méthodologie linguistique pour l’évaluation des...
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TTHHSSEE prsente et soutenue publiquement par
Linda TERRIER, le 2 dcembre 2011
en vue de l'obtention du
DDOOCCTTOORRAATT DDEE LLUUNNIIVVEERRSSIITT DDEE TTOOUULLOOUUSSEE
dlivr par lUniversit Toulouse III Paul Sabatier
dans la spcialit : Linguistique et Didactique de lAnglais
Mthodologie linguistique pour lvaluation
des restitutions et analyse exprimentale des processus de didactisation du son
Recommandations pour un apprentissage raisonn
de la comprhension de langlais oral
par les tudiants francophones du secteur LANSAD
TOME 1
MEMBRES DU JURY
M. David Banks Professeur, Anglais (Linguistique), Universit de Bretagne Occidentale (Rapporteur)
M. Alain Cazade Professeur, Anglais (TICE), Universit Paris-Dauphine (Rapporteur)
M. Jacques Durand Professeur, Anglais (Phonologie), Universit Toulouse II
M. Wilfrid Rotg Professeur, Anglais (Linguistique), Universit Paris X
M. Antoine Toma Professeur, Anglais (Linguistique et TICE), Universit Toulouse II
M. Philippe Vidal Professeur, Informatique (EIAH), Universit Toulouse III
cole doctorale : Allph@, ED 328 ; Unit de recherche : LAIRDIL, LU 52
Directeur de Thse : Antoine Toma
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Remerciements
Je tiens tout dabord remercier mon directeur de thse, Antoine Toma, qui a su me
guider tout au long de ce travail de recherche.
Je remercie David Banks, Alain Cazade, Jacques Durand, Wilfrid Rotg et Philippe
Vidal qui mont fait lhonneur daccepter dtre membres du jury de soutenance de cette
recherche-dveloppement, pourtant la croise des chemins entre phonologie,
linguistique, didactique et TICE dans le secteur LANSAD.
Je remercie vivement Serge Paronneau, professeur agrg de mathmatiques-
statistiques invit au jury de soutenance, de mavoir apport son aide pour la dmarche
exprimentale et lanalyse statistique.
Je souhaite remercier la Direction de lIUT A de mavoir accorde, trois reprises,
une dcharge de service sans laquelle je naurais pu terminer ce travail dans des dlais
raisonnables. Mes remerciements vont galement tous les tudiants qui ont particip
aux diffrentes exprimentations en donnant toujours le meilleur deux-mmes.
Je remercie galement Mireille Hardy et Marc Arino pour leurs prcieux conseils.
Ce travail naurait pu voir le jour sans ma rencontre avec Chantal Plissier et
Christine Vaillant Sirdey.
Je remercie ma mre, toute ma famille et mes amis de mavoir soutenue (et
supporte) tout au long de ce travail.
Mathilde, que pourrais-je crire qui suffise exprimer en quelques mots tout ce quil
y aurait dire ? Tu sais tout, et, a, cest nous.
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4 Mthodologie linguistique pour lvaluation des restitutions et analyse exprimentale des processus de didactisation du son
Rsum
Cette tude est motive par le constat du faible niveau des tudiants du secteur LANSAD dans la comptence de comprhension de langlais oral.
Elle tablit dans un premier temps les aspects de la phonologie de langlais susceptibles de faire obstacle la comprhension du message par un francophone. Puis, suite lanalyse diachronique de la place ddie lenseignement de la phonologie et de la comprhension de loral dans les diffrentes mthodologies, et lanalyse des processus cognitifs impliqus dans lacte de comprhension de loral, elle suggre de concentrer lattention des tudiants sur la langue, travers le travail de restitution crite dun contenu oral.
Cette proposition de modification du paradigme didactique, jusque-l essentiellement centr sur un enseignement / apprentissage des stratgies dcoute, invite rechercher des modes dcoute dun document vido ou sonore appropris.
Aprs une analyse des limites didactiques et ergonomiques du mode dcoute par dfaut partir des lecteurs multimdias classiques pour un travail de reconstruction exhaustive de la base de texte, nous avons choisi dexplorer la valeur dune mthodologie base sur le traitement didactique du son par le biais de processus de didactisation que nous avons situs dans le cadre de la thorie de la charge cognitive.
Notre hypothse de travail est que les processus de didactisation du son pourraient allger les charges cognitives intrinsques et extrinsques lies la tche de comprhension de loral et permettre ainsi aux tudiants damliorer leur niveau dans cette comptence.
Cependant, confronter une telle hypothse aux donnes du terrain ncessite de possder un outil de mesure valide. Nous avons compar diffrents modles linguistiques et psycholinguistiques susceptibles de fournir un outil dvaluation de la comprhension de loral travers les restitutions. Une fois le modle choisi, notre travail a consist en faire une appropriation permettant de dgager des rgles formelles dattribution des points, en fonction de lanalyse linguistique du texte oral de dpart.
Cette mthodologie linguistique dvaluation a t applique lanalyse quantitative des restitutions issues des quatre exprimentations mises en uvre pour valider lhypothse de travail. Une tude qualitative a galement t mene. Les rsultats encouragent formuler de nouvelles pistes pour un travail raisonn de la comprhension de langlais oral en mode denseignement / apprentissage mixte ( blended learning ) dans le cadre dune didactique multimdia des langues.
Mots-cls : comprhension de langlais oral, LANSAD, phonologie, processus de construction de bas niveau, base de texte, charge cognitive, outil dvaluation, analyse linguistique des restitutions, didactisation automatise du son, didactique multimdia des langues, enseignement / apprentissage mixte
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Rsums et mots cls (franais-anglais) 5
Abstract
This PhD thesis was motivated by an experiment undertaken in 2007, and replicated in 2008, which revealed that fewer than 20% of French university students using English for specific purposes were able to understand the main issue dealt with in an oral document after listening to it once.
We first establish which aspects of English phonology may cause listening comprehension difficulties for native speakers of French. We then analyze the place of phonology and listening skills in the history of English teaching in France. We also examine the cognitive processes involved in the act of listening to a foreign language. We conclude this review by suggesting that focus should be put on teaching and learning the language through written transcriptions of oral documents, rather than on listening strategies.
This proposed change in the instructional paradigm invites research into new modes of listening to audio or video files, as ordinary modes of listening with multimedia players are shown to be limited in terms of didactics and ergonomics and cannot be said to help students reconstruct the microstructure of the oral text base. Given these limits, we chose to explore the value of a methodology based on a didactic approach to sound-editing within the framework of the Cognitive Load Theory (CLT).
The main hypothesis is that these sound-editing processes could reduce the intrinsic and extraneous cognitive loads linked to the task of understanding spoken English, thereby helping students improve their level in this skill.
However, checking this hypothesis against empirical data requires possessing a valid tool to assess listening comprehension through written transcriptions. Different linguistic and psycholinguistic models were reviewed. Once a model was chosen, we set about adapting it to our specific purpose in order to build a series of formal rules used to allocate points to transcriptions, subsequent to the linguistic analysis of the original oral text.
This linguistic methodology was applied to the quantitative analysis of the transcriptions written by students during the four experiments conducted to validate our working hypothesis. A qualitative analysis was also carried out. The results of both these analyses point the way to new proposals regarding teaching and learning English listening comprehension skills based on innovative multimedia instructional designs within a blended learning environment.
Keywords : listening comprehension, French students of English for specific purposes, phonology, low-order processes, text-base, cognitive load, assessment, linguistic analysis of written transcriptions, sound didactisation, multimedia instructional design, blended learning
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6 Mthodologie linguistique pour lvaluation des restitutions et analyse exprimentale des processus de didactisation du son
Sommaire
Remerciements ........................................................... 3
Rsum ..................................................................... 4
Abstract ..................................................................... 5
Sommaire .................................................................. 6
Introduction ............................................................... 9
tat des lieux de la comprhension de langlais oral dans le secteur LANSAD ............................................. 23 Chapitre 1
Problmes phonologiques de langlais pour un tudiant francophone ..................... 27
1. Repres historiques ............................................................................. 28
2. La perception au niveau segmental ..................................................... 34
3. La perception au niveau suprasegmental ............................................ 49
Chapitre 2
Problmes denseignement et dvaluation ................................................................. 75
1. Lenseignement de la comprhension de langlais oral ...................... 76
2. Les outils dcoute disponibles ......................................................... 100
3. Mthodologies dvaluation .............................................................. 120
Mthodologie linguistique dvaluation des restitutions crites dun contenu oral .................... 137 Chapitre 3
Choix du modle linguistique et principes danalyse des restitutions .................... 143
1. tude de modles existants ............................................................... 144
2. Principes danalyse pour une mthodologie linguistique dvaluation des restitutions .......................................... 177
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Sommaire 7
Chapitre 4
Rgles dattribution des points aux relations prdicatives restitues ..................... 199
1. Les lments obligatoires de la structure canonique sous-jacente .... 200
2. Les lments optionnels .................................................................... 220
3. Les relations imbriques ................................................................... 247
Protocoles pour ltude exprimentale des processus de didactisation automatise du son ....... 275 Chapitre 5
La didactisation automatise du son .......................................................................... 279
1. lments thoriques .......................................................................... 280
2. Mise en uvre des processus de didactisation automatise du son .. 298
Chapitre 6
laboration des protocoles .......................................................................................... 323
1. Cadre mthodologique ...................................................................... 324
2. Cadre exprimental ........................................................................... 337
3. Les quatre protocoles dexprimentation .......................................... 355
Rsultats des exprimentations et recommandations .... 385 Chapitre 7
Validit des processus de didactisation automatise du son .................................... 389
1. Rsultats de lexprimentation 1 : les effets du texte ....................... 390
2. Rsultats quantitatifs des exprimentations 2 et 3 : les effets de chaque processus considr individuellement .............. 412
3. Analyse qualitative des processus ..................................................... 442
4. Rsultats quantitatifs de lexprimentation 4 : les effets de lordre des coutes didactises ...................................... 462
Chapitre 8
Recommandations ....................................................................................................... 471
1. Comprhension et apprentissage ....................................................... 472
2. Proposition dune leon multimdia raisonne ................................. 482
3. Dmarche de travail autour de la leon-modle ............................... 506
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8 Mthodologie linguistique pour lvaluation des restitutions et analyse exprimentale des processus de didactisation du son
Conclusion ............................................................. 531
Bibliographie .......................................................... 549
Table des matires .................................................. 571
Table des figures ..................................................... 581
Liste des tableaux ................................................... 585
Table des sigles et des abrviations ........................... 591
Annexes : Tome 2 ................................................... 593
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Introduction
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Introduction 11
Comment aider les tudiants francophones du secteur LANSAD (Langues pour
Spcialistes dAutres Disciplines) amliorer leur comprhension de langlais oral ? Le
prsent travail de thse se donne pour objectif de dfinir des lments indispensables
une dmarche raisonne denseignement et dapprentissage de cette comptence dans le
cadre dune didactique multimdia des langues. Il sappuie sur une tude exprimentale
de diffrents modes dcoute contenus dans les leons danglais disponibles sur le
campus numrique IUT en ligne, prconis par lInstitution. Les protocoles
dexprimentation pour cette tude ont t mis en uvre entre 2009 et 2011 auprs de
prs de 300 tudiants inscrits dans des filires scientifiques et techniques lInstitut
Universitaire de Technologie (IUT) A de lUniversit Toulouse III.
