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Mercredi 17 octobre 2012 6 Focus AL BAYANE Meryam Demnati, membre de l’OADL «Rendre à la langue amazighe la place qui lui revient de droit» Meryam Demnati, de l’Observatoire amazigh des droits et libertés souligne que «l’intégration de la langue amazighe dans l’enseignement est toujours en situation de blocage». Entretien. AlBayane : Onze ans après le Discours d’Ajdir et un peu plus d’une année après la constitutionnalisation de l’amazigh en tant que langue officielle, quelle évaluation faites-vous de la situation de la culture et langue amazighes ? Meryam Demnati : A peine deux années après son intronisa- tion, le Roi Mohammed VI pro- nonce son discours désormais historique d’Ajdir, le 17 octobre 2001, premier intérêt sérieux pour nos revendications légi- times depuis l’indépendance, avec une relative reconnais- sance de l’amazighité du Maroc. Mais durant dix ans, cet inté- rêt s’est heurté à la persistance des mentalités ségrégationnistes véhiculées par des sensibilités politiques foncièrement hostiles à l’amazighité. Des manœu- vres ont abouti à faire échouer le projet de la promotion de l’amazighe dans de nombreux domaines, notamment dans l’enseignement et les médias. Assurément, l’officialisation de la langue amazighe aujourd’hui est un acquis très important, résultat de 50 ans de lutte sans relâche du mouvement amazigh et ses alliés politiques. Mais un an après la consti- tutionnalisation de l’amazigh, quelle évaluation peut-on en faire ? L’intégration de la langue amazighe dans l’enseignement après dix ans de bricolage est toujours en situation de blocage. Les médias publics ne jouent aucunement le rôle de promo- teur de la diversité culturelle et linguistique instaurée par la nou- velle constitution. D’un autre côté, la 8e chaîne Tamazight, dépourvue de crédits financiers suffisants et de transmission terrestre pouvant permettre au simple citoyen marocain de la capter, ressemble étrangement à un ghetto. L’intégration de la langue amazighe dans les espaces et les institutions pub- liques est au compteur zéro. Malgré la circulaire du ministre de l’Intérieur, en date du 29 avril 2010, qui dispose qu’aucune interdiction ne doit frapper les prénoms amazighs, quelques bureaux d’enregistrement nationaux ou dans les ambas- sades du Maroc à l’étranger, continuent de refuser des pré- noms amazighs. Le statut de langue officielle dans la con- stitution est censé protéger la langue amazighe contre toute tentative de minoration poli- tique, juridique et sociale. La reconnaissance de deux langues officielles au Maroc ne signi- fie pas une confrontation entre elles ou la division du pays en deux nations comme pré- tendu par certains adeptes de l’idéologie de l’exclusion. Elle signifie au contraire la concré- tisation de l’égalité entre les composantes du patrimoine marocain. Cependant, le retard accusé par la promulgation de la loi organique spécifique, annon- cé par l’article 5, suscite des interrogations. Où en est l’enseignement de la langue amazighe en 2012 ? Les politiques d’éducation, depuis l’indépendance, n’ont été que plus catastrophiques les unes après les autres. L’ignorance de l’environnement socioculturel et linguistique de l’élève est une des principales causes de son dysfonctionnement. En 2003, le ministère de l’Education nationale, qui est responsable de l’enseignement de la langue amazighe, a adopté une formule dès le départ, celle d’une for- mation «initiale intensive de 15 jours» en langue amazighe, au profit des acteurs pédagogiques en exercice pour une éventu- elle généralisation de la langue amazighe à tous les niveaux et sur tout le territoire national. Il s’agit ici d’enseignants et d’inspecteurs déjà en fonction. Ces acteurs devront de ce fait maîtriser de manière active ou passive cette langue en quelques jours. Traitement plutôt curieux pour introduire pour la première fois une langue maternelle dans le système éducatif, quand on sait que les autres langues en présence ont un régime totale- ment différent. Il s’agit, nous disait-on alors, d’une mesure transitoire destinée à doter le SEF de ressources humaines opérationnelles dans les plus brefs délais. En réalité, les scé- narios courants depuis 2003 furent les suivants : plusieurs directeurs d’académie ou délé- gués réticents, et ayant leur propre position vis-à-vis de la langue amazighe, décident de boycotter ce processus et ne tiennent aucunement compte de ces notes ministérielles. Dans les rares Académies où des