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Vol. 25, n o 3 Rédaction législative et droit d’auteur : à la recherche du fil d’Ariane Mistrale Goudreau* Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 863 1. La mise en œuvre pointilleuse des conventions internationales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 865 2. L’organisation aléatoire des droits économiques . . . . . . 872 3. L’enchevêtrement des exceptions législatives . . . . . . . . 876 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 882 861 © Mistrale Goudreau, 2013. * Professeur titulaire, Section de droit civil, Université d’Ottawa.

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Vol. 25, no 3

Rédaction législativeet droit d’auteur :

à la recherche du fil d’Ariane

Mistrale Goudreau*

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 863

1. La mise en œuvre pointilleuse des conventionsinternationales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 865

2. L’organisation aléatoire des droits économiques . . . . . . 872

3. L’enchevêtrement des exceptions législatives . . . . . . . . 876

Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 882

861

© Mistrale Goudreau, 2013.* Professeur titulaire, Section de droit civil, Université d’Ottawa.

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Introduction

Le 29 juin 2012, la Loi sur la modernisation du droit d’auteur areçu la sanction royale, mettant fin à une suite de projets morts aufeuilleton1. C’est la dernière d’une série de modifications apportéesau régime canadien de droit d’auteur, modifications qui furent untemps introduites par phases2, la première en 19883, la seconde en19974. Parfois des changements plus ponctuels ont été faits, pourmettre en œuvre en droit interne des conventions internationales oumoderniser la loi5. Finalement un programme de réforme continu aété annoncé, classant les enjeux en catégories pour lesquelles on pré-voyait des interventions législatives à court, moyen et long termes6.La loi modificatrice de 2012 correspond à l’un de ces projets à courtterme.

1. Trois projets de loi déposés à la Chambre des communes, l’un en 2005, le suivant en2008, le dernier en 2010 sont morts au feuilleton : Loi modifiant la Loi sur le droitd’auteur, Chambre des communes du Canada, projet de loi C-60, Première session,trente-huitième législature, 53-54 Elizabeth II, 2004-2005, première lecture le20 juin 2005, <http://www.parl.gc.ca/LegisInfo/BillDetails.aspx?Language=F&Mode=1&billId=1951404> ; Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur, Chambre descommunes du Canada, projet de loi C-61, Deuxième session, trente-neuvième légis-lature, 56-57 Elizabeth II, 2007-2008, première lecture le 12 juin 2008, <http://www.parl.gc.ca/LegisInfo/BillDetails.aspx?Language=F&Mode=1&billId=3188787>, Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur, Chambre des communesdu Canada, projet de loi C-32, Troisième session, quarantième législature, 59Elizabeth II, 2010, dernière étape franchie, deuxième lecture et renvoi à un comitéà la Chambre des communes (2010-11-05), <http://www.parl.gc.ca/LegisInfo/BillDetails.aspx?Mode=1&billId=4567265&Language=F>.

2. Gouvernement du Canada, Droit d’auteur équilibré, Cadre de révision du droitd’auteur (2002), <http://www.ic.gc.ca/eic/site/crp-prda.nsf/fra/rp01101.html>.

3. Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur et apportant des modifications connexes etcorrélatives, L.C. 1988, ch. 15.

4. Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur, L.C. 1997, ch. 24.5. Parmi les plus importantes, on trouve la Loi de mise en œuvre de l’Accord de

libre-échange Canada – États-Unis, L.C. 1988, ch. 65 ; en 1993, la Loi de mise enœuvre de l’Accord de libre-échange nord-américain, L.C. 1993, ch. 44 ; et en 1994, laLoi de mise en œuvre de l’Accord sur l’Organisation mondiale du commerce, L.C.1994, ch. 47 ; la Loi d’actualisation du droit de la propriété intellectuelle, L.C. 1993,c. 15 ; la Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur, L.C. 1993, c. 23 ; Loi modifiant laLoi sur le droit d’auteur, L.C. 2002, ch. 26.

6. Industrie Canada, Stimuler la culture et l’innovation : Rapport sur les dispositionset l’application de la Loi sur le droit d’auteur (Loi sur le droit d’auteur – Rapport sur

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Le gouvernement a ainsi formulé les objectifs de son interven-tion en 2012 : « [m]oderniser la Loi sur le droit d’auteur pour qu’elletienne compte des progrès technologiques et des normes internatio-nales ; [p]rotéger les intérêts des Canadiens, tant ceux des créateursque des consommateurs ; [é]tablir un cadre souple et tourné versl’avenir, qui aidera à protéger les emplois et à en créer, à stimulerl’économie et à attirer de nouveaux investissements au Canada ;[é]tablir des règles neutres sur le plan technologique afin qu’ellespuissent s’adapter constamment aux progrès technologiques tout enassurant une protection adéquate aux créateurs et aux consomma-teurs »7. Bref, le gouvernement était animé par un souci de stimulerun essor économique et une volonté de modernisation. Il affirmaitaussi que sa réforme prendrait en compte les activités quotidiennesdes Canadiens : « Le projet de loi offre une approche équilibrée quitient compte des activités quotidiennes des Canadiens.8 ». « Cettenouvelle version de la loi permettra aux Canadiens et Canadiennesd’aborder plus facilement les difficultés et les possibilités de l’èrenumérique.9 »

Nous entendons ici nous concentrer sur ce dernier objectif.Facilité pour l’entreprise ou individu ordinaire, prise en compte desactivités quotidiennes de la population, le gouvernement a-t-il tenuparole ? Les modifications de la loi modificatrice de 2012 ont-ellesrendu le droit d’auteur plus compréhensible, ses règles plus commo-des à observer, le défi technologique plus facile à relever ? La rédac-tion de cette loi aide-t-elle le consommateur moyen à comprendreses obligations et ses droits en matière de propriété littéraire etartistique ? Déjà, en 1998, nous avons publié un commentaire sur laforme de rédaction législative adoptée lors des modifications de199710. Notre conclusion était que le langage hermétique et le styleprolixe, pointilleux, de la loi, ainsi que le découpage à outrance des

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l’article 92), INDUSTRIE CANADA, Octobre 2002, <http://strategis.ic.gc.ca/eic/site/crp-prda.nsf/fra/rp00863.html>.

7. GOUVERNEMENT DU CANADA, Droit d’auteur équilibré, Loi sur la moderni-sation du droit d’auteur – Fiche d’information, <http://www.ic.gc.ca/eic/site/crp-prda.nsf/fra/h_rp01237.html>, consulté le 21 juin 2013.

8. GOUVERNEMENT DU CANADA, Centre des nouvelles du Canada, Les minis-tres Paradis et Moore se réjouissent de l’adoption de la Loi sur la modernisationdu droit d’auteur par la Chambre des communes, <http://news.gc.ca/web/article-fra.do?mthd=tp&crtr.page=1&nid=681139&crtr.tp1D=1>.

9. GOUVERNEMENT DU CANADA, Droit d’auteur équilibré, Questions et répon-ses – La Loi sur la modernisation du droit d’auteur, <http://droitdauteurequilibre.gc.ca/eic/site/crp-prda.nsf/fra/h_rp01153.html#amend>.

10. Mistrale GOUDREAU, « Et si nous discutions de rédaction législative... Com-mentaire sur la Loi de 1997 modifiant la Loi sur le droit d’auteur », (1998) 11:1Cahiers de propriété intellectuelle 7-32.

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droits et des exceptions, étaient des preuves que toutes les leçons dela légistique n’avaient pas été retenues. Une quinzaine d’annéesplus tard, nous nous permettons une récidive en nous penchantsur les modifications de 2012, et notre conclusion n’est guère plusenthousiaste. En fait, une image s’impose à notre esprit : nous som-mes devant le labyrinthe de Dédale à la recherche du fil d’Ariane11.

