité, c’est pour mieux la monnayer. Coco est une versionraffinée, conceptualisée, de toutes les vedettes afro-américaines qui jouent des fantasmes et des sté-réotypes entourant la figure fémi-nine noire américaine.

Ces éléments volatils vont pro-voquer une explosion lorsque Le Pastiche, le club satirique de l’uni-versité (inspiré du Harvard Lam-poon), décide d’organiser une soi-rée intitulée « Free you’inner

nigga » (« révélez le nègre qui est en vous »). La mise en scène de ce moment de libération, où de jeu-nes Blancs endossent les costumeset prennent la couleur des grandesfigures du hip-hop, voit Justin Si-mien abandonner l’élégance un peu détachée du reste du film pours’adonner au grotesque – manifes-tation d’une indignation sincère.

Dear White People procède d’unevolonté d’aller jusqu’au bout des situations afin d’en cerner les moindres détails, les plus petits ef-fets. On peut reprocher au film de ne recourir qu’à la mécanique, auxdépens des sensations et des émo-tions. D’une part, cette impressionest nuancée par de jeunes acteurs au tempo comique irréprochable (particulièrement Tyler James Williams). D’autre part, cette rigu-eur analytique est la raison d’être du film et le préserve des périls guettant un metteur en scène qui se contenterait d’aligner les sté-réotypes raciaux dans l’espoir qu’ils s’annulent les uns les autres,par exemple en imaginant une sé-rie de mésalliances au sein d’une famille bourgeoise. On veut dire par là que Dear White People, si ri-che en enseignements sur l’état des relations intercommunautai-res aux Etats-Unis, forcera le publicfrançais à se poser une question subsidiaire : où sont les films qui parlent de « ça », chez nous ? p

thomas sotinel

Film américain de Justin Simien,

avec Tyler James Williams, Tessa Thompson, Teyonah Parris (1 h 48).

RE

PR

IS

E « Eve »On a beau tout savoir d’Eve, de Joseph Mankiewicz (1950, six Oscars l’année suivante), il n’y a probablement pas de plaisir cinématogra-phique plus irrésistible sur les écrans cette semaine. Pour les bien-heureux(ses) qui le découvriront à l’occasion de cette énième ressortie, on ne s’étendra pas sur l’intrigue imaginée par Mankiewicz – une fan s’introduit dans l’intimitéd’une étoile du théâtre new-yorkais. On ne dira rien non plus des rôles principaux – Bette Davis, qui joue Margo Chan-ning, l’actrice vieillis-sante ; Ann Baxter en Eve Harrington, l’ambitieuse à la sexualité ambiguë ; George Sanders, l’intellec-tuel qui préfère l’art à la vie.On attirera plutôt l’atten-tion sur trois seconds rôles tenus par Celeste Holm, Thelma Ritter et une inconnue, Marilyn Monroe. La première tient le rôle de l’amie de-venue l’instrument du destin, et est ici l’incarna-tion du commun des mortels, dépassé par la folie des gens de théâtre. Thelma Ritter, qui joue Connie, actrice devenue dame de compagnie, ren-voie à l’époque où les ac-teurs n’étaient que les fournisseurs du plaisir du public. Enfin, Marilyn Monroe en starlette stu-pide (mais pas tant que ça) est d’autant plus dé-chirante que ce petit rôle, qui marqua une étape importante dans son as-cension, est une préfigu-ration du destin dans le-quel le star-system devait la cantonner. Voilà trois des innombrables raisonsqu’il y a d’aller voir ou re-voir Eve. p t. s.

Le film

commence par

une étude incisive

et cruelle du

débat qui oppose

la communauté

à l’intégration,

l’identité

à l’égalité

Page 22: Monde 3 en 1 Du Mercredi 25 Mars

22 | télévisions MERCREDI 25 MARS 2015

0123

HORIZONTALEMENT

I. A animé de nombreuses sur-

prise-parties. II. Commencerais

à te sentir mal. Va droit au chœur.

III. Pousse à tout avaler. Prêt à tout

avaler. IV. Le petit est à la barre.

Assure la liaison. Il n’y a que le co-

chon qui aime s’y traîner. V. Pro-

tègent nos poumons. Piégé.

VI. Personnel. Sculpture cadavérique.

VII. S’il est in, il trouvera. Bavard

emplumé. VIII. Séduites et trompées.

Manœuvres pour tromper. IX. Arme

de Chantecler. Débite à voix haute.

X. Son royaume est humide et vert.

VERTICALEMENT

1. Répandre un peu partout. 2. Louise

Françoise de La Baume Le Blanc lui

a donné son nom. 3. Le dessus du pa-

nier. A crié comme une vache.

4. Beau-parricide. Petit pour une fri-

ture. 5. Pratiquer l’écologie au quoti-

dien. Sur scène dans les décors.

6. Savoureuse en robe de chambre.

Sur la portée. 7. En jeu pour les en-

fants. Patron. Toute une époque.

8. Toujours à la recherche de ses élec-

teurs perdus. Mis à nu. 9. Passait sans

diiculté du crayon à la chambre.

Le temps d’apprendre à lire. 10. Peu

inspiré par sa belle-sœur. Opposé au

zénith. 11. Lourds manteaux. Dégagé.

12. Mis à nu comme des artichauts.

SOLUTION DE LA GRILLE N° 15 - 070

HORIZONTALEMENT I. Goudronneuse. II. Erse. Réunion. III. RG. Canoë.

Ans. IV. Madone. Sb. Go. V. Aneries. Ruer. VI. Ninas. Trac. VII. DST. Erras.

Té. VIII. Reus. Général. IX. Euros. Ecrite. X. Ereutophobie.

VERTICALEMENT 1. Germandrée. 2. Organiseur. 3. US. Denture. 4. Déco-

ra. Sou. 5. Anisé. St. 6. Ornée. RG. 7. Néo. Streep. 8. Nues. Ranch. 9. En.

Brasero. 10. Uia. Uc. RIB. 11. Songe. Tati. 12. Ensorcelée.

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12

I

II

III

IV

V

VI

VII

VIII

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X

GRILLE N° 15- 071

PAR PHILIPPE DUPUIS

0123 est édité par la Société éditricedu « Monde » SADurée de la société : 99 ans à compter du 15 décembre 2000. Capital social : 94.610.348,70 ¤.Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).

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SUDOKUN°15-071

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UNHORS-SÉRIE

L’ATLASDESRELIGIONS

Mercredi 25 mars

TF1

20.55 Les Experts

Série policière créée par Anthony E. Zuiker. Avec Ted Danson, Elisabeth Shue, George Eads (saison 15, ép. 5, 4 et 9/18 ; S13, ép. 6/22).0.15 New York,

section criminelle

Série policière créée par Dick Wolf. Avec Eric Bogosian, Kathryn Erbe (S8, ép.15/16, S1, ép. 16/22).

France 2

20.55 Les Témoins

Série policière créée par Marc Herpoux et Hervé Hadmar. Avec Thierry Lhermitte (S1, ép. 3 et 4/6).22.40 Un soir à la tour Eiffel

Talk-show présenté par Alessandra Sublet (125 min).

France 3

20.50 Des racines et des ailes

« Passion patrimoine : la Drôme, entre Vercors et Provence ».Magazine présenté par Carole Gaessler. 23.20 Avenue de l’Europe,

le mag

Magazine présenté par Véronique Auger. Invité : Bernard Cazeneuve.

Canal+

20.55 Mise à l’épreuve

Comédie de Tim Story. Avec Ice Cube, Kevin Hart, John Leguizamo, (E.-U., 2014, 100 min).22.35 La Crème de la crème

Comédie dramatique de Kim Chapiron. Avec Thomas Blumenthal, Alice Isaaz (Fr., 2014, 90 min).

France 5

20.40 La Maison France 5

Magazine présenté par Stéphane Thébaut.21.40 Silence ça pousseMagazine présenté par Noëlle Bréham et Stéphane Marie.

Arte20.50 L.627Policier de Bertrand Tavernier. Avec Didier Bezace, Jean-Paul Comart (Fr., 1992, 140 min).23.10 Quand l’art repart de ZERODocumentaire d’Anne Pflüger et Marcel Kolvenbach (All., 2014, 55 min).

M6 20.55 Recherche appartement ou maisonTélé-réalité présentée par Stéphane Plaza (295 min).

Né pour être sauvage, sur les routes des CharentesGérard Depardieu est le héros triste et beau d’une quête dérisoire et désopilante

FRANCE 4MERCREDI 25 – 20 H 50

FILM

D’une certaine ma-nière, tout lemonde a eu 20 ansen 1969. Tout le

monde a adoré Easy Rider, de Den-nis Hopper, ce bras d’honneur à lasociété bien-pensante devenu le film phare de la contre-culture américaine, et plus généralement de l’aspiration à la liberté. Tout le monde pensera toujours n’avoirpas démérité de sa jeunesse.

Pour ces raisons, Mammuth estle film à éviter, parce qu’il montresans fard ce que sont devenus leshommes de cette génération, en quoi s’est transformé le monde depuis lors, et ce qu’il advient des idéaux de la jeunesse. Si de cela le film nous fait fichtrement rire, il nous fait aussi terriblement mal.

On est ici quarante ans aprèsEasy Rider et de l’autre côté de l’At-lantique, et le scénario se caracté-rise par des remaniements qui ontpour effet un net rétrécissement de braquet mythologique. La route

Los Angeles-La Nouvelle-Orléans est remplacée par les chemins vici-naux de Charente-Maritime.

Peter Fonda, Dennis Hopper etJack Nicholson sont fondus en un seul personnage interprété par un Gérard Depardieu qui a logique-ment triplé de volume, incarnant un sexagénaire laminé par une viede prolo, cheveux dans le dos et marcel au vent. La moto n’est plus un chopper Harley-Davidson, mais une Münch 4 TTS-E 1 200 de 1972. Un monstre teutonique de 1 300 centimètres cubes, dont la douce appellation, Mammuth, est le sobriquet de son conducteur.

SerpillièreEnfin, il ne s’agit plus de claquer unargent facilement gagné dans le trafic de drogue pour voir du pays, mais de partir à la recherche de sesex-employeurs pour récupérer desfiches de salaire nécessaires au dé-compte de ses points de retraite.

A la différence des héros de EasyRider, le personnage de Mam-muth n’aura même pas besoin d’être assassiné par des réaction-naires locaux, car le système, plus

subtil, l’a déjà transformé en ser-pillière, en mort qui roule.

Il se nomme en vrai Serge Pilar-dosse. Au début du film, il quitte l’entreprise d’équarrissage porcin où il a passé le plus clair de son existence, et s’en revient chez lui. A la maison, l’attend Catherine (Yolande Moreau), sa femme, em-ployée de grande surface, dont lestendresses prennent la forme de mises en garde nocturnes du genre : « Lève la lunette ! »

Le couple a du mal à joindre lesdeux bouts. Quand la caisse de re-traite annonce à Serge que le compte n’y est pas, il lui faut débâ-cher la Mammuth qui dort dans

son garage depuis les années 1970et prendre la route, blaze au vent.

La collection de rencontres la-mentables, décousues et truculen-tes vaut son pesant de cacahuètes :du fossoyeur chantant au collec-teur de pièces sur la plage, en pas-sant par la grue qui le détrousse.

Les annotations judicieuses surl’état de la société contemporaine,le laminage de la culture ouvrière et de la culture tout court, la ruinede la solidarité et de la dignité de classe, le désamour du travailbien fait, la tristesse du paysagecontemporain, la dématérialisa-tion informatisée du monde, toutcela est parfait.

Le film va pourtant plus loin. Enaffublant Pilardosse de la présenceà ses côtés du fantôme d’un amourde jeunesse (Isabelle Adjani), il re-constitue en creux le couple d’ac-teurs de Barocco (1976), d’André Té-chiné, et se transforme en une émouvante méditation mélanco-lique sur le temps qui passe, sur la dépossession du monde, sur le ci-néma comme enregistrement poétique de la mort au travail. p

jacques mandelbaum

Mammuth, de Benoît Delépine et Gustave Kervern. Avec Gérard Depardieu, Yolande Moreau (Fr., 2010, 92 min).

Serge Pilardosse (Gérard Depardieu) sur sa « Mammuth ». AD VITAM DISTRIBUTION

La chevauchée du diable au fin fond du TexasAdepte de la violence gratuite ou démiurge de l’adaptation littéraire, William Friedkin signe un film sanglant et fort

OCS CHOCMERCREDI 25 – 20 H 40

FILM

W illiam Friedkin n’estpas du genre à avoirfroid aux yeux. La

scène d’ouverture de Killer Joe en est une preuve éloquente. Sous unciel d’orage, Chris, un jeune dealer,frappe à la porte de son père, An-sel, qui ne répond pas. Sharla, sa belle-mère, lui ouvre enfin. En pe-tite tenue, elle exhibe sans lamoindre gêne sa toison pubienne,laissant le pauvre Chris nez à nez

avec l’origine du monde – ou dumoins ce qui, dans cette ville pau-mée du Texas, y ressemble.

Chris n’a guère le temps de s’of-fusquer d’une telle apparition.D’autres menaces se font jour. Le jeune homme veille d’un œil sursa petite sœur, Dottie, qui n’a pas encore vu le loup, et surveille de l’autre sa mère, que le démon de midi possède d’un peu trop près.

Pour ne rien arranger, Chris doitde l’argent à la mafia locale, quis’en agace, si bien qu’il doit trou-ver une solution. Celle-ci se pré-sente sous les traits « méphisto-

phéliques » de Killer Joe Cooper, un flic qui arrondit ses fins demois en tant que tueur à gages.

Bain de sang finalChris a appris que Dottie recevraitune petite fortune si, par mal-heur, leur mère indigne venait àtrépasser. Avec l’accord d’Ansel etde Sharla, il demande à Joe demettre en œuvre ce funeste fan-tasme. Seul hic : comme tout tueur qui se respecte, Cooper ré-clame une avance. A court, Chriset Ansel acceptent de lui livrer, en guise de caution, la petite Dottie.

Ce pacte faustien va déraper, jus-qu’à un éprouvant bain de sang fi-nal. Le diable se niche dans les dé-tails, et les spectateurs pourront noter qu’une présence souterrainetraverse le film : celle de la télévi-sion, qui diffuse son flot d’ineptieset d’atrocités. Joe ne manque pas de saccager l’écran familial. Ma-nière de rappeler d’où vient le fléaudont il n’est que l’exécuteur.

Ce geste iconoclaste résume,pour ses contempteurs comme pour ses adorateurs, le cinéma de Friedkin. Les premiers ne voient, chez le réalisateur, qu’ultravio-

lence gratuite et amorale, pur-geant une humanité réduite à ses plus vils archétypes. Les seconds, au contraire, saluent le cinéaste comme un démiurge de l’adapta-tion littéraire, un ange de l’ambi-guïté. Tiré d’une pièce de Tracy Letts, Killer Joe leur donnera le typemême de satisfaction qui convulsele Malin à l’approche de sa cible. p

aureliano tonet

Killer Joe, de William Friedkin. Avec Matthew McConaughey, Emile Hirsch, Juno Temple (E.-U., 2011, 100 min).

V O T R ES O I R É E

T É L É

Page 23: Monde 3 en 1 Du Mercredi 25 Mars

0123MERCREDI 25 MARS 2015 styles | 23

Marseille, côté cuisineFini l’éternelle bouillabaisse face à la « Bonne Mère ». La cité phocéenne gagne désormais à être découverte pour ses tables gastronomiques, qui fleurent bon la Méditerranée

VOYAGE

marseille

Il y a le ciel, le soleil, la mer…et désormais une jolie col-lection de tables, qui rendl’escapade aussi gourmande

que balnéaire. Dans le sillage deMarseille Capitale européenne de la culture en 2013, la scène gastro-nomique locale s’anime, et les restaurateurs entendent que les5 millions de touristes annuels (dont 1,3 million de croisiéristes, chiffres 2014) n’ont pas seule-ment faim de bouillabaisse ou de navettes.

Le Môle et sa vue sur mer

Gérald Passédat incarne depuis longtemps le Marseille gastrono-mique, avec son hôtel-restaurant familial accroché à la mer, sur lacorniche. Si Le Petit Nice reste sonvaisseau amiral (et le seul trois-étoiles de la ville, aux prix en con-séquence), le cuisinier multiplie les initiatives. Au sein du MuCEM (Musée des civilisations de l’Eu-rope et de la Méditerranée) d’abord, où il gère les deux espa-ces du Môle Passédat. On vient y goûter sa cuisine (simplifiée et ac-cessible) et surtout profiter du ca-dre somptueux du musée dessinépar Rudy Ricciotti – une vue sur les eaux turquoise à tomber.

L’amoureux des poissonsoubliés de la côte provençalevient également d’y lancer Les Rencontres de la Méditerranée (jusqu’au 3 avril), durant lesquel-les il invite un chef du bassin mé-diterranéen à un dîner à « quatre mains ». Pour cette première édi-tion, c’est le chef romain AnthonyGenovese qui ouvre le bal et lais-sera sa trace sur les menus du Môle. « On n’arrive pas encore à la cheville des grandes villes deFrance, mais notre ambition estavant tout de d’être le catalyseurde la Méditerranée, affirme GéraldPassédat. Marseille-Provence 2013,Capitale européenne de la culturea été l’élément fédérateur. Il y a deux ans, j’ai créé l’association Gourméditerranée, qui regroupe les cuisiniers de la région. Depuis, les jeunes talents ont compris qu’il est possible de faire quelque chose dans cette ville. »

Des saveurs d’Afrique

L’un de ces chevaliers du goût est caché dans une rue calme du chic 8e arrondissement, non loin de la plage du Prado et du parc Borély. Sur la façade sobre, seules deux initiales (AM) vous indiquent que vous ne vous êtes pas trompé d’adresse. Alexandre Mazzia est l’un des chefs les plus en vogue dumoment. Et l’un des deux cuisi-niers à avoir apporté à la ville une première étoile en 2015 – l’autre

revient à Ludovic Turac, chez Une Table au sud, à découvrir sur le Vieux-Port.

AM ne regarde pas vers la mer,mais la « grande bleue » s’y ex-prime à pleins poumons, avec des chairs nacrées de poissons subtile-ment réinterprétées. Installé à Marseille depuis 2010, lorsqu’il of-ficiait au Ventre de l’architecte (le

restaurant du troisième étage de laCité radieuse, le joyau architectu-ral de Le Corbusier), Mazzia laisse éclater toute sa créativité depuis qu’il est aux commandes de son restaurant, ouvert en juin 2014. « Ma volonté est de faire découvrir autrement Marseille et la Méditer-ranée. J’ai besoin de la mer, des ca-lanques, des couchers de soleil… Ses

lumières me rappellent parfois le Congo, où j’ai grandi jusqu’à l’âge de 14 ans. Et les saveurs de harissa ou du brûlé qui se retrouvent dans mes plats rappellent aussi l’Afrique, le continent qui nous fait face. »

Son maquereau brûlé au satayservi dans un bouillon de tapioca, ou le merlu au charbon, panais, lait d’arête (surnommé le « plat plat », allez savoir pourquoi) don-nent envie d’aller embrasser la « Bonne Mère » pour la remercierd’avoir installé un tel talent sur sesterres. Chez AM, point de bouilla-baisse – « je ne saurais pas la faire pour cet établissement » –, mais unmenu où s’expriment les produits du terroir provençal. « Les fournis-seurs sont essentiels, même si je medéfends de parler de “locavore”. La région se retrouve dans mes assiet-tes grâce aux producteurs, comme Sylvain Erhardt et ses asperges de Roques-Hautes ou Philippe Ma-keeff et ses fleurs d’Aubagne, con-fie-t-il. Réussir ici est dix fois plus dur qu’à Paris, mais les gens sont endemande. J’espère que d’autres con-frères vont venir s’y installer. »

Marché gourmet

Ce sera bientôt le cas avec les Docks, le projet d’envergure de l’opération Euroméditerranée, qui achèvera de transformer la ville en destination de gourmets.

Dans cet immense ensemble, ontrouvera, à partir du 18 septem-bre 2015, restaurants et commer-ces de bouche… A deux pas des fu-turs Docks, au bout du Vieux-Port,le quartier de la Joliette s’est déjàtransformé en paradis « foodie »,avec les Halles de la Major. Un bâti-ment entièrement rénové, où cha­que étal, du boucher à l’écailler en passant par le fromager – on y trouve également les créations su-crées de Passédat –, donne envie de s’arrêter. Pour ensuite aller dé-guster son panier en terrasse. Faceà la mer. p

boris coridian

Y allerEn TGV, 3 h 20 depuisParis, 1 h 40 depuis Lyon.

Déjeuner ou dînerLe Petit Nice – Passédat. Anse de MaldorméCorniche JF (7e).Tél. : 04-91-59-25-92 ;AM par Alexandre Mazzia. 9, rue François-Rocca (8e). Tél. : 04-91-24-83-63 ;MuCEM/Le Môle Passédat et La Table/Le Môle Passedat. 1, esplanade J4 (2e). Tél. : 04-91-19-17-80 ;Une Table au sud. 2, quai du Port (2e).Tél. : 04-91-90-63-53 ;Le Relais 50. 20, quai du Port (2e).Tél. : 04-91-52-52-50 ;Restaurant Bongo. 126, rue Sainte (7e).Tél. : 04-91-33-84-10 ;Les Halles de la Major. 12, quai de la Tourette (2e). Ouvert 7 j/7 de 9 heuresà 19 heures.

Se logerVilla Monticelli, chambre d’hôte. 96, rue du Com-mandant-Rolland (8e).Tél. : 04-91-22-15-20 ;Hôtel C2. 73, cours Pierre-Puget/48, rue Roux-de-Brignoles (6e).Tél. : 04-95-05-13-13.

C A R N E TD E R O U T E

Le tour du monde en 24 heuresUne nouvelle façon de consommer le voyage, clé en main, de manière brève et intense

U ne évasion brève… maisintense. C’est ce que pro-pose Secrets de voyages

depuis mars, avec des escapades de 24 heures clé en main. En parte-nariat avec les « city guides » Wall-paper – des guides de voyage courts, pointus, volontairement subjectifs –, le tour-opérateur haut de gamme a élaboré des sé-jours de luxe dans une dizaine devilles à l’étranger (prix moyen : 1 500 euros). Deux nuits en hôtel cinq étoiles et une journée avec prestations sur mesure : visite du Whitney Museum de New York quelques heures avant l’ouver-ture, table dans un restaurant étoilé de Londres ultraprisé, ou

excursion en bateau privé jusqu’à Burano, à Venise… « Nous avons deplus en plus de demandes de visitesrapides sur des destinations urbai-nes. Ce sont souvent des “achatspulsion” avec un départ quelques jours plus tard », constate MartineSantos, la directrice du voyagiste haut de gamme, qui propose éga-lement un service de conciergerie.

Une fuite euphorique

Des séjours condensés qui mêlentincontournables et nouveaux lieux dont on parle. D’où l’exper­tise des guides branchés Wallpa­per, une licence du magazine an­glais de design et d’architecture gérée par l’éditeur Phaidon. Lan­

cés en 2007 avec des couvertures monochromes qui poussent à lacollection, il s’en est écoulé depuisplus de 2,5 millions d’exemplaires dans le monde. Ils sontaujourd’hui déclinés en cinq lan-gues et existent également en ap-plications iPhone. Phaidon s’ap-prête à lancer début juin une édi-tion réactualisée de dix des cin-quante-trois villes disponibles en français, parmi lesquelles Lon-dres, Venise, New York, Barcelone, Amsterdam, Tokyo… « Dans lesannées 1960, on était juillettiste ouaoûtien, mais depuis, les voyages se sont raccourcis », remarque l’an-thropologue Jean-Didier Urbain, auteur de Au soleil : naissance de la

Méditerranée estivale (Payot, 2014). « Au XIXe siècle, on parlait d’“escapisme”, de l’anglais “to es-cape”, s’échapper. Aujourd’hui, ce désir de fuite touche particulière-ment les urbains qui cherchent à reconquérir une intimité qu’ils n’ont plus. Sans compter l’euphorie que procurent les courts séjours, dont la formule 24 heures est l’ex-pression radicale. » Une façon deconsommer le voyage qui va évi-demment de pair avec le dévelop-pement des compagnies low cost, dont les prix des vols avoisinent ceux des tee-shirts chez H&M. p

vicky chahine

Secretsdevoyages.com

Hôtel C2, à Marseille.EDWIGE LAMY

La terrasse du bar du Môle, de Gérald Passédat, située sur le toit du MuCEM. PATRICK GHERDOUSSI/DIVERGENCE POUR « LE MONDE »

Salsifis,topinambour, d’Alexandre Mazzia. BENJAMIN BECHET

www.artsetvie.com

Faire de la culturevotre voyage

IMMATRICULATIONN° : IM075110169

Page 24: Monde 3 en 1 Du Mercredi 25 Mars

24 | carnet MERCREDI 25 MARS 2015

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AU CARNET DU «MONDE»

Décès

Paris.

Claude,son épouse,

Eric, Pierre Emmanuel et Christophe,ses ils,

Alice, Basile, Baptiste, Victor, Chloé,Roxane, Fleur et Théophile,ses petits-enfants,

Toute sa famille,

font part du passage dans la lumière deDieu de

Michel ALBERT,inspecteur des inances,membre de l’Institut,

commandeur de la Légion d’honneur,grand-croix

de l’ordre national du Mérite.

La cérémonie religieuse sera célébréeen l’église des Invalides, le jeudi 26 mars2015, à 15 heures.

Le président,Le secrétaire perpétuelEt les membres de

l’Académie des Sciencesmorales et politiques,

ont la tristesse de faire part du décès deleur confrère,

Michel ALBERT,membre de l’Institut,secrétaire perpétuel

de l’Académie de 2005 à 2010,

survenu le jeudi 19 mars 2015.

Une messe sera célébrée à son intention,en la cathédrale Saint-Louis des Invalides,le jeudi 26 mars, à 15 heures.

Paris. Saint-Raphaël. Cesson-Sévigné.Quimper. Nanterre. Sablé-sur-Sarthe.

Jeanne,son épouse

Marie-France, Yves, Jean-Luc,ses enfantset leurs conjoints, Claude et Maïté,

Myriam, Cécile, Renaud, Yann, David,Pierrick, Solène, Claire,ses petits-enfants,

Alexis et Maëlys,ses arrière petits-enfants

Ainsi que toute la famille,

ont la douleur et le chagrin de faire part dudécès de

M. ARMEL ALLIOUX,ingénieur hors classe à la SNCF,

survenu à l’âge de quatre-vingt-huit ans.

La cérémonie religieuse sera célébréemercredi 25 mars 2015, à 15 heures,en l’église de Juignée-sur-Sarthe,suivie de l’inhumation au cimetièrede Juignée-sur-Sarthe.

Cet avis tient lieu de faire-part etde remerciements.

Annie et Jean-Pierre Ergas,sa sœur et son beau-frère,

Nicolas, Yannick, Sébastien, Benjaminses neveux

Et toute la famille,

ont la grande tristesse de faire part dudécès de

Bernard BOURDEL,

survenu le 21 mars 2015,à l’âge de soixante-quinze ans,des suites d’une longue maladie.

La cérémonie religieuse sera célébréele vendredi 27 mars, à 14 h 30, en l’égliseSaint -Adr ien , 39, rue Ber thelot ,à Courbevoie (Hauts-de-Seine), suiviede l’inhumation dans l’intimité familiale, aucimetière nouveau de Neuilly-sur-Seine.

Nathalie et Esther Castagné,ses ille et petite-ille,

ont l’immense douleur de faire part dudécès du

professeurAndré CASTAGNÉ,

survenu à Montpellier, le 21 mars 2015.

La cérémonie religieuse sera célébrée,le mercredi 25 mars, à 14 h 30, en l’églisede Notre-Dame des Tables, à Montpellier(Hérault).

Mme Michèle Larroque-Cheure,son épouse,

Mme Andrée Larroque,sa belle-mère,

Mme Danièle Larroque,sa belle-sœur,

Son neveu, ses nièceset leur famille,

ont l’immense tristesse de faire part dudécès de

Pierre CHEURE,

survenu le 14 mars 2015,à l’âge de soixante-deux ans.

L’incinération a eu lieu dans l’intimité,le 17 mars 2015.

Contact : [email protected]

Alain et Catherine Cornec,ses enfantset leurs conjoints, Catherine Doltoet Jean Francois Crémieux,

Laure Emmanuelle Roy-Cornec,et Hervé Roy, Alexandre et CamilleCrémieux,ses petits-enfants,

ont la douleur de faire part du décès,le 28 février 2015,dans sa quatre-vingt-seizième année de

Simone CORNEC,avocat au barreau de Paris

(1944-1985)et peintre.

60, avenue de la République,75011 Paris.

Le PCF,

Les amis de la fondation pour laMémoire de la Déportation du 94,

Son épouseEt sa famille,

vous annoncent le décès de

Jacques DAMIANI,résistant,

déporté à Dachau, Allach, Hersbruck,militant communiste,

survenu le 21 mars 2015,à l’âge de quatre-vingt-dix ans.

Un hommage lu i se ra rendu ,le lundi 30 mars 2015, à 14 h 30,au cimetière communal de Fontenay-sous-Bois, 116, boulevard Gallieni,(Val-de-Marne).

Yves Lévy,président-directeur général,

Alain Tedgui,président du conseil scientiique

Et l’ensemble des personnels del’Inserm,

ont eu la grande tristesse d’apprendre ladisparition de

Philippe DRUET.

Ils s’associent à la peine de ses procheset de tous ceux qui l’ont connu.

Néphrologue et immunologiste,professeur des universités, praticienhospital ier , Phil ippe Druet a étédirecteur de l’unité de rechercheInserm 28 « Pathologie rénale etvasculaire», à l’hôpital Broussais, à Paris,de 1986 à 1995, unité localisée ensuiteà l’hôpital Purpan, à Toulouse sousl’intitulé « Autoimmunité normale etpathologique», de 1996 à 2000.Il a également été chef du département« Médecine, biologie et santé » duministère de la Recherche, de 1989à 1993.

Les travaux de Philippe Druet ont portésu r l ’ au t o immun i t é no rma l e e tpathologique dans différentes situationsexpérimentales. Il a étudié les mécanismesimmunologiques responsables denéphropathies, notamment celles survenantau cours de ce r t a ines malad iesautoimmunes induites par les métauxlourds ou par des médicaments tels quela D-pénicillamine ou les sels d’or utilisésdans le traitement de la polyarthriterhumatoïde.

Philippe Druet était un homme deconviction, rigoureux et généreux, attentifà chacun.

Paris.

Lynda et Laurentses enfants

Anthony, Eliott, Fabrice, Marine,Mickaël, Rafaelle,ses petits-enfants,

Jean,son gendreet Valérie, sa belle-ille,

ont la tristesse de faire part du décès de

Mme Fanny FAIBIS,née SMUTEK.

Son inhumation a eu lieu dans la stricteintimité.

I l s r appe l en t l a mémo i r e deson époux,

Bernard FAIBIS.

Paris.

Suzanne Gellé,son épouse,

Nicolas, Marc, Christophe,ses ils,

Delphine, Aude, Ariane,ses belles-illes,

Louise, Marion, Agathe, Axelle,Amaury, Charlotte, Marie, Thibault,Clémence, Arthur, Grégoire, Clara,ses petits-enfants

ont la tristesse de faire part du décès de

Henri GELLÉ,général de brigade aérienne (2S),oficier de la Légion d’honneur,

commandeurde l’ordre national du Mérite,

survenu le 19 mars 2015,à l’âge de soixante-dix-huit-ans.

La cérémonie religieuse sera célébréele mercredi 25 mars, à 14 h 30, en l’églisedu Touquet (Pas-de-Calais).

Suzanne Gellé,3, rue Ernest Renan,92310 Sèvres.

Boulogne-Billancourt.

La présidente,Le directeur généralEt l’ensemble du personnel de l’Institut

national du cancer

ont la tristesse de faire part du décès de

Michel KLEIN,survenu le 13 mars 2015.