Une mthodologie linguistique danalyse des restitutions effectues par les tudiants-
sujets partir dun document vido ou sonore en anglais authentique a d tre
recherche pour rpondre aux besoins spcifiques de cette tude. Lapplication de la
mthodologie sest concrtise par lobtention de donnes quantitatives dont lanalyse
statistique, combine une analyse qualitative des commentaires des tudiants-sujets, a
permis de procder des recommandations visant amliorer lefficacit de
lenseignement et de lapprentissage de la comprhension de langlais oral des tudiants
francophones du secteur LANSAD travaillant partir dun support multimdia en
prsentiel, en centre de langue ou distance.
Cadre didactique
La question de lamlioration de lenseignement et de lapprentissage de la
comprhension de langlais oral en LANSAD a t motive par le constat personnel, sur
le terrain, du faible niveau des tudiants dans cette comptence1.
Lanne 2004 fut propice une intgration dans le monde de la recherche en
didactique des langues. La Direction de lIUT A venait dimpulser une politique forte
en faveur de lenseignement des langues, anime par les enseignants-chercheurs du
Laboratoire Inter-universitaire de Recherche en Didactique des Langues (LAIRDIL). Le
1 Aprs une premire affectation en 2003 dans lenseignement suprieur en tant que professeur agrge
(PRAG) dans trois dpartements secondaires de lIUT Le Creusot de lUniversit de Bourgogne, nous avons pu observer que les tudiants inscrits dans le dpartement Gnie lectrique et Informatique Industrielle (GEII) de lIUT A de lUniversit Toulouse III, dans lequel nous tions recrute lanne suivante, prouvaient, comme les Creusotins, de grandes difficults dans cette comptence.
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12 Mthodologie linguistique pour lvaluation des restitutions et analyse exprimentale des processus de didactisation du son
groupe denseignants titulaires de langues de lIUT A, constitu officiellement en
Groupe Langues , entamait une rflexion sur lenseignement des langues en
LANSAD en vue du remplacement des laboratoires cassettes par des laboratoires
multimdias de langue. Il sagissait de rdiger un cahier des charges pour lacquisition
de matriels et de logiciels rpondant aux besoins didactiques de chacun afin de mettre
en place des espaces multimdias ddis aux langues qui permettraient dintgrer au
mieux la dimension multimodale de ces outils aux enseignements quotidiens de langue.
Une telle dmarche didactique mene en amont par les enseignants, appuye par la
recherche en didactique des langues au sein de laxe Didactique des langues et TICE
du LAIRDIL et soutenue par lInstitution, reste une exprience originale dans le
paysage universitaire franais (Terrier et Vaillant Sirdey, 2011). Elle a ancr demble
notre travail denseignante dans une rflexion didactique prenant en compte les
spcificits de lenseignement de langlais des tudiants francophones poursuivant des
tudes dans le secteur LANSAD au moyen doutils multimdias. Ctoyant
rgulirement des enseignants-chercheurs spcialistes de ce domaine, deux questions de
recherche se sont peu peu imposes.
La premire consistait vrifier par une tude formelle les difficults de
comprhension de langlais oral des tudiants LANSAD constates sur le terrain.
Lobjectif tait de dterminer, le cas chant, si ces difficults taient spcifiques aux
tudiants inscrits en IUT dans des filires secondaires ou caractristiques de la majorit
des tudiants francophones inscrits dans les filires universitaires LANSAD, quelle que
soit la spcialit concerne. La seconde question consistait savoir si diffrentes faons
dentendre le son, tel que cela tait propos dans les cours dIUT en ligne, pouvaient
avoir une influence sur le niveau de comprhension de loral. Linscription en Master 2
durant lanne universitaire 2007-2008 fut loccasion de mener un premier travail de
recherche pour tenter de rpondre ces deux questions.
Du Master 2-Recherche au travail de thse
En octobre 2007, quatre enseignants intervenant dans des filires secondaires et
tertiaires de lIUT A et en Langues trangres Appliques (LEA) ont mis en uvre
une exprimentation visant, dans un premier temps, tablir le niveau des tudiants en
comprhension de langlais oral aprs lcoute dun document sonore authentique
extrait du site dinformation VOA News . Il tait demand aux 209 tudiants
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Introduction 13
participant cette exprimentation dcouter en continu le document lanc par
lenseignant, et diffus par des haut-parleurs, en prenant des notes sils le souhaitaient,
puis de restituer lcrit, en franais, toutes les informations comprises (protocole
dtaill en annexe 1). Les restitutions ont t classes en deux catgories selon la
comprhension, ou non, de la problmatique du document. Cette analyse a rvl que
seuls 18,5% des sujets taient capables de comprendre la problmatique du document
sonore authentique slectionn au hasard sur le site, Indian Exporters Hit by Surging
Rupee (texte en annexe 2).
Si lchantillon E de cette tude est reprsentatif de la population mre P, constitue
par les tudiants inscrits en Licence et Master dans les secteurs LANSAD et LEA en
France, la marge derreur de ce rsultat est de +/- 7% pour un seuil de confiance de
95%2. Il serait ainsi possible daffirmer avec une probabilit faible de se tromper que,
dans le meilleur des cas, seul un quart des tudiants inscrits en LANSAD et LEA
Toulouse est capable de comprendre la problmatique du document sonore en anglais
authentique en lcoutant une seule fois en continu. Les rsultats par niveau dtude
prsents dans la figure 1 montrent que lchec dans cette comptence se situe tous les
niveaux et dans diffrentes filires du secteur LANSAD et LEA :
Figure 1 - tat de la comprhension de langlais oral des tudiants du secteur LANSAD et LEA, jug travers la restitution de la problmatique du document dinformation extrait de VOA
News Indian Exporters Hit by Surging Rupee (Terrier, 2008a : 91).
2 Calculs effectus sur le site SCOR Recherche-Marketing (2005).
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14 Mthodologie linguistique pour lvaluation des restitutions et analyse exprimentale des processus de didactisation du son
La plupart des tudiants inscrits en premire anne de licence (L1) dans la filire
Mesures Physiques (MP) possdent un baccalaurat gnral de srie scientifique S.
Leurs rsultats montrent que lobjectif dun niveau B2 la sortie du lyce, tel
quaffirm dans le Bulletin Officiel n5 Hors Srie de septembre 2004, nest pas atteint
pour la comptence de comprhension de langlais oral. Selon le Cadre Europen
Commun de Rfrence pour les Langues (CECR), le niveau B2 correspond un
utilisateur avanc ou indpendant capable de comprendre des confrences et
des discours assez longs et mme suivre une argumentation complexe lorsque le sujet
est relativement familier, ou de comprendre la plupart des missions de tlvision sur
l'actualit et les informations (CECR, 2001 : 27).
Si les annes de travail de langlais au collge et au lyce ne semblent pas donner
aux tudiants les moyens dune telle indpendance langagire en comprhension de
loral, lenseignement luniversit ne parat pas combler ce dficit. Le niveau atteint
par les tudiants en Master 1 et 2 est certes meilleur, mais tous sont inscrits dans la
filire LEA : peut-on se rjouir de leurs rsultats alors quils suivent des tudes dans une
filire qui, daprs lAssociation Nationale des Langues trangres Appliques, vise
former de futurs cadres bilingues ou trilingues spcialiss en conomies et commerce
international ? Malgr le caractre conomique du document sonore propos en
anglais authentique, plus de la moiti dentre eux na pas russi rendre compte de la
problmatique aprs la premire coute.
Lexprimentation mene en 2007 a confirm par une tude formelle les difficults
rencontres par les tudiants en comprhension de langlais oral telles quobserves sur
le terrain3. Elle a montr que ces difficults affectent une grande partie de la population
estudiantine inscrite dans diffrentes filires universitaires du secteur LANSAD mais
aussi en LEA.
Le deuxime objectif de cette exprimentation tait dtudier les effets de diffrents
modes dcoute du document sonore, toujours diffus lensemble des tudiants-sujets
par des haut-parleurs, sur le niveau de comprhension. Pour cela, il tait demand aux
3 Lexprimentation a t rpte en 2008 avec un nouveau texte et un nouvel chantillon, cette fois
compos uniquement dtudiants du LANSAD. Les rsultats obtenus en 2007 ont t reproduites (Terrier, 2008c).
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Introduction 15
tudiants de procder une seconde restitution en franais du contenu du document
Indian Exporters Hit by Surging Rupee aprs trois coutes supplmentaires. Ces
trois coutes comprenaient toutes un ou plusieurs traitements didactiques du son. la
suite de cette seconde restitution, le protocole dexprimentation rclamait des tudiants
quils rdigent quelques commentaires afin de partager leurs impressions sur les
diffrents modes dcoute proposs.
