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Directeur de la publication : Edwy Plenel Samedi 4 Juillet www.mediapart.fr Ce document est à usage strictement individuel et sa distribution par Internet n’est pas autorisée. Merci de vous adresser à [email protected] si vous souhaitez le diffuser.1/46 Sommaire Difficile consensus autour du burn out LE SAMEDI 4 JUILLET 2015 | PAR MATHILDE GOANEC p. 4 Aéroport de Toulouse : le deuxième mensonge de Macron PAR LAURENT MAUDUIT p. 5 « Quand il y a une catastrophe au Népal ou en Haïti, la France sait intervenir. Mais pas à Calais » PAR HAYDÉE SABÉRAN p. 7 A Marseille, les sinistres expulsions estivales ont repris PAR LOUISE FESSARD p. 8 La Grèce est entrée en terre économique inconnue PAR MARTINE ORANGE p. 10 La Grèce réveille les fantômes de 2005 dans la gauche française pro-européenne PAR STÉPHANE ALLIÈS ET LÉNAÏG BREDOUX p. 13 Une nouvelle écoute confirme la mise sous surveillance de l'appareil d'Etat allemand PAR JÉRÔME HOURDEAUX, JULIAN ASSANGE (WIKILEAKS), MATHIEU MAGNAUDEIX ET JULIAN ASSANGE (WIKILEAKS) p. 15 Hollande refuse l'asile à Assange, une décision critiquée PAR LÉNAÏG BREDOUX ET MATHIEU MAGNAUDEIX p. 16 Jean-Pierre Saez : pendant l’été des festivals, « des digues s’effondrent » PAR HUBERT HUERTAS p. 17 Beaux-Arts : encore un sale tour de la monarchie culturelle ? PAR JOSEPH CONFAVREUX p. 19 La disparition programmée du Centre d’études de l’emploi PAR LAURENT MAUDUIT p. 22 Procès BPCE : de lourdes sanctions requises contre François Pérol PAR MARTINE ORANGE p. 24 France-Côte d'Ivoire, une histoire tronquée PAR LA RÉDACTION DE MEDIAPART p. 27 Quand le géant Gunvor actionnait les réseaux Tomi au Gabon PAR AGATHE DUPARC p. 29 Le tribunal de commerce de Lille a été désavoué pour sa partialité PAR MICHEL DELÉAN p. 30 Dans les Alpes-Maritimes, les droites continuent de se mélanger PAR ELLEN SALVI p. 32 Alain Badiou - Jorge Lago. Après Syriza, jusqu'où ira Podemos? PAR LA RÉDACTION DE MEDIAPART p. 32 Le tribunal de Bordeaux relaxe la juge Prévost- Desprez PAR MICHEL DELÉAN p. 33 Abdellah Lefnatsa : au Maroc, «la règle, c'est la répression» PAR ILHEM RACHIDI p. 36 Le FN tente de minimiser l'annulation de la suspension de Jean-Marie Le Pen PAR MARINE TURCHI p. 37 Petits espionnages entre amis, les marchés de dupes de la NSA PAR JÉRÔME HOURDEAUX p. 39 La contrôleuse générale des prisons s'oppose au regroupement des détenus islamistes PAR FERIEL ALOUTI p. 41 Le Pérou condamné par la Cour interaméricaine des droits de l'homme PAR KARL LASKE p. 43 Interdite de quitter le territoire : « Ma mère a peur que je tombe entre de mauvaises mains » PAR LOUISE FESSARD ET MICHAËL HAJDENBERG p. 44 Sivens : le militant accusé d'avoir fracturé la main d'un gendarme est finalement relaxé PAR LOUISE FESSARD p. 45 TISA: les nouvelles révélations de WikiLeaks sur l'accord sur les services PAR MARTINE ORANGE

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Directeur de la publication : Edwy Plenel Samedi 4 Juillet www.mediapart.fr

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Sommaire

Difficile consensus autour du burn outLE SAMEDI 4 JUILLET 2015 | PAR MATHILDE GOANEC

p. 4

Aéroport de Toulouse : le deuxième mensonge deMacron PAR LAURENT MAUDUIT

p. 5

« Quand il y a une catastrophe au Népal ou enHaïti, la France sait intervenir. Mais pas à Calais» PAR HAYDÉE SABÉRAN

p. 7

A Marseille, les sinistres expulsions estivales ontrepris PAR LOUISE FESSARD

p. 8

La Grèce est entrée en terre économiqueinconnue PAR MARTINE ORANGE

p. 10

La Grèce réveille les fantômes de 2005 dans lagauche française pro-européenne PAR STÉPHANE ALLIÈS ET LÉNAÏG BREDOUX

p. 13

Une nouvelle écoute confirme la mise soussurveillance de l'appareil d'Etat allemand PAR JÉRÔME HOURDEAUX, JULIAN ASSANGE (WIKILEAKS),

MATHIEU MAGNAUDEIX ET JULIAN ASSANGE (WIKILEAKS)

p. 15

Hollande refuse l'asile à Assange, une décisioncritiquée PAR LÉNAÏG BREDOUX ET MATHIEU MAGNAUDEIX

p. 16

Jean-Pierre Saez : pendant l’été des festivals, «des digues s’effondrent » PAR HUBERT HUERTAS

p. 17

Beaux-Arts : encore un sale tour de la monarchieculturelle ? PAR JOSEPH CONFAVREUX

p. 19

La disparition programmée du Centre d’études del’emploi PAR LAURENT MAUDUIT

p. 22

Procès BPCE : de lourdes sanctions requisescontre François Pérol PAR MARTINE ORANGE

p. 24

France-Côte d'Ivoire, une histoire tronquée PAR LA RÉDACTION DE MEDIAPART

p. 27

Quand le géant Gunvor actionnait les réseauxTomi au Gabon PAR AGATHE DUPARC

p. 29

Le tribunal de commerce de Lille a été désavouépour sa partialité PAR MICHEL DELÉAN

p. 30

Dans les Alpes-Maritimes, les droites continuentde se mélanger PAR ELLEN SALVI

p. 32

Alain Badiou - Jorge Lago. Après Syriza,jusqu'où ira Podemos? PAR LA RÉDACTION DE MEDIAPART

p. 32

Le tribunal de Bordeaux relaxe la juge Prévost-Desprez PAR MICHEL DELÉAN

p. 33

Abdellah Lefnatsa : au Maroc, «la règle, c'est larépression» PAR ILHEM RACHIDI

p. 36

Le FN tente de minimiser l'annulation de lasuspension de Jean-Marie Le Pen PAR MARINE TURCHI

p. 37

Petits espionnages entre amis, les marchés dedupes de la NSA PAR JÉRÔME HOURDEAUX

p. 39

La contrôleuse générale des prisons s'oppose auregroupement des détenus islamistes PAR FERIEL ALOUTI

p. 41

Le Pérou condamné par la Cour interaméricainedes droits de l'homme PAR KARL LASKE

p. 43

Interdite de quitter le territoire : « Ma mère a peurque je tombe entre de mauvaises mains » PAR LOUISE FESSARD ET MICHAËL HAJDENBERG

p. 44

Sivens : le militant accusé d'avoir fracturé la maind'un gendarme est finalement relaxé PAR LOUISE FESSARD

p. 45

TISA: les nouvelles révélations de WikiLeaks surl'accord sur les services PAR MARTINE ORANGE

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Difficile consensus autour du burnoutLE SAMEDI 4 JUILLET 2015 | PAR MATHILDE GOANEC

La reconnaissance du burn out comme maladie professionnelle,au menu de la loi sur le dialogue social, vit un parcours législatifmouvementé. Le mot, fourre-tout et brouillon, a fini par masquerles vrais enjeux de la souffrance mentale au travail.

Le burn out, concept protéiforme s’il en est, suscite forcémentune controverse à tiroirs. Elle vient de rebondir car le Sénat afinalement retoqué, lors de l’adoption par la chambre du projet deloi sur le dialogue social, l’amendement socialiste qui établissaitque les pathologies psychiques pouvaient être reconnues « commemaladies d’origine professionnelle ».

La manœuvre des sénateurs paraît vaine à plus d’un titre. D’abordparce que les parlementaires savent que le gouvernement tientmordicus au moins au symbole que représente cet amendement,et qu’il envisage de le réintroduire en commission spéciale lors duréexamen du texte par l’Assemblée nationale. « C’est une avancéeque j'ai voulue, qui est le début d'une reconnaissance, d'une priseen compte du syndrome d'épuisement professionnel » ou « burnout », a détaillé à l’AFP François Rebsamen à l’issue de l’examende la loi par le Sénat.

Par ailleurs, le texte n’avait rien d’affolant. Timide dans le fondcomme sur la forme, il s’agissait davantage d’une incitationà ouvrir le débat qu’une inscription dans le marbre du burnout dans le tableau des maladies professionnelles. FrançoisRebsamen s'est d'ailleurs chargé de borner en personne la portéedu texte, conscient de l’opposition franche du patronat à reliertrop implicitement souffrance mentale et travail : le burn out n’est« pas une maladie professionnelle traditionnelle, on peut pasl'inscrire au tableau (…), a dit le ministre. Simplement il fautprendre en compte ce syndrome qui se développe, qui existe, on nepeut pas le nier ». Une prudence qui a forcément déplu au députéBenoît Hamon, devenu en quelques semaines le héraut du burnout dans l’espace médiatique, et qui ne lâche pas sur l’inscriptionau tableau.

Les politiques sont, de ce point de vue, au diapason du corpsscientifique et social, qui n’est pas non plus d’accord sur l’intérêtd’une telle reconnaissance, faute de réelle définition médicale.Pour autant, le syndrome existe et on sait comment il se manifeste,dans les grandes lignes : un épuisement physique et émotionnel,une forme de mise en retrait vis-à-vis de ses collègues, undésengagement dans le travail ou un surinvestissement, ainsi quele sentiment de ne plus s’accomplir dans son métier. Là où leburn out touche le médical, c’est quand il conduit à la maladiepsychique, la dépression ou à des troubles anxio-dépressifs. Lesfonctions cognitives peuvent aussi être sévèrement attaquées,comme la mémoire ou la concentration. Les salariés parlentalors d’un grand blanc, d’une sensation de vide immense, d’une

incapacité à réaliser des tâches simples comme lire, se lever deson lit, répondre au téléphone… Dans certains cas, il confinemême au suicide. Le burn out est enfin souvent corrélé à desmaladies physiques, comme les infarctus ou les accidents cardio-vasculaires.

De ce spectre, très large, que faire sur le plan législatif ? Laquestion est tellement minée qu’elle fait éclater les clivages : ainsile député LR (ex-UMP) des Yvelines, Jean-Frédéric Poisson,plaide pour une reconnaissance du burn out comme maladieprofessionnelle, afin que les employeurs connaissent réellementle coût de certaines de leurs méthodes managériales. « Entrele constat d’une dépression et le constat d’un épuisementprofessionnel il y a un monde ! Le burn out n’est pas liéà un tempérament prédisposé, c’est le résultat d’une certaineorganisation du travail, a-t-il déclaré lors d’une discussionorganisée par le cabinet d’expertise Technologia. La seulemanière, au fond, d’avoir une influence sur les entreprisesviendra de l’impact qu’aura la déclaration en tant que maladieprofessionnelle sur les cotisations versées. » Effectivement,nombre de salariés victimes de burn out sont mis en arrêt pendantde longs mois par leur médecin généraliste et indemnisés par lasécurité sociale générale, et non pas par la branche professionnellede l’assurance maladie, alimentée par les employeurs.

C’est aussi l’argument de la CFDT, qui estimait, lors du mêmecolloque, que « l’inscription d’une maladie professionnelle autableau ne résulte jamais d’un processus 100 % scientifique.C’est un compromis politique avec des employeurs qui raisonnentpar rapport à ce que cela va leur coûter », estime le secrétaireconfédéral Henri Forest. Jean Desessard, l’un des sénateursécologistes ayant ferraillé sur le texte, y voit une « simplereconnaissance de l’évolution du monde du travail et despathologies qui en découlent ».« On ne souffre pas au travail desmêmes maux qu’il y a 50 ans », argue l’élu.

Mais les contradictions sont légion. Benoît Hamon, pour défendreson amendement, s’appuie sur les chiffres établis par le mêmecabinet Technologia (spécialisé dans la prévention des risquespsychosociaux), qui estime que plus de 3 millions d’actifsseraient actuellement en risque élevé de burn out en France.Dans le même temps, les experts de Technologia reconnaissentle manque de données scientifiques et le « flou » autour duterme et plaident davantage pour trois nouveaux tableaux demaladies professionnelles : la dépression d’épuisement, l’état destress répété conduisant à une situation traumatique et le troubled’anxiété généralisée.

« Il y a 130 manifestations différentes du burn out, c’estcolossal. On n’a pas de tableau clinique, pas d’évolutionconnue vers la dépression, pas de thérapeutique… Pour moiil n’y a pas de maladie, assène Philippe Zawieja, auteur d’unouvrage sur le burn out et chercheur à l’école des Mines. Cequi n’empêche pas qu’il y a des maladies parfois liées autravail graves, comme la dépression. Cet amendement était unsimple effet d’annonce, c’est maintenant que les problèmes vont

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commencer. » Les précautions oratoires du ministre FrançoisRebsamen sont d’ailleurs symptomatiques : le gouvernementa monté un groupe de travail l’an dernier sur le burn out,composé de médecins et de praticiens, dans l’optique même dela loi sur le dialogue social. La loi est en discussion, mais lesconclusions du groupe n’ont pas encore été rendues publiques enraison de profondes dissensions. Le COCT, conseil permanentd’orientation des conditions de travail, qui comprend à la foisdes représentants des salariés et des employeurs ainsi que despersonnalités scientifiques, peine lui aussi à la rédaction d'uneposition commune.

Marie Pezé, à l’origine de la première consultation sur lasouffrance au travail en France, formatrice en entreprise sur lesrisques psychosociaux, assume « ne pas aller dans le sens dupoil ». Pour elle, le burn out reste un objet scientifique nonidentifié, et œuvrer pour sa reconnaissance est un non-sens : « Enfaisant croire aux salariés que tous les états de fatigue autravail relève du burn out, on leur bourre le mou et on passeà côté de plein de choses, affirme la psychologue. Le burn outest en voie de normalisation alors qu’il recoupe des situationstrès différentes. C’est loin d’être la seule pathologie psychiqueliée au travail et il est illusoire de penser pouvoir tout collersous un seul vocable. » Dominique Huez, médecin du travailreconnu, déplore également l’écran de fumée qu'a engendré ladissémination fulgurante du terme burn out dans l'espace public.« Ce mot-valise permet à l'employeur de se déresponsabiliser,en le dégageant de son obligation de sécurité. Aux médecins,d’éviter de faire un vrai diagnostic médical. Aux politiques, desurfer sur la souffrance sociale. Aux salariés, de faire entendreleur souffrance professionnelle, mais avec un vocabulaire qui nedit rien de la vraie pathologie et donc n'induit pas des réponsesappropriées. »

La reconnaissance comporte en effet deux défauts majeurs,trop rarement évoqués : l’indemnisation obtenue est loin d’êtrefaramineuse, et c’est un règlement du problème par l’aval. En

clair, la réparation ne favorise pas forcément la prévention.Les troubles musculo-squelettiques (TMS) en sont un bonexemple : inscrits dans quatre tableaux depuis plusieurs années,ils continuent de représenter plus de 86 % des maladiesprofessionnelles, selon le dernier bilan annuel établi parle ministère du travail. « Taper les entreprises au porte-monnaie », selon l’expression chère à Benoît Hamon, n’a passuffi. Sans compter que se développent, au fil de l’évolution dumonde du travail, des TMS non-répertoriés dans le tableau maistout autant handicapants pour les salariés. « Le système françaisest fait comme ça, il privilégie l’indemnisation au détriment dusoin et de la prévention », regrette Marie Pezé. La prise en comptedes risques psychosociaux, pourtant inscrite obligatoirement àl’agenda des employeurs, relève encore, dans de trop nombreusesentreprises, du simple formalisme.

La reconnaissance d’une dépression ou l’anxiété généralisée liéeau travail, ainsi que le stress post-traumatique, est par ailleurs déjàpossible « hors tableau », par le biais de comités régionaux adhoc. Dans ces instances, le salarié doit prouver que sa maladieest directement liée au travail, soit la logique inverse du tableau,qui ouvre droit automatiquement à réparation dès lors que lapathologie y est inscrite. Autorisé pour la maladie mentale depuis2010, le processus s'apparente presque à une enquête policière,et reste extrêmement long, complexe, avec un résultat loin d’êtreacquis. Ainsi, seuls quelques dizaines de salariés arrivent chaqueannée à obtenir réparation. En cause, le taux d’incapacité qu’il fautréussir à prouver, fixé à 25 %. À titre de comparaison, sur le planphysique, c’est le taux retenu pour la perte d’une jambe ou d’unœil… Sa diminution (autour de 10 %) rassemble très largement lacommunauté médicale et syndicale et avait également fait l’objetd’un amendement en première lecture à l’Assemblée nationale.Le Sénat l’a lui aussi fait passer à la trappe, sans que l'on sache sice point reviendra sur la table d’ici l’adoption définitive du projetde loi prévue à la mi-juillet.

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Aéroport de Toulouse :le deuxième mensonge deMacronPAR LAURENT MAUDUITLE SAMEDI 4 JUILLET 2015

Emmanuel Macron assure que ladisparition de l'oligarque chinois MikePoon, soupçonné de corruption, est unnon-événement. Mais en fait, le ministrene dit pas la vérité : la privatisation n'estpas finalisée et pourrait être annulée.

Dans le dossier de la privatisation dela gestion de l’Aéroport de Toulouse-Blagnac (ATB), le ministre de l’économieEmmanuel Macron ne déroge pas à ladétestable habitude de prendre des libertésavec la vérité et de tromper l’opinion.

On connaît le premier mensonge :Emmanuel Macron avait d’abord assuréque la cession par l’État de 49,9 % ducapital d’ATB à un oligarque chinois,Mike Poon, alias Ho Man Poon, neconstituait en rien une privatisationpuisque la puissance publique, alliéeà la Région, au département et àla ville de Toulouse, gardait plus de50 %. Mais Mediapart avait révélé endécembre dernier que le ministre del’économie avait masqué la vérité, caren réalité, l’État avait conclu secrètementun pacte d’actionnaires avec l’investisseurchinois lui accordant les pleins pouvoirs(lire Privatisation de l’aéroport deToulouse : Emmanuel Macron a menti).Et pour preuve, nous avions publié desextraits de ce pacte d’actionnaires.

Or, Mediapart dispose aujourd’hui d’unnouvel indice attestant qu’EmmanuelMacron, avec le soutien de ManuelValls, s’applique de nouveau à cacherla vérité dans ce dossier sulfureux de laprivatisation de l’aéroport de Toulouse.

Le 22 juin, on a appris que Mike Poonétait visé en Chine par une enquête portantsur des faits de corruption et qu’il avaitpris la fuite. Et depuis celui qui a remportéla privatisation voulue par EmmanuelMacron est introuvable.

