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Mémoire présenté au Comité interministériel sur l'exploitation sexuelle
du Gouvernement du Québec
Résumé de mes recherches, mes pistes de réflexion
et mes recommandations
par Rose Dufour Ph.D. de La Maison de Marthe
13 décembre 2013
2
LA PROSTITUTION FÉMININE D’HIER ET D’AUJOURD’HUI
Résultat de la transformation de l’économie mondiale et de la mondialisation des marchés
productrices du néo-libéralisme et du capitalisme sauvage1 tout est devenu à vendre : les
corps et les personnes, leur sexe, les organes, les utérus (phénomène des mères
porteuses), les ovules, le sperme, etc. Est née l’industrie du sexe qui rapporte des
milliards de dollars à ses promoteurs et où des millions de femmes et d’enfants sont
transformés, à l’échelle mondiale, en marchandises sexuelles. Ce marché est dirigé par
des criminels, devenus des hommes d’affaires prospères, alors que la prostitution est très
majoritairement pratiquée par les personnes les plus vulnérables, celles des classes
défavorisées, des minorités ethniques, des victimes d’incestes, d’abus et d’agressions
sexuels, des femmes pauvres, trop souvent mères de familles monoparentales.
La prostitution n’est plus un phénomène à la marge de notre société, mais se situe au
cœur des relations hommes-femmes et définit, génère et perpétue des rapports
inégalitaires entre les hommes et les femmes, hérités d’une société où la femme ne peut
être que vierge-mère ou putain. Des trois acteurs sociaux de la prostitution, soit le
proxénète, le client-prostitueur et la femme prostituée, la seule personne pour qui la
prostitution est un problème est la femme prostituée.
LA MAISON DE MARTHE
La Maison de Marthe est née le 1er mai 2006 du besoin des femmes qui voulaient quitter
la prostitution et qui avaient besoin d’aide pour le faire. En l’absence de toute politique
sociale pour venir en aide à ces femmes, leur offrir des conditions pour en sortir
définitivement ou pour en faire disparaître les conditions d’entrée, la seule politique
existante étant celle de la réduction des méfaits, j’ai créé La Maison de Marthe pour
tenter de combler ce vide.
Dans les années précédentes, trois de mes recherches avaient répondu à trois questions
principales relatives aux trois acteurs sociaux de la prostitution : a) Comment des femmes
en viennent-elles à se prostituer ? b) Pourquoi des hommes sont-ils consommateurs de
prostitution ? c) Comment d’autres personnes deviennent-elles proxénètes ? Les premiers
résultats de ces recherches ont été publiés2 et ma première action a été de développer un
modèle d’intervention spécifiquement pour accompagner ces femmes de toutes les
manières possibles dans toutes les étapes des processus de sortie de la prostitution et de
leur réinsertion sociale. Ce modèle d’intervention est appelé pédagogie d’empowerment.
1 ATTAC 2008. Mondialisation de la prostitution, atteinte globale à la dignité humaine. Éditions Mille et
une nuits. 2 Rose DUFOUR 2004. Je vous salue ... Le point zéro de la prostitution, Éditions Multimondes.
3
DES RECHERCHES ET DES RÉSULTATS
Question 1: Comment des femmes en viennent-elles à se prostituer?
Nous savions déjà que la prostitution était le moteur des « gangs » de rue et de la traite des
personnes, mais encore? Quelles sont ces conditions précises qui les ont conduites à se prostituer?
L’aboutissement dans la prostitution est le résultat d’une structure complexe qui dépasse l’histoire
personnelle pour impliquer une synergie de composantes aux niveaux personnel, familial et
social. Selon l’histoire et le parcours de vie, un poids différentiel se manifeste sur l’un ou l’autre
niveau pour faire changer la trajectoire de leur vie et les faire basculer dans la prostitution. La
prostitution n’est pas une tare individuelle3.