Responsable des publications et de lavalorisation au sein de l’Institut nationaldu cancer depuis janvier 2014, il étaitapprécié pour son professionnalisme, sonimplication et ses grandes qualitéshumaines.

Michel manquera grandement à tousses collègues.

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Denis Cittanova,son compagnon,et Raphaëlle Cittanova,sa ille,

ont l’immense tristesse de faire part dudécès de

Marie-Hélène MANONVILLER,survenu le 5 mars 2015,à l’âge de cinquante-sept ans.

Nous remercions très chaleureusementde leur soutien tous ses amis et proches,

Rose Perego,Martine et Philippe Kerber-Saban,Alain Sergio et Eléonore Lara,Eve Payen,Josiane Cittanova,

sa belle-mère,Jacques Delafosse,

son beau-père,Anne Cittanova,

sa belle-soeur,Claudine Boule,Catherine Courté,Michel Resseguier et Emmanuelle

Castaing,ses collègues du lycée Maximilien Vox.

Les obsèques ont eu lieu le 19 mars,dans l’intimité.

Raymonde Mériot-Woloszynet sa famille,

Catherine Morgantet sa famille,

Ses amis,

ont la douleur de faire part du décès de

Gisèle MÉRIOT,survenu le 21 mars 2015,dans sa soixante-dix-neuvième année.

Un dernier hommage sera rendule mercredi 25 mars, à 16 h 30, aucrématorium du cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e.

Jean-François et Agnès Nordmann,Sylvie et Jean Dolbeault,Dominique et François Barnabé,Pierre-Yves et Valérie Nordmann,

ses enfants,

Maya, Françoise, Matthieu, Rémy,Guillaume, Marie, Matthieu, Louis-Alexandre, Manon,ses petits-enfants,

Les familles parentes et amies,

ont la douleur de faire part du décès du

docteurMireille NORDMANN,

née ARNAL,ancienne interne des Hôpitaux de Paris,ancienne attachée à l’Hôpital Trousseau,

survenu le 22 mars 2015,dans sa quatre-vingtième année.

La cérémonie religieuse aura lieule vendredi 27 mars, à 10 h 30, au templed e l ’ É g l i s e p r o t e s t a n t e u n i ede l’Annonciation, 19, rue Cortambert,Paris 16 e, suivie d’une crémation,qui aura lieu dans l’intimité familiale.

Ni leurs ni couronnes,

Des dons peuvent être adressésà l’Entraide de l’Église protestante unie del’Annonciation, 27, rue de l’Annonciation,75116 Paris.

Cet avis tient lieu de faire-part.

Famille Nordmann,66, rue Spontini,75116 Paris.

Souvenir

Il y dix ans déjà disparaissait

Norman David THAU,

emporté par la maladiedans sa quarante-cinquième année.

Sa pensée ne nous quitte pas.

Françoise Thau et Joseph.

Hommage

L’hommage civil pour les obsèques de

Serge HELLUIN,libraire,

aura lieu à la salle communale de Longpré-lès-Amiens (Somme), le 26 mars 2015,à 14 heures.

Conférences

Musée d’Orsay

Auditorium,vendredi 27 mars 2015, à 12 heures

Conférence inauguralePrésentation de l’exposition

Pierre Bonnard. Peindre l’Arcadiepar les commissaires.

musee-orsay.frTarif : 6 € / 4.50 €.

L’Institut Pierre-Mendès-Franceorganise

jeudi 26 mars 2015, à 18 heures,un forum sur le thème

« Faut-il changer de République ? »,avec

Pierre Avril,Jean-Claude Casanova,Daniel Soulez-Larivière,Dominique Rousseau,

mairie du 3e arrondissement de Paris,2, rue Eugène-Spuller (métro Temple),

salle Odette Pilpoul.Inscriptions :

[email protected]

Page 25: Monde 3 en 1 Du Mercredi 25 Mars

0123MERCREDI 25 MARS 2015 0123 | 25

Manuel Valls a de trèsbons réflexes. Dès20 h 05, dimanche22 mars, sur la base

de premières estimations avanta-geuses, il a pris de court NicolasSarkozy et Marine Le Pen pour ti-rer les enseignements du premier tour des élections départementa-les. C’était le plus sûr moyen de donner le ton de la soirée. Avec quelques messages bien dans la manière du premier ministre : quand on mobilise contre le Front national (comme je l’ai fait), « ça marche » ; gauche et droite sont à égalité, donc « rien n’est joué » pour le second tour, pour peu que la gauche se mobilise et se rassem-ble ; ces résultats incitent le gou-vernement à « poursuivre son ac-tion », qui va, a-t-il ajouté lundi, « donner des résultats ».

Bref, un chef de la majorité offen-sif et pugnace. On est donc cu-rieux de voir comment le premier ministre se sortira du même exer-cice, autrement périlleux, au soir du second tour. S’il a pu estomper le sérieux revers subi par son camp au premier tour, il est en ef-fet menacé d’une défaite beau-coup plus cuisante le 29 mars.

Le revers est inscrit dans les chif-fres, même s’ils sont moins catas-trophiques que redouté. La gauchedans son ensemble, dispersée et divisée comme rarement, atteint, avec 36 % des suffrages, son ni-veau le plus bas depuis 1992 et se trouve déjà éliminée dans plus du quart des cantons. Avec 21,85 % dessuffrages pour ses seuls candidats,le Parti socialiste est nettement distancé par la droite (29,4 %), mais aussi par le Front national (25,2 %). Même si l’on y ajoute les candidats soutenus par le PS, il faità peine jeu égal avec le parti d’ex-trême droite. Le 21 avril 2002, l’éviction de Lionel Jospin du se-cond tour de la présidentielle pou-vait être considérée comme un ac-cident ; c’est devenu un risque structurel.

Défaite annoncée

Quant à la défaite annoncée du 29 mars – sauf miraculeuse mobi-lisation des électeurs de gauche –, seule son ampleur reste incer-taine : la droite UMP-UDI-divers droite, qui dirige actuellement quarante départements, est en si-tuation d’en conquérir une ving-taine supplémentaire au moins, ou même une trentaine… voire da-vantage. Tout y contribue : l’ab-sence de la gauche dans un quart des cantons, l’avance d’une dou-zaine de points prise par les droi-tes sur l’extrême droite, la force duvote sanction contre le gouverne-ment, auquel n’ont cessé d’appelerles responsables de l’UMP et du FN. Enfin, dans les quelque 500 duels qui l’opposeront au FN, la droite recevra le renfort non négli-geable d’une partie des électeurs de gauche qui restent décidés à faire barrage, quoi qu’il leur en coûte, au parti de Marine Le Pen, alors que l’inverse est moins évi-dent en cas de duels gauche-FN, compte tenu de la consigne « Ni FN ni PS » adoptée par l’UMP.

Pour autant, ce scrutin départe-mental pose, dès à présent, une question stratégique cruciale à chacun des trois acteurs princi-paux de la scène politique. Com-

mençons par la présidente du Front national. Quatre ans après avoir succédé à son père, que seulel’élection présidentielle intéres-sait, sa stratégie de conquête dupouvoir par l’enracinement local et le maillage militant s’avère ga-gnante. Un an après sa percée aux municipales, le FN a su faire fructi-fier cet investissement à l’occasiondes départementales. Présent dans plus de neuf cantons sur dix au premier tour, dans plus d’un sur deux au second, il est assuré del’élection de nombreux con-seillers et peut gagner quelques départements. En attendant de franchir une étape supplémen-taire aux régionales, à la fin de cette année.

Mme Le Pen est donc en passe deréussir la première partie de son pari : faire du Front national un front local de mieux en mieux im-planté et crédible. Mais, si c’est unecondition nécessaire, elle n’est passuffisante pour espérer l’emporterà l’élection présidentielle. Pour y parvenir, son ambition est de faireexploser le conglomérat des droi-tes et de rallier sous sa bannière bon nombre d’électeurs de droite, de plus en plus séduits par sa radi-calité, sa personnalité ou sa nou-veauté. Or, pour l’instant, la droite tient bon et serre les coudes face à cette menace.

Ce n’est pas l’un des moindresmérites de Nicolas Sarkozy. Il a surassembler son camp et ses alliés, dès le premier tour, pour présen-ter des candidats communs UMP, UDI ou divers droite dans un maximum de cantons. Au fond, le président de l’UMP a adopté la stratégie d’alliance de la droite et du centre, préconisée par son principal concurrent en vue de 2017, Alain Juppé. Cela lui a évité l’humiliation d’être débordé par l’extrême droite au premier tour et lui assure une nette victoire au second. Mais ce succès précieux ne lève pas l’incertitude stratégi-que pour l’avenir : face à la pres-sion du FN, maîtriser l’attelage contradictoire de la droite dite « décomplexée », de la droite « ré-publicaine » et des centristes de tout poil relèvera de la haute vol-tige idéologique et politique.

Dos au mur

Quant à François Hollande, dos au mur, que peut-il faire ? Changer depolitique, mais avec quelle margede manœuvre ? Accélérer les réfor-mes, mais avec quelle majorité ? Sil’on en croit ses déclarations répé-tées de ces dernières semaines, autant que la rhétorique de son premier ministre, il n’entend pas changer de cap. Grâce à une con-joncture économique internatio-nale plus favorable, la reprise est à portée de main, assure-t-il, et avec elle ce plus de croissance qui per-mettra, enfin, de faire refluer le chômage et de convaincre les Français que la crise est derrière nous. Mais cette attente, aussi te-nace soit-elle, n’apporte de ré-ponse ni à une gauche qui a perdu quinze points de son électorat en trois ans ni à une France dominée par les droites comme rarement.

Celui qui trouvera la réponse àces trois questions sera le mieux placé pour l’emporter en 2017. p

[email protected]

P eu d’hommes ont contribué autantque lui à façonner l’Asie contempo-raine. Pour le meilleur et le moins

bon. Lee Kuan Yew, trente ans premier mi-nistre de Singapour, mort lundi 23 mars (LeMonde daté 24 mars), a imaginé un modèlede développement : l’autocratie capitaliste raisonnée. Avec plus ou moins de réussite, il va inspirer, et inspire toujours, nombre de pays de la région, à commencer par laChine. L’héritage de Lee s’étend bien au-delà de la petite cité-Etat, de 5 millions d’ha-bitants, dont il a fait un succès.

Les ingrédients du cocktail sont nom-breux. Des Britanniques – il est passé parCambridge –, il a retenu beaucoup : l’im-portance d’une fonction publique de très haut niveau, l’Etat de droit, l’économie de

marché et de libre-échange. C’est la puis-sance publique qui donne les grandes im-pulsions économiques et sociales, investit massivement dans l’éducation et « couve » le secteur privé avant qu’il ne soit assez fortpour affronter la concurrence.

Singapour sera l’un des premiers « ti-gres » de l’Asie du Sud-Est, passé d’un re-venu par habitant de 512 dollars en 1965 à56 000 aujourd’hui – supérieur à celui d’unAllemand. Paradis fiscal tolérant, Singa-pour est l’un des marchés financiers lesplus dynamiques du monde. La cité-Etat estaussi l’un des pôles de développement scientifique local, l’un des plus grands ports et centres commerciaux de la région. Mais l’île n’a rien du capitalisme sauvage. Dans le modèle Lee, l’Etat accompagne les entreprises, les guide et les parraine vers lessecteurs qu’il a choisi de développer.

Au début des années 1970, Lee va con-vaincre Deng Xiaoping d’abandonner lesfantasmes mortifères du socialismemaoiste. La voie n’est pas celle du Grand Ti-monier, elle est celle du secteur privé. On sait ce qui est arrivé. Mais il n’y a pas que la Chine qui a voulu suivre l’exemple du doc-teur Lee. Nombre de pays ont, plus oumoins, cherché à s’inspirer de son modèled’Etat autoritaire, sinon dictatorial, au ser-vice des entreprises. Cela va du Golfe à la Russie, en passant par nombre de nou-veaux émergents.

Hélas, ils n’ont parfois retenu que le côtéautocratique du mélange singapourien– pas l’absence de corruption ni la qualité de la fonction publique. Lee avait laissé à Cambridge une partie du bagage britanni-que : la démocratie. Il jugeait que ce type derégime n’était pas fait pour une société chi-noise ou même pour l’ensemble de l’Asie. Il réinterpréta Confucius – qui a bon dos et bonne presse parce que personne ne com-prend grand-chose au grand sage chinois – pour mettre en avant des « valeurs asiati-ques », comme par hasard faites de disci-pline, de sens de la famille et de soumis-sion à l’autorité : une marmelade destinée à justifier l’absence de démocratie.

Lee s’est trompé sur ce point-là. Taïwan, laCorée du Sud, d’autres pays de la région en-core, montrent que la démocratie est par-faitement compatible avec les « valeursasiatiques ».

Et, depuis quelques années, Singapourmême prend un chemin qui paraît bien de-voir conduire l’île vers un Etat de droit deplus en plus démocratique. Après tout, le parti au pouvoir, celui fondé par Lee, aperdu 40 sièges aux dernières élections et iln’est plus exclu que l’opposition puisse un jour gouverner à Singapour. Comme pour harmoniser liberté économique et libertépolitique. Il y a sûrement un mot de Confu-cius pour justifier cette évolution des « va-leurs asiatiques ». p

LA DROITE PEUTCONQUÉRIRAU MOINS

UNE VINGTAINEDE DÉPARTEMENTS SUPPLÉMENTAIRES

ASIE : LES LEÇONS DU MODÈLE LEE KUAN YEW

FRANCE | CHRONIQUE

par gérard courtois

Une équation à trois inconnues

NICOLAS SARKOZY A ADOPTÉ

LA STRATÉGIE D’ALLIANCE

PRÉCONISÉE PAR ALAIN JUPPÉ

Tirage du Monde daté mardi 24 mars : 355 020 exemplaires

Chaque mercredi,les étudiants ont rendez-vous dans Le Monde.

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MBA,un succès françaisK INSEAD et HEC :

des MBA de plus en plus cotés

K 7 bonnes raisons de passer unMBA

K L’Afrique francophone :nouveaumarché des MBA

Page 26: Monde 3 en 1 Du Mercredi 25 Mars
Page 27: Monde 3 en 1 Du Mercredi 25 Mars

Cahier du « Monde » No 21830 daté Mercredi 25 mars 2015 - Ne peut être vendu séparément

Bêtes chercheusesLa zoologie est en pleine révolution numérique. Des capteurs de nouvelle génération, souvent dérivés de ceux qui équipent smartphones et tablettes,

révèlent les comportements des animaux dans leur milieu naturel. Les données recueillies se révèlent aussi utiles à d’autres disciplines.

P A G E S 4 - 5

L’effet placebo, ou l’art d’y croire

L’effet placebo consiste à induire une attentepositive dont on sait aujourd’hui qu’elle mo-difie notre état physiologique et entraîne deréels bénéfices pour la santé. Les médecins

connaissent depuis longtemps cet effet et l’utilisent, non sans parfois susciter des questionnements éthi-ques : faut-il tromper le patient pour le guérir ? Peut-on sciemment prescrire et faire passer pour mé-dicament un produit totalement inerte ?

Au plan pratique, l’effet placebo constitue la bête noire des firmes pharmaceutiques, car lors d’un essai clinique, souvent très coûteux et démarrant après une phase de développement également coûteuse, l’enjeu n’est pas tant de déterminer si un médicament marche que de savoir combien il sera supérieur à un simple comprimé d’amidon ! Par exemple, on estime qu’un quart des effets thérapeutiques des antidépres-seurs est attribué à la rémission spontanée, un autre quart au principe actif, et le reste, c’est-à-dire la moi-tié des bénéfices, résulte de l’effet placebo.

Mais comment agit un placebo et y sommes-nous tous également sensibles ? Les études qui illustrent le

mieux l’action du placebo sont celles qui démontrent son pouvoir antalgique, mais selon Ted Kaptchuk, de l’université Harvard (Massachusetts), le placebo est aussi un véritable atout dans le traitement de bon nombre d’affections neurologiques ou psychiatri-ques.

On sait que l’effet placebo est lié à l’activation des récepteurs aux opiacés endogènes, qui ont des pro-priétés analgésiques et procurent des sensations de bien-être. La libération de dopamine cérébrale, cette substance liée à la récompense et à l’anticipation du plaisir, serait l’autre clé pour comprendre l’influence du placebo. L’action de ces deux neuromodulateurs se traduit par une amélioration de l’humeur et de la confiance, créant ainsi un terrain favorable au proces-sus de guérison.

Croire c’est pouvoir, mais la force de cette confiancedans une amélioration future dépend de la personna-lité de l’individu et, dans une certaine mesure, de son bagage génétique. Une personnalité motivée, rési-liente, dotée d’une bonne estime de soi et recher-chant la nouveauté serait particulièrement suscepti-

ble de répondre au placebo. Cet effet semble également plus fort chez les individus présentant une variante particulière du gène codant pour la fabrica-tion de l’enzyme catechol-O-methyltransferase (COMT). Chez les individus concernés, la dégradation de la dopamine par cette enzyme est plus lente, pro-longeant ainsi son action.

En utilisant la tomographie à émission de positrons,une technique d’imagerie moléculaire, le groupe de Jon-Kar Zubieta de l’université du Michigan a d’ailleurs montré que chez les sujets sensibles à l’effet placebo, il existe une forte corrélation entre la ré-ponse du noyau accumbens (une structure cérébrale) à une récompense monétaire – une méthode indi-recte permettant de révéler l’activité dopaminergique –, et la quantité de dopamine effectivement libérée pendant un test de sensibilité à la douleur après ad-ministration d’un placebo. D’autres mécanismes res-tent encore à mettre au jour, mais peut-être pouvons-nous déjà avancer l’hypothèse d’une piste chimique suivie, depuis un siècle et demi, par les pèlerins de Lourdes, sur les pas de Bernadette Soubirou. p

Arduino, le cerveau des objets

En dix ans d’existence, ce petit microcontrôleur électronique a conquis le cœur des bidouilleurs.Mais ses pères se déchirent. PAG E 3

La parole aux patients Claire Compagnon, figure majeure de la défense des droits des malades, vient d’être nommée à l’Inspection générale des affaires sociales. Portrait. PAG E 7

L’ingénierie génétique, un enjeu

éthique Les outils de manipulation de l’ADN vont non seulement permettre de modifier l’individu, mais aussi la lignée humaine. PAG E 2

Aux îles Kerguélen, des scientifiques installent une balise Argos munie de capteurs sur cette femelle éléphant de mer. CHRISTOPHE GUINET/CNRS PHOTOTHÈQUE/CEBC

c a r t e b l a n c h e

Angela Sirigu

Neuroscientifique,directrice de rechercheCentre de neuroscience

cognitive(CNRS-université Lyon-I)

(PHOTO: MARC CHAUMEIL)

Page 28: Monde 3 en 1 Du Mercredi 25 Mars

2 | 0123Mercredi 25 mars 2015 | SCIENCE & MÉDECINE | A C T U A L I T É

Les vertiges du génome humain reforgég é n é t i q u e | Alors que certains laboratoires semblent prêts à modifier l’ADN de nos cellules sexuelles, des chercheurs

américains réclament un moratoire sur ces pratiques – facilitées par un puissant outil de chirurgie des gènes

florence rosier

C’est une histoire qui se répète,à quarante ans d’écart. Unehistoire d’éthique et de géné-tique, qui réactive un scéna-rio où l’homme s’érigerait endémiurge. Il y a quarante ans,

c’était encore de la science-fiction. Mais, depuis trois ans, un puissant outil de « chirurgie des génomes » ouvre de vertigineuses perspecti-ves : oserons-nous, demain, refaçonner notre propre hérédité ?

Malgré son nom barbare – CRISPR-Cas9 –, ce« kit de construction » de l’ADN rencontre un succès planétaire. « C’est un fantastique outil derecherche qui améliore nos connaissances sur les maladies humaines », relève le professeur AlainFischer, qui dirige l’institut Imagine spécialisé dans les maladies génétiques, à l’hôpital Necker (Paris). Mais son dévoiement pourrait ressusci-ter les spectres de l’eugénisme et du transhuma-nisme. Aux Etats-Unis, au Royaume-Uni ou en Chine, certaines équipes auraient déjà franchi leRubicon en s’attaquant à ce défi : modifier le gé-nome de nos propres cellules « germinales » – nos cellules sexuelles, spermatozoïdes ou ovu-les. Ces pratiques ont été révélées le 5 mars par lejournal du Massachusetts Institute of Techno-logy (MIT). Signée par Antonio Regalado, une enquête au titre provocateur, « L’ingénierie du bébé parfait », a fait l’effet d’une mini-bombe.

En réaction, des chercheurs américains ontpublié, les 12 et 19 mars, deux mises en gardedans les revues Nature et Science. La premièreévoque la nécessité d’un « moratoire volon-taire » des chercheurs du domaine, avec ce titre :« Ne modifions pas le génome des cellules ger-

minales humaines ». « Il faut suivre une voie prudente avant de manipuler le génome descellules germinales », ont renchéri les dix-huit auteurs de l’article de Science. Ses deux pre-miers signataires sont les Prix Nobel David Bal-timore et Paul Berg.

Si l’histoire se répète, c’est que ces alertes fontécho à la mémorable conférence d’Asilomar, or-

ganisée en 1975 par ce même Paul Berg. A l’èredes balbutiements du génie génétique, il s’agis-sait déjà de réfléchir à ses risques.

En juin 2014, la Française Emmanuelle Char-pentier, co-inventrice de l’outil CRISPR-Cas9, déclarait dans nos colonnes : « Cette techniquefonctionne si bien et rencontre un tel succès qu’il serait important d’évaluer les aspects éthiquesde son utilisation. » (Le Monde du 11 juin 2014.)

« Je souscris entièrement aux alertes actuelles »,assure Alain Fischer, professeur au Collège de France. S’il s’agissait de modifier le génome d’un enfant à naître, dit-il, on ne pourrait pas lui de-mander son consentement éclairé – encore moins celui de ses descendants. Ce serait con-traire aux droits fondamentaux des patients. « Je pense qu’il ne faut pas le faire, ni aujourd’hui ni demain. Ce serait une grave rupture éthique. »

Ce débat est très nord-américain, relève-t-il.En France et dans de nombreux pays d’Europe, manipuler le génome des cellules germinaleshumaines est formellement interdit dans le ca-dre de la procréation médicalement assistée.« Et nous ne sommes pas près de nous engagerlà-dedans ! Il est vrai qu’aux Etats-Unis la régle-

mentation est plus floue : on assiste à des chosesun peu délirantes. »

Un des exemples révélés par le journal duMIT : Luhan Yang, une jeune postdoctorante quitravaille dans le laboratoire de George Church,chercheur renommé de l’université Harvard (Massachusetts), confie au journaliste son éton-nant projet. Il s’agirait d’obtenir les ovaires d’une femme opérée pour un cancer. Puis d’en extraire les ovocytes (cellules germinales femel-les) immatures. Ensuite, de les multiplier invitro, puis d’utiliser CRISPR-Cas9 pour corriger la mutation du gène BRCA1 responsable de ce cancer. Quelques jours plus tard, cependant,George Church qualifie ce canevas de « non-pro-jet ». Parce qu’il est annulé ? Poursuivi en toutediscrétion ? En attente de publication ?

A l’évidence, George Church manie l’art del’esquive, mais aussi celui de la provocation. A des réunions de groupes transhumanistes, il explique le potentiel de CRISPR-Cas9 contre les maladies cardiaques ou celle d’Alzheimer. Il a aussi évoqué la possibilité de cloner l’homme de Néandertal, dont le génome est connu. Mais il figure parmi les cosignataires de l’article dans

Science, appelant à la plus grande prudence sur ces pratiques…

« Ce n’est pas parce que quelques hurluberlusjouent aux apprentis sorciers qu’il faut jeter l’op-probre sur cet outil révolutionnaire qu’est CRISPR-Cas9 », s’insurge Alain Fischer. Car cet outil pour-rait constituer un progrès pour la thérapie géni-que des cellules somatiques – toutes les cellulesdu corps, à l’exception des cellules germinales.Aucun risque, en corrigeant leur génome, de transmettre ces modifications à la descendance des patients traités. D’où un espoir médical légi-time pour guérir certaines maladies héréditairesdu sang, mais aussi des cancers ou le sida….

« La thérapie génique germinale ne traite passeulement une personne : elle affecte toute sa descendance. C’est pourquoi elle devrait faire l’objet d’un moratoire et d’une réflexion au ni-veau international », estime Jean Claude Amei-sen, président du Comité consultatif national d’éthique. Il rappelle qu’avec le remplacement des mitochondries dans l’ovule de la future mère, un traitement autorisé depuis février par le Parlement britannique, l’humanité est déjà entrée dans une forme de thérapie germinale.

Mais les subtilités de la bioéthique ne sont pastoujours faciles à appréhender. En témoignentles interprétations divergentes de la loi par les chercheurs que nous avons interrogés. EnFrance, à de strictes fins de recherche, la mani-pulation du génome des cellules germinales humaines est-elle ou non autorisée ? Non, sem-ble trancher le code civil, dans son article 16-4modifié par la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique. « Le code civil se place ici dans uneperspective évolutive : il s’agit de protéger le gé-nome de notre espèce. Mais l’interprétation com-binée des différents articles de loi laisse planer une ambiguïté », reconnaît Emmanuelle Rial-Sebbag, spécialiste de bioéthique à l’Inserm.

Comme vingt-huit autres pays d’Europe, laFrance a ratifié, fin 2011, la convention d’Oviedo. Celle-ci stipule notamment : « Une intervention ayant pour objet de modifier le génome humain ne peut être entreprise que pour des raisons pré-ventives, diagnostiques ou thérapeutiques, et seu-lement si elle n’a pas pour but d’introduire une modification dans le génome de la descendance. »

La distinction entre cellules somatiques et cel-lules germinales pourrait cependant devenirobsolète. « La biologie cellulaire est en train d’ef-facer ces frontières », note Jean Claude Ameisen. Car les chercheurs peuvent désormais obtenir des « cellules souches » (dites « iPS ») à partir decellules somatiques adultes, par exemple de la peau. Et de ces cellules souches, ils peuvent en-suite « dériver » des cellules sexuelles. « Il fau-dra sans doute une quinzaine d’années avant quel’on obtienne des gamètes humains à partir de cellules iPS », souligne Gabriel Livera (Inserm-CEA). Mais ensuite ? Si l’on y parvient, on pourramodifier le patrimoine génétique des cellulesiPS – c’est autorisé –, puis en dériver des gamè-tes porteurs des modifications recherchées. Le mythe prométhéen est bel et bien à portée de main. Il est vraiment temps d’y réfléchir. p

« Ce n’est pas parce que quelques hurluberlus jouent

aux apprentis sorciersqu’il faut jeter l’opprobre

sur cet outil révolutionnairequ’est CRISPR-Cas9 »

alain fischer

professeur au Collège de France

Image de synthèse présentant le complexe CRISPR-Cas9, nouvel instrument d’ingénierie génétique. FENG ZHANG/MCGOVERN INSTITUTE FOR BRAIN RESEARCH

« L’homme s’autorisera-t-il à toucher à son hérédité ? »

Philippe Kourilsky, profes-seur honoraire au Collègede France, a participé il y a

quarante ans à la conférence d’Asilomar, qui avait proposé un moratoire sur certaines techni-ques de génie génétique.

En 1975, vous assistiez à la conférence d’Asilomar (Cali-fornie). Quel était le contexte ?

Une étudiante du laboratoirede Paul Berg, en Californie, avait fabriqué un plasmide [une molécule d’ADN] contenant un gène d’un virus, SV40, qui peut provoquer des cancers. Au mo-ment d’injecter ce plasmide dans une bactérie, elle a sus-pendu son geste : « Et si je dissé-minais le cancer ? » De là est né Asilomar. Paul Berg [ futur No-bel de Chimie] a décidé de re-noncer à cette expérience. Le comité qu’il animait, à l’Acadé-mie des sciences américaine, a réclamé un moratoire sur les expériences de génie généti-que : une démarche d’autocen-sure scientifique jusqu’alors inédite.

Il s’agissait aussi de persua-der le Sénat américain que les chercheurs pouvaient s’auto-

gouverner… Qu’est-il ressorti d’Asilomar ?

En 1975, Paul Berg réunit en Cali-fornie 140 scientifiques de tous pays ainsi que des juristes, méde-cins et journalistes. Après des dé-bats agités et contradictoires, un quasi consensus a été adopté. Il est vrai que les participants avaient tous un avion à prendre ! Cet accord autorisait la levée du moratoire, sauf pour les expérien-ces jugées plus risquées pour la santé humaine. Après quatre-cinq ans, on n’a pas détecté de risque particulier. Des comités de suivi ont été mis en place. Ensuite, les choses ont divergé pour les appli-cations en santé ou en agriculture.

On a reproché à Asilomar d’avoir mis de côté les questions éthiques.

L’éventualité de « manipuler l’homme » semblait lointaine. Par la suite, le débat éthique a été re-lancé par deux avancées scientifi-ques majeures : le développementdes souris transgéniques, dans les années 1980, et le séquençage du génome humain, de 1998 à 2002. Ces années-là, quelques « ayatol-lahs » ont même voulu interdire le séquençage du génome hu-main, au motif qu’on risquait de

trouver des choses qu’il serait dangereux d’exploiter !

Que vous inspire le moratoire actuel réclamé par des cher-cheurs nord-américains ?

C’est un peu le « rappel des ré-servistes » ! Les deux premiers auteurs de la mise en garde dans Science sont David Baltimore et Paul Berg, co-organisateurs d’Asi-lomar. Le débat est réactivé par l’arrivée d’un outil très précis de chirurgie du gène, CRISPR-Cas9. Mais il n’est pas neuf : voilà sept-huit ans, on avait déjà des moyens – moins faciles – de ma-nipuler le génome des cellules germinales humaines. Quant à faire un moratoire sur ces mani-pulations, cela n’a aucun sens dans les pays qui l’ont déjà inter-dit, comme la France !

Les interrogations actuelles sont-elles si différentes de celles d’Asilomar ?

Pas vraiment. Il faut faire un dis-tinguo entre les modalités et les principes. Aujourd’hui, manipuler le génome humain des cellules germinales serait prématuré : ces techniques ne sont pas assez sû-res. Elles peuvent introduire des modifications hors de la cible vi-

sée. Chez l’animal, si on les appli-que à un œuf juste fécondé, on peut produire des individus « chi-mères » : seules certaines de leurs cellules portent les modifications souhaitées. Troisième risque : on corrige quelque chose sans con-naître tous les effets de cette cor-rection, car les êtres vivants sont des systèmes hypercomplexes. Mais on peut parier que ces tech-niques deviendront de plus en plus sûres. Que ferons-nous alors ? L’homme s’autorisera-t-il à tou-cher à sa propre hérédité ?

Le code civil l’interdit en France.Oui, mais avoir un a priori entiè-

rement négatif sur ces questions n’est pas si facile à défendre. Sous quel motif allons-nous interdire ou tolérer la moindre modifica-tion de notre patrimoine hérédi-taire ? Par exemple, nous n’hésite-rions pas une minute face à une situation d’irradiation majeure menaçant notre survie. Par ailleurs, il existe aux Etats-Unis uncourant « transhumaniste » assez fort, quasi inexistant en France. Dans le cadre de ce mouvement, certains chercheurs iront-ils jus-qu’à cibler certains gènes propices à une vie plus longue ? p

propos recueillis par fl. r.

Page 29: Monde 3 en 1 Du Mercredi 25 Mars

A C T U A L I T É | SCIENCE & MÉDECINE | Mercredi 25 mars 20150123 | 3

MathématiquesDécouverte du plus petit carré magique de cubes

Le mathématicien français Sébastien Miquel vient de rendre public le plus petit carré magique de cubes connu à ce jour. Ce carré de 7 par 7, dont la somme des membres des lignes et des co-lonnes, mais aussi des deux diagonales, a pour résultat unique 616 617. Pour l’obtenir,cet étudiant à l’ENS Paris a faittourner sur un PC un pro-gramme écrit en Rust, de sep-tembre 2014 à février 2015.

