methodologie commentaire arret borghetti 2013 2014

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1 Droit civil – L2 – 2013-2014 Cours du professeur Jean-Sébastien Borghetti Méthodologie du commentaire d’arrêt Un exercice typique des études droit en France est le commentaire de décision de justice, habituellement nommé commentaire d’arrêt, car il porte presque toujours sur un arrêt de la Cour de cassation ou du Conseil d’État, ou éventuellement d’une cour (administrative) d’appel. En théorie, cependant, une décision de première instance est également susceptible de faire l’objet d’un commentaire. Seul sera envisagé ici le commentaire des décisions rendues par les juridictions civiles.  La raison d’être du commentair e d’arrêt L’importance du commentaire d’arrêt dans les études de droit en France est étroitement liée à la structure particulière des décisions rendues par les hautes juridictions, et notamment la Cour de cassation. Les arrêts de la Cour sont en effet très elliptiques. Ils donnent d’ordinaire simplement les faits du litige, la procédure suivie, la règle appliquée et la solution. Le raisonnement suivi par les juges, en revanche, n’est habituellement pas explicité. La décision n’indique ni pourquoi telle règle a été appliquée, ni les raisons de l’interprétation qui en a été donnée. Or, très souvent, le choix de la règle ou son interprétation n’allaient pas de soi dans l’affaire soumise à la Cour (sans quoi les parties ne seraient sans doute pas allées jusqu’en cassation). Le commentaire d’arrêt sert fondamentalement à expliciter la décision qui en est l’objet : il s’agit de déployer le raisonnement suivi par les juges, en expliquant comment ils ont pu  procéder des faits à la solution (compte tenu de la question qui était posée par le pourvoi, lorsque la décision est un arrêt de la Cour de cassation) et quelles ont pu être les considérations sous-jacentes à leur décision. De ce point de vue, le commentaire d’arrêt, tel qu’il est traditionnellement pratiqué en France, n’a réellement de sens qu’appliqué aux décisions des juridictions françaises ou statuant « à la française ». Les décisions de  juridictions étrangères ou supranationales (CJUE, CEDH), dans lesquelles les juges explicitent leur raisonnement et précisent (plus ou moins) clairement les raisons de leur décision, peuvent bien sûr faire l’objet de commentaires, mais ceux-ci ne sauraient prendre la même forme que ceux des arrêts de notre Cour de cassation. Le commentaire d’arrêt, contrairement à certaines idées reçues, n’est donc pas un exercice  purement formel, destiné uniquement à permettre l’évaluation des étudiants. Savoir commenter un arrêt est la preuve que l’on sait le comprendre, ainsi que sa portée et ses ressorts. Or, une telle faculté de compréhension est bien évidemment indispensable pour tous les juristes, qu’il soient avocats, juristes d’entreprise, notaires, juges, etc.  Les grandes lignes du commentair e d’arrêt De manière plus concrète, les objectifs essentiels d’un commentaire d’arrêt sont les suivants : - Dégager le sens de la décision, avec précision et exactitude. - Comprendre le raisonnement suivi par les juges. Ce raisonnement est-il correct ? Un autre était-il possible ? Quelles sont les raisons (de technique juridique, mais aussi

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    Droit civil L2 2013-2014 Cours du professeur Jean-Sbastien Borghetti