forma- tions ont été organisées tant bien que mal, les enseignants peinent malgré tout dans leur tâche et le bénévolat des enseignants en exercice est chose courante. Un enseignant formé dans ce sens, ayant décidé de se débar- rasser de ces cours d’amazigh, peut le faire sans être nullement inquiété. Aucun texte ne l’y con- traint, qu’il soit enseignant du primaire ou formateur dans un CFI. Autre scénario propre à l’enseignement de l’amazighe, la discontinuité. En effet, les enfants qui ont bénéficié d’un enseignement de l’amazigh en première année s’étonnent que l’année suivante il n’y ait rien. Ils «sont passés» en deuxième, ensuite en troisième, mais leur langue maternelle peine à faire de même. L’horaire alloué à l’amazigh variera d’une heure à trois heures par semaine selon les humeurs et les manu- els scolaires introuvables sur le marché. Comme pour les for- mations continues, la formation initiale est claudicante et à part quelques formateurs volontaires des Centres de formation des instituteurs (CFI) qui ont pris en charge l’enseignement des mod- ules, aucune gestion sérieuse n’a été faite dans ce domaine. Bien que le ministère affirme avoir établi un plan prévisionnel et une carte scolaire pour accom- pagner la généralisation de la langue amazighe dans toutes les écoles et les centres, il s’avère que le dossier fut traité peu séri- eusement. Il y a toujours eu un manque total de données statistiques fiables permettant de suivre l’évolution de l’intégration de l’enseignement/apprentissage de l’amazigh dans le SEF. Quant à l’université, aucun départe- ment de la langue et culture amazighes n’y a vu le jour jusqu’à présent comme il en existe pour les autres langues, mais ce sont quelques ensei- gnants chercheurs des départe- ments de français ou d’arabe qui assurent des modules depuis 2006 dans des filières ou mas- ter amazighes (Agadir, Oujda, Fès, Tétouan et Rabat) en plus des cours qu’ils assurent dans leur département d’attache. Beaucoup d’entre eux, surchar- gés, abandonneront en cours de route. La formule la plus adéquate pour une généralisa- tion assurée dans les écoles pri- maires, collèges et lycées ainsi que dans les CRMEF, serait de recruter officiellement des enseignants spécialisés de la langue amazighe parmi les nom- breux licenciés et masters des filières des études amazighes. Un budget devra nécessairement être débloqué à cet effet, ne serait-ce que pour rendre à la langue amazighe marginalisée depuis plus de 50 ans, la place qui lui revient de droit. Que répondiez-vous aux détracteurs de la langue amazighe qui pensent qu’elle ne peut prétendre à une place de choix dans le paysage lin- guistique au Maroc ? Les langues en tant que telles se maintiennent, se dévelop- pent ou dépérissent, selon qu’elles font l’objet de soins ou restent à l’abandon, au gré des circonstances politiques ou idéologiques. Il serait faux d’attribuer le recul d’une langue à un simple manque de dyna- misme ou à son incapacité à s’adapter au monde moderne. On entend ainsi affirmer que les langues comme l’amazigh sont condamnées à disparaître du fait qu’elles ne répondent plus aux exigences de la société contemporaine. Une telle affirmation résiste mal à l’examen. Il faut bien constater que le recul d’une langue a des raisons essentiellement poli- tiques. Les politiques linguis- tiques sont des critères déter- minants pour la vitalité d’une langue et sa fonction dans la société. D’autre part, les uni- versitaires puis les chercheurs de l’Institut royal de la culture amazighe (IRCAM) ont fourni durant ces dernières décennies, un travail académique consi- dérable tant dans l’aménagement linguistique que dans les autres domaines des sciences sociales. La langue amazighe est pleine de ressources à plus d’un titre, et est à même de s’élever rap- idement au rang des langues les plus aptes à véhiculer le savoir moderne. Réellement vivante - et toujours vivace en dépit des vicissitudes de l’histoire - elle est d’une grande malléabilité morphologique, grâce princi- palement à son système de com- position lexicale. Elle ne demande qu’à faire ses preuves. Des moyens modernes de la linguistique et de la péda- gogie ont été mobilisés pour que la langue amazighe soit stan- dardisée et enrichie. Elle dis- pose de glossaires, de lexiques de base ou spécialisés qui per- mettent de confectionner la ter- minologie des institutions pub- liques, d’un corps professionnel, etc. L’introduction de l’amazigh dans certains domaines officiels via des formations intensives, est