Pourquoi se prostituent-elles? Leur seule raison de se prostituer est le besoin d’argent. La
pauvreté est la toile de fond de la prostitution féminine. POURQUOI ont-elles opté pour la
prostitution comme moyen d’obtenir l’argent dont elles avaient tant besoin ? La réponse est dans
la vie qui a précédé leur entrée dans la prostitution dont l’analyse révèle six systèmes sociaux
producteurs de prostitution4 qui clarifient COMMENT leurs parcours de vie les ont amenées à se
prostituer :
1) les incestes, abus et agressions sexuels, actes de pédophilie et toutes autres effractions
corporelles à caractère sexuel5
2) le lien jeunesse/fugue/pauvreté
3) le modèle de mère prostituée
4) le conjoint ou le mari gigolo ou proxénète
5) la toxicomanie
6) la proximité avec le milieu prostitutionnel.
Ces systèmes sociaux producteurs de prostitution ne sont pas mutuellement exclusifs. Une même
personne peut cumuler plusieurs de ces systèmes à la fois ou même les cumuler tous au cours de
sa vie.
De ces six systèmes sociaux producteurs de prostitution, les quatre premiers systèmes logent au
cœur de la famille, ce qui m’a amenée à la conclusion que le point zéro de la prostitution, ce lieu
d’où part la prostitution, est dans la famille.
Question 2 : Comment les effractions corporelles à caractère sexuel conduisent-elles certaines
de ces femmes à se prostituer ?
Les femmes prostituées sont nombreuses à avoir été sexuellement abusées, mais toutes les
femmes prostituées n’ont pas été sexuellement abusées, et toutes les femmes abusées n’en
viennent pas à se prostituer. Qu’est-ce qui agit donc dans un sens ou dans l’autre ?
3 Claudine Legardinier et Saïd Bouamama, 2006. Les clients de la prostitution - L’enquête. Presses de la
Renaissance. 4 Dufour 2004, ibid.
5 Selon la belle expression de Judith Trinquart 2002, p.12. La décorporalisation dans la prostitution. Un
obstacle majeur à l’accès aux soins. Thèse de doctorat d’État de Médecine générale. 2002, p. 12 http://ecvf.online.fr/IMG/pdf/Trinquart.pdf 2002.
4
Les incestes et autres effractions corporelles à caractère sexuel agissent de trois façons
différentes6 :
La fille sexuellement abusée ne peut que se prostituer parce qu’elle a très tôt intériorisé
une identité de prostituée lors des effractions sexuelles commis sur elle.
Les abus sexuels sont la source principale de sa prostitution, sans qu’elle ait intériorisé
une identité de prostituée.
Les abus sexuels ne sont pas la source principale de sa prostitution, mais y sont liés et y
ont contribué.
C’est le rapport entre l’abuseur et l’abusée qui est là déterminant.
Recommandation
C’est dans les systèmes sociaux producteurs de prostitution eux-mêmes que se trouvent les
indicateurs de la prévention de la prostitution. Le premier, et de loin le plus important en terme de
nombre et en terme de gravité des conséquences, est l’inceste, les actes pédophiles et les
agressions sexuelles. Pour prévenir la prostitution, il faut agir au niveau de la famille. Nous ne
savions pas que la famille était le point zéro de la prostitution. Nous le savons maintenant. Nous
ne devons jamais l’oublier et surtout nous avons le devoir d’agir. Nous recommandons donc que
les quatre systèmes sociaux producteurs de prostitution qui impliquent la famille fassent l’objet
d’une étude plus exhaustive et que la prévention des incestes, des actes pédophiles, de toutes les
formes d’abus sexuels, d’agressions sexuelles et d’effractions corporelles à caractère sexuel
deviennent des priorités sociales.
Pistes de réflexion
Depuis ces premières découvertes, un autre système social producteur de prostitution est apparu.
En lien direct avec les discours des puissants lobbys de l’industrie du sexe, la pornographie est
omniprésente et banalise la prostitution, au point de la proposer comme modèle de libération
sexuelle aux femmes et jeunes filles.
Ainsi, on note dans les cinq-sept dernières années :
• un rajeunissement de la clientèle de la Maison de Marthe et une augmentation importante des
jeunes filles qui s'offrent littéralement à la prostitution, aux proxénètes, par naïveté,
inconscience, besoin de reconnaissance, désir d'affirmation, désir de popularité et de faire
partie d’un groupe, etc.
De plus, on remarque:
• une visibilité accrue et un accroissement de la prostitution masculine, principalement
adolescente, ce qui montre que l’industrie du sexe s’adapte à la demande.