Les rsultats quantitatifs obtenus ont montr une nette progression de la
comprhension la suite de ces trois coutes supplmentaires : sept fois plus ditems
ont t correctement restitus. Lanalyse qualitative des commentaires rdigs par les
tudiants a galement montr un intrt possible du traitement didactique du son pour
les aider dans leur travail de comprhension de langlais oral. Par exemple le sujet 116 a
expliqu avoir compris de mieux en mieux grce aux diffrents modes dcoute
proposs alors quil disait se trouver submerg par le flot de mots lors de la premire
coute (faisant ainsi cho limage utilise entre autres par le sujet 126 qui avait
limpression dtre noy dans une piscine anglaise ).
Cependant, le protocole dexprimentation de 2007, tel quil a t envisag, na pas
pas permis daffirmer que la progression quantitative constate et le sentiment
damlioration exprim par les tudiants taient dus aux diffrents modes dcoute
proposs et non la simple rptition, trois reprises, du document sonore. De plus, la
situation dcoute en groupe-classe a prsent linconvnient dtre relativement
loigne des pratiques actuelles dcoute individuelle dans le domaine LANSAD.
Dans lensemble, les rsultats de la recherche mene en 2007-2008 et ses limites ont
motiv notre dcision de poursuivre le travail commenc sous la direction du Professeur
Antoine Toma, afin de procder une tude approfondie des problmes lis la
comprhension de langlais oral par des tudiants francophones, de son enseignement
dans le secteur LANSAD et des ventuels effets du traitement didactique du son sur
lapprentissage. Cette motivation a t renforce par le statut particulier quoccupe la
comptence de comprhension de loral en langue trangre (L2) dans le paysage de la
recherche en didactique des langues.
Statut de la recherche sur la comprhension de loral en L2
Les comptences de comprhension de loral et de production orale en L2 ont un
statut particulier parmi les cinq comptences langagires dfinies par le CECR. En effet,
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16 Mthodologie linguistique pour lvaluation des restitutions et analyse exprimentale des processus de didactisation du son
alors que leur apprentissage conscient rclame du temps et de leffort en L2, ces
comptences orales sont acquises inconsciemment en langue maternelle (L1). Le
schma ci-dessous rappelle que la comprhension de loral en L1 est la premire
comptence langagire dveloppe chez le nouveau-n, suivie de prs par la
comptence de production orale :
Figure 2 - Chronologie universelle du dveloppement de la perception et de la production de la
parole en langue maternelle (Kuhl, 2004 : 832).
Le contraste entre lacquisition inconsciente des comptences orales en L1 dans la
petite enfance et leffort ncessaire leur apprentissage conscient en L2 nexiste pas
pour les comptences crites dont la matrise ncessite en L1, comme en L2, des efforts
et un apprentissage conscient dans un cadre scolaire.
tant donn ce statut particulier de la comprhension de loral en L2, il a t frappant
de constater le nombre relativement faible de travaux de recherches spcifiquement
consacrs aux questions de son enseignement et apprentissage. Ce constat nest pas
nouveau. En 1994, Rubin concluait son tat de lart sur la recherche en comprhension
de loral dune L2 ainsi : Much more research in listening comprehension is sorely
needed []. (Rubin, 1994 : 78). En 2003, Vandergrift dfinissait ce domaine de
recherche comme encore insuffisamment dvelopp : Although it is generally
recognized that listening plays a significant role in language learning, listening
comprehension remains a young field that merits greater research attention.
(Vandergrift, 2003 : 464). En 2011, Windeatt et Chang ont expos les diffrents thmes
de recherche abords dans le domaine de lapprentissage des langues assist par
ordinateur suite leur tude dune srie darticles extraits de cinq publications majeures
(CALICO journal, Computer Assisted Language Learning, Language Learning,
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Introduction 17
ReCALL journal et System). Leurs donnes montrent que la place de la comprhension
de loral dans le monde de la recherche en didactique na pas encore volu : sur les 189
articles quils ont explors, seuls cinq concernaient cette comptence.
Parmi les recherches menes sur lapprentissage de la comprhension de loral en L2,
les travaux de Krashen (1981 et 1982) semblent incontournables tant ils ont influenc
lenseignement des langues trangres. Sa thorie repose sur un positionnement
particulier vis--vis de la dichotomie acquisition / apprentissage. Lauteur suggre en
effet de concentrer lenseignement dune L2 pour ladulte sur des techniques permettant
son acquisition inconsciente, plutt que son apprentissage conscient car, selon lui,
lacquisition occuperait une place centrale pour la matrise dune L2 alors que
lapprentissage occuperait une place priphrique (ibid., 1982 : 10). Il dfend alors
lide dune approche naturelle qui recrerait la manire dont lenfant acquiert une
ou plusieurs langues :
Language acquisition is very similar to the process children use in acquiring first and second languages. It requires meaningful interaction in the target language--natural communication--in which speakers are concerned not with the form of their utterances but with the messages they are conveying and understanding. (Krashen, 1981 : 1)
Outre le paradoxe dune approche naturelle dans un cadre institutionnel o
lenseignement obligatoire des langues trangres rend son apprentissage par dfinition
non-naturel, les recherches de Geary (1995 et 2007) appliques la question de
lapprentissage des langues viennent contester la thorie de Krashen selon laquelle une
L2 pourrait sapprendre sur la base des principes dacquisition dune L1.
Au cours de son travail sur la question de lapprentissage des mathmatiques par les
enfants en milieu scolaire, Geary a dvelopp une perspective volutionniste de la
psychologie de lenseignement et de lapprentissage 4. Un des lments fondamentaux
de cette perspective rside dans la dfinition de capacits cognitives biologiquement
primaires et biologiquement secondaires . Les capacits cognitives primaires
correspondraient aux comptences qui se sont dveloppes avec lvolution de lespce.
Les capacits cognitives secondaires ne seraient quant elles pas lies lvolution de
lespce, mais aux besoins imposs par la socit et la culture :
4 Traduction propose pour ce quil appelle Evolutionary Educational Psychology .
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18 Mthodologie linguistique pour lvaluation des restitutions et analyse exprimentale des processus de didactisation du son
I make a distinction between biologically primary folk knowledge and abilities, that is, competencies that are components of evolved cognitive domains, and biologically secondary knowledge and abilities, that is, competencies acquired through formal or informal training. (Geary, 2007 : 3)
Les comptences primaires seraient acquises inconsciemment et trs rapidement
grce des systmes neurobiologiques dj oprationnels (ibid., 1995 : 26-27). Il
sagirait, par exemple, de la capacit cognitive de tout tre humain reconnatre les
visages, les voix, ou se mouvoir. Lacquisition des comptences biologiquement
secondaires serait au contraire un processus lent, rclamant des efforts et
essentiellement ralisable dans le cadre dun enseignement formel soutenu. La
connaissance approfondie des mathmatiques, de la gomtrie, de la philosophie
relverait de ces comptences secondaires.
Dans la perspective volutionniste de Geary, les comptences orales dans une L1
seraient acquises inconsciemment car elles sont biologiquement primaires (ce qui
pourrait expliquer la capacit des enfants devenir bilingues ou plurilingues lorsquils
sont exposs deux ou plusieurs langues ds la petite enfance). Au contraire, parce quil
sagit dun construit socioculturel, la matrise dune L2 pour ladulte ferait partie des
comptences biologiquement secondaires qui rclament un apprentissage long et
difficile devant tre soutenu par un enseignement organis, explicite et direct (ibid.).
Si les recherches de Geary vont lencontre de la thorie de Krashen, cette dernire
continue de sduire et dinfluencer la didactique des langues trangres dans le monde.
Encore rcemment en France, Hilton (2009 : 1) appelait saffranchir de ce modle
thorique car l'acquisition des langues trangres est fondamentalement diffrente de
l'acquisition de la langue maternelle .
Cest dans le cadre de la perspective volutionniste de Geary, et en rponse lappel
dHilton, que nous avons choisi de travailler la question principale de recherche,
Comment aider les tudiants francophones du secteur LANSAD amliorer leur
comprhension de langlais oral ? . Ce cadre signifie quau-del de la seule exposition
la langue orale telle quelle a lieu en L1, la comptence de comprhension dun
message oral en L2 senseigne et sapprend.
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Introduction 19
Questions de recherche et plan de travail
La question pose est celle des moyens mettre en uvre pour dpasser les limites
de lenseignement de la comprhension de langlais oral tel quil est actuellement
envisag dans le secteur LANSAD et de lapprentissage qui en rsulte. En effet, daprs
les rsultats obtenus lors des exprimentations de 2007 et 2008, les mthodes utilises
ne permettent pas aux tudiants francophones datteindre dans cette comptence
lautonomie langagire ncessaire leur intgration dans le monde du travail :
[Lautonomie langagire est] lutilisation libre, souple et crative de la langue trangre la suite d'un transfert russi de ce qui aura t appris et extrapol des conduites langagires permettant de rpondre aux besoins de situations nouvelles et non strotypes. (Bailly, 1998 : 19)
Lobjectif est de dterminer les lments indispensables une dmarche raisonne
susceptible de combler, au moins en partie, les lacunes des tudiants francophones du
secteur LANSAD en comprhension de langlais oral afin de tendre vers une telle
autonomie. Pour ce faire, le prsent travail de thse est organis en quatre parties
comprenant chacune deux chapitres.
La premire partie dresse un tat des lieux de lenseignement et de lapprentissage de
la comptence de comprhension de langlais oral pour un tudiant francophone du
secteur LANSAD partir des questions suivantes :
Quels sont les aspects de la phonologie de langlais susceptibles dempcher un
tudiant francophone de comprendre un message oral ?
Quelles sont les limites des approches actuelles de lenseignement de la
comprhension de langlais oral qui pourraient expliquer le faible niveau des
tudiants dans cette comptence ?