possible dès demain. Quant au travail des chercheurs, déjà très avancé, il continuera à être mené à bien si leur démarche n’est pas entravée. Propos recueillis par B.A Promouvoir le cinéma amazigh au Maroc L’amazigh, cette langue qu’on ne peut ignorer En peu de temps, on a beaucoup avancé dans le dossier amazigh. Mais, il y a cette question : allons-nous évoluer plus rapidement et mieux demain ? Car, plus d’un an après l’adoption de la nouvelle Constitution, la question amazighe n’a pas connu un développement notable, à l’exception du Discours royal prononcé à l’occasion de l’ouverture de l’actuelle session du Parlement, dans lequel Sa Majesté le Roi Mohammed VI a particulièrement souligné le caractère prioritaire de l’opérationnalisation du processus d’officialisation de la langue amazighe. Sinon, c’est le silence qui entoure partout ce dossier de l’amazigh, au gouverne- ment comme dans les dif- férents organes de l’Etat, Intégrer l’amazigh dans le champ médiatique national est essentiel pour réhabiliter cette langue vernaculaire, en plus de l’enseignement, la culture, la législation et la vie quo- tidienne. Les cahiers des charges ont délimité les temps d’antenne de l’amazigh dans les différents canaux de radiodiffusion et télévi- sion. A notre avis, ces temps d’antenne limités sont en-deçà des ambitions du peuple et ne cadrent pas avec les attentes des acteurs de l’amazigh. On pourrait même dire que cela traduit le mépris à l’égard d’une langue que l’on considère comme langue officielle du royaume. Si l’arabe est une langue officielle et l’amazigh une autre langue officielle, la répartition équitable du champ médiatique ne pourrait être que logique et démocratique. Il ne peut y voir d’un côté une chaîne amazighe, et de l’autre une chaîne non amazighe. Toutes les chaînes de télévision sont tenues de respecter le quota de 50% pour chaque langue. C’est dire que les cahiers des charges de Mustapha El Khalfi ne réussissent qu’à nourrir la tension et la déception au sein du mou- vement amazigh. Lequel mouvement a manifesté sa frustration à l’égard des programmes proposés sur la chaîne 8, et les rapports ségrégationnistes vis-à-vis des collaborateurs. Cette discrimination conduirait à l’arrêt de cette marche probablement avant son lancement. L’ignorance manifeste des responsables de l’amazigh (langue, histoire, réalité et us et coutumes) les pousse à la combattre autant dans les institutions que dans la société. Mohamed Eddarhor Chercheur en communi- cation amazighe C’est dans ce contexte que l’Association Issni N’Ourgh a vu le jour et créa le Festival Issni N’Ourgh international du film amazigh (FINIFA), en vue de contribuer au dével- oppement dudit cinéma, mal- heureusement éradiqué pour des raisons anti démocra- tiques. L’apparition de notre organisation a injecté du sang dans les veines du cinéma amazigh, avec l’accueil d’une panoplie de films, acteurs, cinéastes, producteurs, cher- cheurs et réalisateurs, et créer avec eux une dynamique aut- our du film amazigh, et ce durant six éditions jusqu’à présent. Nos rencontres été aussi pour former nos jeunes et amateurs du cinéma. Ces formations se varient chaque année, et change de style également selon les théma- tiques qu’on propose et aussi selon le contexte qui engen- dres ces initiatives. Cette année, les formations ont pris un élan considérable avec les formidables Ian SKORODIN et Patricia GOMES. L’avenir du cinéma c’est aussi la stratégie et la planification stratégique dans ce domaine, malheureusement absente dans les agendas de nos acteurs politiques et décideurs. C’est de là qu’est née notre initia- tive de créer un Fonds d’aide aux films amazighs. Cette ini- tiative s’inscrit dans le cadre de la promotion du cinéma amazigh. Et c’est aussi bien entendu, une autre fenêtre pour subvenir aux besoins des jeunes talents. L’outil partenarial est aussi un atout qui peut générer des rent- abilités au cinéma amazigh. C’est ainsi qu’on a pu établir une série de partenariat avec les instances, organisations et acteurs ayant le courage de soutenir et de subventionner un cinéma éternellement trahi par nos propres régimes. Rachid Bouksim, président du festival du film amazigh «Issni N Ourgh» Créer un Fonds d’aide aux films amazighs Le cinéma amazigh constitue un fragment d’un bouillon ayant comme appellation la culture marocaine. Il ne se dissocie point du cinéma marocain avec ses différentes expressions, arabe dialectal ou arabe classique. La question amazighe, onze ans après le Discours d’Ajdir