Nous donnerons trois exemples des embrouillaminis ou obscur-cissements auxquels nous soumet la loi sous étude : la mise en œuvrepointilleuse des conventions internationales, l’organisation aléa-toire des droits économiques et l’enchevêtrement des exceptionslégislatives. Le premier exemple est technique, mais a été choisiparce qu’il explique en partie les raisons de la complexification àoutrance de la loi canadienne. Il concerne la mise en œuvre desconventions internationales, notamment les traités communémentappelés « Traités Internet de l’OMPI »12.

1. La mise en œuvre pointilleuse des conventionsinternationales

Le sommaire de la loi de 2012 nous indique que le texte modifiela Loi sur le droit d’auteur pour « mettre à jour les droits et les mesu-res de protection dont bénéficient les titulaires du droit d’auteur, enconformité avec les normes internationales, afin de mieux tenircompte des défis et des possibilités créés par Internet ». En particu-lier, la loi modificatrice de 2012 vise à permettre la ratification et lamise en œuvre de deux traités, signés par le Canada en 1997, soit leTraité de l’OMPI sur le droit d’auteur (TODA) et le Traité de l’OMPIsur les interprétations et exécutions et les phonogrammes (TOIEP).L’un de ces traités élargit les droits économiques reconnus aux

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11. Pour ceux qui n’auraient qu’un vague souvenir de la mythologie grecque, rappe-lons que Minos, roi de Crète, ayant fait défaut de sacrifier le taureau que le DieuPoséidon lui avait donné pour holocauste, fut puni. Poséidon rendit sa femmeamoureuse du taureau et de leur union naquit le Minotaure, monstremi-taureau, mi-homme. Minos demanda à Dédale de lui construire une enceintepour enfermer le Minotaure et celui-ci construisit le Labyrinthe dont la sortieétait introuvable. Chaque année, quatorze jeunes Athéniens étaient jetés dans lelabyrinthe pour servir de pâture au Minotaure. Thésée, un héros athénien, seporta volontaire pour aller tuer le Minotaure et Ariane, fille de Minos et tombéeamoureuse du héros, lui remit un peloton de fil dont Thésée devait attacher l’ex-trémité à la porte du Labyrinthe et qu’il devait dévider le long de son trajet. Grâceà cette astuce, Thésée et les jeunes Athéniens retrouvèrent la sortie du Laby-rinthe et furent sauvés. Edith HAMILTON, La mythologie, Éd. Marabout,Verviers (Belgique), 1978, p. 182-184.

12. Ainsi désignés par l’OMPI elle-même : voir <http://www.wipo.int/copyright/fr/activities/wct_wppt/wct_wppt.html>.

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artistes-interprètes, par rapport à ceux reconnus aux bénéficiairesde la Convention de Rome ou de l’OMC, conventions déjà mises enœuvre en droit canadien.

Nous nous retrouvons donc dans la même loi avec trois régimesde protection économique pour les artistes-interprètes, décrits auxparagraphes 15(1) et 15(1.1) et à l’article 26, dans les sections intitu-lées Droits de l’artiste-interprète Droit d’auteur et Droits des artis-tes-interprètes – pays OMC. L’article 26 indique d’emblée son champd’application à l’artiste-interprète « dont la prestation a lieu après le31 décembre 1995 dans un pays membre de l’OMC », mais les para-graphes 15(1) et 15(1.1) contiennent ce qui est désigné dans le jargondes légistes comme des « connecteurs modulant la portée d’unerègle »13. La disposition commencera par l’expression « sous réservedu paragraphe ... ». Voyons l’un de ces connecteurs, le paragraphe15(2) concernant la Convention de Rome :

(2) La prestation visée au paragraphe (1) doit être, selon le cas :

a) exécutée au Canada ou dans un pays partie à la Conventionde Rome ;

b) fixée au moyen d’un enregistrement sonore dont le produc-teur, lors de la première fixation, soit est un citoyen canadienou un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loisur l’immigration et la protection des réfugiés ou un citoyen ouun résident permanent d’un pays partie à la Convention deRome, soit, s’il s’agit d’une personne morale, a son siège socialau Canada ou dans un tel pays, ou fixée au moyen d’un enregis-trement sonore publié pour la première fois au Canada ou dansun pays partie à la Convention de Rome en quantité suffisantepour satisfaire la demande raisonnable du public ;

c) transmise en direct par signal de communication émis à par-tir du Canada ou d’un pays partie à la Convention de Rome parun radiodiffuseur dont le siège social est situé dans le paysd’émission.

La loi modificatrice de 2012, voulant régler le cas de l’OIEP,ajoute au paragraphe 2.1 :

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13. Jacques LAGACÉ, « Phraséologie des renvois et connecteurs modulant la portéede la règle », dans Richard TREMBLAY (dir), Éléments de légistique : commentrédiger les lois et les règlements (Cowansville, Blais, 2010), à la p. 518.

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(2.2) Le paragraphe (1.1) s’applique également lorsque la pres-tation, selon le cas :

a) est exécutée dans un pays partie au traité de l’OIEP ;

b) est fixée au moyen d’un enregistrement sonore dont le pro-ducteur, lors de la première fixation, soit est un citoyen ou unrésident permanent d’un pays partie au traité de l’OIEP, soit,s’il s’agit d’une personne morale, a son siège social dans un telpays, ou est fixée au moyen d’un enregistrement sonore dont lapremière publication en quantité suffisante pour satisfaire lademande raisonnable du public a eu lieu dans un pays partie autraité de l’OIEP ;

c) est transmise en direct par signal de communication émis àpartir d’un pays partie au traité de l’OIEP par un radiodiffu-seur dont le siège social est situé dans le pays d’émission.

Pour les pays non membres de ces conventions internationales,on adopte la règle de la réciprocité, ce qui donne, dans sa versionadoptée en 2012 et non encore en vigueur, cet article 22 :

Réciprocité22. (1) Lorsqu’il est d’avis qu’un pays, autre qu’un pays partie àla Convention de Rome ou au traité de l’OIEP, accorde ou s’estengagé à accorder, par traité, convention, contrat ou loi, auxartistes-interprètes et aux producteurs d’enregistrementssonores, ou aux radiodiffuseurs, qui, selon le cas, sont descitoyens canadiens ou des résidents permanents au sens duparagraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection desréfugiés ou, s’il s’agit de personnes morales, ont leur siègesocial au Canada, essentiellement les mêmes avantages queceux conférés par la présente partie, le ministre peut, enpubliant une déclaration dans la Gazette du Canada, à la fois :

a) accorder les avantages conférés par la présente partie res-pectivement aux artistes-interprètes et aux producteursd’enregistrements sonores, ou aux radiodiffuseurs, sujets,citoyens ou résidents permanents de ce pays ou, s’il s’agit depersonnes morales, ayant leur siège social dans ce pays ;

b) énoncer que ce pays est traité, à l’égard de ces avantages,comme s’il était un pays visé par l’application de la présentepartie.