Le chapitre 1 sintresse aux difficults auxquelles un tudiant francophone est
susceptible dtre confront lorsquil doit traiter un message en langue anglaise orale.
Nous passons en revue les spcificits du systme phonologique de langlais, du niveau
segmental au suprasegmental, pour tablir une liste de ces difficults phonologiques
potentielles. Nous soulignons chaque tape lcart entre les attentes de ltudiant
francophone, bases sur le systme phonologique de sa L1, et le signal sonore entrant.
Les stratgies didactiques adoptes influencent lapprentissage et les rsultats de
lapprentissage modifient leur tour ces stratgies, cest pourquoi nous faisons
rfrence dans lensemble du texte au couple enseignement / apprentissage .
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20 Mthodologie linguistique pour lvaluation des restitutions et analyse exprimentale des processus de didactisation du son
Le chapitre 2 interroge les approches de lenseignement / apprentissage de la
comprhension de langlais oral dans le secteur LANSAD sur des bases linguistiques et
cognitives. Cette analyse saccompagne dune tude critique des outils disponibles. Le
cadre dune recherche-dveloppement (Guichon, 2006) nous a sembl plus propice
cette dmarche que celui dune recherche-action (Narcy-Combes, 2005).
Les constats de la premire partie nous amnent proposer un travail de
comprhension de langlais oral partir de restitutions crites. Il sagit pour ltudiant
de reconstituer les phrases du texte5 quil comprend et non dcrire le texte mot mot
comme dans un travail de dicte. Les constats effectus remettent galement en cause
lutilisation actuelle des outils multimdias pour aider les tudiants dans ce travail. Mais
valuer la pertinence de tout autre moyen pour un entranement raisonn la
comprhension de langlais oral ncessite de construire au pralable une mthodologie
linguistique dvaluation fiable des restitutions partir de laquelle des exprimentations
pourront avoir lieu.
La deuxime partie de ce travail de thse tente ainsi dapporter une rponse la
question suivante :
Comment mesurer sur des bases linguistiques la comprhension de langlais oral
dtudiants francophones en LANSAD travers leur restitution crite dun
contenu oral ?
Le chapitre 3 examine les avantages et les limites dun modle psycholinguistique et
de trois modles linguistiques pour construire un dispositif dvaluation permettant de
dterminer les lments dun message oral qui doivent tre restitus car, sil nest pas
ncessaire de comprendre tous les mots dun message oral, il faut en revanche
comprendre tous ceux qui sont indispensables sa bonne comprhension. Cette tude
permet dtablir des principes pour un cahier des charges partir duquel le modle
linguistique le plus pertinent peut tre selectionn. Le modle linguistique choisi pour
son adquation apparente avec ce cahier des charges a t test pdagogiquement depuis
de nombreuses annes mais ses fondements thoriques sont rcents (Toma, 2009).
5 Le terme texte sapplique un objet linguistique crit comme oral (Boulanger et al., 1972 :4).
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Introduction 21
Le chapitre 4 dcrit la manire dont nous avons fait lappropriation de ce modle
destin la recherche en linguistique et aux cours de grammaire et linguistique pour
ladapter notre problmatique. Il dtaille les rgles formelles dattribution des points
aux diffrents lments de la structure canonique sous-jacente en fonction de la relation
prdicative considre. La question des imbrications et des modulations smantiques est
galement traite.
Il est alors possible de procder ltude exprimentale de diffrents modes dcoute
et la troisime partie apporte des rponses aux questions suivantes :
Quels modes dcoute sont susceptibles de rpondre aux limites constates de
lutilisation des TICE et quels sont les outils multimdias ncessaires leur mise
en uvre ?
Quels cadres thoriques adopter pour ltude exprimentale et comment constuire
les protocoles dexprimentation ?
Le but du chapitre 5 est de mettre en vidence les stratgies didactiques existantes
pour proposer diffrents modes dcoute visant rsoudre les problmes de
comprhension de loral. cet effet, nous dcrivons une utilisation particulire du
logiciel LAVAC (1995), clef de vote des cours danglais disponibles sur le campus
numrique IUT en ligne , base sur diffrents traitements didactiques du son. tudis
dans le cadre de la thorie de la charge cognitive (Sweller, 2005), ces traitements
didactiques du son, ou processus de didactisation automatise du son (Toma, 2005),
semblent pouvoir rpondre la problmatique expose des limites didactiques et
ergonomiques de lcoute par dfaut, et nous dcrivons les outils multimdias
ncessaires leur mise en uvre pratique.
Le chapitre 6 expose le cadre mthodologique de ltude exprimentale de ces
processus et les points communs toutes les exprimentations. Il dtaille galement
chacun des quatre protocoles afin den assurer la reproductibilit. La quatrime et
dernire partie de ce travail prsente lanalyse des rsultats des exprimentations dans le
but de rpondre aux deux dernires questions :
Quels sont les effets des processus de didactisation du son considrs
individuellement sur le niveau de comprhension de loral et quel est leffet de
lordre des coutes didactises ?
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22 Mthodologie linguistique pour lvaluation des restitutions et analyse exprimentale des processus de didactisation du son
Comment intgrer les rsultats de ltude exprimentale une dmarche raisonne
denseignement / apprentissage de la comprhension de langlais oral en
LANSAD ?
Le chapitre 7 prsente et discute les rsultats quantitatifs et qualitatifs et permet de
dterminer les processus de didactisation du son indispensables un travail raisonn de
langlais dans le cadre dune didactique multimdia de la comprhension de loral. Il
dcrit galement les rsultats sur lordre des coutes le plus efficace.
Le chapitre 8 est le lieu des recommandations. Il prsente le canevas dune leon
multimdia cre en fonction des rsultats des exprimentations. Il sattache ensuite
proposer, autour de cette leon, une mthode de travail destine ltudiant et les
lments dun apport thorique par lenseignant pour une dmarche raisonne
denseignement / apprentissage mixte ( blended learning ) sappuyant sur des outils
multimdias dont lintrt aura t dmontr.
-
Premire partie
tat des lieux de la comprhension de langlais oral dans le secteur
LANSAD
-
Partie I - Introduction 25
Rpondre au dfi de lenseignement / apprentissage de la comptence de
comprhension de langlais oral ncessite de prendre en compte les spcificits lies la
nature orale du message. En dcrivant le systme phonologique de langlais dans le
chapitre 1, nous tentons dtablir les raisons dune partie des difficults rencontres par
les tudiants francophones. Dans le chapitre 2, nous interrogeons la place accorde la
phonologie pour dvelopper la comptence de comprhension de loral dans les
mthodes denseignement, dcrivons les outils multimdias disponibles pour travailler
cette comptence puis dterminons les problmes que pose son valuation.
-
Chapitre 1 - Problmes phonologiques 27
Chapitre 1
Problmes phonologiques de langlais pour un tudiant francophone
Les difficults phonologiques rencontres lors de lapprentissage dune langue
trangre peuvent varier en fonction de la langue maternelle de lapprenant et de la
langue trangre vise. La distinction des phonmes /b/ et /v/ pour lapprenant japonais
est par exemple considre comme un problme classique par les didacticiens du
FLE (Detey et al., 2005) alors quelle nest pas considre comme problmatique dans
le domaine de la didactique de langlais pour des francophones. Les tudiants dont la
langue maternelle est le franais et qui ne possdent pas dautre(s) langue(s) sont lobjet
de notre tude car ils reprsentent la majorit des tudiants inscrits dans le secteur
LANSAD de luniversit franaise. Nous envisageons ds lors la question phonologique
dans un cadre restreint par trois dimensions : nous dcrivons les difficults auxquelles
peut se trouver confront un tudiant francophone et unilingue qui travaille langlais.
Laccent britannique, Received Pronunciation (RP), est gnralement choisi
comme modle pour lenseignement de langlais en France (Durand, 2001 : 182). Il sert
ici de rfrence mais nous soulignerons les spcificits de laccent amricain, General
American (GA), lorsquelles peuvent engendrer des problmes spcifiques en nous
rapportant aux travaux de Carr et al. (2004), Jobert (2009) et Jobert et Mandon-Hunter
(2009). Nos dictionnaires de prononciation de rfrence sont lEnglish Pronouncing
Dictionary de Daniel Jones et al., (2006, 17e dition) et le Longman Pronunciation
Dictionary John C. Wells (2008, 3e dition).
Selon la perspective de Viel (2003 : 68), aborder en prambule quelques lments
historiques simpose afin de mieux apprhender le rapport particulier quentretiennent
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28 Partie I tat des lieux de la comprhension de langlais oral
langlais et le franais. Mme si leur sparation est artificielle car les diffrents lments
constitutifs de la phonologie forment un tout, nous caractrisons ensuite les difficults
phonologiques susceptibles dempcher un tudiant francophone de comprendre le sens
dun message en anglais oral selon laxe segmental et laxe suprasegmental. Lorsque
cela est pertinent, nous procdons une tude comparative des systmes phonologiques
de langlais et du franais.
1. Repres historiques
En rappelant les faits les plus marquants de lhistoire de la langue anglaise et son
rapport avec le franais, nous commenons explorer lorigine dun certain nombre de
difficults phonologiques pour lapprenant francophone.
1.1 Priodes marquantes de lhistoire de langlais
Alors que suite la conqute de la Gaule par Jules Csar en 58 avant J-C, le gaulois,
langue celte de la branche brittonique (reprsente aujourdhui par le gallois et le
breton), est remplace par le latin, en Britannia (lactuelle Grande-Bretagne), les
langues celtes rsistent la conqute romaine mene par lempereur Claudius cent ans
plus tard. Mais mme si le latin ne se gnralise pas en Britannia comme en Gaule,
Walter (2001 : 15) voit dans loccupation romaine des deux pays un premier lien, certes
indirect, entre les deux langues. Baugh et Cable (2002 / 1993 : 45) affirme, comme
Walter, limportance de ce premier contact indirect avec le latin : Latin was
introduced when Britain became a part of the Roman Empire. [] this was an event
that has left a significant mark upon later history .