Or, depuis cette date, le ministre del’économie laisse entendre que cela n’aaucune importance et que la cession nesera pas remise en cause. Il l’a ditnotamment à La Tribune : « Pour moi,la disparition de Mike Poon est un non-événement. Cela ne change rien. MikePoon est de toute façon un actionnaireminoritaire. Il n'y a pas lieu de créer unepolémique. »

Laissons de côté le premier mensonge– « Mike Poon est de toute façon unactionnaire minoritaire » : la révélationpar Mediapart d’extraits du pacted’actionnaires a permis de comprendre cequ’il fallait penser de cette contrevéritérépétée. Et arrêtons-nous sur le secondmensonge : « Pour moi, la disparition deMike Poon est un non-événement. »

De prime abord, on pourrait certes penserque c'est sans grande importance. Paniquéà l’idée d’avoir à avouer qu’il a commisune grave faute politique en privatisant unaéroport français au profit d’un oligarquechinois dont les sociétés sont implantéesdans une cascade de paradis fiscaux,aux îles Caïmans et aux îles Viergesbritanniques, Emmanuel Macron a justetenté de se rassurer en prétendant que toutcela n’était pas grave. Formule maladroitemais dont on devine l’arrière-pensée :espérons que ce maudit Mike Poon va auplus vite réapparaître ! Et d’ici là, essayonsde faire bonne figure !

Et à l’occasion de la visite à Toulouse,jeudi, du premier ministre chinois, lepremier ministre Manuel Valls a voléau secours du ministre de l’économie,prétendant que tout cela n’avait aucuneimportance. « La société[FriedmannPacific dont M. Poon est le PDG]concernée n’a que des liens indirects avecle consortium chinois qui a acquis unepartie du capital de l’aéroport », a ditManuel Valls à La Dépêche du Midi.« Par conséquent, ceci n’affecte en rien lefonctionnement de Toulouse-Blagnac », aassuré encore le premier ministre. « L’Étatgarde également les moyens de contrôlepour veiller à ce que les objectifs d’intérêtgénéral soient respectés. »

Et pourtant, non ! En Chine, les oligarquessoupçonnés de corruption réapparaissentrarement à leur place ancienne, comme s’ilne s’était rien passé. Et cela, EmmanuelMacron le sait pertinemment. Tout autantque Manuel Valls.

Mais les propos du premier ministre etdu ministre de l’économie visent en faità cacher un fait qui est passé totalementinaperçu : la privatisation de l’aéroportde Toulouse n’était pas encore finaliséequand Mike Poon a disparu. L’État auraitdonc fort bien pu tirer avantage de cettefuite pour essayer d’œuvrer à l’annulationd’une privatisation aussi scabreuse.

La preuve que la privatisation n’estpeut-être pas encore finalisée, et quel’État n’a sans doute pas encore encaisséles 308 millions d’euros promis, voilàplusieurs jours que le Collectif contre laprivatisation de l’aéroport de Toulousecherche à l’obtenir, comme l’un de sesresponsables l’a expliqué dans un billetde blog sur Mediapart : Sept questions(gênantes) à Monsieur Macron. Mais leministre de l’économie n’est visiblementpas homme de dialogue. Il n’a jamaisvoulu consulter les populations de larégion de Toulouse sur le projet deprivatisation ; et le collectif, qui regroupetoutes les sensibilités politiques de lagauche toulousaine, comme la plupart dessyndicats, et d’innombrables associations

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et notamment des associations deriverains, n’a jamais reçu de réponse à sesquestions.

Mais il est aussi une élue de la Nation,qui a interpellé le ministre de l’économie.Deux jours après que l’on eut apprisla disparition de Mike Poon, soit le 24juin, la rapporteure générale du budgetà l’Assemblée nationale, la socialisteValérie Rabault, a, selon nos informations,pris sa plus belle plume pour dire soninquiétude à Emmanuel Macron.

Dans sa missive, qui a un peu circulé ausein de la commission des finances et dontMediapart a fini par prendre connaissance,elle écrit qu’à sa connaissance, « le contratfinal n’est pas signé ». Ce qu’EmmanuelMacron et Manuel Valls se sont appliquésà cacher tout au long de ces jours derniers.

Très critique à l’encontre de ce projetde privatisation, la rapporteure généraledu budget pose donc les questions quisont sur toutes les lèvres : la fuitede Mike Poon ne remet-elle pas encause cette privatisation ? Et si legouvernement ne remet pourtant pas encause cette cession, quelles conséquencesveut-il tirer de la fuite de Mike Poon ?En somme, la socialiste presse le ministrede l’économie de tenir enfin un discoursde vérité, sans maquiller les faits. Etpuis surtout, la dirigeante socialiste profitede la circonstance pour redemander àEmmanuel Macron de remettre au moins

en cause l’option de vente complémentairede 10,1 % du capital d’ATB consentie parl’État à Mike Poon.

Affichette du Collectif contre la privatisationde la gestion de l'aéroport

Questions logiques et légitimes. Mais,selon nos informations, EmmanuelMacron n’a pas plus jugé utile de répondre.Même quand il s’agit d’une députéesocialiste, en charge de surcroît d’uneresponsabilité au sein de la commissiondes finances de l’Assemblée nationale,le ministre de l’économie ne daigne pasmême justifier ou expliquer ses décisions.Peu importe que la Constitution donne lamission au Parlement de contrôler l’actiondu gouvernement.

C’est donc le dernier épisode d’unehistoire stupéfiante. Dans le climat decorruption qui a soudainement submergécette affaire d’ATB, le bon sens auraitvoulu que la privatisation soit sur-le-champ suspendue. Si le gouvernement n’apas dit la vérité, c’est sans doute qu’il aenvie de s’obstiner.

« Quand il y a unecatastrophe au Népal ouen Haïti, la France saitintervenir. Mais pas àCalais »PAR HAYDÉE SABÉRAN

LE SAMEDI 4 JUILLET 2015

© Sur le site de Médecins du monde

Quatre ONG ont lancé mardi dernier unegrande opération humanitaire à Calais afinque les campements de migrants soientau moins aux normes de « n'importequel camp de réfugiés dans le monde». Comment interviennent-elles ? Oùsont les urgences ? Qu'attendent-ellesde l'État ? Entretien avec Jean-FrançoisCorty, directeur des opérations France deMédecins du Monde.

Sur mediapart.fr, un objet graphiqueest disponible à cet endroit.

De notre correspondante à Calais.– Quatre ONG ont lancé mardi 30juin à Calais une opération humanitaired'envergure pour que le bidonville de3 000 migrants soudanais, érythréens,afghans, syriens, s'approche des normesinternationales des camps de réfugiésen matière d'accès à l'eau potable, àla nourriture, aux soins de base. Jean-François Corty, directeur des opérationsFrance de Médecins du Monde, dresseun premier bilan et interpelle l'État qu'iljuge « en dessous de tout sur cesproblématiques ».

Vous avez lancé une grande opérationhumanitaire à Calais. Pourquoi ?Jean-François Corty - Nous répondonsà des besoins vitaux, qui ne sont pascouverts par l'État. Il y a en ce momentà Calais entre 2 500 et 3 000 personnesdans un bidonville toléré. C'est l'État lui-même qui, après avoir expulsé des squatset des « jungles » dans la ville, a toutfait pour rabattre les gens dans ce lieuoù ils s'entassent. Ils ont faim, besoinde boire, de se laver, d'être soignés. Àcôté de ce bidonville, le dispositif JulesFerry [du nom de l'ancien centre aéréqui s'y trouvait – ndlr], calibré pour1200 à 1500 personnes, offre un repas

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par jour, quelques douches, un point desanté avec une infirmière deux heurespar jour et une centaine de places denuit pour des femmes et des enfants. Ilsmettent en ce moment l'électricité, deslatrines et des points d'eau en plus, maisc'est largement insuffisant. De notre côté,nous sommes dans un dilemme. Nousn'avons pas vocation à nous substituerau droit commun. Mais nous sommespoussés à prendre des mesures, pourprotéger des vies. Nous avons déclenchécette opération avec trois associations (leSecours catholique, le Secours islamiqueet Solidarités international) qui, pour laplupart, ont l'habitude comme nous detravailler à l'international, sur des zones deconflit ou de catastrophe naturelle. Nousne sommes pas dans la posture d'attendredes catastrophes avant d'agir. Nous avonsà plusieurs reprises sollicité l'État, rappeléqu'on est largement en deçà des standardsde n'importe quel camp de réfugiés dansle monde. Les petites associations, avecqui nous intervenons depuis longtemps àCalais, sont épuisées, dépassées. Gérer ladistribution de nourriture pour 300 à 400personnes, c'est faisable, autant quand ils'agit de 2500 à 3000 personnes, ça n'estplus tenable, d'autant qu'il y a de plus enplus de femmes et d'enfants.

Que faites-vous ?Une distribution de kits d'hygiène, dessavons, des serviettes, des brosses àdents pour tenir pendant un mois, unedistribution de nourriture aussi, il yen aura d'autres pendant le mois, desdons de matériel pour construire denouveaux abris. On construit nous aussides latrines, des douches. Rien quesur la journée de mardi, nous avonsdonné une quarantaine de consultationsmédicales [MDM annonçait un objectifde 30 consultations par jour avantl'opération–ndlr] dans la clinique mobileque nous avons créée sur le camp, avecaccueil, soins infirmiers, psychologues,médiateurs, traducteurs.

Que constatent les médecins ?

Sur mediapart.fr, un objet graphiqueest disponible à cet endroit.

Les pathologies de la grande précarité,des affections cutanées qui peuvent sesurinfecter avec la gale, des affectionsrespiratoires, des affections diarrhéiquesen lien avec les problèmes d'accès à l'eaupotable, la traumatologie, beaucoup deplaies ouvertes, des entorses, des fractures,parce qu'ils essaient de monter dans descamions comme ils le peuvent, et puis desproblèmes psychologiques chez des jeunesqui ont souffert pendant la migration et quise retrouvent dans des conditions d'ultraprécarité ici, avec la violence que l'onconnaît. Il y a eu l'année dernière aumoins 14 morts objectivées, surtout du faitd'accidents, d'écrasements. Il y a encore eudeux morts ces derniers jours, un hommehappé dans le tunnel et un gamin écrasésur l'autoroute. On n'a pas de malnutrition,mais des indicateurs de morbi-mortalitéinacceptables pour cette tranche d'âge etsurtout pour notre pays.

Quel message adressez-vous auxautorités ?

Nous leurs disons : « Vous avez desresponsabilités, que vous n'assumez pas.»Notre action fait écho à leur inconsistance,à leur incapacité à vouloir répondre àdes besoins vitaux, alors qu'ils en ontles moyens. On n'est pas au Darfour, lesautorités peuvent donner à manger et àboire à des gens dans le besoin. Un repaspar jour à 1200 personnes alors qu'ilssont 3000, cela crée des tensions entreces personnes en survie. Il y a aussi destensions avec les forces de l'ordre, et aveccertains Calaisiens. Or il faut temporiser,protéger, apaiser. L'État est en dessous detout sur ces problématiques. Il y a, defait, une volonté politique assumée de nepas répondre à ces besoins. La France estla sixième puissance économique, elle ala capacité logistique, les infrastructures.Quand il y a une catastrophe au Népal ouen Haïti, on voit l'armée française arriverou la sécurité civile. En deux jours, ilsmontent un hôpital de campagne, ils sontcapables de produire du service pour des

milliers de personnes en quelques heures,donc ce n'est pas ça le sujet. Le sujet, c'estqu'ils ne veulent pas le faire.

L'argument de l'appel d'air ?Cet argument de l'appel d'air ne tientpas et devient irresponsable lorsquevous avez aujourd'hui, en bas de chezvous, 3000 personnes qui grattent laterre pour bouffer. On doit prendre sesresponsabilités et protéger les gens. Onespère que le ministre de l'intérieurva entendre ça. Ça n'empêche pas, enparallèle, de négocier des heures à l'échelleeuropéenne pour équilibrer la charge queportent la Grèce et l'Italie.

Que demandez-vous ?Il faut sortir de la logique de campement.On a les moyens de mettre à l'abri quelquesmilliers de personnes, et de désengorgerCalais. C'est-à-dire, en amont, à Menton,Nice, Lyon, Paris, créer des dispositifsen dur, à taille humaine. Il ne faut pasreproduire les excès de Sangatte [où on aatteint des pics à 2000 personnes–ndlr].Là, les personnes pourront se reposer,manger à leur faim, se laver, prendreconscience de leurs droits en matièred'asile, et faire cette demande d'asiles'ils le souhaitent. Il faut aussi simplifierla procédure d'asile et proposer à despersonnes déjà chez nous une ouverture dedroits sans avoir à les renvoyer vers despays comme l'Italie.

Le rapport sur Calais remis le 1er juilletà Bernard Cazeneuve vous satisfait-il?On est en phase avec la proposition degarder un lien entre associations, élus,avec une instance pour que les genscontinuent à se parler. Sur l'humanisationde l'accueil, ça manque encore de clarté.Il y a l'idée de renforcer les infrastructuresautour de Jules Ferry. Mais dans queldélai ? Ils ont repris l'idée qu'il faut desdispositifs de taille raisonnable, avec lanotion de répit, de mise à l'abri, où les gensentrent dans une relation de confiance,pour entrer dans une démarche d'ouverturedes droits, afin que les gens n'arrivent pasen bout de course épuisés. Le ministre acapté aussi l'idée de désengorger Calais, ilfaut que ça aussi ça se concrétise vite. On abesoin d'être rassurés sur les délais et sur le

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fait que ça va répondre aux besoins. Enfin,on attend encore une clarification sur lefait de simplifier la demande d'asile.

Et dans le bidonville ?On se met en situation de tenir un ou deuxmois. On espère que d'ici là, les autoritésvont bouger les lignes. On n'a pas vocationà se substituer à elles.

A Marseille, les sinistresexpulsions estivales ontreprisPAR LOUISE FESSARDLE SAMEDI 4 JUILLET 2015

La police a évacué vendredi, en vertu d’unarrêté municipal de péril imminent, une

caserne désaffectée du 3e arrondissementoù vivaient depuis près d'un an 140personnes, dont 60 enfants.

À leur arrivée à la caserne Masséna (3e

arrondissement de Marseille) ce vendredi3 juillet 2015 vers 8 heures, les policiersont trouvé un bâtiment vide. C’est trèspratique, pas de larmes, pas de cris,seulement un site à condamner. Rodéesaux expulsions, les 53 familles roms, quivivaient depuis septembre 2014 dans cetimmense bâtiment désaffecté, avaient déjàdéserté les lieux. Emportant l’essentiel etlaissant derrière elles près d'un an de vie.

Les entrées de la caserne Masséna vontêtre murées, vendredi 3 juillet 2015. © LF

Toute la nuit, Mina, une voisine de 54 ans,a entendu les allers-retours des véhicules.Les fenêtres de l’appartement dans lequelelle vit depuis juillet 2014 avec ses deuxfilles, donnent directement sur la cour dela caserne. Derrière le portail métalliquegardé par des policiers, des jeux d’enfantstraînent encore. « Ça a été mes premiersvoisins, avant même que je connaisse ceuxdu palier d’en face, dit Mina, navrée.

Il faut avoir vécu, parlé avec eux ! Audébut, j’étais rebutée, à cause du bruitet de la musique. Je leur ai dit debaisser et ça s’est passé gentiment. Il y aquelques brebis galeuses comme partout,mais ils sont à l'écoute. Même les enfantssont très respectueux, j'avais de bonséchanges. Et maintenant, ils sont repartisà zéro…» Michèle, 73 ans, militante deCCFD-Terre solidaire, montre des photosdes chambres «squattées», coquettementaménagées grâce à des meubles récupérés.«Ils avaient mis des plantes vertes»,souligne-t-elle, un peu dérisoirement.

La plupart des 60 enfants étaient scolariséssoit à l’école Masséna voisine, soitun peu plus loin, dans deux écoles,à la Belle de Mai et à la cité FélixPyat. Plusieurs des familles venaient dubidonville de Plombières, lui aussi dans

le 3e arrondissement, expulsées en juillet2014. Les associations avaient obtenuque leurs enfants restent inscrits à l'écoleRévolution à la Belle de Mai (lirele reportage de Marsactu). D’autresvenaient de la bastide de Fontainieu, aupied du massif de l’Étoile, évacuée en août2014.

Dorina, 34 ans, avec son fils et sa dernière-née, âgée de moins d'un mois. © LF

Sur le trottoir, trois familles avec desenfants de moins de trois ans attendent quele Samu social leur trouve un hôtel pour sixnuits. Quatre ont déjà été logées la veille,de même que plusieurs femmes seulesavec des enfants. Ensuite, elles risquentde se retrouver à la rue. Le bébé le plusjeune a juste un mois. «Pour l'instanton ne sait pas, on passe par le 115»,explique un agent du Samu social, quivient de recenser 13 personnes présentes.Des bouteilles d'eau et des pommes sontdistribuées, un hôtel au centre commercialPlan-de-campagne, à une quinzaine de

kilomètres d'autoroute, est évoqué. « Ilsne connaissent pas le quartier et c’est3,80 euros par personne pour venir en busà Marseille, comment vont-ils manger?demande Michèle. Ici, c’est leur lieu de vieet de travail, avec de la place pour stockerla ferraille. Il faut leur proposer des sitesavec de l’eau, de l’électricité jusqu’à cequ’ils trouvent un travail. Ça a été possibleà Gardanne, pourquoi pas ici ? »

Une population stable depuis desannéesEn fin d'après-midi, René Giancarli,directeur du Samu social de la Ville, nousa indiqué que les trois familles avaientfinalement pu être logées dans le centre-ville. «Nous allons leur porter de l'eau,de la nourriture et des petits ballots devêtement pour les enfants, dit-il. Après,nous essaierons avec la préfecture de leurtrouver un logement pour un ou deuxmois.»

Théoriquement, 21 familles avec desfemmes enceintes, des enfants en basâge ou des problèmes de santé auraientle droit à ces nuitées d'hôtel, mais lesautres habitants ont disparu. Certains ontrejoint des squats repérés quelques joursavant, d’autres sont on ne sait où. «Çadonne l'impression que le problème estrésorbé, mais ça fait quatre ans quechaque été, après les expulsions, on lesretrouve à errer, poursuivis d’un squatà l’autre par la police», dit Framboise,de l’association Arte Chavalo. Depuis sonretour de Colombie où elle a travailléauprès de recycleurs, elle organise desactivités artistiques et de l'apprentissagedu français avec les enfants roms. Elle suitcertaines familles depuis leur expulsion dela Porte d’Aix en 2012. «Ils sont traitésavec le même racisme que les recycleursen Colombie, car ils sont pauvres et fontles poubelles», estime Framboise.

«Ça faisait longtemps que nous n’avionspas vécu quelque chose d’aussi brutal», ditCaroline Godard, de Rencontres tsiganes.La militante a l’impression de revivreles expulsions de l’été 2012, avantl’entrée en application de la circulaireinterministérielle du 26 août 2012 sur

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l’évacuation de campements illicites.Celle-ci prévoit que «les difficultéssociales, sanitaires, scolaires, ou liées aulogement, doivent être systématiquementexaminées le plus en amont possible etdes solutions, temporaires ou durables,doivent être recherchées ».

