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D.U. de formation à l’animation d’atelier d'écriture Université de Provence Module ECR D02. Cours d’Annick Maffre « L’Autre » Atelier d’écriture autobiographique Mémoire professionnel de Martine Tridon 2009 – 2010 A l’origine, petite enfant, il y eut la lecture d’albums : je me rappelle un petit livre illustré, dont l’histoire se passait à la ferme. A un moment précis de l’histoire, il me semblait parvenir à entrer dans le poulailler représenté, pour devenir la petite fermière et aller caresser les poussins. La réalité des dessins, devenant étrangement concrète, en trois dimensions, se substituait à celle qui m’entourait à ce même moment. Je renouvelais cette expérimentation, avec toujours autant de délice, de multiples fois, en basculant à volonté dans la réalité du livre. Et je quittais toujours les poussins avec regret, me consolant à la pensée prometteuse de ma prochaine visite. Cette métalepse magique, provoquée par ma rêverie d’enfant, n’est-elle pas une de mes premières expériences de projection ? Le livre arrivait ainsi à démultiplier la réalité et à m’offrir d’autres espaces à découvrir et à expérimenter. Cette anecdote représente ce qu’est pour moi la littérature : une porte ouverte sur d’autres mondes, expériences réflexions et rêves. Préadolescente, je me passionnais pour les aventures du « Club des cinq », heureuse d’être membre incognito de ce groupe d’enfants, et de vivre intensément avec eux, les enquêtes qu’ils menaient toujours avec succès. A l’adolescence, ce fut le choc des grands classiques : Camus, Dostoïevski, Sartre, Zola, pour ne citer qu’eux. Parvenue à l’âge adulte, d’autres rencontres littéraires essentielles jalonnèrent sans cesse toutes les étapes de ma vie, m’apportant des éclairages qui accompagnaient la succession de mes choix de vie : Marguerite Duras, marguerite Yourcenar,

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D.U. de formation à l’animation d’atelier d'écriture Université de Provence

Module ECR D02. Cours d’Annick Maffre

« L’Autre »Atelier d’écriture autobiographique

Mémoire professionnel de Martine Tridon 2009 – 2010

A l’origine, petite enfant, il y eut la lecture d’albums : je me rappelle un petit livre illustré, dont l’histoire se passait à la ferme. A un moment précis de l’histoire, il me semblait parvenir à entrer dans le poulailler représenté, pour devenir la petite fermière et aller caresser les poussins. La réalité des dessins, devenant étrangement concrète, en trois dimensions, se substituait à celle qui m’entourait à ce même moment. Je renouvelais cette expérimentation, avec toujours autant de délice, de multiples fois, en basculant à volonté dans la réalité du livre. Et je quittais toujours les poussins avec regret, me consolant à la pensée prometteuse de ma prochaine visite. Cette métalepse magique, provoquée par ma rêverie d’enfant, n’est-elle pas une de mes premières expériences de projection ? Le livre arrivait ainsi à démultiplier la réalité et à m’offrir d’autres espaces à découvrir et à expérimenter. Cette anecdote représente ce qu’est pour moi la littérature : une porte ouverte sur d’autres mondes, expériences réflexions et rêves. Préadolescente, je me passionnais pour les aventures du « Club des cinq », heureuse d’être membre incognito de ce groupe d’enfants, et de vivre intensément avec eux, les enquêtes qu’ils menaient toujours avec succès. A l’adolescence, ce fut le choc des grands classiques : Camus, Dostoïevski, Sartre, Zola, pour ne citer qu’eux. Parvenue à l’âge adulte, d’autres rencontres littéraires essentielles jalonnèrent sans cesse toutes les étapes de ma vie, m’apportant des éclairages qui accompagnaient la succession de mes choix de vie : Marguerite Duras, marguerite Yourcenar,

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Romain Gary, Virginia Woolf, Carson Mac Cullers, J.D. Salinger, Andreï Tchekhov, Rabindranah Tagore, Sôseki, Yasunari Kawabata, Robert Walser, Yoko Ogawa, Erri de Luca, etc… Les auteurs sont mes compagnons de fortune et d’infortune, mes maîtres, mes amis et mes conseillers, me révélant des visions du monde qui élargissent la mienne, le long de mes chemins éclairés de leurs lanternes magiques. Ils m’ont appris à comprendre que la place que j’occupe est liée à ce que je suis et à ce que je sais faire. Le processus de l’écriture serait lié à la lecture par un mécanisme proche de celui de la respiration : ainsi l’inspiration correspondrait à tout ce que nous percevons et retenons des auteurs, et entrerait en résonnance avec tous les apports de nos expériences de vie. Notre esprit, oxygéné par ces nourritures vitales, aurait besoin alors d’expirer ce que nous pouvons ou choisissons d’écrire, avec des matériaux, mots et idées, accumulés parfois depuis longtemps, en strates successives. Ecrire c’est donner forme à nos perceptions du monde, en retraitant tout ce qui a été gardé consciemment et inconsciemment : cela surgit dans des nouveaux puzzles racontant le monde. D’abord on se laisse surprendre, mener et emporter par le flux des mots, qui émergent à l’état brut, pour être laissés tels quels ou bien retravaillés plusieurs fois. Ecrire c’est fabriquer des formes en rassemblant des éléments épars ou en en éparpillant d’autres, comme des graines à germer et à semer. C’est inscrire ses passages terrestres, en jouant avec les mots prévus et imprévus, et les regarder, vus d’avion, pour s’en instruire ou bien en rire. C’est aussi garder la trace de ce qui nous importe : les traces d’un être, d’un lieu, d’un moment. Ecrire c’est écouter sa voix et ouvrir des voies pour y chanter ses musiques : découvrir sa valeur. Quand j’écris, je vis en temps réel, j’adhère au présent, la main guidée par la dictée de la pensée. Le temps devient extensible : il se distend, se ralentit ou s’accélère. Les secondes s’épaississent ou s’amenuisent, au rythme des apnées et des respirations profondes ou saccadées de l’écriture. Quand j’écris, je me risque en me lançant, avec ou sans filet, pour voir comment ça rebondit et ça résonne, pour sentir le contact de l’air traversé de la trajectoire et pour me réfléchir dans les mots. Les forces qui me poussent à écrire sont celles qui me font explorer le monde, les êtres et moi-même, pour tâcher de saisir quelques bribes des mécanismes qui actionnent les rouages de vie, pour trouver des fils conducteurs à lier et à tisser, pour proposer des perceptions du monde qui fassent corps et sens. Mon envie d’animer des ateliers d’écriture est venue de ma pratique professionnelle. L’exercice canonique de la rédaction nécessite un ensemble complexe de compétences : le soin à apporter à l’élaboration des consignes d’écriture, données en liaison avec l’étude des textes étudiés en classe ou lus de façon cursive en autonomie, me semblait primordial. Les consignes sont élaborées en fonction des apprentissages et doivent agir comme des déclencheurs d’écriture. D’autre part, les réécritures successives des élèves, guidées par mes remarques inscrites dans la marge, donnaient naissance à des textes riches de forme, de sens et de symbolique. Je trouve passionnant de constater l’émergence des textes et la confiance que les enfants, même les plus en difficulté, arrivent à trouver en eux-mêmes, au fur et à mesure de l’année et des textes qu’ils écrivent. Lorsque je suis arrivée au collège Vallon des Pins, j’ai entendu parler de la journée de l’autobiographie, initiée par Philippe Lejeune, spécialiste universitaire de l’autobiographie, journée à laquelle participaient des élèves du collège. Je trouvais formidable que ces élèves des cités marseillaises, aux trajectoires de vie souvent très complexes, puissent accéder à une « tribune » où ils parleraient de leur vie individuelle. Et puis en 2003, je ne me suis plus contentée des devoirs d’expression écrite, et j’ai commencé à animer des ateliers d’écriture, dans le but de participer à cette journée : dans ces ateliers, lorsque les élèves écrivent leurs textes, ils sont heureux de s’exprimer et de découvrir ce dont ils sont capables d’exprimer, en dehors d’un contexte strictement scolaire. Du coup, reprenant confiance en eux et progressant en expression écrite, dans les ateliers, ils s’investissent souvent de façon plus affirmée dans leur travail scolaire. Mes ateliers ont été jusqu’à présent,

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majoritairement destinés au seul public scolaire, (mis à part l’animation d’un atelier d’écriture de contes traditionnels, en direction de mères d’élèves analphabètes, d’origine étrangère, dans un projet académique de « liaison parents – école », au début des années 1990). Mes projets d’écriture sont choisis d’une part en fonction du programme de la classe, d’autre part en fonction du thème proposé chaque année par l’Association pour le Patrimoine Autobiographique (APA), présidée par Philippe Lejeune, ou bien encore en fonction des projets culturels en co-animation avec des comédiens ou des vidéastes. A force de travailler l’écriture des enfants, la question de ma propre écriture émergeait subrepticement : une envie d’expérimenter et d’approfondir des textes qui, auparavant ne prenaient corps que sporadiquement. Et puis il y eut la découverte des ateliers d’écriture pour adultes : mon premier atelier eut lieu en 2003, l’année où je commençais à participer au projet de l’écriture autobiographique, dans le cadre de l’APA : ce fut une révélation. Se réunir en chair et en os, écouter des textes lancés comme déclencheurs d’écriture, être guidé par des consignes et contraintes, et écrire dans l’urgence du temps imparti avec le risque de lire son texte et d’entendre ce qui en est dit. Ce jour-là, j’écrivis comme grisée et prise dans une transe aussi soudaine qu’imprévue. Par la suite, j’ai souvent retrouvé cet état dans les autres ateliers d’écriture auxquels j’ai participé. De plus c’est l’occasion de faire partager ses goûts littéraires, d’écouter les textes des autres écrivants et de découvrir de nouveaux auteurs. Peu à peu, comme une gestation naturelle l’idée de suivre la formation du D.U. a germé en moi, pour approfondir et élargir mes pratiques pédagogiques, explorer plus intensément mon écriture par une pratique régulière, pour me préparer à animer des ateliers d’écriture pour grands adolescents, au lycée, et pour adultes. De mon point de vue l’être humain a un besoin vital, parfois terriblement enfoui ou occulté, de s’exprimer dans la création quelle qu’elle soit : écriture, théâtre, cinéma, peinture sculpture, musique, artisanat, etc… Pour en rester à l’écriture, il me semble que l’acte de création permet d’exprimer la singularité de sa vision du monde :« L’acte d’écrire convie au surgissement du je. Il exprime la résonnance particulière, singulière, de la parole qui fonde le sujet. »1