> www.multimagie.com

SantéLe nombre de séropositifsne baisse pasEn France, 6 220 personnes ontdécouvert leur séropositivité au VIH en 2013, selon les don-nées du Bulletin épidémiologi-que hebdomadaire publié le 24 mars par l’Institut nationalde veille sanitaire (InVS). Un chiffre stable depuis 2007. Malgré le nombre croissant dediagnostics précoces, les dia-gnostics tardifs concernent en-core 1 homme sur 6 ayant desrapports sexuels avec d’autreshommes (HSH), et 1 hétéro-sexuel sur 3, pointe l’InVS, quiinsiste sur la nécessité de mieux cibler les HSH de moinsde 25 ans dans les campagnesde prévention.

Les virus de la discordeAux Etats-Unis, les scientifiques se déchirent face

au développement en laboratoire de virus grippaux dangereux

La tension vient de monterd’un cran dans le débat or-ganisé outre-Atlantiquesur le bien-fondé des

« Frankenvirus », ces virus grip-paux à la fois mortels et conta-gieux développés à des fins de re-cherche par certains scientifiques américains et européens. Le Na-tional Institute of Health (NIH), principal financeur de la recher-che biomédicale américaine, a en effet confié le 11 mars à Gryphon Scientific, un petit cabinet de con-sultants spécialisé en biosécurité, la charge de produire une analyse bénéfice-risque de ces expérien-ces, dans des conditions qui susci-tent de vives critiques des oppo-sants à ces travaux.

La question posée est la sui-vante : les expériences adaptant à l’homme des virus aviaires aide-ront-elles à prévenir de futurespandémies, ou au contraire ne précipiteront-elles pas la catastro-phe, les risques de fuite n’étant pas maîtrisés ?

L’instauration d’un moratoired’environ un an (le temps d’orga-niser un « débat ouvert ») sur ces recherches controversées, le 17 oc-tobre 2014 par la Maison Blanche, avait été vécue par ces opposantscomme une divine surprise, tant les autorités scientifiques améri-caines semblaient juger négligea-ble, depuis des années, le risque depandémie générée par un acci-dent ou un acte de malveillance impliquant ces virus. Des oppo-sants qui espéraient enfin voir ad-venir une vaste consultation detoutes les parties intéressées. Ils ont peu à peu déchanté.

Une première conférence publi-

que, organisée en décembre parl’Académie des sciences améri-caine, avait permis aux deux camps de s’exprimer largementet dans une atmosphère cour-toise. Y étaient invités tant les op-posants déterminés à ces tra-vaux, tels que Marc Lipsitch, del’école de santé publique de Har-vard, que les pionniers de ces re-cherches, comme Yoshihiro Kawaoka, de l’université du Wis-consin, ou Ron Fouchier, de l’uni-versité Erasmus de Rotterdam, qui a créé des virus aviaires mu-tants rendus transmissibles par voie aérienne chez le furet, un modèle animal proche del’homme.

Conflit d’intérêtsPour le professeur Fouchier, « ce

fut une réunion constructive, dont on ne pouvait évidemment s’atten-dre à ce qu’elle débouche sur un consensus ». Il estime qu’elle abien rempli sa fonction d’infor-mer le National Science Advisory Board for Biosecurity (NSABB), le comité chargé de définir les nou-velles règles qui verront le jour àl’issue du moratoire.

Mais dans une lettre adresséefin février au président du NSABB,les opposants n’ont pas caché leurdéception. « Nous avions espéré une discussion plus complète et plus largement représentative scientifiquement », écrivent ainsi Richard Roberts, Prix Nobel deMédecine 1993, et David Relman,professeur à l’université Stanford.Surtout, ils jugent que depuis lors s’est ouverte une période opaque, marquée par des auditions et des réunions à huis clos ne permet-

tant pas de savoir où en était leprocessus de décision.

Dans cette lettre au vitriol, lesdeux scientifiques soulignent un conflit d’intérêts constituant une sorte de péché originel de ce débat.C’est en effet le NIH qui a recruté etsupervise le NSABB. Le NIH est pourtant le principal financeur des recherches controversées – il apparaîtrait donc inévitablement comme désavoué si le NSABB étaitamené à restreindre ces travaux.

La décision du NIH de confier àune petite structure privée sans ré-férences particulières le soin de mener rapidement l’analyse béné-fice-risque, et sans avoir mis en discussion la méthodologie à em-ployer, avive aux yeux des oppo-sants la crainte d’une décision prise d’avance. Car cette analyse bénéfice-risque – qu’il faut enten-dre comme une évaluation proba-biliste et statistique chiffrée, avec éventuellement un volet moné-taire – est redoutablement com-plexe. M. Lipsitch et M. Fouchier ont chacun publié leur estimation du risque dans la revue mBio, le premier trouvant un risque de l’or-dre de 0,01 % par laboratoire et par an (ce qui représente un taux énorme) et le second, une valeur négligeable…

Pour Marc Lipsitch, tout cela« risque de donner au consultant des signaux implicites voire expli-cites sur le résultat de l’analysequ’espère le NIH ». Or il faut beau-coup de courage à un consultanten biologie ou en médecine aux Etats-Unis pour se mettre à dos le richissime et puissant National Institute of Health… p

yves sciama

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Arduino, cerveau à tout fairei n f o r m a t i q u e | Ce microcontrôleur, roi des systèmes ouverts plébiscité par les « bidouilleurs »

pour commander des robots, des caméras, des systèmes domotiques, fête ses 10 ans

david larousserie

Le roi de la microélec-tronique, c’est lui, Ar-duino. Pas seulementparce qu’il tire sonnom d’un souverainitalien du XIe siècle de

la région du Piémont actuel, maisparce qu’il a envahi en tout justedix ans les lieux à la mode de la bidouille et du fait maison, les« fablabs » et autres « hackerspa-ces ». Arduino est en effet le nom de l’entreprise qui développe, fa-brique et commercialise des car-tes électroniques ou microcon-trôleurs, particulièrement sim-ples et peu chers (20 euros environ) et qui sont les « cer-veaux » indispensables à bien desbricolages.

Les microcontrôleurs sont om-niprésents au quotidien. Sanseux, pas de programma-tion d’une machine à la-ver, d’un four, d’une ca-fetière, d’un thermo-stat… Ce sont de petits cerveaux électroniques, bien moins puissants qu’un ordinateur mais quiexécutent à merveille et sans trop consommer les ordres reçus.

« Arduino donne vie aux ob-jets », résume Emmanuelle Roux, codirigeante de Zbis, sorte de fablab, à La Roche-sur-Yon (Vendée), qui propose desstages d’initiation à cette petitemachine. Les exemples de ces naissances ne manquent pas : ro-bots plus ou moins humanoïdes, drones, caméras de surveillance, éclairages intelligents, impriman-tes 3D, effets spéciaux pour musi-

ciens, potagers d’appartement, prothèses de main, baby-foot qui tweetent les résultats des par-ties… Le 28 mars, plus de 200 évé-nements dans le monde célébre-ront l’Arduino Day. « Ce n’est pas compliqué, et on peut faire des projets complexes », note Mickaël Postolovic, ingénieur en informa-tique qui animera la journée à la cyberbase de Gaillac (Tarn).

« L’entreprise Kickstarter de fi-nancement participatif a estimé qu’une centaine de projets repo-sant sur Arduino avaient récolté quelque 7 millions de dollars », in-dique Massimo Banzi, le plus cé-lèbre des cinq fondateurs de cetteinitiative née dans un bar d’Irvée(Italie). « Dans cette ville, bien deslieux portent le nom du roi Ar-duino. Y compris le café où nous

étions quand nous avons imaginéce concept », raconte l’enseignant en design, qui professe aujour-d’hui à l’université Supsi de Lu-gano (Suisse). C’est d’ailleurspour ses étudiants qu’il a conçu lapremière carte Arduino afin de faciliter l’initiation à la « pro-grammation physique », c’est-à-dire l’interaction entre l’utili-sateur et des objets. Depuis, 1,5 million de ces cartes ont étécommercialisées.

Ce succès vient entre autres dufait qu’elles sont l’un des premiersmatériels libres ou open source, un concept bien connu dans ledomaine du logiciel. Les plans et les détails techniques sont pu-blics, contrairement aux micro-contrôleurs classiques. Ils peu-vent donc être améliorés, diffusés et copiés sans scrupules (ce qui est

le cas). « C’était pour moi évi-dent que nous devions

opter pour un sys-tème ouvert.

Pour en-

seigner, on a besoin de compren-dre le fonctionnement des cho-ses », rappelle Massimo Banzi. « Il existe un potentiel de développe-ment économique pour le maté-riel libre. A condition de compren-dre qu’on peut être innovant sans

recourir à des brevets », estimeFrédéric Jourdan, cofondateur de Snootlab, une entreprise toulou-saine qui commercialise et déve-loppe différents produits électro-niques open source.

Autre particularité des cartes Ar-duino, elles sont facilement

connectables à leur envi-ronnement. Une quin-zaine de connexionspermettent de bran-cher un ensemble decapteurs (température,lumière, son, mouve-ment, signal GPS…) et

de décider des actions àconduire, comme activer

un moteur, un éclairage, un écran… Plusieurs fabricants, tels Sparkfun, Adafruit, Snootlab (à Toulouse) ou Arduino lui-même, développent aussi d’autres cartes qui se lient au microcontrôleur pour ajouter des fonctions plus complexes, connexions GSM, Wi-Fi, radio… L’avenir est d’ailleursaux objets connectés.

En outre, Arduino n’est pas seu-lement du matériel, c’est aussi un langage de programmation sim-ple, inspiré du C ++, qui permet d’écrire des programmes surn’importe quel ordinateur (Win-dows, Mac OSX, GNU/Linux) puis de les « téléverser » sur la carte afin d’être exécutés.

« La vraie puissance d’Arduino,c’est sa communauté », ajoutetout de même EmmanuelleRoux, qui souligne l’importance des forums, blogs, et divers lieux où les utilisateurs partagent leurs idées et s’entraident. Pour l’instant, aucun autre système nepossède l’ensemble de ces carac-téristiques.

Rançon du succès, fin 2014, lenoyau de fondateurs s’est fissuré et deux procès en propriété intel-lectuelle sont en cours.

Il existe désormais deux entre-prises portant le même nom, ainsi que deux sites Web (Ar-duino.cc, l’original, et Ar-duino.org, le nouveau venu), et peut-être bientôt deux versionsdes programmes et des futurescartes… p

« Ce n’est pas compliqué,

et on peut fairedes projets

complexes »mickaël postolovic

ingénieur en informatique

Rover équipé d’un système

Arduino.ROBOT SHOP

Page 30: Monde 3 en 1 Du Mercredi 25 Mars

4 | 0123Mercredi 25 mars 2015 | SCIENCE & MÉDECINE | É V É N E M E N T

Bio-loggingDans le secretdes animaux

é t h o l o g i e

Des techniques de balisage de plus en plus sophistiquées permettent aux scientifiques d’appréhender l’intimité des bêtes sauvages

marion spée

Comment les baleineschassent-elles les cal-mars ? Comment lesoies à tête barrée par-viennent-elles à survo-ler l’Himalaya dans unair à l’oxygène raréfié ?Où vont les grands re-

quins blancs lorsqu’ils ne sont pas près des côtes ? Comment les méduses for-ment-elles des agrégations de plusieurs milliers d’individus ? A poils, à écailles ou à plumes, les animaux ont une vie cachéeque les scientifiques ont toujours voulu percer. Mais avant de répondre à ces ques-tions, si difficiles soient-elles, il a fallu réussir à observer les animaux en liberté dans leur milieu. Et le problème avec ces animaux sauvages, c’est qu’ils ont colo-nisé des coins et recoins où l’homme peutdifficilement les suivre : le fond desocéans, l’extrême altitude, la cime des ar-bres au cœur de la forêt primaire… Pour mieux les connaître, les zoologistes ont recours à des appareils électroniques mi-niaturisés qu’ils attachent de manière temporaire sur les animaux, des « appa-reils embarqués », dans le jargon scientifi-que, qui leur permettent de garder un œil sur leurs sujets préférés tout en restant à distance sans les déranger.

D’abord, on compte les appareils ou ba-lises capables de transmettre en temps réel, grâce à une antenne, les informa-tions par ondes radio ou encore via dessatellites. C’est la bio-télémétrie. Ces bali-ses sont surtout utilisées pour connaître la position et les déplacements des ani-maux. « C’est un peu comme si on donnaitun téléphone aux animaux pour qu’ils nous appellent régulièrement et nous di-sent où ils se trouvent », explique Sabrina Fossette, chercheuse en biologie marineà l’université d’Australie-Occidentale (Perth, Australie). Un bémol tout de même. « On est limités par le nombre de

données transmises, elles sont donc peu précises », temporise la chercheuse. Par exemple, pour savoir à quoi ressemblent les plongées d’un animal marin avec ces balises, on ne peut souvent recevoir que des résumés donnant la profondeurmaximale et la durée de la plongée.

Pour obtenir une résolution plus fine, ilfaut utiliser des enregistreurs qui re-cueillent des données plus précises. Leur principe n’est pas de transmettre mais decapter, mesurer et garder en mémoire tous les faits et gestes de l’hôte. Gardons l’exemple des plongées : les appareils permettent de connaître l’effort de nage (en mesurant la fréquence de battementdes nageoires), le taux de captures de proie (en utilisant un capteur d’ouverture

de bec), la profondeur de la plongée(grâce à un capteur de pression). Citons encore l’accélération de l’animal pendantses mouvements (avec un accéléromètre)ou sa fréquence cardiaque.

« Ils sont un peu le “journal intime” d’unanimal, en nous permettant de savoir cequ’ils font dans leur vie quotidienne avec une résolution parfois inférieure à la se-conde », confie Sabrina Fossette. Et ce

qu’ils rapportent est parfois étonnant. Ainsi, en évaluant les variations de pro-fondeurs atteintes par des éléphants demer pendant leur sommeil, alors qu’ilsse laissent dériver dans l’eau, les scienti-fiques sont parvenus à estimer leur flot-tabilité et donc leur teneur en gras. Sil’animal est maigre, il coule, alors que s’ilest gras, il a tendance à moins couler, voire à remonter.

L’utilisation d’appareils enregistreurs,dans lesquels sont incorporés plus ou moins de capteurs, c’est la technique dubio-logging. Un terme inventé lors du premier congrès international sur le su-jet, au Japon, en 2003. « Cela vient du motlog, qui désigne le carnet de bord des ma-rins sur lequel ils notaient tout pour nerien oublier », précise Yan Ropert-Cou-dert, à l’origine de l’appellation et cher-cheur à l’Institut pluridisciplinaire Hu-bert-Curien (IPHC, université de Stras-bourg-CNRS).

L’avantage indéniable de ces appareilsest la résolution avec laquelle ils enregis-trent les données. Mais le revers de la médaille, c’est qu’il faut recapturer l’ani-mal pour y avoir accès. C’est assez aisé quand il revient se reproduire au mêmeendroit à intervalles réguliers, ça l’est beaucoup moins quand il s’agit parexemple d’une tortue luth mâle quipasse son temps en mer sans jamais re-venir à terre. « On ne peut pas encore en-registrer des données précises et toutes lestransmettre, mais c’est une affaire qui évolue », relève Yan Ropert-Coudert. Ilexiste par exemple des enregistreurs-transmetteurs intelligents, qui compres-sent les données et en envoient un ré-sumé, tout en gardant en mémoire les données précises en cas de recapture.

C’est le milieu marin qui a bénéficié desavancées les plus spectaculaires du bio-logging : une résolution temporelle des appareils de plus en plus fine, un type et un nombre grandissant de capteurs pourétudier chaque animal (vitesse, position,

température…), et une augmentation de leur sensibilité. La quasi-impossibilité d’observer les animaux marins dans leur milieu naturel étant le principal moteur. En milieu terrestre, c’est davantage labio-télémétrie qui a fait son chemin.« Aujourd’hui, les deux mondes voient queles échanges sont possibles », note Yan Ro-pert-Coudert, qui a coorganisé le 5e con-grès international de bio-logging à Stras-bourg, en septembre 2014.

La miniaturisation des appareils au fildu temps a permis d’équiper un large pa-nel d’animaux évoluant sur terre, sous l’eau ou dans les airs, du cafard à la ba-leine bleue en passant par les passe-reaux. Ces systèmes embarqués sont desérieux atouts pour étudier l’adaptation des animaux aux changements climati-ques, pour leur conservation et protec-tion immédiate, mais aussi pour répon-

dre à des questions scientifiques plus fondamentales, comme par exemple dé-terminer la quantité d’énergie qu’un ani-mal peut allouer aux soins parentaux par rapport à sa propre survie. Parfois même, on a accès à un « instantané » complet de la vie de l’animal, avec no-tamment l’utilisation de capteurs de son,de mouvements en 3D et d’images. « Onvoit alors l’animal bouger, on entend ce qu’il entend et on voit ce qu’il voit. On est dans sa peau, et mieux encore, on dispose de données à quantifier et à analyser »,s’enthousiasme Sabrina Fossette.

« Mais il ne faut pas être naïf, équiper unanimal, c’est le déranger, résume la cher-cheuse. L’idée est sans cesse de trouver lebon équilibre entre l’impact à court et moyen terme que l’on a sur un animal et l’importance des données récoltées, quipeuvent se révéler essentielles à la survie

« C’est comme si on donnait un téléphone

aux animaux pour qu’ils nous appellent

régulièrement et nous disent

où ils se trouvent »sabrina fossette

chercheuse en biologie marine

C’est une constatation, « lenombre de disciplines inté-ressées par le bio-logging

est de plus en plus important », dit le biologiste Yan Ropert-Coudert. En témoignent notamment les interve-nants présents lors du dernier con-grès international sur le sujet, qu’il a coorganisé en septembre 2014 à Strasbourg. « Ça va aujourd’hui bien plus loin que l’étude des animaux sauvages dans leur milieu naturel. » La technique attire, pose de nouvel-les questions et donne de nouveaux moyens pour y répondre.

« La mesure de la pression san-guine lors d’une plongée à grande profondeur intrigue les physiologis-tes purs, tandis que le mouvement des mains de patients comme éven-tuels indicateurs du développement d’une maladie neurodégénérative intéresse les médecins », énumère le chercheur. Pourquoi ce nageur est-il le meilleur ? Son mouvement, son accélération sont-ils plus fins que ceux des autres ? Et voilà que le monde du sport aussi porte atten-tion au bio-logging. Citons égale-

ment les éthologues, qui voient dans cette technique un moyen d’explorer différemment la structure des grou-pes sociaux et les interactions socia-les entre individus. « Même les bota-nistes s’intéressent au bio-logging », s’enthousiasme Yan Ropert-Coudert. Une des idées étant de reconstruire l’écosystème thermique d’un arbre en équipant chaque feuille d’un cap-teur de température.

Eléphants, ecstasy et cafardsComme pour aller toujours plus

loin, le bio-logging, en particulier la mesure de micromouvements, servi-rait à accéder à l’état interne sans avoir à percer la peau. « C’est ce que nous avons mis en évidence chez des éléphants d’Afrique, des consomma-teurs d’ecstasy et des cafards », assure Rory Wilson, professeur à l’universitéde Swansea (Pays de Galles), dans une étude parue dans la revue Fron-tiers in Ecology and the Environment en décembre 2014.

Pour en arriver là, des individus destrois espèces ont été équipés d’accélé-romètres. Ces appareils miniaturisés

sont largement utilisés pour étudier l’écologie des animaux sauvages dansleur milieu naturel. Ils mesurent l’ac-célération tri-axiale de l’hôte, autre-ment dit ses mouvements fins dans les trois dimensions. « Là, ils ont été déployés pour révéler des processus in-ternes », précise le professeur.

Et les résultats sont intrigants. Les éléphants marchent différemment selon que leur but est plaisant (bain de boue ou nourriture) ou désagréa-ble (quand l’éléphant est chassé par un individu dominant). « Des diffé-rences évidemment non visibles à l’œil nu, mais mises en avant par la techni-que », souligne le biologiste. Il en va de même pour les consommateurs d’ecstasy : les anciens et récents dro-gués tremblent, alors que ce n’est pas le cas des non-adeptes. Quant aux ca-fards, la course des individus rendus malades les trahit par rapport à celle des insectes sains. « Du bio-logging pour signaler l’état émotionnel des éléphants, l’état chimique des hu-mains, et l’état de santé des cafards », conclut Rory Wilson. Quoi d’autre ? p

ma. sp.

Une application multidiscipline

Manchot royal

équipé d’un enregistreur de pression,

de température et de vitesse,

dans l’archipel des Crozet (océan

Indien). ONÉSIME PRUD’HOMME

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É V É N E M E N T | SCIENCE & MÉDECINE | Mercredi 25 mars 20150123 | 5

à long terme de son espèce. » Depuis le dé-but du développement des appareils em-barqués, le but est de les rendre plus pe-tits, plus légers, plus aéro- ou hydro-dy-namiques, mais aussi de penser à leurcouleur et à leur position sur l’animal.Ces critères importent et font l’objet denombreuses recherches visant à dimi-nuer l’impact de l’appareillage.

Concernant le poids, par exemple, il nedoit pas excéder 3 % à 5 % de celui de l’hôte. « Pour les animaux volants, on est plus exigeant, la barre des 3 % ne doit pas être dépassée. Pour les animaux terrestres on est plus large, 4 %-5 % sont tolérables », souligne Francis Crenner, ingénieur de recherche à l’IPHC-Strasbourg. « Certainsanimaux étant plus sensibles que d’autres,c’est même du cas par cas », précise Rory Wilson, professeur à l’université de Swan-sea (Pays de Galles). Les effets peuvent concerner la vitesse de nage ou encore le temps passé à rechercher de la nourriturechez les animaux marins. Mais aucunanimal équipé n’est mort à la suite de la pose ou du port d’un appareil.

« On a énormément bénéficié des tech-nologies issues des smartphones et des ta-blettes, confie Dominique Filippi, direc-teur recherche et développement de Sex-tant Technology Ltd (Nouvelle-Zélande), qui pense notamment aux accéléromè-tres présents dans les smartphones etqui permettent aux images sur l’écran de changer d’orientation quand on tourne letéléphone. Leur prix est divisé par 100. »Comme si la soif des consommateurs pour les gadgets intelligents avait eu un impact positif sur la zoologie, en permet-tant la miniaturisation des composants et en diminuant leur prix. Un enregis-treur composé de plusieurs capteurs coû-tant tout de même entre des centaines etdes milliers d’euros.

« Du point de vue de l’électronicien, laprincipale contrainte c’est la consomma-tion d’énergie, avoue cependant Francis Crenner, la plus grosse partie de la massede l’enregistreur étant liée à l’énergie em-barquée, autrement dit la batterie. » Pour lui, la mise au point d’un enregistreur est régie par un compromis perpétuel entre sa fonctionnalité et ses dimensions. Avec son équipe, l’ingénieur à mis au point un appareil ultraléger (le LUL, pour ultra-lightlogger). « Parmi les systèmes capables d’en-registrer des données physiques dans une mémoire pendant une grande durée, le

LUL est actuellement le plus petit enregis-treur du monde », ajoute-il, excluant ainsi de la comparaison les capteurs placés sur les abeilles en Australie en 2014. Avec ses 2 grammes, le LUL est capable d’enregis-trer la pression – de quoi informer sur l’al-titude ou la profondeur –, ainsi que latempérature et la lumière. « En program-mant des enregistrements toutes les se-condes, il peut fonctionner pendant huit à neuf mois, et plus longtemps si la fré-quence est réglée à toutes les minutes ou toutes les heures », spécifie l’ingénieur.

« On pense souvent que le plus gros pro-blème est de mettre au point des appareils capables d’enregistrer ce qu’on veut. Mais aujourd’hui, ce qui freine nos capacitésd’innovation, c’est la nécessité de créer unappareil qui ne va pas gêner l’animal à

long terme », note Rory Wilson. Tenter de réduire l’impact d’un équipement sur un animal donné est en fait une étude en elle-même. A l’image des travaux de Syl-vie Vandenabeele, postdoctorante à l’uni-versité de Kiel (Allemagne), qui tente de créer une nouvelle manière d’équiper les oiseaux sur une longue période en mini-misant l’impact causé.

L’idée est de ne pas avoir recours au tra-ditionnel adhésif fixant l’appareil sur lesplumes, celui-ci se détachant quand les oiseaux muent. « Il existe des harnais sur lesquels on peut attacher des équipements à long terme. Ils sont faits en cuir ou en Te-flon, des matériaux résistants mais suscep-tibles de provoquer des blessures à l’oiseau qui les porte », explique la scientifique. Ellea ainsi mis au point un harnais à base de silicone à placer sous les plumes. Elasti-que, pouvant prendre n’importe quelle

forme, il s’adapte au changement de poidsannuel des oiseaux. « Nous sommes en train de faire des tests sur les animaux sau-vages », ajoute-t-elle, ceux effectués sur lesanimaux captifs ayant été convaincants.

La question posée par le scientifique vadans la majorité des cas guider le choix des capteurs à utiliser et leur paramé-trage. « Le développement même d’un en-registreur et de ses composants est directe-ment en rapport avec le problème à résou-dre et avec l’espèce sur laquelle il seradéployé », estime Dominique Filippi. C’est une discussion entre le concepteur et le scientifique, pour réduire l’impact sur l’animal tout en en apprenant un maxi-mum sur lui. « Tester ses hypothèses, c’est le graal de tous les scientifiques, mais lespossibilités offertes par le bio-logging nouspermettent d’ouvrir les yeux encore plus grands », assure Rory Wilson. Il citel’exemple de paresseux équipés de cap-teurs révélant leur répartition dans la jun-gle. En incorporant des capteurs de tem-pérature, d’humidité ou d’activité, il est possible d’explorer encore plus, sans pourautant modifier la taille de l’appareil em-barqué sur l’animal. « Il y a là une questionscientifique et, à la clé, la possibilité d’en apprendre plus », résume le professeur.

Et après ? Pour Rory Wilson, c’est sur-tout sur le traitement des données qu’il va falloir se pencher. « On a trop de don-nées et on n’a pas les moyens de les analy-ser », remarque le biologiste. Au-delàd’un retard dans le développement de lo-giciels de traitement des données – ilsétaient plus ou moins « faits maison » audépart, mais sont maintenant de plus en plus performants et professionnels –, cesont les ordinateurs qui ne sont pas assezrapides pour faire les analyses. A l’avenir, il faudra des ordinateurs plus rapidesmais aussi l’écriture de programmes d’analyse plus performants. « A l’univer-sité de Swansea, nous travaillons avec des informaticiens non biologistes qui com-prennent notre problème et qui ajustent les programmes et logiciels », se réjouit le professeur.

« L’idéal serait d’accéder à un conti-nuum, de mettre en commun les donnéesrécoltées pour chaque espèce ou chaque biotope, afin de comprendre le fonction-nement d’un écosystème dans son en-semble ou la vie d’un animal sauvage comme si on était avec lui », conclut YanRopert-Coudert. p

Outre le poids, il faut penser à la

couleur de l’appareil

et au meilleur endroit

où le placer sur

l’animal afin de

limiter les contraintes

De précieux chercheursmalgré eux

«On n’utilise pas les ani-maux uniquementpour étudier leur éco-

logie, assure Christophe Guinet, directeur de recherche au Centre d’études biologiques de Chizé (CNRS-université de La Rochelle), dans les Deux-Sèvres, et spécia-liste de l’écologie des mammifères marins. On en profite pour récolter en même temps des informations sur l’environnement. » Les ani-maux marins plongeurs, équipés d’appareils électroniques miniatu-risés, se révèlent être des acteurs de premier plan pour recueillir des données de température, de salinité ou encore de fluorescence. C’est l’étape la plus récente dans l’histoire du développement du bio-logging : faire de l’animal un scientifique malgré lui, un bio-in-dicateur des changements envi-ronnementaux. « Etudier l’écologie et récolter des données océanogra-phiques sont indissociables, il y a même une réelle plus-value à me-ner les deux de front », affirme le scientifique. Cette double appro-che permet de répondre à des questions à l’interface des deux disciplines, notamment sur la fa-çon dont les conditions océano-graphiques locales influencent les performances de pêche chez des prédateurs marins.

Les phoques polaires, très bons candidats

Dans les océans du monde, la plupart des données sont collec-tées par des bateaux ou plus ré-cemment par des profileurs Argos, des flotteurs dérivants de subsur-face qui collectent des données à mi-profondeur et remontent régu-lièrement à l’air libre pour trans-mettre par satellite les profils en-registrés. Mais dans les hautes latitudes ou à certaines périodes de l’année, ces méthodes ne sont pas les plus adéquates. « Les ba-teaux ne vont pas passer l’hiver au même endroit pour mesurer la sali-nité ou la température de l’eau. Quant aux profileurs Argos, ils sont peu utiles dans les océans recou-verts de banquise, car ils ne peuvent pas remonter à la surface pour

transmettre leurs données quand la glace de mer se forme », explique Christophe Guinet.

C’est là qu’interviennent nos scientifiques anonymes. Les pho-ques polaires sont de particulière-ment bons candidats : ils plongent beaucoup, profondément et cou-vrent une zone où peu de données sont récoltées. De surcroît, leur respiration pulmonaire les con-traint à revenir périodiquement à la surface pour faire le plein d’oxy-gène. « C’est idéal pour référencer les données océanographiques dans l’espace », note le chercheur. Une fois les animaux hors de l’eau, les informations de type pression, température ou salinité, glanées par leurs balises Argos, sont trans-mises de manière instantanée aux scientifiques par satellite. « Les données issues des éléphants de mer [plus imposants représentants de la famille des phoques] repré-sentent aujourd’hui 98 % des profils de température et de salinité asso-ciés à la zone de banquise antarcti-que », précise le chercheur. Les 2 % restant provenant principalement des navires océanographiques.

Là où le bât blesse, c’est que les scientifiques récoltaient jusque-là des données visant à répondre à des questions écologiques, et les données océanographiques re-cueillies par la même occasion étaient éparpillées parmi les diffé-rentes équipes de recherches par-tout dans le monde. « Nous avons entrepris de fédérer les chercheurs travaillant sur les animaux marins plongeurs afin de rendre accessi-bles ces données sur une plate-forme unique, mises au même for-mat, validées et corrigées de la même façon, se réjouit Christophe Guinet. Que chacun passe au-des-sus de ses prérogatives est une belle réussite. » La plate-forme, unique en son genre, sera dispo-nible courant mai, sous le nom de Mammals Exploring the Ocean Pole to Pole (MEOP). « Plus de 300 000 profils de température et de salinité seront ainsi mis à dis-position de la communauté inter-nationale », prévient le chercheur. Avis aux amateurs… p ma. sp.

La balise Argos sert à étudier « Chelonia mydas », une tortue

verte du sud de Mayotte.JEAN CASSOU/NATURIMAGES

Méduse à crinièrede lion dans la baiede Dublin. Elle est équipée d’un tag

acoustique permettant de suivre

ses déplacements.DAMIEN HABERLIN/CMRC

Ce kéa, perroquet endémique de

Nouvelle-Zélande, porte un radio-

transmetteur qui fournit des données

télémétriques. TUI DE ROY/MINDEN

PICTURES/BIOSPHOTO

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6 | 0123Mercredi 25 mars 2015 | SCIENCE & MÉDECINE | R E N D E Z - V O U S

Traité surla merde mondialisée

l e l i v r e

Un essai érudit souligneles multiples défis poséspar la gestion des excréments

hervé morin

Elle est en nous, elle nous entoure,nous nourrit et parfois nous tue, in-grédient essentiel et tabou « sur le-quel l’ordre naturel de la vie est

fondé ». La merde, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, est aussi un « impensé » de la mondia-lisation, nous apprend David Waltner-Toews, dans un essai roboratif.