La caserne était expulsable depuis le18 mai 2015, en vertu d’une décisiondu tribunal administratif datant du 17avril. La préfecture des Bouches-du-Rhône traînant des pieds, la mairiede Marseille a signé le 29 juin unarrêté de péril grave et imminent et lepréfet a dû ordonner le concours de laforce publique. Dans un communiqué,la préfecture justifie cette évacuationexpresse, contraire à la circulaire du 26août 2012, par une «situation d'urgenceexceptionnelle» et «la volonté de protégerles occupants». Un architecte mandatépar le tribunal administratif a constatédes «risques de chutes de tuiles, plafondset bâtiment menaçant de s'effondrer,escaliers dépourvus de garde-corps»,rappelle-t-elle.

Caroline Godard hausse les épaules.«L’écroulement de toiture évoqué s’estproduit, il y a six mois, il n’y avaitpas d’urgence, estime-t-elle. Et le siteest immense, nous aurions pu condamnerseulement les parties dangereuses. C’estun détournement de procédure : la mairiea voulu profiter d’un moment de latence,au début de l’été.»

Dans la cour de la caserne, traînentencore des jeux d'enfants. © LF

Les associations marseillaises quitravaillent avec les Roms sont unanimespour saluer le travail effectué depuis 2012par la préfète déléguée à l’égalité deschances, Marie Lajus, malheureusementsur le départ. Elle doit prendre lundison poste de préfète de l'Ariège. «Dans

les Bouches-du-Rhône, ça se passe plutôtbien par rapport aux autres départementsoù il n’y a aucune application de lacirculaire d’août 2012, salue Jean-PaulKopp, président de Rencontres tsiganes.Marie Lajus a mis les collectivitéslocales devant leurs responsabilités enobligeant par exemple Marseille Provencemétropole (la communauté urbaine deMarseille) à ramasser les ordures devantles campements et mettre en place desaccès à l’eau.» Quand la justice ordonnedes évacuations, la préfète «temporise,le temps de trouver des solutions enconcertation avec les associations et lescollectivités», apprécie Caroline Godard.

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Mais depuis 2012, sur quelque 1 500personnes roms à Marseille –un chiffrestable depuis des années –, seules 90familles, soit environ 500 personnes, ontpu bénéficier de dispositifs d'insertion ettrouver un logement via le bailleur socialAdoma, l’Action méditerranéenne pourl'insertion social par le logement (Ampil)ou l’association Habitat alternatif social.«Toutes les collectivités territoriales nejouent pas le jeu», soupire Jean-PaulKopp. «Et il faut que les gens rentrentdans des cases, précise Framboise. C'estle travail que nous faisons, nous, enamont, les petites associations, pourqu'ils aient la domiciliation, l'emploi oul'inscription au Pôle emploi, la cartemédicale, l'apprentissage du français et lascolarisation des enfants. Puis, on passe lerelais aux gros dispositifs.»

Un travail de fourmi, mis à bas pardes évacuations comme celle qui s'estdéroulée ce vendredi matin. «Victimes dediscriminations permanentes, l’État et laVille de Marseille, par leurs décisions,les maintiennent dans la précarité etl’insécurité permanente, ignorant lesconditions nécessaires à leur insertion,notamment par le logement et l’école»,a regretté RESF-Bouches-du-Rhône dansun communiqué dénonçant «cette logiquede chasse aux Roms tous les étés àMarseille».

La Grèce est entrée en terreéconomique inconnuePAR MARTINE ORANGELE VENDREDI 3 JUILLET 2015

Les banques pourront-elles rouvrir mardi ?Quel que soit le résultat du référendum,l’économie grecque semble avoir atteintun point de rupture. La crise de liquiditésmenace. Le système bancaire est en failliteet l’économie s’est effondrée.

C’est un pays isolé, effondrééconomiquement, en faillite financière quiva se prononcer dimanche sur son avenir.Depuis lundi 29 juin, les banques sontfermées et un contrôle des capitaux a étéinstauré. Mardi 30 juin, la Grèce n’a pashonoré son remboursement de 1,6 milliardd’euros au FMI et peut être considéréecomme en défaut. Aucun pays occidentaln’avait jusqu’à présent fait défaut faceau FMI. La destruction de l’économie estcomparable à celle d’un pays en état deguerre.

En demandant son référendum, AlexisTsipras n’avait pas seulement commeobjectif politique d’obtenir une main plusforte face aux responsables européens,comme il l’espère. Dos au mur, il se devaitaussi d’arrêter la machine infernale lancéecontre la Grèce, d’imposer le bilan desplans de sauvetage de la Grèce orchestréspar l’Union européenne, le FMI et la BCEdepuis six ans. Mais il est peut-être déjàtrop tard.

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Face à cette catastrophe– malheureusement annoncée de longuedate –, les différentes institutions ont pourl’instant comme préoccupation premièrede dégager leurs responsabilités. Leministre allemand des finances, WolfgangSchäuble, grand instigateur de cettepolitique, a donné le ton : tout est dela faute de Syriza et du premier ministregrec, Alexis Tsipras. « La Grèce est dansune situation difficile mais simplement àcause des agissements du gouvernementgrec. Accuser les autres peut peut-êtreêtre utile en Grèce mais cela n’a rienà voir avec la réalité. Personne d’autren’est à blâmer pour cette situation », a-t-il déclaré mercredi au Bundestag. Tousles autres responsables lui ont emboîtéle pas, dénonçant l’amateurisme et lechantage du gouvernement grec, maisjamais leurs erreurs. Tous sont suspendusau résultat du référendum, qui, espèrent-ils sans même s’en cacher, marquerala défaite de Syriza et l’arrivée d’ungouvernement plus « responsable ».

Quel que soit le résultat du référendum, lesresponsables européens vont se retrouverconfrontés à une situation plus critiquequ’ils ne le croient et qu’ils ont en grandepartie provoquée. Car la dégradation del’économie a peut-être atteint un point derupture. La suspension du versement desaides dès juillet 2014 – soit bien avantl’élection de Syriza –, l’intransigeance descréanciers face à toute reconsidération dela dette grecque, les plans de sauvetageproposés plus irréalistes les uns queles autres, la décision de la BCE enfévrier de priver les banques grecques desguichets réguliers du système monétaireeuropéen, puis celle de geler les fondsde liquidité d’urgence aux banques, ontcréé une réaction économique en chaînedifficilement contrôlable. Aujourd’hui,le pays est au bord de l’explosionéconomique.

Les responsables grecs comme européensgardent un mutisme absolu sur le sujet.Pourtant, le premier choc pourrait seproduire dès mardi. Les banques grecquespourront-elles rouvrir ou non, après leréférendum ? Leur fermeture était devenue

inévitable la semaine dernière, après ladécision très politique de la BCE de gelerles fonds de liquidité d’urgence. « Il n’estpas facile de rouvrir des banques, une foisqu’on les a fermées », avait prévenu alorsle gouverneur de la banque de Chypre.Il parle en connaisseur. Les banqueschypriotes étaient restées fermées pendantplus de deux mois, après la décision de lesfermer en avril 2013. Et il a fallu attendreplus de dix-huit mois pour retrouver unfonctionnement à peu près normal et lalevée du contrôle des capitaux.

La situation est mille fois plus graveen Grèce. Depuis des mois, les autoritésmonétaires maintiennent la fiction d’unsystème grec encore stable. Dans les faits,il s’est totalement écroulé. La situation aencore empiré depuis que la BCE lui afermé l’accès aux guichets normaux pourse refinancer depuis février. Depuis, lesbanques grecques dépendent uniquementdes fonds de liquidité d’urgence bien pluschers, au moment où elles font face à desretraits de dépôts massifs. En quelquessemaines, cette assistance est passée de 50à 89 milliards d’euros. Lors de la dernièreréunion dimanche dernier, les banquesgrecques demandaient 6 milliards d’eurosde liquidité supplémentaires, quand laBCE leur a dit non.

En dépit des restrictions imposées surles retraits (60 euros à chaque fois),les banques grecques semblent avoirquasiment épuisé toutes leurs réservesen une semaine. Selon les chiffres quicirculent, elles auraient un milliard d’eurosde liquidités, tout au plus. « Les liquiditéssont assurées jusqu’à lundi, ensuite celadépendra de la décision de la BCE », adéclaré Louka Katseli, dirigeante de labanque nationale grecque.

« Je ne vois pas comment les banquespourraient rouvrir mardi », a prévenu unresponsable de la Barclays. Une analysepartagée par d’autres analystes bancaireset de fonds d’investissement. « Quiconquepense que les banques vont rouvrir dèsmardi est un doux rêveur. L’argent nedurerait pas une heure », a déclaré de soncôté Constantine Michalos, responsablede la chambre de commerce grecque. Le

phénomène a été documenté à plusieursreprises : dès la réouverture des banques,les déposants se précipitent pour retirertous leurs fonds disponibles.

Crise de liquidités

Les premiers effets des fermeturesbancaires, du contrôle des capitaux etde l’exclusion de facto de la Grèce dusystème monétaire européen commencentà se faire sentir. Les entreprises ont lesplus grandes difficultés à s’approvisionnerà l’étranger ou se faire payer lesexportations. Certains commerçants disentne plus voir aucun client. L’argent manquepartout. Le spectre de la crise de liquidités,comme en Argentine, commence àsurgir. À ce stade, on n’ose même pasimaginer les effets sur une économieen totale dépression, si la situation seprolongeait. Et elle risque de se prolonger,quel que soit le résultat du vote dedimanche.

Les responsables européens entretiennentl’illusion que tout rentrera rapidementdans l’ordre, si la Grèce vote oui etSyriza quitte le gouvernement. Erreur !Car la banque centrale européenne, mêmesi elle est disposée à fournir de nouvellesliquidités au système bancaire grec, nepourra pas ne pas demander une décotesupplémentaire sur les titres apportés engarantie par les banques grecques. Cettequestion, poussée par le président de laBundesbank, Jens Weidmann, était déjàau cœur des discussions des dirigeants dela BCE depuis plusieurs mois. La décoteparaît inévitable désormais, compte tenu

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de la situation économique : le FMI adéclaré officiellement la Grèce en défautde paiement.

L’importance de la décote, si la BCEaccepte de continuer à soutenir lesbanques grecques, sera un sujet hautementpolitique. Mais quel qu’en soit le chiffre,il risque de créer de graves tensions dansle système bancaire. Les banques risquentde ne pas avoir le volume suffisant detitres à déposer en garantie pour obtenir lesmêmes montants de liquidité et pourraientse retrouver prises dans le piège durationnement. L’économie grecque avec.

Au-delà de la crise de liquidités, c’est unecrise de solvabilité qui menace l’ensembledu système bancaire grec. Depuis desmois, les autorités prudentielles fontcomme s’il n’existait aucun problème,comme si leurs fonds propres, constituésmajoritairement par des titres obligatairesgrecs d’État ou de grandes entreprises,avaient la même valeur qu’auparavant.Dans les faits, elles attendaient un accordeuropéen qui permette de débloquer unfonds de réserve de 10 milliards d’eurosdestinés à la recapitalisation du systèmebancaire grec. Accord qui n’est jamaisvenu.

Aujourd’hui, cette fiction ne peut plusêtre prolongée. La Grèce a fait défaut.Pour l’instant, celui-ci ne porte quesur des créances du FMI. Mais lefonds européen de stabilité financière,principal créancier de la Grèce, faitporter une nouvelle menace. Il a déclarévendredi se réserver de réclamer leremboursement anticipé de 130,9 milliardsd'euros dus par Athènes, compte tenu dunon-paiement au FMI. Autant précipiter laGrèce tout de suite dans les abîmes.

Même si la Grèce dit oui et emportele soutien de l’Europe, comme le fontmiroiter les responsables de l’Union,même si un accord européen est trouvérapidement, même si les fonds en réservesont versés en urgence, tout cela risquede ne plus suffire à masquer la faillite del’État et par contrecoup celle des banques.Ou inversement, tant les deux sont liés.Une perspective qui semble être intégréedans de nombreux scénarios bancaires.

Le gouvernement, quelle que soit sacouleur, n’aurait alors d’autre choix quede nationaliser l’ensemble des banques,de prélever sur les dépôts pour tenter derenflouer.

Et puis ? La suite dépendra des choixdu gouvernement grec et des réactionsde l’Union européenne, du FMI, de laBCE. Leur gestion du dossier grec a étési calamiteuse depuis le départ, le désastreest si grand, leur refus d’endosser touteresponsabilité dans cette débâcle est siconsternant, leur dogmatisme est si ancréque tout pronostic est impossible.

Jeudi 2 juillet, le FMI a publiéofficiellement une nouvelle étude sur lasituation grecque. Que dit-il ? Que ladette est insoutenable. L’institution estimeque la Grèce a besoin d’un troisième plande sauvetage lui apportant immédiatement10 milliards d’euros dans les mois quiviennent et 50 autres milliards sur troisans. En échange de réformes, elle proposeune restructuration de la dette, avec unepériode de répit de 20 ans, et en reportantla fin des paiements en 2055. Ce planressemble – parfois même en plus radical –à celui qu’a proposé pendant des semainescet « énergumène » de Yanis Varoufakisaux responsables européens.

Pourquoi le FMI a-t-il mis tant de tempsà reconnaître publiquement ce que desdizaines d’économistes n’ont cessé derépéter depuis au moins 2012 ? PourquoiChristine Lagarde a-t-elle préféré adopterune attitude politique intransigeante plutôtque suivre l’avis de ses services ? Fallait-il attendre que l’économie grecque soittotalement effondrée ? Quoi qu’elle endise, l’Europe risque de payer chèrementcette mise à genoux. Elle a déjà dilapidéune grande partie de son capital moral.

La Grèce réveille lesfantômes de 2005 dansla gauche française pro-européennePAR STÉPHANE ALLIÈS ET LÉNAÏG BREDOUX

LE VENDREDI 3 JUILLET 2015

L’annonce par Alexis Tsipras d’unréférendum sur le plan des créanciersd’Athènes dimanche suscite des débats,parfois vifs, qui rappellent à certainségards ceux qui avaient profondémentdivisé socialistes et écologistes lors duréférendum sur le traité constitutionneleuropéen.

Le parallèle est facile, peut-être trop. Maison ne peut s’empêcher d’y songer, dix ansaprès. Depuis l’annonce d’un référendumorganisé par le premier ministre grecAlexis Tsipras, le débat suscité en Francepar l’avenir de la Grèce et de l’Europerappelle celui qui a déchiré le pays en2005, lors du référendum sur le traitéconstitutionnel européen (TCE).

Les clivages ne sont sans doute pasaussi violents : le PS est dans uneposition plus équilibrée et il n’y aévidemment pas le même engouementpopulaire. Mais il y a des amalgamescomparables. Soutenir Tsipras et défendrele “non” au référendum, ce serait vouloirtuer l’Europe et menacer les Grecs detoutes les souffrances du monde, quandcritiquer le gouvernement grec et souhaiterla victoire du “oui” serait la victoire dela raison, voire des démocrates contre lesobscurantistes gauchistes. Sans compterles rappels à la « belle idée européenne »et à « la paix », qui justifieraient toutes lesaustérités.

Il y a Nicolas Sarkozy qui vilipendela « politique irresponsable » dugouvernement grec qu’il place dans lecamp des démagogues avec l’extrêmedroite face aux tenants de la « raison». « L’Europe ne peut pas céder devantun gouvernement dans lequel figurentl’extrême gauche et l’extrême droite. Si les18 s’inclinaient devant M. Tsipras, celaapporterait de l’eau au moulin de tousceux qui préfèrent la démagogie et lessurenchères au projet européen. Donnerraison à M. Tsipras reviendrait à déjugertous les gouvernements européens qui ontfait le choix de la raison », a-t-il expliquéau Monde.

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Il y a aussi les leçons de moraleattendues des éditorialistes parisiens (lirel’analyse d’Acrimed sur les tweets deJean Quatremer, Arnaud Leparmentier etJean-Michel Aphatie, ainsi que le partipris d’Amélie Poinssot), critiquant le «chantage » de Tsipras et les nécessairesefforts que la Grèce doit encore fournir àtout prix. Ou estimant que le référendumne peut être un acte démocratique maissimplement le reflet du populisme leplus crasse. Ou inventant des ministresnéo-nazis dans le gouvernement grec,comme l’éditorialiste Dominique Seuxce vendredi sur France Inter. À sadécharge, le mensonge factuel est aussil'apanage du gouvernement français, quipar la voix de Michel Sapin affirmeque l’Argentine et le Brésil seraientles plus véhéments auprès du FMIface à l’attitude grecque (une assertionpourtant démentie par l’Argentine et leBrésil).

Et puis il y a la gauche, divisée comme en2005. D’un côté le Front de gauche, quimultiplie les rassemblements de soutien àSyriza et espère encore et toujours rejouerla bataille pour une fois gagnée de 2005, lamajorité des écologistes et une minorité duPS. De l’autre, le reste du parti socialiste,François Hollande et Manuel Valls. Cettefois, il ne s’agit pas tant de voter “oui” ou“non” au référendum, mais de soutenir, ounon, Alexis Tsipras.

Si François Hollande ne fait plusardemment campagne aux côtés deNicolas Sarkozy comme il y a dixans, le gouvernement français défendimplicitement le “oui” grec, comme ilsoutenait le oui français. Hollande l’a ditlundi, à l’issue d’une réunion à l’Élysée.Et son ministre de l’économie MichelSapin a expliqué le même jour qu’ilne savait pas « discuter avec quelqu'unqui dit “non” ». Ce vendredi, StéphaneLe Foll, porte-parole du gouvernement,s’est énervé du départ programmé àAthènes de plusieurs représentants del’aile gauche du PS pour soutenir le “non” :« Aller en Grèce avant le référendumc'est pour aller dans quel sens : le nonaux créanciers, le non à l'euro, le oui

aux créanciers, le oui à l'euro », a dità Libération le ministre de l’agriculture,fatigué par les « leçons de gauche de lagauche qui ne gouverne pas ». « Quandon est à la tête d'un pays et de gauche, ona des responsabilités. On ne peut avanceravec des œillères et mener nos partenairesdans l'impasse », a-t-il encore dit.

Cela dit, la France se garde biende dénoncer le principe même d’unréférendum et souligne systématiquementle droit souverain du peuple grec.Mercredi, le ton est même monté entreParis et Berlin : quand Angela Merkeljugeait qu’aucune négociation ne pouvaitencore avoir lieu avant le scrutin dedimanche, François Hollande appelait àpoursuivre les discussions. La chancelièreallemande a eu gain de cause. Mais c’estune des premières fois que le présidentfrançais ose se démarquer publiquementde son homologue…

Sur mediapart.fr, un objet graphiqueest disponible à cet endroit.

La question a divisé le bureau national duPS en début de semaine : l’aile gauchedu parti socialiste souhaitait un messaged’appui à Syriza. La majorité l’a rejeté.Jean-Christophe Cambadélis a expliquéque le PS n’était pas le porte-parole duparti de gauche radicale grec et que laFrance devait être le « trait d’union »entre Athènes et Bruxelles. Une positionqui est précisément celle publiquementdéfendue par la France. Martine Aubryétait du même avis. Le même débatavait agité le congrès du PS à Poitiers,où Georges Papandréou, l’ancien premierministre grec, figurait parmi les invités.Syriza, en revanche, n’avait pas été convié.