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Page 1: Meryam Demnati, membre de l’OADL «Rendre à la langue

Mercredi 17 octobre 20126 FocusAL BAYANE

Meryam Demnati, membre de l’OADL

«Rendre à la langue amazighe la place qui lui revient de droit»

Meryam Demnati, de l’Observatoire amazigh des droits et libertés souligne que «l’intégration de la langue amazighe dans l’enseignement est toujours en situation de blocage». Entretien.

AlBayane : Onze ans après le Discours d’Ajdir et un peu plus d’une année après la constitutionnalisation de l’amazigh en tant que langue officielle, quelle évaluation faites-vous de la situation de la culture et langue amazighes ? Meryam Demnati : A peine deux années après son intronisa-tion, le Roi Mohammed VI pro-nonce son discours désormais

historique d’Ajdir, le 17 octobre 2001, premier intérêt sérieux pour nos revendications légi-times depuis l’indépendance, avec une relative reconnais-sance de l’amazighité du Maroc. Mais durant dix ans, cet inté-rêt s’est heurté à la persistance des mentalités ségrégationnistes véhiculées par des sensibilités politiques foncièrement hostiles à l’amazighité. Des manœu-

vres ont abouti à faire échouer le projet de la promotion de l’amazighe dans de nombreux domaines, notamment dans l’enseignement et les médias. Assurément, l’officialisation de la langue amazighe aujourd’hui est un acquis très important, résultat de 50 ans de lutte sans relâche du mouvement amazigh et ses alliés politiques.

Mais un an après la consti-tutionnalisation de l’amazigh, quelle évaluation peut-on en faire ? L’intégration de la langue amazighe dans l’enseignement après dix ans de bricolage est toujours en situation de blocage. Les médias publics ne jouent aucunement le rôle de promo-teur de la diversité culturelle et linguistique instaurée par la nou-velle constitution. D’un autre côté, la 8e chaîne Tamazight, dépourvue de crédits financiers suffisants et de transmission terrestre pouvant permettre au simple citoyen marocain de la capter, ressemble étrangement à un ghetto. L’intégration de la langue amazighe dans les espaces et les institutions pub-liques est au compteur zéro. Malgré la circulaire du ministre de l’Intérieur, en date du 29 avril 2010, qui dispose qu’aucune interdiction ne doit frapper les prénoms amazighs, quelques bureaux d’enregistrement nationaux ou dans les ambas-sades du Maroc à l’étranger, continuent de refuser des pré-noms amazighs. Le statut de langue officielle dans la con-stitution est censé protéger la langue amazighe contre toute tentative de minoration poli-tique, juridique et sociale. La reconnaissance de deux langues officielles au Maroc ne signi-fie pas une confrontation entre elles ou la division du pays

en deux nations comme pré-tendu par certains adeptes de l’idéologie de l’exclusion. Elle signifie au contraire la concré-tisation de l’égalité entre les composantes du patrimoine marocain. Cependant, le retard accusé par la promulgation de la loi organique spécifique, annon-cé par l’article 5, suscite des interrogations. Où en est l’enseignement de la langue amazighe en 2012 ? Les politiques d’éducation, depuis l’indépendance, n’ont été que plus catastrophiques les unes après les autres. L’ignorance de l’environnement socioculturel et linguistique de l’élève est une des principales causes de son dysfonctionnement. En 2003, le ministère de l’Education nationale, qui est responsable de l’enseignement de la langue amazighe, a adopté une formule dès le départ, celle d’une for-mation «initiale intensive de 15 jours» en langue amazighe, au profit des acteurs pédagogiques en exercice pour une éventu-elle généralisation de la langue amazighe à tous les niveaux et sur tout le territoire national. Il s’agit ici d’enseignants et d’inspecteurs déjà en fonction. Ces acteurs devront de ce fait maîtriser de manière active ou passive cette langue en quelques jours. Traitement plutôt curieux pour introduire pour la première fois une langue maternelle dans le système éducatif, quand on sait que les autres langues en présence ont un régime totale-ment différent. Il s’agit, nous disait-on alors, d’une mesure transitoire destinée à doter le SEF de ressources humaines opérationnelles dans les plus brefs délais. En réalité, les scé-narios courants depuis 2003 furent les suivants : plusieurs directeurs d’académie ou délé-