L’épidémiologiste et fondateur de l’antennecanadienne de Vétérinaires sans frontières montre sur le sujet une érudition impression-nante. Naturaliste, d’abord, quand il nous en-traîne en Tanzanie examiner la moindre crotte produite par les grands animaux de la savane auxquels il préfère l’humble mais her-culéen bousier. Ce Sisyphe roulant sa boule de crottin est indispensable au recyclage des dé-jections. Les Australiens l’ont appris à leurs dépens : depuis cinquante ans, ils tentent d’acclimater des scarabées étrangers sur les pâturages pour éviter qu’ils ne soient stérili-sés par les bouses de bovins que les coléoptè-res locaux, spécialisés dans les déjections de marsupiaux, ne peuvent décomposer.

Biologiste racontant l’évolution des excré-ments depuis les origines, chimiste décrivant leurs transmutations intimes, économiste examinant les transferts de matières premiè-res entre continents dont leur production par l’élevage intensif témoigne, écologiste dévoi-lant leur transit dans différentes strates d’éco-systèmes emboîtés, David Waltner-Toews se fait aussi linguiste. Il décrit la richesse du vo-cabulaire désignant la chose – bien aidé en cela par le traducteur Laurent Bury. Mais ce champ lexical reste pourtant trop pauvre, re-grette Waltner-Toews, puisqu’il est incapable de réunir sur ce sujet central « l’imagination politique populaire et la conception scientifi-que et technique des questions essentielles ».

C’est que la merde, qui peut véhiculer des maladies, empoisonner terres, rivières et ri-vages, constitue désormais, à l’échelle où elle est produite par une humanité urbanisée et les animaux qu’elle élève pour s’en nourrir, un défi majeur. Un de ces « problèmes perni-cieux » pour lesquels « il n’existe ni formula-tion incontestée ni solution optimale ». Un problème auquel la science actuelle, souvent unidimensionnelle, n’est pas adaptée, sou-tient Waltner-Toews, qui se révèle aussi épis-témologue.

Face à ce défi apparemment insoluble, on sent le Canadien tenté par une forme de fata-lisme malthusien : « Pouvons-nous reculer du bord du précipice vers lequel la surpopulation de la planète nous a poussés ? », se demande-t-il, ajoutant « qu’à long terme la santé pour tous signifie l’affliction pour beaucoup ». Le dernier chapitre, où des solutions sont avan-cées (manger moins de viande, puiser l’éner-gie des excréments…), suggère cependant qu’il a encore l’espoir de laisser aux générations fu-tures la planète, sinon aussi propre qu’il l’avait trouvée, du moins encore vivable. p

Merde… Ce que les excréments nous apprennent sur l’écologie, l’évolution et le développement durable, de David Waltner-Toews (Piranha, 256 p., 16,50 €).

Concerto en miaou majeur– peut-être avec le fameux Rock’n roll des gallinacés, qui n’a, en revanche, pas fait grand-chose pour le cerveau des enfants l’ayant écouté en boucle. Elle calmerait les chiens dans les refu-ges. Il faut cependant reconnaître que l’effet est loin d’être général : avec des babouins, des gorilles, des chevaux, des agneaux et même des poissons (mais pas de ratons laveurs), les expé-riences menées n’ont donné aucun résultat concluant.

Particularités auditivesPour une équipe américaine de trois

chercheurs, deux psychologues – Charles Snowdon et Megan Savage, de l’université du Wisconsin – et un musicologue – David Teie, de l’univer-sité du Maryland –, cela tient sans doute au fait que les concepteurs de ces expérimentations n’ont pas pris en compte les particularités auditives des animaux : il serait donc vain, comme cela a souvent été le cas, de faire écou-ter du Mozart ou du Justin Bieber (ah, non, ça, c’est éthiquement interdit) à des bestioles sensibles à des plages de fréquences et à des rythmes différents de ceux qu’on retrouve dans les musi-ques conçues pour Homo sapiens.

Dans une étude à paraître dans la revue Applied Animal Behaviour Science, ces chercheurs ont donc testé sur des chats deux morceaux musicaux adaptés à leur système de communication. Comme minou vo-calise plus aigu que l’humain, la tes-siture des airs en question se situait deux octaves au-dessus de la moyenne de nos musiques. Dans le premier morceau, intitulé Cozmo’s Air, les chercheurs ont inséré des glissandos évoquant le « miaou » ainsi qu’un discret vrombissement, calé sur la fréquence… du ronronne-ment. Dans le second extrait, Rusty’s Ballad, le rythme d’arrière-plan cor-respond à celle de la succion du cha-ton qui tête. Il comprend également des sortes de sifflements d’oiseaux – on réagira plus à la musique si elle met en appétit. Pensés pour plaire aussi aux humains (avec qui les pe-tits félins daignent en général parta-ger leur domicile), les airs ressem-blent vaguement à de la musique de relaxation.

Une fois leurs morceaux en boîte, leschercheurs ont frappé à la porte de 47 chats domestiques âgés de 5 mois à 19 ans et installé chez eux deux haut-

parleurs. L’un diffusait les deux airs miaouesques, l’autre deux extraits de musique humaine (non, pas les Chats sauvages ni les Stray Cats, mais l’Elégie de Fauré et l’Air sur la corde de sol de Bach), afin d’avoir un point de compa-raison. Et en avant la zizique ! Chaque expérience était filmée pour observer le comportement des chats, compter le nombre de fois où ils tournaient la tête vers tel ou tel haut-parleur, se di-rigeaient vers lui, le reniflaient, s’y frottaient, ronronnaient ou bien s’ils quittaient la pièce, feulaient, faisaient le gros dos, le poil hérissé…

Les résultats sont sans ambiguïté. Fé-lix et consorts ont manifesté un intérêt certain pour « leur » musique et sont restés indifférents à Fauré et à Bach. Pour le premier auteur de l’étude, Char-les Snowdon, on pourrait très bien imaginer, en cette ère de quête du bien-être animal, de diffuser à nos compa-gnons à poils, plumes, voire écailles, des morceaux spécialement composés pour eux. « Dans cent ans, anticipe-t-il, il faudra apprendre aux gens qu’à une époque, la musique était réservée aux humains. » A surfer sur la bande FM, on avait pourtant l’impression que ce n’était déjà plus le cas. p

Une salamandre géante du temps des dinosaures

Ne vous y trompez pas : cette charmante bête occupe « la place d’une petite voiture », dixit Steve Brusatte, le paléontologue écossais à la tête de l’équipe internationale qui rend publi-que cette découverte, le 24 mars, dans le Jour-nal of Vertebrate Paleontology. Des restes fossi-lisés de plusieurs dizaines de ces animaux ont été extraits d’un lac asséché du sud du Portu-gal. Après analyse de la forme des membres et de la tête, les scientifiques ont acquis la certi-tude qu’il s’agissait d’une nouvelle espèce. Bap-tisée Metoposaurus algarvensis (« monstre

écailleux de l’Algarve ») et vieille de quelque 220 millions d’années, elle appartient à un groupe d’amphibiens carnivores présents dans toutes les zones tropicales du supercontinent nommé Pangée, au temps des premiers dino-saures. Des fossiles apparentés ont ainsi été re-trouvés en Europe, Asie, Afrique et Amérique du Nord. Ancêtres des salamandres mais aussi des tritons et des grenouilles, ces prédateurs à l’impressionnante mâchoire (des centaines de dents aiguisées) ont pour la plupart disparu il y a 201 millions d’années. p

Dans le grand bestiaire de lalittérature scientifique, ontrouve nombre d’étudestentant de montrer une in-

fluence de la musique sur les ani-maux. Ainsi, la musique aiderait à la croissance du cerveau des poulets

Essai« A la rencontre des comètes »C’est le livre indispensable pour tout savoir sur les comètes, replacées au cœur de l’actua-lité grâce à la mission européenne Rosetta. Les deux auteurs, astronomes, reviennent sur les premières observations de ces astres er-rants, puis sur le rendez-vous terrestre et spa-tial avec la comète de Halley en 1986. Ils dé-taillent la mission Rosetta, y incluant les tout derniers résultats. Ils concluent même sur des comètes hors de notre système solaire.

> « A la rencontre des comètes », de James Lequeux et Thérèse Encrenaz (Belin, 146 p., 22,90 €).

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COSSIMA PRODUCTIONS

a f f a i r e d e l o g i q u e

improbablologie

Pierre Barthélémy

Journaliste et blogueurPasseurdesciences.blog.lemonde.fr

(PHOTO: MARC CHAUMEIL)

Page 33: Monde 3 en 1 Du Mercredi 25 Mars

R E N D E Z - V O U S | SCIENCE & MÉDECINE | Mercredi 25 mars 20150123 | 7

« Maman, on mange quoice soir ? – Moi »

z o o l o g i e

nathaniel herzberg

Le dévouement maternel n’a pas de li-mites, c’est bien connu. Mais Stegody-phus lineatus, une araignée d’un peuplus de 1 cm qui peuple les régions dé-

sertiques allant du pourtour méditerranéen au Pakistan, pousse loin le sens du sacrifice. Pendant deux semaines, elle nourrit ses nou-veau-nés avec des sucs qu’elle régurgite. Puis elle achève le processus en offrant son corps à sa progéniture, qui ne laisse d’elle qu’un sque-lette desséché. Le phénomène a été découvert dans les années 1970. Mais dans le numéro d’avril du Journal of Arachnology, une équipe israélienne décrit pour la première fois le lent processus de transformation des tissus au terme duquel la mère devient… comestible.

Pour cela, les scientifiques ont « sacrifié » quelques individus, sélectionnés aux diffé-rents stades de la reproduction. Et observé comment le corps changeait peu à peu de nature. Tout commence pendant l’incuba-tion. Certaines parties de l’intestin s’assom-brissent. Les tissus se dégradent. A l’éclosion, on observe un ramollissement sensible de l’abdomen.

La mère a donc déjà commencé à payer de sa personne. C’est que, dès la ponte, l’araignée a cessé de s’alimenter. Une fois les œufs éclos, elle puise dans ses réserves pour produire et régurgiter le suc que les petits viennent aspi-rer dans sa bouche. Les chercheurs ont pu constater qu’à cet instant le processus est en-core réversible. En effet, s’il arrive malheur à la couvée, et dans ce cas seulement, la mère peutpondre une seconde fois, les ovaires, notam-ment, étant demeurés intacts.

Sinon, le processus d’alimentation des petitset de dégradation progressive du corps se poursuit. Au cours de cette phase de deux se-maines, l’araignée perd 45 % de son poids. Autant dire que c’est un animal épuisé, sinon tout à fait exsangue, et dont la plupart des muscles, tissus et organes – à l’exception no-table du cœur – se sont liquéfiés, qui s’effon-dre au terme de cette période.

Effondré mais vivant. La scène finale, l’ul-time repas « familial », peut alors commencer. Qui invite la fratrie à table ? « Pour le moment nous l’ignorons, explique l’entomologiste Mor Salomon, première signataire de l’article. Chez Amaurobius ferox, une autre espèce matri-phage, nous avons retrouvé un signal, une vi-bration émise par la mère sur la toile, que les petits perçoivent. Mais chez Stegodyphus lineatus, rien pour le moment. »

En tout cas, les rejetons ont compris. L’abdo-men est à présent tout mou, aisé à percer. Et particulièrement riche en nutriment et pro-téines. Tour à tour, les quelque 80 petits que compte la couvée prennent part au festin, as-pirant tout ce qu’ils trouvent, jusqu’aux car-tilages des pattes. Deux à trois heures plus tard, ils abandonnent un squelette, « un ballon vide », selon Mor Salomon, qui ne pèse plus que 5 % du poids initial. Pendant deux semai-nes encore, ils resteront au nid, repus. Puis quitteront le foyer pour partir à l’assaut d’autres proies.

Même si le sacrifice maternel a été observé chez une espèce de pince-oreilles, les arai-gnées dominent cette pratique puisque une dizaine d’espèces matriphages ont déjà été ré-pertoriées, dont toutes celles de la famille de Stegodyphus lineatus : les Erisidae. L’imagina-tion y a pris le pouvoir. Ainsi cette espèce cou-sine, Stegodyphus dumicola, où, non contents de dévorer leur génitrice, les petits y adjoi-gnent des individus adultes sacrifiés par la collectivité pour perpétuer l’espèce. Ou cette autre chez qui la mère pond deux couvées, la seconde alimentant, au sens propre, la pre-mière. Décidément, rien n’est trop bon pour nourrir ses enfants. p

MOR SALOMON

pascale santi

C’est une première. ClaireCompagnon, combattantedu droit des malades, a éténommée à l’Inspection gé-nérale des affaires sociales(IGAS), le 4 mars, en con-

seil des ministres. C’est la première foisqu’une représentante des usagers intègre cette institution. Aujourd’hui conseillère en politiques de santé, représentante des usa-gers à l’Hôpital européen Georges-Pompidou(HEGP), Claire Compagnon, qui siège dans denombreuses instances pour y représenter lespatients, a un profil atypique au regard de l’univers plutôt feutré de l’IGAS, chargée du contrôle des institutions publiques de santé. « C’est une victoire, c’est la cause des patientsqui est reconnue », se félicite le docteur Véro-nique Fournier, directrice du centre d’éthi-que clinique de l’hôpital Cochin.

Claire Compagnon, qui prendra ses fonc-tions le 30 mars, est au cœur de la lutte pour faire avancer le droit des malades en France.Ce n’est pas un hasard si la ministre de la santé, Marisol Touraine, lui avait demandé un rapport, qu’elle a rendu début 2014, inti-tulé « Pour l’an II de la démocratie sanitaire ». L’an I étant pour elle la loi du 4 mars 2002, quia permis de reconnaître des droits aux mala-des. Dans cet opus de 250 pages, Claire Com-pagnon a livré une série de recommanda-tions pour faire avancer le statut des patients,afin, notamment, qu’ils soient davantage re-présentés dans les instances de décision. La future loi de santé, actuellement discutée au Parlement, reprend quelques-unes de ses re-commandations, mais la nouvelle inspec-trice regrette que la question sur le statut des usagers ne figure pas dans le projet de loi.

Depuis des années, cette femme dynami-que se bat pour que les usagers jouent unrôle dans le système de santé. Juriste de for-mation, elle s’est rapidement spécialiséedans les questions sanitaires. Son histoire fa-miliale est marquée par une mère malade,alors qu’elle n’était qu’une enfant, et par le secret ayant entouré cette maladie. « Cela a sûrement conditionné mon obsession de re-mettre de la parole alors que j’en ai beaucoup manqué », confie-t-elle.

A la fin de ses études de droit, on lui proposede s’occuper de la protection de l’enfance dansles Yvelines, dans le secteur de Trappes. « J’ai commencé à traiter du rapport des usagers avec l’administration et les professions médico-

sociales, finalement tout ce qui allait jalonner ma carrière », relate Claire Compagnon. Mais elle s’ennuie vite, et c’est le grand tournant : elle rejoint l’association Aides au début des années 1990. L’épidémie de sida était alors ex-trêmement violente. Malgré la mort, la dou-leur, ces années restent pour elle « une expé-rience inoubliable, un engagement profond », car « c’était un vrai lieu de pensée, un endroit oùon réfléchissait collectivement ».

Elle rejoint ensuite la Ligue contre le canceren tant que directrice du développement.Choquée de n’entendre parler que des cancé-rologues, des médecins, elle veut donner la parole aux malades, et organise en 1998 lespremiers « états généraux des malades ducancer ». Des patients, des proches, y racon-tent le séisme de l’annonce, la vie avec la ma-ladie, la relation aux soignants, le manque d’information, d’accompagnement. « Il yavait un sentiment d’exaltation, celui de faire émerger quelque chose qui n’existait pas, ex-plique Véronique Fournier, qui a fait équipe avec Claire Compagnon lors des états géné-raux de la santé en 2002. Claire a été le té-moin, l’instigatrice et l’actrice majeure pourcristalliser ce mouvement. »

Cet événement fera date. Suivront les étatsgénéraux de la santé qui aboutiront à la loi de2002 sur les droits des malades, dite loi Kouchner. Puis d’autres états généraux et des plans cancer successifs. Dans le même temps, le mouvement associatif de patients se construit. Le Collectif interassociatif sur la santé (CISS) avait été créé en 1996. « Ces mou-vements permettent de faire émerger des di-mensions autres que la maladie et son traite-ment, autour de la douleur, de la nutrition, desrelations avec les proches, de l’environnement économique », assure Claire Compagnon.

Petit à petit, ne lâchant rien, elle fait bougerles lignes. D’une belle voix douce mais fermeet juste, « elle ne s’en laisse pas compter », dit le docteur Fournier. « C’est une militante, en-

gagée dans la défense du droit des patients, avec passion, compétence et intransigeance », estime Thomas Sannié, président de l’Asso-ciation française des hémophiles. « Lorsque je présidais le comité consultatif médical de l’HEGP, elle m’a appris beaucoup de choses surune vision moderne du droit des usagers. Pas seulement comme protecteurs du droit maisaussi pour améliorer le fonctionnement de l’hôpital », explique Jean-Yves Fagon, quiexerce toujours dans cet établissement.

Certes, les droits des patients se sont amé-liorés, mais l’hôpital peut à certains mo-ments être un lieu maltraitant. Claire Compa-gnon connaît ce sujet. Elle a réalisé en 2009 une étude pour la Haute Autorité de santé sur« la maltraitance ordinaire dans les établisse-ments de santé », où le pire côtoie parfois le meilleur. Elle a aussi publié avec Thomas Sannié, en 2012, L’Hôpital, un monde sans pi-tié (éd. L’Editeur), qui rapporte des témoigna-ges effroyables, comme ceux de ces patients sommés de « faire dans leur couche ».

Elle relate aussi des appels de patients de-puis les urgences du HEGP, où elle représenteles usagers depuis 1996. Ne sachant plus à qui s’adresser, ils ont vu sur un mur son nu-méro de portable. « Ils sont là depuis plusieursheures, ont l’impression que rien n’avance,qu’on ne leur dit rien, sont totalement réifiés,ils ne comprennent pas pourquoi on les traite si mal. » Certes, « cela n’arrive pas souvent, commente-t-elle, mais à certains moments,on se demande comment l’hôpital peut êtreaussi peu attentif à ses usagers. Quand vous êtes à l’hôpital, vous êtes parfois devant des portes fermées ».

Elle a elle-même beaucoup côtoyé les hôpi-taux aux côtés de sa fille, qui a 19 ans aujourd’hui. « J’ai vu ma fille malade, j’avais toutes les clés, mais même quand on est bien in-formé, on se sent dans ces moments-là totale-ment isolé, perdu. » Cette mère de deux enfantsn’en dira pas plus sur cette épreuve, menée de front avec sa vie professionnelle intense.

La parole, donnée ou retenue, encore ettoujours, elle y est très attentive, très respec-tueuse de ses interlocuteurs, dit ThomasSannié. « C’est ma façon d’avoir été résiliente »,dit-elle. Car la parole peut aussi être dévasta-trice. Elle cite Camus, sans aucune préten-tion : « Mal nommer les choses aggrave les malheurs du monde. »

« Son combat n’a pas toujours été facile, carle pouvoir n’est pas de notre côté, constate ledocteur Fournier. Parce qu’on est des femmes.Et parce qu’on parle des patients. » p

En 2009, elle a remis aux autorités

concernées un rapport sur

« la maltraitance ordinaire dans

les établissements de santé »

STÉPHANE REMAEL

POUR « LE MONDE »

Claire Compagnon, militante pour les droits des patients

p o r t r a i t | L’opiniâtre représentante des usagers de l’hôpital depuis 1996se voit nommée aujourd’hui inspectrice des affaires sociales par le gouvernement

Page 34: Monde 3 en 1 Du Mercredi 25 Mars

8 | 0123Mercredi 25 mars 2015 | SCIENCE & MÉDECINE |

SOURCE : TUMBELSTON ET AL., SCIENCE, 16 MARSINFOGRAPHIE : HENRI-OLIVIER

Le nouveau procédéLe durcissement est dû à une réaction de polymérisation induite par la lumière ultraviolette. L’oxygène a tendance à inhiber cette réaction. Un matériau perméable à l’oxygène assure le maintien d’une résine liquide au fond du bac ; au-dessus de cette couche, l’oxygène est consommé et n’interdit donc pas la polymérisation. Une couche devient dure.

Le procédé grand publicDu plastique fondu est déposé couche par couche par l’intermédiaire d’une « tête » de lecture. Soit la tête se déplace, soit c’est le support. Selon le site communautaire spécialisé 3D Hubs, les fabricants RepRap (Prusa i3) et Makerbot (Replicator) dominent ce marché grand public couvert par plus de 300 modèles.

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«Faites des bêtises, mais faites-lesavec enthousiasme. » A cette ci-tation de Colette que j’affec-tionne particulièrement, je ra-jouterai qu’en sciences il fauttout de même bien choisir ses

bêtises ! Les manipulations de résultats en recher-che clinique régulièrement dénoncées ces dernièresannées dans la presse biomédicale internationalerelèvent plus de la fraude que de la bêtise, même si l’enthousiasme y était sans doute bien présent.

Pourtant les mauvaises manipulations ordinairesexistent. Prenons l’exemple de domaines qui me sont familiers : les neurosciences cognitives, la neuro-imagerie ou encore la neuro-ingénierie. Desétudes récentes pointent du doigt le manque de fia-bilité, allant dans certains cas jusqu’à la défaillancede la méthodologie et des résultats publiés. Une étude de la revue Nature Reviews in Neuroscience(Button et al., 2013) révèle que la majorité des résul-tats publiés en neurosciences ne seraient pas fia-bles, car ils ne respectent pas un critère, pourtantfondamental en recherche scientifique, celui de lareproduction des résultats. L’origine du problème est souvent la taille de l’échantillon, autrement ditun nombre de participants trop faible pour générerdes résultats fiables et reproductibles (problème de puissance statistique).

Ah, la statistique ! Cette joyeuse et mystérieuse pas-serelle entre observations expérimentales et inter-prétations scientifiques. Dernière étape de la chaîne d’analyse et but ultime de toute étude scientifique,l’évaluation de la signification statistique des résul-tats est le maillon faible, victime des plus belles bêti-ses. Dans une étude récente publiée dans Journal of Neuroscience Methods (Combrisson et al., 2015), nous décrivons un autre exemple de mauvaise prati-que statistique qui concerne plus particulièrement le domaine du décodage cérébral. Au croisement en-tre neuroscience cognitive et intelligence artificielle,le principe du brain decoding repose sur l’utilisation des signaux cérébraux pour prédire ou inférer le contenu de nos processus cognitifs les plus secrets, tels que nos perceptions ou nos intentions.

Comment fait-on pour lire les pensées d’une per-sonne uniquement en se servant de l’activité de soncerveau ? Le principe de l’apprentissage superviséest simple : nous entraînons dans un premier tempsun algorithme informatique (le classifieur) à diffé-rencier les signatures cérébrales spécifiques à plu-sieurs types de comportements ou d’états cognitifs, en lui présentant les signaux cérébraux associés àchaque classe. Cette phase d’entraînement est suivie

par la phase de test, durant laquelle nous évaluonsla performance de notre classifieur sur des signauxqu’il n’a pas vus lors de l’entraînement. Le taux de réussite obtenu par la classification sur ces donnéescérébrales de « test » est un pourcentage qui repré-sente la précision du décodage.

Le bon sens, et les vieux souvenirs de cours de pro-babilités, voudrait qu’on dise qu’un bon décodage est un décodage qui dépasse le niveau de la chance.Ainsi, pour classifier deux états cognitifs, par exem-ple l’intention d’une personne de bouger sa maindroite ou la gauche, nous sommes face à un pro-blème à deux classes. Un classifieur qui n’aura rienappris aura une performance parfaitement aléa-toire : il se trompera une fois sur deux. Le seuil dechance qu’une bonne classification doit dépasser est donc 50 %. En théorie. Car ces niveaux de chan-ces (50 % pour un problème à 2 classes, ou 25 % pour4 classes) n’ont un sens qu’en présence d’un grandnombre d’échantillons.

Faites l’expérience vous-même. Jouez à pile ouface en lançant une pièce dix fois de suite. Théori-quement, le seuil de chance vous prédit d’avoir pile5 fois sur 10 (soit 50 %), mais vous ne seriez pasétonné si vous obteniez pile 7 fois sur 10 (soit 70 %).Est-ce pour autant une indication que votre pièceest truquée ? Bien sûr que non. Il s’agit là d’un phé-nomène bien connu, celui des faibles taillesd’échantillons. Si vous organisez un énorme lancer de pièces simultané avec 1 million de participantspartout dans le monde, tous connectés sur Internet,le pourcentage des lancers ayant donné pile s’appro-chera cette fois beaucoup plus du seuil attendu de 50 %. Le seuil de chance varie en fonction du nom-bre d’échantillons, et les seuils théoriques ne sontvalables que pour un nombre infini d’échantillons. Cette observation est bien entendu connue et bien

prise en compte dans le domaine de l’apprentissagestatistique.

En revanche, et c’est tout l’enjeu de notre étude ré-cente, de nouveaux domaines de recherche multi-disciplinaire empruntent aujourd’hui des méthodesissues de l’intelligence artificielle (comme l’appren-tissage supervisé). Quelquefois sans connaissance approfondie des limitations et des règles de bonneconduite méthodologique associées. C’est le cas par-fois des recherches sur le décodage cérébral et, pluslargement, les interfaces cerveau-machine.

Nous avons ainsi montré, à l’aide de simulationsnumériques et d’enregistrements de l’activité céré-brale, qu’il est possible d’atteindre des taux de clas-sification de 80 % ou plus, sans qu’il y ait en réalité de différence entre les classes !

Ces résultats, et le rappel de la bonne conduite sta-tistique qui permet d’éviter des interprétations er-ronées, agitent un drapeau rouge. En particulier, je pense que les méthodes de décodage neuronal quis’appuient sur l’entraînement d’un algorithme declassification sur une partie des données et l’évalua-tion de sa performance sur le reste des données (parexemple, la validation croisée) peuvent créer chezles étudiants ou chercheurs fraîchement embar-qués sur une étude de décodage cérébral l’impres-sion d’avoir affaire à un outil qui leur permet de s’af-franchir d’une évaluation statistique rigoureuse. Il s’agit là, bien sûr, d’une bêtise qu’il vaudrait mieux éviter avec enthousiasme !

La croissance exponentielle de la quantité et lacomplexité des données auxquelles nous faisons face aujourd’hui en neurosciences, en neuro-image-rie et en recherche clinique rendent inévitable le rap-prochement avec le domaine de l’intelligence artifi-cielle. Mais on voit bien le problème : c’est typique-ment dans ces nouveaux croisements entre champs de recherches qu’émergent aussi des zones grises, oùles règles de bonne conduite sont soit mal établies, soit pas suffisamment maîtrisées par tous les inter-venants. Je suis convaincu que, pour bien profiter de l’apport de la fertilisation croisée entre disciplines derecherche, une rigueur supplémentaire est deman-dée afin, au bout du compte, de nous assurer d’ac-croître nos connaissances au lieu de les polluer par des observations erronées ou, pis encore, soulever defaux espoirs chez des populations de patients.

Comme dans tout domaine de recherche haute-ment spécialisé, le contrôle de l’intégrité et de la va-lidité des méthodes utilisées en recherche neuro-scientifique ne peut venir que de l’intérieur. Il en vadonc de notre responsabilité, nous les chercheurs, vis-à-vis de la société et de nous-mêmes. p

« Dernière étape de la chaîne

d’analyse et but ultime de toute

étude scientifique, l’évaluation

de la signification statistique

des résultats est le maillon faible,

victime des plus belles bêtises »

¶Karim Jerbi

est professeur au département

de psychologie de l’université de Montréal.

Pour le professeur de psychologie Karim Jerbi, les règles de bonne conduite sont trop souvent mal établiesou pas suffisamment maîtrisées par tous les intervenants de la recherche en neurosciences

Mauvaises manipulations et autres « bêtises »| t r i b u n e |

Le supplément « Science & médecine » publie chaque semaine une tribune libre ouverte au monde de la recherche. Si vous souhaitez soumettre un texte, prière de l’adresser à [email protected]

L’impression 3D encore plus rapideLa fabrication additive, ou impression 3D, est très à la mode non seulement pour les professionnels mais aussi auprès du grand public. Les premiers peuvent ainsi fabriquer des prototypes ou des maquettes tridimensionnels pour l’architecture, le design, l’industrie, la médecine… Quant aux béotiens, ils peuvent commander toute sorte d’objets comme des figurines, des bijoux, des pièces de rechange, etc., ou les fabriquer eux-mêmes (voire fabriquer l’imprimante !). Mais les procédés sont assez lents. La start-up américaine Carbon 3D vient de dévoiler un procédé « 25 à 100 fois plus rapide selon la précision voulue » que ses concurrents. Soit de l’ordre de la dizaine de centimètres par heure pour un dixième de millimètre de précision. Une tour Eiffel de 10 cm jaillit ainsi en une heure. La recette a été publiée en avance par Science le 16 mars, pour coller à une conférence TED au Canada donnée par le directeur de Carbon 3D.La technique utilisée appartient à la famille de la stéréolithographie, qui consiste à durcir de la résine en la polymérisant par un éclairage ultraviolet. Le nouveau procédé est plus rapide, car il fonctionne en continu et ne nécessite pas, comme pour les concurrents, d’être interrompu régulièrement pour réintroduire de la résine liquide.La plupart des imprimantes 3D grand public reposent sur un principe différent, l’ajout couche par couche de plastique fondu. p

david larousserie

Page 35: Monde 3 en 1 Du Mercredi 25 Mars

Cahier du « Monde » No 21830 daté Mercredi 25 mars 2015 - Ne peut être vendu séparément

PLEIN CADREDIDIER LEROY,UN « GAIJIN » VENUDU NORD, CHEZ TOYOTA→ LIRE PAGE 2

MÉDIASVIVENDISOUS PRESSIOND’UN FONDS AMÉRICAIN→ LIRE PAGE 5

PERSPECTIVE | AUTOENTREPRISE

L’avenir incertain du travail salarié

Les Britanniques les ont baptisés« autoemployés » (self-employed), lesEspagnols « indépendants » (autono-mos). En France, patrie du constructi-

visme, on les préfère « autoentrepreneurs ». Comme si cette armée d’un million de tra-vailleurs recelait autant de Bill Gates en puis-sance. Mais la plupart ne caressent même pasce rêve. Ils cherchent juste un complément desalaire ou une manière facile de rester dans l’emploi, alors que l’on ne veut plus d’eux dans le monde clos du salariat.

L’autoentrepreneur est une relative nou-veauté dans le droit français. Ce statut est néen 2008 dans le cadre de la loi de modernisa-tion de l’économie du gouvernement Fillon. Il faut croire que la modernité a vécu, puisque le président de la République de l’époque, NicolasSarkozy, a jugé, il y a une dizaine de jours, qu’il avait fait une erreur, justifiée en temps de crisemais aujourd’hui déloyale vis-à-vis des arti-sans. Et il pose la question de sa suppression.

Ce serait une erreur. D’abord, parce que, parsa simplicité – il suffit de dix minutes sur Inter-net pour créer son (auto) entreprise –, il attire spontanément tous ceux qui naviguent entre le chômage et le travail non déclaré. Une sup-pression ne les transformerait pas d’un coup de baguette magique en artisans ou en consul-tants, mais les rejetterait dans la zone grise d’où ils tentaient de sortir.

Ensuite, parce que l’autoentrepreneur est lapremière « brique » d’une vaste réflexion sur l’évolution du travail au XXIe siècle, où l’indé-

pendant tiendra une place centrale. Dans l’édi-tion annuelle 2015 de la revue de l’Institut del’entreprise Sociétal (« Réinventer le modèle social », éditions Eyrolles), l’un des auteurs, Denis Penel, pose la question qui fâche : al-lons-nous vers la fin du salariat ?

Le modèle fordiste a vécu

Interrogation iconoclaste, tant le salariat est labrique de base de l’Etat-providence, inventée àla fin du XIXe siècle pour apporter la protectionaux travailleurs des grandes usines de la révo-lution industrielle. Sécurité sociale, assurance chômage, syndicalisme… les grandes conquê-tes sociales du XXe siècle se sont appuyées sur ce concept qui a mis fin aux tâcherons etautres journaliers qui louaient leurs services aux industriels. Une nouvelle subordinations’est installée. Le travailleur échange sa liberté contre son confort matériel.