« Il y a beaucoup de points communs avec2005, à une nuance près : le débat estmoins violemment clivé, tempère le députéeuropéen Emmanuel Maurel, qui siège aubureau national du PS pour l’aile gauchedu parti. Il y a ceux qui, comme nous,soutiennent à fond Tsipras mais, au PS,personne n’est sur la ligne de Merkel etde Juncker. Et personne ne dit qu’il fautvoter “oui” au référendum grec. Le débat

est entre une vision diplomatique et le faitde dire clairement qu’on est aux côtés desGrecs. »

Proche de Benoît Hamon, l’eurodéputéGuillaume Balas approuve : « Je n’entendspersonne dans le parti stigmatiser Tsiprascomme les nonistes ont pu l’être àl’époque. » « Nous ne débattons entre nousque de points de détail », veut même croirele député Philip Cordery, soutien de lamajorité de Jean-Christophe Cambadélis.De fait, le PS n’est pas sur la même ligneque Martin Schulz, président du parlementeuropéen et membre du SPD allemand :jeudi, il a préconisé le remplacementd’Alexis Tsipras par un gouvernement detechnocrates, en cas de victoire du “oui”.

« Comment des gens de gauchepourraient accepter la défaite degens de gauche ? »Mais au-delà même du cas grec, ce sontbien les divergences de fond de 2005que l’on retrouve, sur le projet européencomme sur la stratégie que la France doitadopter pour infléchir les institutions deBruxelles. « Tout ce que nous avionssoulevé au moment de la campagne du“non” reste incroyablement d’actualité,estime le député PS Emmanuel Maurel.Entre d’un côté ceux qui pensent quel’Europe est une idée formidable et unprojet qu’il faut construire pas à pas, enpassant des compromis avec la droite et,de l’autre, ceux qui pensent qu’il fautaller à la confrontation avec la droiteallemande. » Comme lui, Guillaume Balasse désole de la « timidité méthodologiquede Hollande, toujours cette même idéeselon laquelle être mou serait efficace.Résultat : on fait de la tactique plutôtque de la politique. Mais en face, lesconservateurs n’hésitent pas. Eux… »

Merkel, Tsipras et Hollande, à Bruxelles,le 26 juin 2015 © European Union

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Son camarade Christophe Caresche, à ladroite du PS, est pour une fois sur lamême ligne : « Comme en 2005, il y aceux qui, comme moi, acceptent l’Europetelle qu’elle est, même imparfaite et quipensent qu’il faut faire bouger les chosesdans ce cadre et donc accepter les règlesdu jeu. La méthode européenne est celledu “pas à pas”. Chez certains de mesamis, je ressens le refus de cette Europe-là et la volonté que François Hollandeprenne la tête de la contestation de lapolitique libérale menée sous l’égide del’Allemagne. Le débat de 2005 n’a pas étédépassé. »

Entre ces deux positions clivées, lesproches de Martine Aubry tentent commetoujours de tout concilier. « Sur la Grèce,il n’y a au PS que des divergences sur lecaractère plus ou moins ostentatoire dela médiation jouée par François Hollandeen ce moment », estime le député Jean-Marc Germain. Et à ses yeux, le présidentfrançais est « le seul des chefs d’Étateuropéens à pouvoir aujourd’hui jouer cerôle de facilitateur. Entrer en oppositionfrontale ne serait pas non plus une bonnenouvelle en termes diplomatiques, alorsque le duo franco-allemand s’est montréefficace face à Poutine sur la situationukrainienne ».

Secrétaire national du PS à lamondialisation et très proche de MartineAubry, il admet toutefois une pointe degêne. « Ce qu’on ne sait pas, c’est laposition précise de l’Élysée sur certainsmandats de négociation discutés avec laGrèce, comme les plans de privatisations,l’augmentation de la TVA ou l’évolutiondes petites retraites », dit-il. Lui quiavait voté oui en 2005 voterait non auréférendum grec. Mais en bon aubryste,il insiste : « Il n’y a pas de rupturesouhaitable, mais un rééquilibrage durapport de forces, davantage en faveur del’Europe du Sud. »

Pour beaucoup, c’est la mort de toutealternative de gauche au niveau européenqui se joue actuellement. Pour GuillaumeBalas, « l’enjeu du moment, c’est lavictoire pour longtemps de la ligneSchäuble [le ministre des finances

allemand ultralibéral - ndlr] ». « Cequi se passe avec Syriza dépasse laGrèce, opine le député Pascal Cherki,pilier de l’aile gauche du PS depuis unequinzaine d’années. Merkel et les droiteseuropéennes veulent tuer Tsipras et touteesquisse d’alternative ! »

Si la direction du PS s’en tient à uncommuniqué de son bureau national,rédigé au trébuchet, Cherki a choisi dese rendre à Athènes ce week-end. « C’estCambadélis qui aurait dû y aller », selamente-t-il. Lui sera à la tête d’unedélégation de socialistes issus de la motionB du dernier congrès, critiques de l’actiongouvernementale, prendra la parole lorsdu dernier meeting de Syriza à Athènesvendredi et rencontrera des responsablesde Syriza samedi. « On veut leur direqu’ils ne sont pas seuls, et on veut voirpar nous-mêmes la situation pour pouvoiralerter l’opinion en rentrant », expliquecelui pour qui « l’humiliation du peuplen’est jamais bonne » et qui repense luiaussi très fort à 2005.

« En France, la non-reconnaissance dunon au référendum est l’une des causesobjectives de la montée du Front national», dit-il. Cherki voit dans la période un« révélateur de crise » : « La droiteest organisée et combat idéologiquement,et nous on est dispersé, on est mi-chèvre mi-chou. Mais Syriza, ce n’estpas la gauche radicale, c’est une gaucheélue démocratiquement dans un pays quisouffre. Comment des gens de gauchepourraient accepter la défaite de gens degauche ? »

Toutefois, certains socialistes espèrent queles choses peuvent encore bouger. Àl’assemblée, l’audition du secrétaired’État aux affaires européennes HarlemDésir devant la commission des affairesétrangères a progressivement glissé enréquisitoire des institutions européennes.Arnaud Leroy a donné le ton, avantd’être approuvé par la quasi-totalité desintervenants, droite et gauche confondues :« Il y a urgence à refaire de la politiqueau niveau européen, alors qu’on voits’effondrer un édifice construit depuis 50ans. » Dans sa foulée, plusieurs députés

évoqueront « l’image désastreuse donnéepar l’Union européenne », son « manquede transparence insupportable », son «surplace qui ne fait qu’aboutir à des reculs», son lien de dépendance avec le FMI…

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Autant de critiques balayées par HarlemDésir, qui s’est borné à mettre sur lemême plan « la nécessité de respecterl’alternance en Grèce mais aussi derespecter les engagements pris par laGrèce devant la commission ». Enintroduction, il avait surtout soulignécomme principale « difficulté » le faitque « la Grèce a perdu la confiancede nombreux membres de la zone euro,pour ne pas dire plus ». Une posture decommentateur qui a laissé les députés surleur faim.

« On est dans un moment dedégénérescence absolue de la social-démocratie européenne, estime GweneganBui. L’Europe anglo-saxonne l’a emportéet le malaise est tellement grand qu’ils’exprime à l’assemblée. En 2005, il étaitimpensable de voir tant de députés de tousbords l’exprimer ainsi. Pour la premièrefois, on voit émerger une expression de ceque pensent au quotidien tous les peuplesd’Europe. » « Il y a dans la scénarisationd’un Tsipras devant plier le genou quelquechose d’insupportable, s’agace de soncôté Cécile Duflot. On dessert l’idéemême d’Europe par l’Europe. Avec uneobsession à minimiser le moment, alorsque l’UE est en train de basculer. Il esttemps de faire politiquement bouger leschoses pour sortir de cette Europe decomptables. »

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Les écologistes, plus unis qu'en2005… et qu'en 2012Chez les écologistes, l’autre parti degauche qui a connu de profondes divisionsen 2005 (au point de ne pas prendreposition alors), EELV est pour le coupquasiment unanime à soutenir Syriza,également soutenu par les Verts grecs.« On ne rejoue pas le TCE, mais ledébat grec est une illustration de 2005,estime le député européen écologistePascal Durand. On a à la fois besoin d’uneEurope qui revienne à ses fondamentauxet besoin de manifester notre rejet de cetteEurope-là. Il faut que l’Europe revienne àses valeurs. »

De fait, les écologistes français sontau diapason du parti vert européen,qui a appelé à « un accord centrésur les réformes de la fiscalité etde l'administration publique, sur lalutte contre la corruption », soutenantune « restructuration et l'allègementde la dette grecque » et refusant «les mesures d'austérité pro-cycliques,économiquement autodestructrices etsocialement irresponsables ».

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« Notre positionnement sur lerenforcement politique de l’Europe estlargement partagé, face à ceux qui,au gouvernement, se disent qu’il n’ya pas besoin de se mouiller, estimeCécile Duflot. À la limite, cela faitresurgir chez nous les interrogationsqu’on a pu avoir sur la ratification dutraité de stabilité européen de 2012.» À l’époque, le mouvement avaitconnu de vives divergences internes,notamment entre les dirigeants nationauxet les parlementaires européens. Parmices derniers, Yannick Jadot avait soutenule TSCG, « pas sur le contenu, maiscomme contrepartie à l’acceptation parl’Allemagne de la mutualisation des dettes». Mais aujourd’hui, poursuit-il, « iln’est plus question de contrepartie et denégociation intelligente, il n’est questionque d’austérité ».

Pour Jadot, il y a des similitudesévidentes avec 2005, notamment dans le« comportement infantilisant » de la «coalition du statu-quo » autour de Junckeret Merkel, ces « mêmes réflexes de mépriset de chantage à la responsabilité ». Maisil constate aussi dans cette « forme desoutien sans critique à Syriza qu’il peuty avoir à gauche, où l’on ne s’interrogepas sur ce qu’il peut y avoir de malsainà organiser un référendum sans temps dedébat et sans intitulé clair », le même «type de “non-dit nationaliste” » chez lessoutiens de Tsipras, qui avaient aussi « dumal à reconnaître que le non n’était pasque de gauche ».

« On ne peut que penser à 2005 et au débatparfois compliqué parmi les partisans du“non” sur le rejet de l’Europe et lavolonté de construire une autre Europe.Il faut tenir à la fois sur la nécessitépour la Grèce de rester dans la zoneeuro et combattre la politique européennecatastrophique menée aujourd’hui »,estime aussi l’eurodéputé EELV PascalDurand.

Mais aux yeux de Jadot, « le parallèleavec 2005 s’arrête là. Car à l’époque,il y avait deux visions de gauche enrupture, mais parfaitement légitimes :ceux qui s’opposaient à la dérive libéralede l’UE face à ceux qui défendaient uneamélioration démocratique des droits duParlement européen. Aujourd’hui, il n’ya aucun gain démocratique dans ce quefait l’Eurogroupe ». Et là-dessus, tous lesécologistes sont d’accord.

Une nouvelle écouteconfirme la mise soussurveillance de l'appareild'Etat allemandPAR JÉRÔME HOURDEAUX, JULIAN ASSANGE(WIKILEAKS), MATHIEU MAGNAUDEIX ET JULIANASSANGE (WIKILEAKS)LE VENDREDI 3 JUILLET 2015

Angela Merkel et ses alliés sociaux-démocrates tentent d'esquiver lapolémique suscitée par les révélations deWikileaks sur l'espionnage massif desautorités allemandes par les Américains.

Mais un nouveau document publié parMediapart et Libération en prouve toutel'étendue.

Angela Merkel se tait. Deux joursaprès leur publication, la chancelièreallemande n'a toujours pas dit un motà propos des informations de Mediapartet Libération, en collaboration avecWikileaks, confirmant l'espionnage massifdes autorités allemandes par la NSA.Une attention extrême que vient pourtantétayer, et préciser, un document inédit dequelques lignes seulement, mais classifié"G" pour "gamma" – « ultra-sensible »dans la nomenclature de la NSA.

Ce relevé d'interception datant de 2011confirme que le renseignement américainopère au cœur même du pouvoir, sansnul doute depuis le toit de l'ambassadeaméricaine à Berlin, située sur la célèbrePariser Platz où se trouve la porte deBrandebourg. Une place piétonne quiabrite également l'ambassade de France.

Ce 13 décembre 2011, le conseiller spécialde la chancelière chargé des affaireseuropéennes, Nikolaus Mayer-Landrut,discute au téléphone avec un interlocuteurinconnu. Fin octobre, un nouveau pland'urgence pour réduire la dette privée dela Grèce auprès des banques vient d'êtredécidé. Et quatre jours plus tôt, lors d'unsommet européen organisé à Bruxelles,la France et l'Allemagne ont réclaméun nouveau traité européen renforçant ladiscipline budgétaire en Europe. Ce serale fameux TSCG, alors dénoncé commele "traité Merkozy" par une partie dela gauche mais qui sera finalement adoptéun an plus tard, au début de la présidenceHollande.

© WikiLeaks

Une fois les annonces passées, Paris etBerlin s'attellent à la rédaction du nouveautraité. En écoutant Meyer-Landrut, la NSAapprend ainsi que « le président NicolasSarkozy préférait commencer ce processus

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avec une réunion "amicale" et de réflexioncommune plutôt qu’une vraie session detravail ». Sur la foi des conversationsinterceptées, l'auteur de la note de la NSApeut aussi affirmer que Paris et Berlinse sont mis d'accord sur la méthode : «Le président du conseil européen Hermanvon Rompuy d[oit] consulter en premierlieu les États-membres les plus importantsde l’Union européenne sur ce que pourraitêtre la structure appropriée, avant qu’untexte ne soit mis en circulation pourexamen. » Sur le fond rien de surprenant.

Mais en écoutant le proche conseillerde la chancelière, les Américains captentaussi des éléments de conversation privéedu secrétaire général de l'Élysée, XavierMusca, dont le nom est d'ailleurs citédans la note – interrogé par Mediapartet Libération, ce dernier juge cetteconversation « crédible et cohérente »,mais affirme qu'il traitait les sujets «sensibles » via des « solutions sécurisées». Questionné ce vendredi, l'Élysée n'a passouhaité faire de commentaires. « Nousnous sommes déjà largement expriméssur ce sujet, en 2013 et la semainedernière », quand les documents publiéspar WikiLeaks ont révélé l'espionnagedes présidents français Chirac, Sarkozy etHollande. À Berlin, la Chancellerie n'a pasdavantage répondu à nos questions.Mis en relation avec les autres documentsque nous avons déjà révélés, cette notepermet de comprendre de manière encoreplus précise le maillage de surveillance,étroit et sophistiqué, qui entoure les hautsdirigeants ciblés par la NSA.Ainsi, en cette fin d'année 2011, alorsque la Grèce est, déjà, au cœurde l'actualité, une conversation privéed'Angela Merkel est écoutée. Les lignesdirectes des ministres les plus en vue,de leurs collaborateurs proches et decertains responsables de l'administration,écoutés depuis 2002 et peut-être mêmeavant, continuent de toute évidence à l'être– selon la pratique pratique habituelleà la NSA. Au même moment, NikolasMeyer-Landrut, l'homme clé des questionseuropéennes à Berlin, est espionné parles services secrets britanniques pour lecompte du renseignement américain.

Mais il l'est également par les Américainseux-mêmes.C'est en effet ce qu'indiquent trois lettresdiscrètes au bas de la note : "SCS", pour"Special Service Collection". Comme lesdocuments révélés en 2013 par le lanceurd'alerte Edward Snowden ont permis dele révéler, le SCS, implanté dans 80 lieuxde par le monde, est un service top secretcommun à la NSA et à la CIA, nichédans le toit des ambassades américaines.Selon un document datant de 2010, ilest implanté dans 19 villes européennes,dont Paris et Berlin. Il y a deux ans,grâce à une caméra thermique, desjournalistes allemands avaient d'ailleursremarqué une intense activité au sommetde l'ambassade américaine à Berlin…

Le toit de l'ambassade à Berlinfilmé en 2013 par une caméra spéciale

Malgré ses révélations, relayées par lequotidien allemand Süddeutsche Zeitung,la chancelière Angela Merkel est restéetotalement silencieuse depuis mercredisoir. « Angela Merkel a préféré parler dela météo », s'amuse la chaîne de télévisionn-tv. Le vice-chancelier social-démocrate,qui gouverne avec Merkel, a même tournéces informations en dérision. « À part laquestion de l'espionnage économique, toutle reste, c'est du théâtre absurde. Nousne faisons rien dans les ministères partéléphone qui pourrait être écouté », adéminé Sigmar Gabriel.Le directeur de la Chancellerie PeterAltmaier a bien convoqué l'ambassadeurdes États-Unis, mais rien n'a filtré decette rencontre. Il y a fort à parier qu'ils'est plus agi d'une visite de courtoisieque d'une remontée de bretelles. « Lechef de la chancellerie a clairementaffirmé que le respect du droit allemandest indispensable et que les atteintesconstatées seront poursuivies », a affirméla Chancellerie dans un communiquélapidaire. « L'espionnage entre amis, ça

ne se fait pas », avait tempêté AngelaMerkel en 2013, lorsqu'elle avait apprisque son portable avait été espionné. Uneprotestation pour la forme, qui n'avait rienchangé.Ces nouvelles preuves de l'espionnagepar la NSA ont en revanche enflamméla commission d'enquête parlementairesur les agissements de la NSA,déclenchée après l'affaire Snowden, àqui le pouvoir allemand ne cessede bloquer l'accès aux documents quipermettraient de comprendre l'étenduede la surveillance de la NSA enAllemagne. Et pourraient établir ausside façon très crue la collaborationeffrénée des services secrets allemandsà la surveillance internationale. Autantde révélations évidemment déflagratoirespour le gouvernement.« L'espionnage de téléphones allemands,à Bonn ou Berlin, est indiscutablementune infraction », a lancé le présidentde la commission d'enquête, PatrickSensburg, membre de la CDU, le particonservateur de Merkel. « Qu'ont faitles services secrets des "Five Eyes" enrelation avec l'Allemagne de 2001 à2014 ? Nous devons tirer ce bilan. Lachancelière doit sortir de son silence,les Américains doivent s'expliquer. AngelaMerkel doit rechercher un dialogue trèsintense avec les Américains », a exhortéle social-démocrate Christian Flisek. « Lachancelière serait capable de parler sielle le voulait, mais elle ne veut pas »,déplore le député d'opposition écologisteKonstantin vont Notz. « Il est grand tempsde cesser enfin les contorsions devantl'administration américaine », a ajoutéMartina Renner, députée de Die Linke,l'autre parti d'opposition.Jeudi, pour leur dernière session del'année, les députés ont demandéd'auditionner le directeur de laChancellerie. Il s'est fait porter pâle. Leparquet de Karlsruhe, qui avait clos il ya quelques jours l'enquête ouverte surles écoutes du portable d'Angela Merkel,pourrait toutefois décider de la rouvrir,mais rien n'est décidé à ce stade.

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Hollande refuse l'asileà Assange, une décisioncritiquéePAR LÉNAÏG BREDOUX ET MATHIEUMAGNAUDEIXLE VENDREDI 3 JUILLET 2015

Une heure à peine après la parutiond'une lettre de Julian Assange dans LeMonde, l'Élysée a rejeté fermement toutepossibilité d'asile en France pour lefondateur de WikiLeaks. Une décisionsans surprise, critiquée à droite comme àgauche.