gués réticents, et ayant leur propre position vis-à-vis de la langue amazighe, décident de boycotter ce processus et ne tiennent aucunement compte de ces notes ministérielles. Dans les rares Académies où des forma-tions ont été organisées tant bien que mal, les enseignants peinent malgré tout dans leur tâche et le bénévolat des enseignants en exercice est chose courante. Un enseignant formé dans ce sens, ayant décidé de se débar-rasser de ces cours d’amazigh, peut le faire sans être nullement inquiété. Aucun texte ne l’y con-traint, qu’il soit enseignant du primaire ou formateur dans un CFI. Autre scénario propre à l’enseignement de l’amazighe, la discontinuité. En effet, les enfants qui ont bénéficié d’un enseignement de l’amazigh en première année s’étonnent que l’année suivante il n’y ait rien. Ils «sont passés» en deuxième, ensuite en troisième, mais leur langue maternelle peine à faire de même. L’horaire alloué à l’amazigh variera d’une heure à trois heures par semaine selon les humeurs et les manu-els scolaires introuvables sur le marché. Comme pour les for-mations continues, la formation initiale est claudicante et à part quelques formateurs volontaires des Centres de formation des instituteurs (CFI) qui ont pris en charge l’enseignement des mod-ules, aucune gestion sérieuse n’a été faite dans ce domaine. Bien que le ministère affirme avoir établi un plan prévisionnel et une carte scolaire pour accom-pagner la généralisation de la langue amazighe dans toutes les écoles et les centres, il s’avère que le dossier fut traité peu séri-eusement. Il y a toujours eu un manque total de données statistiques

fiables permettant de suivre

l’évolution de l’intégration de l’enseignement/apprentissage de l’amazigh dans le SEF. Quant à l’université, aucun départe-ment de la langue et culture amazighes n’y a vu le jour jusqu’à présent comme il en existe pour les autres langues, mais ce sont quelques ensei-gnants chercheurs des départe-ments de français ou d’arabe qui assurent des modules depuis 2006 dans des filières ou mas-ter amazighes (Agadir, Oujda, Fès, Tétouan et Rabat) en plus des cours qu’ils assurent dans leur département d’attache. Beaucoup d’entre eux, surchar-gés, abandonneront en cours de route. La formule la plus adéquate pour une généralisa-tion assurée dans les écoles pri-maires, collèges et lycées ainsi que dans les CRMEF, serait de recruter officiellement des enseignants spécialisés de la langue amazighe parmi les nom-breux licenciés et masters des filières des études amazighes. Un budget devra nécessairement être débloqué à cet effet, ne serait-ce que pour rendre à la langue amazighe marginalisée depuis plus de 50 ans, la place qui lui revient de droit.

Que répondiez-vous aux détracteurs de la langue amazighe qui pensent qu’elle ne peut prétendre à une place de choix dans le paysage lin-guistique au Maroc ? Les langues en tant que telles se maintiennent, se dévelop-pent ou dépérissent, selon qu’elles font l’objet de soins ou restent à l’abandon, au gré des circonstances politiques ou idéologiques. Il serait faux d’attribuer le recul d’une langue à un simple manque de dyna-misme ou à son incapacité à

s’adapter au monde moderne. On entend ainsi

affirmer que les langues comme l’amazigh sont condamnées à disparaître du fait qu’elles ne répondent plus aux exigences de la société contemporaine. Une telle affirmation résiste mal à l’examen. Il faut bien constater que le recul d’une langue a des raisons essentiellement poli-tiques. Les politiques linguis-tiques sont des critères déter-minants pour la vitalité d’une langue et sa fonction dans la société. D’autre part, les uni-versitaires puis les chercheurs de l’Institut royal de la culture amazighe (IRCAM) ont fourni durant ces dernières décennies, un travail académique consi-dérable tant dans l’aménagement linguistique que dans les autres domaines des sciences sociales. La langue amazighe est pleine de ressources à plus d’un titre, et est à même de s’élever rap-idement au rang des langues les plus aptes à véhiculer le savoir moderne. Réellement vivante - et toujours vivace en dépit des vicissitudes de l’histoire - elle est d’une grande malléabilité morphologique, grâce princi-palement à son système de com-position lexicale. Elle ne demande qu’à faire ses preuves. Des moyens modernes de la linguistique et de la péda-gogie ont été mobilisés pour que la langue amazighe soit stan-dardisée et enrichie. Elle dis-pose de glossaires, de lexiques de base ou spécialisés qui per-mettent de confectionner la ter-minologie des institutions pub-liques, d’un corps professionnel, etc. L’introduction de l’amazigh dans certains domaines officiels via des formations intensives, est possible dès demain. Quant au travail des chercheurs, déjà très avancé, il continuera à être mené à bien si leur démarche n’est pas entravée.