1.1.1 Les origines germaniques
La littrature sur le sujet saccorde cependant marquer le commencement de
lhistoire de langlais la fin du Ve sicle lors de linvasion de lle par les Angles,
Saxons et Jutes, peuples de langue germanique. Les populations celtes sont alors
pousses vers louest et le nord (futur territoire du Pays de Galles, de lIrlande et de
lcosse). Du celte, qui fut la premire langue de souche indo-europenne implante sur
lle, il ne reste que peu de traces sauf considrer certains hydronymes et toponymes
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Chapitre 1 - Problmes phonologiques 29
(Walter, ibid. : 23-35). La lente extinction des langues dorigine celte lors de
lmergence des langues dorigines latine et germanique est, selon Baugh et Cable
(ibid. : 34), lun des phnomnes historiques les plus surprenants.
En Anglia, la rgion occupe au dpart par les Angles et qui correspond aux rgions
du Yorkshire, Humberside, Lincoln et Norfolk aujourdhui, une norme, lenglisc, semble
stablir assez tt donnant son nom la langue anglaise (Walter, ibid. : 53 et Baugh et
Cable, ibid. : 51). Les invasions germaniques marquent ainsi le dbut de la priode du
vieil anglais (angl. Old English) issu de la branche indo-europenne germanique de
louest. Langlais partage avec sa famille germanique de nombreuses caractristiques
communes dont nous retenons en particulier laccentuation des mots sur la premire
syllabe ou la racine du mot (Viel, ibid. : 69).
Les racines germaniques de la langue anglaise sont renforces lors de linvasion des
peuples scandinaves, les Vikings, la fin du VIIIe sicle. Dorigines germaniques du
Nord et prsentant de fortes similitudes avec le vieil anglais, leurs langues exercent une
telle influence sur le vieil anglais quil nest pas toujours facile aujourdhui de
dterminer si un mot de langlais moderne est issu du vieil anglais ou des langues
scandinaves (Baugh et Cable, ibid. : 97).
1.1.2 La conqute normande
La priode de langlais moyen (angl. Middle English), allant jusqu 1500, dbute au
milieu du XIe sicle avec la conqute normande. Comme Walter, Baugh et Cable font
de cet vnement le fait historique le plus marquant dans lvolution de la langue
anglaise. Walter dmontre linfluence directe de cet vnement sur le lexique de
langlais. Baugh et Cable insistent quant eux sur les changements grammaticaux
majeurs quil a insuffls.
Le couronnement de Guillaume Le Conqurant en 1066 aprs la bataille de Hastings,
saccompagne en effet dun changement de la cour royale : la nouvelle noblesse parle le
franais-normand alors que langlais est utilis dans le reste du royaume. Cette situation
perdure pendant prs de trois sicles en raison des liens troits entre lle et le
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30 Partie I tat des lieux de la comprhension de langlais oral
continent6. Le pays vit pendant quatre sicles une situation de bilinguisme social qui
transformera son lexique mais aussi sa grammaire. En effet, langlais ntant plus la
langue de la cour, il est libr dun certain conservatisme : le systme grammatical se
trouve modifi par une rduction gnrale du systme de flexions qui entrane, son
tour, une modification de lordre des mots. Cest donc de manire indirecte que la
conqute normande a influenc lvolution de la grammaire anglaise. Lvolution du
lexique, quant lui, ne survient pas au moment o lon lattend.
1.2 volution du lexique
Jespersen (1905, cit dans Baugh et Cable, ibid. : 178) a tabli que linfluence
considrable du franais sur le lexique anglais se produit entre 1250 et 1400 et non pas
ds le moment o la noblesse commence parler franais la cour du royaume
dAngleterre au milieu du XIe sicle.
partir du XIIIe sicle, pour des raisons complexes, sociales, conomiques et
historiques, lusage du franais, sil est maintenu, perd de son naturel la cour et passe
au second plan. Cest donc au moment o lquilibre entre les deux langues est invers
au profit de la langue anglaise et o la noblesse se rapproprie cette dernire quelle est
envahie par le lexique franais faisant delle la plus latine des langues germaniques :
That enormous number of French words [] today make English seem, on the side of
the vocabulary, almost as much a Romance as a Germanic language. (ibid. : 127).
Lassimilation des mots franais seffectue dans un mouvement naturel et
relativement rapide, en particulier grce aux techniques de prfixation et suffixation
(ibid. : 179-181). Lorsque la langue anglaise est rintroduite la cour de Justice en
1362, puis utilise officiellement par le roi Henry V en 1420, lintgration de milliers de
mots franais est effective : The number of French words that poured into English
was unbelievably great. There is nothing comparable to it in the previous or subsequent
history of the language. (ibid. : 168).
6 Henry II dAngleterre (Plantagent) pouse Alinor dAquitaine en 1152 et le choix de ses successeurs,
jusqu laccession au trne dEdward IV (1461), se porte sur des pouses venues de France (Walter, ibid. : 104).
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Chapitre 1 - Problmes phonologiques 31
1.2.1 Le lexique franais dans la langue anglaise
Selon Baugh et Cable (ibid. : 178), plus de 10 000 mots franais sont alors intgrs
au lexique anglais. Walter, cite dans Lorca (2000), affirme que plus des deux tiers du
vocabulaire anglais sont d'origine franaise . Cette perce concerne tous les domaines :
vie domestique et nourriture mais aussi des domaines spcifiques tels que loi et socit,
commerce, justice et instances gouvernementales, mdecine, conomie ou art (Baugh et
Cable, ibid. : 124). Au fil du temps, la langue anglaise empruntera du vocabulaire
dorigine franaise et/ou latine pour dautres domaines spcifiques tels que les sciences
et lindustrie au XIXe (ibid. : 297-305). Ainsi, la proportion de mots franais dans le
discours de spcialit est particulirement leve et, mme sil faut reconnatre avec
Quinio (2009 : 9) que lorigine franaise de beaucoup de mots est aujourdhui
opaque (attorney, damages par exemple), un grand nombre est rest totalement, ou
suffisamment, transparent lcrit pour tre aisment reconnaissable (voir la liste de
3221 homographes bons amis tablie par Walter, ibid. : 121-139).
1.2.2 La transparence de langlais crit
Les influences franaise et latine sur le lexique anglais partir de la priode du
moyen anglais fournissent une aide aux apprenants francophones spcialistes dautres
disciplines dans les comptences crites, en particulier lors de la tche de
comprhension. Cependant, si les mots qui ressemblent au franais lcrit, et que lon
peut qualifier de transparents lcrit , constituent dans lensemble un point dappui
en comprhension de lcrit malgr les faux-amis possibles, ils sont susceptibles de
devenir un obstacle en comprhension de loral en raison de leur opacit , cest--
dire de leur caractre difficilement reconnaissable loral.
1.3 Opacit de loral
Les mots transparents lcrit provoqueraient une attente errone chez lapprenant
qui, se basant sur la prononciation franaise de ces mots, ne les reconnat alors pas dans
la chane parle (Poussard et Vincent-Durroux, 2002 : 108). La prononciation anglaise
dun mot, pourtant transparent lcrit peut galement lempcher de relier ce quil
entend la forme graphique du mot. Cet cart entre la transparence lcrit de certains
mots et leur opacit loral sexplique en partie par lhistoire de la langue.
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32 Partie I tat des lieux de la comprhension de langlais oral
1.3.1 La place de laccent de mot
Langlais est avant tout une langue germanique qui, comme ses surs, avait
lorigine un accent fixe linitial du mot sans tenir compte des prfixes. Lorsque la
langue souvre linfluence du franais, les mots franais normalement accentus sur la
dernire syllabe sont progressivement assimils. La rgle daccentuation germanique de
dpart reprend alors le dessus et la majorit des mots de deux syllabes se trouve
accentue sur la premire syllabe hors prfixe (Viel, op.cit. : 68-69). Dans le mme
temps, la langue anglaise orale volue vers un mouvement gnral de rduction des
voyelles dans les syllabes non accentues (Baugh et Cable, op.cit. : 240). Beaucoup de
mots dorigine franaise encore reconnaissables lcrit deviennent ainsi opaques
loral en raison du dplacement de laccent de mot et de la rduction vocalique des
syllabes non accentues.
1.3.2 Le grand changement vocalique
Le grand changement vocalique (angl. the Great Vowel Shift) durant la premire
priode langlais moderne (angl. Early Modern English, 1500-1650) modifie le rapport
entre la graphie des mots dorigine franaise, transparents lcrit, et leur
prononciation. Mais leffet du grand changement vocalique ne concerne pas uniquement
la reconnaissance orale des mots dorigine franaise : cest tout le lexique anglais crit
qui se trouve affect. Le grand changement vocalique se produit une priode o
lorthographe commence se standardiser grce au dbut de limprimerie (ibid. : 238-
239). Cette volution de la langue orale au moment o se fixe la langue crite
expliquerait de manire plus gnrale la non-congruence entre les sons vocaliques et le
systme orthographique anglais :
It will be noticed that the Great Vowel Shift is responsible for the unorthodox use of the vowel symbols in English spelling. The spelling of English had become fixed in a general way before the shift and therefore did not change when the quality of the long vowels changed. Consequently, our vowel system no longer corresponds to the sounds they once represented in English and still represent in other modern languages. (Baugh et Cable, 2002 : 238-239)
Le caractre opaque de la langue anglaise doit donc se comprendre au-del de
lopposition pour un francophone entre mots transparents lcrit et non transparents
loral. Il dfinit le rapport graphie / phonie et phonie / graphie de la langue anglaise dans
son ensemble. Ziegler et al. (1997, cits dans Ziegler et Goswami, 2005 : 11) dcrivent
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Chapitre 1 - Problmes phonologiques 33
les irrgularits bidirectionnelles de la langue anglaise. Ziegler et Montant (2005 : 2)
montrent que le rapport entre le systme phonologique et orthographique en anglais est
irrgulier ou opaque 7 dans les deux sens :
La systmaticit, dite rgularit, des relations entre graphie et phonie varie dune langue lautre. []. Certaines langues, comme litalien, le grec ou lallemand, sont trs rgulires en ce qui concerne les relations entre graphmes et phonmes ainsi quentre phonmes et graphmes. Dautres, comme le franais, prsentent une rgularit importante entre graphmes et phonmes mais relativement faible entre phonmes et graphmes, certains phonmes pouvant scrire de diffrentes faons (/o/ comme O, AU, EAU, OT, OP). Dautres langues encore, comme langlais, sont doublement irrgulires, la fois entre phonmes et graphmes mais aussi entre graphmes et phonmes. (Ziegler et Montant, 2005 : 2)
Seymour et al. (2003) rapportent les rsultats dune tude comparant la comptence
de lecture dans plusieurs langues. Ils montrent linfluence de lopacit bidirectionnelle
de la langue anglaise sur le dveloppement de la comptence de lecture chez les jeunes
anglais. Alors que les jeunes enfants dans leur premire anne dapprentissage de la
lecture dans les langues dites rgulires sont proches des scores maximums, les
scores des jeunes anglais sont particulirement faibles (lecture correcte de 34% des mots
contre une moyenne de 85% dans les treize autres langues considres). Ces rsultats
confirment lhypothse de Ziegler et Goswami (ibid.) selon laquelle il est relativement
ais dapprendre un phonme lorsquil correspond toujours un seul et mme graphme
(et vice-versa), mais que la tche se complique lorsquun phonme correspond
plusieurs graphmes et quun mme graphme correspond plusieurs phonmes,
comme cest le cas en anglais.