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Réciprocité(2) Lorsqu’il est d’avis qu’un pays, autre qu’un pays partie àla Convention de Rome, n’accorde pas ni ne s’est engagé àaccorder, par traité, convention, contrat ou loi, aux artistes-interprètes et aux producteurs d’enregistrements sonores, ouaux radiodiffuseurs, qui sont des citoyens canadiens ou desrésidents permanents au sens du paragraphe 2(1) de la Loi surl’immigration et la protection des réfugiés, ou, s’il s’agit de per-sonnes morales, ayant leur siège social au Canada, essentielle-ment les mêmes avantages que ceux conférés par la présentepartie, le ministre peut, en publiant une déclaration dans laGazette du Canada, à la fois :

a) accorder les avantages conférés par la présente partie auxartistes-interprètes, producteurs d’enregistrements sonores ouradiodiffuseurs sujets, citoyens ou résidents permanents de cepays ou, s’il s’agit de personnes morales, ayant leur siège socialdans ce pays, dans la mesure où ces avantages y sont accordésaux artistes-interprètes, producteurs ou radiodiffuseurs quisont des citoyens canadiens ou de tels résidents permanents ou,s’il s’agit de personnes morales, ayant leur siège social auCanada ;

b) énoncer que ce pays est traité, à l’égard de ces avantages,comme s’il était un pays visé par l’application de la présentepartie. ....

Voilà des textes de lecture indigeste, qui ne sont certainementpas à la portée de la personne ordinaire, ni même peut-être du juristenon spécialiste. On trouve 23 de ces paragraphes alambiqués, truffésde « sujets » « citoyens », « résidents permanents », de « ressortis-sants » dans la loi canadienne. Et la question se pose : comment enest-on arrivé à cet état de choses ?

Bien sûr, il y a d’abord le fait d’une volonté politique, qui voit ledroit d’auteur ou le droit voisin comme un pion sur un échiquier éco-nomique, pion qui se sculpte au fur et à mesure de l’adhésion à desconventions internationales. Ainsi le Canada a choisi de transcrireen droit interne, en régimes distincts, les différents droits et protec-tions de droits voisins prévus par chaque convention. Il aurait étépossible de ne concevoir qu’un seul et même régime sans distinguerentre les protections accordées par chaque texte international. La

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Belgique14, comme la France depuis 196415, a suivi ce modèle enadoptant le principe de la réciprocité sous réserve des conventionsinternationales. Le tout est réglé en une disposition législative detrois ou quatre paragraphes16. Par exemple, en droit belge, le ressor-tissant d’un pays signataire d’une convention jouit de l’assimilationde l’étranger au national et reçoit la protection du droit interne. C’estle juge qui évalue au cas par cas la portée de la convention interna-tionale17. Pour les autres auteurs, le juge doit comparer ligne parligne les législations et ne reconnaît que la protection commune auxdeux lois18.

Bien sûr, en France et en Belgique, de régime moniste, lesconventions internationales ont force de loi en droit interne, mais leCanada a, à plusieurs reprises, donné force de loi directement endroit interne à des conventions internationales19. Il aurait pu fairede même en droit d’auteur. Certains objecteront que la loi de mise enœuvre qui adapte dans le détail en droit interne les obligations inter-nationales offre plus de clarté et prévisibilité ; pas nécessairement

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14. Art. 79 de la Loi du 30 juin 1994 relative au droit d’auteur et aux droits voisins(MB. 27.07.1994), disponible en ligne <http://just.fgov.be/>.

15. Voir l’article L. 111-4 du Code de la propriété intellectuelle, disponible en ligne<Legifrance.gouv.fr>, reprenant l’article 1 de la Loi 64-689 1964-07-08.

16. L’article 79 de la loi du 30 juin 1994 se lit comme suit :« Sans préjudice des dispositions des conventions internationales, les auteurs etles titulaires de droits voisins étrangers jouissent en Belgique des droits garantispar la présente loi sans que la durée de ceux-ci puisse excéder la durée fixée par laloi belge ;Toutefois, si ces droits viennent à expirer plus tôt dans leur pays, ils cesseront aumême moment d’avoir effet en Belgique.En outre, s’il est constaté que les auteurs belges et les titulaires des droits voisinsjouissent dans un pays étranger d’une protection moins étendue, les ressortis-sants de ce pays ne pourront bénéficier que dans la même mesure des dispositionsde la présente loi.Nonobstant, l’alinéa 1er, la réciprocité s’applique aux droits à rémunération deséditeurs, des artistes-interprètes ou exécutants et des producteurs de phono-grammes ou des premières fixations de films visés aux articles 55, 59 et 61 bis,sans préjudice du Traite sur l’Union Européenne. » <http://www.ejustice.just.fgov.be/cgi_loi/loi_a.pl?language=fr&caller=list&cn=1994063035&la=f&from-tab=loi&sql=dt=’loi’&tri=dd+as+rank&rech=1&numero=1>.L’article L. 111-4 du Code de la propriété intellectuelle, est rédigé de façon diffé-rente, mais tout aussi succincte.

17. Alain STROWEL et Estelle DERCLAYE, Droit d’auteur et numérique (Bruxelles,Bruylant, 2001), aux p. 152-153.

18. Ibid. Pour un exposé du régime de réciprocité différent en droit français, voirAndré LUCAS et Henri-Jacques LUCAS, Traité de la propriété littéraire et artis-tique, 3e éd. (Paris, Litec, 2006), aux p. 798 et s.

19. Voir, par exemple, la Loi sur la Convention relative aux contrats de vente interna-tionale de marchandises, L.C. 1991, ch. 13.

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pourtant. On confond alors précision et clarté20. À légiférer dans ledétail, on invite au raisonnement a contrario, qui peut limiter indû-ment une interprétation21.

Dans le cas du droit d’auteur canadien, le législateur nous offrece jeu complexe de régimes distincts de protection, avec des facteursde rattachement précis. Devant ce foisonnement de règles, il auraitété préférable que le législateur, à tout le moins, nous annonce sonplan pour nous aider à nous y retrouver. C’est d’ailleurs ce qu’il fait àl’occasion, par exemple en insérant l’article 26 dans une section inti-tulée : Droits des artistes-interprètes – pays OMC. Il aurait été sagede faire de même pour la Convention de Rome et le Traité de l’OIEP.

Chaque idée maîtresse des dispositions servant de « connecteurmodulant la portée d’une règle » aurait dû de même être annoncée.C’est ce que le législateur anglais a d’ailleurs fait dans sa réforme de1988. L’article 153 de la loi de 198822 énumère les critères de ratta-chement exigés pour la protection de la loi anglaise :

(1) Copyright does not subsist in a work unless the qualificationrequirements of this Chapter are satisfied as regards (a) theauthor (see section 154), or (b) the country in which the workwas first published (see section 155), or (c) in the case of abroadcast or cable programme, the country from which thebroadcast was made or the cable programme was sent (seesection 156).

Il aurait été possible de formuler toutes ces dispositions suivantce modèle23, ce qui aurait, à notre avis rendu la loi beaucoup plus

870 Les Cahiers de propriété intellectuelle

20. « La précision est, en théorie, une condition de la clarté, qui est l’une des vertuscardinales d’un texte. En pratique, particulièrement en législation, les choses nesont pas si simples : l’imprécision n’est pas toujours un défaut et il est tout à faitpossible de pécher par excès de précision ». Daniel JACOBY, « Doit-on légiférerpar généralités ou doit-on tout dire ? », (1983) 13 Revue de droit de l’Université deSherbrooke 257 à la p. 259.

21. Par exemple, si l’article 2 du Règlement sur les règles d’origine (ALÉNA),DORS/94-14, pris en application de la Loi sur les douanes, LRC 1985, ch. 1 (2e

suppl), détermine qui sont les ressortissants d’un pays ALÉNA, pourquoi nel’a-t-on pas aussi précisé pour les ressortissants visés par les paragraphes 17(4),20(3) et 20(4) de la Loi sur le droit d’auteur ? Faut-il y voir une volonté de ne pasadopter ces définitions particulières ?