    Mthodologie du commentaire darrt

    Un exercice typique des tudes droit en France est le commentaire de dcision de justice, habituellement nomm commentaire darrt, car il porte presque toujours sur un arrt de la Cour de cassation ou du Conseil dtat, ou ventuellement dune cour (administrative) dappel. En thorie, cependant, une dcision de premire instance est galement susceptible de faire lobjet dun commentaire. Seul sera envisag ici le commentaire des dcisions rendues par les juridictions civiles. La raison dtre du commentaire darrt Limportance du commentaire darrt dans les tudes de droit en France est troitement lie la structure particulire des dcisions rendues par les hautes juridictions, et notamment la Cour de cassation. Les arrts de la Cour sont en effet trs elliptiques. Ils donnent dordinaire simplement les faits du litige, la procdure suivie, la rgle applique et la solution. Le raisonnement suivi par les juges, en revanche, nest habituellement pas explicit. La dcision nindique ni pourquoi telle rgle a t applique, ni les raisons de linterprtation qui en a t donne. Or, trs souvent, le choix de la rgle ou son interprtation nallaient pas de soi dans laffaire soumise la Cour (sans quoi les parties ne seraient sans doute pas alles jusquen cassation). Le commentaire darrt sert fondamentalement expliciter la dcision qui en est lobjet : il sagit de dployer le raisonnement suivi par les juges, en expliquant comment ils ont pu procder des faits la solution (compte tenu de la question qui tait pose par le pourvoi, lorsque la dcision est un arrt de la Cour de cassation) et quelles ont pu tre les considrations sous-jacentes leur dcision. De ce point de vue, le commentaire darrt, tel quil est traditionnellement pratiqu en France, na rellement de sens quappliqu aux dcisions des juridictions franaises ou statuant la franaise . Les dcisions de juridictions trangres ou supranationales (CJUE, CEDH), dans lesquelles les juges explicitent leur raisonnement et prcisent (plus ou moins) clairement les raisons de leur dcision, peuvent bien sr faire lobjet de commentaires, mais ceux-ci ne sauraient prendre la mme forme que ceux des arrts de notre Cour de cassation. Le commentaire darrt, contrairement certaines ides reues, nest donc pas un exercice purement formel, destin uniquement permettre lvaluation des tudiants. Savoir commenter un arrt est la preuve que lon sait le comprendre, ainsi que sa porte et ses ressorts. Or, une telle facult de comprhension est bien videmment indispensable pour tous les juristes, quil soient avocats, juristes dentreprise, notaires, juges, etc. Les grandes lignes du commentaire darrt De manire plus concrte, les objectifs essentiels dun commentaire darrt sont les suivants :

    - Dgager le sens de la dcision, avec prcision et exactitude. - Comprendre le raisonnement suivi par les juges. Ce raisonnement est-il correct ? Un

    autre tait-il possible ? Quelles sont les raisons (de technique juridique, mais aussi

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    peut-tre de politique juridique) qui ont conduit choisir ce raisonnement ou cette solution plutt quun autre ?

    - Dterminer la porte de larrt. Quest-ce quil apporte ? Quelle est son importance, sa postrit possible ou probable ?

    Le commentaire est un exercice difficile, qui ne peut tre rellement matris quaprs une longue pratique. Il comporte de nombreux cueils. Les plus frquents sont les suivants :

    - Transformer le commentaire en une dissertation ou un expos de ses connaissances sur le thme de larrt.

    - Se limiter une discussion de lopportunit de la solution (juste / injuste), qui, outre quelle tourne parfois une analyse de type caf du commerce , marque le plus souvent une mauvaise connaissance ou matrise du droit.

    - Faire de la paraphrase : en pratique, cest le plus grand risque. Le commentaire se borne alors redire ce que dit larrt, sans vritablement expliquer, dcortiquer.

    Le commentaire darrt se coule traditionnellement dans une forme prcise :

    - introduction ; - dveloppement en deux parties comprenant deux sous-parties chacune ; - pas de conclusion.