Nous en concluons que le code de langlais crit, en partie matris par les tudiants
francophones dans le domaine LANSAD, constitue un point dappui trop instable pour
lapprentissage du code oral dont nous listons prsent les difficults en distinguant les
niveaux segmental et suprasegmental, afin de srier les diffrents problmes
phonologiques de langlais pour un apprenant francophone. Le niveau segmental
7 Le terme irrgulier employ par Ziegler et Montant ne va pas dans le sens des travaux montrant
une certaine rgularit des systmes phonologique et orthographique de langlais (Deschamps, 1994 ; Duchet, 1990 et 1998 ; Viel, op.cit.). Nous prfrons utiliser les termes transparents et opaques en nous plaant du point de vue de lapprenant francophone de langlais.
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34 Partie I tat des lieux de la comprhension de langlais oral
correspond aux units perceptives de base, les phonmes. Les units de plus dun
segment constituent le niveau suprasegmental (Deschamps et al., 2004 : 79).
2. La perception au niveau segmental
Le niveau segmental correspond aux phonmes, organiss en systme, et leurs
allophones (Durand, 2005a : 65). La classification des phonmes dans lAlphabet
Phontique International (API)8 constitue une hypothse quant la structure interne
des systmes en fonction de proprits communes rcurrentes aux phonmes appeles
traits distinctifs (Durand, 2005b : 64). La tche de comprhension ncessite de
percevoir ces traits distinctifs et de les situer par rapport aux autres lments du systme
afin quils acquirent du sens. Les diacritiques inclus dans lAPI permettent de rendre
compte des allophones dfinis non pas sur la base de traits distinctifs mais en fonction
des diffrentes ralisations possibles de chaque phonme selon leur environnement
doccurrence9. Chomsky et Halle (1991 / 1968) ont t les premiers dcrire des rgles
distributionnelles permettant, entre autres, de prdire la ralisation allophonique des
phonmes en fonction du contexte.
Deux problmatiques se dgagent de ces dfinitions gnrales pour le traitement du
niveau segmental lors dune tche de comprhension de loral : la reconnaissance des
phonmes au sein dun systme donn et le traitement des variations du signal sonore
entrant10.
8 Cet alphabet est issu de lAssociation Phontique Internationale cre en 1886 et dont Daniel Jones,
auteur de lEPD fut successivement secrtaire gnral et prsident (Viel, op.cit. : 31). Selon Durand (2005a, op.cit.), la notation de lAPI est sans doute la plus rpandue dans le monde de la phontique et phonologie. 9 Une transcription contenant ces diacritiques et rendant compte des ralisations allophoniques est dite
phontique ou allophonique . Elle est gnralement propose entre crochets. Une transcription phonmique , note entre barres obliques, rend uniquement compte des traits distinctifs. Dans le reste de ce travail, nous nous en tenons des transcriptions phonmiques sauf dans les cas o une transcription allophonique illustre notre propos. 10
Nous ne postulons pas ici que le traitement du niveau segmental est premier. Pour une discussion des processus cognitifs impliqus dans le traitement perceptif du signal, voir Hulstijn (2003 et 2007), Le Calvez et al (2007) et Nguyen (2005). Ce dernier conclut quil ne semble pas se dgager de consensus en ce qui concerne la nature de lunit perceptive de base en dpit de nombreuses recherches et de longs dbats. Hulstijn met lhypothse dun traitement hybride mlant lapproche connexionniste et symboliste.
-
Chapitre 1 - Problmes phonologiques 35
2.1 Notion de crible phonologique
En prtant attention aux diffrentes sources sonores qui lentourent, le nouveau-n
diffrencie non seulement les bruits des sons mais distingue trs tt les sons de sa
propre langue maternelle grce sa capacit inne discriminer les sons (Kuhl, 2000).
Selon la thorie de laimant perceptuel de la langue maternelle ( Native Language
Magnet ou NLM ), dont Kuhl et al. (2008) prsentent un modle enrichi, dans les
six premiers mois le nouveau-n est capable de discriminer les sons de toutes les
langues grce ses facults biologiques gnrales. Dans la seconde phase, lenfant
construit des reprsentations phontiques partir des proprits distributionnelles des
sons quil entend : les reprsentations les plus souvent actives deviendraient des
prototypes qui attirent toutes les ralisations phoniques sen rapprochant. Dans la
troisime phase, autour de onze mois, leffet de laimant perceptuel faciliterait la
comprhension de la langue maternelle.
2.1.1 Leffet de laimant perceptuel
Lexposition de lenfant la langue maternelle produirait des rseaux neuronaux
ddis spcifiquement son encodage et son dcodage qui permettrait damliorer de
manire exponentielle son acquisition.
Mais les contraintes neuronales favorisant les sons de la langue maternelle ( native
language neural commitment ) contribueraient dans le mme temps diminuer la
capacit universelle discriminer les sons des autres les langues. Les rseaux neuronaux
attentionnels hautement spcialiss viendraient interfrer avec la discrimination des
sons en langues trangres en rejetant les schmas non reconnus, ou en les attirant vers
des schmas connus en L1 et non adapts la L2. Selon Kuhl et al. (ibid.), la contrainte
exerce par les rseaux neuronaux de la L1 varie en fonction de lge :
We argue that early exposure to language shapes these attentional networks, and that in adulthood, they make second language learning difficult. Early in infancy, neural commitment is a soft constraint; infants networks are not fully developed and therefore interference is weak and infants can acquire more than one language. (Kuhl et al., 2008 : 983)
2.1.2 La surdit phonologique
Ces travaux font cho la notion de surdit phonologique (Polivanov, 1931)
selon laquelle lapprenant dune L2 serait sourd aux sons trangers sa L1.
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36 Partie I tat des lieux de la comprhension de langlais oral
Cependant, Magnen et al. (2005) et Gaillard et al. (2006) soulignent que les
apprenants sont capables de dterminer quun son nappartient pas leur langue
maternelle, ce qui dmontrerait quils entendent au moins une partie des sons trangers.
Leurs conclusions rejoignent la notion de rejet propose par Kuhl et al., et vont dans
le sens du concept de crible phonologique (Troubetzkoy, 1986 / 1949) propos la
suite de Polivanov pour nuancer la notion de surdit :
Le systme phonologique dune langue est semblable un crible travers lequel passe tout ce qui est dit. []. Les sons de la langue trangre reoivent une interprtation phonologiquement inexacte, puisquon les fait passer par le crible phonologique de sa propre langue. (Troubetzkoy, 1986 / 1949 : 54-56)
Le concept daimant perceptuel appliqu la question de la discrimination des sons
en L2 fournit un cadre thorique au crible phonologique de Troubetzkoy. En effet, la
thorie de laimant perceptuel postule lexistence de reprsentations prototypiques des
sons en L1 dont lobjet est de traiter les variations dun mme son comme appartenant
une catgorie unique. En L1, ces prototypes auraient un rle dattracteur attirant eux
tous les sons physiquement proches (Kuhl et al., op.cit.). Rost (2011 : 121) illustre de
manire schmatique cet effet :
Figure 3 - Illustration du rle dattracteur jou par la reprsentation prototypique du son /N/ en anglais (Rost, 2011 : 121).
Si, comme le prdisent Troubetzkoy et Kuhl et al., les sons de la L2 sont traits par
le systme phonologique de la L1, deux hypothses de travail peuvent tre mises dans
le cadre de la comprhension dun message oral en L2. Tout dabord, en vertu du
principe de contraintes neuronales favorisant les sons de la langue maternelle (angl.
neural commitment), les rseaux neuronaux peuvent rejeter une partie des sons de la L2
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Chapitre 1 - Problmes phonologiques 37
parce quils ne correspondent pas ceux de la L1. Ensuite, selon le principe de laimant
perceptuel, les sons de la L2 proches des prototypes de la L1 pourraient ne pas se
trouver rejets mais, au contraire, se trouver attirs par ces prototypes. Ceci aurait pour
consquence de mener une interprtation inexacte des sons dforms par le systme
dj en place.
tant donne cette influence de la L1 sur le traitement de la L2, nous dcrivons le
systme consonantique et vocalique de langlais dans le but de dterminer les carts
avec le systme consonantique et vocalique franais.
2.2 Systme consonantique
Selon lun des six principes mis en 1888 lors de la cration de lAPI (Durand,
2005a, op.cit. : 59), chaque son qui peut changer le sens dun mot sil est employ la
place dun autre son dans la mme langue est un son distinctif au sein du systme
phonmique de la langue considre. Les phonmes de chaque langue sont ainsi
dtermins en fonction de paires minimales qui signalent une opposition smantique
entre deux mots sur la base dun seul phonme.