22. Copyright, Designs and Patents Act 1988, 1988, c. 48 (Ang.).23. Suivant le modèle de la loi britannique, le paragraphe 15(2) se serait lu comme

suit :« La prestation visée au paragraphe (1) doit satisfaire l’un des critères de ratta-chement concernant son exécution (a), le producteur responsable de sa premièrefixation (b) le lieu de sa première publication (c) ou sa transmission en direct (d).

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intelligible. D’ailleurs cela aurait peut-être même mis en lumièrecertains paradoxes. Par exemple, l’artiste-interprète canadien quifait un enregistrement dans un pays non partie au Traité de l’OIEPavec un producteur de ce pays ne bénéficie d’aucune protection deson droit moral au Canada, même si sa prestation est déformée surl’enregistrement qui est ensuite mis en circulation au Canada (aprèsla première publication). En effet le paragraphe 17.1(1), qui luireconnaît ses droits moraux, ne renvoie qu’aux « cas visés aux para-graphes 15(2.1) et (2.2) », lesquels, lorsqu’ils traitent du critère derattachement relatif à la personne, ne s’intéressent qu’au statut duproducteur. Heureusement, un grand nombre de pays ont adhéré auTraité de l’OIEP24.

Mais il ne faut pas se surprendre que les légistes n’aient pasopté pour des solutions semblables à celles proposées ci-dessus. Unetelle formulation des articles de la loi de 2012 n’aurait pu se faire iso-lément. Les quelques 20 autres paragraphes connecteurs auraientaussi dû être réécrits. C’est à l’ensemble de la loi qu’il aurait fallus’attaquer, suivant un mouvement semblable à celui de la rédactionen langage simple25.

Ce qui nous mène peut-être au nœud du problème. De réformesen lois d’actualisation, le gouvernement a joué au rapiéçage, n’ajamais remis sur la planche de travail le texte de base, c’est-à-dire laloi de 1921. Les ajouts ont été faits, au gré des circonstances, sanss’interroger sur la structure de base qui souffre aujourd’hui de sco-liose aiguë. Nous abordons maintenant les deux thèmes les plusimportants, soit l’organisation de la loi aux niveaux des droits écono-miques et des exceptions.

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a) La prestation est exécutée au Canada ou dans un pays partie à la Conventionde Rome ;b) Le producteur de la première fixation de la prestation est un citoyen canadienou un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigrationet la protection des réfugiés ou un citoyen ou un résident permanent d’un payspartie à la Convention de Rome, soit, s’il s’agit d’une personne morale, a son siègesocial au Canada ou dans un tel pays.c) La prestation est fixée au moyen d’un enregistrement sonore publié pour lapremière fois au Canada ou dans un pays partie à la Convention de Rome enquantité suffisante pour satisfaire la demande raisonnable du public.d) La prestation a été transmise en direct par signal de communication émis àpartir du Canada ou d’un pays partie à la Convention de Rome par un radiodiffu-seur dont le siège social est situé dans le pays d’émission. »

24. <http://www.wipo.int/treaties/fr/ShowResults.jsp country_id=ALL&start_year=ANY&end_year=ANY&search_what=C&treaty_id=20le Traité de l’OIEP>.

25. Ruth SULLIVAN, « The Promise of Plain Language Drafting », (2001) 47:1McGill Law Journal 97.

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2. L’organisation aléatoire des droits économiques

On le sait, la loi présentement en vigueur a été rédigée en 1921et mise en vigueur en 1924. Cette loi comprenait plusieurs divi-sions26, dont certaines plus pertinentes pour les droits économiques,soit les divisions : Droit d’auteur ; Ouvrages susceptibles de fairel’objet d’un droit d’auteur ; Violation du droit d’auteur ; Recourscivils ; Recours sommaires ; Importation d’exemplaires.

La loi, dès l’origine, inscrivait donc dans des parties distinctesles droits des auteurs, la violation des droits et les recours, réclamantà notre avis implicitement son appartenance au système de commonlaw. Comme l’expliquent encore les auteurs au sujet du système juri-dique anglais : « The basic principle underpinning the early develop-ment of the common law was that a right only existed if there was aprocedure for enforcing it (ubi remedium ibi ius) and for this reasonsubstantive law became inextricably bound up with procedure. »27

Ce fut à tel point vrai qu’avant 1988, date de l’introduction durecours pour violation de droit moral, l’action en violation du droit àl’intégrité d’une œuvre fut refusée au Québec, vu l’absence de droitd’action dans la loi fédérale28.

Cette division a été le point de départ d’une anomalie : lesrecours pouvaient être exercés contre des personnes autres que lescontrefacteurs de droit d’auteur. Dès 1921, les recours criminels pou-vaient être intentés contre la personne qui, bien que n’étant pas cou-pable de violation, sciemment faisait une opération commercialeportant sur des exemplaires contrefaits. Avec le temps, la loi a prévula possibilité de recours civils contre ces personnes, introduisant leconcept que la Cour suprême appelle une « violation à une étape ulté-rieure » (secondary infringement)29, la distinguant d’une « violationinitiale » (primary infringement) du droit d’auteur30.

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26. Les divisions étaient : Titre ; Définitions ; Droit d’auteur ; Ouvrages susceptiblesde faire l’objet d’un droit d’auteur ; Durée du droit d’auteur ; Possession du droitd’auteur ; Licences obligatoires ; Licences ; Licences de série ; Violation du droitd’auteur ; Recours civils ; Recours sommaires ; Importation d’exemplaires ; Admi-nistration ; Enregistrement ; Taxes ; Erreurs d’écriture ; Règlements ; Abrogationdes lois, Convention de Berne ; Mise en vigueur ; Annexe.

27. Richard WARD et Amanda AKHTAR, English Legal System (Oxford, OxfordUniversity Press, 2011), aux p. 1-2.

28. Gnass c. Cité d’Alma, C.A. Québec, no 200-09-000032-745, 30 juin 1977, non rap-porté.

29. CCH Canadienne ltée c. Barreau du Haut-Canada, 2004 CSC 13, [2004] 1 R.C.S.339, par. 80 [CCH].

30. Voir Euro-Excellence Inc. c. Kraft Canada Inc., 2007 CSC 37, [2007] 3 R.C.S. 20,par. 17 ; Gahel c. Corporation Xprima.com, 2008 QCCA 1264, par. 31.

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Une division logique pouvait quand même être faite entre lesdeux concepts de violation. Le droit d’auteur était défini comme dési-gnant en premier lieu les droits exclusifs de reproduire, de représen-ter en public et de publier les œuvres. La personne qui accomplissaitces actes sans le consentement de l’auteur commettait une violationinitiale même si elle agissait dans l’ignorance du droit d’auteur31.Par contre, dans le cas de la « violation à une étape ultérieure », onvisait principalement celui qui faisait des transactions commercialesportant sur des copies contrefaites et la poursuite devait alors prou-ver que le défendeur avait eu connaissance ou aurait dû se douter del’existence des droits du titulaire et de la violation initiale.

Mais au gré des accords internationaux, la logique du systèmen’a pas tenu. D’abord, on a inséré dans la notion de droit d’auteur (etdonc parmi les actes de violation initiale) des droits sur des transac-tions touchant des exemplaires. Ainsi, se conformant aux articles1705-1706 de l’ALÉNA et aux articles 11-14 de l’ADPIC, on reconnutparmi les droits d’auteur le droit de location commerciale, d’abordpour les seuls programmes d’ordinateurs, puis pour les enregistre-ments sonores, comme le précisent maintenant les alinéas 3(1)h),3(1)i), 15(1)c) et 18(1)c) de la loi. La loi modificatrice de 2012 conti-nue dans la même veine en insérant l’alinéa 3(1)j), qui correspond auparagraphe 6(1) du TODA et aux articles 8 et 12 du TOIEP. Celui-cidonne, concernant les œuvres sous forme d’un objet tangible, le droitexclusif, « d’effectuer le transfert de propriété, notamment par vente,de l’objet, dans la mesure où la propriété de celui-ci n’a jamais ététransférée au Canada ou à l’étranger avec l’autorisation du titulairedu droit d’auteur. » Il ne faut pas oublier qu’en plus, il y a des disposi-tions particulières concernant l’importation des œuvres32.