    Cette exigence de forme, comme dailleurs la plupart des exigences de ce type, nest pas aussi gratuite quelle en a lair. Elle correspond tout dabord une structure de raisonnement frquente en droit (notion / rgime ; explication de la solution / discussion de la solution ; etc.). De plus, elle oblige organiser ses ides de manire aussi rigoureuses que possible. En tout tat de cause, cette structure doit tre matrise. Seul celui qui la matrise peut, dans un second temps, la dpasser ou sen dpartir bon escient. Comment procder ? Il faut tout dabord lire attentivement la dcision dans son entier. Tout part de l. Les termes de la dcision doivent tous tre compris et la dfinition de ceux qui sont obscurs doit tre recherche (do la ncessit de disposer dun dictionnaire juridique). Cest un effort minimum faire, sans quoi la dcision ne pourra tre comprise. Aprs avoir lu la dcision, il est en outre essentiel de commencer rflchir par soi-mme. Se prcipiter tout de suite sur une explication ou un commentaire crit par un autre est le plus sr moyen de faire un mauvais commentaire, car on se prive alors de la possibilit de comprendre larrt par soi-mme. Les commentaires existant dune dcision peuvent bien sr tre utiles, mais ils ne doivent tre utiliss que dans un second temps, afin dclaircir des points demeurs obscurs et de vrifier sa propre comprhension de larrt. Aprs cette tape prliminaire de lecture et deffort de comprhension de larrt, on peut passer la ralisation du commentaire proprement dit. Les tapes de cette ralisation sont ici dtailles dans lhypothse, de loin la plus frquente, o le commentaire porte sur un arrt de la Cour de cassation.

    1. tablir une fiche darrt La fiche rassemble tous les lments ncessaires lanalyse de la dcision. Elle doit permettre de bien comprendre la dcision. Elle comporte en principe :

    - Lidentification de la dcision : juridiction, date, domaine du droit concern, texte(s) vis(s), arrt de rejet ou de censure.

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    - Les lments de fait. Faire attention la date. Privilgier la qualification juridique des faits.

    - Les tapes de la procdure. Arrt confirmatif ou infirmatif attaqu ? Renvoi aprs cassation ? Auteur du pourvoi ?

    - Les prtentions des parties. Il faut ce stade indiquer qui a pris linitiative de saisir la juridiction ayant rendu la dcision analyse. Il faut galement, dans la mesure du possible, identifier les arguments des parties devant cette juridiction. Lorsque la dcision analyse est un arrt de la Cour de cassation, cependant, les arguments du dfendeur au pourvoi ne sont en principe pas connus. Quant ceux du demandeur, ils ne sont normalement indiqus que lorsquil sagit dun arrt de rejet, auquel cas il convient dexposer brivement les arguments figurant dans le(s) moyen(s) du pourvoi.

    - Le problme juridique pos. Il sagit didentifier la question laquelle a rpondu la juridiction saisie, non pas sous langle de lespce particulire qui lui tait soumise (par ex. : M. X est-il le vendeur ou le prteur de la voiture ? ; la dette de M. X est-elle prescrite ?), mais de manire en quelque sorte abstraite, en montrant quelle rgle gnrale tait en jeu dans la solution du litige (par ex. : quel est le critre de distinction entre la vente et le prt ? ; quel est le dlai de prescription applicable une dette issue dun contrat de vente ?) En principe, la question de droit peut tre trouve en confrontant les positions contradictoires, quelles manent des parties ou des juridictions : ce sont en effet deux rponses diffrentes la mme question, question quil sagit didentifier. Il peut y avoir plusieurs problmes de droit, notamment lorsquil y a plusieurs moyens. Il faut alors les identifier tous et voir sils sont lis entre eux.

    - La rponse donne. Il sagit didentifier la rponse donne par la juridiction saisie la question de droit qui tait pose, en reprant, autant que faire se peut, la rgle dont lapplication a permis daboutir cette rponse. Il faut aussi prciser la solution concrte qui a t donne au litige.

    2. laborer le contenu du commentaire

    a. Mobilisation des connaissances. Il convient de voir dans quel cadre sinsre larrt, ce

    que dit le droit, ou ce que disait le droit sur le sujet qui est celui de larrt. Mais il ne faut pas verser dans la dissertation ! Concrtement, il faut faire trs attention au(x) texte(s) vis(s) dans larrt, ou ceux qui auraient pu ltre (notamment quand il sagit dun arrt de rejet). Regarder le cours sur la question, voir quel est ltat de la jurisprudence, avant et aprs la dcision.