François Hollande n'a rien voulu entendre.Malgré les divers appels à accorder l'asileà Julian Assange depuis les nouvellesrévélations sur les écoutes de la NSA,l'Élysée a rejeté fermement vendredi toutepossibilité de séjour en France pour lefondateur de WikiLeaks. Une décisioncritiquée à droite comme à gauche.

Dans une tribune publiée jeudi surMediapart, des personnalités commeEdgar Morin, Jacques Audiard, Eva Joly,Thomas Piketty, Éric Cantona, RomainGavras ou Vincent Cassel s'adressaientà la France et estimaient que « lesrévélations de WikiLeaks donnent à sesplus hauts représentants l’opportunité delaver l’humiliation subie et, ce faisant, deréaffirmer les valeurs de la France et sasouveraineté, en accordant sa protection àJulian Assange et Edward Snowden ». Unepétition en ligne a également été lancée.Dans la foulée, Julian Assange a signé unelettre ouverte à François Hollande dans LeMonde pour le convaincre de lui accorderl'asile. Peine perdue.

Sur Twitter, l'association SOS-Racismes'est étonnée de la rapidité avec laquellel'Élysée a répondu au fondateur deWikiLeaks et de la bizarrerie de laprocédure (lire notre article) :

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Dans un communiqué publié vendredi,Europe-Écologie Les Verts (EELV) sedit « scandalisé de la réponse – aussiimmédiate que laconique – apportée par leprésident de la République à la demandede protection formulée par Julien Assange». « La rapidité de la réponse constitueen soi un terrible aveu de faiblesse quirappelle tristement l’interception illégalede l’avion du président bolivien par lesautorités françaises qui craignaient queSnowden soit réfugié à l’intérieur. (...)Le rejet de la demande d’asile de JulienAssange est une atteinte claire et profondeaux valeurs de notre République, tant lasituation qu’il subit est indigne et lesrisques de persécutions qu’il encourt sontréels et nombreux », poursuit le partiécologiste, qui appelle François Hollandeà « revenir sur cette décision et à mettreenfin en œuvre les principes qui ont fondéle rayonnement moral de la France depuisdes siècles : la justice, l’équité, et laprotection des plus faibles. »

La députée européenne Eva Joly a quant àelle fait le lien avec l'actualité grecque :

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Isabelle Attard, députée et anciennemilitante d'EELV, a redit sur Twittervendredi qu'il fallait accorder l'asile àAssange. « Je suis scandalisée que les

lanceurs d'alerte qui prennent des risquespour nous aider soient traités comme descriminels ! », explique-t-elle.

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Au Front de gauche, Jean-Luc Mélenchonest du même avis.

Au PS, la sénatrice Marie-NoëlleLienemann (aile gauche) et les députésArnaud Leroy et Yann Galut font partie deceux qui sont favorables à ce que JulianAssange trouve asile en France :

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À droite, Thierry Mariani (LR, ex-UMP)partage le même point de vue :

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Même chose pour le FN Florian Philippot :

Un imbroglio judiciaire : lesÉtats-Unis et les plaintes pourviol en SuèdeL'Élysée peut toujours se cacher derrièrela situation juridique complexe de JulianAssange. Si le rédacteur en chef deWikiLeaks est bien dans le viseur desÉtats-Unis depuis que son site a publié, auprintemps 2010, les documents de l’arméeaméricaine fournis par Chelsea Manning,

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la justice suédoise réclame aussi sonextradition pour une affaire d'agressionsexuelle et de viol.

Au mois d’août 2010, alors que WikiLeaksest au sommet de sa popularité, deuxjeunes femmes suédoises déposent plaintecontre Julian Assange. Lors de relationssexuelles au départ consenties, il luiest notamment reproché d'avoir refuséd'utiliser un préservatif, ou de l'avoir retirésans prévenir, des faits qui, en Suède,peuvent relever du viol. Julian Assangese trouve alors en Grande-Bretagne, à quila Suède demande son extradition. Auterme de deux années de bataille juridique,il finit par se réfugier, le 19 juin 2012, dansles locaux de l’ambassade de l’Équateurà Londres et demande l’asile à ce pays.Il y est depuis toujours bloqué, menacéd’être interpellé dès qu’il passera la portede l’ambassade.

Julian Assange © Reuters

Julian Assange ne nie pas avoir eudes relations sexuelles avec ses deuxaccusatrices, mais dément avoir retiréson préservatif sans leur consentement.Selon ses défenseurs, c’est la police quiaurait fortement incité les deux femmesà déposer plainte. WikiLeaks affirme eneffet que cette procédure est téléguidée parles États-Unis afin d’obtenir l’extraditionde Julian Assange dès qu’il sera arrivéen Suède. Celui-ci s’est d’ailleurs ditprêt à se présenter devant la justice, àla condition que les autorités suédoisess’engagent à ne pas le transférer vers unautre pays. Ce qu’elles ont refusé au nomde l’indépendance de la justice.

Le problème est que, pour l’instant, JulianAssange n’est officiellement inculpéd’aucune charge, ni aux États-Unis ni enSuède. Pour être formellement inculpé, ildevrait être auditionné par la procureuren charge de l’enquête. Mais celle-ci s’estjusqu’à présent refusée à faire le voyage

jusqu’à Londres, malgré les demandesrépétées de WikiLeaks et le feu vert desautorités britanniques. « Elle devait venirà Londres le 17 ou le 18 juin dernier, maiselle n’a entamé ses démarches auprèsde l’ambassade que trois jours avant,affirme Juan Branco, conseiller juridiquede WikiLeaks. Ce qui est bien entendubien trop tard. Elle a prétendu une erreurtechnique. Mais ce que nous constatons,c’est en fait un double langage. »

De leurs côtés, les États-Unis se gardentbien d’annoncer l’ouverture officielled’une enquête qui ne ferait que confirmerles craintes des avocats d’Assange. Celle-ci semble pourtant bien être une réalité.Au cours d'une conférence de presseorganisée au mois de janvier à Genève,l'équipe juridique de WikiLeaks, menéepar le juge espagnol Baltazar Garzon, aprésenté des emails montrant que Googlecollaborait avec la justice américaine enlui fournissant des données sur certainsmembres de WikiLeaks. Le 9 juindernier, le hacker et journaliste JacobAppelbaum, qui a par ailleurs travailléavec WikiLeaks, a révélé que Googleavait été obligé de transmettre ses donnéespersonnelles aux autorités afin d’alimenterle dossier d’inculpation de Julian Assangepar un grand jury. « Jusqu’à présent,lorsque nous affirmions que les États-Unis faisaient tout pour obtenir de laSuède l’extradition de Julian Assange, onnous traitait de complotistes. Aujourd’hui,nous savons que c’est vrai », estime JuanBranco.

Mais cet imbroglio juridique pourraitbientôt se débloquer. « Au mois d’août,trois des quatre charges dont JulianAssange est accusé vont être prescrites »,explique Juan Branco. « Il ne resteraque la plus lourde, "viol mineur", pourlaquelle il risque jusqu’à 10 ans de prison.Il y a une grande chance pour quel’ensemble du dossier soit clos. En effet, àcette occasion, l’ensemble de l’affaire seraréexaminée, un nouveau mandat d’arrêtdevra être délivré, et il faudra le justifier.Or, il n’y a eu dans ce dossier aucunacte d’enquête depuis 2010. » Selon leconseiller juridique, « le parquet sait que

ce dossier est vide et cherche en fait uneporte de sortie tout en gardant la têtehaute ».

Si les poursuites sont abandonnées contrelui en Suède, rien ne dit pourtant que laFrance, qui ne veut pas froisser les États-Unis, reviendrait sur sa position de ne pasaccorder l'asile. Quant à Edward Snowden,lui aussi à l'origine de très nombreusesrévélations sur l'espionnage mis en placepar la NSA, il est toujours bloqué enRussie. La France lui avait refusé, il y adeux ans, un sauf-conduit qui lui auraitpermis de déposer une demande d'asile enbonne et due forme.

Jean-Pierre Saez : pendantl’été des festivals, « desdigues s’effondrent »PAR HUBERT HUERTASLE VENDREDI 3 JUILLET 2015

Sur tout le territoire, les réductionsde crédits imposées aux collectivitéslocales transforment la culture en variabled’ajustement. Des festivals sont encrise, d'autres baissent le rideau. Jean-Pierre Saez, directeur de l’Observatoiredes politiques culturelles, est l’invitéd’Objections.

Ce n’est pas encore une hécatombe, maisun mouvement en profondeur. À l’heureoù s’ouvre l’été des festivals, deux centsd’entre eux trébuchent ou disparaissent.Même à Avignon le directeur, OlivierPy, annonce qu’il sera sans doutecontraint de réduire la durée de samanifestation. C’est cette crise qu’analyseJean-Pierre Saez dans Mediapart, avec uneprudence qui n’interdit pas la franchise,et une modération qui n’exclut pasla fermeté : « On peut parler d’unaffaiblissement général de l’ambition

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politique en direction de la culture. Lesdigues s’affaissent, y compris avec desmunicipalités de gauche. »

Deux sites ont quantifié cette crisesur Internet. Celui d’Émeline Jersol,jeune médiatrice culturelle qui travailleà Valenciennes, édite une carte :la Cartocrise. En mars 150 sitesétaient menacés. Aujourd’hui plus de200 lieux sont concernés. Second site,celui d’Artfactories, qui détaille lesdéfaillances et leurs causes. Avignon :baisse des subventions pour l’Orchestrede Région Avignon-Provence ; Blanc-Mesnil : fin du projet artistique de XavierCroci, et départ de 20 salariés ; Grenoble :retrait d’une subvention aux musiciensdu Louvre ; Parthenay : baisse de 20 %pour les associations culturelles ; Roanne :limogeage du directeur du théâtre ; Saint-Étienne : conflit ouvert avec le personneldu théâtre ; Saint-Priest : annulation dela quasi-totalité de la programmation ducentre culturel Théo-Argence au profitd’une programmation dite « plus populaire» ; Toulouse : baisse de subvention auThéâtre national…

La baisse des dotations de l’État auxcollectivités locales met partout unepression particulière sur les élus, maispour Jean-Pierre Saez, ces économiesforcées n’expliquent pas tout. L’arrivéede nouvelles équipes municipales, aprèsles élections de mars 2014, a provoquéquelques règlements de comptes et pas malde volonté « d’imposer sa marque » dela part de ceux qui se sont installés dansles mairies, en voulant se distinguer deleurs prédécesseurs. Mais au-delà de cescas répertoriés, il existe un mouvementgénéral qui tendrait à faire des budgets dela culture une variable d’ajustement.

Pour Jean-Pierre Saez, la réformeterritoriale risque d’aggraver encore leproblème : « On peut regretter que lelégislateur s’en soit tenu à la notion decompétence culturelle partagée entre lesvilles, les départements et les régions,qu’il n’ait pas marqué de façon plus claireun engagement en faveur de la culture. Ilaurait été préférable que l’on écrive que

la culture est une compétence obligatoirepartagée. Le soutien à la vie culturelle doitdevenir un élément moral. »

Beaux-Arts : encore unsale tour de la monarchieculturelle ?PAR JOSEPH CONFAVREUXLE SAMEDI 4 JUILLET 2015

L'annonce du licenciement du directeurdes Beaux-Arts de Paris, NicolasBourriaud, fait polémique. En dépit dudémenti du ministère de la culture, uneintervention de l'Élysée pour placer unprotégé de Julie Gayet est soupçonnée.Quoi qu'il en soit, l'événement illustre unenouvelle dérive du pouvoir de nommerdans le monde de la culture. Entretien avecle directeur tout juste limogé.

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Mercredi 1er juillet, un article duCanard enchaîné annonçait un prochainlimogeage du directeur de l'École desbeaux-arts de Paris, Nicolas Bourriaud,figure reconnue du monde de l'art,après son tout premier mandat, et sonremplacement par Éric de Chassey, enpartance de la Villa Médicis, à Rome, oùil exerce ses fonctions depuis 2009.

La première partie du programme a étéréalisée jeudi 2 juillet, après un entretienentre Nicolas Bourriaud et la ministrede la culture, Fleur Pellerin, et l'annoncede l'éviction de l'actuel directeur desBeaux-Arts. La seconde partie demeurehypothétique mais les regards se tournentvers l'Élysée. Le château serait-il intervenupour trouver un point de chute à Éricde Chassey, époux de l'actrice AnneConsigny, meilleure amie de Julie Gayet ?

Les soupçons sont d'autant plus forts quecette dernière avait failli devenir juréde la Villa Médicis en 2014, avant quel'affaire ne fasse revenir Éric de Chasseysur sa décision. Dans son communiqué,et sentant peut-être venir le scandale, leministère de la culture a démenti que lesuccesseur de Nicolas Bourriaud seraitÉric de Chassey.

Quoi qu'il en soit, cette nouvelle affairede nomination, régalienne et polémique,dans la culture illustre une nouvelle fois lesdérives d'un système culturel où le pouvoirde nommer du politique continue de poserproblème.

Les étudiants de l'École nationalesupérieure des beaux-arts ont lancé unepétition adressée à la ministre de la culturecontre cette décision. Et l’Associationnationale des écoles d’art (ANDEA) afait savoir qu’elle jugeait cette décision «scandaleuse, inique et irresponsable ».

Entretien avec le directeur fraîchementlimogé, Nicolas Bourriaud.

Quelle lecture faites-vous de votreéviction de la direction des Beaux-Artsde Paris ?Il y a vraiment un étonnement dans lamesure où le communiqué publié par leministre de la culture évoque un “nouvelélan” ou un “changement d'orientation”pour l'école, alors que les préconisationspour le prochain directeur correspondentexactement au projet d'établissement quenous avons mis en place. C'est vrai pourle caractère collégial de la direction.Le projet a été élaboré en concertationavec le comité technique et le conseilpédagogique, qui a entériné le fait quele directeur des études soit choisi parmiles professeurs de l'École, et aussi lesétudiants qui ont animé sept groupes detravail. Nos collections sont engagées dansun processus de labellisation “Musée deFrance”.

Quant à l'autre point important, lerayonnement international, l'École desbeaux-arts bénéficie d'ores et déjà d'undes meilleurs réseaux d'écoles partenairesdans le monde. Les trois derniers accordsen date ont été passés avec Buenos Aires,Oulan-Bator et La Havane. On est en traind'élaborer une formation post-diplômeavec l'Académie centrale de Pékin, uneautre est en cours avec l'université Geidaià Tokyo, et le nombre de candidatsétrangers n'a jamais été aussi élevé.Aujourd'hui le rayonnement internationalet le dynamisme de l'école sont reconnus.

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Pourquoi demander à mon successeur demener la politique que je suis en train demener avec succès ?Quels ont alors été les arguments de laministre de la culture quand vous l'avezrencontrée jeudi 2 juillet ?L'entretien a duré une quarantaine deminutes et je n'en retiens aucun argumentfactuel. Peut-être existe-t-il un manqued'informations des collaborateurs de laministre… Mon rendez-vous avec ellea été fixé au moment exact où devaitse tenir le conseil d'administration del'École, pendant lequel je devais présenterle projet d'établissement écrit qui avaitété élaboré collégialement toute l'année, etqui correspond point par point à ce quedemande aujourd'hui le ministère de laculture pour justifier mon éviction.

L'entrée des Beaux-Arts de Paris

Mercredi dernier, Le Canard enchaînéa annoncé que vous seriez limogépour trouver un point de chute àÉric de Chassey, en partance de laVilla Médicis, marié à l'actrice AnneConsigny, meilleure amie de JulieGayet. Pensez-vous que l'Élysée soitintervenu ?Je ne peux pas vous répondre. Mais jetrouve étrange que l'appel à candidaturesse termine le 21 juillet. Entre le 3 et le21 juillet, à cette période et en si peude temps, il n'est pas possible d'élaborerun projet sérieux, pour une école de cetteimportance, à moins d'avoir été sollicitéen amont. Peu de grands professionnelspourront y répondre...En 2014, vous aviez été auditionnédevant le Sénat, qui reprochaitnotamment les frais élevés d'unescolarisation, estimée à 19 000 euros parélève et par an ?

Les élèves paient un peu plus de 600euros leur année scolaire, comme dans lesautres universités. Ce chiffre de 19 000euros est à relativiser : il est dans lamoyenne de ce genre d'école prestigieuse,et il faut souligner que le budget del'école n'est pas seulement consacré àla scolarité pure et dure, mais aussi àl'entretien du patrimoine, aux 450 000œuvres de la collection, aux expositions…La transmission de l'art par la rencontredes étudiants avec les œuvres et lesartistes fait partie du modèle de l'Écoledepuis deux siècles, j'ai juste essayé de

l'adapter au XXIe siècle. Et c'est unmodèle international. Le fonds souverainmarocain nous a contactés pour créer àRabat une école qui pourrait constituerun pont extraordinaire sur le continentafricain.Un rapport de la Cour des comptesavait aussi pointé de nombreuxdysfonctionnements dans la gestion del'École des beaux-arts. Cela a-t-il faitpartie de la discussion avec FleurPellerin ?Non, pas du tout, puisque ce rapportportait sur la gestion de mon prédécesseur,précisément entre 2000 et 2012. J'ai mis finaux dérives constatées dans ce rapport et laplupart des préconisations étaient en coursde réalisation avant même sa sortie. Cetteannée a été une année exceptionnelle pourles Beaux-Arts. Tous les indicateurs del'école en termes artistiques et financierssont au vert.

Le logo des Beaux Arts de Paris

Nous sommes très attractifs pour les

partenaires privés, avec un 3e cycleentièrement financé par un mécène, ondevrait signer un partenariat avec Bic pourla biennale du dessin. À la rentrée, onouvre un café tenu par les étudiants, lepremier à exister dans l'école depuis 12ans. Nous ouvrons une salle multimédia,

l'amphithéâtre d'honneur sera entièrementrénové en 2016. On ouvre un espaceavec pignon sur rue sur notre autresite de Saint-Ouen. Sans compter lechantier d'accessibilité handicapés qui vaêtre terminé l'année prochaine. Il fallaitvraiment replacer cette école à niveau, etc'est ce que j'ai fait.D'autres critiques vous ont reproché laplace des sponsors, des mécènes et unecertaine marchandisation de l'ENSBA.Que répondez-vous ?Je réponds qu'on ne peut pas, dans le mêmetemps, me faire ce reproche et m'enlever800 000 euros de budget par rapportà 2012. Je ne peux pas tailler dans lascolarité, réduire la voilure sur les activitésde l'École, parce que notre modèlepédagogique comprend le patrimoine, lescollections et les expositions. Il fallaitdonc trouver de l'argent à l'extérieur, etj'ai su recadrer la présence des mécènes ausein de l'École.Ce n'est pas la première, ni la dernièrefois, que les nominations dans lemonde culturel font polémique. Est-cespécifique à la France et pourrait-onenvisager des procédures de nominationplus justes ?