Ainsi donc, la personne qui importe des œuvres au Canada faitface à des recours potentiellement basés, tant sur l’alinéa 3(1)j)(jumelé au paragraphe 27(1)) que sur le paragraphe 27(2) et l’article27.1 ou sur les articles 44.1-44.2. Et à chaque fois, la formulation dutype d’importation visée est différente33, de même que l’exigence ounon d’une mauvaise foi du défendeur.

Rédaction législative et droit d’auteur 873

31. Même la protection de l’article 39, qui ne permet que l’injonction contre le défen-deur de bonne foi, ne joue dans les faits que lorsque ce dernier avait des motifs decroire que l’œuvre utilisée n’était pas protégée par le droit d’auteur. Voir notreexplication Mistrale GOUDREAU, « Les droits patrimoniaux de l’auteur », dansJurisClasseur Québec – Propriété intellectuelle, Fasc. 6 (Montréal, LexisNexisCanada, 2013), par. 3.

32. Voir les articles 44 à 45.33. Les articles visent non seulement les cas où l’exemplaire a été contrefait au

Canada mais aussi les cas où la production aurait été une contrefaçon si elle avait

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Ce genre d’application de dispositions éparses pour une mêmesituation de faits se répète dans la loi modificatrice de 2012. Le four-nisseur de services Internet, dont la Cour suprême, dans l’affaireSOCAN34, avait grandement limité la responsabilité potentielle envertu de l’article 3 (notamment par le jeu de l’alinéa 2.4(1)b)), écope,dans la Partie Violation du droit d’auteur, d’un nouveau chef de res-ponsabilité aux paragraphes 27(2.3) et 27(2.4), bien qu’il jouissed’une exception de principe pour ses activités en vertu de l’article31.3, tout en étant astreint, dans la section Recours, à suivre stricte-ment une procédure en cas d’avis de prétendue violation, sous peined’encourir à nouveau une responsabilité.

En fait, depuis 1921, le Canada greffe de nouveaux droitsdans la liste des droits patrimoniaux de l’auteur, mais il n’a jamaisrépondu clairement à la question : quelle est la relation entre cesnouveaux droits et les droits principaux de reproduction, représenta-tion au public et publication, reconnus comme l’assise fondamentaledu droit d’auteur35 ? Il a simplement rajouté à l’article 3, alinéaaprès alinéa, alors que certains droits étaient clairement des sous-catégories des droits principaux (comme les adaptations, qui sontvraisemblablement des reproductions « sous une forme matériellequelconque »36) et d’autres probablement pas. C’est ce qui a divisé la

874 Les Cahiers de propriété intellectuelle

été faite au Canada. Les articles 27.1 et 44.2 envisage l’hypothèse où l’exemplaireaurait été produit au Canada par l’importateur et visent expressément les cas où« l’importation se fait sans le consentement du titulaire du droit au Canada ». Parcontre, le paragraphe 27(2) vise le cas où l’exemplaire aurait été produit auCanada par la personne qui l’a produit ». Déjà les juges de la Cour suprême ontrendu une décision très partagée sur la portée du paragraphe 27(2) en cas d’im-portation parallèle d’une œuvre mise sur le marché par le titulaire internationaldu droit d’auteur qui a accordé des exclusivités territoriales. La loi précise aussiau paragraphe 27(3) que « lorsqu’il s’agit de décider si les actes [de production del’exemplaire], dans les cas où ils se rapportent à un exemplaire [importé], consti-tuent des violations du droit d’auteur, le fait que l’importateur savait ou auraitdû savoir que l’importation de l’exemplaire constituait une violation n’est paspertinent ». Enfin, l’alinéa 3(1)j) qui exige un premier transfert autorisé del’exemplaire, n’est pas non plus nécessairement clair, puisqu’on ne sait quel serale traitement d’une autorisation conditionnelle à une mise en marché dans unterritoire seulement.

34. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc.canadienne des fournisseurs Internet, [2004] 2 R.C.S. 427, 2004 CSC 45.

35. Entertainment Software Association c. Société canadienne des auteurs, composi-teurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 34, [2012] 2 R.C.S. 231, par. 42 [Enter-tainment].

36. Voir la partie introductive de l’article 3. C’est ainsi que les auteurs estiment quel’adaptation musicale, non prévue aux alinéas 3(1)b) et c), est tout de même undroit exclusif de l’auteur : John S. MCKEOWN, Fox Canadian Law of Copyrightand Industrial Designs, 3e éd. (Scarborough, Carswell, 2000), p. 468.

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Cour suprême en 2012 dans l’affaire Entertainment37. La versionanglaise indiquant que le droit d’auteur « means » les droits géné-raux et « includes » les différents alinéas, la majorité a conclu que lesalinéas de l’article 3 sont de simples illustrations des droits princi-paux. La version française de l’article 3 indique plutôt que le droitd’auteur « comporte, en outre » ces différents droits. Les juges mino-ritaires ont donc estimé que chacun de ces droits énumérés était undroit distinct, différent des autres, et donc que chacun mène à unerémunération additionnelle pour l’auteur. Le législateur n’a jamaiséclairci la question.

La loi de 2012 introduit une autre anomalie dans le régimecanadien du droit d’auteur. Poursuivant sa lancée de recours contreceux qui n’auraient pas violé le droit d’auteur, le législateur instaureun régime d’interdictions concernant le contournement de mesurede protection technique (MPT) ou l’atteinte à l’information sur lerégime des droits. Par exemple, l’alinéa 41.1(1)a) interdit de contour-ner une MPT qui contrôle efficacement l’accès à une œuvre protégée,même si l’utilisateur le fait dans le but d’utiliser l’œuvre en vertu del’une des exceptions prévues par la loi. La loi interdit aussi de fournirun service de contournement ou mettre sur le marché un dispositifde contournement38. Ce sont des interdictions en vue de freiner les« gestes préparatoires » aux éventuelles violations de droit d’auteur,avant même toute violation39.

Où doit-on placer ces interdictions ? Bien sûr dans la sectionRecours, en précisant bien, dans la disposition qui crée le droitd’action, que le titulaire « est admis, ... à exercer contre le contreve-nant tous les recours ... que la loi prévoit ou peut prévoir pour laviolation d’un droit d’auteur »40. C’est le recours miroir du recoursen violation de droit d’auteur. Et bien sûr, ce recours miroir estlui-même assujetti à des exceptions qui ne sont pas les mêmes queles exceptions aux violations de droit d’auteur41.

Rédaction législative et droit d’auteur 875

37. Supra note 35.38. Par. 41.1(1).39. Mihály FICSOR, Legends and reality about the 1996 WIPO Treaties in the light of

certain comments on Bill C-32, disponible en ligne sur le site IP Osgoode,<http://iposgoode.ca/wp-content/uploads/2010/Ficsor-Legends-and-Reality-about-the-1996-WIPO-Treaties-C-32-and-TPMs.pdf>.