• Les femmes nous rapportent une nette dégradation de la femme dans les paroles des hommes-
prostitueurs, dans leurs demandes et dans leurs comportements, des exigences accrues,
6 Rose Dufour 2011. « Les abus sexuels comme systèmes sociaux producteurs de prostitution. » Actes du
Colloque international sur l'exploitation sexuelle des enfants et les conduites excessives. Institut Québécois de Sexologie Clinique. http://www.exploitationsexuelle.com
5
inspirées de la pornographie, une dégradation de le relation interpersonnelle entre la femme
prostituée et le « client » pouvant aller jusqu’à la disparition de la relation elle-même qui fait
de la prostitution un « service » banal où la femme n’est qu’une merchandise, un produit
consommable, sans plus de considération.
• L’offre sur internet ne signifie pas que les femmes prostituées sont plus autonomes : plusieurs
sont « visitées » par des bandes criminalisées qui exigent une quote-part de leurs revenus sous
contraintes de sévices en cas de refus.
Recommandation
Aux puissants discours des lobbys de l’industrie du sexe, nous recommandons de présenter un
contre-discours qui valorise la révolution sexuelle, celle qui n’a pas eu lieu mais qui reste à faire,
dans un modèle de sexualité respectueuse de l’autre, égalitaire et comblante pour les deux
partenaires, qui appelle les femmes à s’approprier leur propre pouvoir sexuel, à devenir sujet de
leur sexualité plutôt que de se faire objet sexuel7.
Recommandation
Les drogues, fléau de la société contemporaine conduisent plusieurs femmes à se vendre. L’une
des difficultés, si ce n’est la plus grande difficulté, des femmes qui veulent quitter la prostitution,
le problème crucial des femmes de La Maison de Marthe, est la toxicomanie. Les femmes
prostituées toxicomanes sont des personnes souffrantes et en survie. Si nous demeurons dans une
pratique de réduction des méfaits, les moyens ne se suffisent jamais à eux-mêmes. Nous inspirant
principalement des efforts consentis en Écosse et en Suède et nous inspirant aussi de nos propres
efforts, nous recommandons : 1) que l’effort de la lutte à la toxicomanie soit augmenté pour
véritablement répondre à la gravité de la situation; 2) que les ressources disponibles à Québec
soient révisées pour, là aussi, véritablement répondre aux besoins; 3) de dépasser la politique de
réduction des méfaits, sans la rejeter, par une stratégie obligatoire d’approche globale8 des
personnes en les accompagnant de toutes les manières possibles dans toutes les étapes des
processus de sortie de la toxicomanie.
Pistes de réflexion :
• Les femmes qui se prostituent font montre d’une très grande détresse par manque flagrant
d’estime de soi. Elles ne savent pas qui elles sont, pleurent leur mal de vivre.
• De jeunes adolescentes issues de familles d’accueil se retrouvent dans la rue. La fin des
programmes sociaux à 18 ans est pour elles une catastrophe. C’est moins ici l’aspect
économique que la dimension relationnelle, l’encadrement, l’appui, le sentiment
d’appartenance, l’émulation, etc., qui leur manquent. Les programmes sociaux qui ont la
responsabilité de suppléer à leur absence, de leur donner l’éducation à la vie disparaissent à 18
ans. N’assurer qu’un support économique à ces jeunes filles s’avère être un facteur précipitant
vers un gouffre.
7 Ina Motoi et Rose Dufour 2011. La femme, sa sexualité et son pouvoir sexuel. Programme
d’appropriation de sa sexualité. PUQ, 210 pages. 8 Rose Dufour et Rosalie Sioui, 14 mai 2011. Projet de service d’injection supervisée. Mémoire présenté au
Conseil de quartier de Saint-Roch.
6
Recommandation
Nous recommandons que, dans une perspective de prévention et en collaboration avec les Centres
Jeunesse, soient identifiées des formes de soutien, d’appui, d’encadrement pour ces jeunes
femmes particulièrement vulnérables au-delà de leurs 18 ans.
Question 3 : Qu’est-ce qu’une personne prostituée ?
