miroir

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Illustration : Sylvari Necromancer, par Trisstiz (Deviantart) L’ambiance a changé, vous ne trouvez pas ? Plus vite Stathor, plus vite ! Le dragon dans la fosse, le Nezu prend la pose. Mais la Terre est ronde. Psst. Hé oh ho èh. Réveillez- vous. Aucune idée, je lui pète la gueule, et j’avise après. Ma sœur ? Je n’ai pas de sœur. Puuuuug ? On se tiiiiiiire ! T’es oùùùùù ? Il n’a pas trouvé de carottes, il ne peut pas nous en ramener. Ce seront tes dernières paroles ? Va en enfer ! Le tout, c’est de deviner chez qui elle s’est réfugiée. Dis tout de suite que je suis gros !

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Page 1: Miroir

Illustration : Sylvari Necromancer, par Trisstiz (Deviantart)

L’ambiance a changé, vous

ne trouvez pas ?

Plus vite Stathor,

plus vite !

Le dragon dans la fosse, le

Nezu prend la pose.

Mais la

Terre est

ronde.

Psst. Hé oh ho èh. Réveillez-

vous.

Aucune idée, je lui

pète la gueule, et

j’avise après.

Ma sœur ? Je n’ai pas de

sœur.

Puuuuug ?

On se tiiiiiiire !

T’es oùùùùù ?

Il n’a pas trouvé de carottes,

il ne peut pas nous en

ramener.

Ce seront tes dernières

paroles ?

Va en enfer !

Le tout, c’est de

deviner chez qui

elle s’est réfugiée.

Dis tout de suite que je suis

gros !

Page 2: Miroir

Chapitre ƸƷ : Reflets

: Aelwynn Wintersong (humaine, élémentaliste)

: Svynge (norn, gardienne)

: Nezumy (asura, ingénieur)

: Pug (asura, élémentaliste)

: Alia Arkady (humaine, voleuse)

: Shalimar (sylvari, élémentaliste)

: Ayrin Fields (humaine, guerrière)

: Aboune (asura, envoûteur)

: Stathor (asura, ingénieur)

: Guess (humaine, élémentaliste)

: Lianis (sylvari, élémentaliste)

: Agaéti (sylvari, gardienne)

: Altyon (sylvari, voleur)

: Lazare (humain, nécromant)

: Pogonar (humain, guerrier)

: Gledinia (norn, rôdeuse)

: Pajim (norn, rôdeuse)

: Yaddle (charr, guerrière)

: Oméga (asura, guerrier)

: Splif (asura, élémentaliste)

: Pan d’Orr ( ?)

Page 3: Miroir

Chapitre ƸƷ : Reflets

Saleté de charr, il s’est bien battu, je dois bien le reconnaître. La guerre est une

compagne qui lui est familier, la stratégie ne lui était pas étrangère non plus. Il se battait

avec l’énergie d’un dragon, il ravageait ses propres reflets sans que la douleur ne

l’atteigne. Ses attaques étaient dures à esquiver, tant les stratégies qu’il avait en tête

étaient nombreuses et difficiles à cerner. Il m’a fallu puiser dans mes réserves, au plus

profond de moi, dans ce que Père m’a légué. L’affrontement contre cette Shalimar m’avait déjà un

peu épuisé, et les blessures mortelles coûteuses en énergie. Je voulais faire vite contre ce charr

imprévisible, mais il avait fait durer le combat pour gagner l’avantage, il comprenait ma situation et

espérait m’avoir sur la durée. Malheureusement pour lui, nous ne sommes pas de la même lignée et

aussi valeureux que purent être ses ancêtres, je reprenais progressivement l’avantage. Blessé par ses

propres reflets, baigné dans son propre sang qui coulait à flot de ses multiples blessures, il finit par

s’agenouiller devant moi, une attitude fort honorable ma foi. Mes ses paroles, je ne les comprenais

toujours pas.

- Tu te bats bien, petite catin. Où est Ayrin avant que je retire ton sourire de ta face de skelk ?

- Qui ça ?

- Ayrin, pétasse, fais pas semblant de rien savoir. Je sens son odeur tout autour de toi. Tu étais

avec elle il y a peu.

- Ayrin… Ayrin ? Ah oui, la norn qui s’est faite tuer par Jormag ?

- Répète-ça ?

- La pauvre, sa propre sœur l’a tuée, sous l’emprise de Jormag.

- Merde, c’est pire que ce que je pensais.

- Ce seront tes dernières paroles ?

- Va en enfer !

A ma grande surprise, il s’était relevé d’un coup, en prenant le temps de se saisir de ma cheville pour

me faire chuter au sol. Furieuse, je n’avais plus qu’une envie, l’étriper ! Mais il avait disparu dans les

ombres de la forêt, et camouflé son aura. Je l’avais totalement perdu. Un adversaire digne d’intérêt,

qui préfère fuir que suivre un code d’honneur irrationnel. Il faudra me méfier, c’est un prédateur,

m’est avis que je reverrai tôt ou tard.

Quoi qu’il en soit, ces combats m’avaient épuisée. Je prenais conscience de la valeur des habitants de

la Tyrie et ce que Père a affronté. Ces êtres sont dangereux, plus encore unis. L’amour, l’amitié,

toutes ces conneries au nom desquelles ils se battent, leur donnaient une force incroyable. Si je

voulais les vaincre et restaurer un jour l’ordre de Père, il me faudrait les désunir.

J’avais faim. Peu avant le lever du jour, j’arrivai au niveau d’un hameau norn. Il fallait me rassasier, et

vite. Lorsque j’entrai dans la première demeure…

Zhaïtan s’était calmé, les effluves vertes qui s’extirpaient de son corps avaient fini par

disparaître. Il était allongé au cœur du décor, le souffle lent. Il était épuisé. Tout à coup, des

corps prirent forme devant lui. Des norns ! Oui ! Enfin, du monde ! Je me précipitai pour

aller à leur encontre lorsque je vis Zhaïtan se relever, difficilement. Il se jeta sur le premier

qu’il dévora net ! Impuissante, je ne pouvais que crier mon désarroi ! Il en dévora cinq ainsi,

sans leur laisser l’ombre d’une chance.