40. Par. 41.1(2).41. Les exceptions sont prévues aux articles 41.11 à 41.18 et visent les enquêtes et

les activités de protection de la sécurité nationale (art. 41.11) ; l’interopérabilitédes programmes d’ordinateur (art. 41.12) ; la recherche sur le chiffrement(art. 41.13) ; la protection des renseignements personnels (art. 41.14) ; la sécuritédes systèmes informatiques (art. 41.15) ; les personnes atteintes de déficiences

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Voilà qu’il faut maintenant expliquer au public que la Loi surle droit d’auteur comporte des droits d’auteur (des droits exclusifsque seul l’auteur ou titulaire peut exercer), des violations de droitd’auteur, qui visent le fait d’accomplir un acte réservé à l’auteur sansson autorisation, mais aussi d’autres actes que ceux exclusifs auxauteurs, et finalement, des interdictions qui ne supposent plus deviolation de droit d’auteur. Est particulièrement révélatrice lamodification apportée en 2012 à l’article 34.1 qui traitait des pré-somptions dans le cadre d’une « procédure pour violation du droitd’auteur », et qui maintenant vise « toute procédure civile engagée envertu de la présente loi ».

Mais c’est au chapitre des exceptions aux droits d’auteur que lasituation est la plus acrobatique, d’autant que c’est la partie que lepublic voudra le plus connaître et invoquer.

3. L’enchevêtrement des exceptions législatives

Première difficulté, la loi prévoit une liste interminabled’exceptions particulières dans les domaines les plus variés. La listedes titres des divisions de la section Exceptions fournit un bon por-trait de la situation : Utilisation équitable ; Contenu non commercialgénéré par l’utilisateur ; Reproduction à des fins privées ; Fixationd’un signal et enregistrement d’une émission pour écoute ou visionne-ment en différé ; Copies de sauvegarde ; Actes à but non lucratif ;Établissements d’enseignement ; Bibliothèques, musées ou servicesd’archives ; Disposition commune aux établissements d’enseigne-ment, bibliothèques, musées ou services d’archives ; Bibliothèques,musées ou services d’archives faisant partie d’un établissementd’enseignement ; Bibliothèque et Archives du Canada ; Programmesd’ordinateur ; Recherche sur le chiffrement ; Sécurité ; Incorporationincidente ; Reproductions temporaires pour processus technologi-ques ; Enregistrements éphémères ; Retransmission ; Services réseau ;Personnes ayant des déficiences perceptuelles ; Obligations découlantde la loi ; Autres cas de non-violation. Dans cette dernière subdivi-sion, le législateur, sans doute à bout d’organisation des idées, aregroupé une série d’exceptions introduites à des époques antérieu-res, telles que utilisations de moules, conférences, allocutions politi-ques, lectures ou récitations d’un extrait raisonnable, exécutions

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perceptuelles (art. 41.16) ; les enregistrements temporaires faites pour des rai-sons techniques par les radiodiffuseurs (art. 41.17) ; le déverrouillage des télé-phones cellulaires et l’accès à un service de télécommunication au moyen d’unappareil radio (art. 41.18).

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musicales lors de foires, expositions, dans l’intérêt d’organismes reli-gieux, charitables, ou établissements d’enseignement. A été ajoutéen 2012 le droit pour une personne physique d’utiliser à des fins noncommerciales ou privées la photographie ou le portrait qu’elle a com-mandé à des fins personnelles.

D’autres exceptions ont trouvé domicile dans d’autres titres dela loi : représentation à l’aide d’un appareil radiophonique récepteur,exception classée dans la partie Commission du droit d’auteur etgestion collective (puisque des redevances doivent être payées pard’autres personnes, selon le tarif fixé par la commission)42, et copieprivée43 qui a, elle, sa propre partie – Partie VIII Copie pour usageprivé.

On comprendra que le public soit dérouté, ne serait-ce que parla multitude des exceptions. Mais le problème vient surtout de laproximité de certaines exceptions, qui visent des situations similai-res, mais qui attachent la légalité des utilisations à des conditionspourtant différentes.

Prenons le cas banal de l’enregistrement à domicile. Unconsommateur ordinaire veut pour ses fins personnelles (et bien sûrcelles de sa famille), reproduire une œuvre musicale ou un film.Plusieurs exceptions sont susceptibles de s’appliquer : l’exception envertu du régime de la copie privée, la reproduction à des fins privées,la fixation d’un signal et enregistrement d’une émission pour écouteou visionnement en différé, le contenu non commercial généré parl’utilisateur et l’utilisation équitable.

Voyons le régime de la copie privée : le consommateur peut faireune reproduction pour usage privé sur un support audio (ce qui,selon la Cour d’appel fédérale, ne couvre pas la mémoire des ordina-teurs ni les enregistreurs audionumériques44, comme les MP3) et encontrepartie pour cette exception législative, une rémunération estversée aux représentants des auteurs par le fabricant ou importa-teur de supports audio vierges45. Il est clair de la définition légis-lative46, que cela exclut les enregistrements vidéo – et donc la

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42. Par. 69(2).43. Art. 80.44. Société canadienne de perception de la copie privée c. Canadian Storage Media

Alliance, [2005] 2 R.C.F. 654, par. 159-160-164.45. Art. 81.46. « support audio » « Tout support audio habituellement utilisé par les consomma-

teurs pour reproduire des enregistrements sonores, à l’exception toutefois de

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reproduction de film. On ne s’intéresse pas à la source de la reproduc-tion. C’est du moins l’interprétation donnée par la Commission dudroit d’auteur, selon laquelle :

Le régime ne traite pas de la source du matériel copié. La partieVIII n’exige pas que la copie d’origine soit une copie légale. Iln’est donc pas nécessaire de savoir si la source de la pièce copiéeest une piste appartenant au copiste, un CD emprunté, ouencore une piste téléchargée d’Internet – peu importe la sourcede la copie.47

On peut donc supposer que le consommateur pourrait, en vertude cette exception, faire une copie à partir d’un exemplaire sur lequelon aurait contourné une MPT de reproduction. De plus, selon le para-graphe 80(2), le consommateur ne doit en aucun cas faire cette copiepour distribution, dans un but commercial ou non. Bref le cadeau àun ami, ou même un membre de la famille, est exclu. Lorsqu’il vou-dra s’en débarrasser, le consommateur pourra-t-il le donner à unorganisme charitable ? Peut-être que la destruction est la seule issuelégale.

La loi de 2012 a introduit une autre exception, cette fois sanscontrepartie pour les auteurs : la Reproduction à des fins privées,comme l’indique l’intitulé de cette partie. Mais, en fait, on vise letransfert d’une œuvre d’un médium à un autre, lorsque, nous ditl’article 29.22, « la personne a obtenu la copie légalement, autrementque par emprunt ou location, et soit est propriétaire du support oude l’appareil sur lequel elle est reproduite, soit est autorisée àl’utiliser ». Une illustration serait le consommateur qui veut mettrela musique du CD qu’il a acheté sur son enregistreur audionumé-rique (par exemple un Ipod)48. Mais, selon les termes de la loi, cela nevise pas l’œuvre tirée de la radio, télévision ou réseau internet. Plu-sieurs conditions s’appliquent, (qui ne sont pas exigées pour l’autre

878 Les Cahiers de propriété intellectuelle

ceux exclus par règlement. » Autre source de confusion ; la définition ne se trouvepas dans la section Définition et dispositions interprétatives de la Loi mais dans lasection Définitions de la Partie VIII. COPIE POUR USAGE PRIVÉ, ce qui obligele législateur à faire dans l’énoncé de l’article 29.22 (1) un renvoi à l’article 79,alors que les mots « support audio » ne sont pas utilisés ailleurs dans la loi. Dansce cas, ne serait-il pas plus simple de définir ‘support audio’ dans la section géné-rale des Définitions ?