1 Joël Clerget, L’enfant et l’écriture, édit. Erès, 2002, p.138.

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1. Le contexte social et institutionnel J'anime des ateliers d'écriture depuis plusieurs années au collège Vallon Des Pins dans le quinzième arrondissement de Marseille où j'enseigne le français et le français langue étrangère depuis 2000. Ce collège d'enseignement public de l'Education nationale, classé en zone d'éducation prioritaire, placé à la tête du réseau ambition réussite, reçoit 589 élèves habitant dans les trois cités voisines: la Savine, la Solidarité, Kalliste la Granière, perchées comme des châteaux forts sur les collines environnantes, situées à plus de dix kilomètres du centre-ville, sont habitées essentiellement par des populations d'origine maghrébine ( première, deuxième et troisième générations) et d'origine comorienne (immigration beaucoup plus récente) et pâtissent d'un taux de chômage particulièrement élevé. Les enfants de la cité de la Martine et ceux des villas environnantes sont scolarisés dans des écoles et collèges privés. L'absence de mixité sociale, le sentiment permanent d'exclusion conforté par les difficultés des parents à trouver un emploi ou un meilleur logement et la recrudescence d'actes de violence, provoquent différents troubles dans les apprentissages et nombreux sont les élèves qui arrivent au collège avec des difficultés scolaires et comportementales. J'ai en charge les élèves de la classe de 6ème option arts plastiques et les élèves nouvellement arrivés en France (enaf) intégrés dans deux classes, une 6ème option musique et une classe de 4ème, et trois groupes d'élèves de 6ème bénéficiant d'heures spécifiques de remédiation de français (PPRE). J'ai proposé les deux ateliers d'écriture qui ont lieu dans ma salle, le jeudi et le vendredi de 16h30 à 17h30, l'un avec un groupe d’élèves volontaires de ma classe de 6ème et l'autre avec un groupe de niveaux très hétérogènes, d’élèves migrants (enaf) arrivés en France, depuis quelques semaines à cinq ans. Cela se passe dans le cadre de l'accompagnement éducatif où des professeurs volontaires proposent des activités éducatives, culturelles et sportives, tous les jours de 16h30 à 17h30 ou 18h30, à des élèves volontaires: aide aux devoirs, journal, théâtre, anglais, atelier d'écriture, batterie et sports. Depuis plusieurs années je participe à la journée annuelle de l'autobiographie, organisée dans l'amphithéâtre de la Verrière à la Bibliothèque Méjanes d'Aix-en-Provence, par le rectorat et l'Association pour l'Autobiographie (APA)2, qui a été créée en 1992 par Philippe Lejeune, auteur et enseignant de littérature à l'Université Paris-Nord, et Chantal Chaveyriat-Dumoulin, bibliothécaire à Lyon. Chaque année cette association propose un thème d'écriture, et cette année il s'agit du thème de «L'Autre», thème que j'ai décliné spécifiquement dans chacun de mes deux ateliers. Ce jour-là des collégiens et lycéens de l'Académie inscrits font une lecture publique des textes qu’ils ont écrits avec leurs professeurs. Ils peuvent aussi bénéficier des précieux conseils de la comédienne Dilia Lhardit, pour une mise en espace de leurs productions.

L'APA a plusieurs missions:- Réception, lecture et conservation de textes et documents autobiographiques- Description de ces textes dans une publication «Le Garde-mémoire »- Publication d'une revue « La faute à Rousseau » et des « cahiers de l’APA »- Groupes de lecture, d'écriture et de réflexion sur l'autobiographie- Collaborations avec la Bibliothèque Nationale de France pour l'archivage de journaux en ligne sur Internet et avec des associations européennes concernant l'autobiographie- Animation de stages de formation en collaboration avec le Rectorat d'Aix-Marseille- Expositions et manifestations annuelles 2. Le public Je reçois dans mon atelier d'écriture du jeudi un groupe de douze élèves migrants, volontaires et très motivés, huit garçons et quatre filles, venant très régulièrement: neuf depuis

2 APA, La Grenette, 10 rue A. Bonnet, 01500 Ambérieu-en-Bugey ([email protected] , http:www.sitapa.o)

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le début de l'année et trois inscrits en cours de trimestre. Ils sont âgés de 12 à 16 ans et scolarisés de la sixième à la troisième. Ils viennent d'Algérie, d'Arménie, d'Azerbaïdjan, de Mauritanie, du Sénégal et de Turquie. L'un d'entre eux, Serhat, a déjà participé en 2008 à la Journée de l'Autobiographie. Les autres n'ont jamais suivi d'atelier d'écriture. Leurs attentes sont multiples et variées. Cet atelier est d'abord pour eux un moyen de faire progresser leurs compétences de compréhension et d'expression à l'oral et à l'écrit, qu'ils savent essentielles dans leur apprentissage du Français. Ils apprécient aussi de se retrouver entre pairs, car le fait d'être venu d'un autre pays, les relie dans un groupe d'appartenance, contrebalançant l'extrême hétérogénéité de leurs niveaux d'acquisition de la langue française. Les deux cas extrêmes sont Abdoulaye, jamais scolarisé antérieurement en Mauritanie, et Esmira, arrivée l'année dernière d'Azerbaïdjan, qui a obtenu les félicitations aux trois trimestres. Dans mon atelier du vendredi, le groupe est constitué de sept élèves volontaires de ma classe de 6ème, quatre filles et trois garçons, dont trois inscrits en cours de trimestre. Ils sont âgés de 11 à 12 ans et ont été scolarisés dans les écoles avoisinantes. Leur niveau en expression écrite est bon pour la plupart d'entre eux à l'exception de deux frères jumeaux qui ont plus de difficultés (mais pas les mêmes!). A l'école primaire aucun d'entre eux n'avait participé à un atelier d'écriture. En revanche certains ont participé à des spectacles de fin d'année, et l'idée d'aller dire son texte en public à la bibliothèque Méjanes d' Aix-en-Provence, les a tout de suite enthousiasmés. Cet atelier est aussi pour eux l'occasion d'être en groupe restreint, de prendre la parole différemment qu'en cours et de créer d'autres liens que scolaires entre eux et avec leur professeur. Il est aussi inscrit, comme un module optionnel, dans le projet pédagogique annuel dont le thème abordé tout au long des séquences, traite des relations entre les filles et les garçons : l’objectif final est de créer un film d’animation sur le sujet, avec d’autres classes, dans le cadre des actions éducatives proposées par le Conseil Général.

3. La finalité de mon action Dans l'accompagnement éducatif et culturel les enseignants qui le désirent, interviennent auprès d'élèves volontaires, à partir de 16 heures 30, dans le domaine de l'aide aux devoirs ou dans celui de la pratique artistique et culturelle. C'est donc dans ce cadre que j'ai proposé à mes élèves, deux ateliers d'écriture autobiographique, où est traité le thème de « L'autre », en le déclinant spécifiquement pour chacun des deux groupes de participants, selon leurs besoins et leurs centres d'intérêt. Par cette action, je souhaite éveiller chez ces préadolescents et adolescents, l'envie et le goût de l'expression de soi, pour expérimenter leur potentiel créatif et affirmer leur personnalité.

a. Les buts des ateliers Ces deux ateliers offrent au sein du collège, un autre espace où les élèves écrivent des textes qui diffèrent de ceux des exercices d’expression écrite, recommandés par les instructions officielles du programme de français. Une fois par semaine, chaque petit groupe d’élèves se retrouve régulièrement, pour écrire des textes appartenant au genre autobiographique, dont certains seront sélectionnés et lus à la Journée de l’Autobiographie. Dans l’atelier des élèves migrants, je décline le thème de « L’autre », en résonnance avec leur expérience d’enfant ayant quitté le pays d’origine, pour tout reconstruire dans l’autre pays. Pour ces élèves, écrire des textes autobiographiques, c’est relever plusieurs défis : écrire dans la langue seconde pour raconter son projet migratoire, et exprimer les difficultés et les joies ressenties lors des découvertes du nouvel environnement (le collège, le quartier, la ville), et lors des rencontres avec les adultes et les enfants nés dans le pays d’accueil. Proposer cette thématique, peut leur donner l’occasion de réfléchir sur leur parcours, et leur offrir une forme de reconnaissance des efforts effectués pour l’apprentissage de la nouvelle langue. C’est aussi