Le tableau de lAPI classe les sons consonantiques selon leur point et leur mode
darticulation mais aussi en fonction de la vibration, ou non, des cordes vocales qui
aboutissent respectivement un son sonore (vois) ou sourd (non vois)11. Il dcrit les
sons consonantiques de toutes les langues12. Langlais compte 24 sons consonantiques
distinctifs contre 20 en franais13.
11 Watbled (2005 : 9) rappelle que les cordes vocales sont en fait des replis musculaires (angl. vocal
folds) qui, par une succession trs rapide douvertures et de fermetures glottales produisent un son vois. Lorsque la glotte reste ouverte, lair passe librement et le son est non vois. 12
Pour une description exhaustive des points et mode darticulation des consonnes de lAPI voir en particulier Durand (2005a, op.cit.). 13
Nous incluons dans ce dcompte les semi-voyelles (/j/ et /w/ dans les deux langues) car elles prsentent des difficults en rception plus proches de celles relatives au systme consonantique quau systme vocalique. Soulignons ici que llision du /j/ (angl. yod dropping) est trs rpandue en GA (Carr et al., op.cit. : 62 et Jobert, op.cit. : 103).
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38 Partie I tat des lieux de la comprhension de langlais oral
2.2.1 Systmes consonantiques anglais et franais
Huart (2002 : 72) propose un tableau des systmes consonantiques anglais et
franais. Nous proposons ci-dessous un tableau similaire en mettant en valeur par des
couleurs les carts entre les deux systmes.
Par convention, lorsque deux consonnes se trouvent dans une mme case, celle de
gauche est non voise et celle de droite voise. Nous avons not en noir tous les sons
consonantiques communs aux deux langues, soit 19 au total :
Tableau 1 - carts entre les systmes consonantiques anglais et franais partir du tableau des consonnes de lAPI.
Le phonme /Q/ ( de agneau ) est le seul not en bleu car il est le seul
phonme consonantique du franais qui nexiste pas en anglais. Cette diffrence est
susceptible de poser des difficults lors de la prononciation de la suite orthographique
mais ne devrait pas tre un obstacle en comprhension en raison du rapport
rgulier graphie-phonie entre /g/ et et /n/ et .
Les quatre phonmes nots en rouge sont des phonmes anglais qui nexistent pas en
franais : ils constituent donc un cart entre les deux systmes et peuvent tre un
obstacle la comprhension.
Les phonmes nots en orange nexistent pas en franais mais leur reconnaissance ne
devrait pas tre problmatique car ils correspondent respectivement la combinaison de
deux paires de phonmes connus en franais, /t/ et /G/ et /d/ et /F/. Huart (ibid.) note
dailleurs que ces combinaisons apparaissent dans des mots franais tels que match
ou adjoint .
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Chapitre 1 - Problmes phonologiques 39
2.2.2 Le phonme /rrrr/
Le phonme /r/ est commun aux deux langues et nest donc pas not en rouge. Mais
sa ralisation phontique est diffrente dans chacune : [] pour le franais et [] pour
langlais. Ces deux ralisations ntant pas en opposition phonmique en anglais, la
thorie de laimant perceptif prdit la catgorisation de la variante [] dans la classe /r/,
ce qui devrait viter des difficults de perception pour les francophones. Huart (ibid. :
70) note toutefois une confusion possible entre /r/ et /G/ ou /F/ aprs les sons /t/ et /d/.
Comme nous le verrons ci-aprs, cest surtout la prsence de la consonne graphique
qui est susceptible dentraner des problmes de reconnaissance (des voyelles) selon
la varit danglais considre, RP ou GA.
2.2.3 Le phonme //
Parmi les quatre phonmes anglais absents du systme consonantique franais, on
remarquera la prsence du tap ou flap , //, phonme spcifique langlais
amricain et qui constitue une ralisation allophonique distributionnelle de /t/ et /d/
lorsquils sont entre deux voyelles. La diffrence entre les phonmes /t/ et /d/ est alors
neutralise (Carr et al., op.cit.), ce qui peut engendrer une difficult pour lapprenant
francophone susceptible de confondre, par exemple, coated et coded ,
homophones en GA mais pas en RP.
2.2.4 Le phonme /hhhh/
Le deuxime phonme anglais not en rouge dans le tableau ci-dessus est /h/. Il ne
devrait pas subir leffet de laimant perceptuel car il nest proche daucun phonme
franais. Cependant, pour quil soit reconnu et non uniquement rejet comme tranger,
lapprenant doit construire des marques phontiques pertinentes afin den tablir un
prototype en L2. Huart (op.cit. : 71) montre la difficult de ce processus lorsquelle fait
remarquer que labsence de distinction entre /h/ et est notamment responsable pour
moiti de la confusion persistante entre whole et all . Pour construire une
reprsentation prototypique de /h/, lapprenant peut sappuyer sur la stabilit du rapport
graphie-phonie /h/-, mme si une difficult en reconnaissance peut se situer dans la
reconstruction de la lettre lorsque celle-ci est muette. Dans un cas tel que our et
hour , par exemple, lapprenant devra sappuyer sur ses connaissances
grammaticales et lexicales pour les dissocier.
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40 Partie I tat des lieux de la comprhension de langlais oral
2.2.5 Les phonmes /JJJJ/ et /IIII/
Les phonmes /J/ et /I/ correspondent la ralisation voise et non voise dune
dentale fricative non sibilante. Ils sont sans doute les deux phonmes consonantiques
anglais les plus connus par les apprenants francophones tant ils posent problme en
production de loral. En comprhension, ils sont assez proches des phonmes franais
labio-dentales /f/ et /v/ ainsi que des phonmes alvolaires /s/ et /z/ et pourraient, de fait,
subir leffet de laimant perceptuel de la L1 entranant des contresens par la confusion
possible des mots thin , sin ou fin , par exemple. Cependant, lhypothse de
Ziegler et Goswami (op.cit.) permet davancer que leur reconnaissance devrait tre
facilite par la stabilit de leur ralisation orthographique unique .
Cette mme hypothse rappelle que lopacit bidirectionnelle entre la plupart des
consonnes graphiques et les sons consonantiques peut engendrer des difficults. La
consonne par exemple se prononce de quatre manires diffrentes (/s/, /k/, /G/ et
/tG/) et le son consonantique /G/ peut tre ralis partir dau moins autant de consonnes
ou groupes consonantiques (, , , , ) (Ginsy, 1995 ; Deschamps,
1994). Cette opacit ne relve pas spcifiquement de la discrimination des sons
consonantiques et explique en partie la difficult du systme vocalique pour lapprenant
francophone.
2.3 Systme vocalique
Les sons vocaliques peuvent tre dcrits en termes de frquences14. Ils comprennent
une frquence fondamentale (F0, la frquence la plus basse) dont lamplitude est
modifie par lensemble des rsonateurs forms par la cavit pharyngo-buccale. Les
rsonateurs donnent lieu des formants qui dfinissent le timbre de chaque voyelle. Ces
formants sont nots en allant des basses frquences vers les hautes (Roach, 2009). Une
analyse acoustique avec un logiciel tel que PRAAT (Boersma et Weenink) fait
apparatre ces formants dans le spectre sonore.
14 Une frquence est dfinie par le nombre de cycles identiques dun phnomne par unit de temps
(Le Nouveau Petit Robert, 2008 notre dictionnaire de rfrence pour la langue franaise). Il sagit pour le son du nombre doscillations (ou vibrations) de londe par seconde. Plus la frquence de londe sonore est leve, plus le son est aigu.
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Chapitre 1 - Problmes phonologiques 41
2.3.1 Systmes vocaliques anglais et franais
Depuis les premiers travaux de lAPI, lespace vocalique est organis en trapze
autour de deux grands axes articulatoires dcrivant le dplacement de la masse de la
langue lintrieur de la cavit orale selon son aperture et sa rtraction (Durand, 2005a,
op.cit. : 78). Le trapze suivant des sons vocaliques du franais illustre ces deux axes
articulatoires :
Figure 4 - Trapze des sons vocaliques du franais (Germain-Rutherford, 2005a).
Modifier la forme de la cavit pharyngo-buccale influence lensemble des
rsonateurs, ce qui change les frquences des formants et le timbre du son vocalique.
Ladefoged (2001 : 192-200) a montr la corrlation entre les caractristiques
articulatoires des voyelles et la qualit acoustique des formants :
Figure 5 - Lien entre larticulation des voyelles simples de langlais et la valeur acoustique de leurs formants (Ladefoged, 2001 : 218 repris par Fang, 2010).
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42 Partie I tat des lieux de la comprhension de langlais oral
Les formants F1 et F2 sont ici corrls au trapze vocalique de lAPI. Laxe vertical
du trapze, qui dcrit laperture de la cavit buccale, correspond F1 : plus la langue est
basse et la cavit ouverte, plus la frquence du formant F1 est haute. Laxe horizontal
correspond aux diffrentes valeurs du formant F2 : plus la langue est rtracte (ou
postrieure) et la cavit buccale longue, plus la frquence de F2 est basse.
Les valeurs de F1 et F2 spcifiques chaque son vocalique des systmes de langlais
et du franais fournissent une chelle de comparaison permettant de mesurer les carts
entre les deux systmes15 :
Systme vocalique franais Daprs Delattre, 1954 cit dans
Munot et Nve, (2002 : 52)
Systme vocalique anglais Daprs Wells (1962, Tableau 4)
Phonmes (sauf nasales)
Valeurs de F1
Valeurs de F2
Phonmes (sauf diphtongues)
Valeurs de F1
Valeurs de F2
/i/ 240 2500 /i:/ 285 2375
/y/ 240 1850 /N/ 355 2100
/u/ 240 750 /u:/ 375 950
/e/ 350 2200 /L/ 310 940
// 350 1600 /e/ 570 1965
/o/ 350 865 /B/16 665 1775
// 510 1950 /M:/ 580 1380
// 510 1400 /C:/ 450 735
/C/ 510 1000 /W/ 750 1545
/a/ 650 1400 /H/ 720 1235
// 650 1200 /a:/ 680 1080
/K/ 600 890
Tableau 2 - Frquences des formants F1 et F2 des sons vocaliques du franais et de langlais.
