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1 Enoncé du problème : Durant nos stages au niveau des services des urgences et de la réanimation, nous avons affronté d’une manière excessive un grand nombre de cas de tentative de suicide, d’où la nécessité d’une prise en charge stricte de ces suicidants. Objectif général : Amélioration de la prise en charge thérapeutique des suicidants et la sensibilisation de la nécessité d’une prise en charge psychologique. Questions de recherche : Quelle est la moyenne d’âge des suicidants ? Quelles sont les causes qui poussent les gens à délaisser leur vie ? Quels sont les soins prodigués à ces malades au niveau des urgences et au niveau de la réanimation ? Est-ce que ces malades jouissent d’une prise en charge psychologique ? Enfin quelle est la démarche pour assurer une bonne prise en charge ? Population cible : Les suicidants admis au niveau des urgences et de l a réanimation à Méknès durant l’année 2005/2006.

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Les conduites suicidaires au niveau de la WILAYA de MEKNES Durant l’année 2005 et les trois premiers mois de 2006

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Page 1: Mémoire

1

Enoncé du problème :

Durant nos stages au niveau des services des urgences et de la

réanimation, nous avons affronté d’une manière excessive un grand nombre

de cas de tentative de suicide, d’où la nécessité d’une prise en charge stricte

de ces suicidants.

Objectif général :

Amélioration de la prise en charge thérapeutique des suicidants et la

sensibilisation de la nécessité d’une prise en charge psychologique.

Questions de recherche :

• Quelle est la moyenne d’âge des suicidants ?

• Quelles sont les causes qui poussent les gens à délaisser leur vie ?

• Quels sont les soins prodigués à ces malades au niveau des urgences

et au niveau de la réanimation ?

• Est-ce que ces malades jouissent d’une prise en charge

psychologique ?

• Enfin quelle est la démarche pour assurer une bonne prise en

charge ?

Population cible :

Les suicidants admis au niveau des urgences et de l a réanimation à

Méknès durant l’année 2005/2006.

Page 2: Mémoire

2

Sources de travail :

Pour réaliser ce travail nous avons basé sur :

• La consultation des registres et des dossiers des malades suicidants.

• Questionnaire destiné aux malades au niveau des urgences, de la

réanimation et de la psychiatrie.

Les difficultés rencontrées :

La plupart des dossiers sont inexploitables.

- Difficultés liés aux personnels, malades et leurs familles qui

n’étaient pas prédisposés à nos aidés.

- L’insuffisance du temps réservé au travaux de recherche.

Présentation du lieu du travail :

• Les urgences : c’est le 1er lieu qui reçoit les suicidants, il est situé au

2éme sous sol, il se compose de deux salles de consultation, une salle

de soin, une salle de plâtre et une salle d’observation. Les personnels

sont au nombre de 41 et sont distribués comme suit :

Page 3: Mémoire

3

Personnels effectifs

médecin 13

infir

mie

r

1er grade 10

2eme grade 10

ATP 8

total 41

Source : bureau du major du service des urgences

• La réanimation : c’est un service des soins intensifs qui reçoit les

malades dans un état grave.

C’est un service qui requête plus de conscience, de prudence et de

compétence. Il se compose d’une grande Salle et une petite chambre

dont la capacité litière est de 8 lits.

Le personnel de ce service se distribue comme suit :

Personnels effectifs

médecin 3

infir

mie

r

1er grade 5

2eme grade 2

ASBP 6

ATP 2

total 18

Source : bureau du major de service de réanimation

Page 4: Mémoire

4

• Service psychiatrique : le service de psychiatrie se compose d’un

secteur d’hospitalisation (x lits) et d’un secteur de consultation. Il

doit normalement assurer également une activité de psychiatrie de

liaison dans les différents services d’hospitalisation. Son activité

consiste à recevoir des patients de différents âges en souffrance

psychologique et/ou présentant des affections psychopathologique

diverses.

Tableau récapitulatif des moyens humains de l’hygiène mentale centre de

santé Moulay Ismail.

Catégorie qualification Effectifs Total

Personnels médicaux Médecin psychiatre 1 1

Psychologue Psychologue 1 1

Personnels infirmiers IDE psy 1er grade 5 5

IDE psy 2éme grade 8 8

IDE polyvalent 1 1

Personnels d'entretien ATP 2 2

Page 5: Mémoire

5

Tableau récapitulatif des moyens humains au niveau de

Service psychiatrie femme

Catégorie qualification Effectifs Total

Personnels médicaux Médecin psychiatre 2 2

Psychologue Psychologue 5 5

Personnels infirmiers IDE psy 1er grade 5 5

IDE psy 2éme grade 9 9

IDE polyvalent 1 1

Personnels d'entretien ATP 3 3

Tableau récapitulatif des moyens humains au niveau de service

psychiatrie homme

Personnels infirmiers

Qualification Effectifs total

IDES 1 1

IDE psy 1er grade 1 1

IDE psy 2eme grade 1 1

Page 6: Mémoire

6

Introduction : Aussi loin que nous ayons des témoignages sur la vie et la mort des

hommes, aussi largement que nous envisagions les différences culturelles,

nous y voyons présent le phénomène suicidaire. Il est dénié, minimisé,

condamné ou vanté, mais toujours passionnément discuté, car ce problème est

posé à l’homme sur le plan éthique.

Le suicide suscite des appréciations variables lorsqu’il intervient au

sein d’une collectivité humaine, lorsqu’il soit repoussé à la marge du cours

des choses, comme s’il s’agissait d’un accident, d’une aberration de la nature,

ou qu’il soit véritablement monté en épingle dans une mise en cause

passionnée des personnes, des institutions…ou du destin. Quoi qu’il en soit, il

suscite une horreur sacrée, un effet de réelle fascination, qui traduit la façon

dont chaque homme est pris à son insu dans le conflit inconscient entre des

forces qui tendent aussi bien à la conservation qu’à la destruction de sa vie.

Si les recherches statistiques et épidémiologiques précisent de façon

souvent très éclairante et suggestive les contours du phénomène suicidaire,

elles ne permettent pas de pénétrer en son cœur : chaque tentative de suicide

est la manifestation d’un drame personnel comme le montre l’expérience

clinique qui, faut-il le regretter, laisse toujours inaccessible une part

d’énigme.

Page 7: Mémoire

7

I- Evolution socioculturelle des conceptions et attitudes concernant le suicide :

Bien que le suicide soit un phénomène universel, il est clair que dans de

nombreuses sociétés, ce geste reste impensable en tant que tel, et c'est sans

doute une des raisons pour lesquelles on a longtemps cru qu'il en était absent.

Il ne peut en effet y avoir de réflexion proprement " suicidologique " dans des

systèmes de pensée qui ne prennent pas en compte le sujet (l'absence du

suicide dans les statistiques de mortalité en ex-URSS pendant une longue

période en est un bon témoignage, parmi d'autres exemples).

C'est pourquoi il n'est guère possible de faire l'économie d'une brève

incursion dans l'Histoire et les grandes étapes culturelles de notre civilisation

si l'on veut comprendre certains aspects des représentations individuelles et

collectives imprégnant encore la réaction du groupe social et donc celle du

sujet entraîné dans une dynamique suicidaire.

Une de ses principales caractéristiques réside dans la persistance

obstinée du tabou social, sans doute parce qu'il touche à la non maîtrise et à

l'échec des défenses psychologiques collectives contre le réel de la mort. Cet

échec se double d'une atteinte à la cohésion du groupe qui se trouve privé d'un

citoyen, d'un soldat ou d'un contribuable. La recherche historique n'en a guère

été facilitée.

Page 8: Mémoire

8

On a longtemps opposé l'interdit édicté par le christianisme à partir du

Ve siècle seulement (Saint Augustin, concile de Braga) à une attitude

beaucoup plus permissive au cours des siècles précédents. En réalité, des

réponses très variées se sont succédé, aussi bien du point de vue

philosophique que juridique. Ainsi chez les Grecs, Aristote condamne le

suicide, qualifié d'acte de lâcheté face aux difficultés de la vie, assimilant le

suicidé à un soldat déserteur. Platon a une position plus nuancée, admettant

des exceptions comme le cas de maladie douloureuse et incurable. En

revanche, les cyniques, les épicuriens et les stoïciens accordent à l'individu le

droit de quitter volontairement la vie si elle lui devient pénible. Dans la Rome

antique, même s'il est loué, l'acte suicidaire doit obéir à des critères

compatibles avec la morale stoïcienne, sous peine d'être condamné. Il est

confié au soin du législateur de décider si tel acte suicidaire est licite ou s'il

doit être puni. Les causes légitimes sont dûment précisées dans le cas du

citoyen (douleur physique, perte d'un être cher, fureur, folie), mais les

esclaves et les soldats sont exclus de ces dispositions et l'acte suicidaire

conduit légalement chez eux à une mesure répressive : confiscation des biens,

suppression des rites funéraires. Ces mesures seront poursuivies par le

christianisme, considérant le suicide comme une offense à la religion et à

l'humanité, ressortissant au crime de lèse-majesté divine. Déviance majeure,

le suicide suscitait un puissant rituel de régulation sociale qui, traînant et

exhibant le réel du cadavre exposé sur la claie, avant de le conduire à la

Page 9: Mémoire

9

voirie, resserrait fortement les liens symboliques de la communauté devant un

tel acte de rébellion dans les trois domaines du rapport à soi, aux autres et à

Dieu.

Si depuis le Moyen Âge, entre le XVIe et le XVIIIe siècle, s'effectue un

changement profond des mentalités dans les élites intellectuelles (ce qui

n'empêchera pas la poursuite des exécutions de cadavres...), si plus tard se

constitue la psychiatrie, entraînant l'octroi d'un statut scientifique au suicide

(au moins par le biais des statistiques), le corps social reste très marqué par

des pesanteurs culturelles tournant autour du crime et de la culpabilité.

L'absence d'incrimination du suicide dans le Code pénal depuis 1810 n'y

change rien, d'autant plus qu'au cours du XIXe siècle, les positions

redeviennent plus radicales et moralisatrices : refus réitéré de la sépulture

chrétienne à " ceux qui se sont donné la mort de façon délibérée " (code de

droit canon), diffusion du " traitement moral " (douches, isolement...) pour

soigner les tempéraments suicidaires. Les premières études sociologiques

n'échappent pas à cette réprobation . Esquirol reflète quant à lui l'opinion des

psychiatres en écrivant en 1838 : " L'homme n'attente à ses jours que dans le

délire et tous les suicidés sont des aliénés ".

Aussi n'en ont que plus de mérite en cette fin de XIXe siècle d'une part

les travaux sociologiques de Durkheim rassemblés dans sa monographie

célèbre " le Suicide " qui, complétés par Halbwachs résistent à l'épreuve du

temps (suicide anomique, égoïste et altruiste). D'autre part, dès 1905, S Freud

Page 10: Mémoire

10

évoque le retournement de l'agressivité contre le moi dans le geste suicidaire,

point de départ de ses travaux féconds sur la pulsion de mort .

Si, pendant des décennies, le modèle du suicide devint celui de la

mélancolie (c'est un autre introjecté que tue celui qui se suicide), dès après la

Deuxième Guerre mondiale, une pratique clinique réglée avec les suicidants,

telle qu'elle peut être soutenue désormais dans les services d'urgence, apporte

des modifications sensibles à l'idée que l'on peut se faire du suicide en mettant

au premier plan la tentative de suicide. Stengel le premier attire l'attention sur

les effets que celle-ci a sur l'entourage du sujet . Il analyse dans trois groupes

de suicidants la probabilité d'intervention d'un tiers et évalue ainsi non pas un

quelconque degré de " sincérité " du geste (et ses avatars sémantiques bien

connus : chantage, comédie...) mais l'importance de la demande d'intervention

d'autrui. Il dégage ainsi une fonction d'appel qui ne se réduit pas à un simple

trait de caractère hystérique, à une simple quête affective. Cet appel se situe à

un niveau existentiel et déborde très largement les structures névrotiques. Au-

delà de l'existence ou non d'une pathologie mentale avérée, le signal émis en

direction de celui que les auteurs anglo-saxons appellent the other signifiant

peut correspondre à une demande d'amour ou à son exigence menaçante, la

haine, figure négative de l'amour.

Plus récemment, les développements cliniques n'ont pas totalement

évacué la référence à la loi. On assiste à des résurgences de cette dernière

dans des directions opposées : d'un côté en France la loi de 1987 (qui réprime

Page 11: Mémoire

11

la provocation au suicide), promulguée en réaction au trouble induit par le

livre " Suicide, Mode d'emploi " , de l'autre aux Pays-Bas en 1993

(dépénalisation de l'euthanasie, sous certaines conditions, y compris chez le

malade mental suicidaire) . La notion de " suicide assisté " semble faire son

funeste chemin.

Ces retours de la loi montrent bien la persistance d'un profond désarroi

devant les conduites suicidaires et leurs répercussions sur une approche

sémiologique dont la sérénité se trouve quelque peu entamée.

L'essor des recherches biologiques en psychiatrie , a concerné la

dépression et le suicide selon deux directions :

** les recherches neurochimiques avec l'étude des systèmes

monoaminergiques centraux (sérotonine, noradrénaline et acide gamma-

amino-butyrique [GABA]) et des récepteurs aux benzodiazépines ; beaucoup

d'arguments plaident en faveur d'une relation étroite entre la diminution de

l'activité sérotoninergique et le suicide : c'est ainsi qu'un taux bas de 5HIAA

(principal métabolite de la sérotonine) serait corrélé avec des gestes

suicidaires fréquents et violents (diminution du contrôle de l'agressivité et de

l'impulsivité) ; mais les études portant sur les récepteurs sérotoninergiques et

leurs sous-groupes donnent des résultats incertains et contradictoires, de

même en ce qui concerne les sites de fixation spécifique des benzodiazépines;

Page 12: Mémoire

12

** les recherches neuroendocriniennes (cortisol, TRH [thyrotropine releasing

hormone]), surtout effectuées dans le domaine de la dépression restent très

décevantes en matière de potentialité suicidaire.

Les corrélations supposées entre une modification biochimique isolée et

un comportement auto- ou hétéroagressif ont donné lieu trop souvent à des

conclusions hâtives, certes parfois séduisantes, mais au détriment d'une

recherche véritablement intégrée dans une approche pluridimensionnelle.

Il en est du suicide comme de l'ensemble des pathologies du

comportement : les modifications biologiques enregistrées ont-elles valeur de

facteurs prédictifs ou s'agit-il simplement des témoins d'une perturbation

associée ?

Enfin, l'évaluation épidémiologique montre que chaque année en France

environ 120 000 personnes font une tentative de suicide (soit dix tentatives

pour un suicide), dont moins de 60 000 sont des premières tentatives ; une

tentative sur deux est une récidive (cette dernière survenant dans la première

année dans plus de 50 % des cas).

Toutes ces considérations définissent un ensemble de paradigmes qui

sert à penser ce phénomène, qu'il s'agisse d'élaborations philosophiques, de

croyances religieuses, de fondations juridiques ou de données scientifiques.

Ces paradigmes sont un appui mais aussi un obstacle à la théorisation

puisque, s'ils donnent de l'élan à la conceptualisation, ils risquent aussi de

l'enliser s'ils deviennent des idées reçues ou des préjugés.

Page 13: Mémoire

13

II- problèmes soulevés par le suicide :

Ils sont multiples :

� Philosophiques :

« il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux : c’est le

suicide. Juger que la vie ne vaut pas d’être vécue, c’est répondre à la question

fondamentale de la philosophie » (Albert camus, Le mythe de Sisyphe).

� Moraux et religieux :

le suicide a presque de tous temps été l’objet d’opprobre dans les sociétés

occidentales ;

� Sanction morales, pénales ou religieuses :

habituelles depuis la Grèce antique et inscrite dans les préceptes de la

chrétienté et de l’Islam ;

� De santé publique :

Cause importante de mortalité, justifiant depuis1997 la mise en place

d’une journée annuelle d’information sur le suicide ;

Les décès par suicide sont aussi importants que les décès par les accidents de

voie publique en terme d’années perdues.

épidémiologiques :

problème de la fiabilité du recueil des données ; les certificats de décès

sous- évaluent l’importance des suicide, puisque les morts violentes et /ou

suspectes n’y sont pas systématiquement comptabilisées comme suicide ;

Page 14: Mémoire

14

� Médicaux /psychiatriques :

l’évaluation du risque suicidaire est un exercice extrêmement

complexe ; la question de conduite à tenir devant une menace suicidaire est

toujours délicate.

III- Epidémiologie :

A- Epidémiologie du suicide :

On estime classiquement à 12OOO par an en France le nombre de morts

par suicide, ce qui représente 8% des décès annuels ;

La prévalence annuelle est de 22/1OOOOO.

Ce chiffre est au-dessus de la moyenne européenne qui est de 17/10000.

B- La situation en Algérie :

Les cas de suicide enregistrés durant l'année 2003 en Algérie se sont établis à

699 cas, soit un suicide toutes les 12 heures, selon une étude sur

"L'épidémiologie du suicide", communiquée lors d'une encontre scientifique

organisée à Alger. De 251 en 1993, le nombre de suicides est passé à 699 en

2003, soit un passage d'un taux de 0,94% pour 100.000 habitants à un taux de

2,25%, indique l'étude qui lie cette augmentation aux terribles conditions de

cette décennie de violence. Les hommes se suicident plus que les femmes

(527 contre 172) alors que, s'agissant des tentatives de suicide, ce sont les

femmes qui "surclassent" les hommes (330 tentatives contre 178).

Page 15: Mémoire

15

Par catégorie d'âge, celle des 18 à 48 ans, est la plus touchée avec un

taux de 62,21%. Elle est suivie par celle des 49 ans et plus avec un taux de

27,21%, alors que les moins de 18 ans totalisent un taux 10,66%. Les causes

du suicide, selon cette étude, se déclinent comme suit :

déficience mentale (19,07%), dépression (15,69%), cas de désespoir

(14,78%), problèmes familiaux (12,31%) et autres (38,15%). Les sans-emploi

représentent la majorité des cas de suicide (63%).

C- Quant est-il de la situation au Maroc :

Le Maroc, en l’absence de chiffres officiels et de recherches sérieuses,

demeure un pays où le taux de suicide est assez élevé. Une récente étude

affirme que le taux de risque chez les Marocains n’est pas négligeable.

Actuellement, il n’y a pas de chiffres officiels relatifs au suicide au Maroc.

Toutefois, plusieurs études ont été menées sur le suicide et concernent surtout

les centres d’urgences hospitaliers. C’est le cas notamment d’une étude

menée, il y a trois ans à Casablanca. Sur un échantillon de 800 personnes,

«l’idéation» suicidaire était de 6%. une étude sur la prévalence des troubles

mentaux au Maroc sur un échantillon de 6000 personnes choisies dans une

population générale. Vient d’être finalisée Et ce, en étroite collaboration avec

le ministère de la Santé, l’Organisation mondiale de la santé et le Centre

hospitalier universitaire Ibn Rochd à Casablanca. Le risque suicidaire, dans

cette étude est d’environ 12 % chez les hommes. Chez les femmes, par contre,

il est de 21 %. L’idéation suicidaire est fréquente chez les personnes non

Page 16: Mémoire

16

mariées, ceux qui souffrent de troubles psychiques ainsi que chez les gens qui

n’ont pas d’enfants.

Dans 40 à 70 % des cas de suicide effectif, ces gens-là présentaient

auparavant un syndrome dépressif. En fait, la dépression est un facteur de

risque majeur. Les tentatives de suicide au Maroc sont fréquentes. C’est une

constatation dans les différentes unités d’urgences. Il faut noter également que

ces tentatives sont plus fréquentes chez les femmes.

Dans le cas des jeunes filles, la tentative est un message aux parents,

une sorte d’appel SOS. Dans la plupart des cas, ces jeunes filles souffrent de

conflits familiaux et d’échecs sentimentaux.

Généralement, les femmes, quand elles veulent mettre fin à leurs jours,

ont recours aux médicaments et aux herbes traditionnelles. Pour les hommes,

c’est plutôt les armes blanches et la pendaison. Il en sort de ce qui précède un

certain non dit ; un tabou absolu, mais :

La vérité, comme la lumière, aveugle. Le mensonge, au contraire, est un beau

Crépuscule, qui met chaque objet en valeur. Albert camus, la chute. IV- Une définition des conduites suicidaires est-elle

possible ?

De nombreuses définitions ont été proposées depuis celle de l’abbé

Desfontaines en 1737, inventeur du mot suicide ( sui, soi ; caedere : tuer).

Page 17: Mémoire

17

Dès le début du 19éme siècle et bien avant Durkheim, on en définissait

déjà les caractéristiques cliniques essentielles.