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un moyen de chercher des réponses aux préoccupations qui les animent, et de mettre des mots sur leur expérience migratoire, le plus souvent vécue de façon très marquante. Pour mes élèves de sixième, je choisis de traiter le thème de « L’Autre », à propos des relations des filles et des garçons. Au seuil de leur adolescence, les élèves sont fortement interpelés par cette thématique, qui est aussi le fil conducteur de ma progression pédagogique annuelle de leur classe. En effet nous réfléchissons sur les relations qu’entretiennent entre eux, les personnages des textes abordés : contes merveilleux, textes documentaires sur l’Egypte Ancienne, pièce de théâtre contemporaine, L’Odyssée d’Homère. Dans de le cadre de cette action éducative, proposée par le Conseil Général, Dominique Fernandez, du Centre Simone de Beauvoir de Paris, est venue rencontrer mes élèves, pour visionner des courts métrages, évoquant les stéréotypes et les représentations de genre, dans notre société. La classe a participé activement, avec l’intervention de la vidéaste Marie-José Long de l’association Tilt, à la création d’un petit film d’animation traitant du sujet, (gravé sur un dvd et subventionné par le Conseil Général), à partir de textes, de dessins et d’interviewes, effectués en classe. A la fin de l’année, chaque élève de la classe a reçu un exemplaire du DVD du film d’animation, intitulé « Genre ! » Dans le contexte de ce projet de grande ampleur, l’atelier d’écriture trouvait toute sa place, comme un prolongement de l’exploitation du thème, pour les élèves les plus motivés, qui désiraient s’investir davantage et autrement : ils ont ainsi pu affiner leurs réflexions et leurs points de vue, en racontant leurs propres expériences, dans un groupe plus restreint que le groupe classe, où ne venaient que les élèves volontaires.

b. Les objectifs de travail- Stimuler l’imaginaire et favoriser la curiosité dans un climat de confiance- Créer un espace de réflexion et d’échange à propos de thématiques chères aux élèves- Faire émerger des textes personnels qui n’ont pas toujours leur place dans le cadre

scolaire- Valoriser les productions orales et écrites, et développer les compétences de maîtrise

de la langue- Eduquer à l’autonomie pour se lancer dans l’écriture, en surmontant la terreur de la

feuille blanche- Susciter un autre rapport au savoir en donnant envie de lire et d’écrire plus souvent- Développer la mémorisation de textes et s’entraîner à la lecture orale expressive- S’impliquer dans le déroulement d’un projet annuel qui se concrétise par les lectures

publiques, et l’édition des textes dans « Les Cahiers de l’APA ».

c. Les objectifs de résultatsLes savoirs - Apprécier l’objet livre et l’univers qu’il contient - Découvrir et lire des albums jeunesse et étendre ses intérêts à la littérature jeunesse - Se familiariser avec son écriture et se lancer avec plaisir dans ses textes - Comprendre les notions de stéréotype et de double-culture Les savoir-faire

- Comprendre un texte d’auteur et en proposer des interprétations et des commentaires - Ecrire des textes appartenant au genre autobiographique et les illustrer - Réécrire les premiers jets en améliorant l’aisance et la clarté des tournures de phrases - Dire ses textes dans l’amphithéâtre d’une bibliothèque en sachant intéresser son public

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Les savoir-être

- Découvrir des livres de sa propre initiative, au CDI, ou dans une bibliothèque - Nourrir et stimuler son imaginaire grâce aux histoires des albums et de leurs illustrations - Créer des textes originaux susceptibles d’intéresser les auditeurs et les lecteurs - Affirmer sa personnalité en sachant repérer les stéréotypes liés aux représentations de genre - Affirmer sa personnalité en vivant positivement sa double culture (pays d’origine et pays d’accueil)

d. Les critères et les indicateurs

- Le taux de présence des élèves et leur plaisir à venir - L’adhérence aux propositions d’écriture et la régularité des réécritures effectuées à la maison - L’impact des ateliers sur la scolarité (résultats, implication, efforts) - L’appréciation de leur travail par les parents et le public de la Journée de l’Autobiographie, constitué de professeurs et d’élèves de collèges et de lycées, ayant tous participé au projet - La facilité du montage des textes grâce au fil conducteur du thème et de la cohérence interne de l’ensemble des consignes

4. La description des deux ateliers d'écriture a. Le lieu des ateliers

Dernière heure de l’après-midi, fin des cours : cris d’enfants qui courent dans le couloir et se réjouissent de la fin de la semaine. Les élèves qui participent à l’atelier font une pause de cinq minutes dans la cour. La salle où j’enseigne depuis des années est un bateau encastré au fond du couloir. Quand je suis face aux élèves, le côté gauche est percé d’une rangée de hublots, donnant sur le vallonnement des collines parsemées de maisons individuelles, du cabanon à la bastide. Deux châteaux forts dominent et encadrent le paysage : ce sont les cités de la Solidarité et de la Savine. Ce paysage est à la fois tragique et rieur. Aboiements vindicatifs et cris d’oiseaux ponctuent curieusement ce qui se dit en classe : éclats de rire des élèves en écho. Le côté droit est recouvert de textes et de dessins de mes élèves de l’année dernière, qui attirent les regards songeurs des enfants et le mien aussi. Ces travaux affichés me rappellent chaque jour ce qui peut se créer. Mes élèves remontent l’escalier et l’atelier va commencer. Tous les regards sont neufs : ils sont empreints de curiosité et se réjouissent à l’avance des textes que je vais leur lire.Ils sont entre sept et dix, assis au bord deux rangées entre les quelles je vais circuler pour leur montrer les illustrations des albums. Répartis sur deux rangs dans l’espace, les corps soudainement plus denses et les yeux agrandis affirment leur singularité. Une élève me demande si j’ai déjà fait écrire d’autres élèves avec ces mêmes propositions d’écriture, écrites dans un agenda rose de collégienne, illustré de dessins humoristiques : ils se réjouissent de savoir que non, que ce sont des consignes inventées pour eux.

b. Le calendrier des séances Les deux ateliers ont eu lieu du 25 septembre 2009 à la fin de l'année scolaire et se sont déroulés en deux temps, l'écriture et la lecture orale des textes. Dix séances de lecture/écriture,

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en relation étroites avec des extraits des livres « Frédéric et Frédérique »3 et de l'album « Là où vont nos pères »4, la dixième séance ayant consisté par la découverte et la lecture du montage des textes. A partir du 5 février 2010 au 7 mai 2010, onze séances ont été consacrées à la lecture orale des textes. Les séances ont eu lieu dans l'amphithéâtre du collège. Sur ces onze séances, quatre ont été menées par la comédienne Dilia Lhardit : elle venait faire travailler les élèves en les conseillant à propos de leur diction, leur intonation, leurs mouvements et leurs gestes. Elle nous a donné de précieuses indications de scénographie pour la présentation de leurs textes à la journée de l'autobiographie du 11 mai. Ce jour-là était aussi celui du DELF, l’examen de français que passent les élèves migrants, qu’ils ont tous réussi ! Après autant d’efforts et d’émotions ils ont préféré arrêter l’atelier, ce qui peut très bien se comprendre. En revanche les sixième ont voulu continuer : trois séances d’écriture à partir des deux albums hilarants, sur les représentations stéréotypées de genre, « Moi, j’aime pas les filles » et « Moi, j’aime pas les garçons »5. Les séances suivantes ont été occupées par le bilan écrit des ateliers par les élèves, leurs illustrations des textes écrits pour le film d’animation, et la dernière répétition pour la fête du collège, « Rencontres de Vallon des Pins », le 17 juin. Ce jour-là, les parents ont découvert « Genre » le film d’animation crée en classe entière, sur les représentations de genre dans notre société, vues par les élèves. A cette occasion, les élèves ont interprété « Discussion entre amis : la vie selon les filles et les garçons ». De cette façon le projet de l’atelier d’écriture apparaissait en continuité du projet de réalisation du film, effectué en classe entière.

c. Les séances d'écriture Les neuf premières séances étaient rythmées en suivant la segmentation en neuf épisodes de chacun des deux livres. Au début de chaque séance je leur donne les textes précédents annotés de mes remarques dans la marge, pour une réécriture à effectuer à la maison et à me rendre pour l’atelier suivant. Je commence la séance par la lecture expressive d’un extrait du récit pour les 6ème, et par le visionnement d’un fragment thématique des illustrations pour les élèves migrants : les enfants découvrent avec avidité les nouvelles péripéties de l'histoire. Pour les 6ème j'interromps ma lecture pour leur montrer les illustrations, ce qui est prétexte à commentaires et fous rires de leur part. Pour les élèves migrants, l'album est constitué uniquement d'images, sans aucune parole. Ce sont eux qui, à leur grand plaisir, racontent oralement l'histoire qui se déroule le long des pages. Je circule devant leurs tables pour leur montrer de près les dessins qu'ils commentent à tour de rôle.

« Nous suscitons l’écrit en parlant à un enfant, en nous adressant à lui ce qui se faisant, constitue en lui l’adresse elle-même. L’adresse et son lieu… En parlant à l’enfant, nous ouvrons en lui le lieu de réception de la parole, le cœur de l’autre. Je m’adresse à un enfant, je le fais réceptacle de cette parole adressée, laquelle fore en lui un lieu où se reçoivent les paroles et d’où il va pouvoir s’adresser à d’autres en son nom propre, pour autant que son cri, son écrit plus tard, est reçu par un autre constitué lui-même en lieu potentiel de l’adresse. »6

3 Virginie Dumont et Michel Boucher, Acte Sud Junior, 1996

4 Shaun Tan, Editions Dargaud, 2007

5 Vittoria Facchini, collection Aux couleurs du monde, édition Circonflexe, 2001

6 Joël Clerget, ibidem, p.136.

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Ainsi se crée un va-et-vient entre la découverte des textes et dessins d’auteur, et l’écriture des élèves surgit en réaction, imprégnée d’images mentales des souvenirs qui affleurent à la conscience.

Après la découverte du nouvel épisode, il s’ensuit une discussion collective à propos des personnages, de leurs actions et réactions. Le support du texte ou de l’album est essentiel pour l’éveil de leurs souvenirs, en lien avec les péripéties des personnages. Tous les élèves migrants ont été très actifs dans cette phase d’oral, étant bien conscient de l’occasion qui leur était donné de prendre la parole :

« Dans l’apprentissage d’une langue étrangère, par exemple, ce n’est pas une deuxième compétence de communication, radicalement nouvelle, que l’apprenant va devoir développer : c’est sa compétence initiale qui va devoir s’assouplir, se varier, s’accroître, parce que la situation de communication comporte au moins un élément nouveau, la langue. Plus on se frotte à des situations variées, plus la compétence de communication grandit et se diversifie. » 7

Puis j'écris au tableau un ensemble de propositions d'écriture (en lien étroit avec les thèmes abordés et les péripéties du livre), parmi lesquelles ils choisissent celles qui les inspirent le plus.