47. Copie privée 2003-2004, [2003] DCDA 8, p. 20, infirmé [2005] 2 R.C.F. 654, surd’autres points.

48. Ce qui n’est pas couvert par l’exception prévue au régime de la copie privée. Voirsupra note 44. La loi précise d’ailleurs que l’exception ne s’applique pas si unereproduction est faite sur un support audio (par. 29.22(3)).

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copie privée) : « a) la copie de l’œuvre ou de l’autre objet du droitd’auteur reproduite n’est pas contrefaite – peu importe quel’acheteur ait eu ou non des raisons de croire que l’exemplaire étaitune copie légitime ; c) le consommateur ne contourne pas une MPTcontrôlant la reproduction ; d) il ne donne la reproduction à per-sonne ; e) il n’utilise la reproduction qu’à des fins privées. Si un parti-culier copie son CD sur son Ipod, la conséquence est peut-être qu’il nepeut plus donner son Ipod, puisque l’enregistreur contient dans samémoire une copie du CD. Peut-il même prêter cet enregistreuraudionumérique49 ? Et s’il veut se débarrasser de l’enregistrement,cette fois-ci, la loi est claire : si la personne donne, loue ou vend lacopie initiale, elle doit détruire « toutes les reproductions faites autitre de ce paragraphe ».

La loi prévoit une autre exception de copie privée, encore sansrémunération pour les auteurs : c’est la Fixation ou reproductionpour écoute ou visionnement en différé. Le paragraphe 29.23(1) per-met de fixer ou de reproduire une œuvre à partir d’une radiodiffusion(la loi semble ici faire une différence entre radiodiffusion et télécom-munication) pour l’écouter ou la regarder en différé, à des conditionsstrictes : a) la personne reçoit l’émission de façon licite ; b) elle necontourne pas de MPT de contrôle d’accès ou de reproduction ; c) ellene fait pas plus d’un enregistrement de l’émission (contrairement àl’exception précédente) ; d) elle ne conserve l’enregistrement quele temps vraisemblablement nécessaire pour écouter ou regarderl’émission à un moment plus opportun ; e) elle ne donne l’enre-gistrement à personne ; f) elle n’utilise l’enregistrement qu’à des finsprivées. L’exception ne joue pas si la copie est reçue dans le cadre dela fourniture d’un service sur demande50. Bref on peut regarderl’émission en famille, mais surtout il faut s’abstenir de donner lacopie, peut-être s’abstenir de la prêter51 et il faut détruire assezpromptement52.

Rédaction législative et droit d’auteur 879

49. Alors que l’article 80 interdit la « distribution » de la copie faite à des fins privées,l’article 29.22 interdit de « donner » la copie. On peut s’interroger sur la raison decette terminologie différente. Il est probable que le législateur ne vise pas ici ledon au sens juridique, mais plutôt le don au sens populaire du terme, qui est de« faire en sorte que quelqu’un ait quelque chose » (CRNS, <http://www.cnrtl.fr/definition/don>). Interprété de cette façon, le paragraphe pourrait même inter-dire le prêt à longue durée.

50. Par. 29.23(2).51. Voir notre commentaire, supra, note 49.52. Ce n’est pas le seul cas où l’exception ne joue que pour un laps de temps. L’étu-

diant qui a reçu une copie d’une œuvre dans le cadre de l’exception relative auxleçons, doit détruire cette copie « dans les trente jours suivant la date à laquelleles élèves inscrits au cours auquel la leçon se rapporte ont reçu leur évaluation

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Il apparaît de l’exposé de ces exceptions que nous avons unlégislateur passablement déconnecté de la réalité. Le public en géné-ral traite volontiers sur le même pied les œuvres musicales et audio-visuelles et ne comprendra pas pourquoi il peut copier les unes maispas les autres. Le consommateur se soucie peu de la source de sesenregistrements (puisés de la radio, ou de la télévision ou copiésd’enregistrements analogiques ou numériques, ou fournis dans lecadre d’un service sur demande). Faire dépendre la légalité d’un actede la nature du support copié, ou du support de la copie, ne peutsusciter qu’incompréhension et incrédulité chez le public. Enfinl’obligation de détruire des copies dans des délais précis nous sembleen contradiction flagrante avec le peu d’aptitude de l’être humain àgérer minutieusement ses affaires... D’ailleurs, certains soulignentque de plus en plus le public consomme les œuvres en temps réel, en« streaming », ce qui pourrait rendre plusieurs de ces exceptions enfin de compte désuètes53.

Mais là ne s’arrête pas la liste des exceptions potentiellementapplicables à l’enregistrement à domicile. Le législateur a introduiten 2012 une nouvelle exception, celle relative au Contenu non com-mercial généré par l’utilisateur. Cette exception, qui elle non plusne s’accompagne pas d’un mécanisme de compensation pour lesauteurs, est de portée beaucoup plus vaste : elle permet à la personnephysique d’utiliser une œuvre – déjà publiée ou mise à la dispositiondu public – pour en créer une autre, et de diffuser cette nouvelleœuvre sur un réseau social. Les conditions d’application de cetteexception sont passablement différentes : a) si possible, il faut men-tionner la source de l’œuvre copiée, b) la personne doit croire, pourdes motifs raisonnables, que la copie qui a servi à la création n’étaitpas contrefaite (au contraire des certaines autres exceptions quiexigeaient strictement l’emploi d’une copie légitime ou qui, aucontraire, ne l’exigeaient aucunement) ; la nouvelle œuvre (oul’autorisation de la diffuser) ne doit être utilisée qu’à des fins noncommerciales, (ce qui est différent de fins purement privées exigéespour les autres exceptions) et d) l’utilisation de la nouvelle œuvre ou

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finale » (voir art. 30.01). Il est évident ici que le législateur ne connaît pas leconcept d’examen différé (pour cause de maladie de certains étudiants), qui peutrepousser de plusieurs mois et parfois de plus d’une année, la date de la réceptionde la note finale par tous les étudiants. Cette remise plus tardive des notes à cer-tains étudiants est d’ailleurs faite à l’insu des autres étudiants, les plaçant dansl’impossibilité de savoir quand « les élèves inscrits au cours auquel la leçon serapporte ont reçu leur évaluation finale ».

53. Georges AZZARIA, « Loi sur le droit d’auteur – Les auteurs mis sur la touche »,Le devoir, 15 juin 2010 <http://www.ledevoir.com/politique/canada/290862/loi-sur-le-droit-d-auteur-les-auteurs-mis-sur-la-touche>.

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l’autorisation de diffuser, ne doit avoir aucun effet négatif impor-tant, pécuniaire ou autre, sur l’exploitation – actuelle ou éventuelle –de l’œuvre copiée (condition que, selon nous, le consommateur moyenaura peine à évaluer). Enfin, au contraire des autres exceptions quine visaient que l’utilisateur personnellement, celle-ci bénéficie auxpersonnes qui résident avec l’utilisateur et rien ne semble interdireque l’utilisateur contourne une MPT de reproduction pour générer sanouvelle œuvre.

Cette exception pourrait avoir une grande importance en pra-tique, puisqu’elle semble légaliser les utilisations privées (qui nor-malement devraient avoir peu d’impact négatif sur l’exploitation del’œuvre initiale) pour autant que l’usager crée une œuvre. Or la créa-tion d’une œuvre n’exige qu’un « exercice non négligeable du talentet du jugement »54 et la loi reconnaît clairement que les compila-tions peuvent être des œuvres. Aussi la doctrine n’exclut pas quel’exception s’applique au « mix tape », la bande personnelle de mor-ceaux choisis par une personne pour une occasion55. Une telle inter-prétation entérinée par les tribunaux permettrait facilement à unutilisateur de contourner plusieurs des exigences des autres excep-tions pour copie privée ; il lui suffirait d’incorporer les reproductionsdans des compilations personnelles, en usant de suffisamment detalent et jugement dans la sélection et l’organisation des morceaux.