Le suicide est le meurtre de soi-même. C'est l'action de se donner soi-

même la mort volontairement, le plus souvent pour se libérer d'une situation

devenue intolérable. Mais s’il existe des suicides dit philosophiques, où la

conduite suicidaire ne peut être rattachée à une conduite pathologique, il n’en

reste pas moins que l’acte suicidaire est toujours ambigu et complexe et

qu’une explication unique ne peut en rendre compte. Plus que toutes autres

conduites humaines elle ne peut être détachée du contexte social, culturel,

familial, religieux, politique, historique,actuel, de l’attitude du suicidant

devant la mort ainsi que celle de son entourage. Cette complexité rend

difficile l’approche sémiologique de la conduite suicidaire et impose

d’associer la description de l’acte suicidaire à une sémiologie

psychopathologique du suicide.

Classiquement, trois termes définissent les différents aspects cliniques :

� le suicidant est le sujet survivant à un geste autodestructeur ;

� le suicidé est le sujet dont le geste autodestructeur a été mortel ;

� le suicidaire est un sujet exprimant soit verbalement, soit par son

comportement, l'existence d'un risque de passage à l'acte suicidaire ; ce

dernier peut revêtir des modalités décrites plus loin sous le terme

« d’équivalent ».

Page 18: Mémoire

18

� l’idée de suicide est la conceptualisation de la tendance mortifère et

l’élaboration d’un projet. Sur le plan quantitatif, les différents degrés

d’intensité, d’élaboration du désir de mort, des répercutions sur la vie

social, relationnelle et professionnelle sont autant d’éléments

intervenant dans le cheminement qui va de l’idée de suicide au passage

à l’acte. L’idéation suicidaire ouvre le champ de la réflexion

existentielle littéraire et philosophique.

« l’obsession du suicide est le propre de celui qui ne peut ni vivre ni mourir, et dont l’attention ne s’écarte jamais de cette double impossibilité » ( Cioran, le mauvais démiurge) « je rêvais vaguement de me supprimer pour anéantir au moins une de ces existences superflues. Mais ma mort même eut été de trop(…).j’étais de trop pour l’éternité »

(j. p . Sartre, la nausée) « Celui qui se tue court après une image qu’il s’est formée de lui-même : on ne se tue jamais que pour exister »

( A. Malraux, la voie royale) « le suicide est le seul acte qui puisse réussir sans ratage » (j. Lacan, Télévision) Dans la recherche d'une définition supposée plus stricte de l'acte suicide,

certains n'ont pas hésité à différencier les deux populations de suicidants et de

suicidés. Sans doute l'âge, le sexe, les moyens utilisés plaident-ils pour une

distinction entre ces deux populations dont la conduite n'aurait pas le même

sens. Cette perspective a été développée surtout par les auteurs anglo-saxons ;

elle a eu un incontestable impact dans l'histoire de la réévaluation clinique des

Page 19: Mémoire

19

conduites suicidaires, dépassant les positions aliéniste et sociologique

exclusives. Mais elle a donné lieu à un glissement nosographique discutable :

le concept de parasuicide , malgré tous les efforts théoriques prodigués pour

l'étayer (en particulier en élaborant ses liens avec les désordres affectifs de la

personnalité ou des personnalités borderline) permet difficilement d'articuler

cette conduite avec celles qui seraient caractérisées par une létalité élevée. En

fait ; les caractéristiques sociales et médicales de ces deux populations

montrent une similitude des facteurs de risque : situation sociale précaire,

isolement social et affectif, importance des troubles psychiatriques sont

associés à des risques élevés de tentatives de suicide et de suicide.

Par ailleurs, la fréquence des tentatives de suicide dans les antécédents

des suicidés est élevée et, inversement, la mortalité par suicide (mais aussi

toutes causes de mort confondues) est plus élevée dans une cohorte de

tentatives de suicide suivie au long cours que dans un échantillon témoin. Le

décès est parfois presque " accidentel " dans un scénario laissant une large

place aux chances de survie. Aussi apparaît-il plus pertinent de considérer

qu'il y a une certaine unicité de ces deux catégories . L'issue mortelle peut

survenir par étapes successives, étapes dont la signification suicidaire n'est

malheureusement évidente que dans l'après-coup : c'est ainsi qu'il convient

d'entendre la notion d'équivalent suicidaire dont les contours sont difficiles à

cerner avec rigueur (conduites de risque, refus de traitement, automutilations,

Page 20: Mémoire

20

toxicomanies...), autant de conduites qui jouent avec la maîtrise de la mort, au

prix éventuel de la vie .

On est donc assez loin des définitions classiques (Durkheim, Esquirol,

Des haies , Baechler ) qui privilégient le degré de conscience ou de volonté.

Dans les ouvrages récents relatifs au repérage et aux classifications des

maladies mentales, le terme de suicide ne fait pas l'objet d'un codage

autonome. C'est ainsi que dans le DSM III-R on retrouve simplement, dans

les critères de la personnalité limite (borderline) : " menaces, comportements

ou gestes suicidaires ou comportements automutilatoires répétés " et dans les

critères de l'état dépressif majeur : " idées suicidaires récurrentes, sans plan

précis, ou tentative de suicide ou plan précis pour se suicider".

Dans la CIM 10, on retrouve dans l'épisode dépressif sévère : " idées de

suicide manifestes ". Quant aux " lésions auto infligées (réunissant tentatives

de suicide et parasuicide qui ne peuvent être distingués) ", elles sont déplacées

dans un autre chapitre que celui des troubles mentaux.

On perçoit bien, au vu de ces fluctuations conceptuelles, l'écart entre la

quête d'une définition idéale introuvable et ce qui peut émerger lors de la

rencontre avec le sujet. Se référer à un cadre préétabli essayant de cerner la

létalité ou l'intentionnalité (pour intéressant que cela puisse être dans une

perspective de mesure permettant un travail comparatif) ne doit toutefois pas

masquer ce que le sujet peut donner à entendre des relations complexes, et

plus ou moins gravement perturbées, entre son psychisme, son corps et son

Page 21: Mémoire

21

environnement. Au fond, l'étude sémiologique des conduites suicidaires ne

peut tirer sa pertinence que de la position du sujet quant au rapport vie/mort

auquel tout un chacun est confronté.

La question est alors posée de la signification des idées de suicide qui

ne sauraient être réduites à un simple et banal item d'évaluation du risque

suicidaire . Sans doute chez certains patients comme le mélancolique par

exemple (chez qui l'on parle d'ailleurs plus d'idées de mort que d'idées de

suicide), la valeur clinique de telles idées, volontiers masquées, ne doit pas

être sous-estimée.

Par ailleurs, leur expression par un adolescent en crise mais encore

ouvert à autrui peut induire des attitudes rigides qui méconnaissent la fonction

de ces idées comme manière d'accéder à une réflexion sur l'existence et sa

finitude. Il convient aussi de souligner l'ambivalence de ces idées de suicide

qui peuvent paradoxalement avoir une fonction de protection contre un

passage à l'acte. Comme le dit Cioran ; " Je ne vis que parce qu'il est en mon

pouvoir de mourir quand bon me semblera : sans l'idée de suicide, je me

serais tué depuis toujours. "

Cependant, il importe de savoir saisir le passage vers des idéations

s'inscrivant dans un processus destructeur lors d'une étape difficile de

l'existence (deuil, perte d'emploi, ménopause, etc), et d'autant plus si

l'évocation de la date anniversaire d'un événement important comme le deuil

d'un proche; des précisions concernant les moyens et l'inquiétude de

Page 22: Mémoire

22

l'entourage, apportent une tonalité différente au discours habituel du patient.

On a ainsi pu parler de " syndrome présuicidaire " avec idéations suicidaires,

repli sur soi et isolement progressif, inhibition de l'agressivité vis-à-vis

d'autrui.

V- Hypothèses étiopathogéniques :

A- Aspect sociologique :

Du coté sociologique d’après Durkheim le fondateur de l’école

française de sociologie :

Le suicide est une étude d'après des documents statistiques qui

commencent à se multiplier. Durkheim s'aperçoit que la notion même de

suicide est difficile à définir parce qu'elle recouvre un même phénomène dont

les causes peuvent être très différents.

En comparant l'évolution des taux de suicide des divers pays, Durkheim

s'aperçoit que ceux-ci sont fonction des groupes sociaux. Il en conclut que le

suicide est un fait social, indépendant de chaque décision individuelle.

Restaient alors à découvrir ces facteurs sociaux en cause. Se livrant à des

analyses que l'on a depuis perfectionnées et que l'on appelle aujourd'hui multi

variées, Durkheim isole tout à tout les divers facteurs : sexe, état-civil,

religion, pour en mesurer l'importance. Il est également le premier à avoir

utilisé la "variable intervenante", c'est-à-dire le facteur non compris dans une

statistiques, mais que l'on soupçonne d'agir, et dont il faut trouver un indice

Page 23: Mémoire

23

révélateur mesurable. C'est le cas par exemple de la cohésion sociale, qui

n'apparaît dans les documents administratifs et que Durkheim recherche à

travers les taux de divorce, etc…

Posant alors le problème des degrés d'intégration à la société, il

découvre la notion d'anomalie" qu'il rendit célèbre et que l'on peut définir

comme l'état de trouble, d'absence d'intégration sociale qui fait suite au

dérèglement des besoins par rapport aux possibilités qu'offre la société de les

satisfaire. Ce sont ces innovations, les scrupules et l'extrême conscience avec

laquelle sont exploités les chiffres de cette étude, malgré ses imperfections,

qui ont permis de considérer Durkheim comme le premier grand sociologue

empirique.

Dans son ouvrage intitulé «le suicide » Durkheim illustre certaines des

propositions essentielles qu’on voit apparaître tout au long de son œuvre. On

y trouve tout d’abord une gageur : démontrer la spécificité du social à propos

d’un phénomène relevant apparemment surtout de la psychologie individuelle

.mais Durkheim a beau jeu de démontrer d’une part que les thèses qui font

dériver le suicide d’ « états psychopathiques » ne sont pas convaincante,

d’autre part que le suicide est incontestablement un phénomène social,

puisque les taux de suicide varient considérablement et régulièrement en

fonction des milieux sociaux : les protestants se suicide plus que les

catholiques et d’autant plus qu’ils sont davantage majoritaire ; le suicide est

Page 24: Mémoire

24

plus fréquent dans les pays où le divorce est plus répondu ; il est également

plus fréquent à la compagne qu’à la ville, etc.

On trouve aussi dans le suicide la préoccupation centrale de durkheim :

celle de l’insertion de l’individu dans la société, de l’analyse des désordres

sociaux et de leur influence sur l’individu. En effet, bien que durkheim trois

sortes de suicide (et même quatre, si l’on tient compte d’une note de bas de

page où il introduit le suicide fataliste) , le suicide égoïste, le suicide

anomique et le suicide altruiste, ce sont surtout les deus premier qui

l’intéressent. Le suicide altruiste, caractérise des société où l’individu est

fortement soumis aux valeurs collectives, n’apparaît en effet pour les sociétés

de l’époque contemporaine que dans quelque milieu particuliers ( le milieu

militaire par exemple) .En revanche, le suicide égoïste et surtout le suicide

anomique sont caractéristique des sociétés moderne.

Tous deux découlent de l’évolution des sociétés qui rend les individus de

plus en plus indépendants de la pression de la collectivité. Cela est vrai

notamment du suicide anatomique : des augmentations du taux de ce type de

suicide s’observent par exemple en période de boom économique, lorsque

explique Durkheim-les ambitions et les aspirations des individus ne ce

trouvent plus bornées par des limites relativement précises mais s’ouvrent sur

des perspectives indéfinis. Ainsi, on observe une augmentation systématique

des suicides à Paris au moment des expositions universelles. De façon

Page 25: Mémoire

25

générale, les périodes de prospérité, lorsqu’elles surgissent brutalement, sont

accompagnées d’une hausse des taux de suicide. de même, le relâchement de

la société familiale, la plus grande liberté de divorce s’accompagne d’une

augmentation des taux de suicide : ce résultat dérive ici encore, selon

Durkheim, de ce que l’apparente liberté qui en résulte, en supprimant les

bornes dans lesquelles sont contenus les appétits sexuels, conduit en fait

l’individu à l’insatisfaction. On retrouve ici le thème de la division du travail

selon lequel l’affaiblissement des pressions collectives et des règles

consécutif à l’évolution sociale explique certains phénomènes pathologiques

des sociétés modernes. L’étude du suicide égoïste définit la relation entre

l’affaiblissement de la pression de la collectivité sur l’individu et

l’insatisfaction de ce dernier de manière générale. C’est le suicide le suicide

de l’homme dont la conduite n’est pas guidée de l’extérieur par normes et les

pressions sociales, mais de l’intérieur par les règles qu’il se donne lui-même.

Ainsi, le catholique, qui reçoit ses croyances et ses principes de l’extérieur, se

suicide moins que le protestant qui doit les prendre de sa conscience. Le père

de famille dont la conduite est d’avantage soumise au regard de la société se

suicide moins que le célibataire à qui la société pardonne plus aisément une

conduite déréglée.

Les rapports entre le suicide anomique et le suicide égoïste sont

nombreux. Les deux types de suicide conduisent à constater l’importance des

pressions sociales et du poids de la collectivité sur le comportement

Page 26: Mémoire

26

individuel. Si ces pressions se relâchent trop, ce dernier devient erratique et

peut aller jusqu’au désespoir. En fait, la distinction entre les deux types de

suicide dérive surtout d’une différence d’éclairage : dans le chapitre sur le

suicide égoïste, on trouve une démonstration de la relation générale entre

intensité des contrôles sociaux et suicide : dans le chapitre sur le suicide

anomique, l’éclairage porte sur la société : il s’agit ici d’analyser les

conséquences, pour l’individu, des crises politiques, économiques ou

institutionnelles qui caractérisent les société modernes.

La religion :

Comme les autres religions abrahamiques, l'islam voit le suicide

comme un péché et un obstacle à l'évolution spirituelle. Cependant, les êtres

humains ne sont pas infaillibles et peuvent commettre des erreurs. Allah leur

pardonne les péchés s'ils sont sincères dans leur repentir.

Pour ceux qui renoncent à croire en Dieu, les conséquences sont

mauvaises. En effet, dans le Coran, le livre saint des musulmans, si Allah est

infiniment grand et miséricordieux, pardonnant tous les péchés, il en est

cependant un qui est impardonnable : l'incroyance. Selon la Sunnah (livre sur

la vie du prophète Mahomet), celui qui se suicide et n'en montre aucun regret

passera une éternité en enfer, effectuant sans cesse l'acte par lequel il s'ôta la

vie.

Page 27: Mémoire

27

En dépit de ce fait, il existe une croyance selon laquelle les actions

commises dans le cadre du Jihad menant à sa propre mort ne sont pas

considérées comme un suicide même si l'acte en soi ne peut qu'entraîner sa

propre mort (comme dans les attaques suicides). Ces actes sont considérés au

contraire comme une forme de martyre et ceci bien que dans le Coran il soit

expressément écrit que ceux qui tuent des innocents sont des pécheurs et

transgressent la loi de Dieu.

Par ailleurs les protestants se suicident plus que les catholiques qui se

suicident plus que les juifs ; mais en définitif , ce n’est pas tant les préceptes

religieux qui jouent un rôle protecteur que la place de l’individu, et son

intégration au sein de la communauté ainsi que les croyances et les pratiques,

communes aux fidèles, traditionnelles, une vie collective décrite comme

protectrice.

La famille :

Les grandes familles (« familles nombreuses ») sont moins exposées au

suicide que les familles nucléaires et les célibataires ;

Et encore une fois, ce n’est pas tant l’affection mutuelle qui joue un

rôle protecteur que la place de l’individu dans un groupe humain fortement

cohérent, avec ses traditions, son histoire.

Page 28: Mémoire

28

Les conditions historiques :

Les périodes de désorganisation lente de la société, de difficultés

économiques majeures ou de délitement des traditions, sont contemporaines

d’une augmentation des taux de suicide ; en revanche, les périodes

de « commotion nationale » (guerres, révolutions), en « avivant les sentiments

collectifs », déterminent pour un temps « une intégration plus forte de la

société », et s’accompagnent d’une baisse des taux de suicide.

Aujourd’hui, le taux de suicide d’une nation varie parallèlement avec le

taux du chômage, d’homicide, d’alcoolisme :

- Taux élevé dans les pays industrialisés ;

- Taux bas dans les pays arabes.

B- Approches psychopathologiques

Encore de nos jours , et en dehors des conduites suicidaires chez

l’adolescent, aucun ouvrage ne traite clairement et précisément de l’approche

psychopathologique du phénomène suicidaire, bien que de nombreux

auteurs s’y emploient. Parmi les raisons de cette complexité d’une approche

psychopathologique, nous pensons, d’une part, que le phénomène suicidaire

se lit à travers une approche pluridisciplinaire, et qu’aucune discipline n’a le

monopole de sa compréhension. Cette approche par de nombreuse disciplines

dépasse donc l’unicité de l’origine de ces conduites, à savoir la maladie

Page 29: Mémoire

29

mentale. D’autre part, à l’intérieur même de l’approche psychopathologique,

nous distinguons plusieurs points d’encrage à étudier d’un point de vue

psychodynamique. En effet, dans la conduite suicidaire, il nous semble

fondamental d’aborder non seulement l’acte lui-même, c'est-à-dire le passage

à l’acte, mais également les rapports pouvant exister entre la violence et l’acte

suicidaire, en examinant le lien possible entre la violence et ce qui peut

déterminer le choix du moyen de suicide, en particulier le choix d’un moyen

dit violent.

Le moyen employé et sa dimension de létalité soulèvent également la

question de l’intentionnalité suicidaire. Pour avancer dans notre réflexion

nous ferons appelle aux approches les plus explicatives.

L’apport de la phénoménologie : Théories des interrelations. Le champ (K Lewin) et le combat (A Rapport) Après le démembrement du concept freudien de pulsion par le groupe de

Yale, la voie était libre pour d'autres conceptions psychologiques de

l'agressivité à fondement uniquement phénoménologique.

Kurt Lewin ne propose pas de véritable théorie, mais cherche à fournir

des instruments conceptuels aptes à rendre compte des processus que

l'observation commune caractérise comme agressifs. L'agressivité est le

résultat d'une modification du " champ global des interactions " entre

l'organisme et son environnement. Elle est sous-tendue par une tension

Page 30: Mémoire

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émotionnelle spécifique et distincte de celle qui oriente les autres conduites.

Cette tension émotionnelle naît d'une situation de conflit. Elle se traduit en

agressivité à travers deux types de processus : une agitation et une "

primitivisation " des conduites. C'est ainsi que Lewin explique les

phénomènes de passage à l'acte, ceux de toute-puissance de la pensée ou

d'actes à valeur magique. Si l'on prend par exemple le cas d'un groupe mené

par un leader qui use d'une forte autorité, les membres du groupe sont chacun

dans une situation d'insécurité fondamentale. Cette insécurité élève le niveau

de tension émotionnelle de chaque membre, et cette dernière à son tour

engendre l'agressivité des membres entre eux. À l'extrême, l'agressivité liée à

l'autorité du leader aboutit à la recherche d'un bouc émissaire en cas d'échec

du groupe, cible de l'agressivité cumulée de chacun des membres du groupe.

Suivant le même point de vue phénoménologique, mais en déplaçant

l'objet d'étude depuis les relations de l'individu avec son milieu aux relations

entre individus, Rapport en 1960 formalise trois domaines d'interactions : le

combat, le débat, le jeu. Dans les trois cas, on a affaire à un adversaire, mais

le rapport que l'on entretient avec lui varie en fonction du " contexte

d'agressivité ".

En situation de jeu, l'existence de l'adversaire doit être préservée

absolument, puisqu'elle est indispensable à la poursuite du jeu. Le but est le

gain. L'adversaire est en quelque sorte un autre soi-même, supposé autant soi-

même doué de rationalité. Pour le vaincre il s'agit de le surpasser en termes de

Page 31: Mémoire

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rationalité. Dans le débat le but n'est pas le dépassement de l'autre. Pour

vaincre l'adversaire il faut le gagner à ses idées, il faut donc le convaincre.

Lorsqu'il s'agit du combat en revanche, il n'est plus question de surpasser ni

de convaincre. Le but recherché est la fin du combat.

Pour vaincre l'adversaire, il faut atteindre la destruction de l'autre.

L’approche bio- psycho- sociale : Éclectisme de Pierre Karli

En académicien et scientifique, Pierre Karli réunit en un éclectisme

singulier trois aspects de l'agressivité considérés comme incompatibles :

biologie, psychologie, sociologie.

Quelle est la cause de l'agressivité ? " Un rôle primordial revient aux

émotions, aux expériences affectives " . En fait, d'après Karli on ne peut

négliger le rôle des mécanismes cérébraux qui sous-tendent les émotions. Les

réactions émotionnelles ne sont pas des " épiphénomènes ". Il doit exister des

chaînes causales de nature neurobiologique qui engendrent l'émotion.

L'émotion est le " premier moteur " de l'agressivité, elle-même source de

phénomènes biologiques, psychologiques, sociologiques. L'agressivité est

ainsi directement rattachée au domaine de la neurobiologie du comportement

qui " ne doit pas limiter son champ d'investigation aux seuls mécanismes

cérébraux qui sont impliqués dans le déclenchement d’un comportement

donné en réponse à un stimulus ou une situation donnée ".