« Il faut proposer et non imposer. On ne doit pas coincer l’élève dans une consigne pour lui dérangeante ou impossible. Il faut qu’il y ait des voies de dégagements, ou le choix entre deux consignes assez différentes, ou la possibilité d’interpréter ou de dévier la consigne. »8

Ils recopient les consignes pour mieux s’imprégner de ce qui leur est demandé, et pour qu’eux-mêmes et moi puissions nous repérer facilement dans leurs textes. Puis ils se lancent dans l’écriture, sachant que le temps imparti passe toujours très vite.A leur demande, je viens les aider s’ils ne trouvent plus d’idées : je relance leur écriture en repérant les mots, expressions ou phrases, méritant d’être éclaircis, explicités ou développés. Ils écrivent jusqu'à la fin de la séance.

« L’acte d’écrire convie au surgissement du je. Il exprime la résonnance particulière, singulière, de la parole qui fonde le sujet. »9

Pendant la séance les élèves écrivent chacun à leur rythme et leur envie d'écrire est stimulée par ma lecture du livre à voix haute, les illustrations et la contrainte du temps court de l'écriture. Certains écrivent des textes très touffus, et lèvent à peine le stylo, la tête penchée sur la feuille, comme sous l’effet d’une poussée de fièvre. D’autres écrivent rapidement trois lignes et m’appellent pour que je leur suggère des pistes. Je repère des mots ou des expressions, à partir desquelles ils me semblent pouvoir rebondir : et ils repartent dans le trajet de l’écriture, soudainement inspirés, jusqu’au bout du souffle des mots. Par moment ils

7 Michèle Verdelhan-Bourgade, Le français de scolarisation pour une didactique réaliste, coll. Education et formation, PUF, 2002, p.82.

8Philippe Lejeune, Enseigner à écrire l’autobiographie, in L’autobiographie en classe, sous la direction de Marie-Hélène Roques, coll. Savoir et Faire en Français, Delagrave et CRDP Midi-Pyrénées, 2001.

9 Joël Clerget, ibidem, p.138.

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me demandent de revoir un dessin ou une illustration, pour puiser dans cette source d’inspiration, les mots qui montent à la surface du souvenir.

d. La réécriture des textes par les élèves Je leur ai proposé une réécriture systématique de chacun de leurs textes à effectuer à la maison et à rendre à la séance suivante. Je récupère chaque texte à la fin de la séance et comme ils savent qu'ils doivent me le rendre à la fin de l'heure, ils arrivent à gérer convenablement leur temps d'écriture. Pendant les jours suivants, je lis attentivement chaque texte et écris dans la marge des remarques ou questions qui relancent et guident la réécriture. Les textes réécrits s'étoffent ou se reconstruisent pour mieux laisser émerger la singularité de l'écriture et du propos. « …l’écrit à produire se présente aussi comme un objet de dialogue, susceptible d’échanges, de navettes, d’améliorations, grâce au travail du langage oral comme à celui de la lecture. Cela suppose que, d’une certaine manière, l’écrit soit désacralisé, considéré comme une production langagière en constant perfectionnement, et non comme un objet qui doit être fourni comme le plus parfait possible dès l’origine. »10

Nous observerons si les quatre opérations de la réécriture, inventoriées par Claudette Oriol-Boyer,11ont pu faire évoluer leurs textes, et si le montage final a permis de conserver toutes ces transformations, en analysant chacun de leurs textes.12 Mais auparavant, rappelons-nous brièvement certains impacts des quatre opérations de la réécriture sur le premier jet de leurs textes :- L’ajout : dans leurs textes c’est l’opération que j’ai été amenée à leur demander le plus souvent, en écrivant des relances dans la marge de leurs textes. L’ajout vient éclairer le premier jet et permet à l’écrivant d’exprimer sa singularité en développant ses idées, en en montrant les paradoxes ou la complexité, et en exprimant ses sentiments et sensations. La concision de certains de leurs textes est souvent due à deux raisons. D’une part il y a toujours de la difficulté à parler de soi, difficulté qui n’est réservée ni aux élèves migrants, ni aux enfants et adolescents. D’autre part, la concision de certains de leurs textes est aussi due aux limites de leurs compétences d’expression écrite.« … Le décalage existe de manière importante entre ce qu’un élève est capable de comprendre et ce qu’il est capable de dire, que ce soit en langue maternelle ou non maternelle… »13 - La suppression : ce sont la comédienne et moi-même, qui en avons effectuées, pour respecter le temps imparti de leur performance lors de la journée de l’autobiographie, et mettre ainsi en valeur les idées essentielles du texte. Parfois la concision d’un texte pousse l’auditeur-lecteur à interpréter les faits évoqués et éveille son propre imaginaire.- Le déplacement : en changeant de place, certains éléments du texte deviennent plus cohérents et enrichissent l’éclairage des idées exprimées.- Le remplacement : en remplaçant certains termes par d’autres, le texte se précise et se singularise.

10 Michèle Verdelhan-Bourgade, ibidem, p.198-199.

11 Claudette Oriol-Boyer, La réécriture, Université de Cerisy-La-Salle, édit. Ceditel, Université de Grenoble-Stendhal, 1990.

12 Se reporter à la cinquième partie de ce mémoire : l’élaboration du texte « L’autre pays ».

13Michèle Verdelhan-Bourgade, ibidem, p.143.

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Toutes les relances ont pour but d’amener les écrivants à préciser et approfondir leur écriture : à ce moment-là ils bénéficient d’un regard extérieur et expert, qui repère les singularités du texte, et ouvre des directions qui puissent relancer l’écriture. Les relances créent un dialogue entre l’animateur et les écrivants. Les écrivants, qu’ils soient adultes, adolescents, ou bien enfants, ont souvent du mal à prendre du recul par rapport à leurs textes : les relances de l’animateurs sont donc très précieuses.« Je présentais aux enfants mes corrections comme un premier étalage d’un travail que seuls ils pourraient accomplir. Les mots employés étant les leurs, je leur proposerai de les défendre. Ce retour sur un texte écrit au hasard allait leur faire apparaître des mots comme des êtres vivants, comme des prolongements d’eux-mêmes. Ce travail de retour allait les conduire à une reconnaissance de leurs possessions, à l’agrandissement de leur territoire. »14

e. La sélection et la divulgation des textes Ecrire des textes appartenant au genre autobiographique, nécessite des précautions particulières lorsque les écrivants sont des collégiens, car la plupart d’entre eux s’y essaient pour la première fois. Ils ne savent pas toujours faire la part de ce qui peut être divulgué légèrement auprès des autres et ce qui doit rester pour eux-seuls ou entre eux et moi, parce qu’ils ont eu besoin de l’écrire pour eux-mêmes et/ou qu’ils ont eu envie de me le faire savoir. D’ailleurs quatre élèves m’avaient fait part de leurs réticences à propos de la divulgation de certains de leurs textes, et je les avais aussitôt rassurés en leur disant que même si ces textes avaient leur raison d’être et leur importance, ils ne seraient pas divulgués. Pour que les enfants s’inscrivent pleinement dans le projet, il était essentiel de leur dire que les textes sélectionnés allaient, d’une part, être dits en public par eux lors de la journée de l’autobiographie, et, d’autre part, être édités dans un cahier de l’APA, dans une édition commercialisée, présentant des extraits des textes dits ce jour-là, accompagnés d’ un CD d’extraits filmés des prestations orales des participants.

De plus, en attendant que le groupe soit soudé et confiant, je ne leur ai pas demandé de lire leurs textes systématiquement en fin de séance, pour préserver l’élan spontané de la parole, sans la crainte du jugement de l’autre. Les séances ne durant qu’une heure, ils auraient manqué de temps pour l’écriture de leurs textes. Je leur ai dit que les textes seraient retenus, uniquement avec leur accord. Au moment du montage, j’ai choisi les textes les plus singuliers et j’ai écarté ceux où ils se livraient de façon trop intime. Ils ont donc mutuellement découvert leurs textes, avec intérêt et enthousiasme, lorsque je leur ai remis le montage.

f. Le montage des textes Pour procéder au montage, il me faut d'abord sélectionner les textes : j'opère cette sélection en repérant les textes les plus singuliers, où les enfants ont réussi à exprimer des aspects marquants de leur personnalité et de leur vie, mais en écartant ceux où ils se sont exposés de façon trop intime. L'agencement s'est fait facilement sous la forme d'un dialogue, reproduisant en parallèle, le fil conducteur qui lie les images de l’album, dans une continuité de sens. Les morceaux choisis deviennent des répliques qui s'enchaînent dans une conversation, suivant le déroulement chronologique des événements. Les deux premières répétitions avec la comédienne lui ont permis de repérer les moments forts des deux montages. Elle m'a proposé de condenser chacun des deux textes, pour leur donner plus de force et de dynamisme, et pour rester dans la contrainte du temps imparti de dix minutes par groupe pour la lecture théâtralisée de la Journée de l’autobiographie. Nous avons fait ce travail ensemble, et c'est toujours très intéressant d'aller à l'essentiel. Avec cette

14 Elisabeth Bing, Et je nageais jusqu’à la page, réédition. Des femmes, 1993, p. 50-51.

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nouvelle version, les enfants gardent mieux l'énergie dans leurs échanges de paroles et les textes gagnent en force. Je leur choisis un titre : le texte des 6ème s'intitule « Discussion entre amis: la vie selon les filles et les garçons » et celui de l’autre groupe, « L'autre pays ».