Les catégories classificatoires de la prostitution et des femmes prostituées sont couramment
déterminées par leurs lieux de pratique de prostitution: prostituées de rue, escortes dans une
agence, danseuses nues dans un bar, etc. Ce sont là des catégories inappropriées tant pour la
compréhension du phénomène que pour sa prévention et l’intervention.
L’identification de l’âge au premier geste prostitutionnel offre une clé fondamentale pour
comprendre les conditions qui conduisent à l’entrée dans la prostitution. L’analyse révèle que les
filles mineures, les femmes majeures et les femmes d’âge mur n’entrent pas dans la prostitution
par les mêmes processus9. Chacun de ces trois groupes de femmes présente des conditions
personnelles, des événements déclencheurs et surtout des parcours très différents.
• Les filles mineures, moins de 18 ans, de mon groupe d’étude sont en fugue, en
décrochage scolaire, resident dans des centres ou des familles d’accueil; ells ne peuvent
pas prétendre à un emploi.
• Les femmes majeures, 18-23 ans, sont à la recherche d’un emploi, ont parfois/souvent
des enfants et sont monoparentales, sous-scolarisées et sans réseau social.
• Les femmes d’âge mûr, 35-46 ans, sont en manque de drogues.
Pistes de réflexion :
1. Une femme peut entrer à tout âge dans la prostitution, la prostitution les avale toutes mais
les caractéristiques spécifiques à chaque groupe observé de femmes, selon son âge
d’entrée dans la prostitution exigent des stratégies différentes de prévention,
d’intervention et de sortie de la prostitution.
2. La rue peut être à la fois une porte d’entrée mais aussi une porte de sortie de la
prostitution et mérite d’être utilisée pour l’analyse.
3. On doit établir de véritables typologies, définir de véritables catégories classificatoires
des personnes prostituées pour l’analyse et éclairantes pour l’intervention :
• en fonction des gestes prostitutionnels qui ne font pas d’elles une personne prostituée
• en fonction de la durée dans la prostitution: ponctuelle, sporadique, ‘de carrière’10
9 Ina Motoi et Rose Dufour 2011, p. 125-157.
10 Rose Dufour Nous ne sommes pas des ordures. Le poing sur la prostitution féminine. Manuscrit.
7
• en fonction de l’âge d’entrée dans la prostitution qui permet de préciser les conditions
de leurs parcours depuis leur moment d’entrée dans la prostitution11
• en fonction des systèmes sociaux producteurs de prostitution12
qui permettent de
spécifier l’intervention à venir
• en fonction de leurs noms : une recherche sur les noms (anthroponymie)13
attribués
aux femmes à leur naissance, sur les noms utilisées par elles dans leur vie privée et
dans la pratique prostitutionnelle, leurs patronymes et leurs prénoms, leurs noms de
travail, les pseudonymes qu’elles se sont attribués ou qu’on leur a attribués, les noms
de leurs enfants, a démontré que ces noms précisent leur rapport identitaire à la
prostitution et offrent des pistes sur leur sortie de la prostitution et leur possible
réinsertion personnelle, familiale et sociale.
Question 4 : Pourquoi des hommes sont-ils consommateurs de prostitution?
Nous possédons des résultats très riches issus de la première enquête sur les clients-prostitueurs14
,
que j’ai réalisée à Québec, dans la grande région 03, capitale nationale et région Chaudière-
Appalaches, des hommes qui ont répondu à mon invitation parue dans les petites annonces dans
le Journal de Québec et Le Soleil. La recherche décrit leur portrait sociologique (âge, statut
matrimonial, scolarité et métiers), leurs moments et la fréquence de leurs visites aux femmes
prostituées, depuis combien de temps ils les fréquentent, les lieux où ils les trouvent, les
justifications qu’ils se donnent. Elle établit aussi une typologie des clients-prostitueurs, leurs
définitions de la prostitution, leurs visions des femmes prostituées, leur vécu avec la prostitution,
ce qu’ils y cherchent et y trouvent. Plusieurs autres conclusions s’imposent pour comprendre
pourquoi des hommes consomment de la prostitution.