Oui, il semble que cela fonctionnemieux… presque partout ailleurs. Lesystème de nomination français trèsconcentré, lié à cette monarchie

républicaine et culturelle qu'est la Ve

république, éprouve là ses limites. Ilfaut une déconcentration des servicesde l'État et l'introduction d'expertisesprofessionnelles, par les pairs, dans ledomaine de la culture. On ne peut êtretributaire uniquement du politique. Il mesemblerait par exemple légitime, dans lecas des Beaux-Arts, que les professeurs del'École aient également leur mot à dire.Pensez-vous possible que la décision quivous a été annoncée hier soit annulée ?Tant que je n'ai pas reçu un courrier signéde la présidence, j'espère encore qu'onpuisse revenir sur l'absurdité d'évincer undirecteur au moment où une véritabledynamique s'est créée avec les différentsacteurs de l'École, et en demandant àson successeur d'appliquer les réformesqu'il a initiées… Il y a désormais un

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climat de confiance retrouvé dans l'École,qui se retrouve de nouveau déstabilisée.C'est cela que je trouve regrettable. Jecrains que les tensions structurelles duesau fonctionnement longtemps très opaquede l'École, avec des services privés desynergies autour d'un projet commun, nereviennent…

La disparition programméedu Centre d’études del’emploiPAR LAURENT MAUDUITLE VENDREDI 3 JUILLET 2015

Le gouvernement a annoncé auxchercheurs du Centre d'études de l'emploila disparition de l'établissement publicau 31 décembre prochain. Si le projetaboutit, il aura de graves effets car il s'agitd'un organisme original, conduisant desétudes pluridisciplinaires à la lisière de larecherche académique et de l'évaluationdes politiques publiques.

Ce serait une perte majeure pour larecherche économique et l’évaluation despolitiques publiques dans le domaine del’emploi et du travail, mais pourtant, legouvernement a mis en chantier le projet :le Centre d’études de l’emploi (CEE)devrait être purement et simplementsupprimé à la fin de l’année. Plusieurs foisannoncé et à chaque fois différé, l’arrêtde mort du CEE est cette fois bel etbien programmé. Selon nos informations,la nouvelle a été confirmée le 4 juinaux représentants des personnels et deschercheurs de l’institution, à l’occasiond’une réunion organisée par les deuxtutelles de l’établissement public, lesministères du travail et de la recherche.Une nouvelle réunion devrait se tenirà Matignon le 9 juillet pour finalisercertaines modalités de la réforme, avec àla clef le basculement des crédits publics

qui jusque-là profitaient à l’établissementet lui étaient alloués par le ministère dutravail.

S’il aboutit, ce projet de suppression seraittrès inquiétant. Car le Centre d’étudesde l’emploi est un organisme publicoriginal, dans le domaine de la rechercheet de l’évaluation, pour une cascadede raisons : d’abord, les chercheursqui le composent proviennent d’universmultiples, les uns du monde universitaire,d’autres du CNRS, d’autres encore del’Insee ou de la recherche conduite par lesadministrations publiques ; les chercheurssont aussi issus de disciplines multiples, etcette interdisciplinarité, peu fréquente, estun facteur de richesse pour les études. Àla lisière entre la recherche académique etl’expertise publique, le centre occupe uneplace un peu à part, qui fait son originalité.

Explication de l’un de ses membres :« C’est un établissement public créédans les années 1970 et dont la missionprincipale est de mener des recherchesfinalisées répondant à la demande despouvoirs publics, et plus largement àla demande sociale, sur les questionsde travail et d’emploi. Cette missionlui a donné des contours originauxdans le paysage de la recherche. C’estl’un des rares centres à mener desrecherches académiques répondant auxpréoccupations du moment, sur unegamme de thèmes allant du travail àl’emploi, en passant par la formation,la santé et les conditions de travail. Lestravaux du CEE sont interdisciplinaires,combinent des approches qualitatives etquantitatives, des analyses comparativesinternationales, des analyses nationaleset locales ou en entreprise. Le CEErassemble des chercheurs de profilsvariés (économistes, sociologues, juristes,ergonomes, statisticiens, etc.) et destatuts divers (provenant de l’Insee,

d’universités, du CNRS, de Pôle emploi, dedivers ministères, etc.), qui dans le mondeacadémique ont peu souvent l’occasion decoopérer. »

Il est donc stupéfiant que le gouvernementait décidé de l’étrangler. Et c’est à unfâcheux précédent que l’on pense, celuidu Centre d’études des revenus et descoûts (CERC), qu’Édouard Balladur avaitsupprimé en 1994. Mais l’histoire du CEEn’est pas tout à fait celle du CERC.

Dans ce dernier cas, les études trèscorrosives du CERC, et notammentson rapport annuel sur les revenusdes Français, avaient rythmé le débatéconomique français tout au long desannées 1980. Et sous le second septennatde François Mitterrand, les dirigeantssocialistes avaient pris ombrage de cesrapports impertinents qui mettaient enévidence un très grave creusement desinégalités sociales et donnaient desarguments à ceux qui pointaient dudoigt ce qu’en ces temps-là on appelaitles « années-fric » ou le « règne del’argent fou ». Mais pour finir, c’est ladroite, à peine revenue au pouvoir aprèsl’alternance de 1993, qui avait donnéle coup de grâce au CERC, dans lecadre d’une disposition insérée dans la loiquinquennale pour l’emploi.

Dans le cas du CEE, la motivation dugouvernement ne semble pas vraiment lamême. Plus stupidement, ce sont d’abordde basses considérations d’économiesbudgétaires qui semblent à l’origine dece projet de suppression du CEE. Audébut, le gouvernement a d’abord profitéd’un trop-perçu de TVA européenneau profit du centre pour diminuer àtitre temporaire de 30 % les créditspublics qui lui étaient alloués. Puis letemporaire s’est installé dans le temps etest devenu définitif, asphyxiant de plusen plus l’organisme, dont le nombre deschercheurs est progressivement tombé àseulement 29, au lieu de 40 voici troisans. Et puis, c’est l’organisme lui-mêmequi est devenu superflu, aux yeux dugouvernement.

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Au Centre d’études de l’emploi,le gouvernement n’a donc jamaisfait le reproche explicite ni mêmeimplicite de mener des études tropsulfureuses, ou d’être un repaire dechercheurs hétérodoxes. Dans l’universde pensée unique dans lequel baignele gouvernement – pour ne pas direles choses plus méchamment –, toutjuste les ministres concernés doivent-ils ne pas bien comprendre l’intérêtd’un lieu de recherche public quiprivilégie le pluralisme des approches etl’interdisciplinarité. Ce n’est donc peut-être pas de l’hostilité des dirigeantssocialistes que risque de mourir le Centred’études de l’emploi, mais plutôt – ce quiest peut-être pire – de son indifférence.Tout semble se passer comme si legouvernement ne voyait plus bien l’intérêtde conduire des recherches publiquessur les secteurs que couvre l’organisme.Puisqu’il n’y a qu’une seule politiqueéconomique et sociale possible, est-ilvraiment utile de conduire des études pouren mesurer la pertinence et en évaluerles impacts ? Voilà l’inconscient quisemble guider le gouvernement : il faitgrand cas des études très « mainstream »d'organismes comme France Stratégiemais semble ne plus rien attendred'organismes, pourtant précieux, commele CEE. Ainsi va la vie économique sousle quinquennat de François Hollande :les ministres jouent des coudes pourêtre invités au Forum de Davos ou auxRendez-vous (mondains) de l'économieorganisés par le Cercle des économistes(de la pensée unique), mais plus aucunne s'intéresse vraiment aux travauxacadémiques produits à l'Université...

Si le CERC a déplu et a été supprimépour cela, ce n’est donc pas exactement lemême danger qui guette le CEE. Encorefaut-il dire que le gouvernement multiplieles appels à projet dans le domaine dela recherche économique et sociale, etaccorde de plus en plus souvent sesfaveurs aux experts les plus libéraux.En 2013, le ministère du travail avaitainsi indigné de très nombreux chercheurset économistes en confiant une étude,rémunérée grassement 120 000 euros, à

des économistes ultralibéraux, ceux dela Chaire de sécurisation des parcoursprofessionnels.

120 000 euros pour une étudesans appel à projetCela avait fait d’autant plus de bruitdans la communauté des économistes etdes chercheurs que le Centre d’études del’emploi avait été écarté au profit de cecénacle néolibéral, sans qu’un appel àprojet ait été lancé. Parmi les contributeurssélectionnés par le ministère du travail,on retrouvait ainsi des noms bien connusdu courant « mainstream » parmi lesquelsPierre Cahuc, Stéphane Carcillo ou encoreMarc Ferracci – des auteurs dont onconnaît la rengaine perpétuelle (on peutpar exemple la découvrir dans ce point devue publié par Le Monde : Augmenterle Smic détruirait des emplois sansdiminuer la pauvreté). On se demanded’ailleurs bien pourquoi la puissancepublique passe commande d’études à deséconomistes qui n’ont jamais écrit qu’uneseule note de travail, dans des variantesinfinies : sus aux pauvres ! Le social, voilàl’ennemi !

À l’époque, l’affaire avait donc fait grandbruit et, unanimes, les syndicats de laDARES (le service des études du ministèredu travail) s’en était vivement inquiété. Àl’issue d’une réunion avec la directionde la DARES, les syndicats CGT, CFDTet FSU avaient publié un compte-rendudans lequel on pouvait lire notammentceci : « Sur la décision de s’engager avecles porteurs de la chaire, le directeur arépété avoir beaucoup réfléchi avant deprendre cette décision et avoir longuementhésité. Il comprend que cette décision posequestion et reconnaît qu’il n’y a pas eude discussion, ni même d’information aucomité de direction avant la signaturede la convention (sic !). Le directeur apensé que la chaire pourrait apporterde nouvelles choses par rapport auxopérateurs (CEE, Céreq) ou appels àprojets. »

Mais pour autant, le gouvernement n’apas véritablement déclaré la guerre auCentre d’études et de l’emploi. Il le

laisse bien plutôt vivoter depuis plusieursannées dans des conditions budgétaires deplus en plus difficiles, avant d’envisagermaintenant de le supprimer. Et c’estcela qui est également choquant dans lagestion chaotique et incohérente par legouvernement de ce dossier : changeantperpétuellement de position depuis troisans, envisageant l’avenir du Centre sousdes jours sans cesse différents, il ajoué au ping-pong avec les chercheurs,affichant un mépris social constant despersonnels. Un jour, il leur a proposéune solution passant par un mariage avecle Centre d’études et de recherchessur les qualifications (Céreq) ; puisle lendemain un rapprochement dans lecadre d’une communauté d’universités,par exemple avec l’université de Marne-la-Vallée ; puis une absorption pure etsimple par cette université de Marne-la-Vallée ; puis le surlendemain – c’est ladernière piste en date, une intégration dansune unité mixte de recherche (UMR)du Conservatoire national des arts etmétiers (CNAM), mais qui équivaut àune pure et simple dissolution du CEEpuisque aucune structure autonome n’estenvisagée au terme du transfert…

Autant de pistes qui équivaudraient doncà faire perdre au centre son identité, enle faisant basculer dans un seul univers,alors que son originalité est d’être à laconfluence de plusieurs mondes, celuide l’Université et celui de la décisionpublique. Mais les chercheurs n’ont pasmême le temps de s’inquiéter d’uneréforme qu’une autre, contradictoire, seprofile. Jusqu’à ce que pour finir legouvernement annonce la suppressiondéfinitive du CEE, reportée plusieursannées de suite. Ce qui a conduit à unesituation sociale très tendue au sein ducentre : le 23 juin dernier, les représentantsdu personnel ont adressé un courrierà la directrice de l'établissement, luiindiquant qu'ils faisaient jouer leur droitd'alerte. « Cette restructuration fait peser,depuis plus de quatre ans, une incertituderadicale sur l’avenir individuel et collectifdu personnel du CEE », écrivent-ilsdans leur courrier à la directrice. Et ilsajoutent : « Les annonces de dissolution

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de l’établissement au 31 décembre del’année civile ainsi que les scénarios detransfert du Centre se sont succédé, dansle désordre le plus total : les scénariospermettant le maintien du personnelet des missions du Centre ont tousété brutalement écartés, sans qu’aucuneexplication ne nous en soit donnée, malgrénos demandes répétées et écrites auprès dela direction du Centre, de la direction dela DARES ou des cabinets des ministres dutravail et de la recherche. »

Depuis plusieurs années, les chercheursont donc fini par attraper le tournis. Carplusieurs fois, le gouvernement leur apromis – ou a fait mine de leur promettre –que la survie du CEE serait au moinsassurée. Dans une lettre en date du 25octobre 2013 (elle est ici), l’ex-secrétairegénéral de la CGT, Thierry Lepaon, avaitainsi demandé à Michel Sapin, à l’époqueministre du travail, des garanties pour lasurvie de CEE. Lequel Michel Sapin avaitrépondu (sa lettre est là) au responsablesyndical que sa demande ferait « l’objetd’un examen attentif ». Une formule quiétait pour le moins évasive.

Mais quelques jours plus tôt, le mêmeMichel Sapin avait été beaucoup plusnet. Répondant à une question écrite quelui avait posée le 22 octobre 2013 ladéputée écologiste Eva Sas (la questionest ici), il avait apporté une réponse(elle est là dans sa version intégrale)avec un retard spectaculaire, le 5 mai2015 – preuve du mépris en lequel leParlement est tenu. Mais au moins laréponse avait-elle le mérite d’être claire etde dissiper tous les malentendus. Évoquantles deux ministères de tutelle, le travailet la recherche, le ministre prenait cetengagement :

« Les deux cabinets ont réitéréà la direction du CEE ainsiqu'aux représentants du personnel leurconviction commune :

– qu'il y a un besoin au sein dumonde de la recherche d'une organisationpluridisciplinaire alliant recherche etinterventions de terrain dans les domainesdu travail et de l'emploi, comme le CEE enest la traduction ;

– que cette organisation, pour remplirsa fonction spécifique, nécessite quedes personnels d'horizons divers puissenttravailler ensemble au quotidien ;

– que les décideurs des politiques del'emploi doivent plus que jamais investirdans ce type d'activité, et activementconcourir à la définition des orientationsscientifiques en la matière. Dans cetesprit, les ministres prendront leursdécisions dans un délai désormais trèsrapproché, à l'issue d'ultimes contactsqui sont programmés dans les toutesprochaines semaines. Les représentantsdu personnel du CEE ont été reçus parles deux cabinets, avec les administrationsde tutelle, pour échanger avec eux sur lesoptions actuellement étudiées. »

Et voilà que le 4 juin, tout est denouveau remis en cause, avec l’annoncede la disparition du CEE comme opérateurindépendant au plus tard le 31 décembre2015. Explication de notre chercheur :« L’incapacité des décideurs à concevoirune solution qui préserve les missionsdu CEE et maintienne la diversité desprofils des chercheurs, l’absence de visionstratégique, le calendrier sans cessedécalé, la succession des interlocuteursau niveau des cabinets des ministèresde tutelle (du fait des remaniementsministériels), ont été et demeurent autantd’obstacles à l’élaboration d’une solution.La négociation de partenariats formalisésest suspendue, la construction de réponsesà des appels à projets de rechercheest devenue extrêmement difficile. Il y aurgence. On assiste à une dilapidationprogrammée des compétences du CEE,alors même que les enjeux actuels attachésà l’emploi et au travail sont de premièreimportance. Se priver de l’expertiseoriginale du CEE sur ces questions seraune lourde perte, non seulement pourles pouvoirs publics, mais aussi pour lesentreprises, les collectivités publiques, lesjournalistes, les syndicalistes et les autresacteurs régulièrement amenés à solliciterle CEE. »

Les ravages intellectuels del'intégrismeAu fil de ces trois dernières années, lesalertes des chercheurs ont donc été de plusen plus pressantes, mais jamais entendues.Dans Libération, le 10 octobre 2013,dix chercheurs en sciences économiqueset sociales réputés ont ainsi sonné unepremière fois le tocsin, dans un point devue que l’on peut retrouver ici. « LeCentre d’études de l’emploi est l’un de ceslieux rares qui tentent d’allier l’exigencescientifique avec la volonté de se saisirdes enjeux du moment, afin de répondreaux demandes d’expertise et d’éclairage,qu’elles émanent des pouvoirs publics, dessyndicats, des collectivités territorialesou des associations. Spécialisé surles questions brûlantes du travail etde l’emploi, il fonctionne depuis sonorigine comme un creuset de disciplines,de méthodes et d’approches théoriques,ce qui a favorisé l’originalité et ladiversité des productions sur un largeéventail de sujets : insertion desjeunes, fonctionnement des marchésdu travail, changements techniqueset organisationnels, égalité hommes-femmes, etc. Et pourtant cette institutionpourrait prochainement disparaître,absorbée dans l’université ou dépecéeentre plusieurs organisations. Que faut-il donc comprendre ? Au moment oùle chômage frappe officiellement près de3 millions de nos concitoyens, le travailet l’emploi ont-ils cessé d’être au cœurdes préoccupations du gouvernement ?Ou bien celui-ci n’adhère-t-il pasaux propos de son ministre surl’articulation entre recherches et actionpolitique ? », s’inquiétaient ceschercheurs. Parmi les dix signatairesfiguraient Philippe Askenazy (professeurassocié à l’École d’économie de Paris),Bernard Gazier (professeur d’économieémérite à l’université Paris-I) ou encoreFrédéric Lerais (directeur de l’Institut derecherches économiques et sociales).

Et ils ajoutaient : « Sacrifiées sur l’autelde la Modernisation de l’action publique(MAP), les équipes de recherches duCEE n’ont-elles pas leur place dans

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les chantiers du XXIe siècle ? Nossociétés ont pourtant impérativementbesoin de lieux ouverts, capables derassembler des personnes d’horizonset de disciplines diverses autour desgrandes questions contemporaines, aurang desquelles figure sans équivoquele devenir du travail et de l’emploi. Lasauvegarde du CEE, dans son identitésingulière, représenterait ainsi un actepolitique au service d’une démocratievivante. »

Plus récemment, trois chercheuses duCEE, Anne Eydoux, Annie Jolivet etCarole Tuchszirer, ont dit dans LesÉchos le 29 juin leur indignation contre« l’insoutenable légèreté de l’État » : « Sepriver de l'expertise du CEE serait unelourde perte pour les pouvoirs publics, lescollectivités territoriales, les entreprises,les journalistes, les syndicalistes et autresacteurs régulièrement amenés à solliciterle CEE. Nous dénonçons ce gâchishumain, financier et scientifique induit parune restructuration qui n'en finit pas, aumépris d'une collectivité de travail dontla seule finalité – ou le seul tort ? –est d'analyser l'évolution du marché dutravail, des politiques d'emploi et dutravail lui-même. Peut-être un luxe enpériode de chômage de masse. »

Et de quelque côté que l’on se tourne,c’est le plus souvent la même stupeuret la même indignation, à l’idée quele gouvernement pourrait en finir unebonne fois pour toutes avec le CEE,après l’avoir plongé dans d’interminablesturbulences depuis trois ans. En témoignecette ultime mise en garde que Mediaparta recueillie auprès de la philosophe etsociologue française Dominique Médaqui connaît mieux que bien d’autresl’utilité précieuse du Centre pour en êtrel’une des chercheuses associées et pouravoir été inspectrice générale des affairessociales : « Le CEE, nous a-t-elle confié,est un organisme absolument essentielet rare dans le paysage français. Undes rares à étudier les politiques detravail et d’emploi avec le concours deplusieurs disciplines, avec des enquêtesqualitatives et quantitatives. C’est un

outil extrêmement précieux pour toute lacommunauté, pour l’État et les partenairessociaux. »

Mais enfermés dans leurs dogmesnéolibéraux, les dirigeants socialistes sont-ils encore capables d’entendre ces misesen garde pressantes et de bon sens ? En fait,au fil de ces derniers mois, on perçoit deplus en plus nettement que des professionsmultiples, liées à la recherche économiqueet sociale voire à l’enseignement, sont enbutte à des difficultés communes, pourdéfendre l’indépendance et l’intégrité deleurs travaux, face à un gouvernement quiest de plus en plus gangrené par la penséeunique. C’est le cas des économistes,qui ont de plus en plus de difficultésà défendre à l’Université le pluralismedes approches qui fait la richesse de leurdiscipline, comme s’en sont fait l’écho lesparticipants – dont l’auteur de ces lignes –du récent colloque organisé le 13 juin àla Sorbonne par les “Atterrés” (lire Endéfense du pluralisme dans la presse etdans l’économie ou visionner la vidéo ci-dessous enregistrée lors de ce colloque).