Mais, aujourd’hui, les règles du jeu changent.Le modèle fordiste a vécu, la précarité s’insi-nue dans l’entreprise, la protection sociale s’amenuise et les salaires ne progressent plus àl’ancienneté. Tout cela alors que les nouvelles technologies et la montée de l’individualisme rendent possible une nouvelle approche du travail indépendant, ou plutôt du travail à la carte, tantôt ou simultanément indépendant et salarié. Il faut rapidement mettre en chan-tier un droit du travail qui découple la protec-tion du salaire. p

philippe escande

→ L IRE LE DOSSIER PAGES 6 ET 7

J CAC 40 | 5 050 PTS – 0,06%

J DOW JONES | 18 116 PTS – 0,08 %

j EURO-DOLLAR | 1,0981

J PÉTROLE | 55,47 $ LE BARIL

K TAUX FRANÇAIS À 10 ANS | 0,49 %

VALEURS AU 24/03 - 9 H 30

A « La Provence », Bernard Tapie réduit les coûts

L’ annonce sera faite mer-credi 25 mars, lors d’uncomité d’entreprise extra-

ordinaire. Confronté à l’érosion de son lectorat et à une baisse de ses recettes publicitaires, le quoti-dien La Provence, propriété de l’homme d’affaires Bernard Tapie,va présenter aux représentants du personnel un plan de sauve-garde de l’emploi et une nouvelle feuille de route stratégique.

« Grâce à des reprises de provi-sions, nous avons fini 2014 pres-que à l’équilibre… Mais il y a bien3,5 millions d’euros annuels d’éco-nomies à trouver pour ne pas seretrouver en situation d’urgence »,explique Claude Perrier, le nou-veau président-directeur général du groupe, nommé le 20 février. Et d’ajouter : « Il faut réduire for-tement les coûts et travailler sur une relance par les revenus. »

Parmi les mesures envisagées, lafusion de certaines éditions loca-les – La Provence en compte treize –, la hausse du prix de vente, une accélération sur le numérique et le départ d’une soixantaine de personnes (sur un total de 700 employés). M. Tapie souhaite aussi remettre en question le ver-sement des indemnités prévues pour la trentaine de journalistes partis en 2014 au moment du ra-chat du groupe. La somme due se monte, selon le groupe, à près de 2 millions d’euros. p

→ L IRE PAGE 12

MONTANT DES ÉCONOMIES ANNUELLES

QUE DEVRAIT EFFECTUER LE GROUPE

LA PROVENCE POUR NE PAS

SE TROUVER EN SITUATION D’URGENCE

3,5MILLIONS D’EUROS

OFFRESD’EMPLOI

CHAQUE LUNDI

PAGE 10

Angela Merkel et Alexis Tsipras,à Berlin,lundi 23 mars.MARKUS SCHREIBER / AP

Alexis Tsipras renoue le dialogue avec Berlin

▶ Le premier ministre grec a rencontré Angela Merkel durant plus de six heures▶ La question des réparations de guerre a également été évoquée

→ LIRE PAGE 3

L es fournisseurs, chez Numericable-SFR, sont la cinquième roue du car-rosse. Quand on est prestataire

chez eux, au mieux on survit, au pire onmeurt. » Amer, ce patron de PME qui tra-vaille depuis quelques années avec l’opé-rateur de télécommunications, témoi-gne sous le sceau de l’anonymat. « Si on me reconnaît, je saute… », dit-il, dénon-çant le climat de peur et d’instabilité ré-gnant dans les relations commerciales

entre le groupe détenu par Altice et sesprestataires.

Le sujet a-t-il été évoqué, lundi 23 mars,lors de la rencontre entre Patrick Drahi,président d’Altice, et deux locataires de Bercy, Emmanuel Macron, le ministre de l’économie, et Axelle Lemaire, la secré-taire d’Etat au numérique ? L’entouragede M. Macron préfère jouer la discrétion, distillant un très officiel « tous les sujets d’actualité de l’entreprise ont été évoqués

et nous ne ferons pas d’autres commentai-res. » Même langue de bois du côté de Nu-mericable-SFR : « Ça s’est bien passé, tous les thèmes ont été abordés », indique un proche de l’opérateur. Les méthodes degestion des équipes du nouveau patron de SFR figurent parmi les dossiers à l’étude à Bercy.

Selon des informations obtenues parLe Monde, jeudi 19 mars, des représen-tants du deuxième opérateur français

ont été reçus par la Médiation interentre-prises. Le groupe a accepté de « rentrer enmédiation » dans le cadre d’une plainte du Syntec Numérique sur des retards etdes non-paiements de factures, expli-que-t-on dans l’entourage du médiateur Pierre Pelouzet. « Le travail ne fait quecommencer », indique un proche de M. Pelouzet.

sarah belouezzane et anne eveno

→ L IRE L A SUITE PAGE 5

Les fournisseurs de Numericable-SFR obtiennent la médiation de l’Etat▶ Les nouvelles pratiques de l’opérateur provoquent la colère de prestataires soumis à des baisses de coûts drastiques

0123HORS-SÉRIE

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Page 36: Monde 3 en 1 Du Mercredi 25 Mars

2 | plein cadre MERCREDI 25 MARS 2015

0123

« IL NE PAIE PASDE MINE, MAIS IL EN

IMPOSE ; IL VOITTOUT AVANT VOUS ;

C’EST UN ZIDANEDE L’INDUSTRIE… »

BOUSSAD BOUAOULI

ancien cadre de Toyota

Didier Leroy, un « gaijin » venu du Nord, chez Toyota

A 57 ans, l’ingénieur français,qui a commencé

sa carrière chez Renault,prendra, mercredi 1er avril,

la vice-présidence exécutivedu premier constructeur mondial

PORTRAIT

Une fracture a changé sa vie…Dans ses jeunes années, Di-dier Leroy était un footeuxinvétéré. « Libero, j’avaisà l’époque fait des essaisavec le LOSC [le club profes-

sionnel de Lille]… Puis je me suis gravement blessé à une cheville. Mes rêves se sont arrêtés.Mais j’ai gardé l’esprit de battant que le sportdéveloppe », dit-il. Il n’a pas perdu au change. L’ingénieur nordiste voit, à 57 ans, sa carrièredans l’automobile s’accélérer à nouveau.

Il deviendra, mercredi 1er avril, le premiergaijin (non-Japonais) à occuper la vice-prési-dence exécutive du groupe Toyota. Pour le numéro un mondial du secteur, il supervi-sera l’Amérique du Nord, l’Europe, l’Afrique etle Japon… Des zones où le constructeur écoule plus de 6 millions de véhicules par an,plus que les ventes annuelles mondiales combinées de PSA et de Renault. Il travailleradepuis la banlieue de Lille. Et en faisant la fierté de la région, confirment en chœur les observateurs sur place.

Avec ses yeux bleus, sa crinière blonde, sonsourire indéfectible, Didier Leroy ne se fait pas remarquer d’emblée. « Il ne paie pas de mine, assure Boussad Bouaouli, un ancien ca-dre de Toyota, parti chez le fabricant améri-cain de tracteurs Massey Ferguson. Mais il en impose ; il voit les choses avant vous ; c’est un Zidane de l’industrie… » Le football, toujours.

Outre le ballon rond, Didier Leroy avait at-trapé, pendant ses études à l’Ecole supé-rieure des sciences et technologies de l’inge-nieur de Nancy, le virus de la voiture. En 1982,il rejoint Renault, à Douai (Nord), près de De-chy, son village natal. A son arrivée chez le constructeur, il passe un an en tant qu’opéra-teur pour comprendre les contraintes aux-quelles font face les ouvriers du groupe. Il estpassionné par les méthodes de production.

CARLOS GHOSN, PREMIER MENTOR

A l’arrivée de Carlos Ghosn au sein du groupe, en 1996, Didier Leroy est devenu le plus jeune directeur adjoint de l’usinedu Mans. C’est un haut potentiel pour le constructeur. Le futur PDG de Renault lui de-mande de piloter pendant un an des « équi-pes transverses ». Sa tâche consiste à accélé-rer la standardisation des pièces entre les vé-hicules afin d’optimiser les coûts.

« A priori, cela s’est bien passé, souritaujourd’hui l’intéressé. Carlos Ghosn m’a en-suite appelé auprès de lui pour occuper unrôle de secrétaire exécutif pour préparer ses dossiers. » Sa carrière semblait toute tracée. Jusqu’au coup de fil d’un chasseur de têtes deToyota. « Je l’ai envoyé balader… Mais, après plusieurs relances, j’ai accepté de rencontrer lenuméro deux du groupe », se rappelle-t-il.

Le géant japonais voulait ouvrir une usineen France pour construire des citadines. « Il ne savait pas comment s’y prendre pour les produire de manière rentable et il voulait que je les aide. Je pensais qu’il se foutait de moi… J’ai hésité, mais, pour un ingénieur, c’était une occasion inespérée de vivre les fondamentauxde la “production lean” [un mode de manage-ment qui se caractérise par la recherche de laperformance notamment en matière de compétitivité et de qualité], dont Toyota estla référence mondiale. » Didier Leroy a doncchoisi de quitter Renault en 1998. Mais Car-los Ghosn reste l’un de ses mentors.

Après avoir retravaillé sur le projet d’usineau Japon avec les ingénieurs de Toyota, cel-le-ci ouvre en 2001 à Onnaing, près de Valen-ciennes. « Le site est devenu rentable, hors amortissement, dès la troisième année », af-firme Didier Leroy ; les syndicats, pour leurpart, assurent qu’il n’a jamais dégagé de pro-fits. Un audit a d’ailleurs été diligenté par le comité d’entreprise pour y voir plus clair.

La carrière de Didier Leroy décolle alorschez Toyota. Après avoir dirigé la productionde l’usine d’Onnaing, il prend la présidencedu site, puis progresse au niveau européenpour devenir le premier étranger à diriger,en 2010, Toyota Europe, alors dans l’impasse.En cinq ans, il relance, un peu, les ventes, et,surtout, améliore la rentabilité du groupe.

Tout ne s’est pas fait sans heurts. Didier Le-roy a du caractère. « Il prône les échanges di-rects et francs. Il n’hésite pas à dire ce qu’il pense droit dans les yeux. Certains Japonais n’aimaient pas vraiment. Chez Toyota, c’estplutôt feutré », se rappelle François Papin,l’ancien patron de l’usine de Valenciennes.

Il peut être dur avec les cadres. « Certains,qui devaient lui faire une présentation, étaient très stressés la veille, se rappelle Em-manuel Arbonnier, le secrétaire (CFDT) du comité d’entreprise du site. Avec les ouvriers, il était abordable et humain. En revanche, lescadres pouvaient prendre cher. Mais cela fai-sait partie de son job… »

« Il sait emmener les gens vers ce qu’il veut. Ilne laisse jamais personne au bord de la route,juge pour sa part Luciano Biondo, qui dirigela production de l’usine Toyota d’Onnaing. Quand le stress monte dans une réunion, ilsait détendre l’atmosphère. » « Il a du bon sens et il sait rendre les choses simples et com-préhensibles », complète Boussad Bouaouli.

Didier Leroy n’hésite cependant pas à bri-ser des tabous. « Il a opté pour la production en trois équipes, une chose alors inimaginablechez Toyota. Il avait assuré que c’était possibleet il l’a fait, ce qui a renforcé sa légitimité »,poursuit Boussad Bouaouli.

« Au Japon, il y a un proverbe qui dit : “Onfrappe toujours sur le clou qui dépasse”, relèveDidier Leroy. Dans les années 2003- 2005, cer-tains de mes collègues japonais m’avaient dit que je n’avais pas d’avenir ici, car je parlais tou-jours du besoin de leadership à tous les ni-veaux de l’entreprise pour faire bouger les cho-ses. Pour eux, qui étaient à des niveaux de ma-nagement intermédiaires, cette notion était

La chasse aux coûts reste aujourd’hui l’unedes clés de la réussite pour maintenir la pro-duction de citadines dans l’Hexagone. « Sa fierté, c’est de produire en France, notammentpour exporter aux Etats-Unis. Il y a toujourscru, même si ce n’est pas facile », reprend François Papin. PSA et Renault ont, eux, transféré la production de voitures urbaines à l’étranger.

AU SECOURS DE PSA

Au niveau national, Didier Leroy se retrouve rarement sur les écrans radar. Son nom est toutefois sorti du chapeau quand a circulé la rumeur du remplacement de Philippe Varin, alors à la tête de PSA. « Joker », dit-il, ques-tionné sur ce dossier. « De toute façon, celane l’intéressait pas », croit savoir un de ses amis. Même si, pendant la crise, il est bien venu au secours du groupe français.

« Quand PSA a rompu avec Fiat pour son sitede Valenciennes [Sevel], il a sauvé la mise à tout le monde en signant un partenariat avec PSA pour la production d’utilitaires », se rap-pelle l’ancien ministre et ex-maire de Valen-ciennes, Jean-Louis Borloo – ce dernier fut l’un des artisans de la venue de Toyota dans la région. « Je me suis battu pour ce partena-riat, dit Didier Leroy. Pas pour sauver PSA. Mais cela répondait à un besoin pour Toyota. Ensuite, que cela permette de redonner de la charge de travail à cette usine, c’est une bonnechose. En tant que nordiste, j’y suis attaché. »« Pour moi, c’est un grand mec qui a l’humilitéde l’industrie », coupe Jean-Louis Borloo. p

philippe jacqué

inutile. Akio Toyoda [PDG de Toyota] était en train de changer la culture du groupe. »

« Didier Leroy n’aurait pas été promu s’iln’avait pas trouvé la bonne manière de tra-vailler avec les Japonais, salue un patron du secteur. Cette promotion est méritée et haute-ment symbolique. »

De fait, Akio Toyoda, son second mentor,a vite « accroché » avec Didier Leroy. Dès 2007, celui qui se préparait à prendre deux ans plus tard la présidence du groupe avait déjà repéré le Français. Il l’a fait monter dans la hiérarchie et lui a confié, en 2009, les ven-tes européennes du constructeur – unchamp d’action inédit pour l’intéressé –avant de le promouvoir de nouveau. « Il estfactuel et pragmatique. Sur n’importe quel su-jet, il sait rebondir. La fabrication, la vente ou le marketing… Il s’adapte rapidement », ré-sume Boussad Bouaouli.

Autre trait de Didier Leroy, sa maîtrise de lacommunication. « Vous lui donnez un micro, il ne le lâche pas. Il peut vous faire des sketchs en ch’ti. Il avait beaucoup de succès dans lesréunions mensuelles ou lors des vœux », serappelle François Papin.

Mais, quand il s’agit de négocier. Il ne lâcherien. « Il était près de ses sous quand on par-lait de dépenses pour l’usine. Pour obtenir untreizième mois, j’ai dû batailler ferme », serappelle François Papin. Les syndicats ont fait pression en faisant grève. « Les négocia-tions ont toujours été âpres », confirme Em-manuel Arbonnier. Mais, « une fois qu’il don-nait sa parole, il la tenait », assure Jean-MarieMercier, de la CFDT.

RGA/REA

DÉCEMBRE 1957Naissanceà Dechy (Nord).

1982Entrechez Renault.

1998Passe chez Toyota, où il devient, en 2005, président de Toyota MotorManufacturing France, puis, en 2010, de Toyota Motor Europe.

1ER AVRIL 2015Accède à la vice-présidence exécutive du groupe nippon, chargé de Toyota 1(Europe, Amériquedu Nord et Afrique,ventes Japon).

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0123MERCREDI 25 MARS 2015 économie & entreprise | 3

Alexis Tsipras joue l’apaisement à Berlin Lundi 23 mars, le premier ministre grec a rencontré la chancelière Angela Merkel pendant plus de six heures

berlin - correspondant

Au moins se sont-ilsparlé. Mais se sont-ilsconvaincus ? Rienn’est moins sûr. Entré à

la chancellerie à 17 heures, lundi24 mars, Alexis Tsipras, le premierministre grec, n’en est ressorti qu’à 23 h 50. Une durée tout à fait exceptionnelle. D’ordinaire, les dîners autour d’Angela Merkel, àBerlin, s’achèvent vers 21 heures.

Si la Grèce et les autres payseuropéens ne parviennent pas à s’entendre dans les semaines à ve-nir, au moins ne pourra-t-on pasreprocher à la chancelière de nepas avoir fait les efforts nécessai-res. Selon son entourage, « l’entre-tien s’est déroulé dans une atmos-phère cordiale et constructive. Lesdeux dirigeants ont eu une discus-sion complète sur la Grèce, sur la méthode de travail européenne et sur la coopération gréco-alle-mande ». Selon Berlin, les deux dé-légations se sont aussi mises d’ac-cord… pour ne pas en dire plus.

Dès le jeudi 19 mars, au Bundes-tag, Angela Merkel avait prévenu. Il ne fallait pas « attendre de solu-tion » ce lundi. L’Allemagne ne le souhaitait pas. Même si la dé-monstration n’est pas vraiment convaincante, la chancelière vou-lait à tout prix éviter d’apparaître en première ligne face à Athènes.« Il ne s’agit en aucun cas d’un con-flit entre la Grèce et l’Allemagne mais entre la Grèce et les dix-huit autres membres de la zone euro », répète-t-on à Berlin.

Organisée dès 18 h 30, la confé-rence de presse d’Angela Merkel etd’Alexis Tsipras avait pour but defournir des images aux journaux télévisés tout en éludant les sujetsqui fâchent. Pas question pour l’Allemagne de commenter par avance des mesures qui devront d’abord être analysées par « les institutions » – Fonds monétaire

international (FMI), Commissioneuropéenne et Banque centrale européenne (BCE) – puis recevoir l’aval de l’Eurogroupe. Peut-être les 30 ou 31 janvier.

Le quotidien Bild a affirmé,mardi matin, qu’Alexis Tsipras n’apas présenté de liste de réformes àAngela Merkel. La durée de l’en-tretien serait donc davantage le si-gne que les deux dirigeants ontcherché à surmonter l’incompré-hension passée et non qu’ils aientabouti à un quelconque accord. D’ailleurs, au cours de la confé-

rence de presse, le premier minis-tre grec a reconnu que la chance-lière, qu’il qualifiait durant la campagne de « responsable politi-que la plus dangereuse d’Europe » était une femme « qui écoute etaime progresser de façon cons-tructive au cours des échanges ».

Mme Merkel n’avait pas eu lemoindre mot aimable à l’égard dunouveau gouvernement grec.Plusieurs photos prises au cours de cette conférence témoignent de la perplexité de la chancelière face à son invité. « Que des réfor-mes structurelles soient indispen-sables, qu’un budget solide soit in-dispensable et qu’une administra-tion qui fonctionne soit indispen-sable, je crois que nous voyons tousles deux les choses ainsi », a ditprudemment la chancelière. De même, elle « croit » que les deuxpays « peuvent aborder les dos-siers difficiles et les questions face auxquelles nous ne sommes pas du même avis ».

Mme Merkel a d’ailleurs pris soinde préciser que « nos deux pays sont membres de l’Union euro-péenne, sont membres de l’OTAN.Nous devons faire face à des défis géopolitiques communs ». Une phrase loin d’être innocente.

Alexis Tsipras doit en effet ren-contrer le président russe, Vladi-mir Poutine, à Moscou le 8 avril.Hasard ? C’est ce jour-là que, selonplusieurs sources européennes, laGrèce pourrait se trouver en dé-faut de paiement. Interrogé à ce sujet, le premier ministre grec n’a pas formellement démenti, se contentant d’indiquer que « les problèmes de liquidité à moyen terme de la Grèce sont connus ».

« Atteindre un nouvel équilibre »

Lundi 23 mars, le Financial Times arévélé que M. Tsipras avait écrit aux dirigeants européens le 15 mars pour leur indiquer que, sans un déblocage de fonds à court terme, « il sera impossiblepour Athènes d’assurer le service de la dette d’ici les prochaines se-maines ». Un courrier qui aurait provoqué sa rencontre avec Mme Merkel, François Hollande et les dirigeants des principales ins-titutions communautaires, jeudi 19 mars, dans la soirée, en marge d’un conseil européen.

Lundi, M. Tsipras a tenté à la foisde prouver à son électorat qu’il se rendait à Berlin mais pas à Ca-nossa tout en prenant soin de ne pas brusquer Angela Merkel.

A l’attention des premiers, il arappelé que le programme de sau-vetage mis en place il y a cinq ans « n’est pas un succès ». Le produit intérieur brut a reculé de 25 %, le chômage, notamment celui des jeunes, a bondi, et les plus pau-vres ont vu leurs impôts bien da-vantage progresser que les plus ri-ches. Il a donc souhaité « attein-dre un nouvel équilibre politique ».

Il a aussi évoqué les réparationsallemandes liées à la seconde guerre mondiale mais qui, selon lui, n’ont aucun lien avec le débat actuel sur la dette grecque. A l’égard de l’Allemagne, il a re-connu que « bien sûr il y a quel-ques problèmes liés à la construc-tion européenne mais l’énorme

En sortant de l’UE, le Royaume-Uni aurait plus à perdre qu’à gagnerSelon une étude, le PIB britannique pourrait fondre de 2,2 % d’ici à 2030 ou gagner 1,6 % selon les politiques engagées

C e n’est plus un tabou. Amoins de deux mois desélections législatives du

7 mai, une hypothétique sortie du Royaume-Uni de l’Union euro-péenne (le « Brexit ») agite la classepolitique britannique. Alors que le Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP) milite tam-bour battant pour cette option, le premier ministre, David Cameron,a promis d’organiser un référen-dum sur le sujet avant fin 2017 s’il est réélu. « Nous estimons à 25 % la chance que se tienne ce référen-dum, et à 1 sur 8 celle que le Brexit seproduise effectivement », prédit Michala Marcussen, chef écono-miste à la Société générale CIB.

L’économie britannique en sor-tirait-elle gagnante ? « Difficile à dire : cela dépendrait des accords si-gnés par la suite avec ses partenai-res commerciaux », analysent les

experts d’Open Europe, un think tank européen libéral, dans une étude sur le sujet parue lundi 23 mars. Dans le pire des cas, le pays pourrait voir son produit in-térieur brut (PIB) amputé de ma-nière permanente de 2,2 % d’ici à 2030, tandis que, dans le meilleur, il pourrait gagner 1,6 %. Un écart à première vue surprenant, mais qui a le mérite d’illustrer les dou-loureux choix auxquels le pays se-rait confronté en cas de sortie.

Premier constat : selon Open Eu-rope, un Brexit ne serait pas le cata-clysme annoncé par l’ancien pre-mier ministre Gordon Brown, qui prédit un destin « à la Corée du Nord » à son pays. Mais il ne serait pas non plus le formidable accélé-rateur économique promis par l’UKIP.

Second constat : quitter le mar-ché unique européen serait coû-

teux pour nos voisins, puisqu’ils perdraient tous les avantages liés – libre circulation des biens et ser-vices, absence de droit de doua-nes… Les taxes douanières sur l’automobile gonfleraient ainsi de 10 % au bas mot, et celles sur l’ali-mentaire, de 20 %. Dans le scéna-rio le plus noir, l’économie pour-

rait se contracter de 56 milliards delivres (76,4 milliards d’euros) par an pendant la décennie suivant le Brexit.

Heureusement, il est plus proba-ble que le pays négocie un traité delibre-échange avec l’UE, comme la Suisse ou la Norvège, afin de conti-nuer à profiter de tarifs douaniers réduits. Il serait alors contraint de respecter la plupart des régula-tions européennes. « Et cela ne compenserait pas totalement ce que le pays perdrait en quittant le marché unique », estime Open Eu-rope. Et ce, même s’il n’avait plus à contribuer au budget européen, tant décrié par M. Cameron.

Pour prospérer hors de l’UE, Lon-dres se tournerait à coup sûr vers le reste du monde pour doper ses exports – en particulier l’Asie. En négociant de nouveaux accords commerciaux, le royaume pour-

rait en sortir gagnant, avec un PIB en hausse de 1,6 % d’ici à 2030. « Mais il devrait déréguler large-ment son économie, si bien que ses entreprises et travailleurs seraient soumis à la concurrence des pays à bas coûts », soulignent les auteurs du rapport.

La question de l’immigration

Voilà pourquoi il est plus probable que le pays opte pour un scénario intermédiaire, qui lui coûterait 0,8 % de PIB d’ici à 2030 ou lui en ferait gagner 0,6 %, selon les mo-dalités. Mais tous les secteurs ne seraient pas affectés de la même façon. De fait, les financiers de la City sont inquiets, jugeant qu’ils ont le plus à perdre. Lors du Forumde Davos, en janvier, le président de Goldman Sachs, Gary Cohn, a ainsi souligné que « l’apparte-nance du Royaume-Uni à l’Union

européenne fait partie des avanta-ges compétitifs de la place finan-cière de Londres ». En cas de sortie, elle perdrait de son attractivité au profit de Paris ou de Francfort.

Reste la délicate question de l’im-migration. Si l’UKIP et une partie des conservateurs britanniques sont séduits par le Brexit, c’est en grande partie parce qu’il permet-trait de retrouver la maîtrise des flux migratoires – et de les réduire.Mais, là encore, il n’est pas sûr que le Royaume-Uni y gagne. Une étude de l’University College Lon-don montre ainsi qu’entre 2001 et 2011 les immigrants ont plus payé d’impôts qu’ils n’ont touché d’aides sociales diverses. Au total, leur contribution « nette » pour lesfinances publiques du pays serait même de 20 milliards de livres sur la période… p

marie charrel

Angela Merkelet Alexis Tsipras, lundi 23 mars,à Berlin.BPA/REUTERS

Plusieurs photos

prises au cours

de la conférence

de presse

témoignent

de la perplexité

de la chancelière

face à son invité

crise que connaît la Grèce a aussi des causes internes ».

Quant à la demande de répara-tions, il ne s’agit pas « d’une de-mande avant tout matérielle », a affirmé M. Tsipras. Par ailleurs, si le premier ministre grec veut« respecter ses obligations qui émanent des contrats » passés,c’est en tenant compte des « prio-rités qui ont à voir avec la cohésionsociale et notre souhait de sortir dela crise ». Pour lui « La Grèce peut sortir plus vite de cette grande crisehumanitaire. Ce sera alors le débutdu dépassement de cette crise qui ne concerne toute l’Europe ».

Une rhétorique qui contredit lamantra du gouvernement alle-mand selon laquelle la plupartdes pays qui ont bénéficié d’une assistance financière (Espagne,Portugal, Irlande) se portent mieux. Pour montrer qu’il ne re-nie pas ses convictions malgré les six heures passées en compagnie d’e Mme Merkel, M. Tsipras devait rencontrer, mardi à Berlin, les di-rigeants de die Linke, le parti de lagauche radicale, ceux des Verts et,semble-t-il, Frank-Walter Stein-meier, le ministre allemand desaffaires étrangères. p

frédéric lemaître

Dublin et Lisbonne remboursent le FMI

Désireux de profiter de meilleures conditions financières, Dublin et Lisbonne remboursent par anticipation les prêts accordés par le Fonds monétaire international (FMI) dans le cadre de la « troïka » – FMI, Banque centrale européenne et Commission de Bruxelles. Vendredi 20 mars, l’Irlande a remboursé plusieurs tranches de prêts qui devaient à l’origine arriver à échéance entre juillet 2015 et jan-vier 2021. Avec des taux d’intérêt de près de 5 %, ces derniers sont moins avantageux que les conditions de marché, où I’Irlande peut désormais emprunter à moins de 1 % sur dix ans. Grâce à ces verse-ments anticipés, l’île verte a déjà économisé 1,5 milliard d’euros. Elle ne doit plus que 20 % des 22,5 milliards prêtés par le FMI en 2010. De son côté, le Portugal a remboursé plus tôt que prévu un quart des 29,6 milliards d’euros versés par le FMI en 2011. En em-pruntant moins cher sur les marchés, le gouvernement espère éco-nomiser jusqu’à 500 millions d’euros d’intérêts entre 2015 et 2018.

« L’appartenance

du pays à l’UE

fait partie

des avantages

compétitifs de la

place financière

de Londres »

GARY COHN

Goldman Sachs

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4 | économie & entreprise MERCREDI 25 MARS 2015

0123

Pétrole : l’OPEP impuissanteà contenir la chute des coursL’Arabie saoudite ne veut pas baisser seule sa production et aucun exportateur ne veut suivre

C’est à croire que l’Ara-bie saoudite chercheà précipiter le prixdu pétrole toujours

plus bas. Jusqu’à 40 dollars le baril(un peu plus de 36 euros), voire endessous ! Son ministre du pétrole a réaffirmé, dimanche 22 mars, enmarge d’une conférence sur l’énergie réunie à Riyad, que son pays n’a aucune intention de sup-porter seul l’effort d’une baisse dela production pour faire remonterles prix, qui se sont effondrés de plus de 50 % depuis leur pic de juin 2014. Ali Al-Nouaïmi a même ajouté que Saudi Aramco produitactuellement 10 millions de barilspar jour, soit un peu plus qu’en fé-vrier (9,85 millions), alors que lescompagnies américaines conti-nuent elles aussi d’accroître leur production de pétroles de schiste (shale oil). Dans cette guerre« cheikhs contre schistes », il est clair que personne ne veut rendreles armes.

Ces déclarations de M. Al-Nouaïmi, chef de file de l’Organi-sation des pays exportateurs depétrole (OPEP), ont ruiné les at-tentes de ceux qui espèrent un re-dressement rapide des prix, ou aumoins une stabilisation du Brent autour de 60 dollars. Il n’en fallait pas davantage pour que les mar-

chés réagissent. Dès lundi, lescours sont tombés à l’ouverture des cotations à Londres et à New York, le marché américain étant particulièrement sensible aux ris-ques de saturation des capacités de stockage outre-Atlantique. Ilsse sont redressés en fin de séance,clôturant à 55,92 dollars sur l’In-tercontinental exchange (ICE) et à 47,45 dollars sur le New York Mer-cantile exchange (Nymex), en rai-son d’un affaiblissement de la de-vise américaine qui a effacé l’« ef-fet Nouaïmi ». Mais les prix sontrepartis à la baisse en Asie, mardi matin, après la publication dechiffres décevants sur la produc-tion manufacturière de la Chine,deuxième consommateur mon-dial de pétrole.

« Situation difficile »

Faible hausse de la demande, su-rabondance de l’offre : les prix res-tent déprimés. M. Al-Nouaïmi a reconnu que « la situation est dif-ficile ». Y compris pour son proprepays. L’Arabie saoudite connaîtraen 2015 le plus lourd déficit bud-gétaire de son histoire et devra puiser dans les quelque 750 mil-liards de dollars de réserves de changes dont elle dispose. Elle cherche à convaincre les paysnon-OPEP de faire un geste pour

réduire leur production. Le minis-tre saoudien a révélé que des dis-cussions avaient eu lieu avec cer-tains d’entre eux, mais qu’ellesn’avaient « abouti à rien ».

Sans les citer, il a regretté que cespays « insistent pour que l’OPEP as-sume seule la charge des mesures »[d’ajustement du marché]. « Etcela, nous ne le voulons pas », a-t-ilconfié à des journalistes, en expli-quant que « la production de l’OPEP représente 30 % du marché, celle des pays non-OPEP 70 %. » Le ministre a conclu que « tout le monde est censé contribuer si nousvoulons faire remonter les prix ».

Pour cet homme qui pilote la po-litique pétrolière saoudienne de-puis 1995, Riyad ne jouera plus son rôle traditionnel de produc-teur d’appoint au détriment de ses parts de marché. De facto, cen’est plus l’OPEP qui fait les prix,mais l’équilibre production-con-sommation. Et, en l’occurrence, le déséquilibre. Deux pays de-vraient, selon lui, faire un effort : la Russie et surtout les Etats-Unis.