Page 32: Mémoire

32

La neurobiologie, comme Karli le soutient après Paul Scott, doit parvenir à

une conception " polysystémique " " qui s'efforce d'appréhender - dans le

cours du temps - les interactions complexes entre le génotype, les

caractéristiques somatiques et comportementales du phénotype, et la société

avec l'écosystème au sein duquel elle évolue ".

Il faut donc, selon Karli, des études longitudinales et " prendre en

compte, à chaque stade de 'ontogenèse, les données fournies par des

investigations d'ordre biologique, psychologique et sociologique ". Avec Karli

on peut dire que l'ensemble " biologique, psychologique, +sociologique " est à

la fois cause et effet dans le phénomène de l'agressivité.

Théories psychanalytiques :

L'avènement de la psychanalyse change le sens de la notion

d'agressivité. Fondé sur une convention de langage, le rapport

analysant/analyste donne rarement lieu à des manifestations de violence

physique. C'est en revanche par des phénomènes de langage ou en rapport

avec lui que l'agressivité se manifeste dans l'expérience analytique.

Hypothèse d'Adler

C'est en 1908 au cours d'une des séances du " mercredi soir " à Vienne

intitulée " Le sadisme dans la vie et la névrose " qu'Alfred Adler avance

l'hypothèse d'une pulsion d'agression. Selon Adler, il faut repenser la

psychologie à partir de la pulsion : les caractères et les actions doivent être

Page 33: Mémoire

33

définis en termes de pulsion, le symptôme n'est pas un phénomène seulement

mental mais le produit de la pulsion, il y a une pulsion pour chaque organe.

Ainsi, dit-il, les organes inférieurs se distinguent par une pulsion

particulièrement forte et qui joue un rôle essentiel en pathologie : la pulsion

d'agression, pulsion fondamentale, commun dénominateur de toute autre

pulsion.

D'après Adler, le sadisme ou le masochisme ne sont autre chose qu'une

certaine " combinaison de la pulsion d'agression et de la pulsion sexuelle".

Dans la discussion qui s'ensuit, Freud se dit entièrement d'accord avec

Adler sur l'intérêt qu'il faut porter à ce qui a une source organique, mais,

précise-t-il, " Adler s'est dépêché de passer par la psychologie pour arriver

plus vite à la médecine ". Adler a perdu de vue le sens de la découverte

psychanalytique. Il a adopté le point de vue des " Études sur l'hystérie " en

cherchant à expliquer la pathologie à partir de la psychologie de l'homme

normal. Il n'a pas su cerner la maladie. Tout ce que Adler a pu affirmer au

regard de la description de la vie pulsionnelle n'a de sens que si l'on remplace

partout ce qu'il dit de la pulsion d'agression par " libido " : " ce qu'Adler

appelle pulsion d'agression est notre libido ".

L'année suivante, dans l'exposé du cas du petit Hans, Freud poursuit sa

critique : " Alfred Adler a exprimé l'idée que l'angoisse est engendrée par la

répression de ce qu'il appelle " pulsion d'agression " et a attribué à cette

pulsion [...] le rôle principal de ce qui advient aux hommes [...] ; je n'ai jamais

Page 34: Mémoire

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pu acquiescer à cette manière de voir et je la considère comme une

généralisation trompeuse. Je ne puis me résoudre à admettre l'existence d'une

pulsion d'agression spéciale à côté des pulsions sexuelles et

d'autoconservation et sur le même plan qu'elles ". Adler a élevé à tort au rang

de pulsion un attribut ordinaire et ubiquitaire de toute pulsion. L'intention

agressive est le propre de toute pulsion, ce qui déclenche l'acte. Si on devait

considérer l'existence d'une telle pulsion alors il ne resterait plus rien aux

pulsions restantes pour atteindre leur but. Potentiellement toute pulsion peut

devenir agressive. La pulsion d'agression pour elle-même n'existe pas.

Après l'élaboration de la métapsychologie, Freud revient sur la

question : " j'ai dû moi aussi poser l'existence d'une pulsion d'agression, mais

celle-ci n'est pas la même que celle d'Adler [...] je préfère l'appeler pulsion de

destruction ou pulsion de mort [...] ma désapprobation du point de vue d'Adler

[...] n'en est pas modifiée " .

Freud et la pulsion de mort

« que se passe-t-il dans (l’histoire du développement de l’individu ) qui

rende inoffensif son instinct d’agression ?(…) l’agression est introjectée,

intériorisée,mais aussi, à vrais dire, renvoyée au point d’où elle est partie :

en d’autre termes, retournée contre le propre MOI » ; « un des lourds

sacrifices que la civilisation impose » (Freud, Malaise dans la civilisation).

En posant en 1920 l'existence d'une pulsion de mort, Freud introduit un

concept qui restera à jamais le plus controversé de la théorie psychanalytique.

Page 35: Mémoire

35

Il est vrai qu'il s'agissait pour lui " de clarifier et d'approfondir les hypothèses

théoriques sur lesquelles un système psychanalytique pourrait être fondé " .

Pourtant, déjà la formulation d'un des premiers concepts métapsychologiques,

celui de pulsion, apparaissait pour le moins problématique.

" C'est, dit Freud, un concept à la frontière du psychique et du

somatique " . Quelle nécessité théorique l'avait-il conduit à inscrire ensuite la

mort dans la pulsion ?

Depuis l'origine de la psychanalyse, dès les premières spéculations

avancées dans " l'Esquisse " (1895) et durant encore 25 années, Freud avait

soutenu que le cours de tous les processus psychiques était sous la domination

du principe de plaisir. Si on admet l'hypothèse que le déplaisir est lié à une

augmentation d'excitation et le plaisir à une diminution de celle-ci, chaque

fois qu'il y a une augmentation d'excitation le principe de plaisir intervient

pour la réduire, de sorte à éviter du déplaisir ou alors même produire du

plaisir. En 1911, Freud avait même consolidé cette première hypothèse en

reconnaissant dans le psychisme un " principe de réalité " qui était lui aussi à

sa manière au service du principe initial. Lorsque les conditions de la réalité

s'opposent à l'obtention du plaisir, le principe de réalité permet d'en différer

l'accomplissement. On abandonne la recherche d'un plaisir immédiat mais aux

conséquences incertaines, pour un plaisir peut-être tardif mais bien assuré. Or,

si on devait comprendre l'évolution du cours des processus psychiques

comme uniquement dominée par ce couple de principes, alors il faudrait

Page 36: Mémoire

36

s'attendre à ce que la plupart des processus psychiques soient accompagnés de

plaisir ou même en produisent. À l'évidence, l'expérience de la clinique

analytique prouve qu'il n'en est rien. Le processus de refoulement par exemple

est contraire au principe de plaisir. Le refoulement en effet refuse au sujet

l'obtention d'une satisfaction. Corrélativement le retour du refoulé, même si

c'est à travers une satisfaction directe, est toujours ressenti comme déplaisir.

Le processus de refoulement démontre bien qu'" il n'est pas douteux que tout

déplaisir névrotique est de cette sorte : c'est un plaisir qui ne peut être éprouvé

comme tel ". Aussi faut-il admettre que dans le psychisme il existe une force

qui est capable de mettre en échec le principe de plaisir.

" Vingt-cinq années de travail intensif ont eu ce résultat que les buts prochains

auxquels tend la clinique psychanalytique sont aujourd'hui tout autres qu'au

début ". Au départ, l'analyse consistait essentiellement en un art de

l'interprétation. Au moment opportun, l'analyste communiquait au patient les

résultats de sa construction puis le sollicitait pour qu'il les confirme par ses

propres dires. Le transfert était, en ce temps, utilisé sur son versant de

suggestion. Puis, il devint de plus en plus clair qu'en agissant de la sorte on ne

parvenait pas vraiment à rendre conscient l'inconscient. Le patient au

contraire finissait par être " obligé de répéter le refoulé comme expérience

vécue dans le présent, au lieu de se le remémorer comme un fragment du

passé ". À cette obligation de répétition, qui n'est pas une résistance, Freud

donne le nom d'automatisme de répétition et il la rattache à l'inconscient.

Page 37: Mémoire

37

Ce que Freud découvre dans la clinique de la cure de tout patient est

aussi à l'oeuvre dans d'autres phénomènes psychologiques. Ainsi par exemple,

l'automatisme de répétition est ce qui agit dans la répétition onirique de la

névrose traumatique. Le rêve qui reproduit l'événement traumatique de la

névrose conduit immanquablement à l'angoisse. Or, dans cette névrose, il y a

une répétition incessante du même rêve et de la même angoisse. Dans ce cas

en effet le rêve a pour fonction de chercher à maîtriser après-coup l'angoisse

dont le manque a été la cause même de la névrose. Par conséquent, du fait

même qu'il existe des rêves qui échappent à la règle qui veut que tout rêve est

un accomplissement de désir comme le prouvent les rêves de la névrose

traumatique, on est conduit à penser non seulement que les processus

psychiques peuvent ne pas être sous la domination du principe de plaisir, mais

qu'il existe une fonction psychique qui est au-delà du principe de plaisir.

L'automatisme de répétition est cette fonction.

D'après ce qui précède, l'automatisme de répétition est une fonction

métapsychologique qui est au-delà du principe de plaisir, au point de vue

économique. Or, poursuit Freud, puisque nous sommes dans un espace

métapsychologique, si ces déductions sont vraies (elles sont tirées de

l'expérience), on doit admettre en toute logique " l'existence d'un temps qui

précède ", un temps qui est antérieur à celui du principe de plaisir. Ou encore,

si l'on pose l'existence d'un facteur topique (un au-delà du principe de plaisir)

et d'un facteur économique (l'automatisme de répétition), on est forcé de

Page 38: Mémoire

38

supposer l'existence d'un facteur dynamique. Celui-ci est une pulsion, une

pulsion qui est au-delà du principe de plaisir et au service de l'automatisme de

répétition. Une pulsion d'avant toute autre pulsion et source de toutes les

autres : " une pulsion [qui] serait une poussée inhérente à l'organisme vivant

vers le rétablissement d'un état antérieur " . Donc une pulsion dont le but

serait ce qui est avant la vie. Pour Freud, la pulsion de mort est cette pulsion.

SUICIDE ET PULSION DE MORT

« L’art fut la transfiguration poétique du

réel. La philosophie fut la transfiguration

poétique du concept. Ce qu’il faut transfigurer poétiquement désormais, c’est la

disparition de tout cela – du réel, du concept, de l’art, de la nature, et de sa

philosophie elle-même. » Jean Baudrillard, Fragments.

En principe, le suicide est un acte, ou un passage à l’acte,

recommandable dans certaines situations, regrettable dans d’autres, restant de

toute manière du ressort exclusif de l’intéressé.

Mais il peut être différé, symbolisé, métabolisé socialement, pour ainsi

dire, durer même une vie ; en tant que processus d’autodestruction ou de

disparition visible ou intelligible, il peut prendre un sens qui excède la sphère

personnelle.

A l’instar du doute de Descartes ou du délire contrapuntique de Jean-

Sébastien Bach, il peut emprunter une voie hyperbolique, il peut décrire, dans

des termes philosophiques, littéraires ou artistiques, toutes les circonvolutions

Page 39: Mémoire

39

qui le conduisent à son accord de résolution, c’est-à-dire au silence ou au

néant. Il fait partie de ces dispositions singulières qui pourraient paraître de

prime abord négatives ou maladives, qui le deviennent même effectivement si

la société les réfléchit comme telles ; cependant, dans une conjoncture

déterminée, et toujours par effet de réflexion (le cas échéant, d’empathie avec

l’inconscient collectif), ces dispositions peuvent prendre une valeur

métaphorique et prédisposer au talent ou au génie. Le fait est que chaque

époque se découvre une morbidité élective, qui se déclare chez des sujets

privilégiés. Ainsi, le maniérisme du XVIe siècle doit beaucoup à des types

spécifiques de névrose obsessionnelle, l’âge baroque exalte des fonctions

hallucinatoires, les utopies du siècle des Lumières procèdent de véritables

délires rationnels, le symbolisme est en consonance avec la mélancolie, l’Art

Nouveau avec l’hystérie, le cubisme avec la schizophrénie, le surréalisme

avec la paranoïa, le body art avec certains types de perversion ; bref, il y a des

circonstances historiques qui font vibrer telle ou telle fréquence dans la

gamme des pathologies mentales comme un résonateur, qui mettent autrement

dit cette affection à la mode – et la mode, on le sait (ou on ne le sait pas, car

elle traîne une réputation qu’elle ne mérite pas), c’est le ferment de

l’invention artistique.

A l’aube du troisième millénaire, la pulsion de mort est à l’ordre du

jour. Telle sera notre hypothèse, inspirée bien sûr par le nihilisme freudien–

hypothèse nullement pessimiste ni sinistre au demeurant : il faut insister sur le

Page 40: Mémoire

40

fait que, chez l’homme, il s’agit d’une pulsion et non d’un instinct. L’instinct

est une donnée de caractère génétique qui soumet l’individu à un véritable

déterminisme (nidifier s’il est oiseau, migrer s’il est criquet migrateur, barrir

s’il est éléphant, etc.) ; tandis que la pulsion est flexible, toujours déjà

métabolique, elle engage des déplacements, des substitutions, des

métaphorisations, elle se modifie et se complexifie de génération en

génération par héritage culturel. Ainsi, la pulsion de mort ne conduit pas

nécessairement ni directement à l’autodestruction ou au meurtre, elle peut

emprunter des détours imprévus et connaître des états réversibles, admettre

qu’on prenne congé de la vie temporairement seulement, dans le sommeil,

dans le jeu, dans le rêve, dans l’orgasme. Du point de vue psychanalytique, la

mort, en tant qu’elle est signifiée ou figurée, est une des données essentielles,

ou plutôt existentielles, de la condition humaine, elle est intériorisée dès

l’enfance, elle est agissante dans tout le cours de l’existence, on peut donc la

considérer paradoxalement comme vitale, et comme un facteur de complexité.

Par exemple, si particulier ou même crapuleux que soit ou que puisse paraître

parfois son code d’honneur, l’être humain ne peut pas vivre sans la

présomption anticipée de ce bilan qu’on fera de sa vie, il compose tout au

long avec cette rétroaction à venir, il amorce d’une certaine manière sa propre

nécrologie, il vit au futur antérieur autant qu’au présent. C’est dans ce sens

qu’il faut entendre la réflexion de Heidegger :

Page 41: Mémoire

41

« Nous mourons dès notre naissance, et nous naissons jusqu’à notre

mort ».

Parmi les modalités complexes de la pulsion de mort, il y a le pouvoir

de négation, de mise hors jeu de la réalité, la faculté de s’en excepter, de se

déconnecter temporairement (ce que la phénoménologie désigne comme

épochè). A cet

égard, la création artistique, qui revient à préférer l’ombre à la proie,

l’imaginaire au réel, et qui met à contribution homo démens plutôt qu’homo

sapiens, procède électivement de la pulsion de mort, tout comme le langage,

et a fortiori l’intelligence.

Il faut qu’une chose meure pour accéder à l’ordre symbolique ; la rose,

dit le poète, en tant que je la nomme, c’est l’absente de tout bouquet ; dans la

réalité, elle nous charme par son aspect et par son odeur, alors que le mot

«rose » est composé de caractères stéréotypés, inexpressifs et inodores ;

il n’empêche que, pour exister, pour se pourvoir d’une identité, d’une

présence à soi, d’une permanence, la rose a besoin de ce nom qui lui dit

«non». Il n’y a pas de présence sans représentation, l’objet doit disparaître

pour qu’on le nomme, le symbole institue une mort qui n’est pas un néant

mais la promotion à une vie non physique. Comme le note Lacan, il faut

qu’une chose puisse manquer à sa place pour s’insérer dans un ordre de réalité

quelconque, il faut que, par la représentation,et par la négation qui lui est

inhérente, on la gratifie de la possibilité même du manque : un livre qu’on ne

Page 42: Mémoire

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trouve pas à sa place dans la bibliothèque, ou un seul être faute duquel tout est

dépeuplé. En revanche, on n’imagine pas qu’un nuage manque dans le ciel, ou

une vague dans la mer, sinon pour le tournage d’un film, ou pour la

composition d’une peinture, précisément.

Bref, la pulsion de mort, dans ce sens, c’est le ressort même de la

fonction symbolique, c’est le code ou la représentation préférés au chaos

sensible, et constitutifs de l’objectivité. Anthropologues, sociologues,

psychanalystes, historiens, insistent sur le fait que nous naissons, nous vivons

et nous mourons dans un champ de significations sédimentées que Castoriadis

appelle l’imaginaire collectif, Lacan, l’ordre symbolique, Sartre le champ

pratico-inerte, etc., un champ constitutif de l’esprit humain, mais qui a

l’objectivité froide et l’inertie létale d’un dictionnaire, d’un musée ou d’une

pierre tombale.

La pulsion de mort pourrait par conséquent se caractériser comme une

oscillation régressive progressive entre deux états d’inertie, le premier

(logiquement et chronologiquement) physique, le second, sémantique.

Régressivement, elle est un retour à la vie inorganique, ou, du moins, à

l’inconscience originaire, et plus particulièrement à la douce inconscience

foetale, ce pourquoi elle est liée au principe de plaisir.

La mort, dans ce sens, en tant que nirvana, est au commencement plutôt

qu’à la fin de la vie, c’est un paradis perdu qui aimante, pour ainsi dire, la dite

pulsion comme une fin suicidaire (une formule elle-même oscillante, la fin

Page 43: Mémoire

43

pouvant désigner un objectif plutôt qu’un terme, et le suicide être invoqué sur

un mode hyperbolique ou dilatoire). L’eau de la piscine, par exemple, pourra

être ressentie comme un substitut chloré du liquide amniotique et comme une

réactualisation létale ou « océanienne » gratifiante :

« Piscines ! Piscines ! Nous sortirons de vous purifiés » (André Gide).

Dès lors que la pulsion de mort emprunte cette voie de substitution

métaphorique, elle s’oriente dans l’autre sens, celui de l’expression verbale,

figurative, scientifique, bref, de la créativité.

Pour Lacan (séminaire II) « l’objet humain se constitue toujours par

l’intermédiaire d’une première perte . Rien de fécond n’a lieu pour l’homme

sinon par l’intermédiaire d’une perte de l’objet. Le sujet a toujours à

reconstituer l’objet, il cherche à en retrouver la totalité à partir de je ne sais

quelle unité perdue à l’origine ». Tel est le paradoxe : la vie serait mortelle

(mortellement ennuyeuse) si elle n’était pas vivifiée par le deuil originaire et

obstinément reconduit de l’objet !

Cette tendance au retour, à la réactualisation ou à la secondarité ne

prend pas nécessairement le chemin paradisiaque de la piscine ; dans bien des

cas, et paradoxalement, elle contredit au principe de plaisir ; elle correspond à

ce que les psychanalystes appellent compulsion, contrainte, ou automatisme

de répétition. L’être humain a tendance à reproduire avec insistance non

seulement l’état bienheureux, mais aussi, et peut-être plus encore, les conflits

qu’il a subis dans sa vie, les traumatismes, les épisodes non résolus. Ainsi, les

Page 44: Mémoire

44

accidents graves, les drames de la guerre, les examens même réussis,

ramènent régulièrement le sujet à la situation pourtant déplaisante qui a

généré le traumatisme. Cela se produit déjà dans la vie courante : la petite fille

qui vient d’être grondée se retire dans sa chambre pour gronder à son tour sa

poupée. Cet exemple indique la raison de la répétition : reproduire la scène

traumatique, c’est s’en faire le metteur en scène, en inversant parfois les rôles,

c’est une occasion qui se présente et qui se répète de maîtriser et d’élaborer le

drame ; dans le meilleur des cas, la reproduction de ce qui a été vécu sur le

moment comme une agression ou comme un geste hostile en fait ressortir la

nécessité légale (la punition éducative, en l’occurrence).

C’est bien pourquoi les psychanalystes, à commencer par Lacan,

considèrent la pulsion de mort comme le ressort de la symbolisation, et la

contrainte de répétition comme des prolégomènes à l’ordre symbolique. Ainsi

polarisée, la pulsion de mort consiste bien à ramener l’animé à l’inanimé,

mais dans un sens plus positif que celui de l’anéantissement brutal : ramener

le chaos de l’expérience existentielle à l’ordonnance du code, la fuite des

sentiments à l’architecture des mots, la précipitation des événements à

l’inertie du système symbolique – rattraper le temps perdu par un roman, si ça

se (re)trouve… Tel est le paradoxe, encore une fois : la mort, en tant qu’elle

est signifiée comme telle, est le contraire de la mort, elle assure le

métabolisme de la vie symbolique. Ou, pour dire la même chose autrement, la

Page 45: Mémoire

45

vie et la mort s’opposent consubstantiellement, elles s’inscrivent en

continuité, ou en « anneau de Moebius », sur la même surface existentielle.