Enfin, reste encore à considérer l’exception pour utilisationéquitable en vertu de l’article 29. En effet, il n’est pas exclu qu’unconsommateur puisse justifier qu’une reproduction faite à la maisonconstitue une utilisation équitable de l’œuvre, notamment pourétude privée ou recherche. La loi de 2012 a d’ailleurs rajouté d’autresbuts légitimes d’utilisation équitable, soit l’éducation, la parodie oula satire, dont la portée reste à établir. Dans l’affaire SOCAN c. BellCanada56 la Cour suprême a expressément reconnu qu’une recher-che peut très bien n’être entreprise « pour aucun autre motif quel’intérêt personnel »57, ce qui semble annoncer une interprétationfort large de ces notions. Le consommateur devrait certes satisfaire

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54. CCH, supra, note 29, par. 28.55. Teresa SCASSA, « Acknowledging Copyright’s Illegitimate Offspring: User-

Generated Content and Canadian Copyright Law », dans Michael GEIST (éd.),The Copyright Pentalogy : How the Supreme Court of Canada Shook the Founda-tions of Canadian Copyright Law (Ottawa, University of Ottawa Press, 2013),431, à la p. 440.

56. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. BellCanada, 2012 CSC 36, [2012] 2 R.C.S. 326 [SOCAN c. Bell Canada].

57. Ibid., par. 22.

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les six critères permettant de déterminer si une utilisation est « équi-table »58, mais certains usages, même pour des reproductions d’uneœuvre entière, pourraient être jugés acceptables59.

Enfin il est bon de noter que selon la jurisprudence actuelle, lesexceptions législatives sont cumulatives. Si un usager ne peut satis-faire les conditions attachées à une exception, il peut toujours s’enremettre à une autre exception60.

Voici donc les explications qu’un bon juriste devrait fournir àson client, particulier ordinaire, qui lui demanderait s’il peut enre-gistrer des œuvres musicales ou des films à la maison. Même lecitoyen le plus consciencieux aurait peine à s’y retrouver, et surtout àgarder en mémoire les conditions précises qu’il doit satisfaire danschaque cas.

De plus, le domaine de l’enregistrement à domicile n’est pas leseul cas de multiplication à outrance d’exceptions pointilleuses ; ledomaine de l’éducation a été tout aussi, sinon plus, accablé61.

Le juriste plus averti sera lui peut-être frappé par le manque deconstance du législateur qui a parfois accompagné une exceptiond’un régime de compensation pour les auteurs et parfois non. Dansun dossier où les oppositions des parties prenantes étaient déjàconnues62, l’inconstance de l’arbitre ne peut être que source d’uneplus grande mésentente.

Conclusion

La rédaction d’une loi est nécessairement tributaire des politi-ques législatives que l’on veut mettre en place. Dans le domaine du

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58. Soit le but, la nature et l’ampleur de l’utilisation, l’existence de solutions derechange à l’utilisation, la nature de l’œuvre et l’effet de l’utilisation sur l’œuvre.Voir CCH, supra, note 29, par. 53 et SOCAN c. Bell Canada, supra, note 56,par. 14.

59. Dans CCH, supra, note 29, par. 56, la Cour souligne expressément qu’aux fins derecherche ou d’étude privée, il peut être essentiel de reproduire en entier uneœuvre, telle un exposé universitaire.

60. CCH, supra, note 29, par. 49.61. Voir les articles 29.4 à 30.04 et 30.3 à 30.4, exceptions particulières de plus de

3500 mots, qui s’appliquent en concurrence avec la nouvelle exception d’utilisa-tion équitable aux fins d’éducation prévue par l’article 29 modifié en 2012.

62. Plusieurs sites ont recensé les réactions divergentes des parties prenantes. Voirentre autres : <http://www.sodrac.ca/ProjetLoiC11.aspx> ; <http://www.cultureequitable.org/documentation/> ; <http://www.iposgoode.ca/2010/06/bill-c-32-a-sampling-of-commentary-on-technological-protection-measures/>.

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droit d’auteur, les parlementaires responsables des réformes etactualisations successives de la loi semblent s’être alignés sur lestextes des conventions internationales à mettre en œuvre ou s’êtreconcentrés sur les points chauds de l’actualité. Mais il n’y a pas eu deréflexion en profondeur, de mise en place de principes fondamentauxqui ait présidé à l’élaboration des lois modificatrices.

La nature des droits économiques a été et est encore fortementinfluencée par les conventions internationales que le Canada asignées et ratifiées. Mais les droits ont été superposés les uns auxautres sans logique apparente. De plus, la formulation différente desdroits exclusifs ou des violations, pour des situations présentant desanalogies, est éminemment déconcertante.

Également, en créant des interdictions – miroirs des actions enviolation – concernant les MPT, le législateur n’est-il pas en train decréer un droit exclusif d’accès aux œuvres, contrôlé par le titulaire ?Et s’il y a un droit d’accès aux œuvres, n’est-ce pas ce droit qui est del’essence du droit d’auteur ? Pourquoi a-t-on reconnu les droits dereproduction et de représentation au public si ce n’est que par cesmoyens, l’auteur permettait au public de prendre connaissance deson œuvre, d’y avoir accès ? La production et la publication du livredonnaient la possibilité de se saisir de l’œuvre à loisir, au lieu ettemps choisis pour tourner les pages. Le fait d’assister à une repré-sentation permettait au public de connaître l’œuvre, mais dans unmode plus éphémère. On a permis à l’auteur de contrôler ces actesprécisément pour lui permettre de se faire rémunérer lorsqu’il don-nait accès à son œuvre. Et si ce droit d’accès est véritablement undroit d’auteur, pourquoi ce régime connaît-il une gamme particulièred’exceptions, beaucoup plus restreinte que les exceptions aux viola-tions de droit d’auteur ?

Mais c’est lorsqu’on dresse le tableau des exceptions législati-ves que le manque de cohérence du législateur est particulièrementfrappant. En quelles circonstances une exception est-elle justifiée63 ?Quand et pourquoi une exception doit-elle être accompagnée d’unmécanisme de compensation pour les auteurs ? Une exceptionjoue-t-elle lorsqu’on utilise une copie contrefaite ou, à tout le moins,lorsqu’on a des raisons de croire qu’elle est contrefaite ? Quandpeut-on partager une copie faite dans le cadre d’une exception ?

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63. On peut citer en exemple d’un effort pour donner une base rationnelle aux excep-tions au droit d’auteur, le European Copyright Code, produit de la collaborationde plusieurs universitaires européens et disponible en ligne : <http://www.copyrightcode.eu/index.php?websiteid=1>.

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Cette difficulté à identifier les principes de base de la loi, cetteabsence de fils conducteurs qui auraient permis de s’orienter dans ledédale législatif, est, à notre humble avis, le principal défaut derédaction de cette loi, nullement adaptée aux activités quotidiennesdes Canadiens. Mais le blâme ne doit pas nécessairement être jetésur les légistes. À notre avis, le reproche doit être surtout adresséaux décideurs étatiques, qui, au lieu de poursuivre un tant soit peuun idéal de clarté et simplicité des lois, nous invitent, de par leurscirconvolutions politiques, à valser sans relâche dans les sinuositésd’un labyrinthe législatif, sans fil d’Ariane.

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