En marge de la dernière réunionde l’OPEP à Vienne, fin novembre,M. Al-Nouaïmi avait déjà tenté de convaincre la Russie de pomper moins de pétrole pour enrayer lachute des cours amorcée en juin.Sans succès.

Les Russes ont toujours refuséd’intégrer le cartel pétrolier, ce qui les aurait contraints à abdi-quer une part de leur souverai-neté – perspective inacceptable pour une grande puissance. Ils se contentent donc d’assister en ob-servateurs aux réunions semes-trielles de l’OPEP. Les Saoudiens regrettent que Moscou ne se soitjamais montré solidaire quand il s’agissait de réduire la productionrusse.

Depuis la création de l’OPEPen 1960, les pays producteurs ont coopéré 19 fois pour resserrer les vannes et redresser les cours. Ils l’avaient notamment fait en 1998 quand la crise financière en Asie du Sud-Est et la saturation du mar-ché avaient entraîné la chute du baril sous la barre des 10 dollars. LaRussie a un secteur pétrolier en grande partie nationalisé et il est facile au gouvernement de de-mander aux compagnies publi-ques de réduire leur production.

Impuissance d’Obama

Il est en revanche impossible à l’administration de Barack Obama d’imposer un tel effort aux centaines de compagnies pri-

vées américaines exploitant les pétroles de schiste. Et c’est surtoutà ces pétroliers, dont la produc-tion est passée de 1,2 million de barils en 2011 à 5,6 millions en 2015, que Ryad et les pétromo-narchies du golfe arabo-persiquedemandent un effort. « Notre con-ception est tout simplement la sui-vante, a indiqué Mohamed Al-Madi, représentant saoudien à l’OPEP, dimanche : les producteursqui bénéficient de coûts faibles doi-vent être prioritaires et ceux qui ont des coûts élevés doivent atten-dre leur tour pour produire. » Enclair, ce sont les Américains qui doivent resserrer les vannes, puis-que la production de shale oil estquatre à cinq fois plus coûteuse que celle du pétrole du Golfe.

L’Arabie saoudite a une nouvellefois rejeté, dimanche, l’accusationd’user du pétrole comme d’une arme politique contre la Russie, soutien indéfectible de Bachar Al-Assad en Syrie, et surtout contre l’Iran, son principal ennemi sur lascène régionale. Les deux pays sont durement affectés par l’ef-fondrement des cours et n’ont pas, comme les pétromonarchies du Golfe, les réserves de devisesleur permettant d’amortir lechoc. Riyad assure que sa démar-che n’est qu’« économique » et « commerciale ». Même si ébran-ler un peu plus des économiesrusse et iranienne déjà frappéespar l’embargo occidental ne lui déplaît pas. p

jean-michel bezat

Dans cette guerre

« cheikhs contre

schiste »,

il est clair

que personne

ne veut rendre

les armes

Les « obligations vertes », nouvelle coqueluche des entreprisesCes emprunts destinés à soutenir les projets écologiques pourraient doubler en 2015. Paprec est la première grosse PME à se lancer

J ean-Luc Petithugueninn’aime rien faire comme toutle monde. Pour financer sonpetit groupe de recyclage de

papier, de piles, etc., le PDG de Pa-prec aurait pu continuer à s’en-detter auprès de ses banques, ouémettre des obligations classi-ques. Mais quitte à se risquer sur les marchés financiers, M. Peti-thuguenin a choisi d’y ajouterune touche originale : il a émis des « obligations vertes », cesobligations semblables aux autres, sinon qu’elles sont spécifi-quement destinées à faciliter des projets favorables à l’environne-ment. Paprec est l’une des pre-mières entreprises françaises à se lancer dans l’aventure, et la pre-mière en dehors des grands grou-pes. « Mais si nous, dont la crois-sance verte est le métier, ne le fai-sons pas, qui le fera ? »

Bien en a pris à M. Petithugue-nin. Les investisseurs ont réservéun bel accueil à cette émissionbouclée vendredi 20 mars. « Nousavions besoin de 480 millions d’euros, on nous a proposé près de 2 milliards », témoigne le PDG.

« Des réalités très différentes »

Un succès lié aux intérêts assez élevés que Paprec va verser (prèsde 6 % par an), mais aussi à l’at-trait des obligations vertes. Untype d’obligations apparu en 2007, et en plein décollage.

Après des années de balbutie-ments, le montant levé dans le monde a plus que triplé en 2014, pour atteindre 53,2 milliards de dollars, soit 48,6 milliards d’euros, selon l’organisation Cli-mate Bonds Initiative. Il pourrait doubler cette année, à 100 mil-liards de dollars, estime cette

ONG, surtout si la Chine s’y met à son tour.

Les grandes institutions publi-ques, comme la Banque mondiale ou la Banque européenne d’inves-tissement, avaient été les premiè-res à s’endetter de cette façon, pourdonner un coup de pouce à la tran-sition énergétique. Depuis peu, les collectivités locales et les grandes

entreprises comme Toyota ou Unibail sont entrées dans la danse.

Les émissions réalisées par lesseules sociétés pourraient grim-per de 70 % cette année, à 30 mil-liards de dollars, selon les prévi-sions publiées lundi 23 mars par l’agence Standard & Poor’s. Sous réserve, toutefois, qu’il n’y ait pas de repli soudain des marchés fi-nanciers. Sous réserve aussi que la chute du pétrole, qui rabote la compétitivité des énergies renou-velables, ne freine pas trop les pro-jets verts.

Pour les entreprises, l’intérêt estclair. Ces obligations leur permet-tent d’attirer de nouveaux inves-tisseurs, intéressés par le caractère écologique des projets financés. Notamment des fonds du Canada ou d’Europe du Nord. Anne Chas-sagnette, la directrice de la respon-sabilité environnementale et so-

ciétale de GDF Suez, en sait quel-que chose. Pour développer des champs éoliens, des centrales hy-droélectriques, etc., le groupe d’énergie a émis en 2014 pour 2,5 milliards d’euros de « green bonds », la plus importante opéra-tion du genre jamais réalisée par une entreprise. « Environ 65 % des investisseurs qui y ont participé ne seraient jamais venus pour une obligation classique », assure Mme Chassagnette.

Au passage, ces émissions sontl’occasion pour les entreprises de mettre en avant leurs projets les plus écolo. D’autant que ce sont lesemprunteurs eux-mêmes qui dé-cident de qualifier leur obligationde verte ou non. De ce fait, « les in-vestissements réalisés grâce auxgreen bonds peuvent recouvrir des réalités très différentes, souligne une étude du cabinet Xerfi. Faute

d’une véritable régulation de cet outil, les soupçons de “greenwashing” persisteront ». Ne s’agirait-il que d’habiles opéra-tions de communication ?

Pour l’éviter, de plus en plusd’obligations vertes sont validées par des experts indépendants,comme Cicero en Norvège ou Vi-geo en France. Ils vérifient aussi que les chantiers promis sontbien réalisés. « Avant d’acheter desobligations vertes, nous étudions en détail les projets, indique de son côté Marc Briand, de la sociétéde gestion Mirova, filiale de Na-tixis. Nous avons déjà dit non à dessociétés immobilières américaines qui voulaient nous vendre des green bonds, mais dont les futurs immeubles n’auraient pas été aux meilleurs niveaux d’efficacité éner-gétique. » p

denis cosnard

Selon

l’organisation

Climate Bonds

Initiative,

53,2 milliards

de dollars

ont été levés

en 2014

USA

Autres

(Canada,

Chine,

Kazakhstan,

Mexique,

Norvège...)

Russie

DontArabie saoudite

PRODUCTION MONDIALE DE PÉTROLE,

EN MILLIONS DE BARILS PAR JOUR

SOURCES : OPEP, EIA

30

109,3

40,7

10

Organisationdes pays exportateursde pétrole

Total

90

Ali Al-Nouaïmi (troisième en partant de la droite), ministre saoudien du pétrole, à Abou Dhabi, en décembre 2014. MARWAN NAAMANI/AFP

Total emprunte aux Chinois

Total ne peut plus financer ses projets russes en dollars en raison des sanctions économiques frappant la Russie pour son interven-tion en Ukraine. La compagnie française a donc décidé de lever l’équivalent de 10 à 15 milliards de dollars (13,64 milliards d’euros) auprès d’investisseurs institutionnels chinois pour le gi-gantesque projet de gaz naturel liquéfié de Yamal, dans le Grand Nord, a annoncé son directeur général, Patrick Pouyanné, dans un entretien publié lundi 23 mars par le Wall Street Journal. Le fi-nancement se fera à la fois en euros et en yuans, a-t-il précisé, admettant que l’opération comporte « des risques de devises » que l’on n’a pas avec le dollar, monnaie de référence dans le sec-teur pétrolier. M. Pouyanné espère conclure un accord mi-2015. Yamal LNG, qui doit entrer en production en 2017, est conduit par le groupe privé russe Novatek (60 %) avec ses partenaires français Total (20 %) et chinois CNPC (20 %) pour un coût estimé à 27 milliards de dollars.

Page 39: Monde 3 en 1 Du Mercredi 25 Mars

0123MERCREDI 25 MARS 2015 économie & entreprise | 5

Vivendi sommé de partager sa cagnotteUn fonds activiste américain souhaite que Vincent Bolloré précise la stratégie du groupe

F amilier des manœuvresboursières, Vincent Bolloréne s’attendait sans doute

pas à un tel coup de Trafalgar. Lundi 23 mars, le fonds américain P. Schoenfeld Asset Management (PSAM) a déposé deux résolutionsauprès du directoire de Vivendipour réclamer une hausse du di-vidende versé aux actionnaires etun éclaircissement de la stratégie du géant tricolore, dont le milliar-daire breton préside le conseil desurveillance depuis juin 2014. Ces deux résolutions devraient êtreinscrites à l’ordre du jour de l’as-semblée générale de Vivendi, pré-vue le 17 avril.

« PSAM estime que Vivendi estnettement sous-valorisé du fait de sa trésorerie excédentaire, de sa politique de distribution inadap-tée et de l’incertitude liée à l’utilisa-tion à venir de ce capital », expli-que le hedge fund dans un com-muniqué publié lundi. Concrète-ment, le fonds new-yorkaisreproche à Vivendi d’avoir vendupour quelque 15 milliards d’euros d’actifs depuis dix-huit mois (SFR,GVT, Activision Blizzard, Maroc Telecom) mais de n’en reverser que 5,7 milliards à ses actionnai-res. « Aucune compagnie de la

taille de Vivendi ne dispose d’un telmontant de cash inutilisé, c’est anormal », explique au Monde Pe-ter Schoenfeld, venu à Paris dé-fendre ses positions.

Fort de 0,8 % du capital de Vi-vendi qu’il dit représenter, PSAM demande au géant des médias de redistribuer 9 milliards d’euros àses actionnaires. « Cela laisseraitencore une trésorerie excédentaire de plus de 5 milliards d’euros à Vi-vendi, largement de quoi lui per-mettre de continuer son dévelop-pement », assure M. Schoenfeld, dont le fonds dispose de 3,4 mil-liards de dollars d’actifs sous ges-tion. Surtout, celui que le Finan-cial Times surnomme le « Deal Ju-nkie » estime que l’action Vivendi restera sous-cotée tant que M. Bolloré ne précisera pas sa stra-tégie. A 22,90 euros, le cours de Bourse du groupe tricolore est loin de sa « valeur intrinsèque d’environ 25 euros à 27,50 euros par action », assure PSAM.

Nombreuses rumeurs

Pas impressionnée, la direction de Vivendi a réfuté par avance les arguments avancés par PSAM. « Le directoire dénonce les tentati-ves de démantèlement du groupe

(…) et réaffirme sa volonté de cons-truire un groupe industriel mon-dial, champion français des mé-dias et des contenus », a indiqué legéant tricolore dans un commu-niqué publié lundi, rappelant que M. Schoenfeld réclamait égale-ment depuis plusieurs mois lavente de sa pépite Universal Music. « Distribuer plus d’argentaux actionnaires réduirait consi-dérablement la marge de manœuvre du groupe, ce n’est pas ce qui est souhaité par la majorité d’entre eux », assure un proche de la direction de Vivendi. Pre-mier actionnaire de l’ex-Générale des eaux, M. Bolloré a récemmentporté sa participation de 5,15 % à 8,15 %, moyennant un investisse-

ment de 852 millions d’euros.Mis sous pression, l’industriel

bigouden, qui affirme vouloircréer un « Bertelsmann à la fran-çaise », pourrait néanmoins dire plus vite que prévu ce qu’il compte faire du trésor de guerre de Vivendi. Alors que le groupe martèle depuis des mois privilé-gier la croissance organique, denombreuses rumeurs circulent sur son intérêt pour le groupe Amaury (Le Parisien, L’Equipe, le Tour de France, etc.) ou pour La-gardère Active (Paris Match, Elle,Europe 1, etc.). En Italie, son nomest également cité pour monter à l’assaut de Telecom Italia, que M.Bolloré connaît bien pour avoirlongtemps été l’un de ses pre-miers actionnaires par l’intermé-diaire de Mediobanca. Déjà, l’es-pagnol Telefonica lui a cédé 5,7 % du capital de l’opérateur italien (plus 4,6 milliards d’euros en nu-méraire) en échange du brésilien GVT. Preuve que les choses bou-gent, Vivendi a pour la pre-mière fois reconnu lundi qu’il comptait mener « une politique de développement interne et ex-terne ambitieuse ». L’attente ne devrait plus être très longue… p

cédric pietralunga

Le directoire

du géant

des médias

dénonce

les tentatives

de

démantèlement

du groupe

13 000C’est le nombre de suppressions de postes que le groupe SNCF pourrait subir d’ici à 2020, assure un nouveau rapport, remis, mardi 24 mars, au comité central d’entreprise (CCE) de la SNCF. Le cabinet Secafi prédit une baisse des effectifs de 11 000 à 13 000 ces cinq prochaines années. Fin février, Degest prévoyait dans une étude, elle aussi remise au CCE, entre 9 000 et 10 000 suppressions de postes sur un effectif global de 150 000 personnes. Selon Secafi, le rythme de suppressions sur la période 2015-2020 sera plus proche de celui de la période 2005-2010 (– 14 200 postes) que de la période 2010-2015 (– 4 500).

ÉNERGIERubis se renforce en AfriqueLe groupe français Rubis, spé-cialisé dans la distribution et le stockage de produits pétro-liers, a annoncé, lundi 23 mars, le rachat d’Eres, un opérateur indépendant, spé-cialisé dans le transport de produits bitumineux, actif dans toute l’Afrique de l’Ouest. « La transaction prévoit l’ac-quisition immédiate de 75 % du capital, suivie d’un complé-ment de prix échelonné et du rachat du solde de 25 % dans trois ans », souligne le groupe. Rubis va débourser dans un premier temps 315 millions de dollars (288 millions d’euros). Le complément de prix ne pourra pas excéder 120 mil-lions.

CONJONCTURELe secteur privé français croît en marsL’activité du secteur privé français a crû en mars pour le deuxième mois consécutif, selon les indices PMI « flash » de l’institut Markit publiés mardi 24 mars. L’indice du secteur des services est res-sorti en baisse à 52,8, après 53,4 en février. Il reste cepen-dant au-dessus de la barre de 50, qui sépare croissance et contraction de l’activité, pour le deuxième mois consécutif. L’indice du sec-teur manufacturier a, quant à lui, progressé à 48,2 contre 47,6 en février, mais reste sous la barre de 50, signalant une poursuite de la contrac-tion sans pause depuis mai 2014.

L’appel à l’aide des fournisseurs de Numericable-SFRFace à la multiplication des plaintes, la société a accepté l’arbitrage de la Médiation inter-entreprises

suite de la première page

Selon le Syntec Numérique, le syn-dicat qui regroupe la plupart des fournisseurs et autres prestataires de Numericable-SFR, toutes les mauvaises pratiques déjà consta-tées avec plusieurs autres don-neurs d’ordre sont ici cumulées par l’opérateur.

« Nous avons été saisis par nosadhérents sur un certain nombre depratiques inadmissibles. Mainte-nant, nous attendons que la média-tion arrange les choses. Avec SFR, nous avions un client normal, dé-clarait récemment au Monde Guy Mamou-Mani, président de l’asso-ciation, c’est depuis le rachat que nous avons des problèmes. Je n’ai même jamais vu ça à ce niveau-là. »

Racheté en avril 2014 pour lasomme de 17,4 milliards d’euros, par Numericable, le cablô-opéra-teur du milliardaire Patrick Drahi, SFR est aujourd’hui très endetté (11,2 milliards d’euros). Le nouvel ensemble doit aujourd’hui rem-bourser 50 millions d’euros d’inté-rêts par mois. Il lui faut donc faire des économies drastiques pour dégager suffisamment de liquidi-tés et rembourser ses créanciers.

Parmi les nouvelles pratiques dé-noncées par les plaignants, on note l’arrêt du paiement des factu-res. L’idée serait de mettre les four-nisseurs dos au mur, les obliger à réduire leurs tarifs de plusieurs di-zaines de pourcent s’ils veulent être finalement payés. Ces métho-des concernent aussi bien les PME que les grands groupes. L’opéra-teur aurait, par exemple, demandéà Dalkia, filiale d’EDF spécialisée dans les services liés à l’énergie, de baisser ses tarifs de 80 %, sous peine d’arrêt définitif du contrat. L’entreprise a alors saisi le tribunal

de commerce avant d’abandonnerses poursuites, voyant que l’opéra-teur faisait machine arrière. Le fait qu’EDF soit un important client del’opérateur explique sans doute cette valse-hésitation.

A court de ramettes de papier

Certaines entreprises – comme Dalkia – tentent de résister mais le succès n’est pas toujours au ren-dez-vous. « Nous avons refusé de baisser nos prix de 30 % comme le réclamait Numericable-SFR et me-nacé d’engager une procédure », té-moigne le dirigeant d’une SSII. C’est alors que des discussions ont commencé. Pour éviter d’aller en justice, l’opérateur télécoms a pro-posé, pour arrêter les poursuites eten guise de fin de contrat, de ga-rantir en 2015 à cette entreprise 40 % de son chiffre d’affai-

res 2014… La PME pourrait déposerle bilan dès cette année, son acti-vité dépendant très majoritaire-ment de Numericable-SFR.

D’autres connaissent unmeilleur sort : un prestataire qui réalisait un audit technique s’est vu réclamer un rabais de 60 % sur sa prestation. Il a accepté à condi-tion de présenter son rapport ora-lement… SFR est revenu sur sa de-mande. La situation est telle que certains salariés conseillent même à leurs interlocuteurs qui seplaignent d’impayés d’adresser des courriers de mise en demeure. « Et le pire, c’est que cela marche », souligne un employé qui préfère lui aussi garder l’anonymat.

Au siège de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), ces pratiques ont eu des conséquences sur la vie quoti-dienne des employés : en décem-

bre 2014, les salariés se sont retrou-vés à court de ramettes de papier pour les imprimantes pendant une semaine. La direction n’avait tout simplement pas payé les four-nisseurs.

Celle-ci assume d’ailleurs parfai-tement une gestion rigoureuse

des coûts. L’objectif, assure un proche du dossier, est de dégager suffisamment de liquidités pour réinvestir dans le réseau. « Altice a une gestion rigoureuse des coûtsavec l’objectif de faire des écono-mies et de les investir dans les in-frastructures », explique-t-on à la

maison mère de l’opérateur. Selonun proche du dossier, l’opérateur adécidé de remettre tous les con-trats à plat et de les renégocier un par un. « Il y avait des situations absurdes où les prestataires n’avaient pas été remis en concur-rence depuis des années. Nous avons découvert que pour certains services, SFR payait plusieurs fois ce qui était acquitté par Numerica-ble », indique-t-il.

Internaliser le plus de fonctions

Ainsi, sous le règne de Vivendi, an-cienne maison mère de SFR, une cinquantaine de personnes pou-vait approuver des bons de com-mandes de plus de 100 000 euros. Aujourd’hui, ils ne sont plus que 3 à avoir le droit de signer des chè-ques de plus de 10 000 euros. Toute commande, quelle qu’elle soit, doit aujourd’hui passer par eux. Avec pour conséquence, selonles prestataires, un défaut de visi-bilité sur le volume d’affaires qui peut leur être consenti.

Le groupe a aujourd’hui la vo-lonté de réinternaliser le plus de fonctions possibles, notamment dans les divisions informatiques et la maintenance des réseaux. « La nouvelle direction est plus pro-che des réalités économiques que l’ancienne », justifie un proche du dossier.

L’opérateur conteste, parailleurs, ne pas payer ses factures. Et pourtant, selon le site Silicon.fr, Numericable-SFR accusait 400 millions d’euros d’impayés fin janvier. La médiation inter-en-treprises aura visiblement du pain sur la planche pour concilier des points de vue qui, à ce stade, sem-blent très éloignés. p

sarah belouezzane

et anne eveno

Parmi les

nouvelles

pratiques

dénoncées par

les plaignants,

on note

le non-paiement

des factures

Patrick Drahi, le président-fondateur d’Altice, le 18 mars, à Paris. MARTIN BUREAU/AFP

L’opérateur simplifie ses offres mobiles

Selon Les Echos et plusieurs sites spécialisés, Numericable-SFR s’apprête à lancer le 1er avril une gamme simplifiée de forfaits mobiles. Celle-ci tournerait autour de trois univers : entrée, moyen et haut de gamme. Les marques Red et Virgin Mobile sub-sisteraient mais deviendraient marginales. Baptisées « Univers Starter », « Univers Power » et « Univers Premium », ces nouvel-les offres s’échelonneront de 9,99 euros à 129,99 euros sans le terminal, et de 14,99 euros à 149,99 euros avec une subvention. L’opérateur devrait accorder plus d’avantages à ses abonnés fixes et mobiles. L’idée étant d’attirer le plus de consommateurs possi-ble vers la fibre.

L’objectif, assure

un proche

du dossier,

est de dégager

suffisamment

de liquidités pour

réinvestir dans

le réseau

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6 | dossier MERCREDI 25 MARS 2015

0123

Faut-il supprimer le statut d’autoentrepreneur ?

L’appel de Nicolas Sarkozy aux « petits cailloux » a aussitôt fédéré les acteurs du secteur pour réaffirmer la place de ces créateurs d’entreprise sur le marché du travail

AndreasKanellopoulos,

autoentre-preneur,

brodeur d’art,dans l’atelierqu’il partage

à Pantin.GWENN

DUBOURTHOUMIEU

POUR « LE MONDE »

par anne rodier

C’est Nicolas Sarkozy qui alancé la polémique. Levendredi 13 mars surFrance Bleu/France Info,il assure que le régime del’autoentrepreneur, resté

comme « un caillou dans [sa] chaussure », n’aurait été « une très bonne idée » que dans un contexte de crise. Et qu’aujourd’hui il re-présenterait « une concurrence un peu dé-loyale » à l’égard des artisans. Faut-il en dé-duire qu’il faudrait supprimer le régime des autoentrepreneurs ? Ne vaudrait-il pasmieux les promouvoir, comme l’ont fait nosvoisins britanniques et espagnols, comme une nouvelle forme d’autoemploi en atten-dant le retour de la croissance économique ?Les deux tiers des emplois créés durant lacrise au Royaume-Uni sont des autoentre-preneurs, dont de nombreux « cols blancs ».

Andreas Kanellopoulos, 46 ans, a créé sonautoentreprise de broderie en 2011. « Je suis dans un secteur fragile où les changements sont nombreux et fréquents. J’étais intermit-tent, j’aurais pu entrer à la Maison des artistes,mais je suis autoentrepreneur », dit-il. En France, on compte pas moins de 1,3 million d’autoentrepreneurs, dont 90 % perçoivent un revenu inférieur au smic après trois ans d’exercice, 460 euros par mois en moyenne selon l’Insee. Pas à plein temps, bien sûr, maisils sont très attachés à leur régime.

SIX ANS D’EXISTENCE

Créé par la loi de modernisation de l’écono-mie du 4 août 2008 et mis en œuvre le1er janvier 2009, le régime des autoentrepre-neurs devait, pour le gouvernement, boosterl’entrepreneuriat. Bien qu’il ait suscité un enthousiasme rarement démenti depuis sa création, il n’a pas été un réel tremplin pour l’entrepreneuriat. 51 % des travailleurs indé-pendants sont des autoentrepreneurs. Mais leur poids dans l’économie n’était que de 0,23 % du PIB fin 2012. Un rapport de l’Ins-

pection générale des finances pointe qu’en-viron la moitié n’enregistrait alors aucun chiffre d’affaires. Un an plus tard, ilsn’étaient plus qu’un petit tiers dans ce cas.

Pour l’emploi, le bilan est modeste, mais po-sitif. En 2014, chaque jour, 1 000 personnes ont créé leur autoentreprise. L’année 2015 poursuit sur cette lancée avec près de 42 000 créations à fin février, selon les der-niers chiffres de l’Insee. En cumulé depuis la création du régime, il y a six ans, un million d’autoentreprises sont toujours actives. Fin

2013, elles étaient 10 % de plus que l’année précédente, pour un chiffre d’affaires de 6,5 milliards d’euros, soit presque 30 % de mieux qu’en 2012, indique l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss).

Mais le turn-over est important. Dès 2011,la part des radiations (automatiques en l’ab-sence de chiffre d’affaires durant huit tri-mestres consécutifs) avait passé la barre des 200 000 par an. Le solde annuel des créa-tions-radiations d’autoentreprises était, à fin 2013, de 92 000… pour quelque 5,5 mil-

lions d’inscrits à Pôle emploi aujourd’hui.Les seniors sont la catégorie montante des

autoentrepreneurs. Des retraités ont adopté ce régime pour compléter une pension in-suffisante, d’autres pour poursuivre une ac-tivité. Ainsi, lorsque Gérard Delagrange, res-ponsable d’un site industriel de 140 person-nes, a été invité par sa direction à prendre sa retraite en 2009, il a voulu, à 62 ans, conti-nuer son activité. « Je me suis intéressé au ré-gime dès 2008. Je coachais alors mon rempla-çant depuis un an, mais il y avait encore dutravail pour deux. J’ai démarré mon activité d’autoentrepreneur à temps plein car l’entre-prise en avait besoin, mais je visais un temps partiel. Ce régime correspondait parfaite-ment à mes aspirations car je ne voulais sur-tout pas que ça se développe au-delà du temps que je souhaitais y consacrer. »

Pour GérardDelagrange, ce régime n’estpas destiné à encourager l’entrepreneuriat : « C’est plus de la poursuite d’activité. Pendant

le marché de l’emploi britannique s’est avéré plus flexible que prévu de-puis la crise de 2008. Au pire de la ré-cession, le chômage n’a pas dépassé 8,5 %. Il est redescendu à 5,7 %. En grande partie, la secousse économiquea été amortie par les bas salaires et par la hausse des emplois précaires, en particulier des autoentrepreneurs.

Entre 2008 et 2014, le nombre de Bri-tanniques avec un emploi a augmenté de 1,1 million de personnes, dont… 732 000 autoentrepreneurs. Les chan-tiers sont presque entièrement com-posés d’autoentrepreneurs. Maçons, peintres, électriciens… sont priés de se mettre à leur compte, même s’ils tra-vaillent pour la même entreprise pen-dant des mois. Il en va de même pour les personnes qui relèvent les comp-teurs de gaz ou d’électricité, ou celles

qui distribuent les colis vendus sur le Net. Les chauffeurs de taxi, les consul-tants, les journalistes pigistes sont tous aussi à ce statut. L’autoentrepre-neuriat touche même les cadres : de-puis 2008, on compte 237 000 direc-teurs ou cadres supérieurs supplé-mentaires qui utilisent ce statut.

Un statut simple à gérer

Résultat : 4,6 millions de Britanniques sont aujourd’hui des autoentrepre-neurs, soit 15 % de la main-d’œuvre du pays. C’est un record absolu depuis queces données statistiques ont com-mencé il y a quarante ans, même si cela reste proche de la moyenne euro-péenne. Cette situation ne traduit évi-demment pas un soudain élan entre-preneurial au Royaume-Uni, mais bienune hausse du travail précaire. Le mot

anglais parle de « self-employed » (auto-employé), qui n’indique aucun lien avec la création d’entreprise.

Pour l’employeur, ce statut est plussimple à gérer : pas de congés payés, pas de congé maladie, pas de congé maternité… Pas besoin d’abonder à un fonds de pension. Enfin, la renégocia-tion du salaire à la baisse est beaucoupplus facile. Depuis 2008, les revenus moyens des autoentrepreneurs se sont effondrés de 22 % en valeur réelle (corrigée de l’inflation), à 880 livres parmois en moyenne (1 200 euros).

L’une des tendances qui apparaît estque les Britanniques restent autoen-trepreneurs plus longtemps qu’avant la crise. Il était courant, même pendantles années fastes, d’avoir recours à ce statut pendant un ou deux ans, le temps de trouver un emploi plus sta-

ble. Mais avec la crise, beaucoup sont restés autoentrepreneurs, incapable de trouver un débouché ailleurs.

Une autre tendance est la hausse desautoentrepreneurs âgés de plus de 65 ans, dont le nombre a presque dou-blé depuis 2008. Les statistiques ne sont pas claires, mais cela pourrait êtrelié à la détérioration des retraites.

Mais depuis six mois, l’arrivée d’unesolide reprise économique a com-mencé à inverser la tendance. Le nom-bre d’autoentrepreneurs stagne et a même légèrement commencé à bais-ser. Il est cependant beaucoup trop tôt pour conclure que le bond de ce statut n’aura été qu’une parenthèse liée à la crise : après sept années, les habitudes de travail ont commencé à changer. p

eric albert

(londres, correspondance)

Royaume-Uni : les « self-employed », instruments du travail précaire

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0123MERCREDI 25 MARS 2015 dossier | 7

un an, mon ancien employeur fut mon client unique, les autres sont venus de mon propreréseau construit au fil de ma carrière. Avec lesinstitutionnels aussi, le contact n’a jamais été rompu. A bientôt 70 ans, je ne m’inscris pas dans le développement d’une entreprise », confie-t-il. 28,3 % des autoentrepreneurs ontplus de 50 ans, note l’Acoss. Et « la catégorie d’âge des plus de 55 ans est en très forte crois-sance », constate Grégoire Leclercq, le prési-dent de la Fédération des autoentrepreneurs(Fedae). Dans le dernier sondage de l’Uniondes autoentrepreneurs, réalisé en novem-bre 2014 auprès de plus de 1 000 entrepre-neurs, la moyenne d’âge était de 51 ans, con-tre 41 ans dans les statistiques de l’Urssaf pu-bliées un an avant.

Les autoentrepreneurs ne travaillent pastoujours à plein temps ; 40 % le sont, selon la Fedae. L’Insee estime qu’en moyenne 55 % des autoentrepreneurs exercent à titre prin-cipal. « Notre travail, c’est l’accompagnementdes autoentrepreneurs, pour renforcer le re-venu de ceux qui travaillent à temps plein », reconnaît Grégoire Leclercq.

Les revenus des autoentrepreneurs sontpar définition peu élevés, le régime étant pla-fonné à 82 100 euros de chiffre d’affaires an-nuel pour les commerçants et 32 900 pourles autres. C’est le cadre idéal pour développerle travail précaire. « Ce régime les pousse à ne pas se développer », critique Alain Griset, le président de l’Assemblée permanente des chambres de métiers et de l’artisanat. « Le ni-veau de bénéfice est lié à la régularité de l’acti-vité » et peut varier du simple au double se-lon les secteurs, constate l’Acoss.

UN TEMPS PLEIN AU SMIC

Marie-Odile Febvay, 53 ans, a toujours aimél’écriture. Après vingt-sept années passéesdans l’administration publique, elle a créé son autoentreprise d’écrivain public en 2009, à une trentaine de kilomètres de Lyon. Elle fait des CV, des biographies, de l’as-sistance administrative, des permanencesen centre pénitencier, relit des mémoires, et a développé depuis peu des ateliers d’écri-ture. « En six ans, je suis ainsi passée d’un trois quarts temps à un temps plein et je suis arrivée quasiment au smic. Comme j’ai suffi-samment de travail, je peux adapter mes ta-rifs à la prestation », se félicite-t-elle.