Mais c’est le cas aussi des enseignantsdu secondaire, qui éprouvent les piresdifficultés à défendre les principesd’un enseignement honnête des scienceséconomiques et sociales (lire SOS pourles sciences économiques et sociales).

En somme, c’est une forme d’intégrismequi contamine progressivement toutesles sphères de la recherche économiqueet sociale. Un intégrisme qui, aumoment où la planète traverse une criseéconomique historique, a pour effet desaper les instruments intellectuels pouren comprendre les mécanismes et lasurmonter…

Procès BPCE : de lourdessanctions requises contreFrançois PérolPAR MARTINE ORANGELE VENDREDI 3 JUILLET 2015

Le ministère public a requis une peinede deux ans de prison avec sursis et uneinterdiction définitive de toute fonction

publique contre l’ancien secrétaire généraladjoint de l’Élysée. Plaidant un « dossiervide », la défense demande la relaxe.

Un instant, la salle se fige. La procureureUlrika Weiss, au terme d’un réquisitoiretrès sévère, vient de requérir une peineplus que symbolique contre FrançoisPérol, accusé de prise illégale d’intérêt :deux ans d’emprisonnement avec sursisassortie d’une amende de 30 000 euroset une interdiction à vie d’exercer toutefonction publique. Le parquet n’a jamaisdemandé une sanction aussi lourde pourun haut fonctionnaire pris dans un conflitd’intérêts.

La défense fait comme s’il ne s’était rienpassé. En dépit de tout ce qui avait pu êtredit pendant les six journées d’audience,celle-ci continue jusqu’au bout danssa ligne de défense. Elle s’évertue àvouloir donner la représentation d’unpouvoir élyséen formel et presque vide,de conseillers réduits au rôle de facteurs,se contentant de faire passer desinformations. Pour elle, François Pérol n’ajoué aucun rôle dans la formation de laBPCE, dont il avait pris la présidence àpartir de mars 2009. « Il n’y a pas depreuve. Ce dossier est vide », martèle àplusieurs reprises Pierre Cornut-Gentille,l’avocat de François Pérol.

© Reuters

C’était l’obstacle qu’avait souligné leprésident du tribunal, Peimane Ghaleh-Marzban, dès l’ouverture du procès. Ledossier de l’instruction comporte destémoignages, quelques notes, mais pasbeaucoup de ces éléments en provenancedirecte de François Pérol sur lesquels lajustice puisse s’appuyer. D’où la nécessitéde mener une reconstitution méticuleusedes faits en audience, de tenter de cernerce pouvoir aux contours flous, où laparole vaut bien plus qu’une délégation designature.

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C’est l’écueil auquel se trouve aussiconfronté le ministère public. Laprocureure Ulrika Weiss le soulignetrès vite : « Aucune note, aucunelettre, ni mail n’ont été retrouvésétablissant que François Pérol a donnédes instructions écrites et directesaux différentes administrations chargéesdu travail technique relatif au futurrapprochement. Ce sont de très nombreuxdocuments établissant l’implication del’administration élyséenne dans ce dossierqui ont été retrouvés », rappelle-t-elle. Enaudience, François Pérol avait expliquéqu’il n’avait pas d’agenda personnel etqu’il n’avait gardé aucun dossier.

La procureure résume en quelques motsson sentiment sur le dossier. « J’y aivu une vérité tronquée qui vise à nouségarer », dit-elle avant de reprendreméthodiquement le dossier. L’implicationde François Pérol, pour elle, ne se discutepas. L’ancien secrétaire général adjointde l’Élysée porte de longue date unintérêt au dossier Caisse d’épargne etBanques populaires. De Bercy quandil était directeur de cabinet de NicolasSarkozy à la banque Rothschild en tantqu’associé-gérant, il a eu à connaîtretoutes les étapes préalables à la fusion.Il connaissait tous les protagonistes, étaittrès lié avec Philippe Dupont, le présidentdes Banques populaires. Comment penserqu’il puisse se désintéresser du dossier ?

À plusieurs reprises, François Pérol avaitsoutenu pendant l’audience que la BPCEn’était qu’un dossier parmi tant d’autresau moment de la crise financière. Le futurensemble BPCE avait pourtant mobilisé àlui seul 7 milliards d’euros, soit un tiersdes fonds publics mis à la dispositiondu système bancaire pendant la crisefinancière. Il avait expliqué égalementqu’il n’avait aucune compétence pourdonner des avis techniques sur le dossier.« Bien sûr qu’il avait la compétence,y compris pour la recapitalisation. Laquestion des fonds propres, c’est le B.ABA du banquier. C’est le métier qu’il afait chez Rothschild. Et s’il n’y connaissaitrien, pourquoi le désigner ? »,insiste laprocureure.

En plus de la compétence, il enavait l’autorité, poursuit la procureure.Revenant sur les déclarations deClaude Guéant, elle souligne combienle quinquennat avait encore accentué

le régime présidentialiste de la Ve

République. « Le président intervenait surbeaucoup de questions qui auraient purelever du gouvernement. Il s’occupait detoute l’action publique », avait soulignél’ancien secrétaire général de l’Élysée.« À chaque étape importante du dossier,Nicolas Sarkozy a été informé. Il y a euvalidation de la position de l’ensemblede l’État à l’Élysée. Et François Pérol apartagé cet avis », martèle la procureure.

Crise de légitimité

François Pérol, Philippe Dupont et ChristineLagarde à l'Elysée en avril 2009 © Reuters

Tout cela n’est qu’une illusion d’optique,une reconstruction de l’histoire, répliquel’avocat de François Pérol. En prenant laparole, Pierre Cornut-Gentille sait qu’il luifaut réduire autant que possible la portéede l’intervention de Claude Guéant, quiavait mis à bas tout le système de défensede François Pérol. Il s’y emploie avecacharnement, jusqu’à se risquer à prendreles juges pour des idiots.

L’hyper-présidence de Nicolas Sarkozy ?Un rêve de Claude Guéant, « contentde voir un président martial». D’ailleurs,quand ce dernier dit que Nicolas Sarkozys’était « emparé du dossier », la couravait fait une fausse interprétation. Cequ’il fallait comprendre, c’est que NicolasSarkozy s’était emparé du cas de CharlesMilhaud, ancien président des Caissesd’épargne et ami de longue date duchef de l’État, quand celui-ci avait dûdémissionner en octobre 2008 après laperte de trading. Mais le président de la

République ne s’était en aucun cas investidans le dossier BPCE, soutient l’avocat deFrançois Pérol.

Poursuivant l’opération de déminage del’intervention de Claude Guéant, PierreCornut-Gentille souligne combien lesecrétaire général de l’Élysée a eu unemanière toute particulière, qui ne s’étaitjamais reproduite par la suite, d’exercer safonction. « Jamais François Pérol ne s’esttrouvé dans cette situation. Il est resté dansson rôle de conseiller », insiste-t-il.

Méthodiquement, l’avocat de FrançoisPérol entreprend de déconstruire ledossier. Reprenant certains notesimportantes, il met tout en œuvrepour montrer combien celles-ci n’avaientaucune portée, aucune valeur. « Est-cela marque que François Pérol pilote lafusion ? » interroge-t-il à chaque fois.Avant de conclure, narquois : « Vousn’avez pas de preuve. Il n’y a pas depreuve », pour le plus grand agacement duministère public.

La défense de François Pérol intervientainsi pendant plus d’une heure, procédantpar ellipse. Nombre de faits gênants –les mails de l’avocat François Sureau, lalongue implication de François Pérol dansle dossier depuis 2002, la multiplicité desréunions, la note où il écrit lui-même lesdispositions pour qu’il puisse prendre lepouvoir dès sa nomination… – sont passéssous silence ou balayés d’un revers de lamain.

Mais il y a une absence qui se remarqueplus que d’autres, un trou noir dans ladéfense. À aucun moment, il n'est questionde la commission de déontologie. Enune phrase, l’avocat de François Pérol aexpédié le sujet au début de sa plaidoirie.« Je ne reviendrai pas sur le sujet. Tout aété dit à l’audience », dit-il. C’est pourtantla question essentielle : si la commissionde déontologie avait donné son avis etavait autorisé François Pérol à prendrela présidence de la BPCE après avoirexercé comme secrétaire général adjointde l’Élysée, il n’y aurait jamais eu deprocès.

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Cette béance est d’autant plus troublanteque la procureure a eu des mots trèsdurs sur ce point. Rappelant que l’Élysée« avait fait le job » en organisant lesauvetage des Caisses d’épargne et de safiliale Natixis, au bord de la faillite enfévrier 2009, Ulrika Weiss a poursuivi :« Sauf qu’il aurait fallu que FrançoisPérol décline la proposition de NicolasSarkozy de prendre la présidence de laBPCE. » Les mises en garde, pourtant,n’avaient pas manqué, a-t-elle noté. Ily avait eu les doutes de Claude Guéantappelant le président de la commission dedéontologie, la note du secrétariat généraldu gouvernement sur le pantouflage d’unconseiller, insistant sur le fait qu’il nedevait y avoir « aucun élément précismontrant un investissement personnel ».« Il y avait alors deux voies raisonnables :attendre l’avis de la commission ourenoncer. Mais malgré les clignotants,vous décidez d’y aller. Cette positionest d’autant plus incompréhensible quevous vous étiez déjà trouvé dans le mêmecas de figure en 2004. C’est l’élémentintentionnel du délit. »

Le réquisitoire de la procureure se faitalors très sévère. « Quelle est l’intensité dupréjudice à l’intérêt général ? » demande-t-elle. « Dans le conflit d’intérêts, ce quiest en jeu, c’est un pilier du pacte social,un pilier de la démocratie. La crise de lalégitimité ne pourra que prospérer à lavue de la prolifération des intérêts privésqui interfèrent dans l’intérêt général.Ce soupçon de collusion, de partialité,emporte le découragement démocratique,fait le lit du renoncement moral de lasociété », accuse-t-elle. « Le problèmeaurait pu être réglé autrement que parle pénal. Mais la justice est aujourd’huile dernier recours pour faire face àcet effondrement politique, symbolique etphilosophique », martèle-t-elle avant deconclure que dans le cas de François Pérol,il y a un facteur aggravant : son niveau deresponsabilité à la tête de l’État.

Le ministère public a donc requis contreFrançois Pérol une peine de deux ansd’emprisonnement avec sursis. La défensea demandé la relaxe. Le tribunal a mis sonjugement en délibéré au 24 septembre.

France-Côte d'Ivoire, unehistoire tronquéePAR LA RÉDACTION DE MEDIAPARTLE VENDREDI 3 JUILLET 2015

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Notre collaboratrice Fanny Pigeaud sortun livre qui retrace les relations récentesentre Paris et Abidjan. Dans l'extrait quenous publions, elle revient sur l'électioncontestée de 2010 qui a vu AlassaneOuattara arriver au pouvoir et LaurentGbagbo finir dans une geôle à La Haye.

Cinquante ans après les indépendancesde la plupart des anciennes coloniesfrançaises d’Afrique, Paris continue d’êtreprésent sur le continent africain :économiquement bien sûr, militairement,comme le démontrent la cinquantained’interventions tricolores qui ont eu lieudans l’ancien « pré carré », et bientrop souvent politiquement. Contrairementaux promesses de Nicolas Sarkozy,réitérées par François Hollande, de non-

intervention dans les affaires intérieuresafricaines, l’Élysée continue en effet d’ymettre son nez.

L’argument est toujours le même,celui de la « stabilité », qui prenddifférentes formes. Aujourd’hui, c’est lalutte antiterroriste ou la volonté d’éviterles États faillis. Mais il y a biensouvent des raisons moins avouablespubliquement : préservation de certainsintérêts économiques, maintien de basesmilitaires, favoritisme à l’égard de tel outel politicien « ami », soutien diplomatiquequand la France a besoin de rassemblerdes votes à l’ONU… En fait, il s’agitni plus ni moins, pour la France, decontinuer à gouverner indirectement sesanciennes colonies, plutôt que de laisserles Africains s’en charger eux-mêmes,avec leurs erreurs et leurs tâtonnements.

La Côte d’Ivoire est depuis un demi-siècle le lieu de telles manœuvres.Notre collaboratrice Fanny Pigeaud a faitparaître fin juin un livre qui retracel’histoire récente des relations entre Pariset Abidjan, France Côte d’Ivoire – Unehistoire tronquée (Vents d’ailleurs, 453pages). Son livre est centré sur l’électionprésidentielle de 2010 qui a vu le présidentsortant Laurent Gbagbo être défait, puiss’accrocher au pouvoir avant d’en êtredélogé par des bombardements français etonusien, afin que son concurrent, AlassaneOuattara, puisse s’installer au pouvoir.Mais cette histoire officielle tient-elle

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compte de ce qui s’est réellement passé ?Certainement pas, répond Fanny Pigeaud,comme le montre cet extrait de sonouvrage qui jette une lumière différentesur la régularité de cette fameuse électionde 2010.

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UN PROCESSUS OBSCUR

Aucun acteur du processus électoral n’ajoué son rôle.

La « communauté internationale », suiviepar les médias occidentaux, affirme doncque Ouattara est le vainqueur de l’électionprésidentielle. Pourtant, tout montre quele processus électoral n’a pas respecté lesrègles et que chacun de ses principauxacteurs n’a pas joué son rôle : lacommission électorale indépendante, leConseil constitutionnel et le certificateurde l’ONU Young-jin Choi ont failli à leurmission.

La commission électorale indépendante

La commission électorale indépendante(CEI) est le premier organe qui n’apas fait son travail correctement. Nousavons vu qu’il y a eu, avant mêmele scrutin du second tour, de nombreuxdysfonctionnements. D’autres anomaliesimportantes sont facilement détectables.Le taux de participation donné par laCEI, par exemple, pose beaucoup dequestions. Tous les observateurs et acteursont annoncé à la sortie des urnes qu’ilétait inférieur d’environ dix points parrapport à celui du premier tour. Lechef de la délégation des observateursde la francophonie, Gérard Latortue, aainsi déclaré le 29 novembre qu’il « pourrait avoisiner les 70 % ». Le vice-président de la CEI, Amadou Soumahoro,du RDR, a lui-même expliqué aux médiasce même lundi 29 novembre : « Le tauxde participation au second tour de laprésidentielle dimanche se situe autourde 70 %, en baisse par rapport aupremier tour le 31 octobre, où elle avaitatteint 83 %. » Le porte-parole de la CEI,Bamba Yacouba, représentant des Forcesnouvelles, a dit le même jour : « Le taux departicipation qui est d’environ 70 % est enbaisse par rapport à celui du premier tour

qui s’élevait à plus de 80 %. » Sur la RTI,Amadou Soumahoro a indiqué, toujours lemême jour, à propos du chiffre de 70 % :« Nous sommes surpris que le taux soitaussi élevé, contrairement à ce que nouspensions hier (dimanche). Nous craignionsque nous n’atteignions même pas les 60 %de taux de participation. » Or, lorsque leprésident de la CEI, Youssouf Bakayoko,a proclamé ses résultats provisoires, le 2décembre, il a donné un taux de 81,1 %,soit 11 points de plus que les 70 %initialement annoncés. Pourquoi cet écart,qui correspondait à un peu plus de 600 000voix ? Aucune réponse ne sera apportée àcette question. Cette différence a pourtantune incidence importante sur les résultatsfinaux.

Comme d’autres observateurs, l’ex-président sud-africain Thabo Mbekisoulignera les incohérences dans leschiffres donnés par les uns et les autres : « L’envoyé de l’ONU, le secrétaire généralBan Ki-moon, et son collègue sud-coréen, le RSSG Young-jin Choi, ont[…] déterminé que Ouattara avait gagné,mais sur la base de moins de voixque celles annoncées par la CEI, aprèsavoir déterminé que certaines des plaintesdéposées par Gbagbo étaient légitimes. Entermes de suffrages exprimés pour les deuxcandidats, la CEI, le CC et le représentantspécial de l’ONU ont fait trois mesuresdifférentes. »

Un autre problème concerne les procès-verbaux (PV) du scrutin et la manièredont le comptage des voix a été effectué.L’Onuci avait des équipes dans 721des 20 000 bureaux répartis dans toutle pays. Elle pouvait par conséquentcertifier la validité des PV issus desbureaux où ses éléments étaient déployéset avaient assisté au dépouillement desvoix. Mais elle n’était pas capable desavoir s’il y avait eu, par exemple, tricherieet entente des acteurs dans les autresbureaux de vote, pour produire des PVne correspondant pas au choix exprimépar les électeurs. Or, sur beaucoup dePV issus de la zone CNO notamment,des incohérences sont visibles : toutcomme l’a relevé Bédié lors du premier

tour, de nombreux bulletins de votecomportent plus de votants que d’inscrits.La société chargée de faire le comptageélectronique des voix, Sils Technology,a ainsi signalé par écrit à la CEI, le 1erdécembre 2010, que son logiciel avait « rejeté un nombre de procès-verbaux pournon-conformité d’acceptation au critèrede validation électronique (un nombrede votants anormalement supérieur aunombre d’inscrits) estimé à 2 000 ». Enoutre, les PV issus de beaucoup de bureauxdu Nord indiquent que Gbagbo n’a obtenuaucune voix, ce qui veut dire que sespropres assesseurs n’ont pas voté pour lui.Autre curiosité : selon beaucoup de cesPV, 100 % (voire plus, si l’on compteles votants non inscrits) des électeurs ontvoté (souvent à 100 % pour Ouattara), cequi est extrêmement rare, pour ne pas diretotalement improbable.