g. Les séances de lecture théâtralisée Les élèves ont d'abord découvert le montage en le lisant dans leur tête. Puis ils ont proposé une première lecture, en se laissant guider par les barres obliques séparant les groupes de mots, qui indiquaient les respirations du texte. J'ai repéré les erreurs de prononciation et leur ai fait répéter plusieurs fois jusqu'à ce que le mot, l'expression ou la phrase, soient correctement prononcés, y compris les derniers mots des phrases qui ont tendance à être « avalés ». J'ai aussi insisté sur la nécessité de ralentir le débit de paroles qui est parfois si rapide que la compréhension en est parfois gênée.« L’enfant contrôlant mal ses émotions contrôle mal les muscles de sa bouche, du larynx et du pharynx qui permettent la déglutition et l’articulation des mots. »15

Lors des séances avec la comédienne, celle-ci a proposé une scénographie, en partant du sens des répliques et des propositions spontanées des enfants. Elle leur indique aussi les directions vers lesquelles ils doivent regarder ou se déplacer. Ce qui est difficile pour eux est de continuer à jouer, à rester présents quand ils ne parlent pas et ne bougent pas. Pour les aider à mettre le ton, elle leur pose des questions sur des fragments de texte, comme si elle n'avait pas bien entendu : devant sa feinte insistance, les enfants retrouvent la spontanéité de la parole, quand elle est dite pour la première fois.« Les difficultés de la lecture ne résident pas dans la reconnaissance des graphies distinctes, comme formes spatiales. Elles sont bien au contraire dans le système de correspondance entre la séquence graphique et la séquence parlée : ce qui fait que ces séquences graphiques sont du langage. »16

En effet les enfants avaient du mal à trouver le ton, qui est spontané dans la parole orale : il leur fallait retrouver et rebâtir la musique des mots, teintée des émotions, sensations, sentiments, et intentions, qui accompagnent et donne vie aux mots prononcés pour la première fois, sans que l’on y prenne garde, à ce moment-là du surgissement de la pensée et de la parole. Pour le groupe des élèves venant de l'étranger, lors de sa première séance, Dilia propose une modification au sujet de la distribution des textes. En effet dans un premier temps chacun lisait son propre texte. Elle demande à chacun de lire le texte d'un camarade en remplaçant le « je » par le « tu », exercice grammatical qu'ils réussissent très bien, au pied levé, ce qui nous a assez épatées. Cette modification a créé du lien entre eux et dynamisé tous les textes. Ils se disent leurs textes, deux par deux. Celui qui parle, regarde son camarade, qui lui, regarde le public. Cette indication scénique apparemment toute simple, lie le groupe et le public. Puis elle a demandé à deux garçons de faire des percussions entre chaque prise de parole, en tapant sur leur chaise des rythmes traditionnels de leur pays. Ce clin d'oeil à la culture d'origine ravit tout le groupe et valorise leur savoir faire. De plus chaque moment musical accompagne un mouvement de l'un des duos : celui qui est debou,t s'assoit sur la chaise où était son camarade. Chaque réplique est ainsi rythmée auditivement et visuellement. Pour le groupe des sixième, Dilia propose aux enfants de former deux groupes distincts, celui des filles et celui des garçons, représentant les petits groupes d'enfants que l'on peut apercevoir dans toutes les cours de récréation. Puis ces deux groupes vont s'ouvrir en demi-cercle et chaque enfant va s'adresser à un autre. Lors de la répétition entre nous, qui suit l'intervention de Dilia, Celia nous fait une bonne surprise en nous proposant une indication

15 Boris Cyrulnic, L’ensorcellement du monde, édit. Odile Jacob, 1997 p.46.

16 Joël Clerget, ibidem, p.125.

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scénique intéressante: celle de prendre par le cou deux camarades pour raconter son souvenir de dispute et de rivalité entre copines, en les regardant tour à tour, ce qui produit un effet plein de drôlerie. Nous gardons cette proposition avec la joie de la proposer à Dilia qui viendra une dernière fois pour le filage avant le 11 mai. Le 11 mai arrive et les élèves, entre trac et joie sont assis sur les gradins de l’amphithéâtre de la Verrière de la Cité du livre d’Aix-en-Provence, et attendent leur tour, en découvrant avec émerveillement les performances des élèves des autres établissements, qui ont traité le thème de « L’autre », à leur façon. Leur tour arrive : les sixièmes se sont dépassés et n’ont jamais aussi bien dit leurs textes, avec une si remarquable spontanéité. En revanche, les élèves migrants, submergés par le trac, sont décontenancés par un problème de micro qui empêche d’entendre certaines de leurs répliques. C’est vraiment dommage, mais curieusement leur prestation ainsi fragilisée par un problème technique, en a été presque plus émouvante encore. La co-intervention avec Dilia a été très enrichissante pour moi, car elle m’a apporté de précieuses indications pour la mise en espace et la diction d’un texte, en intéressant les élèves, qui découvraient une deuxième fois leurs textes incarnés et interprétés par leurs camarades. Nous répétions dans l’amphithéâtre du collège, ce qui les préparait à leur performance dans celui de la bibliothèque Méjanes, encore plus grand et de ce fait, beaucoup plus impressionnant. Quant aux élèves ils étaient enthousiastes de constater tout ce que Dilia leur apprenait, pour mettre en valeur leurs textes. Pendant la journée de l’autobiographie, ils ont pu ainsi découvrir comment chaque groupe de collégiens et de lycéens avait décliné le thème de « l’Autre », et combien le public, constitué par l’ensemble des professeurs et des élèves impliqués dans le projet, était attentif. Chacun était donc à tour de rôle, émetteur et destinataire de chaque performance. « Si je captive l’autre par une sonorité, une image, une mise en scène ou une parole, je concentre ses activités physiques et mentales sur la sensorialité que j’ai organisée à son intention. »17

Pendant cette journée, ils ont été poussés à se dépasser, car l’enchaînement des performances, tel un ensemble de joutes orales se succédant sur la scène de l’amphithéâtre, créait une émulation entre tous : le trac se mêlait à l’émerveillement dû à la découverte de chaque création, et à l’excitation que l’on ressent lorsque l’on attend son tour et que l’on s’aperçoit que le moment, que l’on désire et que l’on craint tout à la fois, approche inéluctablement. Quand c’est leur tour, nous nous dirigeons comme des funambules sur la corde, avec le cœur qui cogne dans tous les sens, comme un fou. Je suis à peu près dans le même état qu’eux !

5. L’élaboration du texte « L’Autre Pays » Je vais exposer la conceptualisation du montage des textes, intitulé « L’Autre Pays », écrit par les élèves migrants, et conçu pour la performance de lecture orale de la journée de l’autobiographie. Il contient une sélection choisie parmi leurs textes regroupés dans un livret imprimé, que chaque élève a reçu à la fin de l’année. Je choisis ce texte car c’est toujours une gageure de faire écrire des élèves qui ne maîtrisent pas encore la langue française, et qui plus est, des textes autobiographiques. Je vais suivre le cheminement de la création de chaque réplique du texte, pour repérer d’une part, comment l’enfant s’est approprié une proposition d’écriture, et d’autre part comment les choix se sont effectués pour le montage final 18qui s’est fait en deux temps.

17 Boris Cyrulnic, ibidem, p.96-97

18 On pourra se reporter aux textes aux deux étapes successives du montage, dans l’annexe de ce mémoire.

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J’ai d’abord effectué un premier montage, à partir de la sélection des meilleurs textes ; puis après l’animation de la première co-intervention avec la comédienne pour la mise en voix et en espace des textes, nous avons décidé, elle et moi de condenser le texte, pour ne pas dépasser les dix minutes imparties pour la journée de l’autobiographie. Le texte en est sorti plus dense et plus fort. En comparant les deux versions, on note que toutes les répliques de deux élèves n’ont pas été retenues. En effet Abdoulaye a déménagé pour une autre ville française dans le courant de l’année, et Serhat, n’étant plus motivé, n’a plus souhaité participé à l’atelier. L’enchaînement des répliques suit celui de certaines consignes d’écriture, conçues en lien avec les thèmes de l’album, « Là où vont nos pères ». Chaque réplique est dite à son auteur par un camarade, qui lui adresse son texte où le « je » est remplacé par le « tu ».

a. Le jour où j’ai quitté mon pays Les trois premières répliques ont été écrites lors de la première séance, en réponse à cette proposition d’écriture : « Je raconte ce que j’ai fait le jour où j’ai quitté mon pays. » Cette consigne a été conçue à partir des premières planches de l’album, où l’on voit le héros, en partance pour un autre pays, quitter sa maison, accompagné de son épouse et de sa fille, et se rendre à la gare. Une de ces vignettes représente en gros plan, les trois mains jointes des trois personnages, qui se séparent avant le départ du train.Voici le texte d’Adel :« Quand tu as quitté ton pays, l’Algérie, tu avais onze ans. Avant de monter sur le bateau, tu as dit à ton copain : « Fais attention et prends soin de toi ! » Et tu lui as fait la bise. Tu ne l’oublieras jamais de toute ta vie ! » Adel a quitté l’Algérie et est arrivé en France en 2005, avec sa mère et ses deux frères Ali et Karim, pour y rejoindre leur père. C’est un adolescent longiligne de dix-sept ans, souffrant de ses difficultés scolaires : il décroche, s’absente et pose des problèmes de comportement dans les cours. En revanche, il était très motivé par l’atelier, y voyant d’abord une occasion de progresser en expression écrite et orale. Pendant les ateliers, il prend souvent la parole pour commenter l’album, et il se lance tout de suite dans l’écriture, comme affamé, dès que j’ai fini d’écrire les consignes au tableau.« Dès qu’un homme parle, il poursuit ses développements organiques et sensoriels, par l’expansion de sa conscience, dans un monde désormais structuré par les récits. »19

« Dès la naissance, l’enfant travaille chaque jour à prendre la parole, pour inventer sa propre réalité et construire son individualité. »20