Le tableau ci-dessus montre que les formants F1 et F2 des sons vocaliques du franais
et de langlais sont tous de frquences diffrentes. Tous les sons vocaliques de langlais
sauf le schwa sont donc nouveaux : alors que lapprenant francophone peut sappuyer
sur ses connaissances du franais pour traiter un certain nombre de phonmes
15 Les valeurs des formants F1 et F2 ne sont pas absolues et varient entre certaines limites en fonction du
locuteur, ce qui pose des problmes de variation que nous abordons ci-aprs (Ch.1, 2.4). 16
Les formants F1 et F2 du schwa nont pas t mesurs par Wells. Les donnes proposes ici sont extraites de Flemming (2009) et concernent le schwa en position finale.
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Chapitre 1 - Problmes phonologiques 43
consonantiques anglais, son systme vocalique maternel ne laide pas pour le traitement
des sons vocaliques de langlais.
De plus, si le schwa est connu puisquil sagit du son du dans petit , il reste
difficile reprer en raison du dcalage entre les attentes lies la L1 o il est ralis
dans des contextes spcifiques relativement restreints et sa distribution en L2. En effet,
comme son nom lindique, le e muet correspond toujours la lettre en franais
alors quen anglais toutes les voyelles crites, seules ou suivies dun , peuvent tre
ralises par le schwa pourvu quelles se trouvent dans une syllabe inaccentue17. En
outre, certains digraphes pourtant particulirement rebelles la rduction (notion sur
laquelle nous reviendrons) peuvent aussi tre raliss par /B/ : , , , ,
(Ginsy, op.cit. : 33).
En observant la premire colonne de valeurs du tableau ci-dessus, on pourra tre
frapp par la rgularit de F1 dans le systme vocalique franais ainsi que par la
rgularit des carts entre chacune des voyelles. Munot et Nve (ibid. : 54) soulignent
la fermet avec laquelle chaque voyelle prend une position bien distincte en
franais18. En comparaison, lirrgularit relative des valeurs de F1 et les carts moins
marqus entre les diffrents sons du systme vocalique anglais sont susceptibles de
provoquer chez lapprenant francophone un sentiment dinstabilit augment par la
prsence de huit diphtongues qui sajoutent, en RP, aux douze sons simples nots dans
le tableau, pour un total de vingt sons vocaliques. Ces diphtongues se caractrisent par
le glissement dune voyelle simple vers un timbre plus ferm (/eN/, /aN/, /CN/, /BL/ et
/aL/) ou vers le centre du trapze (/NB/, /eB/ et /LB/). Le glissement des diphtongues vers
le schwa est caractristique de langlais britannique et absent de langlais amricain en
raison de son caractre rhotique : GA compte uniquement cinq diphtongues19. De plus,
la distinction phonmique en RP entre voyelles dites tendues et relches nest
pas toujours conserve en GA.
17 Voir la section Comportement gnral du e caduc sur le site officiel du projet PFC (Phonologie du
Franais Contemporain) : http://www.projet-pfc.net/. 18
Les quatre voyelles nasales absentes du tableau sont elles aussi bien distinctes de toutes les autres comme on peut le constater dans la figure 6 ci-dessous qui comprend les quinze sons vocaliques du franais. 19
En GA, /BL/ correspond /oL/ (Jobert, op.cit. : 100). Les combinaisons diphtongue + schwa en RP, souvent appeles triphtongues (Watbled, op.cit. : 81), deviennent diphtongue + /r/ en GA.
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44 Partie I tat des lieux de la comprhension de langlais oral
Mme dans sa version amricaine globalement plus simple (Carr et al., ibid. :
65), le systme vocalique anglais reste complexe pour lapprenant francophone.
limage du tableau 2 ci-dessus, le trapze vocalique ci-dessous synthtise cette
complexit en faisant ressortir les diffrences entre le systme vocalique franais en
bleu et le systme anglais en rouge :
Figure 6 - Trapze des sons vocaliques du franais et de langlais amricain (Germain-Rutherford, 2005b).
Le systme vocalique anglais comprend un plus grand nombre de sons rpartis sur un
espace plus resserr et sur des positions plus rapproches les unes des autres, ce qui peut
rendre leur discrimination difficile.
2.3.2 Problmes de discrimination des sons vocaliques de langlais
Cette difficult de discrimination des phonmes de la L2 peut tre augmente par
linterfrence possible de la L1 en raison du principe de laimant perceptif. Les valeurs
des formants F1 et F2 des sons vocaliques du franais et de langlais sont en effet parfois
voisines : un certain nombre de voyelles franaises sont susceptibles de jouer le rle
daimant perceptif pour le traitement des voyelles anglaises. Le /i/ franais pourrait ainsi
se trouver assimil au /i:/ anglais puisque les valeurs F1 et F2 respectives sont assez
proches (240 vs. 285 et 2500 vs. 2375).
En comprhension de loral, ce phnomne naurait sans doute pas de consquence
majeure si le systme anglais tait aussi cardinal que le systme franais. Mais, comme
nous lavons soulign, certains phonmes vocaliques anglais sont trs rapprochs les
uns des autres sur le trapze. On peut mettre lhypothse que les voyelles
prototypiques franaises attireront elles, sans les discriminer, des sons pourtant en
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Chapitre 1 - Problmes phonologiques 45
opposition minimale en anglais, avec pour consquence de gommer des diffrences de
sens. Ainsi la puissance de laimant perceptif du /i/ franais risque dattirer non
seulement /i:/ mais aussi /N/ (285 vs. 355 et 2375 vs. 2100), empchant la distinction de
paires minimales telles que sit / seat ; live / leave ou encore chip / cheap par exemple.
Selon Huart (op.cit. : 73-79), cest bien dans le domaine des oppositions vocaliques
que les risques de confusion sont les plus nombreux. Lauteur identifie un certain
nombre de zones o la confusion entre les phonmes peut tre totale : entre /i:/ et /N/ que
nous venons de mentionner mais aussi entre /W/ et /H/, entre /e/ et /eN/ ou entre /C:/, /K/
et /BL/. On rencontrerait aussi des erreurs de comprhension relevant de la confusion
des phonmes /e/, /K/ et /H/, /W/ et /a:/ ou encore /L/ et /u:/ (ibid.).
Certains aspects de GA sont susceptibles dajouter la confusion puisque Jobert
(op.cit. : 108-10) souligne que la distribution de /W/ y est plus large quen RP et que, de
plus, on assiste actuellement une convergence (angl. merger) entre le phonme /K/ et
/C:/. cela sajoutent, pour certains mots, des diffrences au niveau de la ralisation de
voyelles entre RP et GA, telles que de either , de progress ou encore
de buried (ibid. : 111).
2.3.3 La relation graphie / phonie
Le systme vocalique anglais dans son ensemble est susceptible dtre lorigine de
problmes majeurs lors de la reconnaissance des mots en raison la fois des diffrences
entre les systmes vocaliques de langlais et du franais mais aussi en raison du rle
daimant perceptif que peuvent jouer certains phonmes du systme de la L1. Pour
pouvoir reconnatre aisment les diffrents phonmes lorsquil coute son interlocuteur
parler en continu, lapprenant francophone doit en avoir stabilis les reprsentations. Or
le travail de mmorisation des phonmes en anglais nest pas facilit par la relation
graphie-phonie.
Lopacit bidirectionnelle de la langue anglaise, expose travers les scores
particulirement faibles des jeunes anglais en comptence de lecture lors de leur
premire anne dapprentissage cits supra (Ch.1, 1.3), peut tre illustre par les deux
exemples suivants : le son /i:/ comporte par exemple cinq graphies rgulires et onze
graphies irrgulires (Ginsy, op.cit. : 16-17) ; le digraphe peut se prononcer de
sept manires diffrentes (Deschamps, op.cit. : 60).
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46 Partie I tat des lieux de la comprhension de langlais oral
Lapprenant francophone en LANSAD peut alors difficilement sappuyer sur sa
connaissance du systme crit pour mmoriser les sons vocaliques. Or, tant que les
prototypes de la L2 ne sont pas stabiliss, leurs variations peuvent tre traites comme
autant de phonmes potentiellement distincts multipliant de fait le nombre de sons
vocaliques auquel lapprenant pense tre expos et renforant le sentiment gnral
dinstabilit. Nous terminons ltude de la perception du niveau segmental en
dfinissant les variations possibles dun phonme lorsquil est considr dans son
environnement immdiat.
2.4 Variations
Les systmes consonantiques et vocaliques qui viennent dtre prsents dcrivent
des formes de citation , soit une reprsentation idale de chaque phonme
lorsquil est prononc de manire neutre et isole, sans prendre en compte des facteurs
externes tels que lenvironnement linguistique immdiat ou lextra-linguistique (Brown,
1996 : 14). Les variations extra-linguistiques sont lun des objets dtude des projets
PFC (Phonologie du Franais Contemporain) et PAC (Phonologie de lAnglais
Contemporain)20 qui visent tablir un corpus de donnes orales en fonction de
lenvironnement et du locuteur, afin danalyser un certain nombre de variations telles
que, par exemple en franais, la prononciation du /R/, du systme vocalique, ou du
schwa.
2.4.1 Variations allophoniques libres
Dans son travail sur la comprhension de loral, Field (2008 : 157-158) insiste sur les
variations lies aux caractristiques physiologiques de chaque individu (influence de la
physiologie de la cavit pharyngo-buccale sur le timbre de voix) ainsi que sur celles
lies au style de chacun (angl. style of delivery) tels que le dbit de parole ou la
manire de sexprimer. Toutes ces car