Page 4: Miroir

Chapitre ƸƷ : Reflets

Au chevet de leur lit, ma main sur leur front, j’aspirai leur vif sans qu’ils n’aient le temps

de réaliser ce qui se passait. Je n’avais pas le temps de leur proposer un combat digne de

ce nom, et j’en étais un peu contrariée, mais il me fallait manger, ça me faisait du bien.

Mais je n’étais pas encore repu, je le sentais. Ce que je redoutais arriva. J’avais

volontairement laissé les enfants en vie en espérant que les adultes me suffiraient. Mais

mes blessures étaient plus graves que je ne le pensais. Je luttais de toutes mes forces, je refusais

obstinément de les tuer, mais mon corps ne m’obéissait plus. Ma main tremblante se dirigeait sans

que je ne puisse rien y faire vers le front du petit homme. Je luttais avec toutes mes forces mais il

était trop tard. L’enfant devant moi n’étais plus qu’une coquille vide. Puis le second, et le troisième.

Je ne voulais pas, non, pas eux !

Je voyais avec horreur hommes, femmes, enfants, se faire dévorer par un Zhaïtan déchainé.

Mais que se passe-t-il ici par tous les esprits ? Vu le déchaînement du dragon, je me ferai

étriper si je tentais seulement de m’approcher à quelques mètres. Avec horreur, je me suis

détournée de ce massacre pour constater que petite Pan d’Orr regardait elle aussi la scène,

totalement impassible. Complètement figée. Impossible de savoir ce qu’elle ressentait à ce

moment là, quand bien même elle ressentirait quelque chose.

Derrière-moi, j’entendis Zhaïtan rugir. Il reprit son envol, tournoyant de nouveau dans les cieux. Le

massacre était fini. Une petite main se saisit de la mienne tandis que je vomissais intérieurement la

boucherie qui venait de se produire. La voix fluette de Pan d’Orr me fit d’un coup reprendre mes

esprits :

- J’aime pas quand il fait ça.

- Qu’est ce que… Pourquoi ?

- Il doit manger. Papa n’a pas le choix. Il a un gros appétit.

- Mais ce sont des innocents !

- Des innocents ? C’est quoi ?

- Des innocents c’est quoi ? Des innocents c’est quoi ! Tu te fous de moi !

Je voyais les yeux de la petite fille briller. Visiblement, elle ne comprenait pas ma réaction et

commençait à pleurer. Je m’emportais contre elle alors qu’elle n’y était pour rien. Je suis désolée.

- Excuse-moi Pan d’Orr, je suis désolée. Je ne voulais pas te rendre triste.

- Pourquoi t’es méchante avec moi ?

- Je ne voulais pas. Ce que je viens de voir… Ça m’a mis en colère.

- Pourquoi ?

- Ces gens n’y étaient pour rien. Il y avait même des enfants, comme toi, qui se sont fait

dévorés.

- Mais Papa, faut qu’il mange, sinon il va mourir.

- Je présume que des carottes ne lui suffiraient pas non ?

- Des carottes ?

- Un… petit truc orange super bon.

- Ça a l’air trop bien ! Je veux des carottes ! Je vais demander à papa.

Page 5: Miroir

Chapitre ƸƷ : Reflets Pan d’Orr prit la direction de l’arène centrale. À son approche, le dragon descendit pour retrouver

sa… Sa fille… Après un court câlin, ils échangèrent des paroles qui m’étaient inaudibles. Au bout de

quelques instants, la petite fille revint me voir, sautillant de joie et battant des mains.

- Il verra ce qu’il peut faire pour les carottes.

- Ah… Ah bon ?

- Il t’aime bien tu sais.

- Ah ? Tu m’en vois ravie…

Je pense être restée assise des heures dans cette pièce, à pleurer. Quelle étrange

sensation. Je ne comprenais pas pourquoi mon corps réagissait comme ça, mais ça me

faisait du bien. Tellement de bien. J’étais devant le corps de cet enfant sans vie. Pas âgé

de plus de quelques saisons, et il n’en vivra plus maintenant. C’était la colère parfois qui

m’animait, le chagrin d’autres fois, le dégoût aussi, de ce que j’ai fait. Pourquoi n’ai-je pas

pu contrôler mon corps ? C’est mon corps merde ! J’aurais pu trouver pitance ailleurs. Alors

pourquoi ?

Tout à coup, j’entendis des voix provenant du centre du village, qui me firent sortir de mes

réflexions. Merde Svynge et les autres ! Qu’est-ce qu’ils font ici ? Auraient-ils compris ? On dirait que

non, leur pisteuse, Gledinia, ne comprend pas, mais elle a des doutes. Ce serait plus sage de

s’éclipser, pas le moment de trainer ici avec eux dans le coin.

J’ai couru toute la nuit, comme une folle. Qui était ce charr bordel ? Et qu’est-ce que c’est

que cette Pan d’Orr ? Une déesse ? Après tout, j’étais en vie grâce à elle, je lui dois tout. Je

suis sa création. Mais il y a plus urgent à faire. Ælwynn se porte-t-elle bien ? A-t-elle réussi à

se contrôler ? À mon grand soulagement, je l’aperçus enfin. Elle avait repris une marche

normale, et je pouvais la comprendre. Elle ne devait pas s’épuiser. Son fardeau est lourd à

porter, et extrêmement dangereux.

J’ai couru toute la nuit, comme une folle. Qui était ce charr bordel ? Et qu’est-ce que c’est

que cette Pan d’Orr ? Un émissaire des dragons ? Après tout, j’ai frôlé la mort à cause d’elle.

Mais il y a plus urgent à faire. Ælwynn se porte-t-elle bien ? A-t-elle réussi à se contrôler ? À

mon grand désarroi, je ne l’avais toujours pas retrouvée. J’espère qu’elle ne s’est pas

épuisée. Son fardeau est lourd à porter, et extrêmement dangereux. Mais avant tout, il

fallait me soigner. Cette rivière fera l’affaire.