Première conclusion : Quand j’ai effectué cette recherche, une grande résistance s’est manifestée,
non chez ces hommes mais dans l’environnement social de la recherche. On me mettait en garde
contre une telle démarche. Les barrières à franchir pour atteindre les « clients » étaient solides,
étanches et nombreuses. Ce sont les barrières de nos préjugés culturels, alors que les « clients »
n’ont démontré aucune résistance et surtout en ont eu long à dire sur le sexe et sur la prostitution.
Deuxième conclusion : Les femmes prostituées elles-mêmes protègent ces hommes, défendent la
prostitution, en justifient l’existence pour protéger les enfants du viol, du désir sexuel dit
irrépressible des hommes et se sacrifient pour la protection de ces enfants.
11
Dufour ibid. 12
Dufour 2004. 13
Rose Dufour 2008. Nom privés. Femmes publiques. États civils en questions. Papiers, identité, sentiment de soi. Sous la direction d’Agnès Fine, Éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques, Paris, p. 202-222. 14
Dufour 2004, p. 467 à 586
8
Troisième conclusion : C’est une petite frange de la population masculine qui consomme de la
prostitution, tous les hommes n’en consomment pas. Les taux estimés15
de consommation sont
de :
12% aux États-Unis
7% en Grande Bretagne
19% en Suisse
39% en Espagne.
Ces variations n’ont rien à voir avec la libido des Anglais ou des Espagnols, mais ont tout à voir
avec l’éducation et la culture dans les comportements sexuels attendus des hommes et dans leurs
rapports avec les femmes, comportements qui ne sont pas innés mais acquis par l’éducation et la
culture. En Grande Bretagne, les hommes savent qu’ils auront des comptes à rendre à la police et
à la justice s’ils consomment du sexe tarifé.
Quatrième conclusion : Les hommes consommateurs de prostitution ne sont pas monsieur tout le
monde, comme on l’exprime généralement, mais s’en distinguent par leur sexualité irresponsable,
monétarisée, dépourvue d’engagement émotif et relationnel avec elles. C’est cette dernière
caractéristique qui rend la prostitution si attirante pour eux et si déshumanisante pour ces femmes
qui consentent à des rapports avec eux, des rapports sexuels sans désir, ce qui en fait des viols
consentis, comme elles le disent clairement dans mes entretiens16
et dans le film documentaire
L’IMPOSTURE17
. J’ai répertorié les profils-types de clients québécois18
, leurs
caractéristiques bien définies de même que les justifications qu’ils se donnent. Leurs
dénominateurs communs sont le refus de la responsabilité, de la culpabilité et l’exigence de «
services sexuels ». Leur sexualité est perturbée. Ils font un usage plus intense de la pornographie
et ils ont un nombre plus élevé de partenaires sexuelles.
Cinquième conclusion : Le personnage central de la prostitution n’est pas la femme prostituée
mais bien plutôt le « client » : c’est pour eux qu’est créé ce fabuleux marché d’une marchandise
sexuelle humaine. Lorsque disparaît le client, disparaissent le proxénète et les personnes
prostituées.
Sixième conclusion : Il n’y a pas un « client » mais plusieurs types de « clients » :
a) Entre le premier et le dernier type, il y a une escalade des exigences en même temps
qu’une décroissance de sensibilité envers les femmes prostituées
b) La consommation de prostitution est réversible pour les deux premiers types, si ces
hommes surmontent leurs difficultés à rencontrer une femme, à exprimer leur
insatisfaction sexuelle et à conquérir leur partenaire
c) La consommation de prostitution est plus difficilement réversible pour ceux de la dernière
catégorie, le cachotier, (amateur d’orgie, d’avilissement, de violence, etc.).
Pistes de réflexion
15
Les recherches sur ce thème sont peu nombreuses, je retiens celle-ci pour les comparaisons si utiles, malgré ses limites.Sven-Axel Mânsson Les pratiques des hommes ‘clients’ de la prostitution : influences et orientations pour le travail social. http//:sisyphe.org/imprimer.php3?id_article=1707 16
Dufour 2004. 17
De la cinéaste Ève Lamont, 2010. Les Production du Rapide-Blanc, Montréal 2010 18
Dufour 2004; Dufour 2013
9
1. Les Québécois aiment se savoir avant-gardistes. Ils doivent maintenant apprendre qu’en
matière de prostitution, ils sont en retard, ce sont plutôt les Scandinaves qui sont en
avance: la Suède a légalement aboli la prostitution en 1999, la Norvège a suivi en 2008 et
l’Islande en 2010. Cette dernière a même interdit la danse nue parce qu’elle incite à la
consommation de prostitution.