    b. Analyse de larrt. Il sagit de reconstituer le raisonnement suivi pour aboutir la

    solution qui a t retenue. Bien garder en tte que la Cour de cassation juge une dcision, et non des faits. Surtout, ne jamais oublier que la Cour de cassation est lie par le pourvoi. Elle na donc pas rpondre des questions qui ne lui taient pas poses.

    c. Apprciation de larrt en droit. Il faut en quelque sorte juger et valuer larrt. Cela

    passe par la rponse plusieurs questions : - Arrt despce ou de principe ? - Arrt conforme la jurisprudence antrieure ? Si ce nest pas le cas (revirement ?),

    cela montre quil y avait au moins une autre solution possible. Replacer larrt dans la chane jurisprudentielle , qui a pu se prolonger depuis.

    - Le problme de droit aurait-il pu tre pos diffremment, y en avait-il un autre ?

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    - Y avait-il une autre solution possible en droit ? La doctrine et la jurisprudence fournissent videmment de prcieuses indications de ce point de vue.

    - Quels arguments juridiques auraient pu justifier une autre solution ? Application dun autre texte / interprtation diffrente de la rgle applique / autre raisonnement que celui suivi par la Cour (qui est donc contestable) ?

    - Lauteur du pourvoi aurait-il pu faire valoir dautres arguments (en particulier si le pourvoi est rejet) ? Cest une tape essentielle. Elle est bien sr dlicate, car elle suppose de penser par soi-mme. Il ne sagit pas de se croire plus intelligent que les juges. Mais ceux-ci peuvent se tromper. Surtout, le but nest pas de dire : les juges ont raison , ou les juges ont tort ; mais le raisonnement des juges doit tre approuv parce que (et il faut donc pour cela le reconstituer), ou le raisonnement des juges peut tre critiqu, parce que . Mieux vaut une critique argumente, mme fausse, quune approbation ou une critique justifie mais non argumente.

    - Apprciation de larrt en opportunit. Il sagit de vrifier ladaptation de larrt aux faits, au contexte juridique, social, moral, dans lequel il sinscrit. Linopportunit ventuelle de la solution peut avoir plusieurs causes : inopportunit de la rgle de droit applique (auquel cas le juge nen est pas responsable) ; application ou interprtation de la rgle par les juges

    d. Recherche des consquences de larrt. Elle se fait diffremment selon que larrt est

    rcent ou plus ancien. En tout tat de cause, il faut voir si larrt est un arrt de principe ou despce. Si cest un arrt de principe, le principe est-il ancien ou nouveau ? Dans le premier cas, pourquoi la Cour le rappelle-t-elle ? Est-ce li aux rsistances des juges du fond, des enjeux particuliers ? Si le principe est nouveau, a-t-on affaire un revirement ? Si oui, quest-ce qui peut lexpliquer ? Quelles pourraient tre les consquences de ce nouveau principe ?

    Tous les points qui viennent dtre voqus ne sont pas forcment pertinents pour un arrt donn et il nest pas toujours ncessaire de les envisager tous. Il sagit simplement ici de donner un panorama (au demeurant non exhaustif) des points qui peuvent tre envisags.

    3. La mise en forme du commentaire

    a. Lintroduction Elle reprend grosso modo la fiche darrt.

    - Une ou deux phrases liminaires pour situer la dcision, en indiquant le thme gnral auquel elle se rapporte.

    - Expos des faits. - Expos de la procdure. - Problme(s) juridique(s) pos(s). - Solution - Justification et annonce du plan du commentaire.

    b. Le plan

    Les divisions doivent tre tires de la dcision elle-mme. Il ne faut donc pas faire I : La position de la cour dappel et II : La position de la Cour de cassation. Lorsquil y a deux arrts, ne pas faire : I 1er arrt ; II 2e arrt.