Des bruits de pas précipités se firent entendre derrière moi. Retenant ma respiration, je

m’étais retournée pour voir, à mon plus grand soulagement, Shalimar arriver à mon

niveau. Je pouvais respirer, enfin !

- Shali ! Tu es en vie ! Mon cœur s’en réjouit !

Page 6: Miroir

Chapitre ƸƷ : Reflets

- Et le mien donc ! Comment te portes-tu ?

- Le fardeau est lourd à porter, mais ça va. Raconte-moi tout je t’en prie. Tu n’as pas l’air

blessée, j’en suis ravie, mais je ne comprends pas.

- Elle voulait ce que tu as en toi en l’occurrence.

- Est-ce tout ? Est-ce pour l’âme de ce démon qu’elle nous a attaquées ?

- J’en ai bien peur oui.

- Mais pourquoi ? Pan d’Orr s’est battue à nos côtés dans l’antre de Primordus. Cherchait-elle

seulement à s’accaparer cette incommensurable puissance ?

- Très probable.

- Tu l’as tuée ?

- Non. Pas vraiment.

- Shali, dis-moi tout, ne reste pas aussi mystérieuse.

-

Comment lui dire que je suis son amie sans l’être ? Comment lui dire que je suis une copie

de son amie née dans le combat de cette nuit ? Comment lui dire que je la connais depuis

ma naissance alors que c’est la première fois que je la vois ? Comment lui dire qu’une

déesse m’a donné la vie et que c’est son pire ennemi ? Comment lui dire que je suis son

enfant et que Mère est immortelle ? Comment lui dire que je ne suis pas la Shalimar qu’elle

connaît mais que je suis juste son reflet ? Devrais-je lui dire ?

- Pan d’Orr a reçu des blessures mortelles mais… Mais à chaque fois elle s’est relevée, furieuse

et intacte.

- Que me chantes-tu là ? Es-tu sure de toi ?

- Un charr est intervenu dans notre combat et lui a dévissé littéralement la tête. Ça ne l’a pas

empêché de se relever.

- Un charr ?

- Oui.

- Tu sais pourquoi ?

- Aucune idée. Il m’a sauvée et m’a demandée de fuir. Ce que j’ai fait prestement.

- C’est catastrophique ce que tu me racontes ! Il faut à tout prix prévenir les autres.

- Rendons-nous d’abord au Prieuré nous mettre à l’abri, nous agirons ensuite. Mèr… Pan d’Orr

est peut-être sur nos traces, il ne faut pas trainer.

- Oui, oui, effectivement…

- Ça va t’es sure ? T’as pas l’air d’être au meilleur de ta forme.

- Ça va, je t’assure. Je suis juste un eu fatiguée.

- Sans toi, je sais pas si j’aurais eu la force de continuer. Te savoir en vie me comble de joie.

- Réciproquement.

Qui suis-je ? Suis-je cette amie qu’elle désire tant ? Ælwynn, j’ai l’impression de te connaître depuis

toujours, des foules de souvenirs me reviennent en mémoire en revoyant ton doux visage, mais ce ne

sont pas les miens. Jamais je n’ai vécu ça. C’est l’autre Shalimar qui connait tout ça. Devrais-je te

laisser en vie ? Devrais-je vivre ma propre vie ? Ma propre vie…

Page 7: Miroir

Chapitre ƸƷ : Reflets

Épuisée, je m’étais endormie sans m’en rendre compte au bord du ruisseau, bercée par le

clapotis du courant. Après de lourds rêves, j’entrouvrais les yeux. Un charr se tenait à

quelques mètres, les pattes dans le ruisseau. Massif, vêtu d’une épaisse armure, son sang

imbibait les eaux du ruisseau, formant des veinules rouges dans les eaux. Une de ses quatre

oreilles s’agita, et il se retourna pour me faire face. Ses deux longues cornes – l’une des

deux étant brisée – ornaient un visage couvert de cicatrices. Il n’avait plus qu’un œil, l’autre lui ayant

été ôté par une estafilade qui traverse son visage de part en part. Les dents saillantes, il humait l’air

environnant avant de se détourner de nouveau de moi.

- Bonjour ?

Seul le silence me fit office de réponse.

- Vous êtes celui qui m’a sauvée des griffes de… De cette fille. Je vous adresse mes plus

sincères remerciements.

Il daigna enfin me répondre, en se retournant pour me scruter de son unique œil.

- Pas besoin de me remercier. Je ne l’ai pas fait pour toi.

Ça avait le mérite d’être franc.

- Pourquoi vous en êtes vous pris à elle alors ?

Après avoir grogné et laissé de longues secondes de silence, il me répondit enfin.

- Elle pue.

- Pardon ?

- Elle porte l’odeur d’une proche qui m’est très chère.

- Est-ce tout ? Est-ce pour une simple odeur que vous vous êtes battu contre ce monstre ?

- Pas si simple que ça.

J’attendais la suite, mais il semblait méditatif d’abord, puis repris ses soins, en me laissant plantée là

avec cette réponse qui avait tout du ridicule.

- Laissez-moi vous aider, finis-je par lui dire en m’approchant de lui.

- Si vous faites encore un pas, je vous dégomme. Compris ?

- Euh, compris. Pourriez-vous me parler de cette odeur tout de même ?

Il sortait d’une de ses poches cousues à son armure des algues, avec lesquelles il se frotta les

blessures les plus graves.

- Ouais, si tu veux la plante. Cette gonzesse…

- Pan d’Orr.

- Pan d’Orr ?

- C’est son nom.

- Ouais, ben cette gonzesse, y’a un truc louche avec elle. Outre ses capacités de combat, plutôt

balèzes pour une humaine, elle porte l’odeur de ma gamine, et ça, ça me plait pas.

- Votre gamine ?

Page 8: Miroir

Chapitre ƸƷ : Reflets Il se mit à rigoler avec un rire grave et franc.

- On peut dire ça ouais, même si elle n’en fait qu’à sa tête.

- Pan d’Orr et votre fille, elles seraient rentrées en contact ?