C- Aspects biologiques

D'après les neurophysiologistes du comportement, les substrats

neurologiques de l'agressivité sont pour partie au niveau de l'amygdale et de

l'hippocampe dans le système limbique, pour partie au niveau de

l'hypothalamus latéral dans le diencéphale. Chez la plupart des espèces

animales, la stimulation de ces structures déclenche des comportements de

menace et d'agression, la destruction bilatérale abolit toute forme

d'agressivité.

Les données récentes des recherches pharmacologiques sont fondées

sur l'identification et le rôle de multiples neurotransmetteurs. C'est surtout

dans le système sérotoninergique qu'on retrouve des convergences

remarquables entre résultats obtenus dans les études chez l'animal et chez

l'homme.

Système sérotoninergique

Si l'on restreint les apports en tryptophane, précurseur de la sérotonine

(SER), ou si l'on inhibe la synthèse de SER, on voit apparaître des conduites

agressives chez le rat. On note l'effet inverse avec l'administration de

tryptophane .

Page 46: Mémoire

46

Plusieurs études chez l'homme retrouvent une corrélation négative entre

le taux d'acide 5-hydroxy-indolacétique ou 5-HIAA (métabolite de la SER)

dans le liquide céphalo-rachidien (LCR) et le comportement agressif (et une

corrélation positive à l'égard du MHPG ou méthoxy-hydroxy-phénylglycol,

métabolite de la voie noradrénergique). On a noté un faible taux du même

métabolite aussi chez les sujets décédés par suicide.

Brown et al qui ont examiné un groupe de 26 militaires ayant des

troubles de la personnalité avec agressivité ont pu démontrer que le

pourcentage 5-HIAA/MHPG était plus bas chez les sujets très impulsifs. Dans

une deuxième étude , les mêmes auteurs ont confirmé ces résultats en

mesurant de manière précise l'agressivité à l'aide du " Minnesota Multiple

Personality Test ".

Lidberg et al ont publié deux études originales. Dans la première, ils

ont examiné trois individus qui avaient agressé des membres de leur famille

(dans un cas il s'était agi du meurtre d'un enfant). Tous les trois avaient un

taux bas de 5-HIAA. Dans la deuxième, ils ont comparé le taux de 5-HIAA

chez trois groupes d'individus : 16 hommes inculpés d'homicide, 22 hommes

auteurs d'au moins une tentative de suicide, 39 sujets témoins. Le taux de 5-

HIAA était bas chez les suicidants et chez les criminels.

Linnoila et al ont confirmé ces données : les criminels impulsifs ou

agissant en groupe avaient un taux plus bas de 5-HIAA par rapport aux sujets

non impulsifs et solitaires. Un métabolisme de la SER altéré semble donc être

Page 47: Mémoire

47

à l'origine d'un défaut fondamental du contrôle des pulsions, plus encore que

d'un simple accroissement de l'agressivité.

Chez les sujets à caryotype 47XYY qui manifestent tous une forte

agressivité, Bioulac et al ont démontré que le taux de 5-HIAA était bas dans

le LCR et que l'intensité de l'agressivité était réduite par un traitement

sérotoninergique.

En augmentant la récupération du tryptophane, le lithium a un effet

propre sérotoninergique. Eichelman a montré l'effet antiagressif du lithium

chez les rats et chez l'homme.

Système noradrénergique

Chez l'homme, les résultats des études réalisées sont contradictoires .

Toutefois, la norépinéphrine (NE) a un rôle bien établi chez l'animal. La

stimulation des amygdales chez le chat produit un comportement agressif qui

s'accompagne d'une déplétion en NE dans le cerveau, sans variation de la

dopamine. Dans les lésions de décérébration, par elles-mêmes à l'origine de

crises de rage, on observe toujours une déplétion en NE dans le cerveau. Le

taux de NE mesurable est inversement proportionnel à la fréquence des crises

de rage. Si l'on épuise le stock en NE (avec la réserpine ou une catécholamine

de synthèse qui bloque la production de NE), on ne constate plus de crises de

rage.

Chez les rats, le blocage des récepteurs bêta adrénergiques par le

propranolol est à l'origine d'une réduction de l'agressivité (moindre fréquence

Page 48: Mémoire

48

des combats). Mais si l'administration de propranolol se poursuit, il y a un

phénomène d'échappement lié à la synthèse de nouveaux récepteurs bêta-

adrénergiques.

Deux produits ont été proposés dans le traitement de l'agressivité chez

l'homme : le lithium qui réduit le taux de NE et le propranolol. Il est très

vraisemblable toutefois que le lithium agisse essentiellement par le biais de la

voie sérotoninergique. Certaines indications privilégiées ont été notées. Le

lithium serait plus efficace dans les syndromes agressifs rencontrés chez les

sujets avec passé médicojudiciaire (criminels), dans les troubles de la

personnalité, la schizophrénie paranoïde, les psychoses maniacodépressives

unipolaires dépressives, les psychoses infantiles, le retard mental. Le

propranolol s'est montré actif sur l'agressivité des sujets ayant subi un

traumatisme cérébral, dans le syndrome de Korsakoff et dans certains

syndromes schizophréniques.

Autres neurotransmetteurs :

Chez le rat et chez la souris, on a démontré qu'il y a une relation inverse

entre taux d'acide gamma-aminobutyrique (GABA) et conduites agressives

(benzodiazépines [BDZ]) . Les BDZ élèvent le taux cérébral de GABA.

Certains auteurs ont été jusqu'à affirmer que les BDZ sont les substances le

plus directement impliquées dans l'inhibition du comportement agressif. On

notera toutefois que l'une d'entre elles, le chlordiazépoxide, a été considérée

responsable d'un effet indésirable d'agressivité paradoxale.

Page 49: Mémoire

49

Plusieurs études font état d'une agressivité accrue sous

dopaminergiques chez les rongeurs. Les antagonistes dopaminergiques ont un

effet inverse. L'inhibition de l'agressivité que l'on obtient avec les

neuroleptiques est à mettre au compte de leur action antidopaminergique.

L'acétylcholine et les cholinomimétiques accroissent la fréquence des

comportements agressifs chez le chat. Plusieurs autres substances encore

semblent pouvoir induire des conduites agressives. Parmi celles-ci : l'alcool,

les substances stimulantes (café, drogues), certaines hormones comme la

testostérone ou l'ACTH hypophysaire.

L’aspect psychiatrique :

Il est classiquement admis que le suicide s’inscrit dans un processus

morbide :

• 60% des suicidés présentaient une dépression ;

• 10% des suicidés présentaient une schizophrénie ;

• On admet généralement que 90% à 95% des suicidés souffraient

d’un trouble mental au moment de leur décès ;

• Avec une forte comorbidité alcoolique.

Pour autant, l’existence d’un trouble mental est loin d’être

systématique :

Page 50: Mémoire

50

• Les tentatives de suicide surviennent beaucoup plus rarement sur

des terrains psychiatriques avérés .

• Chez les jeunes , notamment, on estime que 60 à 80% des

tentatives de suicide se font indépendamment de tout trouble

mental; «voilà d’où vient la grande différence qui sépare le point

de vue du clinicien et celui du sociologue. Le premier ne se trouve

jamais en face que de cas particulier, isolés les uns des autres. Or il

constate que,très souvent, la victime était ou un nerveux ou un

alcoolique et il explique par l’un ou l’autre de ces états

psychopathiques l’acte accompli. Il a raison en un sens ; car si le

sujet s’est tué plutôt que ses voisins, c’est fréquemment pour ce

motif. Mais ce n’est pas pour ce motif que, d’une manière

générale, il y’a des gens qui se tuent, ni surtout qu’il s’en tue, dans

chaque société, un nombre défini par période de temps

déterminée » (Durkheim, le suicide).

Quels sont les facteurs de risque précédant la crise suicidaire ?

Quels sont les facteurs relatifs à l’environnement (famille, travail, contexte social) ?

Quelle est l’influence des événements de vie ?

I - Remarques préliminaires

1 - Concernant la notion de facteur de risque

Page 51: Mémoire

51

Même si l’on considère comme acquise la définition de la crise

suicidaire, plusieurs remarques préliminaires s’imposent concernant la notion

de facteurs de risque ; ces remarques concernent le modèle théorique de

référence, les classifications des facteurs de risque ainsi que les conséquences

pour la prévention. Un facteur de risque est dans une relation de corrélation

avec la survenue d’un phénomène et concerne une population ; il ne se situe

donc pas au niveau de la causalité individuelle. De plus tous les auteurs

s’accordent pour rapporter les phénomènes suicidaires en général et la crise

suicidaire en particulier à un modèle plurifactoriel impliquant à la fois des

facteurs socioculturels, environnementaux et psychopathologiques. Enfin, ces

différents facteurs sont en interaction les uns avec les autres, ce qu’indiquent

certains auteurs en distinguant facteurs prédisposant ou de vulnérabilité,

facteurs précipitants et facteurs de protection . Il ne s’agit donc pas d’un

modèle additif mesurant le risque final à partir d’une sommation des

différents facteurs de risque mais d’un modèle intégratif aboutissant au fait

que l’impact de chacun d’eux dépend de la présence ou de l’absence d’autres

éléments. Toute politique de prévention doit évidemment tenir compte de ces

données (corrélation, plurifactorialité, interaction) au risque de passer à côté

de son objectif.

Les facteurs de risque suicidaire peuvent être classés selon plusieurs

oppositions (court terme/long terme, psychopathologiques/socio

Page 52: Mémoire

52

environnementaux, prédisposants/précipitants), mais également, dans une

perspectives pragmatique et préventive, en facteurs primaires, secondaires et

tertiaires. Les troubles psychiatriques, les antécédents personnels et familiaux

de suicide, la communication d’une intention suicidaire ou une faible activité

sérotoninergique constituent des facteurs de risque primaires ; ils sont en

interaction les uns avec les autres, ont une valeur d’alerte importante au

niveau individuel et surtout pourront être influencés par les traitements. Les

perte parentales précoces, l’isolement sociale (séparation, divorce,

veuvage,…), le chômage, les difficultés financières importantes et des

événements de vie négatifs sévères forment les facteurs de risque

secondaires, observables dans l’ensemble de la population, faiblement

modifiables par les thérapeutiques et dont la valeur prédictive est réduite en

l’absence de facteurs primaires. Enfin, les facteurs de risque tertiaires

comprennent l’appartenance au sexe masculin, à un groupe d’âge à risque

(adolescence, sénescence), ou à une période de vulnérabilité particulière

(phase prémenstruelle) ; ils ne peuvent être modifiés et n’ont de valeur

prédictive qu’en présence de facteurs primaires et secondaires.

Nous ne ferons que citer les facteurs de risques primaires ou facteurs

relatifs à l’individu (amplement détaillés par ailleurs) pour insister sur les

facteurs de risque secondaires ou facteurs relatifs à l’environnement, et

plus particulièrement sur l’influence des événements de vie qui paraissent

Page 53: Mémoire

53

illustrer au mieux la complexité de la problématique suicidaire et l’écart qui

existe entre un paramétrage épidémiologique basé sur l’identification de

facteurs de risque et la question du sens qu’un tel événement peut prendre

dans une histoire singulière.

2 - Concernant la notion d’événements de vie.

Il y a d’abord lieu de donner une définition de l’événement de vie (Life

Event). La notion courante d’événement peut être résumée par la formule

d’un changement extérieur au sujet, c’est-à-dire que cette notion suppose à la

fois la survenue d’un changement suffisamment rapide et important pour

entraîner une discontinuité dans la vie du sujet et le caractère objectif de ce

changement, c’est-à-dire une origine extérieure au sujet . Mais on distingue en

outre les difficultés de vie, situations problématiques qui durent au moins

quatre semaines, et les incidents de vie ou tracas (hassless), événements de vie

d’intensité mineure ou concernant des personnes trop éloignées du sujet.

Enfin, il peut exister des difficultés naissant d’événements, des événements

complexes (c’est-à-dire survenant pendant la même semaine et découlant d’un

même processus) et des événements en série (événement de même thème se

répétant) proches des stresseurs chroniques.

En psychopathologie, la référence à la notion d’événement n’est pas

épistémologiquement neutre, car elle participe d’une conception du

Page 54: Mémoire

54

fonctionnement mental où prédomine une logique de la causalité. C’est le

domaine des épidémiologistes qui situent l’événement extérieurement aux

phénomènes morbides en essayant de l’identifier à un facteur de risque. Ce

caractère d’extériorité de l’événement par rapport au sujet, qui le rapproche

du fait (donnée désaffectivée qui s’inscrit hors du champ du vécu) est critiqué

à la fois par la psychanalyse et par la phénoménologie. Cette dernière insiste

sur la nécessité d’intégrer le sujet à la définition et même à la constitution de

l’événement, bref à l’avènement de l’événement. " Il n’y a d’événement que

pour l’homme et par l’homme ; c’est une notion anthropologique, non une

donnée objective " . Bien loin de subir passivement ces événements, le sujet

les provoque et les utilise comme instruments de sa stratégie d’adaptation, par

exemple à un conflit interpersonnel. Le modèle de causalité événementiel le

plus adéquat selon les phénoménologues n’est alors plus le modèle linéaire

Stimulus-Réaction habituellement privilégié par la méthode des Life Events,

mais un modèle de type transactionnel où le sujet essaie de contrebalancer les

événements qu’il subit avant la crise suicidaire par les événements qu’il

produit, éventuellement jusqu’au passage à l’acte suicidaire. Quant à la

psychanalyse, elle introduit la notion d’après-coup qui interdit de réduire

l’histoire d’un sujet à un déterminisme linéaire envisageant seulement l’action

du passé sur le présent. Le sujet remanie ainsi après-coup les événements

passés, et c’est ce remaniement qui leur confère un sens, une efficacité, ou un

pouvoir pathogène. Toutefois, ce n’est pas le vécu en général qui est remanié

Page 55: Mémoire

55

après-coup, mais électivement ce qui, au moment où il a été vécu, n’a pu

pleinement s’intégrer dans un contexte significatif. Le modèle d’un tel vécu

est l’événement traumatisant. Ainsi, dans l’Homme aux loups (Freud, 1918),

la scène originaire vécue à 18 mois ne prit son caractère pathogène qu’après-

coup, lors de la survenue du rêve à 4 ans. Pour la psychanalyse, c’est donc

l’après-coup qui fait l’événement ; la priorité est donnée aux facteurs internes

et à la nécessité de saisir des processus d’élaboration psychologique dans

l’histoire du sujet. Il serait donc possible d’opposer une conception

anthropologique subjective de l’événement (position de la phénoménologie et

de la psychanalyse) à une conception objective ou plutôt objectivante

privilégiée par la méthode des Life Events et l’épidémiologie. Il semble

toutefois que cette opposition ne soit plus aussi tranchée.

D’une part, le caractère d’extériorité de l’événement par rapport au sujet

est nuancé par un certain nombre d’auteurs se référant à la méthodologie des

événements de vie : événements dépendants du sujet , contrôlables par lui , ou

encore contingents à son comportement . D’autre part, le mode d’évaluation

de l’impact événementiel a évolué avec le temps. Le premier mode

d’approche a été mis au point en (1967) et consistait à attribuer à chaque

événement une note Standart en terme de retentissement affectif. Puis,

l’intérêt s’est porté vers l’auto-évaluation rétrospective soumise aux biais des

mécanismes de défense et à la réorganisation des affects dans le temps. Enfin,

Page 56: Mémoire

56

l’évaluation la plus achevée introduit dans l’analyse événementielle le

contexte où se place l’événement dans la vie du sujet et aussi l’appréciation

du sujet lui-même . C’est dans ce rapprochement objectif/subjectif que

l’ambiguïté de la notion d’événement trouve à la fois son illustration et sa

fécondité. De nombreux auteurs se sont penchés depuis plus d’un demi siècle

sur les relations existant entre les événements de vie stressants et le

phénomène de la maladie, à la suite d’A. Meyer formulant l’hypothèse de

l’existence d’une relation entre stimuli stressants issus de l’environnement et

maladie. Dans cette optique, les recherches ont d’abord été centrées sur les

maladies somatiques, puis sur les maladies psychosomatiques et enfin sur les

maladies mentales. Dans le domaine de la souffrance psychique, de

nombreuses études ont établi un lien temporel entre un événement et certains

types de maladies (états dépressifs, schizophrénie) ou certains types de

comportement comme les tentatives de suicide . Outre la question de la nature

de l’événement incriminé, se pose alors celle, fondamentale, du type de lien

qui unit l’événement et le trouble, ici le comportement suicidaire. Cette

liaison n’est jamais considérée comme l’expression d’une causalité directe,

mais comme l’effet de facteurs favorisants ou déclenchants, termes pour

lesquels un certain nombre de synonymes ont été proposés : facteurs

prédisposants et précipitants, facteurs distaux et proximaux , facteurs de

vulnérabilité et événements stressants récents . Amiel-Le Bigre (1986)

distingue de son côté les événements de vie marqueurs de risque et ceux

Page 57: Mémoire

57

facteurs de risque, traduisant ainsi le fait que ce n’est pas tant le nombre ni le

type d’événements vécus mais la façon de vivre ceux-ci (l’impact affectif) qui

serait un trait de vulnérabilité. Enfin, quelques auteurs ont proposé un modèle

intégratif des événements de vie pour tenter de rendre compte des interactions

entre facteurs de risque, facteurs de vulnérabilité et facteurs de protection.

II - Influence des événements de vie (EV)

1 - Revue générale

Si différentes études se sont intéressées à l’impact des EV lors de la

crise suicidaire (séparations diverses pour Levi en 1966, mort récente d’un

parent pour Birtchnell en 1970), l’étude la plus complète est celle de Paykel

(1975, 1976) car elle compare trois groupes (suicidants, déprimés et

population générale) et s’intéresse également aux différents types d’EV :

désiré (mariage, promotion, ...)/non désiré (décès, séparations, maladies,...),

degré de contrôle du sujet, domaine de la crise (travail santé, famille, justice),

intensité de l’impact, modification de la structure socio-familiale (par entrée

d’un nouveau membre ou par perte). Les suicidants présentent quatre fois plus

d’EV dans les six derniers mois que la population générale (3,3 versus 0,8) et

1,5 fois plus que les déprimés (3,3 versus 2,1). Un pic de fréquence est

retrouvé dans le dernier mois précédant le geste qui concentre 1/3 des EV.

Parmi les variétés impliquées, ce sont surtout les événements indépendants de

Page 58: Mémoire

58

la volonté du sujet, non contrôlés par lui et d’intensité moyenne à forte qui

distinguent suicidant et déprimés alors que toutes les catégories distinguent

suicidants et population générale (sauf les événements désirés). Pour Slater et

Depue, les suicidants déprimés se distinguent des déprimés non suicidants par

la poursuite de la survenue d’EV stressants après le début de la dépression et

par l’absence de soutien d’un confident (1981). Chez l’adolescent, deux

études retrouvent également des niveaux élevés d’EV stressants dans l’année

précédant la TS, surtout des pertes interpersonnelles (Cohen-Sandler, 1982),

mais aussi une instabilité sociale (De Wilde, 1992). Toutefois, pour Low

(1990), les EV ne constituent pas en eux-mêmes des prédicteurs suffisamment

puissants, ce que confirme Lewinsohn (1994) dans une des rares études

prospectives où, quand la variable dépression est contrôlée, seule la TS

récente d’un ami paraît être un EV prédictif d’une future TS. Cette

sureprésentation d’EV négatifs dans les mois précédant un geste suicidaire

peut aboutir à deux interprétations (Lafont, 1987, Clum, 1991); soit le passage

à l’acte suicidaire apparaît comme une réaction à une conjoncture

événementielle défavorable, comme une réponse mal adaptée à une crise

interpersonnelle, ce qui a le mérite de mettre l’accent sur l’importance des

interventions de crise mais réduit la problématique au modèle Stimulus-

Réaction ; soit la population suicidante ou à risque de passage à l’acte est par

nature une population à événements, privilégiant l’expression agie plutôt que

la mentalisation. L’étude des événements traumatisants survenant dans

Page 59: Mémoire

59

l’enfance (pertes précoces, violence et abus), plus fréquents chez les futurs

suicidants , plaiderait pour l’organisation d’une personnalité vulnérable,

responsable à la fois de la tendance aux passages à l’acte et de la plus grande

sensibilité aux événements extérieurs.

2 - EV précipitants (ou facteurs proximaux).

Plusieurs auteurs se sont intéressés à la semaine précédant la TS et ont

constaté un nombre important de patients rapportant un conflit interpersonnel

(dispute, rupture sentimentale) avec une personne-clé 48 heures avant le

geste. Il s’agit majoritairement de femmes jeunes engagées dans un conflit

relationnel avec leur conjoint . Les thèmes principalement évoqués sont les

violences physiques, l’infidélité et l’indifférence affective. IL existe

généralement une dépendance affective et une forte hostilité dans les

motivations suicidaires , ce qui semble indiquer des dispositions de

personnalité particulières. Chez les adolescents, un second facteur précipitant

s’ajoute aux facteurs sentimentaux, il s’agit des problèmes disciplinaires soit

avec les parents , soit avec la loi, surtout quand l’altercation s’accompagne

d’un sentiment de rejet et d’humiliation. Par ailleurs, il apparaît que les idées

de suicide chez l’adolescent peuvent être liées à des tensions chroniques

intrafamiliales.