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    Si larrt prsente deux problmes de droit (et sous rserve que lun dentre eux ne mrite pas dtre cart ds labord, par exemple parce quil est sans rapport avec le cadre dans lequel sinscrit le commentaire), on peut faire une partie par problme (avec le plus important en premier). Sil y a plus de deux problmes, il faut essayer den regrouper certains. Sil y a un seul problme et un seul moyen, il faut essayer de couper en deux le problme, afin dobtenir un plan. Cela peut souvent se faire en dcortiquant lattendu principal de la Cour de cassation et en dcomposant ainsi le raisonnement suivi par celle-ci. Exemple : attendu que la fraude paulienne rsulte de la seule connaissance qu'a le dbiteur du prjudice qu'il cause au crancier en se rendant insolvable ou en augmentant son insolvabilit . On peut dans cet attendu distinguer deux lments, susceptibles de faire chacun lobjet dune partie : la caractrisation de lintention frauduleuse ( la seule connaissance qu'a le dbiteur du prjudice qu'il cause au crancier ) et lexigence dinsolvabilit ( prjudice qu'il cause au crancier en se rendant insolvable ou en augmentant son insolvabilit ). Le cas chant, on peut galement appuyer le plan sur le fait que la dcision commente remet en cause une jurisprudence antrieure, ou a t confirme ou remise en cause par une loi ou une jurisprudence nouvelles. Il convient cependant de veiller traiter de larrt tout au long du commentaire. La deuxime partie, par exemple, ne doit pas se transformer en dissertation partir de larrt ou sur les suites de celui-ci. Il existe par ailleurs certains plans-type , dont il convient cependant de nuser quavec discernement. Exemples : conditions/effets ; domaine/rgime ; etc. De manire gnrale, le I.A. est souvent loccasion de planter le dcor, en prcisant les notions juridiques en cause et en rappelant, le cas chant, la situation qui prcdait larrt (notamment en cas de controverse doctrinale ou jurisprudentielle). Le I.B et le II.A constituent en principe le cur du commentaire. Cest l que le raisonnement suivi par la Cour de cassation doit tre dcortiqu et apprci. Le II.B est souvent quant lui loccasion dapprcier lopportunit de larrt et denvisager ses consquences possibles, ou ses suites, lorsque larrt est suffisamment ancien pour que celles-ci soient connues. Il est dusage de donner un titre chacune des parties et sous-parties. Ceux-ci doivent tre aussi expressifs que possible, sans tre trop longs.

    c. Les dveloppements Le commentaire doit coller larrt. Il ne faut pas hsiter se rfrer larrt, le citer. Le plan et les dcoupages doivent tre justifis. Une phrase de transition entre parties ou sous-parties est souvent la bienvenue. Il convient bien videmment dviter le style tlgraphique et les abrviations. La rigueur simpose dans le choix des termes utiliss.