- C’est là que ça cloche. L’odeur de ma gamine, elle n’est pas portée sur ses vêtements ou sur

son corps là, de l’autre, Pandar…

- Pan d’Orr.

- Pareil. M’en fous. Pétasse ce sera bien aussi. Le parfum de ma fille émanait du corps de la

pétasse, mais de l’intérieur. Je le sentais dans son souffle, dans sa sueur. Ça émanait partout

autour d’elle, mais impossible de voir ma fille. Comme si…

- Comme si votre fille était en elle ?

- C’est ça.

- Dites, comment s’appelle-t-elle ?

- Qui ça ?

- Votre fille.

- Cette chieuse ? Ayrin.

- Ayrin ? Ne me dites pas que votre fille est une norn.

Le charr releva la tête vivement, son œil fulminait. Il écumait.

- Comment la connais-tu, la plante ! Réponds !

- Nous étions ensemble pour affronter un valet de Primordus.

- Tu es sérieuse ? Que portait-elle ?

- Une magnifique armure en orichalque.

- Bordel de merde ! Que lui est-il arrivée ?

Je lui racontai toute l’histoire. Il tiqua au nom de Svynge. A la fin de mon récit, il resta contemplatif

puis la colère reprit le dessus.

- Abrutie de Svynge. Difficile de lui en vouloir vu la description que tu as faite de votre

adversaire. C’est la plus fragile des deux, à mon avis, elle morfle dans sa tête la blondasse. Va

falloir qu’elle encaisse. Si j’ai bien compris, Pan d’Orr était aux côtés d’Ayrin lorsqu’elle est

morte ?

- Oui.

- Je comprends rien aux superstitions et aux conneries religieuses, mais les norns ont un truc,

les esprits je crois. Son âme a du s’égarer et finir je ne sais comment dans le corps de la

pétasse.

- Ce serait une première.

- Première ou pas, va falloir que j’extirpe Ayrin de là.

- Comment comptez-vous vous y prendre ?

Il se gratta la tête comme un asura…

- Aucune idée. Je lui pète la gueule et j’avise après.

- Je suis pas sure que ça marche.

- Si t’as une meilleure idée, vas-y, parle, la plante.

- J’ai un nom.

Page 9: Miroir

Chapitre ƸƷ : Reflets

- C’est bien pour toi.

- Peut-être qu’un asura de ma connaissance pourra vous mettre sur la piste.

- Un asura ? Je hais ces bestioles.

- Si vous me promettez de ne pas lui faire de mal, je pourrais peut être vous indiquer sa

position.

- Pourquoi je l’exploserai ?

- C’est un asura.

- Ah ah ! Ouais, pas besoin d’en dire plus. Promis, je le chatouillerai pas.

- Il s’appelle Aboune, d’ici quelques jours, il devrait être aux abords de la demeure de Svynge,

dans la cité d’Hoelbrak, attendant le retour de ses compagnons.

- Pourquoi saurait-il quelque chose ?

- Il mène des recherches justement. Il parlait d’une magie interdite qui aurait été utilisée

pendant notre combat, et il avait vu juste. Peut être en saura-t-il plus sur l’imbrication des

âmes d’Ayrin et de Pan d’Orr.

- L’imbrica quoi ?

- Laissez tomber.

Le charr s’approcha de moi, puis me tendit la patte :

- Moi c’est Parousir, et vous ?

- Shalimar.

- Vous devriez-vous dépêcher. J’ai vu votre sœur courir à toute allure tout à l’heure, vers le

sud.

- Ma sœur ? Je n’ai pas de sœur.

- Pourtant, elle vous ressemblait comme deux gouttes d’eau.

Les idées se bousculaient dans ma tête. Oh non, je crains le pire !

- Je dois y aller ! Ça va aller pour vous ?

- Ouais, t’en fais pas la pla… Shalimar. Je saurai me débrouiller.

Non non ! Ælwynn est en danger. Si c’est bien ce que je pense, ce que je redoute, un clone de moi

n’est pas détruit. Et de ce que j’en sais, ils en savent beaucoup, beaucoup trop, sur les originaux.

Je suis elle mais je suis moi. Ai-je le droit de faire mes propres choix ? Doivent-ils être liés à

elle ? A moi ? Qui est le reflet de qui maintenant ? Maintenant que je suis sortie du miroir.

Je peux avoir mon propre reflet, à mon tour. Être maîtresse de ma vie.

- Ælwynn ?

- Oui ?

- Ce serait plus sage je pense de se détourner de notre chemin initial. Rien ne nous garantit

que Pan d’Orr ne nous pourchasse pas, ce serait mieux de brouiller les pistes.

- Tu as raison, on va remonter la Passe de Lornar par le sud pour atteindre le Prieuré. Ça nous

demandera trois ou quatre jours de plus mais on n’a pas le choix.

- Ça ira pour toi ?

- Oui oui, t’en fais pas.

Page 10: Miroir

Chapitre ƸƷ : Reflets Je prenais soin d’effacer nos traces derrière nous, pour nous laisser le loisir de disparaître. Moi et

mon amie, à jamais liées. A mon tour de faire mon propre chemin, de laisser mes propres empreintes

en direction de l’avenir. Adieu, passé qui ne m’appartient pas. Une dernière chose…

Shalimar : Bon sève ! J’ai retrouvé leurs traces au bout de quelques heures. Ælwynn était avec elle.

Ce sont mes pas. Enfin les pas de moi. Mais ce n’est pas moi ! Mais la piste s’effaça d’un coup, sans

me laisser la moindre idée de la direction à prendre. Qu’a-t-elle fait à Ælwynn ? Sur une souche, un

objet attira mon attention. Mon pendentif, mon capteur de rêves. Elle s’en est séparée. Pourquoi ?

Me laisse-t-elle un message ? Que compte-t-elle faire d’Ælwynn, merde ?!

La piste étant trop bien dissimulée (on se demande bien d’où lui vient ce talent…) je pris la direction

du Prieuré, au pas de course. J’enverrai un moa voyageur prévenir les autres de la situation, et

tenterai de trouver de l’aide là-bas.