Quelques auteurs ont relié ces conflits actuels (de l’ordre de la perte) à des

pertes précoces survenues lors de la petite enfance. Notons pour terminer

Page 60: Mémoire

60

qu’un tiers à la moitié des suicidants ne rapporte pas de facteurs précipitants,

et que ce pourcentage augmente avec l’âge. Ceci permet de rappeler ici qu’un

facteur précipitant n’est prédictif qu’en présence d’autres déterminants de la

crise suicidaire.

3 - EV prédisposants (ou facteurs distaux ou facteurs de

vulnérabilité) :

Une littérature assez abondante suggère l’existence d’un lien entre

pertes précoces pendant l’enfance et comportement suicidaire. Il s’agit

essentiellement de la perte précoce de l’un des deux parents par séparation,

divorce ou décès, surtout quand elle est survenue pendant la période de

latence, ou lorsqu’elle a résulté d’une instabilité familiale importante , voire

lorsque cette instabilité se prolonge à l’adolescence . L’exposition précoce et

prolongée aux idées de suicide ou aux comportements suicidaires d’un des

parents, ou la survenue du décès par suicide constitue un facteur de risque de

passage à l’acte à l’adolescence et à l’âge adulte, mais aussi de récidive . Si

tous les types de maltraitance lors de l’enfance augmentent le risque

suicidaire à l’âge adulte, c’est l’association entre abus sexuels et suicidalité

qui est le mieux documenté, à la fois pour des populations cliniques et pour

des populations générales de collégiens . Ainsi, dans l’étude rétrospective de

Martin (1996), 51 % des jeunes filles abusées sexuellement ont fait une TS, ce

qui traduit un risque suicidaire multiplié par 5 par rapport aux non-abusées.

Page 61: Mémoire

61

Ce risque est d’autant plus élevé que l’abus a été répété et sévère, et qu’il a

duré longtemps . Il semblerait identique pour les garçons et les filles mais les

études sont peu nombreuses pour les garçons . De plus, les abus sexuels

paraissent corrélés à l’apparition d’idées de suicide surtout quand l’abuseur

vit dans le cercle familial . L’impact des abus physiques est moins bien établi,

mais la majorité des études concluent à un lien avec les comportements

suicidaires . L’influence des punitions corporelles est beaucoup plus difficile

à évaluer pour des raisons culturelles et de définition. Une seule étude

compare ces trois types de maltraitance : les étudiants abusés sexuellement

pendant l’enfance sont plus suicidaires que les étudiants abusés physiquement

: les punitions corporelles " ordinaires " n’auraient pas d’impact sur la

suicidalité à l’adolescence ou à l’âge adulte. Ces éléments posent la question

de la nature du facteur traumatique . Certains auteurs indiquaient que les

expériences vécues par l’enfant avaient des conséquences imprévisibles, les

événements les plus dramatiques pouvant n’avoir pas de conséquence alors

que les situations ordinaires de la vie peuvent se révéler désorganisatrices.

L’hypothèse d’une cause traumatique unique devrait ainsi être abandonnée au

profit de l’idée que le facteur traumatique résulte d’une rencontre entre un

événement, une histoire et une personnalité vulnérable. C’est redire ici

l’importance des caractéristiques de la personnalité.

Page 62: Mémoire

62

III - Facteurs de risques relatifs à l’environnement

1 - Travail (chômage, précarité d’emploi, insertion

professionnelle)

Depuis les travaux de Durkheim, de nombreuses enquêtes réalisées

dans les pays industrialisés ont mis en évidence une corrélation forte entre

gestes suicidaires et chômage. Les études transversales mettent en évidence

une prévalence significativement supérieure du chômage chez les suicidants

par rapport à la population générale , et les enquêtes écologiques retrouvent

une corrélation positive et significative entre TS et taux de chômage dans

certaines zones géographiques . La grande majorité de ces enquêtes a été

réalisée chez des hommes. Une des rares ayant porté sur une population de

chômeuses a abouti à une conclusion identique avec toutefois une

sursuicidalité un peu moindre chez les femmes chômeuses. Les différences

entre régions, entre hommes et femmes et entre actifs et inactifs sont à

rapprocher de l’hypothèse de Cohn (1978), à savoir que l’impact du chômage

sur la santé des personnes dépendrait de deux paramètres : l’effet de rôle et

l’effet d’environnement. L’effet de rôle mesure l’importance que les

personnes accordent à leur travail selon leur statut social : plus ce dernier est

centré sur le travail, plus le chômage a des effets négatifs. Cet effet de rôle

peut être mesuré en comparant hommes et femmes, puisque le " poids " du

travail est moins important pour les femmes en raison de la possibilité de

Page 63: Mémoire

63

statuts alternatifs (mère de famille, femme au foyer,...). Ainsi, le risque relatif

de TS est seulement multiplié par 2 à 3 chez les femmes au chômage, alors

qu’il est multiplié par 6 ou 7 chez les hommes. L’effet environnement dépend

de l’importance du chômage dans la région : plus le taux de chômage est

élevé, moins les chômeurs se sentent " responsables " de leur situation, et

moindre sera l’effet sur leur santé. La " banalisation " du chômage diminue le

risque suicidaire . Toutefois cet effet environnement apparaît limité et semble

surtout accentuer le risque pour l’ensemble de la population. Toutes ces

études sont émaillées de biais méthodologiques dont nous citerons trois

principaux. Premièrement, les effets du chômage ne se limitent pas à la

population au chômage. Le climat d’insécurité qu’engendre la crise touche

aussi ceux qui ont un travail. Différents travaux ont montré que c’est dès

l’annonce de la menace de chômage dans une entreprise que la répercussion

sur l’état de santé des salariés est la plus importante et une fois la mise au

chômage effective, le nombre de symptômes diminue . Par ailleurs l’effet à

court terme sur la santé serait relativement faible, alors qu’à moyen terme (4-

5 ans) les différences deviendraient importantes. De plus, il reste une

différenciation nette entre classes sociales, avec un effet d’autant plus

important que les personnes ont un statut social modeste. Enfin et surtout, il

est nécessaire d’apprécier l’effet sélectif de la pathologie mentale en cas de

chômage. Autrement dit, s’il y a plus de chômeurs parmi les suicidants et les

suicidaires, le sont-ils parce qu’ils sont au chômage, ou bien sont-ils

Page 64: Mémoire

64

chômeurs et suicidants parce qu’ils ont un trouble mental ? Les principaux

travaux qui contrôlent ces variables psychopathologiques (dépression,

dépendance à l’alcool, trouble de la personnalité), mais aussi d’autres

variables comme le contexte familial concluent à une absence de causalité

entre chômage et risque suicidaire pour retenir l’hypothèse d’un facteur tiers

responsable simultanément du chômage et de la suicidalité.

Cette absence de liaison directe rend compte du fait que les effets du

chômage dépendent de l’insertion des individus dans la société et

particulièrement des protections et des solidarités dont ils bénéficient.

Signalons que nous n’avons retrouvé aucune étude analysant les relations

entre gestes suicidaires et situations professionnelles précaires.

2 - Famille et contexte social

Les systémiciens rappellent que toute famille est un système vivant qui

comprend des éléments en interaction les uns avec les autres et qui évolue

selon des cycles faits de l’alternance de plans d’équilibre homéostatique et de

périodes de transformation. Dans les systèmes familiaux pathologiques

comportant des dysfonctionnements relationnels, la crise représente

l’impossible transformation de la famille qui se trouble bloquée dans son

cycle de développement. Le poids de la responsabilité du non-changement est

alors " délégué " à l’un des membres de la famille, le patient désigné, lequel

Page 65: Mémoire

65

va tenter de maintenir le système dans un certain équilibre au travers de ses

symptômes. Les suicidants et leur entourage n’échappent pas à cette loi des

systèmes : on distingue dans cette perspective deux types d’organisation

relationnelle familiale : les familles à transaction suicidaire et les familles à

transaction mortifère qui s’opposent presque point par point.

Dans les familles à transaction suicidaire, la fonction du symptôme TS

est la menace d’exclusion du suicidant hors du système familial : toute

tentative de suicide est dans cette perspective réussie car aboutissant à cette

exclusion temporaire ne serait-ce par le biais de l’hospitalisation. La

désignation suicidaire est variable dans le temps, et peut prendre d’autres

formes : fugue, ivresse aiguë, épisode psychosomatique aigu. A l’inverse,

dans les familles à transaction mortifère, la fonction du symptôme TS n’est

pas la menace d’exclusion mais l’exclusion vraie par la mort du suicidant : la

TS est alors un suicide raté. La désignation mortifère y est permanente et

intemporelle.

L’organisation relationnelle de ces familles est très rigide, proche de

celles des patients toxicomanes ou psychotiques (Vallée et Oualid, 1988).

Différentes études rétrospectives (Kerfoot, 1980 ; Hawton, 1986) menées

auprès d’adolescents suicidants et suicidaires ont retrouvé un conflit

intrafamilial récent (jusqu’à 77.5 % des 12 heures précédant le geste pour

Pillay en 1997). Toutefois, ce conflit récent n’est en fait que l’expression d’un

Page 66: Mémoire

66

dysfonctionnement familial et de problèmes relationnels plus anciens (Pillay,

1997). Low (1990) dans une revue de la littérature a décrit ces familles " à

risque " comme désorganisées et instables, avec des taux élevés de ruptures,

de violences (Reinherz, 1995) et de comportements suicidaires ; les

interactions familiales sont dominées par l’hostilité, les relations conjugales

insatisfaisantes ; les parents présentent une forte prévalence de dépendance à

l’alcool ou aux drogues et de troubles psychiatriques chroniques surtout

affectifs ; enfin, les adolescents ont fréquemment une histoire d’abus sexuels

et physiques dans la famille. De Wilde (1992) mentionne la faiblesse du

soutien familial chez les suicidants. Hurteau (1991) retrouve d’ailleurs à la

fois chez les suicidants mais aussi chez les suicidaires une absence de soutien

par le réseau social. A l’inverse, le support social (proximité d’amis ou de

proches, ne pas vivre seul) peut jouer le rôle d’un facteur de protection (revue

dans Heikkinen, 1993).

IV - Conclusion

Les facteurs de risque secondaires ou facteurs relatifs à

l’environnement ont une valeur prédictive réduite en l’absence des facteurs de

risque primaires, essentiellement représentés par les troubles psychiatriques

(axes I et II) et les antécédents personnels et familiaux de conduites

suicidaires. De plus, ces facteurs secondaires sont en interaction les uns avec

les autres, ce qui explique l’absence de causalité linéaire, l’impact de chacun

Page 67: Mémoire

67

d’entre eux dépendant de la présence ou de l’absence des autres éléments

ainsi que de non intégration dans l’histoire de chaque sujet. Toute politique :

de prévention se doit de tenir compte de ces points, sans oublier le philosophe

: " il y a beaucoup de causes à un suicide et d’une façon générale les plus

apparentes n’ont pas été les plus efficaces. On se suicide rarement par

réflexion.

Ce qui déclenche la crise suicidaire est presque toujours incontrôlable "

(A. Camus, 1992).

VI - Suicide et âge :

Deux tranches d’ages nous ont semblées critiques,l’adolescence et la

vieillesse.

A- le suicide chez le sujet âgé :

Le phénomène suicidaire progresse avec l’avance en âge, surtout chez

les hommes.

L’augmentation du taux du suicide avec l’âge est r régulièrement

constatée depuis l’étude de Durkheim à la fin du XIXème siècle. Ainsi,

rapportée aux effectifs de la population, l’incidence augmente avec l’âge

jusque vers 40 ans (41 pour 100 000 hommes et 28 pour 100 000 femmes),

puis elle reste relativement constante jusque vers 70 ans et elle augmente

Page 68: Mémoire

68

ensuite fortement chez les hommes (73 pour 100 000 vers 80 ans et 133 pour

100 000 vers 90 ans).

C’est entre le milieu des années 70 et le début des années 80 que la

mortalité par suicide des plus de 75 ans a été la plus forte, passant de 83,5

pour 100 000 personnes en 1973-75 à 119,1 en 1985-87 (Nizard, 1998). Par

contre, les taux ont baissé au cours de ces 10 dernières années.

Ainsi, les hommes âgés de 75 ans ou plus avaient en 1994-96 un taux

de suicide (91,1) légèrement inférieur à celui de 1950-51 (94,5).

Par rapport à des pays de niveaux comparables, la France se caractérise

par un taux très élevé de suicide chez les plus de 75 ans, en particulier chez

les hommes. J. Andrian (1999) précise que parmi les pays européens, la

France se classe en deuxième position (juste après l’Autriche) pour le taux de

suicide des hommes âgés de 65-74 ans et 75 ans et plus 4. Les taux

de suicide féminin sont beaucoup plus bas. A 65-74 ans et 75 ans et plus, avec

un taux de suicide de 10,7 pour 100 000, la France se situe au huitième rang

des pays de la Communauté. Cependant, les constats relatifs à la plus grande

fréquence du suicide avec l’âge et chez les hommes sontgénéraux, quels que

soient le pays, la culture (Boiffin, 1982).

Des méthodes de suicide radicales chez les plus âgés : le signe d’une forte

détermination à mourir ?

Page 69: Mémoire

69

Tous âges confondus, le mode de suicide par pendaison reste le plus

fréquent (38% des cas), suivi de l’utilisation d’une arme à feu (24%) puis de

l’ingestion de substances toxiques (14%).

Les modes de suicide chez les hommes (essentiellement la pendaison et

les armes à feu) varient peu avec l’âge. Toutefois, il est à noter une grande

utilisation des armes à feu chez les plus jeunes et davantage d’intoxications

entre 25 et 44 ans. Par ailleurs, dans la tranche d’âges 85-94 ans, on remarque

une diminution du recours à la pendaison, et une progression des suicides par

chutes, intoxications, noyades et surtout par armes à feu.

En revanche, les modes de suicide diffèrent beaucoup chez les femmes

: les intoxications restent toujours très importantes mais, les armes à feu sont

utilisées dans un cas sur six chez 5 Ce sont les pays méridionaux, comme la

Grèce, qui sont le moins touchés. J. Andrian l’explique par la persistance

d’une forte structuration des réseaux familiaux (la cohabitation à trois

générations y est encore pratiquée, la personne âgée y a conservé son statut

social et y est respectée). Les suicides par pendaisons et chutes deviennent

plus importants aux âges élevés (de 65 à 94 ans), tandis que ceux par noyades,

intoxications et armes à feu tendent à régresser.

Tous les experts soulignent la violence des moyens de suicide chez les

plus âgés, notamment la pendaison qui constitue la méthode la plus utilisée

chez les hommes comme chez les femmes à partir de 65 ans. Par ailleurs, des

écrits plus anciens (Lemperière, Julien, 1972 cités

Page 70: Mémoire

70

par Duret, 1998). ajoutent que les personnes âgées préparent froidement,

minutieusement, « rationnellement » leur suicide. Cependant, cette hypothèse

autour de la préparation méticuleuse du suicide demanderait à être vérifiée à

la lumière des données actualisées.

Cette radicalité dans les moyens utilisés explique le taux élevé de

réussite des actes suicidaires des personnes âgées, à l’inverse des jeunes chez

qui les tentatives de suicide sont prédominantes. Le rapport numérique entre

les deux conduites suicidaires tend donc à se réduire à mesure de l’avance en

âge. De plus, il est vrai que les conséquences d’une tentative suicidaire -même

limitée et maladroite- sont souvent plus graves chez le sujet âgé, dans la

mesure où l’acte est commis sur un corps vieillissant, un organisme affaibli,

fragilisé qui résiste moins bien à l’agression. Ainsi, des études cliniques

indiquent que lorsque les médicaments toxiques sont utilisés, les troubles

métaboliques sont plus sérieux et se corrigent moins aisément que chez les

personnes jeunes.

La majorité des auteurs s’accordent sur le fait que l’efficacité des

méthodes utilisées par les personnes âgées traduit leur motivation profonde et

leur forte détermination à mourir . On ne peut toutefois manquer de signaler

qu’une minorité de spécialistes nuancent ce type d’interprétation. A l’instar de

J-L. Pedinielli (1985), ces derniers estiment que la plus grande réussite des

gestes suicidaires chez les personnes âgées ne signifie pas automatiquement

que l’intention suicidaire est plus forte chez tous les sujets.

Page 71: Mémoire

71

2. LES INTERPRETATIONS DU SUICIDE DES PERSONNES

AGEES

Dans la mesure où cette partie fait l’objet d’un développement assez

important, nous avons choisi de présenter l’étiologie du suicide des personnes

âgées en deux temps. Dans un premier point, nous avons rassemblé les

explications relevant des sciences biomédicales (de la psychiatrie et de la

gériatrie essentiellement). Dans un second point, sont regroupées les

interprétations relevant des sciences humaines et sociales (notamment de la

sociologie et de la psychologie). Cette classification, certes très artificielle et

arbitraire, n’a été retenue que pour faciliter et clarifier la présentation du

présent document. Elle ne doit en aucun cas contribuer à masquer la

complexité du phénomène étudié.

L’interprétation du suicide des personnes âgées renvoie bien à un

enchevêtrement de causes multiples et diverses (psychiques, biologiques,

sociales, etc.)

2.1- Les explications à dominante biomédicale

Une interprétation qui passe par la catégorisation préalable : du suicide

« rationnel » au « syndrome de glissement »

La revue de la littérature psychiatrique et gériatrique axée sur la

question du suicide des personnes âgées fait ressortir la volonté de

Page 72: Mémoire

72

catégorisation du phénomène chez de tels La conséquence étant que les

suicidants âgés apparaissent comme des sujets dépourvus d’antécédents

suicidaires. L’acte suicidaire chez la personne âgée possède un caractère très

brutal .

Dans ce contexte, émerge toute une série de typologies des suicides chez le

sujet âgé. Toutefois, un critère commun de classification se dégage de cet

ensemble hétérogène : la conscience (et son corollaire : l’inconscience).

Ainsi, la première grande catégorie de suicides est celle des conduites

suicidaires conscientes. Elle regroupe les suicides et les tentatives de suicide

qui mettent en jeu la vie et ce clairement, pour l’entourage comme pour la

personne âgée, quelles que soient les motivations qui sous-tendent les

conduites.

Dans cette première catégorie, on peut citer l’exemple du « suicide

rationnel ». Certains évoquent en effet l’existence d’un suicide « rationnel », «

philosophique » ou bien encore « euthanasique ». Des personnes connues (du

spectacle, de la politique, etc.) ont ainsi mis fin à leur jour, certaines gagnées

par la maladie, d’où l’emploi de ce terme de suicide euthanasique, d’autres,

saines de corps et d’esprit, commettant parfois en couple ce geste

suicidaire, en « prévention » de ce qu’ils imaginaient ne pouvoir supporter du

vieillissement.

Appréhender le suicide sous cette optique, c’est envisager une certaine

liberté offerte à l’homme, qui assoit alors son geste sur une conception

Page 73: Mémoire

73

existentielle, faisant reposer sa décision sur un jugement réfléchi de la

situation.

Or, pour L. Duret (1998) il s’agit là d’une particularité des conduites

suicidaires du sujet âgé de pouvoir être envisagées par autrui comme étant

rationnelles. Nul ne songerait à évoquer cette question en ce qui concerne le

suicide des adolescents, ce qui, une fois de plus, renvoie à une conception très

déficitaire de la vieillesse. L’auteur s’interroge également sur la réalité de la

liberté de choix qui est censée prévaloir dans cette conception du suicide

rationnel : « Quand toutes les pensées du sujet âgé ne l’orientent plus que vers

un seul et unique but qui est celui d’abréger sa vie, quelle est la liberté ? ».

La seconde grande catégorie, celle des conduites suicidaires

inconscientes (encore nommées « équivalents suicidaires »), concerne les

conduites dont la signification semble beaucoup plus ambiguë, dans la mesure

où l’aspect suicidaire de la conduite n’est ni évident, ni manifeste pour le sujet

comme pour l’entourage. Pour Tessier et al. (1989), il s’agit d’un

comportement qui met en jeu la vie d’un individu chez lequel le désir de mort

n’est pas exprimé.

Dans cette catégorie, on peut citer l’équivalent suicidaire lié au «

syndrome de glissement ». Chez les personnes très âgées, le décès consécutif

à un syndrome de glissement (encore nommé « état régressif aigu ») est

fréquent. Le syndrome de glissement correspond à une perte de l’élan vital

avec refus d’alimentation et des traitements, dégradation très rapide de l’état

Page 74: Mémoire

74

général conduisant en très peu de temps au décès. Ce comportement

suicidaire, que l’on peut caractériser de «silencieux » ou de « passif » n’est

jamais comptabilisé comme tel dans les statistiques du suicide.