La qualité de l’emploi est le maillon faiblede ce régime qui comporte un double ris-que : une hausse de la précarité sur le mar-ché du travail et une perte de protection so-ciale pour les autoentrepreneurs. « C’était important pour moi de pouvoir me lancersans payer de charges tout de suite, confie Andreas Kanellopoulos, mais je ne m’attendspas à avoir beaucoup de retraite en ne payant

que 15 % de charges. » Un risque évidem-ment inexistant pour ceux qui sont déjà à la retraite, anticipée ou pas.

La question de la concurrence déloyale, dé-noncée par Nicolas Sarkozy, sous la prési-dence duquel le régime a été créé, a été engrande partie résolue par le rapport remis en 2013 par l’Inspection générale des finan-ces et celle des affaires sociales, puis par la loi Pinel de juin 2014, qui introduit de nou-velles obligations pour les autoentrepre-neurs. L’immatriculation est devenue obli-gatoire au Registre du commerce et des so-ciétés et à la Chambre des métiers. Les autoentrepreneurs payent de nouvelles taxes (taxe pour frais de chambre), doivent présenter patte blanche, c’est-à-dire faire la démonstration du métier qu’ils veulent exercer, et suivre un stage de quatre jours enchambre des métiers. « Ça permet auxchambres d’avoir la main sur la façon dont les projets sont montés, explique Grégoire Leclercq. Nous sommes arrivés à un pointd’équilibre », observe-t-il.

Alain Griset, lui, relativise. Il reconnaîtque « la loi Pinel a résolu une partie de laconcurrence déloyale, mais [qu’]il y a tou-jours une différence de traitement social et fiscal. C’est un problème pour certains collè-gues, car face à deux devis, celui de l’autoen-trepreneur sans TVA et celui de l’artisanavec TVA, le client choisit le moins cher. » Sadeuxième préoccupation, c’est qu’« il y abeaucoup d’entreprises moyennes et gran-des qui utilisent les autoentrepreneurscomme salariés déguisés ». Quelle que soitleur taille, les entreprises sont régulière-ment rattrapées par la justice. La cour d’ap-pel de Montpellier a ainsi condamné fin2014 la société Easycare à une amende de10 000 euros pour travail dissimulé d’uneemployée qui faisait les photocopies et du« soutien de bureau » sous le régimed’autoentrepreneur. En janvier 2015, lacour d’appel d’Orléans requalifiait la rela-tion entre la société Avanita et une autre,autoentreprise, en CDI à plein temps.

Sur le marché du travail, le régime trouve,bon an, mal an, sa vitesse de croisière, pour les compléments d’activité de profils divers : fonctionnaire préparant sa reconversion, re-traité actif, etc. Les professions intellectuelles s’en sont saisies, soit à l’entrée du marché du travail, soit en sortie prématurée. Ce sont dé-sormais, comme chez nos voisins européens,« les grandes entreprises qui recourent aux autoentrepreneurs pour sous-traiter des mis-sions », souligne François Hurel, président de l’Union des autoentrepreneurs.

« En ce moment, on assiste aussi à des pro-positions groupées d’autoentrepreneurs, des graphistes, des rédacteurs, qui s’associent

pour offrir des prestations pour la communi-cation des entreprises, par exemple », pour-suit M. Hurel. C’est ce qu’envisage Andreas Kanellopoulos : « Si j’ai un très grand projet de broderie, je devrai travailler avec d’autres autoentrepreneurs, explique-t-il, à moins que je change de statut pour avoir le droit de déduire mes charges d’investissement. Mais on n’en est pas là ! »

Et si le régime venait à être supprimé ? An-dreas Kanellopoulos s’inscrirait à la Maison des artistes, « mais ça entraînerait des com-plications », prévoit-il. Gérard Delagrange,

poussés par la crise économi-que, beaucoup d’Espagnols sontdevenus, ces dernières années, autonomos, « autoentrepre-neurs ». Avec un chômage frap-pant 25 % de la population active, et un marché très pauvre en offres d’emploi, beaucoup se sont persua-dés que pour avoir un job, mieux valait le créer soi-même. Chez d’autres, ce n’est pas un choix : ils ont été contraints à s’inscrire comme autonomo pour pallier laréticence des chefs d’entreprise à embaucher des salariés. Ce statut très ancien regroupe tous les tra-vailleurs indépendants, artisans, professions libérales et autres.

« Les patrons y voient parfois unemanière d’économiser les frais desécurité sociale et surtout ceux d’éventuels licenciements, ou en-core de faire baisser artificiellementles chiffres de la masse salariale afin d’augmenter la valeur de l’en-treprise », explique Sebastian Reyna, secrétaire général de l’Union des professionnels et tra-vailleurs autonomes (UPTA). Les syndicats estiment ainsi à 10 % le nombre de « faux autonomos » qui n’exercent leur profession qu’auprès d’un seul client.

Sur les 450 000 emplois créésen 2014, près de 75 000 correspon-dent à des nouveaux autoentre-preneurs. « Et 75 000 autres ont été embauchés par des autono-mos, ajoute Lorenzo Amor, prési-dent de la Fédération nationale des travailleurs autonomes (ATA). C’est-à-dire qu’un tiers des emplois

ont été créés grâce aux autono-mos. » Les travailleurs indépen-dants espagnols représententaujourd’hui 18 % des actifs en Es-pagne (contre 15 % avant la crise),soit 3,1 millions de personnes. Prèsde 400 000 d’entre eux emploientun ou plusieurs salariés. Au total,ils donnent ainsi du travail à700 000 personnes. « Les autono-mos sont des acteurs de la sortie dela crise, a déclaré le 16 mars la mi-nistre de l’emploi, Fatima Bañez.Sans vous (…), nous n’aurions ja-mais pu renverser la situation. »

Tous les secteurs concernés

Tous les secteurs de l’économie sont concernés par ce statut. Plus de 90 % des camionneurs sont autoentrepreneurs, qu’ils possè-dent ou non leur véhicule. Une grande partie des journalistes, souvent après avoir été licenciés lors de plans sociaux, retrouvent du travail comme free-lance, le sta-tut de pigiste n’existant pas en Es-pagne. Tout comme les artistes quine bénéficient pas d’un statut d’in-termittent du spectacle. Avocats, aides à domicile, architectes, éco-nomistes, agents commerciaux…complètent une liste sans fin de professions qui s’exercent, de plusen plus, par le biais de ce statut.

Conscient de cette transforma-tion, le gouvernement conserva-teur de Mariano Rajoy s’est attaquéà l’un des points les plus critiques :jusqu’à 2014, les autonomos devai-ent payer un minimum de260 euros tous les mois, avant

même d’avoir commencé à factu-rer, et peu importe le montant de leurs revenus. Aujourd’hui, durant les six premiers mois d’activité,cette cotisation est limitée à50 euros par mois, et elle n’aug-mente que progressivement pour ne s’élever à 260 euros qu’au bout de dix-huit mois (trente mois pourles moins de 30 ans).

D’autre part, il est aujourd’huipossible aux autonomos de perce-voir une indemnité en cas de mala-die, mais seulement après le qua-trième jour d’arrêt. Moyennant le paiement d’une cotisation supplé-mentaire d’environ 20 euros, ils ontaussi droit au chômage, mais seule-ment à partir de douze mois de co-tisation et pour à peine deux mois.

Il reste encore beaucoup à fairepour donner à ce statut les mêmes droits et bénéfices que ceux du ré-gime général de la sécurité sociale. Ainsi, si la cotisation sociale ouvreles droits à la santé gratuite et à uneretraite, celle-ci reste très modeste. En moyenne, les autonomos à la re-traite perçoivent une pension de614 euros par mois, contre plus de 960 euros en moyenne pour les sa-lariés du régime général.

« Le marché du travail change,souligne M. Amor. Je ne me permet-trais pas de dire si c’est bien ou mal, mais c’est dans cette direction qu’avance le monde : les relationsprofessionnelles sont en train d’être remplacées par des relations mar-chandes. » p

sandrine morel

(madrid, correspondance)

Les « autonomos » espagnols,champions de la création d’emplois

2009 2010 2011 2012 2013

2009 2010 2011 2012 2013

JE CESSERAIS

MON ACTIVITÉ

InformatiqueCommerce

sur les marchés

Art, spectacle Santé

JE POURSUIVRAIS

MON ACTIVITÉ, MAIS

MOINS FORMELLEMENT

NE SAIS PAS

JE POURSUIVRAIS

MON ACTIVITÉ SOUS

UN AUTRE STATUT

2009 2010 2011 2012 2013

SOURCES : ACOSS, URSSAF

Sondage OpinionWay réalisé du 22 octobre au 4 novembre 2014,

par téléphone sur un échantillon de 1 005 créateurs d’autoentreprises

créées il y a plus de 6 mois.

EN MILLIERS

CRÉATIONS

RADIATIONS

SOLDE

EN TRIMESTRE

AUTOENTREPRENEURS

EFFECTIFS EN FIN D’ANNÉE DES NON-SALARIÉS, EN MILLIERS (HORS RÉGIME AGRICOLE)

De plus en plus d’autoentrepreneursRÉPARTITION DES AUTOENTREPRENEURS PAR SECTEUR EN 2013, EN %

Un statut très présent dans le tout petit commerce, le spectacle et l’informatique

L’autoentreprise, une place originale sur le marché de l’emploi

EN % DU STATUT

EXEMPLE DE RÉPARTITION SUR 4 SECTEURS OPINION DES AUTOENTREPRENEURS

QUE FERIEZ-VOUS SI LE RÉGIME D’AUTOENTREPRENEUR

DEVENAIT MOINS INTÉRESSANT ?

NOMBRE D’AUTOENTREPRENEURS AYANT UN CHIFFRE D’AFFAIRES POSITIF

ANCIENNETÉ MOYENNE DE L’ENTREPRISE

De plus en plus solides

CRÉATIONS ET RADIATIONS D’AUTOENTREPRISES, EN MILLIERS

Même si la hausse ralentit

218

310379

622

611

729

738

819

882

911

167

398528

635721

335 409 319 334 319

2597 212 244 227

AUTRES SERVICES

PERSONNELS 4,6

SERVICES

AUX ENTREPRISES

22,9

SERVICES

AUX PARTICULIERS

28,5

AUTRES TRAVAILLEURS INDÉPENDANTS

AUTOENTREPRENEURS

TRAVAILLEURS INDÉPENDANTS

4,2

1,8

8,9

2,1

6,4

1,4

3,5

12,8

2,8 4,6 6,5 8,0 9,6

310 312

107 90 92

22,6

COMMERCE

AUTRES 1

56 %SERVICES

51

3612

1

INDUSTRIE

5,9

BTP

14,5

LE RÉGIME A UN DOUBLE RISQUE :

UNE HAUSSEDE LA PRÉCARITÉ

ET UNE PERTEDE PROTECTION

SOCIALE

lui, « arrêterait tout simplement », tout comme Marie-Odile Febvay, qui devrait se satisfaire de sa « retraite anticipée » et re-noncer à son activité, à 53 ans. L’Union des autoentrepreneurs, qui a posé la question àses adhérents, rapporte que si le régime de-venait moins intéressant, 51 % d’entre euxcesseraient leur activité, 36 % la poursui-vraient sous un autre statut, et… 12 % la con-tinueraient « moins formellement ». Suppri-mer le régime reviendrait donc soit à ré-duire l’activité, soit à encourager le travail« au noir », voire les deux. p

Page 42: Monde 3 en 1 Du Mercredi 25 Mars

8 | management MERCREDI 25 MARS 2015

0123

QUESTION DE DROIT SOCIAL

Une nouvelle transparencepour le financement des syndicats ?

I l est des spécificités françaises quant àl’argent des syndicats et du patronat.« Dans la plupart des pays européens,

les adhérents et l’autonomie financière qu’ils garantissent sont le fondement de lalégitimité des syndicats. » Cette formule ti-rée de « L’étude d’administration com-parée sur le financement des syndi-cats », réalisée en 2004 par l’Inspectiongénérale des affaires sociales, ne s’appli-que pas aux organisations profession-nelles dont les ressources propres ne re-présentent que 30 % environ des bud-gets.

Comme le souligne le rapport Perru-chot, « les syndicats de salariés ainsi que les organisations représentant les entre-prises, et plus généralement les em-ployeurs, de même que les indépendants,participent, au même titre que les partis politiques et les assemblées parlementai-res, au bon fonctionnement de la démo-cratie ». Cela grâce à « leur implication in-dispensable dans le dialogue social et laproduction de la norme conventionnelle dans le champ social », précise le rapportdemandé par l’Assemblée nationale en 2011, mais qui ne l’a jamais adopté.

Des accords collectifs ont organisé unprélèvement destiné au financement duparitarisme. De plus, syndicats et organi-sations d’employeurs sont rémunérés àdivers titres par l’Etat pour participer au fonctionnement des conseils de

prud’hommes, des institutions de Sécu-rité sociale, d’assurance-chômage, de la formation professionnelle, etc.

La loi du 20 août 2008 sur la rénovationde la démocratie sociale a aligné le statutdes organisations professionnelles surcelui des associations publiquement subventionnées en les obligeant à établiret publier des comptes annuels et à fairecertifier leurs comptes. La transparence financière est devenue un critère à part entière de la représentativité syndicale.

L’accord interprofessionnel du 17 fé-vrier 2012 relatif à la modernisation et aufonctionnement du paritarisme procède à une clarification et à une harmonisa-tion des règles applicables quant au rem-boursement des frais des administra-teurs.

Mais la loi du 5 mars 2014 sur la forma-tion professionnelle a mis en place, de-puis janvier, un nouveau prélèvement àla charge des employeurs, à hauteur de 0,016 % de la masse salariale et qui devraêtre versé à un fonds paritaire spécifique.L’association paritaire de gestion de cefonds de financement des organisations syndicales et patronales (FPF), qui aurapour mission de redistribuer ces recet-tes, « les éventuelles contributions volon-taires des organismes paritaires eux-mê-mes » et les enveloppes budgétaires éta-tiques qui y seront pour l’essentiel cen-tralisées, a été fondée début février. p

Les Cooc pour former les salariés et soigner la marqueLe « Corporate Open Online Course » personnalise les formations et favorise l’aspect collaboratif dans les entreprises

Après les universités,les Mooc (MassiveOpen Online Course)débarquent en entre-

prise. Inspirées par le modèle dela Khan Academy, écoles et uni-versités ont développé des pla-tes-formes de cours en ligne pour les rendre accessibles aux étudiants du monde entier. Afinde former leurs ressources hu-maines, les entreprises s’intéres-sent à leur tour à ce format d’ap-prentissage reposant sur la vidéoet la constitution de communau-tés virtuelles d’étudiants. SFR, Renault ou encore Pernod Ricardsont parmi les premières à avoirmisé sur les Mooc d’entreprise, rebaptisés pour l’occasion Cooc (le « c » de « corporate » rempla-çant le « m »).

Expérience convaincante

« Ce format moderne et attractif favorise l’engagement des sala-riés », estime Alban Marignier,directeur de la Pernod RicardUniversity. L’entreprise a fait ap-pel à un Cooc pour former ses sa-lariés au digital. Baptisée Digifit,la formation en ligne a été con-çue par Coorp Academy, l’une despremières sociétés à se position-ner sur le marché français des Mooc d’entreprise. Au menu, desvidéos bien sûr, combinées à du social gaming. Il s’agit de quizzen ligne mis à disposition des sa-lariés, qui peuvent se lancer desdéfis entre eux ou encore discu-ter sur un forum. « L’aspect ludi-que et collaboratif favorise le pro-cessus pédagogique », considèreM. Marignier. Un volet de data

analyse donne à l’employeur desstatistiques sur l’utilisation du module par les salariés.

Mis en place en octobre 2014 surl’Intranet du groupe, ce module a été utilisé par environ 2 000 sala-riés sur les 18 000 que compte l’entreprise. L’expérience a con-vaincu Pernod Ricard, qui prévoit deux autres formations sur lemême modèle : « On va “moocki-ser” notre charte professionnelleet mettre en place des Cooc de ges-tion de crise, une formation sur la-quelle on avait du mal à attirer dessalariés », indique M. Marignier.

L’apprentissage en ligne n’estpas une nouveauté : il y a bienlongtemps que les entreprises utilisent les outils numériquespour former leurs collaborateurs.Aux yeux d’Emmanuelle Rou-hou, consultante au sein du cen-tre de formation Demos, l’acro-nyme « Cooc » n’est toutefois pasqu’un habillage : « Contraire-ment au e-learnig classique,conçu pour que le salarié ap-prenne seul au moment où il veut,les Cooc reposent sur l’idée decommunauté et d’échanges entre apprenants, souligne Mme Rou-

hou. C’est intéressant pour l’entre-prise, car cela fédère des commu-nautés de collaborateurs, y com-pris à distance. »

« La vraie évolution n’est pastechnologique mais pédagogique,confirme Jean-Marc Tassetto, le cofondateur de la Coorp Aca-demy. L’idée est d’apprendre avec les autres et des autres. Par exem-ple, les salariés qui atteignent le niveau expert sur le Cooc ont lapossibilité d’aider les autres ap-prenants. »

Coût réduit

La société, qui revendique plus de 200 000 utilisateurs sur sesplates-formes, compte parmi ses clients SFR, Renault ou encoreSchneider Electric. Elle conçoiten bonne part des formationssur mesure. « Par exemple, nousavons conçu un Cooc pour formerles salariés de Renault lors du lancement de la Clio RS », indiqueM. Tassetto.

Surtout, les Cooc permettent deformer un grand nombre de sala-riés pour un coût inférieur à celui des formations en face à face. « Cela revient à quelques euros par

apprenti », estime M. Tassetto. Le coût d’un Mooc s’échelonne entre 50 000 et 150 000 euros, amorti par le nombre de participants.

Des sociétés comme Companie-ros ou la start-up Unow propo-sent également des Spoc (Small Private Online Courses). Commeleur nom l’indique, ces modules s’adressent à un nombre plus ré-duit de participants pour un meilleur suivi. Le coût par utilisa-teur est donc plus élevé.

Loin de se limiter aux ressour-ces humaines, les Cooc se révè-lent aussi de puissants outils marketing. Pour faire parler d’el-les et inciter les participants à utiliser les produits de l’entre-prise, quelques-unes commen-cent à ouvrir leurs formations in-ternes au grand public, voirecréent des Mooc spécialementconçus pour lui. Microsoft ainauguré ce chantier il y a quel-ques années avec sa « Virtual Academy », une plate-forme gra-tuite de formation aux technolo-gies du groupe, qui compte plus de deux millions d’inscrits.Orange, qui a lancé en 2014 une solution pour aider les profes-sionnels à réaliser leur propre Mooc, a aussi ouvert au grand public plusieurs formations surle numérique conçues au départpour ses collaborateurs.

Reste aux Mooc d’entreprise àfaire preuve de leur efficacité. Lesformations en ligne classiquessont accusées de ne pas impli-quer suffisamment les salariés,laissés seuls devant leur écran. Les Cooc ne risquent-ils pas de souffrir des mêmes travers ? Se-lon plusieurs études, seulement5 % à 15 % des inscrits sur lesMooc universitaires achèvent la formation. « Si l’on veut qu’unmaximum d’apprenants aillentjusqu’au bout, il faut que quel-qu’un anime la communauté etrelance les échanges », conseilleMme Rouhou.

Pour éviter les déconvenues,M. Marignier conseille de bien choisir les thèmes de formation.« Chez Pernod Ricard, on ne ferapas de formation au managementen digital, par exemple, déclare-t-il. Sur certains sujets, il faut se réunir pour échanger. » p

catherine quignon

LE COIN DU COACH

par sophie péters

Marquer

de son empreinte

Les premiers pas dans une entreprise posent d’emblée la question de la trace qu’on y laissera. Ou pas. Nombreux sont les salariés de passage. Et la vie profes-sionnelle au long cours réserve des sur-prises. A commencer par celle de recroi-ser, ici ou là, un ancien collègue ou supérieur. Votre séjour doit donc se ré-véler suffisamment marquant.Deux ingrédients restent essentiels : écoute et dialogue. Certes, s’il s’agit de rendre vos compétences lisibles par un savant dosage de prise d’initiatives et degoût du travail bien fait, mais aussi de prendre part à la vie de la communauté de travail. Etablir le dialogue avec vos supérieurs et vos collègues peut se révé-ler déterminant dans leur désir de vous garder parmi eux. A condition d’être à l’écoute, c’est-à-dire d’être attentif à ne pas réagir, mettre de l’espace entre le message reçu et son propre message, s’il y a lieu. Et se laisser le choix de ré-pondre ou ne pas répondre, ou encore donner un délai à sa réponse. Echanger, partager, faites-vous confirmer certains points, même si vous êtes sûr de vous : c’est le meilleur moyen de ne pas paraî-tre arrogant. En cas de difficulté, vous serez jugé plus sévèrement sur votre in-capacité à communiquer que de vous être sorti seul d’une situation délicate. Ecouter une communauté de travail, c’est aussi la capacité d’apporter à l’en-treprise des changements bénéfiques sans pour autant s’ériger en trublion de l’ordre établi. Délicat équilibre entre faire et ne pas trop en faire. Il faut du temps pour qu’un collectif s’apprivoise à votre présence. L’idéal étant d’y laisser votre empreinte pour que votre nom appa-raisse un jour comme une évidence. p

¶Francis

Kessler

est maître

de conférences

à l’université

Paris-I-

Panthéon-

Sorbonne

ISABEL ESPANOL

universumglobal.com

Étudiants et expérimentés,sont-ils si différents ?Qui sont leurs employeurs idéaux et quels sontleurs objectifs de carrière ? Qu’attendent-ilsexactement d’un employeur ?

À découvrir dansLe Monde Eco&Entreprisesle 31 mars **daté mercredi 1 avril.

Page 43: Monde 3 en 1 Du Mercredi 25 Mars

0123MERCREDI 25 MARS 2015 idées | 9

par quentin gollier

J’avais l’habitude de penserque, si la réincarnation exis-tait, je désirerais revenir entant que président, ou pape.Maintenant, je veux revenir

dans la peau du marché obligataire :vous pouvez faire peur au monde en-tier. » Confronté à l’explosion des taux d’intérêt sur la dette américaine, le conseiller politique de Bill Clinton,James Carville, tonnait en 1993 par ces mots contre ce marché gigantes-que, mais très mal connu, qu’il soup-çonnait de chercher à déstabiliser son poulain.

Après deux siècles de désintérêttant de la part des politiques que desopinions publiques, les marchés de la dette sont revenus avec fracas au cen-tre des débats politiques et économi-ques dans l’ensemble des pays déve-loppés. Sept ans après les Etats-Unis,le lancement par la Banque centrale européenne (BCE) d’un vaste pro-gramme d’assouplissement quantita-tif (quantitative easing, ou QE) place à son tour le marché obligataire aucœur des politiques publiques de re-lance économique. Car leur manipu-lation par les institutions financièresmenace aujourd’hui, selon le Prix No-bel 2013 Robert Shiller, de pousser cemarché en ébullition dans une « cor-rection dramatique » qui pourrait bien entraîner dans sa chute tant l’en-semble des marchés financiers que l’économie réelle.

C’est la crise financière, suivie del’implosion des économies occidenta-les, qui a poussé les banques centrales à s’intéresser aux marchés obligatai-res. Face à la menace de voir les Etats-

Unis sombrer dans le marasme éco-nomique malgré des taux d’intérêt extrêmement faibles, Ben Bernanke, alors directeur de la Réserve fédérale américaine (Fed, banque centrale),prend, en 2009, la décision de déchaî-ner les capacités financières de son institution en rachetant massivement des titres de dette gouvernementale.

Le but de ce QE était d’expulser parla force les investisseurs de ce marché en achetant une quantité formidable de dettes : en augmentant ainsi leurprix, la Fed réduisait d’autant leur rendement, et amenait par ricochet les investisseurs à se rediriger vers les marchés d’actions et le financement des entreprises. C’est sur ce remède de cheval que la BCE compteaujourd’hui pour relancer l’économie européenne.

EFFETS DÉVASTATEURSEn renforçant la liquidité de l’ensem-ble des marchés et en augmentant drastiquement la quantité de mon-naie disponible dans le système finan-cier, cette politique a relancé rapide-ment les capacités d’investissement des entreprises. Mais ses effets de long terme sur l’économie réelle sont lents, et souvent difficiles à mesurer. De même, cette politique n’a que très imparfaitement réussi à créer de l’in-flation, malgré un engorgement sans précédent de masse monétaire.

Surtout, l’explosion de la demandepour une classe d’actifs restée cons-tante en quantité a créé des effets se-condaires dévastateurs sur les mar-chés de la dette. En effet, lesinvestisseurs traditionnels ont en partie redirigé leur capital vers les dettes souveraines des pays dits émergents ou en développement, derniers Etats à posséder une dette risquée, et donc rentable tant qu’il n’y a pas défaut.

Ce flot colossal a réduit le coût de ladette pour ces pays, les lançant dans un cycle d’endettement massif sans commune mesure avec leurs progrèséconomiques réels ou leurs réformes intérieures. Profitant de l’appétit des investisseurs pour les obligations pré-sentant un taux d’intérêt même peurémunérateur, des Etats comme l’Ar-gentine ou l’Equateur, qui avaient pourtant fait défaut sur leurs obliga-

tions il y a quelques années, sont alors de nouveau entrés en fanfare sur les marchés.

Mais la part désormais très impor-tante de dette émergente détenue par des institutions étrangères rend ces Etats vulnérables à la remontée des taux de la Fed, qui pourrait intervenir dès juin, et menace d’avoir un effetdésastreux sur leur capacité à refi-nancer leur dette lors du retourne-ment des marchés obligataires.

En parallèle, l’effondrement des ren-dements sur la dette souveraine des Etats développés a conduit les inves-tisseurs vers les classes d’actifs capa-bles de soutenir l’économie, mais sou-vent au détriment de la qualité desinvestissements. Les marchés améri-cains continuent aujourd’hui de bat-tre des records historiques ; le rugisse-ment du CAC 40 depuis l’annonce du QE européen fait écho aux bonds réa-lisés par les autres places boursièreseuropéennes – à nouveau sans vrai-ment de rapport avec la réalité écono-mique. De même, de probables bulles spéculatives se sont formées dans cer-taines sections des marchés améri-cains, dont l’invasion par des capitaux désœuvrés rappelle la ferveur de la fin des années 1990… avant le krach de la bulle Internet de 2000.

Poussé au bord de la crise de nerfspar les QE des plus grandes écono-mies mondiales, le marché obliga-taire apparaît ainsi, en surface, dompté par des banques centrales quilui ont imposé des rendements misé-rables pour un risque resté constant, formant ce que l’on peut appeler une bulle obligataire. Mais en déstabili-sant un marché aussi délicat, les ban-ques centrales ont pris le risque d’une explosion générale en cas de déséqui-libre ponctuel. Alors que la hausse destaux de la Fed se profile, le rééquili-brage à venir aura des conséquencescritiques sur les capacités des Etats et des entreprises à s’endetter, les inves-tisseurs préférant conserver leur capi-tal dans un environnement où les ris-ques de défaut resurgissent et où leseffets de levier sont utilisés sans su-pervision par de nombreux fondsspéculatifs, menaçant la solidité structurelle du marché. Sans doute aujourd’hui moins que jamais, les marchés obligataires n’ont pas fini d’intimider. p

¶Quentin Gollier

est économiste à Sciences Po

Les marchés obligataires au bord de la crise de nerfs

Les « assouplissements quantitatifs »ont accru les différences de tauxentre compartiments de marché,au risque d’un nouveau séisme financier

LES EFFETS DE LONG TERME DES

ASSOUPLISSEMENTS QUANTITATIFS SUR

L’ÉCONOMIE RÉELLE SONT LENTS, ET SOUVENT

DIFFICILES À MESURER

L’ÉCLAIRAGE

La crise fait-elle « le lit »du Front national ?

par philippe askenazy

Les optimistes voient dans lesuccès de l’extrême droitefrançaise au premier tour desélections départementales la

simple conjonction de deux facteursréversibles.

Le premier serait médiatique. LeFront national s’essaierait à uneimage de parti « normal ». Il saurait habilement surfer sur le besoin de sensationnalisme de certains médias,ou sur l’ambiguïté de déclarations, proches de ses propres thèmes, decertains responsables de partis ou degouvernement. Mais la suppression de quelques mots dans la phraséolo-gie antisémite de l’extrême droite française contre le monde de la fi-nance pour la rhabiller en un discoursanticapitaliste montre qu’il s’agit d’une démarche bien plus redoutablequ’une simple bulle médiatique.

Second facteur mis en avant, la crise.Un schéma politique assez simple sedessinerait autour de la question de l’immigration. Dans les pays euro-péens les plus durement touchés par la crise, l’idée d’une préférence natio-nale est incongrue. Avec près de lamoitié des jeunes actifs au chômage, la récupération des quelques pour-cents d’emplois « occupés » par des immigrés ne fera pas la différence.Idem, quelques euros économisés ensupprimant les prestations aux im-migrés ne pèsent pas lourd sur lescomptes de l’Etat-providence. Il n’est même pas besoin d’expliquer aux électeurs ce que les immigrés rappor-tent, en net, à l’Etat et à la protectionsociale. En Espagne comme en Grèce, l’électorat se tourne donc plutôt versdes alternatives situées à la gauche ra-dicale, qui ont su se démarquer des vieux partis communistes.

En revanche, dans les pays commela France, le Royaume-uni et l’Italie,qui ont subi une crise moins pro-fonde, une austérité budgétairemoins rude, et où le chômage est restécontenu, les discours anti-immigréspeuvent faire florès. Les spécificités

historiques génèrent seulement quel-ques nuances. L’Italie cumule ainsi une Ligue du Nord proche du Front national français et un Mouvement 5 étoiles plutôt proche des populistes du United Kingdom Independance Party (UKIP) britannique.

Dans un tel schéma, les partis degouvernement du Sud reviendraientau pouvoir dès que l’Europe aura,sous la houlette de la CDU allemande,étouffé toute tentative de politique degauche radicale. Quant à la France etau Royaume-Uni, il suffirait d’atten-dre une reprise économique pour quela droite populiste s’essouffle.

RAISONNEMENT FRAGILELes derniers sondages en Grande-Bre-tagne semblent donner raison auxoptimistes. Le pays a réalisé, en 2014, la meilleure performance économi-que parmi les grands pays industriali-sés ; le taux de chômage serait endeçà des 6 % ; la confiance des ména-ges est au plus haut depuis près d’unedécennie. Le UKIP avait culminé à 27,5 % des voix aux élections euro-péennes de mai 2014, et remporté desélections partielles en automne. Maisle voici annoncé dans les derniers sondages à moins de 15 % aux élec-tions parlementaires de mai. Les pré-visions économiques pour la Franceannonçant une reprise à 1,5 % en 2015,puis à 2,5 % en 2016, il n’y aurait donc pas de quoi s’inquiéter pour 2017 !

Ce raisonnement est toutefois bienfragile. En 2010, en pleine crise, leUKIP n’avait fait que 3 % aux électionsgénérales. Il est donc assuré d’au moins quadrupler son score en mai.Les dirigeants patronaux qui, outre-Manche, prennent leurs responsabili-tés en dénonçant le programme du UKIP ne sont guère entendus.Comme en France, les grands partis anglais s’engluent aujourd’hui dansdes débats sur l’immigration dont le UKIP donne le la, stigmatisant lesmusulmans et proposant même de supprimer des lois antidiscrimina-tion.

La solution est peut-être au nord duRoyaume-Uni. En démontrant que l’immigration est facteur de richesse et la discrimination son obstacle, af-firmant ainsi son courage politique par contraste avec une classe politi-que anglaise apeurée, le Scottish Na-tional Party milite pour une Ecosseencore plus ouverte. Or les sondagesmontrent qu’il pourrait remporter laquasi-totalité des circonscriptionsécossaises… p

¶Philippe Askenazy

est chercheur

au CNRS et à l’Ecole

d’économie de Paris

LETTRE DE LA CITY | éric albert

Faut-il payer les lanceurs d’alerte ?