Dans son premier jet, Adel a sauté des lignes pour me laisser corriger son texte, mais il évoquait à peine son ami. Suite à ma relance, « Qu’as-tu fait avec ton copain ? », il écrit ce qu’il lui a dit lors de leurs adieux. Il a choisi de parler du copain qu’il laissait au pays, tout comme le héros qui se sépare de sa famille. A cette occasion, il lui adresse un serment de fidélité à cette amitié brusquement interrompue. Dans la première version du montage, Adel évoquait son père et ses deux grands-mères, de façon très succincte : dans le montage définitif, ne garder que ses adieux à son copain, les met ainsi en relief, et suggère le déchirement de l’enfant qui doit se séparer de son meilleur ami.Le montage se poursuit avec le texte d’Ali :« La veille de ton départ, tu as dormi chez ton cousin : tu as pleuré toute la nuit. Le matin tu as fait la bise à toute ta famille et à tous tes copains. Ensuite tu t’es caché sous le canapé, ton père t’a trouvé et tu as quitté l’Algérie. »

19 Boris Cyrulnic, ibidem, p.8.

20 Boris Cyrulnic, Ibidem, p.9.

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Ali, le frère d’Adel, a douze ans, de grandes difficultés de travail et de comportement, et un bon niveau à l’oral. Physiquement il ressemble beaucoup à son frère Karim et est aussi farceur que lui. Pendant l’atelier, il a complété son texte en répondant à mes relances. Mais, finalement je n’ai pas gardé l’évocation du pays, ni celle de la grand-mère, qui sera effectuée par son frère Karim. Ce texte est bref mais très émouvant, car il fait sentir toute la détresse d’un enfant, arraché à sa famille et à son pays : la concision de la réplique montre l’impact de du départ, sur un petit garçon qui ne veut pas partir. Dans l’album, la vignette représentant l’épouse du héros en train de pleurer, a peut-être autorisé Ali à évoquer ses propres pleurs. Ali m’a fait part de sa réticence à accepter de parler du canapé sous lequel il s’était caché : je l’ai rassuré en lui rappelant que cinq ans s’étaient écoulés depuis cet événement et qu’à l’époque un petit garçon de sept ans avait bien le droit de pleurer et chercher à fuir, dans une pareille situation. Je lui ai dit aussi que c’était important que les autres puissent ressentir le désarroi d’un enfant qui quitte son pays. Ces arguments l’ont rassuré, il m’a assuré que l’on pouvait conserver cette anecdote et il n’en a plus semblé gêné. Avec son frère Karim ils ont joué du djembé entre chaque réplique, à la demande de Dilia. C’est un excellent percussionniste, qui a un grand sens du rythme.Le troisième texte répondant à la même proposition d’écriture est celui de David :« Tu viens d’Arménie et tu es venu en France en avion en passant par Prague. La veille de ton départ, le vendredi 23 avril 2009 à 14h30, ta grand-mère t’a dit que ton petit frère et toi, vous alliez partir en France. Après tu es allé au collège et tu as dit au revoir à ta directrice et à ta maîtresse. Puis tu es allé voir ton ami : il était triste et toi aussi. A 16h, vous êtes allés à l’aéroport de la capitale, Erevan. A 22h30, vous êtes montés dans l’avion. » David est arménien et a quatorze ans : il est arrivé en France à la fin du troisième trimestre 2009. Il était très copain avec Abdoulaye et a été secoué par le brusque déménagement de ce dernier. D’ailleurs son texte évoque le copain arménien qu’il a dû laisser au pays. C’est un élève très scolaire qui travaille et progresse très régulièrement. Il a écrit son texte seulement en janvier car lors des séances antérieures, ne sachant pas encore écrire, il intervenait uniquement à l’oral pour commenter les planches de l’album. Sa calligraphie reflète le soin qu’il apporte à sa scolarité, et sa réécriture tient compte de mes corrections. En revanche il n’a pas tenu compte de ma relance écrite en haut de la feuille : « Qu’as-tu pensé et ressenti ? » Il n’a donc pas voulu livrer ses sentiments et je n’ai bien sûr pas insisté, compte tenu du bouleversement que représente le fait de partir dans un autre pays, surtout quand le départ est annoncé le jour-même. La concision de son texte met en relief l’accumulation et la précision des indicateurs temporels : « la veille de ton départ », « le vendredi 23 avril 2009 à 14h30 », « après », « puis », « à 16h », « à 22h30 ». Le souvenir précis du déroulement du temps, évoqué comme une horloge qui s’affole, suggère la soudaine précipitation du temps et des adieux, à partir du moment où il apprend son départ.

b. Le voyage pour la France

J’ai sélectionné deux textes écrits à la suite de cette proposition d’écriture :

« Racontez votre voyage pour venir en France. »

Cette consigne a été conçue à partir de deux dessins différents de l’album : une grande vignette représentant la foule dans un gigantesque hall d’arrivée, et une autre, montrant les voyageurs sur le pont du bateau.Voici le texte d’Oumar :

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« Quand tu es arrivé en France, tu avais très froid et il y avait beaucoup de monde. Un homme avec un téléphone portable est passé à côté de toi. Tu lui as demandé : « Excusez-moi ! Est-ce que vous pouvez m’aider ? » Il t’a dit oui et tu lui as donné le numéro de ta tante. Il l’a appelée et tu as parlé avec elle. Tu étais content car tu étais arrivé en France. » Oumar est sénégalais et a douze ans. Il a laissé sa mère au pays pour venir rejoindre son père remarié en France et y poursuivre ses études. Au Sénégal, il avait déjà des difficultés en français, mais il est très volontaire et attentif. Son bégaiement et ses difficultés de prononciation ne l’empêchent pas de participer activement à l’oral. Il est arrivé en cours d’année, après le départ précipité d’Abdoulaye, et est devenu le meilleur copain de David. Il s’est beaucoup investi dans l’atelier en me rendant plusieurs textes écrits phonétiquement. Il semblait, comme Adel, assoiffé par la perspective de pouvoir s’y exprimer, ne s’arrêtant pas à ses difficultés de prononciation et d’orthographe. Son long texte répond à deux consignes d’écriture, qu’il a choisi de traiter ensemble. La seconde est ainsi formulée : « Pendant le voyage, quelqu’un a attiré votre attention. » J’ai fait le choix de garder l’extrait où il relate son arrivée dans l’aéroport français, moment toujours très marquant, quand on arrive dans un pays étranger. Grâce à son texte très vivant, on l’imagine transis de froid et complètement perdu dans la foule, où son sens pratique lui fait remarquer le téléphone portable d’un homme, qu’il accoste pour lui demander de l’aide. Nous n’avons pas gardé l’évocation du père de sa tante, trop anecdotique, pour mieux mettre en valeur le soulagement qu’il éprouve, dès qu’il a parlé à sa tante au téléphone : « J’étais très content d’être arrivé en France. » Le montage se poursuit avec le texte d’Issahak :« Avant de quitter l’Arménie, ton père t’avait expliqué comment changer d’avion à Vienne. Dans l’aéroport de Vienne, tu as regardé tout ce qui était écritet tu as trouvé tout seul le bon avion. C’était un peu difficile parce que tu avais peur de te tromper. Quand tu es descendu du TGV de Paris à Marseille, tu as cherché tes parents : tu croyais qu’ils n’étaient pas venus te cherché. Et tout à coup tu les as vus ! » Issahak est arménien et a seize ans. Il est arrivé avant son petit frère David, dans le courant de l’année dernière. Il a mis beaucoup de temps à prendre la parole en cours et ne l’a pas beaucoup prise pendant l’atelier. L’année dernière, se refusant systématiquement à prendre la parole, il a raté son DELF. De plus, pendant les premières séances, il n’a pas écrit de texte, de façon autonome : j’avais le même problème en cours, où il se refusait à tout exercice d’expression écrite. Donc j’ai pris la décision d’écrire son premier texte sous sa dictée puis de lui demander de le recopier lui-même ensuite. Cette initiative de ma part a déclenché sa volonté d’écrire de façon autonome, et il m’a rendu par la suite plusieurs textes, dont un a été sélectionné pour le livret regroupant les textes les plus intéressants.« Des techniques éprouvées, comme la dictée à l’adulte, permettent de contourner la non-connaissance des règles de transcription tout en utilisant l’écrit comme trace d’information ou base de communication. »21

Le texte le met en scène, venant tout seul par avion et par le TGV, voyage qui représente un défi pour un jeune adolescent, ne sachant pas un mot de français : même s’il n’exprime pas ce qu’il a ressenti à ce moment-là, on imagine de façon implicite, toute la tension que ce voyage a dû provoquer en lui, tension palpable au moment où il croit que ses parents ne sont pas venus le chercher à la gare. Lors de la deuxième sélection nous avons gardé tout ce qui concernait le fait qu’il voyageait seul, en écartant les détails plus anecdotiques de sa visite express de Paris.

c. La photo accrochée au mur Les deux répliques suivantes ont été écrites avec cette proposition :