Pour certains, comme Wolmark (1984), ces signes traduisent souvent

l’évolution d’une dépression qui n’a pas trouvé à s’exprimer ou à être

entendue. Pour le même auteur, cette conduite permet en quelque sorte de

prouver sa propre existence.

Y. Pelicier (1986) propose quant à lui, une taxinomie des suicides du

sujet âgé, précisant cependant qu’aucune des catégories recensées n’est

exclusive et que bien souvent les conditions se trouvent mêlées. Quatre «

types « sont ainsi décrits en fonction de leurs significations :

1°) Le suicide, pour éviter de mourir

Il traduit essentiellement la peur de « mourir vivant », par petits

morceaux, en subissant impuissant, la dégradation, la déchéance, la

dépendance. C’est une mort brutale, rapide et authentique qui est ainsi

recherchée. Cette peur d’un mourir qui se prolongerait est alimentée par les

progrès de la science, et la crainte de devenir « une pauvre chose hérissée de

tubes » qui s’arrêterait un jour dans l’indifférence générale.

2°) Le suicide de constatation

Il résulte de l’évaluation que le sujet âgé fait de sa situation dans son

milieu et de l’interprétation qu’il fait des messages qu’il reçoit de ce dernier,

ou de son absence de messages. Interprétations renforçant souvent les indices

Page 75: Mémoire

75

mortifères que le sujet âgé a pu percevoir dans son environnement et facilitant

ainsi le passage à l’acte. C’est parfois même l’impression d’une « permission

de mourir » que le sujet vieillissant perçoit.

3°) Le suicide d’effroi

Il constitue une fuite devant une situation de menace directe ou raptus

anxieux par débordement des capacités de contrôle de l’individu. Cette forme

de suicide ne paraît pas très spécifique au sujet âgé. Ce qui peut l’être, c’est la

situation capable de générer de l’effroi, qui, chez un vieillard fragilisé, peut

être représentée par une situation relativement banale.

4°) Le suicide de deuil

Il serait la conclusion de l’ensemble des deuils à effectuer et des

renoncements à faire, sans pour autant qu’il y ait état mélancolique.

La maladie, le handicap et la douleur : les effets de la chronicité

Certains signalent qu’aux âges élevés de la vie, le suicide peut être lié

au refus de la douleur ou de la dépendance dues aux pathologies chroniques.

La survenue de la maladie peut créer un facteur d’aggravation venant

s’ajouter aux deuils, ruptures familiales, apportant au vieillard une perception

de déchéance (Andrian, 1991).

L’affaiblissement du corps, les diminutions auditives et visuelles, les

limitations de possibilités de déplacement par atteinte ostéo-articulaire

s’aggravent de maladies plus invalidantes (cardiovasculaires, pulmonaires,

neurologiques, etc.). Ces atteintes physiques peuvent réduire le périmètre

Page 76: Mémoire

76

d’action et de vie jusqu’au confinement à la chambre et à la grabation, et

conduire à une situation de désespérance qui aboutit à un état dépressif.

Cependant, selon A. Hantouche (1989), la relation entre le suicide et la

présence d’une affection somatique est difficile à analyser. Les cas dans

lesquels le suicide a été adopté pour se soulager d’une maladie sévère

demeurent exceptionnels. Le schéma classique correspond à un trouble

physique chronique, de sévérité modérée, ayant subi une aggravation récente

ou interagit avec un trouble préexistant ou secondaire (douleur, handicap

fonctionnel).

De la même façon, la douleur physique n’entraînerait pas, le plus

souvent de réactions auto lytiques. Pourtant, signe d’une perte d’intégrité

corporelle, elle peut être à l’origine d’une telle conduite, surtout lorsqu’elle

devient intolérable ou se prolonge indéfiniment (Andrian, 1988, 1991).

De plus, le stress d’une sortie récente d’une hospitalisation peut être

relié soit à une accentuation du vécu de désespoir (en cas de persistance de

plaintes somatiques. Retour dans la solitude redoutée par le patient, soit au

sentiment d’être affligé par l’hospitalisation. La peur d’une hospitalisation

proposée par le médecin peut aussi constituer un facteur déclenchant du

suicide chez les personnes âgées.

Enfin, selon certains (Andrian, 1998, 1991) le sujet âgé se tue parfois

en prévision de toutes ces atteintes : c’est la fuite anticipée, la peur de «

mourir vivant », c’est-à-dire par petits morceaux, avec une déchéance

Page 77: Mémoire

77

physique ou psychique accompagnée d’une lente dégradation (Pelicier, 1986).

On est alors en présence du suicide « euthanasique » (évoqué auparavant) où

pour des raisons diverses, ce qui est recherché, c’est le passage direct à ce que

le sujet considère comme une mort authentique.

La crise du vieillissement et les ratés du travail du vieillir

Pour de nombreux psychiatres (Pedinielli et al. 1985 ; Léger et al., 1987

; Boiffin 1982), le suicide des personnes âgées s’explique en référence à une «

crise existentielle », en l’occurrence la « crise du vieillissement », et à

l’évolution du « travail du vieillir9 » .

Il s’agit d’une crise qui marque l’impossibilité de trouver une réponse

adaptative immédiate à une modification de son milieu de vie. La recherche

volontaire de l’échéance finale constituerait ainsi un moyen d’abréger

l’attente intolérable d’un avenir inquiétant -et inévitable- marqué par la

souffrance, la diminution progressive et la mort ; paradoxalement, le sujet âgé

provoquerait ce qu’il redoute le plus. Cette nécessité d’accepter l’idée de sa

mort prochaine s’impose de façon de plus en plus forte au fil de l’avance en

âge. La personne âgée doit donc s’engager dans ce travail du vieillir, travail

difficile et douloureux.

Or, selon Pedinielli et al. (1985), c’est dans les « ratés » du travail du

vieillir qu’il faut rechercher les conditions possibles à l’acte suicidaire. En

fait, chacune des étapes qui constituent le travail du vieillissement peut être

mise en échec, soit par l’âgé lui-même, à qui certains renoncements semblent

Page 78: Mémoire

78

impossibles, soit par la défaillance de l’entourage qui rend trop difficiles

certains renoncements.

Une partie du travail du vieillir consiste d’une part à reconnaître les

modifications psychiques, physiques et sociales, à les accepter, mais aussi à

retrouver dans un nouvel équilibre des investissements une source d’estime de

soi. Or, il peut arriver que certaines personnes âgées

parviennent à éviter ce douloureux travail, qui est finalement le travail du

deuil ou de remaniement de leur propre image. C’est dans ce blocage du

travail du deuil de ce que l’on a été que se trouve la dynamique suicidaire

(Pedinielli et al. 1987). La personne âgée se suicide ou risque de se suicider

parce qu’il lui est impossible de renoncer à l’idéal de ce qu’elle était.

La dépression : un facteur de risque mal connu

La place de la maladie mentale dans le suicide des personnes âgées est

difficile à estimer car dans de nombreux cas, on ne trouve aucun antécédent

psychiatrique (Léger et al., 1987). En fait, les conduites suicidaires du sujet

âgé surviendraient le plus souvent en dehors d’une pathologie mentale notoire

(Duret, 1998). Par ailleurs, il est vrai que la question du lien éventuel entre le

suicide et la pathologie mentale se pose en dehors même du contexte de l’âge

(Vedrinne, 1987). Par contre, les experts sont unanimes pour affirmer que la

dépression constitue un important facteur de risque suicidaire chez les

personnes âgées. De ce point de vue, la fréquence de la Expression forgée en

analogie avec celle du « travail de deuil ». Durant, cette période de sa vie, la

Page 79: Mémoire

79

personne âgée fait face à un certain nombre de pertes (rôle social, aspect

physique, santé, êtres chers, etc.).

La dépression chez les sujets âgés peut expliquer la prévalence du

suicide dans ce même groupe.

Ainsi, 80% des gestes suicidaires de la personne âgée surviendraient

dans un contexte de pathologie dépressive (De Leo et al., 2001)

Le plus fréquemment, il s’agit d’une dépression « masquée » (par des plaintes

algiques ou fonctionnelles), modérée, non évidente et non inquiétante pour

l’entourage ou le médecin généraliste. Ce tableau conduit bien souvent à sous-

diagnotiquer et donc à ne pas traiter la dépression chez la personne âgée.

Ainsi, dans la plupart des cas, les personnes âgées ayant commis un geste

suicidaire ont vu leur médecin traitant dans le mois précédent ce geste, mais

seulement 12% des suicidés avaient un traitement antidépresseur. D’ailleurs,

la découverte même du phénomène dépressif chez le sujet âgé est très récente

(Walter, Labouret, 1995).

Cependant, il semble que la dépression s’avère insuffisante pour

recouvrir tous les cas de suicide, puisque tous les suicidés ne sont pas

déprimés lors du passage à l’acte (Hantouche, 1989).

2.2- Les explications à dominante sociologique

Le passage à la retraite : source de dévalorisation chez les hommes (les

effets d’âge et de sexe - 1)

Page 80: Mémoire

80

La mise à la retraite, surtout quand elle est brutalement imposée par des

impératifs économiques, peut apparaître comme le premier acte d’un déclin.

De nombreux auteurs montrent, à l’instar de J. Andrian (1988, 1991), que ce

phénomène est, en général, vivement ressenti par les hommes.

Alors qu’il avait été valorisé par son travail, le retraité se voit

brusquement privé de cet objet.

Il a le sentiment d’être dépossédé de son rôle social, en même temps

qu’il perd son statut de sujet productif, que ses relations se réduisent.

L’espace des loisirs semble insuffisant à combler le vide créé par les pertes

d’occupations professionnelles dans lesquelles il est totalement investi ;

l’éloignement, la solitude, les deuils pénibles, la diminution des ressources

financières vont alors renforcer la désocialisation et la marginalisation sociale.

Certains évoquent alors une véritable « régression sociale »10 (Brun,

1991b).

De plus, après le départ à la retraite, l’équilibre conjugal se trouve

modifié ; d’un état d’absence-présence, scandé par les jours ouvrables, le

couple passe à la présence continue. Le tête-à-tête peut alors devenir un face-

à-face tendu.

L’emprise plus importante du pouvoir de décision de la femme peut

déboucher sur l’instauration d’un état de dépendance. Cette situation permet

également de comprendre en quoi le veuvage constitue un facteur de risque

plus important chez les hommes que chez les femmes (cf. supra).

Page 81: Mémoire

81

C’est également au moment du passage à la retraite que chacun fait le

bilan de sa vie et débute son travail de vieillir. Conserver une bonne estime de

soi et évaluer de manière positive son passé constitue un élément fondamental

de l’équilibre mental et affectif, d’autant qu’à cet âge le futur se rétrécit et que

l’avenir s’engage de moins en moins sous forme de projets. Cette notion de «

perte » implique un travail nécessaire de deuil. En ce sens, le suicidant âgé

serait un sujet bloqué dans un insupportable travail de remaniement de son

être passé.

Le veuvage : un autre facteur de risque masculin (les effets d’âge et de

sexe)

Le décès du conjoint et le veuvage sont responsables de nombreux

suicides de personnes âgées. Le risque le plus élevé se situerait au cours de la

première année de veuvage, et devient plus rare à mesure que le deuil est plus

ancien (Thierry, 1999, 2000). Toutefois, il apparaît que l’homme accepte plus

difficilement le veuvage que la femme : au fil de l’avance en âge, les suicides

des veufs12 sont plus nombreux que les suicides des veuves (jusqu’à sept fois

plus fréquents après 75 ans).

Interprétant cette plus grande difficulté des hommes face à la perte de la

conjointe, J.Andrian (1988, 1991) indique que la disparition de celle-ci donne

à l’époux le sentiment d’être un « orphelin », d’avoir perdu non seulement

une épouse, mais aussi une mère attentive qui veillait sur sa santé et

s’adonnait, sans partage, à la gestion des activités domestiques. Dans ce

Page 82: Mémoire

82

contexte, la mort de l’autre produit un véritable ravage psychologique : c’est

la disparition du dernier recours et aussi la brutale confrontation à sa propre

mort, parfois niée. Non seulement la prochaine mort sera la sienne, mais le

sujet se retrouve seul pour l’appréhender.

Par ailleurs, l’homme était plus orienté vers son univers professionnel

et ses pairs, alors que la femme assure la continuité intergénérationnelle

familiale. La femme est toujours liée avec plus de force que l’homme à la

famille dont elle est issue et elle maintient souvent mieux que celui-ci les

liens avec sa descendance. Pour certains sociologues, cette inflexion «

matrilatérale » aurait une origine industrielle et ouvrière ; pour d’autres, en

revanche, elle serait liée à la persistance de la différenciation sexuelle des

rôles conjugaux. Cette « matrilinéarité » favoriserait ainsi une meilleure

intégration de la femme à son milieu domestique. Cette constatation est aussi

valable pour les femmes célibataires, veuves ou divorcées. La permanence des

rôles féminins constituant un continuum, y compris la routine domestique,

pour les plus âgées en particulier.

Il ressort de ces analyses que la disparition de la conjointe peut

entraîner la réduction du tissu relationnel dans lequel le couple était inséré,

notamment celui lié à la descendance. Cette 10 Le même auteur s’interroge

très justement sur le maintien (ou pas) dans l’avenir de cette différenciation

entre les hommes et les femmes, du fait de l’augmentation de l’activité

féminine et de l’évolution du statut des individus au sein de la famille.

Page 83: Mémoire

83

A la veille de leur mise en inactivité, de nombreux salariés

quinquagénaires craignent effectivement une complication de leurs relations

conjugales, voire même pour un petit nombre leur dégradation conflictuelle ,

suivis des décès des célibataires, des divorcés et enfin des hommes mariés

lesquels se suicident cinq fois moins que les veufs notion de « réseau de

relations » est effectivement déterminante. On note ainsi que le cadre dans

lequel vit le conjoint survivant est essentiel. Si celui-ci est très entouré et

possède un réseau relationnel important, il est plus épargné que celui qui vit

seul. A. Noël (1982) indique que le taux de suicide parmi les veufs est trois

plus élevé lorsqu’ils vivent seuls que lorsqu’ils vivent avec quelqu’un.

D’autres signalent que l’absence de descendance constitue également une

situation à risque par l’absence d’un étai familial, ce que Durkheim nommait

le « coefficient familial de préservation » Globalement, le mariage paraît donc

être un facteur de protection contre le suicide, car il est un facteur de

protection contre l’isolement, un facteur de maintien d’un lien relationnel, et

surtout affectif. On note également que les couples mariés parviennent

souvent à retarder la rupture que constitue l’entrée en institution de l’un des

deux conjoints. Enfin, quand il y a dépendance, elle est celle d’un conjoint

pour l’autre, ce qui apparaît moins difficile, en tous cas sur le plan

symbolique que la dépendance aux enfants, pour les hommes tout au moins

fait pourtant apparaître un affaiblissement du rôle protecteur du mariage dans

la population générale, en lien avec la réduction de leur nombre et de leur

Page 84: Mémoire

84

durée et l’augmentation des risques de rupture. Cette évolution concerne

essentiellement les hommes et les femmes qui ont moins de 45 ans. Dans la

tranche d’âge 45-74 ans, on n’observe pas de changement sensible. Par

contre, les personnes de 75 ans et plus semblent mieux protégées aujourd’hui

par le mariage que dans le passé. Cependant, avec le déclin de la cohabitation

entre générations, la proportion de vieilles gens de 75 ans ou plus vivant

seules s’est accrue jusqu’à ces dernières années.

Quoiqu’il en soit, il faut retenir que c’est bien le réseau relationnel que

l’on a constitué au sein de sa famille et à l’extérieur qui est important.

L’absence d’un tel réseau, lorsqu’il est subi, peut entraîner l’isolement ou un

sentiment de solitude, qui sont deux éléments que l’on retrouve souvent

lorsque l’on tente de trouver des significations à l’acte suicidaire (cf.

développement suivant).

L’isolement subi : un contexte déterminant mieux supporté par les

femmes (les effets d’âge et de sexe – 3)

La solitude est un facteur essentiel pour comprendre le suicide en

général, et celui des personnes âgées en particulier.

Le fait de vivre seul, non entouré, est un facteur aggravant. De tous les

facteurs évoqués, ce sont sans doute la solitude, l’isolement, l’abandon,

l’impression de ne plus être utile, ni aimé, qui jouent le rôle le plus important,

au moins dans les dires des suicidants âgés .

Page 85: Mémoire

85

Il est important d’opérer la distinction entre la solitude recherchée (qui

permet de se retrouver et de se donner des forces pour reprendre la relation

avec autrui) et la solitude subie, triste et amère, qui résulte de l’abandon, du

rejet, de l’oubli.

A mesure que l’état de santé se dégrade avec l’avance en âge,

l’impression de solitude et d’abandon est plus durement ressentie, notamment

chez les hommes. Durkheim (1897) avait déjà insisté sur le rôle protecteur de

la famille, notamment du groupe parents-enfants.

Plus que le couple conjugal, c’est la densité de la famille -déterminée

par le nombre d’enfants- qui offre ce caractère protecteur.

Cette situation est rendue plus pénible quand viennent s’y s’ajouter

le(s) deuil(s) et l’absence des enfants retenus au loin pour des obligations

professionnelles : la cohabitation des enfants avec leurs ascendants tendant

effectivement à régresser. De ce point de vue, l’analyse des motivations du

suicide n’est jamais facile. Il y a l’événement (un deuil), la situation

(isolement, maladie), mais il y a la façon dont sont vécus l’événement et la

situation : culpabilité, frustration, revendication agressive, tout peut exister

dans la conscience du suicidant sans qu’on soit en droit d’affirmer détenir

ainsi la clé d’une stratégie limite, celle de la mort .

A côté de ces diverses raisons d’être seul(e), il y a aussi le rejet qui

suppose une attitude active marquée par une hostilité plus ou moins franche

envers la personne âgée (indifférence, mise à l’écart, etc.).

Page 86: Mémoire

86

Bien que les femmes soient plus nombreuses à vivre isolées (du fait de

la surmortalité masculine), elles semblent mieux s’adapter à ce type de

situation que leurs homologues masculins (cf. remarques au sujet du

veuvage).

Les établissements, lieux de risque ou de protection ? : des effets très mal

connus

Comme le signale très justement N. Brun (1991a), il n’existe aucune

statistique nationale sur le phénomène suicidaire en institution. L’auteur émet

plusieurs hypothèses pour expliquer cette situation. Tout d’abord, on peut

penser que certains établissements hésitent à faire apparaître la mention

suicide dans leurs déclarations de décès.

D’une part, par la peur d’une enquête de police ou de gendarmerie ou

du représentant de l’administration, ressentie sur un mode inquisitorial (les

policiers, et les gendarmes voyant parfois d’un mauvais oeil un suicide dans

un établissement, considérant que cela puisse être le résultat d’un défaut de

surveillance ou d’un mauvais traitement). Cette procédure tendant aussi à

renforcer le sentiment de culpabilité que peut éprouver le personnel (de plus,

la responsabilité du personnel peut être engagée, ce qui n’incite pas celui-ci à

déclarer les suicide). D’autre part, la mauvaise image de marque que peut

entraîner un tel événement, peut également être un facteur incitant certains

établissements à dissimuler le suicide. Enfin, un suicide peut pénaliser les

établissements les plus performants, ayant mis en place une réglementation

Page 87: Mémoire

87

plus simple, une ouverture sur l’extérieur, une architecture plus originale. Un

suicide peut remettre en cause toutes ces améliorations.

Finalement sur la problématique du suicide des personnes en

institution, nous ne disposons que d’études très ponctuelles et limitées à un

seul établissement.

Parmi ces rares études, nous pouvons évoquer celle menée par une

équipe de psychiatres (Franc et al., 1993) dans le département de la Haute-

Garonne. Les auteurs soulignent que le taux de suicide des personnes âgées de

plus de 65 ans est beaucoup plus élevé quand elles vivent en maison de

retraite (51,3 pour 100 000) que dans la population générale (18 pour 100

000). Les psychiatres en concluent que l’on se suicide près de 3 fois plus en

vivant en maison de retraite qu’en vivant à son domicile.

Pourtant, une observation menée durant onze années en long et moyen

séjour par E. Mournetas (1994) ne retrouve que trois cas de suicide de

personnes âgées. Pour l’auteur, les unités d’hospitalisation gériatriques

apparaissent donc avoir un rôle protecteur vis-à-vis du suicide de l’âgé.

Comment interpréter ces conclusions si opposées, qui font tantôt

apparaître l’institution comme lieu de risque, tantôt comme lieu de protection

vis-à-vis du suicide ? Pour L. Duret (1998), ces différences sont imputables à

la nature des lieux investigués. Pour cette psychiatre, les unités de long et

moyen séjour étant des unités médicalisées, il est probable que la présence

infirmière et médicale, la possibilité de trouver un interlocuteur et les soins

Page 88: Mémoire

88

délivrés au corps y constituent un rempart contre le suicide. Selon le même

auteur, les unités de séjour prolongé représenteraient des lieux dans lesquels «

on réfléchit » à l’avenir de la personne âgée, où l’on envisage le plus souvent

avec elle les possibilités ou non de retour à domicile, bref un lieu où existe

encore une centaine dynamique. La maison de retraite est a priori le dernier

domicile, pas toujours choisi ni désiré par la personne âgée, et c’est bien

souvent un lieu situé à l’écart, où l’attente constitue la principale activité.