Bradley Birkenfeld était, début mars,de passage à Paris dans le bureaud’un juge d’instruction du pôle fi-nancier. L’ancien employé d’UBS est

venu partager les informations en sa posses-sion sur la façon dont la banque suisse aidait, selon lui, des milliers de clients à échapper aufisc. M. Birkenfeld est ce qu’on appelle un« lanceur d’alerte », un « whistleblower », pour reprendre l’expression en anglais.

L’Américain a fait de la prison pour avoirparticipé lui-même à cette aide à l’évasionfiscale, quand il était banquier. Mais, en pre-nant le risque de dénoncer le système, il estaussi devenu riche, très riche. Les autoritésaméricaines lui ont versé 107 millions de dol-lars (97,9 millions d’euros), en échange de sa coopération. Quand le lanceur d’alerte a reçumon confrère Simon Piel, lors de son passageparisien, c’était dans un hôtel de renom, trèsluxueux. « C’est normal, compte tenu des mil-liards que le fisc américain a pu récupérer »,lui confiait-il.

Cet enrichissement des whistleblowers metmal à l’aise à la City. « Payer les lanceurs d’alerteest une incitation perverse, estime Simon Cul-hane, le directeur du Chartered Institute for Securities & Investment (CISI), un organismequi fournit des formations aux professionnelsde la finance. Le danger est, notamment, qu’ils

laissent la fraude enfler le plus longtemps possi-ble avant de faire connaître le problème, afin detoucher un maximum d’argent. »

L’argument est intéressant. Faire d’anciensfraudeurs des millionnaires parce qu’ils ontété assez malins pour sortir du bois juste à temps n’est clairement pas satisfaisant. A l’op-posé, pourtant, la situation des lanceursd’alerte au Royaume-Uni est souvent cho-quante. La plupart du temps, ceux-ci sont li-vrés à eux-mêmes, rejetés par leurs anciens collègues et par les autorités en même temps.Ils perdent leur emploi et se retrouvent sansressources.

« CHANGER LA CULTURE EN INTERNE »Paul Moore est un bon exemple. En 2004, ils’est fait mettre à la porte d’HBOS, une ban-que qui a fait une faillite retentissante cinq ans plus tard. A l’époque, il était chargé de l’évaluation des risques de l’établissementet il avait alerté le régulateur financier : selon lui, la banque allait droit dans le mur. Le régu-lateur a rejeté son avertissement, acceptant dans leur totalité les explications de la ban-que. Fin 2008, pourtant, l’Etat a été forcé de venir au secours de HBOS.

Sans emploi, déconsidéré, Paul Moore, quiétait un ancien associé du cabinet d’audit KPMG, n’a plus reçu une seule offre d’emploi

pendant une décennie. En 2009, quand la crise financière lui a donné raison, il était trèsamer, se sentant traité comme un pestiféré. Aujourd’hui, il a monté son entreprise de con-sultants et profite de son expérience pour faire sa publicité, mais la traversée du désert aété longue et douloureuse.

Ce genre de parcours n’incite pas à se fairelanceur d’alerte, c’est le moins que l’on puisse dire. Conscient du problème, le nouveau régu-lateur financier britannique, la Financial Con-duct Authority (FCA), a créé une équipe spé-cialisée dans la réception des plaintes des whistleblowers. L’effet a été immédiat : leurnombre a quintuplé depuis 2009, pour attein-dre 1 376 en 2014.

La FCA a récemment détaillé leur utilisa-tion. Sur un échantillon de 650 plaintes, lamoitié étaient sans véritable intérêt, maisl’autre moitié se sont avérées utiles, dont 124ont directement contribué à une action durégulateur. Le simple fait de prendre au sé-rieux les lanceurs d’alerte a donc eu un effetdirect.

En février, la FCA a décidé d’aller plus loin.Elle propose désormais d’obliger les entrepri-ses du secteur financier à mettre en place des procédures permettant aux employés de lan-cer l’alerte en interne. En revanche, elle re-nonce à créer une « obligation légale », obli-

geant les employés à lancer l’alerte. Pour Si-mon Culhane, du CISI, cette réforme va dansle bon sens : « L’idée est de changer la culturedes entreprises en interne. Il serait beaucoup plus efficace de les pousser à écouter les inquié-tudes de leurs employés. En arriver à un lanceurd’alerte, qui passe par la presse, est un échec. »

Certes. Mais cela revient à dire qu’il vaudraitmieux que les cambrioleurs respectent la loi.Ce n’est pas faux, mais pas très productif.M. Culhane reconnaît d’ailleurs que le whistle-blowing est parfois inévitable. Si les dirigeantsd’une grande banque ne veulent rien savoir quand on leur dit qu’ils prennent trop de ris-ques, ou qu’ils aident à l’évasion fiscale, il estalors inévitable d’alerter le régulateur, voire lapresse dans un second temps.

Pour cela, plutôt que de payer les lanceursd’alerte, le patron du CISI propose de créer un fonds d’aide, pour éviter que ceux-ci ne se re-trouvent soudain sans ressources : « Parfois, ilpeut s’agir simplement d’une aide de quelques mois, le temps de l’enquête. » L’idée est sédui-sante, et plus élégante que l’incitation finan-cière du système américain. Alors, acteurs dela City, êtes-vous prêts à financer un tel fonds,dont l’argent ira à ceux qui dénoncent vos propres dérives ? p

Twitter : @IciLondres

À L’OPPOSÉDES ÉTATS-UNIS,

LA SITUATIONDES LANCEURS

D’ALERTE AU ROYAUME-UNI EST SOUVENT CHOQUANTE

Page 44: Monde 3 en 1 Du Mercredi 25 Mars

10/LE MONDE/MERCREDI 25 MARS 2015 REPRODUCTION INTERDITE

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L’Association de Santé Mentale La Nouvelle Forgeintervient dans le secteur sanitaire et médico-social,

elle offre un dispositif diversiié de soins et

d’accompagnement aux personnes, enfants,

adolescents et adultes vulnérables (420 salariés,

une vingtaine d’établissements dans l’Oise,

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Son directeur Général (h/f)Poste basé à Creil - À pourvoir à la rentrée 2015

Missions : En lien avec le Conseil d’Administration et le Bureau, vous

êtes garant de la cohérence de la politique associative : stratégies de mise

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que de la qualité du dialogue social. Avec l’appui des services communs,

vous supervisez les budgets et contrôlez la conformité du fonctionnement

des établissements et services, vous assurez la coordination des

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collaboration avec les médecins et les équipes, vous optimisez la

structuration récente en pôles, vous poursuivez l’adaptation et le dévelop-

pement des dispositifs, vous impulsez et pilotez l’élaboration de projets

innovants.

Proil : Diplôme de niveau 1 exigé - Expérience de direction en sanitaire et

médico-social - Connaissance du droit du travail et expérience des relations

sociales.

Adresser votre candidature : CV avec photo, lettre de motivation,

copie diplômes et attestations de travail, avant le 20 avril 2015, à

TECHNE–conseil, 22 rue Auguste Beuneux, BP 10804, 53008 Laval cedex,

ou [email protected]

La Haute école d’art et de design - Genève (HEAD) met au

concours un poste de :

Professeur-eResponsable du Département Design Mode,

Bijou et Accessoires

Taux d’activité : 80-100% ou 50-60% (avec le concours

d’un-e adjoint-e)

Délai de candidature : 24.04.2015

Entrée en fonction : 01.09.2015

Pro/l détaillé du poste : www.head-geneve.ch

Les dossiers de candidature complets

(lettre de motivation, CV, copie des titres,

liste des publications) sont à adresser :

A l’attention de Jean-Pierre Gre4, Directeur

Haute école d’art et de design – Genève

Boulevard James-Fazy 15 – 1201 Genève

[email protected]

DIRECTEUR DE LABORATOIRE (h-f)POSTE BASÉ À CHATENAY-MALABRY (92)

L’Agence Française de Lutte contre le Dopage est depuis 2006 l’autoritépublique indépendante en charge de la lutte contre le dopage chez lessportifs professionnels et amateurs et de la recherche dans le domaine, enlien avec les pouvoirs publics et les fédérations sportives, avec, au cœur del’activité de l’Agence, le département dédié aux analyses et à la recherche,seul laboratoire français accrédité par l’Agencemondiale antidopage.Dansun contexte d’accroissement constant de son activité, l’AFLD rechercheaujourd’hui son :

Si cette opportunité professionnelle retient votre attention, merci

d’adresser votre candidature à [email protected]

avec la réf. FR723484/104 dans l’objet dumail.

Membre du collège de direction de l’Agence, le Directeur du départementdes analyses et de la recherche exerce son activité scientiique en totaleindépendance. Ses principales missions :

- Impulser et piloter l’activité du laboratoire sous tous ses aspects (analysesde routine comme recherche scientiique),

- En liaison avec le secrétariat général de l’Agence, déinir les orientationsbudgétaires et de ressources humaines,

- Suivre et être le garant des analyses scientiiques des échantillonsprélevés dans le cadre de la lutte contre le dopage à l’occasion decontrôles diligentés par l’Agence ou d’autres organismes,

- Suivre et être également le garant des projets de recherche scientiiquedans le domaine de la lutte contre le dopage, en lien avec les structuresuniversitaires et l’Agencemondiale antidopage,

- Etre le représentant scientiique de l’AFLD auprès des pouvoirs publics,des fédérations sportives, de l’Agencemondiale antidopage et des autreslaboratoires accrédités par cette dernière.

Vous justiiez d’une expérience professionnelle reconnue sur le planinternational dans un milieu scientiique similaire, notamment dans ledomaine de la chimie analytique et vous avez démontré votre capacité àdéinir une vision stratégiquede recherche. Vous savez fédérer des équipesautour d’unprojet ambitieux. Vous savez, en outre, faire preuvedediscrétionet avez le sensde la conidentialité. Par ailleurs, vous justiiez impérativementd’une habilitation à diriger des recherches (HDR ou équivalent étranger)pour pouvoir occuper cette fonction.

CONSEIL EN RECRUTEMENT

& GESTION DES TALENTS

Candidature (CV et Lettre de motivation) à transmettre à [email protected] de poste sur notre site www.cdg29.frDate limite de candidature : 19 avril • Entretiens au CDG le 29 avril

DIRECTEUR GÉNÉRAL DES SERVICES H/FEmploi fonctionnel (150 000 à 400 000 habitants)Cadre d’emplois des Administrateurs ou équivalent

Dans un contexte de réforme territoriale et de mutations stratégiques pour les collectivités, les Centres deGestion ont un rôle essentiel à jouer auprès des employeurs publics locaux : accompagnement, solutions inno-vantes… Ils vont devoir s’adapter à de nouveaux enjeux RH et de coopérations inter-CDG tout en optimisantleur fonctionnement. Vous constituerez donc une force d’analyses et de propositions innovantes, pour unservice publicmoderne et ambitieux.Manager et communicant confirmé, vous êtes une femme ou un hommededécision, àmêmed’incarner de solides valeurs en interne commeen externe, de fédérer une équipe (60 col-laborateurs permanents et 100 collaborateurs en intérim sur le terrain), de procéder à des arbitrages complexeset de fixer clairement les priorités. Vos compétences statutaires s’allient à une connaissance approfondie desacteurs institutionnels, en appui sur une première expérience de direction générale.

Vos principales missions : Vous accompagnez notre président et notre conseil d’administration (30 éluslocaux) dans la définition des orientations stratégiques. Vous mobilisez et développez le réseau de parte-naires. Chargé de piloter des projets structurants, vous vous attachez à les traduire en projet de service, àsuperviser leur mise en œuvre et à concevoir une organisation répondant à une exigence de service public.Vous managez l’équipe de direction et coordonnez l’activité des services. Vous intervenez en qualité deconsultant auprès des élus employeurs.

Basé à Quimper, leCDG 29 est le partenaire

RH des 450 collectivités duFinistère. Il accompagne les

élus dans leur rôle d’employeuret mutualise les moyens relatifs aux

ressources humaines.Initialement centrée sur le suivi descarrières, la bourse de l’emploi,l’organisation des concours et lesecrétariat des instances paritaires,son offre de services s’est très forte-ment enrichie. Elle s’étend désormaisà de nombreux secteurs: santé autravail, conseil en recrutement, auditen organisation, assurance statu-taire, retraite...

Notre CDG s’affirme aussi commeporte d’accès à l’emploi public localet à ses 250 métiers.

Pilotez et développez un établissement publicau service des employeurs finistériens

Le poste de directeur de Sciences Po Aix est àpourvoir à compter du 1er juillet 2015, pour un mandatde cinq ans, immédiatement renouvelable une fois.

L’Institut d’Études Politiques d’Aix-en-Provence est unétablissement public d’enseignement supérieur. Il est liépar convention à Aix-Marseille Université.

C’est une Grande École universitaire qui forme àl’exercice de fonctions de haute responsabilité, publiquesou privées.

Pour postuler, les candidats doivent avoir vocation à enseignerau sein de l’établissement.La candidature doit se composer d’une lettre decandidature et d’un curriculum vitae détaillé. Lescandidats ont également la possibilité de fournir uneprofession de foi et une lettre d’intention sous la formed’un projet argumenté pour l’établissement. Le formatde ces deux éléments est dé1ni dans l’arrêté d’appel à

candidature.Le dépôt des candidatures est ouvert jusqu’au 16 mai 2015.

UNE GRANDE ÉCOLE EN PROVENCE

Plus d’informations sur

www.sciencespo-aix.fr

DIRECTEUR (h/f)

SCIENCES PO AIX

recrute son

PRÉSIDENT DIRECTEURGÉNÉRAL - h/f

Crééeen2012dans lecadreduprogrammedes investissementsd’avenir, la SATT SUD EST développe la compétitivité desentreprises par l’innovation issue de la recherche publique desrégions PACA et CORSE. Véritable accélérateur du transfert detechnologies, soncœurdemétier est lamaturationdes inventionsissues des laboratoires de recherche régionaux sur les plansjuridique, économique et technologique. Elle recherche son :

Merci de faire parvenir votre candidatureànotre conseilHudson,

à l’attention de Maxim Peter, en indiquant la réf. FR724487/104

dans l’objet dumail à[email protected]

A la tête d’une équipe pluridisciplinaire de quarante salariésenviron, mandataire social, vous élaborez et mettez en œuvre,dans un dialogue permanent avec les actionnaires, la stratégiede la société dans le cadre du plan d’affaires approuvé par leConseil d’Administration. Vous êtes responsable de la gestionglobale de l’entreprise. Vous représentez la société vis-à-vis del’ensemble de ses partenaires, notamment institutionnels. Vousreportez à l’Assemblée Générale des actionnaires et au Conseild’Administration.

De formation supérieure à dominante scientiique, idéalementcomplétée par un MBA ou équivalent, vous connaissezparfaitement l’univers de la recherche publique et les processusde maturation et de transfert (mécanismes de protection de lapropriété intellectuelle, licensing, Start up).

Vous avez acquis une solide expérience dans la direction et ledéveloppement d’une structure et l’animation de réseaux departenairespublics/privés.Votreparcours vousapermis, enoutre,de travailler à l’international. Vos compétences managérialeset relationnelles affirmées, vos qualités de gestionnaire etd’organisateur, votre talent de négociateur vous permettront deréussir dans ce poste. Anglais courant indispensable.

CONSEIL EN RECRUTEMENT

& GESTION DES TALENTS

Etablissement homologué par l’Education Nationale (Maternellesà Terminales), recherche pour la rentrée 2015:

Enseignant spécialiséniveau primaire (h/f)détenteur du CAPASH,spécialité G sera un plus

Capacité et volonté de travailler auprès d’élèves à difficultés variées :adaptation scolaire, statut d’élève, troubles d’apprentissage,difficultés avec la langue orale et écrite, travail d’accompagnementdes familles.

Qualités essentielles requises:• Flexibilité quant au moded’intervention et aux difficultés des élèves • Désir et capacité detravail en équipe • Désir de développement professionnel• Contribution active au développement de l’équipe au sein del’établissement • Ouverture sur un milieu multi culturel etmultilingue • Connaissance et pratique de l’anglais.

Faire acte de candidature auprès des Ressources humainesvia le lien www.lfny.org/hr/teaching en complétant la grille derecrutement Web et en téléchargeant les documents nécessaires :Adresser lettre de motivation, CV, rapports d’inspection

Lycée Français

de New York

SA HLM DU COTENTIN

Bailleur Social de 6.000 logements

RECHERCHE

Un RESPONSABLE JURIDIQUE (h/f)Missions et activites principales :

• Assurer la sécurité juridique de l’entreprise • Contribuer au respect parl’Entreprise de ses obligations légales et réglementaires, des instances degouvernance (Conseil d’Administration, Assemblée Générale, Comités,…)• Apporter services et conseils à la Direction dans la conduite juridiquede ses projets, après en avoir vériié la faisabilité juridique aux vues desspéciicités statutaires et réglementaires des ESH • Assurer une veillejuridique sur les différents domaines d’activités de l’entreprise • Prévenirles risques concernant principalement 4 domaines : La Maitrise d’ouvrage,la Gestion immobilière, l’activité d’employeur, le fonctionnement et lagouvernance de l’organisme • Intégrer et anticiper la maitrise des risquesopérationnels en lien avec l’audit interne • Participer à l’amélioration dufonctionnement collectif et du cycle décisionnel de l’entreprise • Proposeret conduire des plans d’actions, et en piloter la mise en œuvre.

Compétences et qualités attendues :

• Adaptabilité, Rigueur, Réactivité • Analyse et synthèse • Autonomie• Excellentes qualités rédactionnelles.

Formation / expériences :

• Formation supérieure Bac + 5 dans le domaine juridique • Connaissancede l’environnement HLM et de son organisation • Expérience dansun poste similaire, ou dans l’exercice des missions déinies et descompétences demandées.

Adresser pour le 14 avril 2015 au plus tard, C.V. – lettre de motivationmanuscrite et prétentions salariales à Monsieur le DIRECTEUR, S.A. HLMDU COTENTIN, 17 rue Guillaume Fouace, CS 30131, 50101 CHERBOURG-OCTEVILLE ou @ : [email protected]

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Page 45: Monde 3 en 1 Du Mercredi 25 Mars

& CIVILISATIONS

&CIVILISATIONS

N° 5 AVRIL 2015

L’ARMÉNIEDEUXMILLEANSDERÉSISTANCE

ALEXANDRELEGRANDLACONQUÊTEDEL’INDE,

SONRÊVE INACHEVÉ

THERESED’AVILAELLEABOULEVERSÉL’ESPAGNEDUSIÈCLED’OR

STONEHENGECEQU’ONCOMMENCE

ÀCOMPRENDRE

IRAKC’EST LEPATRIMOINE

DEL’HUMANITÉQU’ONASSASSINE

´´ `

CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX

Chaque mois, un voyage à travers le tempset les grandes civilisations à l’origine de notre monde

Page 46: Monde 3 en 1 Du Mercredi 25 Mars

12 | MÉDIAS&PIXELS MERCREDI 25 MARS 2015

0123

« La Provence » réduit ses effectifs et ses éditionsUn plan de sauvegarde de l’emploi sera présenté, le 25 mars, aux salariés du quotidien de Bernard Tapie

marseille - correspondance

Une soixantaine de dé-parts, la fusion de plu-sieurs éditions loca-les, une hausse du

prix de vente du quotidien : le plan de sauvegarde de l’emploi de La Provence, doublé d’un planstratégique de développement, sera détaillé mercredi 25 mars àMarseille devant les représen-tants du personnel, lors d’un co-mité d’entreprise extraordinaire. Il cible des économies tous azi-muts et une réorientation des équipes rédactionnelles sur l’in-formation régionale.

Le groupe de presse, installé àMarseille et propriété de BernardTapie, vit depuis plusieurs annéesune forte érosion de son lectorat.En décembre 2014, il vendait moins de 108 000 exemplairespar jour. Depuis 2010, le quoti-dien a perdu plus de 17 % de seslecteurs. L’an dernier, il a égale-ment vu ses recettes publicitaires fondre de 14 % et fait face à une si-tuation économique compliquée. « Grâce à des reprises de provi-sions, nous avons fini 2014 presqueà l’équilibre… Mais il y a bien 3,5 millions d’euros annuels d’éco-nomies à trouver pour ne pas se re-trouver en situation d’urgence »,explique Claude Perrier, le nou-veau président directeur généraldu groupe, nommé le 20 février.

Les hésitations de M. Tapie

Dans un paysage médiatique mar-seillais en plein marasme – le quo-tidien La Marseillaise et le mensuelLe Ravi sont en redressement judi-ciaire, le site d’infos Marsactu a été liquidé le 4 mars –, La Provence n’a pas le choix : « Il faut réduire forte-ment les coûts et travailler sur une relance par les revenus », expose le patron du groupe, ancien direc-teur du réseau radiophonique France Bleu.

« La stratégie était identifiée de-puis juillet [2014], confie un haut cadre de La Provence, mais Ber-nard Tapie a beaucoup hésité… Il ne

savait pas trop ce qu’il voulait. » L’actionnaire principal, en diffi-culté dans le cadre de l’arbitrage del’affaire Crédit lyonnais-Adidas, a finalement donné son accord mi-février pour lancer les grandes manœuvres. « M. Tapie a forte-ment investi dans le plan de relancedu journal », assure M. Perrier, sans vouloir donner de chiffres.

Diffusée sur trois départements,La Provence compte actuellement treize éditions locales différentes. Une poignée d’entre elles de-vraient être fusionnées pour ré-duire les coûts d’impression, no-tamment dans le nord du Vau-cluse, le pourtour de l’étang de Berre ou la zone Aubagne-La Cio-tat. Cette réduction doit permettreau journal, imprimé dans son siège sur ses propres rotatives, de faire également baisser les effectifsd’ouvriers du livre qu’il emploie quotidiennement.

« La baisse des effectifs du journalest une obligation… Mais nous fe-rons tout pour qu’elle se déroule

uniquement sur la base du volonta-riat », assure Michel Clau, le direc-teur des ressources humaines. Comptant actuellement 700 sala-riés – 950 en intégrant les effectifs de Corse-Matin, également posses-sion de M. Tapie –, La Provence viseune soixantaine de départs, dans tous les secteurs de l’entreprise : administratif, technique et rédac-tionnel. « Le dialogue social a déjà été fructueux », assure, à ce sujet, M. Perrier. Un avis que ne parta-gent pas forcément les syndicats. « Nous manquons encore de visibi-lité, tempère Romain Luongo, res-ponsable FO journalistes. Notam-ment sur le nombre de réunions de négociation que nous aurons et sur la façon dont la rédaction sera réor-ganisée. »

S’il souhaite concentrer le nom-bre de ses éditions locales, le quoti-dien du sud-est promet que le con-tenu ne subira pas de nouvelle cure d’amincissement. « Nous sommes persuadés qu’il y a encore une place pour le papier, à condi-

tion de jouer la carte de la valeur ajoutée », note M. Perrier. Depuis quelques mois, La Provence étudie toutefois la possibilité d’acheter des contenus nationaux et inter-nationaux à des quotidiens pari-siens. « L’hypothèse a été abandon-née, promet le nouveau PDG. Noussavons produire de l’information nationale. Il n’y aucune raison pourque nos équipes soient privées de cetravail, même si notre ADN, commec’était le cas pour France Bleu, est avant tout l’information locale. »

La nouvelle direction compteaussi beaucoup sur ses projets nu-mériques – « y compris la Web-télé et la radio » – et un secteur événe-mentiel qui a déjà rapporté 1,5 mil-lion d’euros en 2014. Une hausse du tarif de vente (1,10 euro actuelle-ment) est aussi prévue. « Nous avons atteint un tel niveau de lec-teurs que, aujourd’hui, les gens qui nous achètent encore ne sont plus sensibles à une petite augmenta-tion de prix », juge-t-on à la tête de l’entreprise. En 2014, une hausse a

déjà touché une partie des édi-tions du journal. « Il n’y a pas eud’effet marquant sur les ventes par rapport aux zones où nous avons gardé le prix inchangé », rappelle-t-on.

Le plan de réduction des coûts nedevrait pas frapper trop brutale-ment les effectifs de la rédaction de La Provence. Avec 39 départs chez les journalistes en 2014, à la suite du rachat par M. Tapie, le nombre des journalistes est tombéautour de 170.

« Départs volontaires »

« Un point bas », reconnaît-on à la direction du groupe, où l’on pré-cise que « des départs volontaires pourraient avoir lieu ». « Les jour-nalistes, c’est le cœur du réacteur », assure M. Clau, lui-même issu de larédaction.

Bernard Tapie a, semble-t-il,trouvé une autre manière de faire des économies sur le poste journa-listes. A sa demande, La Provence a décidé de remettre en cause les jugements de la Commission arbi-trale des journalistes fixant les in-demnités dues à une trentaine de salariés ayant quitté le groupe en 2014 en clause de cession.

« Lors des passages devant lacommission, nous avons prévenu que la situation économique de l’entreprise ne permettait pas de payer ces indemnités supplémen-taires aux salariés, explique M. Clau. Nous avons formé un re-cours en annulation contre l’en-semble des sentences devant la cour d’appel de Paris, ce que nous autorise à faire le code du travail. » « Nos décisions n’ouvrent droit à aucun recours ni à aucun appel », s’étonne-t-on à la Commission, où l’on assure que cette remise en question est inédite. La somme due par La Provence à ces salariés avoisinerait, selon le groupe, près de 2 millions d’euros. p

gilles rof

Révélations sur les drôles de pratiques de GoogleLe « Wall Street Journal » montre comment le moteur de recherche utilise, à son profit, les données d’autres géants du Web

san francisco - correspondante

S ur le moteur de recherche,la nouvelle a été enfouiesous l’actualité anecdotique

du jour. Mais pour les anti-Google,l’affaire a rang de « scandale ». Se-lon le Wall Street Journal, non seu-lement le groupe américain se li-vre à des pratiques anticoncurren-tielles, comme l’en accusent de-puis des années Microsoft etplusieurs autres compagnies, mais la FTC, l’agence fédérale chargée de la défense des consom-mateurs, a étouffé en 2013 les con-clusions de ses propres experts qui recommandaient d’engager des poursuites contre le géant de Mountain View (Californie).

Le quotidien new-yorkais faitétat, dans son édition du 20 mars, d’un rapport de 2012 de la FTC sur les méthodes de référencement pratiquées par Google, grâce à une requête présentée au nom de la loi sur la liberté de l’information (Freedom of Information Act), qui oblige les organismes d’Etat à

communiquer leurs délibérations au public. Les conclusions, prépa-rées par la section de la concur-rence, étaient, elles, destinées à rester à l’usage exclusif des com-missaires de l’agence mais elles ont été glissées « par inadver-tance » dans le lot des documents fournis, précise le quotidien.

Le rapport, long de 160 pages,constate que le moteur de recher-che favorise les services Google dans ses référencements, qu’il co-pie les données de ses concurrentscomme Yelp ou Tripadvisor, et exerce des pressions sur les an-nonceurs qui ne choisiraient pas sa propre régie, AdWords.

« Corriger cette injustice »

Exemple : les recherches de vols. Les résultats de l’outil de rechercheGoogle sont présentés « en prioritépar rapport aux autres sites de voyage », et cela « bien que Google offre moins de choix d’avions », in-crimine le rapport. Pour les ex-perts, il est clair que la compagnie de Mountain View a « nui à l’inté-

rêt des consommateurs et à l’inno-vation sur les marchés de la recher-che et de la publicité en ligne ». Dé-but janvier 2013, les cinq commis-saires de la FTC ont pourtant décidé de ne pas donner suite à cesrecommandations, à la grande sa-tisfaction de Google – qui a néan-moins concédé parallèlement cer-taines modifications, notamment sur AdWords.

Selon le Wall Street Journal, l’avisdes spécialistes de la division de la concurrence a été contré par celui des experts de la section économi-

que, qui ont mis en avant les en-jeux globaux d’une condamna-tion du géant américain. Si on en croit le New Yorker, la commission a surtout conclu que Google, s’il avait bousculé ses concurrents, n’avait pas attenté au principe même de concurrence, qui est la base de la loi anti-trust. Dans les cercles républicains, beaucoup sont persuadés que la FTC n’a pas voulu heurter un important con-tributeur des campagnes électora-les de Barack Obama.

La publication des éléments pré-liminaires du rapport a, quoi qu’il en soit, conforté les concurrents de Google, qui se plaignent depuis 2011 des pratiques de piraterie et d’intimidation du moteur de re-cherche. « Le rapport de la FTC con-tient des révélations spectaculaires sur la manière dont Google abuse de sa position dominante. Le gou-vernement a le devoir de corriger cette injustice », affirme Matt Reilly, un ancien membre de la FTCdevenu conseiller juridique de Fairsearch.org, une coalition anti-

Google qui rassemble une dou-zaine de sociétés dont Microsoft, Nokia, Oracle, Expedia, Hotwire…

Plutôt que Washington, d’autresregardent vers Bruxelles, en espé-rant que la Commission euro-péenne, qui a ouvert une enquête contre Google pour abus de posi-tion dominante en novem-bre 2010, va se saisir des nouvelles révélations. Certaines des compa-gnies lésées, très présentes sur le marché européen comme Yelp, ont lancé un site, « Focus on the User », qui prévient en quatre lan-gues que « Google + nuit à l’Inter-net » mais que « l’Europe a le pou-voir de changer la donne ».

Google représente les deux tiersdes recherches aux Etats-Unis et quelque 90 % en Europe. Comme l’écrit l’analyste Rob Enderle, « si Google ne veut pas subir le sort de laStandard Oil [le conglomérat pé-trolier qui fut éclaté en 34 sociétés en 1914], il va falloir qu’il cesse d’agircomme s’il devenait nécessaire de ledémanteler ». p

corine lesnes

Les concurrents

du moteur

de recherche

se plaignent,

depuis 2011,

de pratiques

de piraterie

et d’intimidation

Le quotidien marseillais, propriété de Bernard Tapie, a perdu 17 % de ses lecteurs depuis 2010. ROMAIN BEURRIER/REA

« Il y a 3,5 millions

d’euros annuels

d’économies

à trouver pour ne pas se retrouver

en situation d’urgence »CLAUDE PERRIER

nouveau PDG du groupe

INTERNETFacebook serait près de nouer un accord avec des médiasFacebook est depuis plu-sieurs mois en discussion avec de grands médias, dont le New York Times et le site BuzzFeed, selon un article publié dans le quotidien américain le 23 mars. Son ambition : héberger leur con-tenu directement sur sa pla-te-forme, pour améliorer l’ex-périence de ses utilisateurs. Les éditeurs bénéficieraient des revenus publicitaires et d’une meilleure exposition sur Facebook. Mais certains craignent de perdre le con-trôle sur leur contenu et les données sur leurs lecteurs.

SOCIALPoursuite de la grève à Radio FranceLes cinq syndicats de Radio France ont décidé, lundi 23 mars, de reconduire leur mouvement de grève illimi-tée pour le sixième jour d’af-filée, a-t-on appris de source syndicale. Toutes les radios publiques ont déjà été pertur-bées lundi, avec notamment l’annulation du « 7/9 » de France Inter.

« La Marseillaise » sera fixée le 7 avril

Le tribunal de commerce de Marseille a repoussé au mardi 7 avril sa décision sur le dossier de reprise du quotidien La Marseillaise. En redressement judiciaire depuis le 24 novembre 2014, le plus ancien journal de la cité phocéenne, qui fut créé en décem-bre 1943, et qui compte aujourd’hui 208 salariés dont 94 à la ré-daction, a suscité l’intérêt de deux repreneurs – les Editions des Fédérés et les Nouvelles Editions marseillaises. Ces deux structu-res ont d’ailleurs été récemment créées dans l’intention de sau-ver le journal. Ce dernier a terminé l’année 2014 avec près de 2 millions d’euros de pertes.

La nouvelle direction compte

sur ses projetsnumériques, « y

compris la web

télé et la radio »