2. Il faut reconnaître que la prostitution est une pratique essentiellement masculine.
3. Il faut cesser de nous comporter comme si toute la sexualité masculine et l’identité des
mâles étaient menacées par la disparition de la prostitution.
4. C’est une petite frange de la population masculine qui consomme de la prostitution.
5. L’analyse montre que la sexualité des « clients » est, dans certains cas, profondément
perturbée, impliquant des troubles sévères de la sexualité et différents autres problèmes:
financiers, au travail, relationnels, personnels, etc. Parmi eux, 18,7% n’ont d’activités
sexuelles qu’avec des femmes prostituées. Une distinction est à faire entre les
consommateurs occasionnels et les habitués, peu nombreux mais qui consomment
beaucoup. Il faut des mesures sociales, du support et des traitements pour ces hommes
consommateurs de sexe payé. L’aide psychologique et sociale est essentielle. En Suède,
l’expérience de quatorze années donne des exemples prometteurs: opportunité d’en
parler, avoir un conseiller, avoir accès à des traitements psychologiques sur le long terme,
etc.
6. Pour que s’opère un tel changement social, la participation des hommes est essentielle.
Les hommes doivent s’engager contre les politiques sexistes, remettre en question l’idée
que leurs besoins sexuels sont irrépressibles. La prostitution est un problème social et
politique qui concerne les hommes.
7. Parce que l’éducation, à elle seule, n’est pas suffisante pour faire cesser l’exploitation
sexuelle, il faut déjà prévoir et étudier des mesures légales, des mesures pénales, comme
des lois à venir qui lanceront le message de l’État à l’effet que l’achat d’une personne
pour une relation sexuelle est interdite, comme la France vient d’en prendre la décision.
Recommandation :
Provoquer une révolution des mentalités pour passer d’une vision où la femme répond aux
besoins sexuels des hommes à une vision où la femme s’approprie son pouvoir sexuel exige des
conditions : une mise en place de programmes pour les femmes et pour les hommes.
Question 5 : Comment d’autres personnes deviennent-elles proxénètes?
La prostitution existe parce qu’il existe un système prostitutionnel qui comprend l’homme-client
qui crée la demande, la femme prostituée qui est la marchandise et le ou la proxénète qui suscite
la demande en la stimulant et une société qui tolère et banalise la prostitution. Ce sont les
proxénètes qui profitent le plus financièrement de l’asservissement des personnes prostituées. Le
proxénétisme, comme la prostitution, a lui aussi évolué et existe sous plusieurs et nouvelles
formes19
.
Première conclusion
19
Dufour 2004, p. 587 à 617.
10
À partir de la définition de la prostitution qu’en donnent les femmes qui la pratiquent, ma
recherche a permis d’identifier trois types de proxénètes : le/la proxénète de profession qui est la
personne qui opère une agence d’escortes, un salon de massages érotiques, un bar de danseuses
nues, etc.; le proxénète de fait qui est le « chum », le mari ou le conjoint qui l’incite, qui dépend
ou vit des activités prostitutionnelles de celle-ci et le/la proxénète de fonction qui agit au vu et
au su de tout le monde, en toute légalité et sans contrainte juridique. En effet, les petites annonces
de nos quotidiens regorgent d’annonces qui font le marketing du sexe et cela n’est pas dénoncé.
La prostitution mobilise la population lorsqu’il est question de prostitution juvénile, autrement on
parle d’activités sexuelles entre adultes consentants. On ne peut accepter qu’une catégorie de
personnes soit prostituable et une autre non.
Recommandation
Nous recommandons que le Gouvernement du Québec agisse contre la sollicitation de la
prostitution produite dans les petites annonces de nos journaux.
Recommandation
Nous recommandons que des systèmes de réglementation soient élaborés afin que la diffusion de
la pornographie soit contrôlée d’une façon ou d’une autre.