En fait, pour l’auteur, c’est probablement plus les conditions

d’institutionnalisation défavorables qui accroissent les risques suicidaires,

plus que l’institutionnalisation en elle-même.

Ces conditions représentent un facteur de décompensation suicidaire,

par la rupture qu’elles impliquent dans l’histoire du sujet. Sujet qui doit

s’adapter brutalement à un nouvel environnement, à un nouveau modèle, en

même temps qu’il perd ses ancrages affectifs et relationnels et qu’il doit faire

le deuil de son projet de fin de vie. C’est en effet, au cours du premier mois

d’hospitalisation que les risques sont les plus élevés, parce que les difficultés

d’adaptation s’opposent encore à l’apparition d’une certaine passivité dans les

comportements de la plupart des sujets âgés en structures gériatriques.

De plus, N. Brun (1991a) ajoute que la personne âgée peut avoir une

image négative de l’institution. Ces personnes ont parfois vu l’un de leurs

parents dans un hospice-mouroir, ou en ont entendu parler et peuvent craindre

d’entrer dans ce genre d’établissement.

Page 89: Mémoire

89

Les résultats d’une troisième enquête (menée dans un ensemble

gériatrique de 450 lits) permettent de préciser les caractéristiques du suicide

en institution (Graux et al., 1981). En fait, il apparaît que celles-ci sont

relativement proches de celles de l’ensemble des suicides (notamment dans sa

brutalité). Toutefois, il est rapporté que plus fréquemment, le suicide du

sujet âgé en institution résulte d’un état dépressif, le plus souvent réactionnel

à l’isolement, notamment à la disparition du conjoint. Par ailleurs, les auteurs

notent que les tentatives de suicide ayant échoué sont plus fréquentes du fait

que la personne est plus surveillée et que l’aide et les soins qu’elle peut

recevoir à la suite d’un passage à l’acte sont sans doute plus rapides et plus

efficaces. Enfin, les auteurs notent que les personnes âgées vivant en

institution peuvent difficilement recourir aux médicaments, lesquels sont

contrôlés par les infirmières. Les moyens utilisés sont alors ceux qui sont « à

la portée de la main » (la pendaison -avec une ceinture ou un cordon de rideau

par exemple- étant alors la méthode la plus utilisée).

Des inégalités sociales face au travail du vieillir?

(les effets d’âge et de capital socioéconomique)

P. Surault (1997) met en évidence une relation inverse entre le statut

social et la mortalité masculine : la fréquence des décès par suicide est la plus

forte dans les milieux sociaux les moins favorisés, mais aussi chez les

agriculteurs15, et la plus faible dans les catégories du haut de la hiérarchie

sociale. L. Chauvel (1998) précise que le taux de suicide pour les employés et

Page 90: Mémoire

90

les ouvriers peut être estimé de 4 à 6 fois plus élevé que pour les cadres et

professions.

La rupture biographique consécutive à l’entrée en institution, la

nécessité d’adaptation brutale à un nouvel environnement, ainsi que la perte

des habitudes relationnelles et affectives font que 30 à 40% des personnes

âgées entrant en institution seraient dépressives (Thomas, 2001).

Sur le suicide dans le monde agricole et rural, voir J. Andrian «

L’évolution de la société rurale… et de la sociologie du suicide » (1988, pp.

136-137). L’auteur évoque la situation des agriculteurs et des salariés

agricoles, considérés comme la catégorie la plus défavorisée du monde rural

et la plus grande victime de la solitude (les migrations féminines vers les

villes ayant contraints ces hommes -surtout les plus âgés- au célibat).

Ces constations expliqueraient en partie, la surmortalité bretonne par suicide.

Comme les autres causes de décès (à l’exception du Sida), le suicide

contribue à une inégalité sociale devant la mort.

Le sacrifice d’une petite quantité d’existence (les effets d’âge et de capital

de vie)

L. Chauvel (1997) souligne que l’explication la plus fréquente du lien entre

suicide et âge considère l’âge (ou plus exactement la jeunesse) comme un

capital de temps, une source de potentialités, donc d’espoir, qui s’érode peu à

peu au cours du vieillissement ; de ce fait, à mesure qu’approche la mort

naturelle, le risque de suicide croît aussi. Le vieillissement confronte

Page 91: Mémoire

91

l’individu à son déclin, à la marginalité sociale et économique, à la maladie, à

la pénibilité croissante de la vie corporelle, mais aussi relationnelle,

conduisant à la dévalorisation de la quantité d’existence restant à parcourir.

S’inscrivant dans ce type d’approche, C. Baudelot et R. Establet (1984)

proposent une interprétation, dans le style durkheimien, en termes

d’espérance de vie. Celle-ci consiste à compter l’âge d’un homme à partir de

sa mort ou du moins de la date socialement probable de sa mort (et non à

partir de sa naissance).

Dans cette perspective, le sexagénaire qui se suicide n’apparaîtra plus

accablé par le poids physique et social des ans, il aura simplement

« abrégé son existence ». Un adolescent et un sexagénaire ne sacrifient pas la

même « quantité d’existence ». Si donc l’on se tue plus facilement quand on

est plus âgé, ce ne serait pas parce que la vie pèse davantage, mais parce que

le sacrifice à faire serait plus léger.

De ce point de vue, on peut supposer que le suicide des personnes les

plus âgées est communément représenté et vécu comme un acte « raisonnable

» parce qu’il sacrifie justement moins de « quantité d’existence ». De plus, si

le suicide des personnes âgées reste nettement en première place par classes

d’âge, la faible part qu’il représente dans les décès (1%) contribue peut-être à

la faiblesse de sa prise en considération par les médias et l’opinion publique et

par les pouvoirs publics eux-mêmes. Aussi, le suicide des jeunes, même s’il

Page 92: Mémoire

92

est moins fréquent en pourcentage, choque bien plus que celui des vieux

(Pennec, 1998).

Le modèle AGP (la conjugaison des effets d’âge, de génération et de

période)

P. Surault (1995) a réalisé une approche longitudinale des taux de

mortalité par suicide par groupe de générations (nées de 1886-1890 à 1936-

1940) selon le groupe d’âges (de 40-44 ans à 85 ans). Celle-ci permet de

suivre dans différentes générations, l’évolution du suicide avec l’âge et de

mettre en évidence des variations significatives de comportement d’un groupe

de générations à un autre à un âge donné.

Pour les hommes, cette approche longitudinale met en évidence deux

constats. D’une part, l’évolution du suicide avec l’avance en âge est

relativement proche d’une génération à l’autre.

L. Chauvel (1997) ajoute qu’elle l’est aussi d’une période à l’autre.

D’autre part, une augmentation des suicides semble être intervenue parmi les

générations de l’après-guerre (celles du baby boom). La hausse du taux de

suicide a commencé à se manifester dans les années 60 chez les jeunes, puis

dans les tranches d’âge ultérieures au fur et à mesure de l’avancement en âge

de ces générations. Cette croissance peut avoir deux causes (elles-mêmes

conjointes) : elle constitue un effet de génération et/ou un effet de période. P.

Surault (1995) explique cette progression par les difficultés particulières

vécues par cette génération au cours de la période 1960-1985. L. Chauvel

Page 93: Mémoire

93

(1997) poursuit cette réflexion en passant en revue les différents indicateurs

économiques et sociaux (défavorables) qui témoignent de ces difficultés,

comme la progression du chômage des jeunes et celle du licenciement des

plus âgés, etc. Par ailleurs, l’évolution forte des normes, de la culture et des

valeurs dans le sens d’un encadrement social moindre, l’affaiblissement des

pratiques religieuses et la fragilisation des liens matrimoniaux conduiraient au

développement du suicide, du fait d’une moindre intégration sociale

(notamment familiale). Pour P. Surault (1995), si cet effet de génération se

maintient, il est probable que l’augmentation se manifeste sur les tranches

d’âge de 50 à 70 ans dans les deux décennies à venir. Chez les femmes, les

observations amènent à conclure que leurs tendances suicidaires ont présenté

une grande sensibilité aux effets propres de la période 1975-1985 (crise

sociale et économique, déstructurations familiales, forte progression du

chômage féminin accompagnant une entrée croissante dans l’activité

professionnelle salariée, bouleversement des normes et valeurs traditionnelles,

etc.).

Pour les deux sexes, on constate une rupture au milieu des années 80 :

on assiste à une diminution des taux avec l’avance en âge pour presque toutes

les générations et tous les âges.

Ce renversement de tendance paraît également dû à un effet de période.

Il s’expliquerait par le renforcement des liens familiaux et des valeurs

Page 94: Mémoire

94

familiales durant cette période (entraînant par là même un renforcement du

rôle protecteur de la famille face au suicide).

Complétant l’étude de P. Surault, L.Chauvel (1997) dégage deux autres

constats intéressants.

Les individus nés avant 1910 connaissaient un taux de suicide

significativement plus élevé comparé à celui des autres cohortes. Il s’agit des

individus qui avaient plus de 35 ans à la Libération et qui ont tous connu la

première guerre mondiale, les privations de l’entre-deux guerres, et la

deuxième guerre mondiale. Le traumatisme collectif les conduirait à

conserver toute leur vie un certain tempérament suicidaire.

Les cohortes nées entre les deux guerres , connaissent quant à elles un

taux de suicide situé bien en dessous de la moyenne. Cette génération

intermédiaire qui a fait la reconstruction, a vécu aussi un modèle familial

d’une extrême stabilité, une fécondité élevée, un faible célibat, et fut

parfaitement intégrée dans le monde du travail ; son sous-suicide serait le fait

d’une parfaite intégration sociale. Ces analyses sont confirmées par J. Andrian

(1999), qui décrit cette génération comme celle de retraités restés

dynamiques, actifs, en meilleure santé grâce aux progrès de la médecine. Elle

bénéficie d’une expérience de vie plus longue que celle de leurs aînés et

dispose de relativement confortables acquis durant la période de plein emploi

et de progression des salaires des trente glorieuses.

Page 95: Mémoire

95

L. Chauvel tend pourtant à critiquer ce modèle Age, Génération,

Période, le considérant sociologiquement dangereux dans la mesure où celui-

ci tend à supposer ce qu’il convient d’expliquer. Il introduit alors un autre

modèle dans ses analyses : celui de la recomposition du cycle de vie.

VII- Le suicide à l’adolescence

Introduction

Une place spéciale pour la tentative de suicide (TS) à l’adolescence est-

elle justifiée ? Oui, si l’on sait que la courbe de prévalence culmine entre 15 et

19 ans dans le sexe féminin et entre 20 et 24 ans dans le sexe masculin. Oui,

aussi, si l’on tient compte de l’évolution péjorative des jeunes qui ont tenté de

se suicider à l’adolescence et des données qui montrent que l’issue fatale de la

TS - le suicide - est devenue dans certains pays la première ou la deuxième

cause de décès à cet âge. Oui, enfin, parce que cet acte s’inscrit dans une

période spécifique du développement et que ses conséquences à ce niveau-ci

sont bien plus profondes que les conséquences strictement médicales.

L’expérience nous a appris qu’à l’adolescence, sur le plan

psychologique, toute attaque de soi, surtout quand elle est effectuée dans un

état de perte de contrôle, est un indice de gravité à prendre avec le plus grand

sérieux, indépendamment des répercussions immédiates pour la santé

physique. Mais la TS, dont la véritable cause n’est toujours pas connue,

Page 96: Mémoire

96

soulève de nombreuses autres questions, de sa définition jusqu’à sa

prévention.

1-Problèmes de définition

Reconnaître une TS représente un en jeu thérapeutique important mais

soulève aussi des problèmes de définition.

Comment déterminer dans quelle catégorie ranger un abus de

médicaments ?

Ou une entaille sur les avant-bras ? En milieu hospitalier, il est fréquent

de lire, dans un même dossier, plusieurs versions descriptives et explicatives

d’une même réalité. L’interprétation des entailles sur les avant-bras, par

exemple, peut aller des « veines chatouillées » à la TS, en passant par les «

scarifications des bras » ou les « gestes auto agressifs ».

Sur quels éléments se baser pour décider s’il s’agit ou non d’une TS ?

Sur la profondeur des entailles ? Sur l’intention exprimée par le patient? Sur

l’intime conviction du soignant ? La réponse ne serait peut-être pas essentielle

si des orientations cliniques décisives ne découlaient pas de ces descriptions

comme des interprétations qu’elles engendrent.

La TS est toujours un diagnostic rétrospectif, issu d’une reconstruction

et non de l’observation : c’est lorsqu’un suicide n’a pas été fatal qu’il est

possible de dire, après coup, qu’il s’agissait d’une tentative. De ce fait, elle se

dérobe à l’étude scientifique. Il faut se résoudre à cette évidence : il n’existe

Page 97: Mémoire

97

pas de définition consensuelle de la TS qui résiste à un examen critique

approfondi.

Dans la plupart des travaux de suicidologie, l’objet de recherche n’est

qu’exceptionnellement délimité de manière claire. Les populations étudiées

sont définies laconiquement par leur statut de « suicidant » ou de « sujets

ayant fait une tentative de suicide ». Dénominateur commun bien fragile car

ce « statut » dépend d’une évaluation clinique et varie non seulement d’un

pays à l’autre mais aussi d’un examinateur à l’autre.

Cette lacune méthodologique est relevée depuis longtemps par le

groupe d’experts de l’OMS (Organisation mondiale de la santé) en charge de

l’étude multicentrique du parasuicide en Europe. Ces experts proposent une

définition à usage épidémiologique du parasuicide, terme préféré à celui de

tentative de suicide, qui est certes complexe mais qui a pour nous l’avantage

d’inclure les principaux éléments en jeu.

Pour le groupe d’experts de l’OMS, le parasuicide est « un acte à

l’issue non fatale par lequel un individu entreprend délibérément un

comportement inhabituel qui, sans l’intervention d’autrui, causera des

dommages autoinfligés; ou qui ingère délibérément une substance en quantité

supérieure à celle prescrite, ou au dosage généralement admis, et qui a pour

but d’amener, via des conséquences physiques réelles ou supposées, les

changements que le sujet désire ». Malheureusement, dans les pays

francophones, le terme de parasuicide induit d’emblée en erreur, le préfixe «

Page 98: Mémoire

98

para » étant souvent assimilé à « pseudo », ce qui renforce l’ambiguïté quant

à l’authenticité du geste et de sa signification.

Par ailleurs, une définition à usage épidémiologique n’est guère

utilisable en clinique. Les débats qui portent sur les différences de prévalence

ou la signification intrinsèque des TS reposent souvent sur l’illusion d’une

définition commune.

Indépendamment des complications liées à la définition même de la TS,

ce geste mérite des considérations particulières dès lors qu’il est envisagé

dans le contexte de l’adolescence. Ainsi, les récits des adolescents après une

TS provoquent parfois des sourires plus ou moins indulgents, ce qui contribue

à entretenir le mythe que le suicide serait un sujet sans importance à cet âge.

« J’ai voulu mourir ! ...» :

– «... pour voir qui viendrait à mon enterrement »

– «... pour que quelque chose change dans ma vie

– «... pour qu’on s’occupe enfin de moi » ;

– «... pour avoir une vie meilleure ».

Ces quelques échantillons issus de la pratique clinique situent bien la

complexité de la représentation de la mort à l’adolescence et montrent que «

mort » ne nous renvoie pas tous à une même réalité. Le concept de mort se

construit en fonction des outils cognitifs. Si l’universalité de la mort

s’acquiert vers 9-10 ans, la représentation de son irréversibilité s’élabore plus.

Page 99: Mémoire

99

VIII-SUGGETIONS et MODES D’ACTION FACE AU

SUICIDE DES PLUS AGES

A- Une prise en compte récente et globale du suicide dans les politiques

sociales et sanitaires .

Qu’il est Le programme national de prévention du suicide (1998-2000)

Dès 1992, le Conseil Economique et Social tentait de sensibiliser les

pouvoirs publics et l’opinion à la question du suicide. Dans ce but, il

soulignait le paradoxe selon lequel le suicide n’a jamais été déclaré comme

grande cause de santé publique alors que ses effets sont plus dévastateurs que

bien d’autres conduites pathologiques mises au premier plan par les pouvoirs

publics et les médias.

En 1994, le Haut Comité de Santé Publique classait le suicide au rang

des priorités de santé. Par la suite, les Conférences Régionales de Santé

identifiaient nettement le thème « suicide et dépression » comme prioritaire.

En 1996, la première Conférence Nationale de Santé retenait la prévention du

suicide comme l’une des dix priorités nationales de santé publique.

La concrétisation de la volonté de lutter contre le suicide intervient en 1998,

lorsque B. Kouchner, secrétaire d’Etat à la Santé et à l’Action Sociale,

annonce un programme national de prévention du suicide sur 3 ans (1998-

2000). Les objectifs du programme étaient les suivants :

Page 100: Mémoire

100

- Mieux connaître les données et les actions concernant la prévention du

suicide au niveau national et international.

- A partir d'une réflexion autour « d'un cas ordinaire de suicide », créer une

plate-forme de dialogue entre tous les acteurs concernés et faciliter ainsi les

échanges d'information.

- Faire apparaître toutes les initiatives prises localement sur ce thème.

- Identifier les moments cruciaux en amont de l'acte suicidaire qui ne donnent

lieu à aucun signal d'alerte afin de définir de nouvelles actions à mettre en

place.

- Evaluer les actions mises en oeuvre en matière de lutte contre le suicide, leur

efficacité, leur pertinence, afin de favoriser non seulement les actions les plus

efficaces mais aussi au regard « du parcours type du suicidant » ; de définir

les actions qui concernent le plus grand nombre de suicidants afin de choisir

les actions efficaces à généraliser, d'avoir une vision d'ensemble sur les

moments du « parcours » où il est prioritaire d'agir et où les actions ont le plus

d'impact.

Ce programme s'appuyait en priorité sur les acteurs locaux rassemblés

au sein des Programmes Régionaux de Santé sur la prévention du suicide,

coordonnés par la Direction Générale de la Santé, créant ainsi un processus

dynamique d'échange entre le niveau régional et le niveau national.

L’élaboration du programme de prévention 1998-2000 s’est fondé sur des

données épidémiologiques ; lesquelles ont permis d’évaluer l’ampleur du

Page 101: Mémoire

101

phénomène suicidaire en France. Or, ces données chiffrées ont sans doute

contribué au renforcement de la problématique du suicide des jeunes et à

l’effacement de celle du suicide des personnes âgées. Les principaux

indicateurs retenus ont été les suivants : le suicide constitue la deuxième cause

de mortalité chez les 15-24 ans et la première chez les 25-34 ; le suicide est la

troisième cause de mortalité prématurée (derrière les maladies

cardiovasculaires et les tumeurs). Il est apparu que ces indicateurs s’étaient

nettement aggravés au cours des dernières années. On peut penser que la

sélection de ces indicateurs n’était pas neutre, puisqu’elle permet justement de

centrer les politiques sur le suicide des adultes et en particulier des jeunes

adultes17. Ainsi, s’il est bien repéré que la fréquence du suicide augmente

avec l’âge, on retient plutôt le fait que celle-ci a plus fortement progressé chez

les jeunes ces dernières années.

Un document de prévention du suicide produit par l’Organisation

Mondiale de la Santé (2001) rappelle pourtant que la personne âgée de plus de

65 ans et le jeune entre 15 et 30 ans représentent les deux groupes à risque de

suicide élevé.

La stratégie française d’action face au suicide (2000-2005)

Les carences de la politique de prévention du suicide sont telles que, en

septembre 2000, D.Gillot secrétaire d’Etat à la Santé, lance un nouveau

programme de prévention pour les années 2000-2005. Les objectifs de ce

programme sont au nombre de quatre :

Page 102: Mémoire

102

- Favoriser la prévention par un dépistage accru des risques suicidaires ;

- Diminuer l’accès aux moyens mis en oeuvre pour passer à l’acte (les trains,

les armes à feu, les médicaments) ;

- Améliorer la prise en charge des personnes qui ont déjà effectué une

tentative ;

- Parfaire la connaissance épidémiologique (création d’un pôle d’observation

spécifique au suicide).

Si l’on reprend plus en détails le contenu de ces objectifs, les mesures

qui en découlent, et surtout les groupes qu’ils visent, il ressort que :

• Le dépistage des risques suicidaire est destiné aux jeunes adultes et

aux adolescents

(tranche d’âge retenue : 15-34 ans).

• L’objectif de diminution d’accès aux moyens létaux (notamment

les armes et les

médicaments) concerne l’ensemble des suicidants.

• L’amélioration de la prise en charge s’adresse surtout aux jeunes et

aux adolescents. Il est toutefois précisé que les recommandations

de l’ANAES peuvent être élargies aux autres publics (adultes et

personnes âgées), mais sans les détailler davantage.