21 Michèle Verdalhan-Bourgade, ibidem, p.197.

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« Arrivé à Marseille, vous avez accroché quelque chose sur le mur de votre chambre. Racontez et expliquez pourquoi. »A ce moment de l’atelier, les enfants avaient découvert les vignettes racontant comment le héros trouve un logement dans la ville étrangère. Arrivé dans sa chambre, l’un de ses premiers gestes est celui d’accrocher au mur la photographie encadrée de sa famille, après avoir été sujet à une vision : en ouvrant sa valise, il ne voit pas ses affaires mais son épouse et sa fille, dans le pays d’origine, mangeant toutes les deux seules à leur table.Il s’agit d’abord du texte d’Esmira :« Marseille ressemble à ton pays avec beaucoup de vent ! Ici tu as accroché sur la porte de ton armoire une photo de toi en 2008 : tu as une barrette verte assortie à ta robe. Dans ta chambre, c’est la seule photo. Quand vous trouverez une maison, vous accrocherez dans la salon une grande photo de la famille. » Esmira a quinze ans et vient d’Azerbaïdjan : elle est arrivée en septembre 2008, tout à fait non francophone, et a obtenu les félicitations aux trois trimestres. C’est donc une brillante élève, très motivée et travailleuse, qui progresse à toute allure. Pourtant elle était assez réticente face au genre autobiographique, ayant quitté son pays dans des circonstances dramatiques. Lors du premier jet, elle n’écrit que trois lignes, mais avec l’aide de mes relances, elle le développe. L’intérêt de ce texte réside dans le contraste entre un début assez futile, où elle décrit sa coiffure et sa robe, et la chute émouvante : la grande photo de la famille ne sera accrochée que lorsque ses parents auront trouvé une maison. C’est comme si le fait d’accrocher la photo représentait un ancrage de la famille dans le pays d’accueil, une promesse d’avenir possible, loin du pays d’origine devenu hostile et dangereux.Puis c’est le texte de Karim :« Arrivé à Marseille, tu as accroché sur le mur de ta chambre la photo de ta grand-mère parce qu’elle te manque beaucoup. Elle n’est pas à la maison avec vous car elle est en Algérie. Sur la photo elle est dans le salon, assise dans un fauteuil : elle est habillée en jaune avec des bracelets aux poignets. Elle a des tatouages verts sur le front et le menton. » Karim est le frère d’Adel et d’Ali : il a treize ans et est arrivé en même temps qu’eux. Il présente aussi des difficultés scolaires et comportementales, mais joue merveilleusement du djembe avec Ali, et leurs intermèdes musicaux et rythmés, ont été très expressifs. Mes deux relances proposées après le premier jet, lui ont permis de développer son texte : il met en scène leur grand-mère qu’Ali a pleurée toute la nuit précédant leur départ de l’Algérie. Elle apparait comme l’ancêtre, figure tutélaire, matriarche de la maisonnée. Ses tatouages verts, contrastant avec sa robe jaune, signalent les traditions d’autrefois, par lesquelles chaque membre du groupe ethnique d’appartenance, était identifié par des dessins différents. La concision du texte laisse imaginer la peine de l’aïeule, restée au pays et voyant ses trois petits fils s’éloigner d’elle. Comme dans l’album, la photo semble avoir une fonction magique : elle manifeste la présence des êtres chers, continuant à veiller sur la maisonnée, par delà les terres et les mers qui les séparent de ceux qui ont quitté le pays.

d. Les nouveaux amis en France J’ai sélectionné trois textes écrits en réponse à la consigne suivante : « Dans les premiers temps qui ont suivis votre arrivée en France, vous vous êtes faits des amis : racontez comment et où vous les avez rencontrés, et évoquez les bons moments que vous avez eu avec eux. Qu’avez-vous ressenti en voyant que vous pouviez vous faire des amis en France ? »Cette consigne a été créée à partir d’un épisode de l’album où le héros sympathise avec une famille autochtone, qui l’invite à dîner dans leur maison : c’est un moment très convivial et joyeux, où tout le monde s’amuse en faisant la fête.Voici le texte de Khaoula :

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« Dans les premiers temps de ton arrivée en France, tu as connu deux frèreet sœur qui s’appelaient Chafik et Chafika. Au collège tu restais souvent avec Chafika. Tu étais contente d’être amie avec elle : elle venait chez toi et parfois vous sortiez dehors pour vous amuser. Elle t’a présenté sa famille et toi aussi tu lui as présenté la tienne. Un jour ils sont retournés en Algérie. TU es resté toute seule. Mais maintenant tu as de nouveaux amis. » Khaoula a treize ans et est arrivée d’Algérie en 2008 : elle a pu suivre des cours FLE l’année dernière et a un bon niveau à l’oral et à l’écrit. C’est une adolescente très mature. Elle a écrit beaucoup de textes, et ils sont tous très denses : elle y exprime très souvent ses sentiments envers la partie de sa famille restée au pays. Je n’ai donc pas eu besoin d’écrire de relance pour ce texte très émouvant, où elle évoque son amitié pour deux frère et sœur jumeaux, qui ont dû rentrer en Algérie dans le cours de l’année, après un séjour écourté en France. La condensation du texte, que nous avons effectué après le premier jet, resserre le propos et accroît sa portée émotionnelle, car on y entend en filigrane, la nouvelle cassure que représente pour elle cette amitié interrompue.Autre rencontre dans le nouveau pays, celle que fait Farda :« Un jour tu es allée chez une amie de ta tante. Devant la maison, un jeune homme a demandé à ta cousine qui tu étais, et elle lui a répondu : « C’est une personne ! C’est ma cousine qui vient du bled ! » Puis il t’a parlé et toi tu n’as rien dit. Alors il a demandé à ta cousine : « Elle ne parle pas ou quoi ? » Ta cousine lui a dit que tu parlais un peu, mais que tu étais timide. » Farda a quinze ans et vient des Comores : elle est arrivée l’année dernière et a bénéficié de cours FLE. Cette année elle est complètement intégrée dans une classe de cinquième, et est l’amie de Khaoula. C’est une adolescente joyeuse et très impliquée dans son travail scolaire. C’est une des consignes qui l’a le plus inspirée. Son texte témoigne de l’image renvoyée par les enfants de même origine, mais arrivés auparavant : le jeune homme s’amuse de la réserve de Farda, en suggérant qu’elle est due au fait de sa récente arrivée du « bled ». Je n’ai pas eu besoin de lui proposer de relance car son texte est suffisamment expressif, et laisse imaginer la scène entre les deux adolescents faisant connaissance.Le montage se termine par le texte de Mizgin :« En France, tu as fait la connaissance de ta voisine. Elle est très gentille avec toi : elle te donne à goûter et elle t’aide pour ton travail scolaire quand c’est difficile. Tu l’as connue un jour que tu étais dehors, en train de jouer toute seule au ballon. Elle est venue près de toi et t’a dit : « Je peux jouer avec toi ? » Tu as dit oui. Tu passes de bons moments quand vous allez au par cet qu’elle te raconte des trucs rigolos. Tu ris et tu es très contente. » Mizgin a onze ans et est Kurde de Turquie. C’est une adolescente souriante, timide et très attentive. Elle est très copine avec Esmira. Après son premier jet, elle a enrichi son texte en rebondissant sur mes relances. Son texte la met en scène, le jour où elle a fait la connaissance de sa première amie en France. Il montre de façon très touchante, comment l’amitié s’est construite entre elles deux : les goûters, l’entraide pour le travail scolaire, et les fous rires pleins de connivence. Doux bonheur des amitiés adolescentes, qui rompt la solitude de ceux qui arrivent d’un pays étranger et qui y ont laissé tous leurs amis d’enfance. La première chose que Mizgin dit de son amie, c’est qu’elle est très gentille. Oui, ces enfants, qui n’ont pas décidé par eux-mêmes de quitter leur pays, ont d’abord, avant tout, besoin de gentillesse, après avoir été souvent ballottés par leur trajectoire migratoire. Puis elle conclut en évoquant les fous-rires que son amie provoque chez elle : malmenés par la Grande Histoire qui a obligé leur famille à émigrer, ces enfants ont encore plus besoin de joie.

6. Conclusiona. L’atelier des élèves migrants

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On peut donc observer que le montage de leurs textes évoque le passage entre le pays d’origine et le pays d’accueil, et c’est sûrement parce que cette étape est primordiale pour l’enfant migrant que les textes les plus forts sont sortis à partir de ces consignes-là. Plusieurs textes évoquent les amis que l’on a laissés dans le pays natal et ceux que l’on se fait dans le nouveau pays. On sait combien les liens d’amitié sont importants à l’époque de socialisation que représentent la préadolescence et l’adolescence. L’album « Là où vont nos pères » a montré aux élèves qu’une histoire semblable à la leur, est l’objet d’un superbe album édité et commercialisé. A leur tour, ils ont été capables de créer un livre qui regroupe les meilleurs textes de l’année et d’interpréter un montage de leurs textes devant un public de plus de 250 personnes : ils seront récompensés de leurs efforts en recevant le livret commercialisé et le DVD de la journée de l’autobiographie. Réfléchir et écrire à partir de cet album, représente une reconnaissance en filigrane, de l’impact du parcours migratoire sur l’individu migrant, un témoignage de la réalité mondiale des mouvements de population, et de la difficulté de tout recommencer dans un nouveau pays. L’imprécision de la ville et du pays d’origine, ainsi que celle du pays d’accueil où le personnage arrive, fait que cette histoire pourrait se passer n’importe où sur la terre, ce qui permet aux élèves migrants de se projeter, en se souvenant de leur propre trajet migratoire. Le danger qui a poussé des familles à quitter leur pays d’origine est symbolisé par la présence fantastique d’énormes dragons, naviguant dans le ciel, au dessus de la ville d’origine. L’alphabet imaginaire et les éléments fantastiques des paysages urbains, les aliments et les animaux étranges du nouveau pays, traduisent l’étrangeté que ressent tout voyageur dans un pays inconnu de lui, et forcément différent du sien. L’album agissait comme déclencheur d’écriture et les propositions d’écriture s’inspiraient des péripéties du héros, ce qui facilitait leur compréhension. Les dessins de l’album convoquaient les images mentales de leurs souvenirs, constituant un réservoir d’idées dans lesquelles les élèves puisaient pour mettre en forme leurs textes.« Car comprendre ce n’est pas seulement comprendre les mots, c’est comprendre la fonction de la consigne, son objectif, ce qu’on attend comme résultat et comment il est possible d’y parvenir. »22

D’ordinaire, à l’école, l’élève migrant apprend la langue par oral et par écrit, le plus souvent à partir de documents révélant les composantes de la culture et de la société d’accueil. En revanche, dans l’atelier, c’est sa propre vie individuelle, qui devient son sujet d’expression, ce qui effectuait une reconnaissance de son pays d’origine et traçait un trait d’union entre sa vie avant et celle d’après sa migration. Pour un élève migrant, un texte en français présente des difficultés lexicales et syntaxiques, ce qui peut l’empêcher d’accéder au sens, ou bien l’amener à effectuer des contresens. Partir des vignettes d’un album sans paroles, où l’image seule fait sens, le libère de ces difficultés et lui permet de prendre la parole à l’oral et à l’écrit, pour effectuer des commentaires ou évoquer des moments de sa vie, qui surgissent sous la forme d’images mentales déclenchées par les dessins à forte portée symbolique. De plus, j’avais annoncé au début de l’année que l’atelier s’inscrivait dans un projet regroupant plusieurs collèges et lycées de la région : d’une part leurs meilleurs textes allaient être regroupés dans un livret qui leur serait remis à la fin de l’année, et d’autre part, une sélection serait faite dans un montage pour une performance de lecture théâtralisée en public et une édition commercialisée d’extraits des textes dits lors de la journée de l’autobiographie, dans les cahiers de l’APA.