Recommandation
Lorsque le proxénète est le conjoint de femmes prostituées, ces femmes les protègent et refusent
de les dénoncer même dans les situations les plus graves et de violence extrême. Nous
recommandons que la loi identifie comme tels, les proxénètes et les exploitées, que ce genre de
situation ne soit pas traitée comme une relation conjugale violente afin de protéger ces femmes
même contre elles-mêmes.
Pistes de réflexion :
Le projet de loi C-452, projet privé déposé par Maria Mourani, députée d’Ahuntsic, a été adopté
le 26 novembre 2013. Pour lutter plus efficacement contre la traite des personnes et le
proxénétisme :
1. Il impose des peines consécutives pour les infractions liées à la traite de personnes
2. Il postule la présomption relative à l’exploitation d’une personne
3. Il ajoute l'infraction de traite de personnes à la liste des infractions visées par la
confiscation des produits de la criminalité.
Recommandation
Les médias d’information n’ont pas accordé à l’adoption de ce projet de loi, pourtant adopté à
l’unanimité par tous les partis, l’intérêt et la diffusion qu’il aurait dû susciter. Il reste encore au
Sénat à faire son travail, au gouvernement à émettre le décret de mise en application, ce qui
pourrait être long, trop long. Nous recommandons que le Québec fasse savoir au Sénat son intérêt
11
pour que ce projet de loi soit étudié rapidement et que les processus de sa mise en application
soient accélérés.
La Maison de Marthe
La sortie de la prostitution, le rétablissement et la réinsertion sociale des femmes qui ont vécu la
prostitution sont des processus lents, souffrants, difficiles. Dans certains cas, le rétablissement et
la réinsertion sociale exigent des années d’investissement personnel, de support et
d’accompagnement. La Maison de Marthe a développé son propre modèle d'intervention, ce qui
en fait toute sa spécificité, lui donne sa crédibilité et oriente son développement. Nous travaillons
ensemble à concevoir avec, par et pour elles le chemin qui les conduit à se mobiliser en elles-
mêmes et entre elles. Nous découvrons la compétence de ces femmes et leur capacité à se prendre
en charge elles-mêmes si on les accompagne de façon continue.
L’expérience montre que pour être opérante, l’approche systémique globale de la personne doit
toucher l’ESPRIT de cette personne, que cet ESPRIT PEUT ÊTRE CHANGÉ PAR LA PERSONNE ELLE-
MÊME SI ELLE EN PREND LA DÉCISION ET SI ELLE S’INVESTIT DANS UNE PRATIQUE DANS CE SENS.
La Maison de Marthe fait la démonstration depuis maintenant sept ans que si la personne se
montre déterminée et que de l’aide adéquate lui est fournie, il est possible de quitter
définitivement la prostitution pour se réapproprier son corps, sa vie, sa destinée.
Au terme de ce document, la conclusion la plus importante de toutes mes recherches sur la
prostitution est que la famille est le point zéro de la prostitution, c’est-à-dire le point d’où la
prostitution origine.
• La démonstration en est faite pour les femmes prostituées, pour lesquelles quatre des six
systèmes producteurs de leur prostitution logent directement dans leur famille.
• La documentation du profil du clientélisme a révélé combien les hommes consommateurs de
prostitution présentent des caractéristiques familiales et sociales qui leur sont spécifiques
demandant à être prises sérieusement en considération.
• L’analyse des parcours de vie de deux proxénètes a confirmé la validité d’une nouvelle
hypothèse avançant que le choix d’être proxénète n’est pas seulement le fruit d’un
opportunisme financier mais le résultat d’une configuration personnelle, familiale et sociale
pour ces hommes où la prostitution est déjà présente, d’une façon ou d’une autre, dans leur
famille.
Recommandations
1. Nous recommandons de faire connaître le modèle d’intervention, nommé pédagogie
d’empowerment, pour accompagner les femmes dans les processus de sortie de la prostitution
développé spécifiquement pour elles à La Maison de Marthe; favoriser son expérimentation et
son évaluation pour produire des résultats concrets sur l’abolition de la prostitution à court,
moyen et long termes.
2. Nous recommandons, tant pour la prévention, l’intervention et la réhabilitation des personnes
que pour la recherche, de travailler dans une perspective théorique systémique et complexe
pour donner une importance simultanément aux systèmes personnels, familiaux et sociaux
interagissants plutôt que de travailler dans un modèle linéaire où ces conditions sont
considérées comme des facteurs de risque.