• La progression de la connaissance épidémiologique porte sur la

population générale.

Page 103: Mémoire

103

Entre autres, il est fait référence à la nécessité de mettre en place des

indicateurs de mortalité dans les institutions. La maison de retraite apparaît à

côté de la prison, de l’hôpital psychiatrique, et de l’école.

B- Les mesures d’intervention spécifiques en faveur des

personnes âgées Des signes annonciateurs du suicide difficiles à

repérer

Les psychiatres de la conférence de consensus sur la crise suicidaire18

(ANAES, 2000) s’accordent sur le fait que chez les personnes âgées, les idées

suicidaires sont rarement dans le cadre de ce programme national de

prévention du suicide, l’Agence Nationale de L’Accréditation et de

l’Evaluation en Santé a été saisie pour élaborer des recommandations

professionnelles concernant « la prise en charge hospitalière des adolescents

après une tentative de suicide » (1998).

Aussi, lorsqu’elles le sont exprimées, elles ne doivent pas être

banalisées par l’entourage. La crise suicidaire est donc souvent peu apparente

et difficile à reconnaître. Les personnes âgées ne montrent pas leur détresse de

façon bruyante ou par une tentative de suicide.

Les manifestations de la crise peuvent comporter une attitude de repli

sur soi et de désinvestissement, un refus de s’alimenter, un manque de

communication, une perte d’intérêt pour les activités, un refus de soin et des

gestes suicidaires. Ces signes doivent faire évoquer la possibilité d’une crise

Page 104: Mémoire

104

suicidaire Le contexte de vulnérabilité peut comporter une dépression, des

maladies somatiques notamment sources de handicap et de douleur, les

conflits, le changement d’environnement.

Les premières attitudes recommandées sont les suivantes : être attentif à

la possibilité d’une dépression, envisager une souffrance somatique et une

maltraitance devant un changement comportemental.

En conséquence, la survenue d’un suicide en particulier par méthode

violente et radicale surprend et culpabilise très souvent l’entourage et même

le voisinage, parfois y compris le médecin généraliste qui prenait soin du

patient et qui n’avait pas vu venir les signes annonciateurs.

C- Le rôle déterminant du généraliste

Une récente étude (Bazin et al., 2000) fait apparaître qu’une plus

grande densité de médecins libéraux (généralistes et psychiatres) ne constitue

pas un facteur de protection face au risque suicidaire.

Si la quantité en matière d’offre médicale n’a pas valeur de protection

face au risque suicidaire, la qualité de la relation médecin-malade possède

quant à elle cette valeur.

Certains auteurs insistent sur le rôle du généraliste en matière de

prévention du suicide des personnes âgées (Hantouche, 1989 ; Boiffin, 1982).

En analysant d’une façon intelligible les différents facteurs de risque, le

médecin généraliste, peut effectivement tracer la conduite d’une approche

Page 105: Mémoire

105

préventive des comportements suicidaires parmi cette population. Les lignes

essentielles qui guident cette démarche sont les suivantes :

- Evaluer systématiquement, chez tout sujet âgé, qui vient consulter, les

facteurs de risques du suicide.

- Savoir dépister et faire le diagnostic de la dépression chez le sujet âgé.

- Appliquer les règles adéquates d’une prescription d’un traitement

antidépresseur en sachant que souvent les déprimés âgés reçoivent une

posologie réduite de peur des effets secondaires.

- Agir sur les facteurs associés susceptibles de précipiter l’acte (soigner une

affection douloureuse ou l’aggravation d’un trouble somatique).

- Surveiller les traitements antérieurement prescrits, que la personne peut

utiliser pour réaliser son acte suicidaire.

Au cours de l’année 2000, la Fédération Française de Psychiatrie a

organisé une conférence de consensus sur la prévention du suicide. Les

recommandations qui en ont résulté ont pour objectif de permettre

l’amélioration du repérage et par là même l’organisation d’une prise en

charge susceptible d’éviter ou de limiter la fréquence des passages à l’acte.

Certaines de ces recommandations concernent plus particulièrement les

personnes âgées.

- Consolider la relation médecin-malade.

Page 106: Mémoire

106

- Devant un sujet à « haut risque », favoriser le passage ou un contact avec

des structures spécialisées (unité de psychiatrie) ou des structures médico-

sociales (services sociaux, services d’aide à domicile).

La préparation de l’entrée en institution et le rôle de soignants

Quand une personne arrive en long séjour ou en établissement, une part

de ses repères s’écroule : son environnement, son identité sociale, son

autonomie financière et psychique. Dans ces conditions, les soignants

estiment qu’il leur revient de reconnaître la détresse par une attention et une

vigilance extrêmes, et de privilégier la parole (Tridon, 2001). Les

professionnels doivent aussi susciter les visites et la venue des proches, créer

des activités, admettre les animaux familiers, suggérer l’apport de petits

meubles personnels (des objets « transitionnels pouvant faciliter le passage

entre le domicile d’avant et celui du lieu de la retraite), Les psychiatres de la

conférence de consensus (ANAES, 2000) recommandent d’ailleurs

d’améliorer la formation des soignants sur la crise suicidaire et le suicide dans

le grand âge, ainsi que sur les aspects plus particuliers de la dépression, de sa

reconnaissance et de son traitement chez le sujet âgé.

Pour N. Brun (1991a), il est effectivement essentiel de préparer l’entrée

en établissement afin de permettre à la personne âgée de faire le deuil de son

mode de vie précédent et accroître ainsi ses capacités d’adaptation à ce

nouveau lieu de vie. On constate en effet que bien souvent c’est la famille ou

Page 107: Mémoire

107

le médecin qui propose l’entrée en établissement soit après une

hospitalisation, soit après un maintien à domicile dont la régulation par les

proches devient trop lourde et problématique. S. Pennec et F. Le Borgne-

Uguen (1989) confirment bien que la demande de place est rarement formulée

par la personne elle même, qui s’en remet souvent aux siens pour ces

démarches.

La préparation de l’entrée en institution et le rôle de soignants

Quand une personne arrive en long séjour ou en établissement, une part

de ses repères s’écroule : son environnement, son identité sociale, son

autonomie financière et psychique. Dans ces conditions, les soignants

estiment qu’il leur revient de reconnaître la détresse par une attention et une

vigilance extrêmes, et de privilégier la parole 2001). Les professionnels

doivent aussi susciter les visites et la venue des proches, créer des activités,

admettre les animaux familiers, suggérer l’apport de petits meubles

personnels (des objets « transitionnels pouvant faciliter le passage entre le

domicile d’avant et celui du lieu de la retraite), Les psychiatres de la

conférence de consensus (ANAES, 2000) recommandent d’ailleurs

d’améliorer la formation des soignants sur la crise suicidaire et le suicide dans

le grand âge, ainsi que sur les aspects plus particuliers de la dépression, de sa

reconnaissance et de son traitement chez le sujet âgé.

Pour N. Brun (1991a), il est effectivement essentiel de préparer l’entrée

en établissement afin de permettre à la personne âgée de faire le deuil de son

Page 108: Mémoire

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mode de vie précédent et accroître ainsi ses capacités d’adaptation à ce

nouveau lieu de vie. On constate en effet que bien souvent c’est la famille ou

le médecin qui propose l’entrée en établissement soit après une

hospitalisation, soit après un maintien à domicile dont la régulation par les

proches devient trop lourde et problématique. S. Pennec et F. Le Borgne-

Uguen (1989) confirment bien que la demande de place est rarement formulée

par la personne elle même, qui s’en remet souvent aux siens pour ces

démarches.

La lutte contre l’isolement

Selon Y. Pelicier (1978), tout ce qui combat l’isolement subi, le

sentiment de solitude et la détresse du sujet âgé peut constituer une

prophylaxie du suicide des gens âgés.

Dans le cadre de cette lutte, on peut citer les réseaux associatifs

d’entraide et de soutien (cf. point sur les associations de prévention). Il s’agit

d’associations oeuvrant « officiellement » pour briser l’isolement et prévenir

les conduites suicidaires.

A côté de ce réseau associatif, on peut aussi penser aux clubs de

troisième âge et aux réseaux d’intervenants professionnels à domicile :

services aides ménagères, services infirmiers de soins à domicile, de portage

de repas à domicile. A. Nizard (1998) considère que le développement de

l’action sociale en faveur des vieux, notamment l’aide à domicile a contribué

à la baisse des taux de suicide pour les hommes de 75 ans et plus ces 10

Page 109: Mémoire

109

dernières années (cf. point statistique). Ces mesures sont venues contrer les

effets négatifs de l’isolement social sur le suicide. Le réseau amical et familial

est signalé comme étant probablement le plus efficace.

- Consolider la relation médecin-malade.

- Devant un sujet à « haut risque », favoriser le passage ou un contact avec

des structures spécialisées (unité de psychiatrie) ou des structures médico-

sociales (services sociaux, services d’aide à domicile).

Le dépistage et la prise en charge de la dépression

La dépression constitue l’un des premiers facteurs de risque de suicide

chez les personnes âgées. Or, comme il a été précisé celle-ci est

particulièrement difficile à diagnostiquer, parce qu’elle se traduit par une

symptomatologie trompeuse, voire déroutante (cf. supra).

Au lieu des signes classiques (tristesse pathologique, ralentissement, le

malade va exprimer sa problématique à travers son corps, sous une forme

essentiellement algique (Léger et al., 1987). Seuls les contacts répétés avec

l’individu pourront déceler des modifications du comportement, témoins de

cette évolution pathologique. Ce diagnostic nécessite un traitement par

antidépresseurs et tranquillisants.

Les psychiatres de la conférence de consensus (ANAES, 2000) insistent

sur la nécessité d’améliorer le dépistage et le diagnostic de la dépression en

médecine générale, en psychiatrie, en hospitalisation et en institution

Page 110: Mémoire

110

gériatrique, en proposant aux médecins concernés le large recours à des

questionnaires simples et utilisables par tout médecin.

La prise en charge psychothérapique

On a trop vite dit que la psychothérapie n’était plus possible à un âge

trop certain (Pelicier, 1978). En fait, dans la situation du sujet âgé, il y a tout

le poids du passé d’une part et la perspective de la mort de l’autre qui

suscitent une production imaginative riche (on dirait en langage psychiatrique,

fantasmatique) qui peut être reconnue, exprimée, analysée. Outre l’élucidation

de ces données, le lien établi par la psychothérapie n’est pas inutile. Associée

à des soins du corps, à la réparation ou au soulagement des infirmités, une

prise en charge plus complète peut alléger le fardeau de l’existence et faire de

la fin de la vie la conclusion d’une existence pleine plutôt que le dénouement

tragique d’une ultime crise.

Pour d’autres psychiatres (Walter, Labouret, 1995), la psychothérapie

du sujet âgé vise moins à interpréter les difficultés actuelles en fonction des

complexes infantiles qu’à rendre d’abord la vie mentale, et la vie tout court,

possible par la réunion de conditions favorables. En effet, en raison de la

faiblesse de ses défenses, et malgré la lecture parfois claire de ses conflits

offerte à l’observateur, la personne âgée n’est pas pour autant prête à recevoir

d’emblée les reflets de son image. Son narcissisme affaibli refuse d’entendre

ce qu’elle aurait auparavant supporté. Car la menace du retour d’une image

négative d’elle même, image confirmant de l’extérieur ses propres craintes,

Page 111: Mémoire

111

est toujours présente. Il suffit, pour s’en convaincre, de se référer au discours

de certains qui ne supportent plus de voir autour d’eux d’autres personnes

âgées, représentant « l’autre plus dégradé que soi » et leur, renvoyant en

miroir une image d’eux-mêmes à laquelle ils craignent de correspondre.

Plus rarement, il est fait allusion à la mise en place d’une

psychothérapie familiale afin de réduire les tensions relationnelles

consécutives à certains événements tels un deuil, une naissance ou un

déménagement (Léger et al., 1987).

Le développement d’une psychiatrie de la personne âgée

Le psychiatre J-C. Montfort (2001) déplore que le psychiatre de la

personne âgée et de la personne très âgée n’existe pas, alors que le psychiatre

de l’enfant et de l’adolescent existe depuis 25 ans. Il s’interroge sur le lien à

établir entre le record de mortalité en France chez l’homme âgé et cette

absence. Selon l’auteur, si le taux de suicide peut être considéré comme un

bon marqueur de la qualité des soins en psychiatrie, il faudrait en déduire que

la qualité des soins psychiatriques délivrés aux personnes âgées est médiocre,

voire absente. Les unités de psychogériatrie sont le plus souvent développées

en milieu gériatrique, et le plus fréquemment dédiées aux personnes ayant un

état démentiel compliqué de troubles du comportement. La souffrance

psychique des vieilles personnes n’est pas suffisamment prise en compte face

à cette « monopolisation » des soins envers les troubles de type démentiels.

L’éducation aux conséquences du vieillissement

Page 112: Mémoire

112

N. Brun (1991) semble être un des rares spécialistes à lancer l’idée de

préparer les individus à la réalité de leur futur vieillissement, cela en termes

de diminutions. Pour ce faire, l’auteur projette la possibilité de recevoir durant

la vie adulte une sorte de « formation-éducation » permettant de comprendre

quelles sont les évolutions et les mutations qu’implique le grand âge. Cette

éducation aiderait à prendre conscience des implications du grand âge et, par

là même, faciliterait la compréhension de problèmes auxquels sont

confrontées les personnes âgées pour une meilleure intégration sociale de

celles-ci.

D- Les structures d’intervention : l’importance des associations

Un certain nombre d’associations de soutien aux personnes en grande

difficulté contribuent à la lutte contre le suicide. Le plus souvent celles-ci

fonctionnent sur l’écoute téléphonique des candidats au suicide. On peut

distinguer les associations destinées aux adolescents (et à leurs parents) et

celles destinées aux adultes. Toutefois, parmi ces dernières, on ne voit pas se

dégager de structures s’adressant spécifiquement aux personnes âgées.

Page 113: Mémoire

113

IX- La prévention du suicide :

Malgré de nombreux préjugés et la crainte que suscite le suicide, il

apparaît maintenant possible de le prévenir. Identifier la crise suicidaire et en

évaluer la dangerosité rendent possible l’action thérapeutique et permettent

d’éviter le passage à l’acte suicidaire. Cela nécessite un réexamen des idées

reçues, une information de tous et la formation des professionnels.

Ce là impose de bien distinguer l’architecture générale de la prévention

du suicide avec :

la promotion de la santé : tout ce qui permet de façon non spécifique de

répondre aux besoins des individus en termes de bien-être physique,

psychique et social ;

la prévention du suicide : toutes les actions individuelles et collectives qui

agissent sur les principaux déterminants du suicide, comprenant

l’identification des personnes à risque, le diagnostic et le traitement des

troubles psychiques susceptibles de créer une souffrance majeure, ainsi que

toutes les mesures générales qui limitent l’accès aux moyens du suicide ;

l’intervention en cas de crise suicidaire comprenant les actions appropriées à

chacune des étapes de la crise : la phase d’idéation, la phase où le suicide

devient une intention, et la phase de programmation de l’acte suicidaire ;

la post prévention suite à un suicide : l’ensemble des actions pour la prise

en charge des personnes qui ont vu la scène, assuré les secours, celles qui

Page 114: Mémoire

114

avaient noué une relation d’attachement avec cette personne (familles, amis,

professionnels, bénévoles), et pour limiter le phénomène de contagion et

d’imitation par suicide auprès des personnes vulnérables. Cette post

prévention peut inclure l’analyse causale des suicides afin de favoriser le

retour d’expérience pour améliorer la prévention.

Pour chacune des quatre composantes, il existe un ensemble de

connaissances, de compétences à transmettre aux professionnels concernés,

qui eux- mêmes doivent s’inscrire dans des organisations adaptées.

Pour l’intervention de crise, les niveaux suivants peuvent être

proposés :

� Intervenants de première ligne : tout professionnel ou bénévole qui travaille

directement ou qui peut être en contact avec des personnes potentiellement

suicidaires (par exemple : enseignants, infirmières, animateurs, policiers…) ;

ces personnes travaillent en collaboration avec les équipes d’intervention de

crise.

� Intervenants de deuxième ligne : équipe d’intervention de crise et de

soutien multidisciplinaire ; ces équipes travaillent dans différents milieux,

hôpitaux, établissements scolaires, établissements pénitentiaires, ou

interviennent dans la communauté. Ces équipes prennent en charge

l’intervention de crise auprès de personnes suicidaires après l’intervention et

le signalement des intervenants de première ligne.

Troisième ligne : professionnels de psychiatrie.

Page 115: Mémoire

115

Répartition des TS selon les tranches d’age : femme Homme Nbre de TS 14-24 16 3 19 25-44 7 14 21 45-64 2 5 7 65 et plus 1 0 1 Total 26 22 48

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116

Répartition des TS selon les tranches d'age

0

5

10

15

20

14-24 25-44 45-64 65 etplus

Nombre des suidants

les

tranc

hes

d'ag

e

femme

Homme

A partir de ce tableau, on constate que la plupart des suicidants se situent entre la tranche d’age <<24-44>> en représentant 42% du nombre total. En deuxième place on retrouve la tranche des adolescents <<14-25>> qui représente 40% du nombre total.

Les chiffres à l’adolescence tendent vers ceux de l’age adulte mais avec une représentativité féminine importante à l’adolescence qu’a l’age adulte ou le sexe masculin est plus représentatif, de même que la tranche d’age 45 et 64 n’est pas par ailleurs négligeable.

Evolution des tentatives de suicide selon le sexe pendant les années 2005 et 2006 :

Page 117: Mémoire

117

Années femme homme Total 2005 17 10 27 2006 15 6 21

Evolution des tentatives de suicide selon le sexe pendant l'année 2005

63%

37%femme

homme

Evolution des tentatives de suicide selon le sexe pendant l'année 2006

71%

29%1

2

A partir de ce tableau on remarque que les femmes ont plus tendance de se suicider que les hommes avec le nombre de 63% dans l’an 2005 et 71% dans les trois mois de l’an 2006.

Statut matrimonial des suicidants : Années célibataire marié séparé/divorcé veuf (ve) 2005/2006 26 13 5 1

Page 118: Mémoire

118

Statut matrimonial des suicidants

54%

27%

19%

célibataire

Marié

sèparé/divorcé

A partir de ce tableau on constate que les célibataires ont plus tendance à se suicider suivis des mariés et des séparé ou divorcé. Ceci peut être du à un échec sentimental ou à une rupture avec l’être aimé. Enfin, on constate que rares sont les veufs (ves) qui se suicident après la mort du mari ou de la femme.

L’issu des suicidants :

Page 119: Mémoire

119

prise en charge nombre de suicidants pourcentage DCD 8 16,66 Psychiatrie 4 8,33 Perdu de vue 36 75 Total 48 100

L'issi des suicidants

05

10152025303540

DCD psychiatrie perdu devue

le nombre des suicidants

L'is

su Nbre de cas

On constate à partir du tableau qu’il n’y a pas de prise en charge des suicidants. En effet, 75% des suicidants sont perdu de vue, 16% sont DCD, et 8% seulement ont rejoins le service psychiatrique.

Evolution du nombre des TS pendant les années 2005 et 2006 : 2005 2006 Janvier 0 7 Février 2 4 Mars 4 10

Page 120: Mémoire

120

Avril 2 * Mai 7 * Juin 3 * Juillet 0 * Août 2 * Septembre 2 * Octobre 3 * Novembre 1 * Décembre 1 * Total 27 21

Evolution du nombre des TS pendant les années 2005 et 2006

0

2

4

6

8

10

12

Janv

ier

Févr

ierM

ars

Avril

Mai

Juin

Juille

tAoû

t

Septe

mbr

e

Octob

re

Novem

bre

Décem

bre

le nombre des suicidants

les

moi

s 2005

2006

A partir de ce tableau on remarque que le nombre des suicidants durant les trois mois de l’année 2006 et presque le même que celui dans l’année 2006. Se qui nous pousse à dire que le nombre de suicide augmente chaque année. Aussi on constate que dans le mois de Mars le nombre de suicide est très élevé.

Les moyens utilisé par sexe : hommes /femmes Moyen utilisé Femme Homme médicaments 20 14 Noyade 2 0 Pendaison 1 1 Arme à feu 0 1

Page 121: Mémoire

121

Gaz 0 0 Arme blanche 0 0 Défenestration 2 4 Injection de substance 0 0 Saut sous train, véhicule,,, 1 2 AVP volontaire 0 0 Phlébotomie 1 0

Pour ce tableau, on remarque que les femmes ont plus tendance à faire usage de médicaments. Comme moyen, reste encor la pendaison, la noyade, l’arme a feu qui ont une représentation peu siquidilatif vu la taille de l’échantillon mais dont la dimension et le degré de motivation létale est trop significatif.

0

5

10

15

20

25

médica

ments

Noyad

e

Penda

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Arme à

feu

Gaz

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lanch

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strati

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Injectio

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Femme

Homme