22 Michèle Verdelhan-Bourgade, ibidem, p.106

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« …il faut que l’élève…sorte mieux armé sur le plan de l’expression, et satisfait d’avoir créé quelque chose à quoi une valeur a été reconnue, et qui est lui. Des exercices isolés peuvent être très féconds, mais s’ils sont articulés autour d’un projet cohérent, qui aboutit à une production communicable, c’est sans doute mieux. »23

b. L’atelier des 6ème

En guise de conclusion, je vais laisser la parole à mes élèves de sixième, qui ont écrit ces réflexions, peu de temps après la journée de l’autobiographie, lorsque je leur ai demandé de faire un bilan de l’année. « Quand je me suis allé à l’atelier d’écriture, je croyais que c’était pour changer d’écriture et s’appliquer : donc c’est pour ça que je me suis inscrit. Et tout à coup j’ai beaucoup aimé, car les livres que le professeur nous lisait, nous faisaient beaucoup rire. On devait écrire nos textes par rapport aux consignes et aux livres, et parfois on n’avait pas d’idée : elle nous lisait la consigne ou le paragraphe, et tout d’un coup on avait des idées. Pendant les répétitions dans l’amphithéâtre, j’ai adoré dire mon texte tout en bougeant. Je voulais ne pas me tromper et réussir à parler, car quand on a le trac on n’arrive pas à parler. L’atelier d’écriture a changé ma vie et mon écriture : ça va compter dans ma vie. L’atelier de théâtre était bien et m’a enlevé le trac. Pendant la journée de l’autobiographie le moment que j’ai préféré c’est quand j’étais sur la scène. » Thomas

« Lorsque je me suis inscrite au début de l’année, je croyais que c’était un cours de rattrapage : je ne m’attendais pas à aller dans un grand théâtre, ni de passer devant trois cents personnes. D’habitude quand il y a quelqu’un qui me lit un texte, je m’ennuie, mais avec elle j’ai bien aimé et ça m’a aidée à être attentive. » Celia

« Pendant les ateliers d’écriture, j’ai passé de bons moments, surtout quand on devait écrire les textes de nos histoires de CM2. Les ateliers de théâtre, c’est là que j’ai vraiment aimé, parce que le théâtre, c’est sérieux et amusant : on travaille et on s’amuse. C’est amusant quand on dit des bêtises et c’est sérieux parce qu’il faut être dans la peau du personnage. A la journée de l’autobiographie, j’avais vraiment le trac, je ne me sentais pas bien et j’avais mal au ventre. Mais une fois que c’était à mon tour de passer, je me suis dit : « Xavier, il ne faut jamais renoncer ! » Et puis j’ai parlé et je n’ai plus eu le trac. C’était bien de le faire parce que je n’étais pas allé à la journée de l’autobiographie pour ne rien faire, et parce qu’il faut affronter sa peur. Dès que j’ai parlé je me suis senti bien et je me suis dit que je devais faire du bon boulot, comme dans l’amphithéâtre du collège. » Xavier

« Quand je me suis inscrit, c’était parce que je voulais apprendre le français. L’atelier d’écriture c’est bien parce qu’on apprend le français et à ne pas avoir peur Pendant les répétitions, c’étais trop bien : on croyait qu’on était des acteurs. Le théâtre c’est trop bien parce qu’on se lâche. A Aix-en-Provence j’avais le stress, j’avais honte devant tous ces gens, mais quand je suis arrivé sur la scène, tout est parti. C’était trop bien parce que je n’avais plus honte. » Elias

« J’ai voulu aller à l’atelier d’écriture car je pensais que c’était pour apprendre à écrire et à améliorer mon écriture. Mais quand j’ai su que c’était pour apprendre des textes pour du théâtre ça m’a poussée encore plus à rester. Il fallait que je réussisse à apprendre mes textes,

23 Philippe Lejeune, ibidem, p.21.

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que je mette le ton et que je ne répète pas trop vite. A Aix-en-Provence il fallait que je fasse de mon mieux, que je connaisse mes textes et que je n’aie pas trop honte. Je me suis amusée à regarder les autres collégiens et lycéens réciter leurs textes, car je ne les connaissais pas. Le moment que j’ai préféré, c’est quand ça venait à nous de passer sur scène. J’avais peur de me tromper ! J’aimais quand elle nous lisait les livres et quand nous lisions nos textes chacun à notre tour et à notre place. » Anissa

« Au début de l’année je me suis inscrite à l’atelier d’écriture pour pouvoir mieux lire dans ma vie, car moi j’aime lire des livres. Maintenant j’aime beaucoup de livres du CDI et de la bibliothèque. C’était aussi parce que j’avais du mal à lire devant des personnes. C’était l’occasion de lire nos textes devant un vrai public et sur une vraie scène. J’avais un tout petit peu de trac et mon cœur battait très fort car tous les spectateurs nous regardaient. Grâce à l’entraînement dans l’amphithéâtre, j’ai réussi à lire devant des spectateurs. » Fatima

« J’ai voulu m’inscrire à l’atelier d’écriture parce que j’ai entendu que nous allions parler devant beaucoup de personnes, qui réciteraient leurs textes elles aussi, après avoir travaillé comme nous. Et je voulais être auteur. L’atelier d’écriture va nous servir pour l’avenir, si on voulait devenir enseignant. Je me demande qui a créé ces ateliers car je voudrais travailler dessus toute ma vie : à la personne qui les a créé, à elle vraiment merci, parce que ça m’intéresse beaucoup et ça nous aide à mieux parler. Je me suis bien amusée car nous avons fait des textes rigolos, qui racontent la vie selon les filles et les garçons. Chaque vendredi on écrivait des textes grâce aux questions de notre professeur qui nous aidait quand on n’y arrivait pas. Dans l’amphithéâtre j’ai bien aimé car nous avions le micro et nous faisions comme si c’était vrai : nous étions tout en haut des gradins et on nous appelait et nous descendions vers la scène. Le moment qui a été bien c’est quand nous avions récité nos textes sans faute et sans que l’on nous signale à qui c’était le tour de prendre la parole. Je pense que l’atelier de théâtre nous a aidés, aussi si nous voulons devenir acteurs et actrices. Si un jour, quand je serai grande je voulais réciter un texte, je n’aurais pas de mal à parler et à articuler tout en me déplaçant : je n’aurais pas honte ni le trac ! A Aix-en-Provence, quand j’étais sur scène, j’ai ressenti des montagnes russes dans le ventre, c’est à dire que ça montait et descendait et j’avais beaucoup peur. Mais au bout d’un moment je me suis laissé emporter. » Samianti

Bibliographie

Joël Clerget, L’enfant et l’écriture, éditions Erès, 2002

Boris Cyrulnic, L’ensorcellement du monde, éditions Odile Jacob, 1997

Claudette Oriol-Boyer, La réécriture, Université de Grenoble-Stendhal, éditions Ceditel, 1990

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Philippe Lejeune, Enseigner à écrire l’autobiographie, in L’autobiographie en classe, sous la direction de Marie-Hélène Roques, collection Savoir et Faire en Français, éditions Delagrave et CRDP Midi-Pyrénées, 2001

Michèle Verdelhan-Bourgade, Le Français de scolarisation pour une didactique réaliste, collection Education et formation, éditions PUF, 2002

Sommaire

Introduction p.11. Le contexte social et institutionnel p.4

2. Le public p.5

3. La finalité de mon action p.5

a. Les buts de mon atelier p.5b. Les objectifs de travail p.6c. Les objectifs de résultats p.7d. Les critères et les indicateurs p.7

4. La description des deux ateliers p.7a. Le lieu des ateliers p.7b. Le calendrier des séances p.8c. Les séances d’écriture p.8d. La réécriture des textes p.10e. La sélection et la divulgation des textes p.11f. Le montage des textes p.12g. Les séances de lecture théâtralisée p.12

5. L’élaboration du texte « L’Autre Pays » p.14a. Le jour où j’ai quitté mon pays p.15b. Le voyage pour la France p.16c. La photo accrochée au mur p.18d. Les nouveaux amis en France p.19

6. Conclusion p.20

Bibliographie p.24Annexes p.26

Annexes

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« Si j’avais une définition de ce qu’est l’écriture ce serait celle-ci : découvrir en écrivant ce qu’il est impossible de découvrir par tout autre moyen, parole, voyage, spectacle, etc. Ni la réflexion seule. Découvrir quelque chose qui n’est pas là avant l’écriture. C’est là la jouissance –et l’effroi- de l’écriture, ne pas savoir ce qu’elle fait arriver, advenir. »24

24 Annie Ernaux, L’Ecriture comme un couteau, Stock, 2003, p.150.