Le premier jour de nos recherches palpitantes dans l’Antre de Primordus, après avoir

prononcé nos adieux aux autres membres d’Onitopia, j’ai posé. Oui oui oui, le pied sur la

tête du Flammotaure, ou du moins sur ce qu’il en restait, il avait fier allure le Nezumy,

bouclier en avant, menton levé, cheveux dans le vent. Si avec ça Stathor n’avait pas le

béguin pour moi ! Bon, il n’y avait pas de vent certes, mais l’idée était là. Outre ce sublime

symbole qui irradiait la caverne de toute sa splendeur tel un parangon de justice et de vertus, et qui

faisait trembler Primordus lui-même au point qu’il se terrait au fond de sa niche, je servais surtout de

piédestal pour Aboune.

- Nezumy ? T’étais obligé de prendre cette pose ridicule pour que je ne puisse pas lire le

bouclier ?

- Ridicule ? Ridicule ? Ah ah ! Je me gausse. Le dragon dans la fosse, le Nezu prend la pose,

c’est bien normal !

- Si tu veux si tu veux.

Au bout de longues heures et quelques crampes.

- Alors, une petite idée ?

- Hein ? Ah oui, j’ai fini depuis longtemps déjà.

- Quoi quoi quoi ? Tu pouvais pas me prévenir ?

- T’avais l’air si heureux, je voulais pas te déranger.

- Groumph. Alors, quoi de neuf ?

- C’est limpide comme la roche de l’eau : ces symboles sur ton bouclier. Ils nous représentent.

- Bien sur bien sur. Ils nous représentent. Oui oui. Je vois pas ma tête dessus ceci dit, sauf

quand je me regarde dedans. Arrête de raconter des bêtises Aboune.

Guess, Pug et Stathor avaient fini par nous rejoindre.

- Pas dans mon intention de te faire marcher Nezu. Il y a vingt et un symboles en tout. Lorsque

nous affrontâmes la bête, nous étions combien d’après toi ?

Page 11: Miroir

Chapitre ƸƷ : Reflets

- Vingt et un ?

- Bravo.

- Merci !

- Va savoir pourquoi, ce bouclier est lié à nos énergies. Moins exactement, il est lié à ton

empathie pour les autres.

- Dis tout de suite que je suis gros.

Aboune se tapa le front de sa main, plutôt violemment.

- Non l’empathie, c’est la manière de ressentir les sentiments des autres, plus ou moins

développée chez les individus. Chez toi, c’est particulièrement développé.

- Ben oui, je sais très bien ce qu’est l’empathie. Pour qui me prends-tu ?

- Pour toi… Enfin bon bref, les personnes à qui tu t’attaches sont représentées

symboliquement sur ton bouclier.

- Trop fort !

- Si tu veux. La difficulté, c’est de deviner qui est qui, et pourquoi certains symboles réagissent

différemment des autres.

- C’est quoi c’est quoi c’est quoi ?

- C’est quoi quoi ?

- Mon symbole.

- En ressassant les derniers événements, ton symbole devrait appartenir à cette triade : Ξ ¿ Σ

- Ah c’est cool !

- J’ai fait une liste ici de mes suppositions, que vous pourrez ne pas regarder si ça vous chante.

- Ça m’enchante !

- Quoi qu’il en soit, on peut dire que nos compagnons sont partis dans différentes directions.

- Oh non.

- Rien de grave. A première vue, ils sont restés en groupe, pour la plupart. Probablement

quelques skelks à fouetter aux quatre coins de la Tyrie.

- Mais la Terre est ronde.

- Nezumy ?

- Oui ?

- Tu peux te taire s’il te plait ?

- D’accord.

- Ceci dit, il y a un symbole particulier. Le huit renversé toujours. Le seul qui se permet de

traverser les autres. Presque tous les autres en fait. Le voilà en osmose avec un symbole

depuis la chute du Flammotaure.

- Ce qui veut dire, intervint Pug ?

- Qu’ils sont liés intimement et qu’ils ne forment plus qu’une personne.

- Comment est-ce possible ?

- J’ai bien ma petite idée là-dessus. Lorsqu’Ayrin nous a quittés, son âme, son énergie, pour je

ne sais quelle raison, s’est réfugiée dans l’un de nous.

- J’ai pas envie de bière personnellement.

- Attends attends attends, tu veux dire qu’Ayrin est encore en vie ?

- Exactement.

Page 12: Miroir

Chapitre ƸƷ : Reflets C’était l’heure de danser. Une des danses les plus exemplaires que ce monde carré ait connu ! Une

danse de joie !

- Le tout c’est de deviner chez qui elle s’est réfugiée. En posant les bonnes questions, ça

devrait pouvoir se trouver facilement et… Par tous les golems ! Qu’est-ce que c’est encore ?

Devant l’admiration d’Aboune, je finis par m’arrêter pour adresser de remarquables courbettes à

mon public.

- Merci merci.

- Ton bouclier ! Qu’est-ce que…

- Ben quoi ?

Aboune nous montra ce symbole : ≈. Voilà maintenant qu’ils étaient deux, face à face. Exactement

identiques mais symétriques.

- Alors là, voilà un nouveau mystère. C’aurait été trop simple…

Le deuxième jour de nos recherches, nous explorâmes la ville. Voilà qui n’était pas pour

me déplaire. Bon nombre d’artefacts nains avaient péri dans les flammes mais quelques

temples entre autres avaient su se préserver de la destruction. Lorsque nous passions les

entrecolonnements pour nous rendre au cœur des édifices, nous réalisions que tous

n’étaient pas destinés à quelconque croyance, à ma grande surprise. Celui-ci par exemple

était un bâtiment administratif, enfin ça y ressemblait. Nous évoluions au milieu de labyrinthes de

solides colonnes blanches et sculptées dans la plus grande simplicité mais non sans génie, sur le sol

duquel traînaient par centaines des tablettes de pierre gravées de symboles inconnus. Quelques

destructeurs fuyaient à notre approche. On les entendait à l’occasion derrière une colonne,

escaladant un mur, fuyant à toute allure. La défaite de leur maître ne les mettait pas en confiance,

mais leur présence n’était guère rassurante ceci dit.