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    Annexe. Quelques prcisions sur la structure des arrts de la Cour de cassation et la manire de les lire Les arrts des chambres civiles de la Cour de cassation ont une structure particulire quil convient de bien connatre, afin dviter les contre-sens. Il importe en particulier de bien distinguer la position dfendue par les demandeurs au pourvoi de la position de la Cour de cassation elle-mme. On trouvera un expos dtaill et trs clairant sur la manire de lire un arrt de la Cour de cassation chez J.-F. Weber, Comprendre un arrt de la Cour de cassation rendu en matire civile , Bulletin dinformation de la Cour de cassation (BICC), n 702, 15 mai 2009, p. 6 (disponible ladresse http://www.courdecassation.fr/IMG/pdf/Bicc_702.pdf). Le service de documentation de la Cour de cassation donne une indication de limportance que la Cour donne chacun de ses arrts en les assortissant de lettres (visibles notamment lors de la consultation de larrt sur Legifrance), dont il convient de connatre la signification (les prcisions qui suivent sont reprises de larticle prcit) : D = diffusion sur la base de la Cour, mais sans publication. Ce sont les arrts qui, pour les chambres, napportent rien la doctrine de la Cour de cassation. Ils sont frquemment qualifis darrts despce , mme si une telle analyse na gure sa place pour un arrt de la Cour, qui ne rpond qu des moyens de droit ; B = publication au Bulletin dinformation de la Cour de cassation (BICC, diffus tous les quinze jours tous les magistrats), comportant le sommaire des arrts qui seront publis et dont la Cour estime ncessaire de porter rapidement la solution la connaissance des magistrats du fond. Le sommaire des arrts est labor au sein de la chambre qui a rendu la dcision et tend dgager ce quapporte larrt la doctrine de la Cour. Le lecteur avis ne doit en aucun cas se contenter de la lecture du sommaire, dont la concision peut conduire des interprtations errones, mais doit absolument se reporter larrt lui-mme, connaissance prise des moyens auxquels il est rpondu ; P = publication au Bulletin de la Cour de cassation, dit dsormais uniquement en version numrique. Ce sont les arrts qui ont une porte doctrinale, soit par la nouveaut de la solution, soit par une volution de linterprtation dun texte au regard de la jurisprudence antrieure, soit enfin parce que la Cour na pas publi cette solution depuis longtemps (une dizaine dannes) et quelle entend manifester la constance de sa position ; I = diffus sur le site internet de la Cour de cassation : il sagit des arrts qui, de lavis de la chambre, prsentent un intrt pour le grand public, parce quil sagit dune question de socit ou parce que la solution a des incidences pratique videntes pour la vie quotidienne de nos concitoyens. Ils sont parfois assortis dun communiqu qui en prcise la porte ; R = ce sont les arrts dont la porte doctrinale est la plus forte. Ils sont analyss au rapport annuel de la Cour de cassation, qui permet lactualisation, en lger diffr, de lessentiel de lvolution de la jurisprudence de la Cour. Les deux tableaux ci-aprs indiquent la structure-type des arrts de cassation et de rejet. En pratique, les arrts peuvent avoir une structure plus complexe, notamment lorsquils contiennent plusieurs moyens.

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    Arrt de cassation (Cass. civ. 1re, 13 avril 1999, n 97-11.156, Bull. civ. I, n 131) Vu l'article 1185 du Code civil ;

    Visa. Le visa indique la source (ou les sources) de la rgle (ou des rgles) de droit dont la mauvaise application ou la non-application justifie la cassation. La prsence du visa indique quil sagit dun arrt de cassation. Les arrts de rejet sont quant eux dpourvus de visa.

    Attendu que le terme est un vnement futur et certain auquel est subordonne l'exigibilit ou l'extinction d'une obligation ;

    Premier attendu, qui exprime la rgle (ou les rgles) de droit contenue(s) dans le texte indiqu au visa, ou rattache ce texte. Il importe de confronter le texte de cet attendu au contenu du ou des textes figurant au visant. Souvent, lattendu ne fait que reprendre le contenu du texte , mais il arrive, comme en lespce, quil ne corresponde pas ce contenu, auquel cas le dcalage entre les deux est videmment susceptible dtre analys.

    Attendu que, pour dbouter la socit Union gnrale cinmatographique (UGC), de son appel en garantie tendant voir dire que la socit Compagnie immobilire et commerciale francilienne (CICF) devrait supporter les charges dues l'Association foncire urbaine du centre commercial principal des Flanades, Sarcelles, au titre du lot n 54, exploit usage de cinmas, l'arrt attaqu, rendu sur renvoi aprs cassation, retient que l'accord du 13 mars 1981, faisant la loi des parties, selon lequel la socit CIRP, aux droits de laquelle se trouve la CICF, s'est engage supporter ces charges aux lieu et place de l'UGC, tant que le nombre d'entres annuelles des cinmas resterait infrieur ou gal 380 000, comporte un terme et non une condition, ds lors qu'il a t considr comme de ralisation certaine par les parties ;

    Deuxime attendu, qui expose la fois les faits, la procdure et la solution donne par la cour dappel (ou toute autre juridiction du fond dont la dcision se trouve dfre devant la Cour de cassation). Il arrive que les faits et la procdure soient exposs dans un attendu distinct, situ en dbut darrt. Tel est notamment le cas lorsque larrt rpond plusieurs moyens. Il est essentiel didentifier la position retenue par la cour dappel, ainsi que les raisons qui la sous-tendent, lorsquelles sont exprimes.