Propos recueillis par B.A

Promouvoir le cinéma amazigh au MarocL’amazigh, cette langue qu’on ne peut ignorerEn peu de temps, on a beaucoup avancé dans le dossier amazigh. Mais, il y a cette question : allons-nous évoluer plus

rapidement et mieux demain ?

Car, plus d’un an après l’adoption de la nouvelle Constitution, la question amazighe n’a pas connu un développement notable, à l’exception du Discours royal prononcé à l’occasion de l’ouverture de l’actuelle session du Parlement, dans lequel Sa Majesté le Roi Mohammed VI a particulièrement souligné le caractère prioritaire de l’opérationnalisation du processus d’officialisation de la langue amazighe. Sinon, c’est le silence qui

entoure partout ce dossier de l’amazigh, au gouverne-ment comme dans les dif-férents organes de l’Etat, Intégrer l’amazigh dans le champ médiatique national est essentiel pour réhabiliter cette langue vernaculaire, en plus de l’enseignement, la culture, la législation et la vie quo-tidienne. Les cahiers des charges ont délimité les temps d’antenne de l’amazigh dans les différents canaux de radiodiffusion et télévi-

sion. A notre avis, ces temps d’antenne limités sont en-deçà des ambitions du peuple et ne cadrent pas avec les attentes des acteurs de l’amazigh. On pourrait même dire que cela traduit le mépris à l’égard d’une langue que l’on considère comme langue officielle du royaume. Si l’arabe est une langue officielle et l’amazigh une autre langue officielle, la répartition équitable du champ médiatique ne pourrait être que logique et

démocratique. Il ne peut y voir d’un côté une chaîne amazighe, et de l’autre une chaîne non amazighe. Toutes les chaînes de télévision sont tenues de respecter le quota de 50% pour chaque langue.C’est dire que les cahiers des charges de Mustapha El Khalfi ne réussissent qu’à nourrir la tension et la déception au sein du mou-vement amazigh. Lequel mouvement a manifesté sa frustration à l’égard des programmes proposés sur

la chaîne 8, et les rapports ségrégationnistes vis-à-vis des collaborateurs. Cette discrimination conduirait à l’arrêt de cette marche probablement avant son lancement. L’ignorance manifeste des responsables de l’amazigh (langue, histoire, réalité et us et coutumes) les pousse à la combattre autant dans les institutions que dans la société.

Mohamed EddarhorChercheur en communi-

cation amazighe

C’est dans ce contexte que l’Association Issni N’Ourgh a vu le jour et créa le Festival Issni N’Ourgh international du film amazigh (FINIFA), en vue de contribuer au dével-oppement dudit cinéma, mal-heureusement éradiqué pour des raisons anti démocra-tiques. L’apparition de notre organisation a injecté du sang dans les veines du cinéma amazigh, avec l’accueil d’une panoplie de films, acteurs, cinéastes, producteurs, cher-cheurs et réalisateurs, et créer avec eux une dynamique aut-our du film amazigh, et ce durant six éditions jusqu’à présent. Nos rencontres été

aussi pour former nos jeunes et amateurs du cinéma. Ces formations se varient chaque année, et change de style également selon les théma-tiques qu’on propose et aussi selon le contexte qui engen-dres ces initiatives. Cette année, les formations ont pris un élan considérable avec les formidables Ian SKORODIN et Patricia GOMES. L’avenir du cinéma c’est aussi la stratégie et la planification stratégique dans ce domaine, malheureusement absente dans les agendas de nos acteurs politiques et décideurs. C’est de là qu’est née notre initia-tive de créer un Fonds d’aide

aux films amazighs. Cette ini-tiative s’inscrit dans le cadre de la promotion du cinéma amazigh. Et c’est aussi bien entendu, une autre fenêtre pour subvenir aux besoins des jeunes talents. L’outil partenarial est aussi un atout qui peut générer des rent-abilités au cinéma amazigh. C’est ainsi qu’on a pu établir une série de partenariat avec les instances, organisations et acteurs ayant le courage de soutenir et de subventionner un cinéma éternellement trahi par nos propres régimes.Rachid Bouksim, président du festival du film amazigh «Issni N Ourgh»

Créer un Fonds d’aide aux films amazighs

Le cinéma amazigh constitue un fragment d’un bouillon ayant comme appellation la culture marocaine. Il ne se dissocie point du cinéma marocain avec ses différentes

expressions, arabe dialectal ou arabe classique.

La question amazighe, onze ans après le Discours d’Ajdir