Nous visitâmes ainsi bon nombre d’édifices, allant de l’école au temple, de la forge à l’entrepôt…

Nous naviguions dans une ville fantôme qui, à son heure de gloire, devait témoigner d’une intense

activité éblouissante. Les édifices noircis par le feu, les toiles d’araignées brulées, les contrastes

étaient parfois saisissants, entre les cendres et les pierres blanches, la tête pouvait m’en tourner.

Nous nous étions séparés pour accélérer les recherches, tout en restant dans un quartier commun,

au cas où. Je me dirigeai vers un temple, en apparence, en remarquant qu’un scarabée me suivait de

près. Ses mandibules cliquetaient derrière moi. Je me suis retourné vivement pour l’effrayer. Il battit

des ailes maladroitement puis finit par prendre la tangente.

La porte en bois massif était entrouverte. Elle n’avait pas l’air d’avoir souffert. Sur les linteaux, le

bestiaire des nains y figurait dans son intégralité : griffons, hydres, lions barbus… Ont-ils connus

toutes ces créatures ? Lorsque je poussai la porte, la poussière tomba comme une fine brume et, pris

de court, mon éternuement résonna dans le naos et se répercuta sur tous les murs avant de

disparaître au loin, après un fort long moment. Par tous les golems, quelle taille fait cet édifice ? Je

n’y voyais rien et ma torche ne perçait pas à plus de quelques mètres.

Page 13: Miroir

Chapitre ƸƷ : Reflets Les toiles d’araignées n’avaient pas souffert non plus et étaient aux prises des courants d’air, les

minces fils voletant un peu partout. Seulement, il y avait un problème. Il n’y avait aucun courant

d’air. Plutôt que d’emprunter la colonnade central, je pris une des traverses latérales. Ma torche

éclairait les murs et j’eus la surprise d’y découvrir des fresques peintes.

La première représentait un asura – un asura ? – bras en l’air, devant une sorte de grande corne

entourée de norns. La deuxième fresque représentait une femme sur la scène d’un théâtre, avec un

groupe d’enfants en face d’elle. La troisième peinture représentait un asura – encore ? – fuyant ce

qui semble être une avalanche. La scène était criante de vérité et les peintures presque animées de

vie. Mais rien de scientifique dans tout cela, juste une impression. La suivante : une norn et un asura

affrontant des guivres. Bon sang ! C’est impossible ! La scène suivante montrait quatre personnages,

une norn, deux asuras et une humaine, comme s’ils volaient dans un ciel baigné de milliers d’étoiles.

Et les suivantes, que j’examinais à toute allure, totalement paniqué : l’aéronef qui emporta Svynge, le

visage du Flammotaure trois fois plus grand que moi me fit sursauter dans il était criant de vérité,

notre combat contre lui. Nous étions ici tous représentés, en train de l’affronter. Puis vint la

représentation de la mort d’Ayrin. Ayrin… Je ne t’oublierai jamais. Une fresque où trônait Nezumy sur

son adversaire, bouclier en main. Mais attendez, ça veut dire…

En levant haut la torche, je vis d’autres fresques plus loin : Svynge et les autres affrontant… C’est quoi

ça ? Une hydre ? En reprenant le fil des représentations, je poussai un cri de stupeur. C’était moi en

face de moi, une torche à la main, qui clignait des yeux ! Son bras sortit du mur et m’agrippa aussi

vivement au cou, pour me faire rentrer dans le mur.

Je me suis réveillé au pied du bâtiment, à l’extérieur, totalement sonné. Guess accroupie au-dessus

de moi.

- Tu vas bien ? On t’a entendu crier, on a accouru aussi vite.

- Je… Je sais pas.

- Qu’est-ce qui s’est passé ?

- Venez. Venez avec moi, je vais vous montrer.

Je pénétrai de nouveau dans le bâtiment, précipitamment, les autres derrière moi. Je me précipitai

vers les fresques pour leur montrer ce miracle ! Mais il n’y avait plus rien. Tout avait disparu. Non,

impossible !

- Alors ?

- Elles étaient là, je le jure ! Tout était là.

- Qu’est-ce qui était là ?

- Nous ! Enfin, les représentations de nous ! Les passées comme les futures !

- Il n’y a rien ici. Juste de la poussière et des toiles d’araignées.

- Mais je vous jure !

- Tu as du te prendre une pierre sur la tête. Allez sortons.

Aurais-je rêvé ? Tout cela me semblait si criant de vérité. L’hématome sur mon front en témoigne, et

je ne vois nulle part une pierre qui m’aurait assommé. Je ne suis pas fou, non !

Page 14: Miroir

Chapitre ƸƷ : Reflets

Au troisième jour, nous reprîmes activement nos recherches. Pug délirait un peu sur son

temple bizarre, et il y retournait souvent en espérant je ne sais pas trop quoi. Il en revenait

toujours bredouille. Ce temple était bizarre je l’avoue, une étrange ambiance. L’autel au

fond du naos, un imposant bloc de marbre qu’entourait deux lionnes ailées à visage et au

torse humain, était assez inquiétant. Leurs ailes se déployaient haut dans le dos des

créatures, sculptées admirablement. Impossible d’en connaître la fonction. Les créatures ailées était

faite d’une pierre bleue translucide qui battaient au rythme des flammes de nos torches, ce qui leur

donnerait presque un semblant de vie. Mais à part ça, pas grand-chose.

Le quatrième et le cinquième jour, nous finîmes les fouilles dans leur intégralité je pense (cette ville

est tellement grande). J’appréciais fouiller aux côtés d’Aboune qui me faisait l’histoire de ce qu’il

découvrait et de tous ces mystères de notre passé : le réveil des dragons, la disparition des nains,

l’effondrement de Louran-Sum… Tellement de choses à apprendre. Cette ville avait plusieurs sorties,

deux d’entre elles nous menèrent à des anciens sites d’excavations de pierre. Seuls les outils rouillés

témoignaient d’une intense activité, désormais éteinte. Un autre couloir nous menait au lac du

phare, ainsi qu’à la sortie. Un autre passage enfin, bien lus grand, à l’opposé, surmonté de solides

linteaux en pierre sculptée, s’enfonçait profondément sous terre. Nous arpentâmes quelques

centaines de mètres quand déjà la chaleur se faisait plus intense et les Destructeurs beaucoup plus

nombreux, et beaucoup moins fuyards. Nous n’insistâmes pas, de peur de nous fourvoyer dans des

lieux dangereux, d’autant plus qu’il serait sage de transmettre les informations au reste de la guilde.