    Attendu qu'en se dterminant ainsi, alors que l'vnement tant incertain non seulement dans sa date, mais aussi quant sa ralisation, il s'agissait d'une condition et non d'un terme, la cour d'appel a viol le texte susvis par fausse application ;

    Attendu final, qui donne la position de la Cour de cassation. Cet attendu prcise de quelle manire les juges du fond ont contrevenu au droit. Il sagit en lespce dune violation de la loi par fausse application : cela signifie que les juges du fond ont appliqu une rgle (en loccurrence relative au terme ; v. le visa) qui ntait pas applicable lespce. Les autres motifs de cassation les plus frquents sont : Violation de la loi par refus dapplication : les juges du fond nont pas appliqu une rgle quils auraient d appliquer ; Cassation pour manque de base lgale : les juges du fond nont pas caractris tous les lments ncessaires lapplication de la rgle quils ont mise en uvre. Peut-tre cette application tait-elle justifie en lespce, mais

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    les juges du fond nont pas mis la Cour de cassation en mesure de contrler si tel tait bien le cas.

    PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen du pourvoi incident, ni sur ceux du pourvoi principal de la socit Compagnie immobilire et commerciale francilienne CICF : CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrt rendu le 12 juin 1996, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en consquence, la cause et les parties dans l'tat o elles se trouvaient avant ledit arrt et, pour tre fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens.

    Dispositif. La lecture du dispositif permet de vrifier quil sagit bien dun arrt de cassation. Elle permet surtout de voir quelle est lissue concrte du pourvoi en cassation pour les parties.

    Arrt de rejet (Cass. civ. 1re, 14 fvrier 1995, n 92-18.886, Bull. civ. I, n 79) Attendu que selon les juges du fond M. X... a prt M. Mukendi Z... Y... diverses sommes, contre reconnaissances de dette ; que, procdant au recouvrement de ces sommes, M. X... a demand par la voie de l'action paulienne que soit annul l'apport en nature fait par son dbiteur, pour une valeur de 1 850 000 francs une socit MWM Informatique sous le nom de laquelle tait exploit son cabinet de conseil en informatique ;

    Premier attendu, qui les faits, la procdure. Le fait que cet attendu ne soit pas prcd dun visa indique que le moyen a t rejet (larrt nest cependant pas ncessairement tout entier de rejet, car le Cour de cassation peut avoir cass la dcision dfre sur la base dun autre moyen).

    Attendu que M. Mukendi Z... Y... et la socit MWM font grief l'arrt attaqu (Grenoble, 3 juin 1992) d'avoir accueilli cette demande, sans rechercher si M. X... dmontrait un tat d'insolvabilit de son dbiteur conscutif l'acte contest, ni donner de base lgale sa dcision au regard de l'intrt du crancier agir par la voie paulienne, caractris par un prjudice rsultant de l'acte litigieux ;

    Deuxime attendu, qui exprime les critiques formules par le(s) demandeur(s) au pourvoi contre la dcision des juges du fond.

    Mais attendu que la fraude paulienne rsulte de la seule connaissance qu'a le dbiteur du prjudice qu'il cause au crancier en se rendant insolvable ou en augmentant son insolvabilit ; que la cour d'appel a souverainement retenu que le transfert de proprit au profit de la socit avait fait chapper ces biens aux poursuites de M. X..., lui causant ainsi un prjudice dont M. Mukendi Z... Y... avait ncessairement connaissance ; que, la cour d'appel a lgalement justifi sa dcision ;

    Troisime attendu, qui exprime la position de la Cour de cassation. La Cour de cassation indique ici les raisons pour lesquelles les juges du fond nencourent pas le reproche que leur a adress le pourvoi et pourquoi ils ont jug conformment au droit sur le point soulev par le moyen. Cela nexclut cependant nullement que la dcision des juges du fond encoure la critique sur un autre point, non soulev par ce moyen.

    PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi.

    Dispositif. Il confirme le rejet du moyen ou du pourvoi dans son ensemble.