12
3. Nous recommandons que la recherche scientifique sur le proxénétisme soit favorisée parce
qu’on ne peut comprendre, intervenir et lutter efficacement contre le phénomène social de la
prostitution sans documenter les trois principaux acteurs sociaux de la prostitution. Les
recherches sont nombreuses sur les femmes prostituées. Celles sur le clientélisme se
développent. Les seuls à avoir contribué à documenter le proxénétisme sont les policiers et les
journalistes, la science doit s’y intéresser.
4. Nous recommandons que, dans notre contexte social de promotion d’une sexualité active dès
le jeune âge, d’hypersexualisation, de banalisation de la prostitution et de la pornographie,
d’insistance des médias d’information à faire de la femme, des jeunes filles et des fillettes des
objets sexuels, de la montée de la violence et de l’exploitation sexuelle, et en s’appuyant sur
l’Avis du Conseil sur le statut de la femme (mai 2012) qui confirme l’obligation d’une
révolution à faire dans le domaine de la sexualité féminine, de favoriser l’application du
Programme La femme, sa sexualité et son pouvoir sexuel, programme d’appropriation de sa
sexualité20
.
Ce programme a une triple fonction de formation, de méthode d’animation et d’autoréflexion:
FORMATION des intervenantes qui travaillent avec des groupes de femmes afin qu’elles
puissent animer les rencontres de réflexion entre femmes, formant ainsi des multiplicatrices
qui pourront offrir cette formation à leur tour.
MÉTHODE D’ANIMATION, de réflexion de groupes entre femmes sur leur sexualité et leur
pouvoir sexuel en suivant le modèle réflexif proposé dans le programme.
D’AUTORÉFLEXION individuelle ou d’un groupe de trois à cinq femmes, amies, collègues
ou autres, qui se rencontrent pour réfléchir ensemble et à leur rythme sur leur propre sexualité.
Nous travaillons présentement à l’adaptation de ce programme comme outil de prévention à
l’entrée dans la prostitution pour les jeunes filles de 12-20 ans et pour celles qui sont en
situation de vulnérabilité. Une première version a été expérimentée à l’hiver 2013 révélant son
efficacité d’éducation, de découverte de soi et de sa sexualité. C’est une réponse à la pénurie
de modèles sexuels offerts aux jeunes filles de notre époque. Nous savons déjà qu’un outil
semblable sera nécessaire pour les jeunes hommes des mêmes groupes d’âge.
Recommandation
Au cours des dernières années, La Maison de Marthe a reçu une demande importante et croissante
de divers milieux scolaires (CÉGEPS et universités), sociocommunautaires, policiers, etc., qui
souhaitent formation et sensibilisation sur la prostitution. Des conférences et des formations ont
été données à des travailleurs sociaux, dans des Facultés de médecine, à des étudiantes en
nursing, en éducation spécialisée, à des sexologues, des criminologues mais aussi à des
intervenantes de CALACS, de Centres de femmes, d'organismes travaillant avec des itinérantes,
etc.
Il n'existe pas de cursus scolaires, ni au CEGEP non plus qu’à l'université, sur la prostitution.
C'est dire que les travailleuses sociales, les infirmières, le personnel soignant, les médecins, les
thérapeutes et toutE autre intervenantE socialE n'ont pas accès à des connaissances, des données
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Ina Motoi et Rose Dufour 2011.
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scientifiques ou des bonnes pratiques leur permettant de mieux exercer leur profession auprès
d'une clientèle de personnes prostituées.
Nous recommandons des contenus de formation formels dans nos institutions d'enseignement ou
de formation pour un ensemble d'intervenants susceptibles de devoir aider des personnes qui
vivent ou ont vécu dans la prostitution. On peut penser à des contenus dans des domaines comme
la psychologie, la médecine spécialisée, les soins infirmiers, la sexologie, le travail social, etc.
Pour La Maison de Marthe il est important qu'un soutien financier adéquat puisse assurer la
dispensation de conférences ou d'ateliers au grand public et aux intervenants et intervenantes.