Pas besoin de se faire connaître d’un nouveau vassal de Primordus.

La ville était étrangement calme le soir du cinquième jour. Du moins supposions-nous que nous en

étions au cinquième jour. Difficile de se repérer dans cette cavité. Étrangement oui. Nous

n’entendions plus les destructeurs autour de nous. D’habitude, ils étaient toujours plus ou moins

présents, pas forcément agressifs. Mais là, plus rien. Ça ne me disait rien qui vaille.

- L’ambiance a changé, vous ne trouvez pas ?

- Si Guess, me répondit Aboune, ça a sinistrement changé. On ferait mieux de ne pas trainer.

On regroupe nos affaires, on essaye de dormir un peu car la journée a été longue, et on file

d’ici. On n’a plus grand-chose à y trouver je pense.

Au beau milieu de la nuit, pour peu qu’une nuit ait un milieu, une odeur piquante et acide

de cendres brûlantes me réveillât. Il n’y avait rien autour de nous, tout était calme. Aboune,

Guess, Stathor, moi-même tout le monde était là. Hum. Hum. Hum…

Ou est passé Pug tiens ? Comment veut-il que je pense que tout le monde va bien si lui n’est

pas là ?

- Psst, hé, oh, eh. Réveillez-vous.

- Mmh, qu’est ce qui se passe ?

- Pug a disparu.

- Par tous les golems !

En me retournant pour suivre le regard de Stathor, je vis la cavité qui descendait profondément sous

terre, celle que nous n’avions jamais osé emprunter tant on savait que c’était risqué, baignée de

Page 15: Miroir

Chapitre ƸƷ : Reflets rouge. Des destructeurs en sortaient par centaines ! Les entrailles de la terre vomissaient les insectes

dans la ville naine. Ils avaient pas l’air content !

- On se tire !

Je ne partirai pas d’ici sans résoudre le mystère d ce temple. Je sais que je ne suis pas fou,

pas encore du moins. Ces fresques étaient là, j’en suis sur ! Pourquoi ne réapparaissent-

elles pas ? Quel est l’énigme ? Il me faut savoir, je dois à tout prix savoir ! Une araignée

rentra dans mon nez par inadvertance et, surpris, j’éternuai pour qu’elle n’aille pas trop

loin dans mon cerveau !

Par tout… ce qui brille !!! Les fresques, les voilà ! Ne me dites pas qu’il suffit d’éternuer pour les

activer ? Selon toute apparence, ben si. La représentation qui me faisait face mettait en scène…

Quoi ? Ayrin me faisait face. Elle tenait la main d’une petite fille humaine vêtue d’une simple robe

rouge. Mais le plus étrange peut être, c’est que derrière elles deux se tenait Zhaïtan, les enveloppant

de ses ailes comme s’il voulait les protéger. Qu’est-ce que…

- Puuuuuug ? On se tiiiiiire ! T’es oùùùùù ?

Nezumy ? Que veut-il ? Je sortis du temple pour le héler :

- Hé, par ici ! Les fresques sont revenues.

- On s’en fout de tes dessins, on se tire ! On a d’autres dessins là tout de suite maintenant !

- Mais vous êtes pas bien ! Venez voir…

Du coin de l’œil, je vis Stathor se ruer vers moi. Elle m’empoigna fortement. Elle avait la force de cinq

norns ! Elle m’entraîna sur son sillage. Quelle brute !

- Mais arrêtez ! Je vous dis que tout est là ! Je…

Oh bon sang, une nuée de scarabées se déversait sur nous, escaladant les bâtiments, la cavernes, se

déversant dans les rues ! Il y en avait partout ! La ville était inondée d’une lumière rougeoyante.

Clairement, Papa Primordus n’était pas content.

- Plus vite Stathor, plus vite !

- Eh oh, je suis qu’une asura moi !

Nous courûmes ainsi comme des fous furieux, traqués par les milliers de scarabées. Nous

réempruntâmes les couloirs qui nous ont menés ici, en esquivant tant bien que mal les insectes au

vol maladroit. Je fermai la marche. A mon entrée dans la caverne aux cascades, je vis Nezumy au

dessus d’une sorte de levier.

- Messieurs mesdames attention, spectacle !

Il appuya sur le levier. Peu de temps après, le couloir explosa en émettant une détonation

monstrueuse. Les premiers scarabées se firent souffler net par l’explosion. Le sol trembla et le couloir

s’effondra, empêchant tout vassal de Primordus de le franchir.

Page 16: Miroir

Chapitre ƸƷ : Reflets

- Quelques petites mesures de sécurité, dit Nezumy, les mains sur les hanches, pas peu fier.

Dorénavant, la ville nous était interdite et à jamais enterrée, ainsi que ses secrets, mais au moins,

maigre consolation, les armées de Primordus n’auront plus accès à la surface. Le tombeau d’Ayrin, à

l’abri des regards indiscrets, pour l’éternité. D’ailleurs, Ayrin, quand j’y repense…

Je profitai des siestes de Pan d’Orr pour fouiller les lieux de manière plus conventionnelle.

Clairement, le centre de ce monde, c’est Zhaïtan, et tout se développait en cercles

concentriques autour de lui. Dans ce décor gris et austère, la ville en ruines se tenait au

centre d’une vaste plaine plate et morne, mélancolique et triste, s’étendant aussi loin que

pouvait porter le regard, pour buter sur de hautes chaines de montagnes. J’ai bien sur

tenter de rejoindre ces montagnes à plusieurs reprises, ne serait-ce que pour savoir ce qui pouvait se

cacher derrière, mais je pris bien vite conscience qu’il me faudrait plus qu’une simple sieste pour y

parvenir, sans compter sur le fait que dans ces plaines le dragon pouvait vite me repérer. Je préférai

que Pan d’Orr ne sache rien de mes projets. Et puis, de toute façon, si je trouve une sortie, qu’est-ce

qui se passera ?

Mon âme se trouvera à nouveau isolée dans les limbes du néant et si les esprits ne daignent venir me

chercher alors j’errerai pour l’éternité dans le vide absolu. Je préférai éviter ça. J’essayai de faire le

point sur la situation et de que j’en comprenais.

Pour je ne sais quelle raison, Pan d’Orr a une affinité extrême avec Zhaïtan. Il semble que le dragon

ne soit pas tout à fait mort finalement, son âme ou quelque chose du genre tournoie dans la tête de

cette fille. Comment et pourquoi, alors là vous m’en demandez trop. Peut-être que Pan d’Orr était

une guerrière qui aurait lutté contre Zhaïtan aux côté des autres et, un peu comme moi, Zhaïtan se

serait infiltré dans son corps à sa mort. Mais si c’était ça, pourquoi l’appellerait-t-elle papa ? Non, ce

n’est pas logique. Il aurait élevé cette gamine ? Ah ah ! Laissez moi rire. Un dragon, élever une petite

humaine… Je passai du rire franc au rire jaune… Pourquoi pas après tout ? Si elle a toujours vécu avec

les préceptes de son père particulier, rien de plus normal que d’accepter cette situation. Plus je

cherchais, et plus cette hypothèse semblait tenir la route.

Esprit ou pas, le dragon avait besoin de se nourrir visiblement. Dans ce monde, je n’ai jamais ressenti

la faim, alors pourquoi lui avait besoin de manger ? Régulièrement, des être apparaissaient au cœur

de la ville, que le dragon se faisait un malin plaisir à dévorer sans leur laisser l’ombre d’une chance.

Heureusement, je n’ai plus jamais revu d’enfants ou de carnages aussi violents que celui de la

dernière fois. La dernière fois d’ailleurs, quand j’y repense, j’ai ressenti une odeur familière. Un

parfum particulier avait soufflé l’espace d’un instant sur ce décor : celui de Parousir. Était-ce le fruit

de mon imagination ?

Zhaïtan avait besoin de manger. J’avais loisir de le regarder. En y prêtant une certaine attention, je

remarquai que le dragon semblait grandir en taille à mesure qu’il participait à ces orgies. Est-ce que

cela voudrait dire qu’il est en train de récupérer ses forces pour tenter de dominer à nouveau notre

monde ? C’est fort possible ! D’autant plus qu’il peut agir à loisir caché dans l’enveloppe humaine de

Pan d’Orr.

Page 17: Miroir

Chapitre ƸƷ : Reflets En surface, Pan d’Orr devait trouver les proies pour les amener ici. Elle nous a bien roulés !

Heureusement, d’une certaine manière, je n’ai jamais vu de visage familier jusque-là. Est-ce dire

qu’elle s’est séparée de mes proches, de ma sœur ? Pourquoi a-t-elle voulu nous accompagner

d’ailleurs ? Quels sont ses intérêts à nous côtoyer ? Je n’aime pas ça.

Pourtant, quelque chose me chagrinait dans tout ça. Maintenant que j’étais plongé dans les plus

profonds secrets de Pan d’Orr, j’y ai trouvé un dragon certes, mais une petite fille aussi, tout ce qu’il

y a de plus normal : aimant jouer et rigoler, aimant les câlins, un peu excentrique parfois, curieuse,

pas méchante pour un sou… Tout ce qu’il y a de plus normal pour une gamine de six ans. Je savais

très bien que tuer la Pan d’Orr physique tuerait cette petite fille aussi, qui n’est que son plus profond

reflet. Si elle a été effectivement élevée parmi les dragons, elle n’a pas du passer une enfance

terrible…

Et si je tuais la petite ici, est-ce que ça tuerait l’enveloppe charnelle ainsi que Zhaïtan ?

En regardant petite Pan d’Orr dormir sur mes genoux, je me voyais serrant le cou de cette gamine

innocente, la privant de sa vie. Sans m’en rendre compte, je pleurais. Je ne pourrai jamais faire ça !

Mais si je n’ai pas le choix… Si Zhaïtan devient trop puissant. Pourrais-je faire autrement ? A chaque

seconde où j’hésite, ce sont des innocents qui finissent dans l’arène du dragon, et je corrobore ces

faits par ma passivité ! J’ai les mains tâchés de sang et je suis tout aussi coupable que Zhaïtan

finalement ! Devrais-je la tuer, là, maintenant, pour mettre fin à tout ça ? Je crois que…

- Ayrin, tu pleures ?

- Hein ? Non, tout va bien, t’en fais pas.

Je ne l’avais pas vu se réveiller.

- Papa veut me parler, je reviens.

- D’accord.

Je la regardais se diriger vers son papa… Qui se posa de nouveau au niveau de petite Pan d’Orr.

L’image pourrait presque être touchante si ce n’était pas un dragon psychopate qui venait chercher

l’affection d’une petite fille. Après son traditionnel câlin sur le museau, et quelques échanges

verbiaux, elle revint me voir.

- Il a dit qu’il est désolé.

- Désolé, pourquoi ça ?

- Il n’a pas trouvé de carottes, il ne peut pas nous en ramener.

- Ah ? Dommage. On finira bien par en trouver un jour, t’en fais pas.

- Oh oui oh oui oh oui.

Un dragon, bloqué pour trouver des carottes. J’y crois pas ! Je voyais petite Pan d’Orr trépigner

devant moi.

- Tu veux me dire autre chose ?

- Oui, mais j’ose pas.

- Viens ici, dans mes bras. On se connaît bien toutes les deux, ne sois pas timide.

Elle se lova contre moi.

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Chapitre ƸƷ : Reflets

- Je t’écoute.

- Il a dit qu’il est d’accord.

- D’accord pourquoi ?

- Que tu deviennes ma maman.

- Quoi ?