De plus, on ne sait pas sur quelles basesles résultats donnés par Bakayoko ont étéétablis : s’appuient-ils sur la compilationdes résultats tels que la CEI les a reçus ?Ou bien seulement sur ceux validés parl’ensemble des membres de la CEI ?La proclamation de Bakayoko est elle-même sujette à caution : quelle est savaleur légale, alors qu’elle a été faiteen l’absence des autres membres de laCEI et que ces derniers n’ont en pluspas validé son contenu ? Quelle est savaleur, alors que le Conseil constitutionnela retiré à Bakayoko le droit de la faire ?Quelle valeur a-t-elle, alors qu’elle aété formulée non seulement hors délai,mais aussi au QG de campagne de l’undes candidats, en l’occurrence Ouattara ?Aucune explication valable ne sera donnéeà cette dernière incongruité. YoussoufBakayoko dira juste depuis Paris, le 1erjanvier 2011, dans un entretien à RFIqui lui demandera pourquoi il a faitson annonce dans le « quartier générald’un des candidats, Alassane Ouattara » :« Écoutez, moi, je l’ai su par la suite, jene savais pas qu’il habitait là. » Alors queRFI insistera, disant : « Mais tout le mondele savait. Pourquoi vous, vous ne le saviezpas ? », Bakayoko répondra : « Je n’aipas à savoir ce que tout le monde saitparfois. » Notons que, après sa déclaration

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au Golf Hôtel, Bakayoko y restera pendantune semaine. Il demandera à l’Onuci dele faire partir hors du pays, mais celle-cirefusera. C’est finalement la France quise chargera de l’exfiltrer discrètement versParis.

Toutes ces questions concernant lesrésultats du second tour ne seront passoulevées par les médias occidentaux.Aucun n’émettra l’hypothèse que leschiffres donnés par Bakayoko aient puêtre trafiqués, tout comme l’ensembledu processus. Aucun ne dira ce qui estune évidence pour beaucoup : il y a eud’importants bourrages d’urnes dans toutela zone CNO – qui représente 30 % desélecteurs. « Les FAFN ont tout fait pourfaire passer leur candidat dans leur zone.Ainsi Yacouba Bamba, membre de la CEInationale, a été très actif à Bouaké, où ilcontrôlait la CEI locale », témoignera unfonctionnaire international.

Le Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel et son présidentont été sous le feu des critiques desalliés de Ouattara. L’Union européenne a,par la voix de sa mission d’observateurs,résumé les griefs à son égard, en blâmantsa décision d’annuler des votes. Elle l’aaccusé de ne pas avoir fait de « vérificationpréalable des faits allégués » par lesrequêtes déposées par Gbagbo, disant :« Le Conseil constitutionnel a saisi leprétexte d’incidents isolés, eux-mêmesinsuffisants pour affecter les résultatsd’ensemble, aux seules fins de modifier lesrésultats proclamés par la CEI. » L’UEa aussi assuré que le Conseil n’avait pasrespecté l’article 31 de la Constitution,selon lequel « la souveraineté appartientau peuple. Aucune section du peupleni aucun individu ne peut s’enattribuer l’exercice». Mais en affirmantcela, l’UE s’est contredite : elle aelle-même refusé de reconnaître ladisposition constitutionnelle faisant duConseil constitutionnel la dernière voixqui compte. Selon l’article 98, « lesdécisions du Conseil constitutionnel nesont susceptibles d’aucun recours. Elless’imposent aux pouvoirs publics, à toute

autorité administrative, juridictionnelle,militaire et à toute personne physique oumorale ».

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Cela étant, il est évident que la manièredont le Conseil constitutionnel a travailléa posé problème. Pourquoi n’a-t-il paspris plus de temps avant de rendre sonverdict, alors qu’il disposait de sept jourspour examiner les irrégularités soulevéespar Gbagbo ? Pourquoi, au lieu d’annulerle vote de sept départements, n’a-t-ilpas plutôt annulé l’élection dans sonensemble, comme le code électoral luien donnait la possibilité ? L’article 64du code stipule en effet : « Dans lecas où le Conseil constitutionnel constatedes irrégularités graves de nature àentacher la sincérité du scrutin et à enaffecter le résultat d’ensemble, il prononcel’annulation de l’élection. La date dunouveau scrutin est fixée par décret enConseil des ministres sur proposition dela commission chargée des élections. Lescrutin a lieu au plus tard quarante-cinqjours à compter de la date de la décisiondu Conseil constitutionnel. » Toutefois,on peut imaginer que la situation seraitrestée la même si le Conseil avaitannulé l’élection : sa décision n’auraitété acceptée ni par les grandes puissancesoccidentales, ni par Ouattara, ni par lesFAFN.

Une autre question, plus morale ouphilosophique, peut être posée lorsquel’on connaît la suite de l’histoire : YaoN’Dré aurait-il dû accepter les résultatsde la commission, même s’il les savaittruqués, pour éviter une guerre déclenchéepar les FAFN ? Doit-on accepter ce qu’onconsidère comme une injustice pour avoirla paix ? Plusieurs années après, en 2015,KKB, président de la jeunesse du PDCI,déclarera d’ailleurs à propos du soutiende son parti à Ouattara : « Avions-nousle choix en 2010 si nous voulions lapaix ? Croyez-vous que le pays auraitété débarrassé […] des armes si Gbagboavait été déclaré vainqueur des électionsen 2010 ? Si Gbagbo avait été déclarévainqueur de ces élections, nous serions

encore dans une Côte d’Ivoire coupéeen deux, arme au poing. Des personnestenaient des armes et disaient que tantque Ouattara n’est pas président de laRépublique, ils ne baisseraient pas lesarmes. »

Le certificateur de l’ONU, Young-jin Choi

Young-jin Choi a quant à lui outrepasséson mandat. Il affirmera : « La seulequestion qui demeure est de savoir sil’Onuci est tenue de se plier au verdictdu Conseil constitutionnel quelles quesoient les circonstances. La réponse àcette question devrait tenir compte du faitque le gouvernement ivoirien a acceptéle rôle de certification du représentantspécial du secrétaire général des Nationsunies pour la Côte d’Ivoire. » Maisle mandat de Choi ne prévoyait pasqu’il prenne en compte une proclamationde résultats provisoires douteuse (il n’ad’ailleurs rien dit sur l’illégalité de laproclamation de Bakayoko), puis qu’ilfasse ses propres calculs, pour finalementdonner le nom de celui qui avait,selon lui, remporté le scrutin. D’après larésolution 1765 du Conseil de sécuritéde l’ONU, il devait simplement vérifier(et certifier ou non) que « tous les stadesdu processus électoral [fournissent]toutes les garanties nécessaires pourla tenue d’élections présidentielle etlégislative ouvertes, libres, justes ettransparentes, conformément aux normesinternationales ».

À propos des résultats, il devait dire,suivant le critère que l’Onuci avaitelle-même fixé, s’ils avaient « étédéterminés à l’issue d’un processustransparent et accepté par tous oucontesté de manière pacifique par lesvoies appropriées ». En donnant le nom decelui qui, selon lui, avait gagné, Choi, etavec lui les Nations unies, s’est substituéaux institutions ivoiriennes, pourtantexistantes et opérantes, ce qui ne s’étaitencore jamais vu nulle part ailleurs. Ils’est ainsi érigé en Conseil constitutionnel« bis » pour désigner Ouattara commevainqueur et annuler la décision d’unorgane constitutionnel, dont les décisions

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ne sont pourtant susceptibles d’aucunrecours en vertu de l’article 98 de laConstitution.

La résolution 1933 prise le 30 juin2010 par le Conseil de sécurité n’aen outre pas été appliquée : cetexte précisait que le Conseil devaitfonder « son évaluation du processusélectoral sur la certification établie parle représentant spécial du secrétairegénéral, conformément aux cinq critères-cadres visés dans le document S/2008/250et après des contacts sans exclusive avectoutes les parties concernées en Côted’Ivoire ». La consultation évoquée n’apas été menée.

Dans les couloirs de l’ONU, à New Yorkou à Abidjan, ceux soutenant la positionde Choi expliquaient que, même s’il yavait eu des fraudes importantes, Ouattaradevait de toutes les façons sortir vainqueurdu scrutin, parce que c’était une questionde « mathématique » : l’alliance du RDRavec le PDCI était plus forte en voix quela LMP, disaient-ils. Mais ce raisonnement« mathématique » omettait de prendre encompte plusieurs inconnues : le tauxd’abstention et le nombre de voix despartisans de Bédié qui se reporteraienteffectivement sur Ouattara.

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Le rôle que l’ONU a joué dansla validation et la reconnaissance dela « victoire » de Ouattara conduiral’organisation dans une quasi-impasse : ense prononçant en faveur d’un candidat,elle a perdu sa légitimité pour jouer unrôle de médiateur dans la crise et aiderà sa résolution, si tel était réellementson objectif. Même si l’entourage deGbagbo restera toujours en relation avecl’Onuci, via Alcide Djédjé, son ministredes Affaires étrangères, lui-même nevoudra plus avoir de contacts directsavec Choi. En abandonnant sa neutralité,l’ONU s’est condamnée, pour ne passe dédire, à « travailler activement pourl’installation de Ouattara en tant queprésident du pays et l’élimination deGbagbo », soulignera Thabo Mbeki. Cettedérive de l’organisation ne fera l’objetd’aucun débat public. Fin 2010, il est

pourtant évident que l’ONU est en traind’être instrumentalisée par les grandespuissances qui la contrôlent. Qu’aurait pufaire l’Onuci pour éviter que la situationne s’aggrave ? L’ancien secrétaire générald’Amnesty International et ancien sous-directeur général de l’Unesco PierreSané fera une suggestion : « Pourquoile représentant spécial du secrétairegénéral des Nations unies n’a-t-il pastravaillé sur les résultats proclamés parle Conseil constitutionnel et décidé ounon de les certifier, comme cela aété le cas lors du premier tour. Encas de désaccord persistant, pourquoin’aurait-il pas procédé à la vérificationdétaillée des critères d’annulation mis enavant par le Conseil constitutionnel etévalué leur force de justification et mêmedemandé, compte tenu des circonstancesexceptionnelles, qu’Alassane Ouattarapuisse soumettre des “contestationsdémocratiques” et ensuite transmettre unrapport au Conseil de sécurité ? »

Preuve que le système de certificationutilisé en Côte d’Ivoire a été un fiasco,même si cela ne sera pas reconnuofficiellement : le Conseil de sécuritédes Nations unies ne voudra plus enentendre parler. L’expérience d’un mandatconfié à un seul individu ne seradonc vraisemblablement pas renouveléeailleurs.

Début décembre 2010, la situation en Côted’Ivoire peut se résumer ainsi : le scrutinqui vient de se tenir a une crédibilitéfaible, voire nulle, bien que l’ONUdise le contraire ; plusieurs résultats ontété donnés : le premier par YoussoufBakayoko, le deuxième par le Conseilconstitutionnel, le troisième par Young-jin Choi ; un candidat, Gbagbo, s’estinsuffisamment préparé pour contester ledéroulement du scrutin ; l’autre, Ouattara,bénéficie de l’aide de grandes puissances,et plus particulièrement de la France etdes États-Unis ; des personnalités clés duprocessus, Young-jin Choi et YoussoufBakayoko, ont subi de fortes pressions dela part des diplomates occidentaux et du

président français Sarkozy ; la certificationonusienne de Choi n’a pas respecté lemandat donné.

Quand le géant Gunvoractionnait les réseaux Tomiau GabonPAR AGATHE DUPARCLE VENDREDI 3 JUILLET 2015

À Genève, les ennuis judiciaires de MichelTomi, le « parrain des parrains », nepassent pas inaperçus. Le géant du négocepétrolier Gunvor avait fait appel auxconnexions du sulfureux Corse et deson fils Jean-Baptiste auprès du présidentgabonais. Les langues se délient, alors quela société s’est déjà brûlé les doigts dansplusieurs affaires en Afrique.

Genève, de notre correspondante. -C’était il y a quelques années : legroupe Gunvor, alors détenu pour moitiépar Gennadi Timtchenko, un Russo-Finlandais intime du président VladimirPoutine aujourd’hui sous sanctionsaméricaines, voulait conquérir le marchéafricain. Une manière de prouver quele trader russe, jusqu’alors considérécomme le robinet du Kremlin, pouvait sediversifier.

Dans cette course à l’or noir, touta été mis en œuvre pour constituerdes réseaux et s’acheter des soutiens.C’est ainsi que le géant du négoce quisouhaitait, entre autres, s’implanter au

Gabon – 4e producteur pétrolier en Afriquesubsaharienne – a fait appel en 2010 auréseau de Michel Tomi et de son fils Jean-Baptiste, alias « Bati », comme l'a apprisMediapart. Tomi père est aujourd’hui lacible d’une vaste enquête en France pour« blanchiment aggravé », « abus de bienssociaux », et sous la loupe des enquêteurs

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pour ses présumés liens de corruptionavec plusieurs président africains, dont leprésident gabonais.

Jean-Baptiste Tomi alias "Bati", lefils du "parrain des parrains" © DR

À l’époque, les Corses sont à la tête d’unempire qui pèse 600 millions de dollarset ils entretiennent des liens quasimentfamiliaux avec les Bongo. Leur groupeKabi possède notamment le PMU duGabon et le Casino Croisette à Libreville,une société de transports aériens et desentreprises de BTP.

Dans deux rapports de synthèse, lesenquêteurs de police judiciaire françaiseont recensé les marchés (mines d’or,construction de chemins de fer, ventede navires militaires) sur lesquels « leparrain des parrains » intervenaitrégulièrement auprès « des décideurspublics de plusieurs pays (Tchad, Mali,Gabon) » pour le compte de sociétéscommerciales françaises et chinoises,« organisant par exemple des rendez-vous ou étant intéressé financièrement auxprojets », selon les conclusions de l’Officeanticorruption de la PJ.

À cette liste s’ajoute le pétrole, comme l'aaussi confirmé une source judiciaire.

C’est en 2011 que Gunvor, qui n’aalors que peu d’expérience en Afrique,décroche son premier contrat gabonais,obtenu de gré à gré, pour acheter la moitiéde la production annuelle de la sociétégabonaise de raffinage (Sogara), l’autreacheteur étant Total – soit environ 200 000tonnes de fuel lourd. Le trader importeaussi du gasoil en provenance d’Europe.Il faudra attendre l'année suivante pourqu'une procédure d’appel d’offres soit

mise en place, remportée par Gunvor. Lamarchandise est enlevée à des « conditionsparticulièrement intéressantes avec desmarges hallucinantes », indique unconnaisseur.

Au sein du groupe, on se félicite d’avoirtrouvé le bon filon. Officiellement et surle papier, l’agent exclusif de Gunvor auGabon est alors un certain Lourenço deAlmeida, fils d’un ancien responsable dutrader genevois Addax. Sealand DrillingServices, sa petite société enregistrée àLibreville, signe un contrat de serviceagreement (intermédiaire) avec Gunvor.Mais en coulisses, ce sont les Tomi,en particulier le fils Jean-Baptiste Tomi,qui s’activent, bénéficiant d’un lien directavec la présidence gabonaise.

Jean-Baptiste Tomi a quasiment prisla relève de son père, qui est atteintd’une sclérose en plaques. Celui que l’onsurnomme « Bati », joueur de poker à sesheures, est classé parmi les entrepreneursles plus influents du pays. Michel étaitun intime du patriarche Omar Bongo,Jean-Baptiste, lui, connaît Ali Bongodepuis l’enfance. Il le soutiendra durant lacampagne électorale de 2009. Il participe àdes meetings aux côtés du futur président,et joue même les chauffeurs. C’est luiqui négocie la confection de tee-shirtsde campagne, et on l’aperçoit au QG decampagne en train de houspiller MaixentAccrombessi, qui deviendra le puissantdirecteur de cabinet d’Ali, comme l’araconté JeuneAfrique. Il est associé dansune société de téléphonie mobile avecJean-Jérôme Felliciagi, le fils de RobertFelliciagi assassiné en 2006 et grand amide Tomi père.

À Genève, on espérait qu’après lesproduits pétroliers, les Corses ouvriraientles portes du pétrole brut. D’autresapporteurs d’affaires qui avaient proposéà Gunvor leurs services se sont ainsi vurétorquer que le « réseau Almeida-Tomi »fonctionnait déjà parfaitement. En 2012,un petit article d’Africa Intelligence avaitmentionné le travail de lobbyiste de «Bati ». L’information, jamais démentie,s’était échangée dans les milieux genevoisdu pétrole.

Gunvor, qui traîne déjà plusieurs affairesembarrassantes en Afrique – dontune enquête en cours à Berne pourblanchiment en rapport avec des contratspétroliers au Congo-Brazzaville – aimeraitne plus se souvenir de ces liens.

Contacté, l’ancien responsable dudépartement des produits pétroliersconfirme l’achat de fioul et l’importationde gasoil, via Lourenço de Almeida, entre2011 et 2013, un marché « obtenu lapremière année de gré à gré en raisond’une ligne de crédit accordée à laSogara ». Mais il dit ne « pas connaître »le dénommé « Bati » et avoir juste entenduparler des ennuis de Michel Tomi dans lapresse.

Sur Google, Jean-Baptiste et Pascale Tomifont partie des cercles de Lourenço de Almeida

Lourenço de Almeida, aujourd’hui installéà Lisbonne et reconverti dans lafabrication de planches de surf, assure queles Tomi n’ont pas joué les lobbyistes pourle marché auprès de la Sogara, obtenu parson « seul mérite ». Il reconnaît cependantêtre ami avec le fils Tomi qui lui a« parfois donné des conseils », alors quePascale, la femme de « Bati », a refait sonappartement à Libreville. « Là-bas, tout lemonde les connaissait. C’est tout petit »,explique-t-il. « Bati » vit désormais auxÉmirats arabes unis.

L’ancien intermédiaire raconte que soncontrat d’exclusivité avec Gunvor auGabon a été brutalement interrompu àl’automne 2013, pour une raison qu’ildit ignorer. Il a alors quitté le Gabon,sa société n’ayant plus de raison d’être.Coïncidence ou pas, c’est au mêmemoment que la situation a commencé àse gâter pour les Corses. En juillet 2013,une information judiciaire est ouverte parle parquet de Paris. Les juges SergeTournaire et Hervé Robert plongent dansle « système Tomi ». Tomi père est

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soupçonné de blanchir en France unepartie de l'argent gagné en Afrique. Etde financer plusieurs présidents africains,dont Ali Bongo.

Selon nos informations, le tandem Tomi-Almeida aurait aussi un temps étéactionné sur un gigantesque projetde hub pétrolier à Port-Gentil, ladeuxième ville du Gabon. Il s’agissaitde construire une nouvelle raffinerieet deux immenses cuves flottantes destockage, l’ensemble devant alimenter enessence non seulement le Gabon, maisaussi le Congo-Brazzaville, le Camerounet la Guinée-Équatoriale. « Ce projetéconomiquement disproportionné auraitpermis à Gunvor de pénétrer le marchédu pétrole brut gabonais. Il prévoyaitd’importantes contreparties pour AliBongo », témoigne un professionnel dusecteur. Il était suivi par le grand patronde Gunvor, Torbjon Tornqvist. Pouraccélérer les choses, Gunvor va faire appelà un autre réseau, via un homme d’affairesbasé à Genève, cette fois-ci pour s’assurerle soutien de Maixent Accrombessi, lepuissant directeur de cabinet de Bongo Ali,sans lequel rien ne peut se faire dans lepétrole.

En juin 2013, le lancement du projetest annoncé, en marge du deuxièmeforum New York Forum Africa àLibreville, organisé par Richard Attias,l'époux de Cécilia ex-Sarkozy. On ditalors « imminente » la signature d’unaccord stratégique entre Gunvor etle Gabon. Le géant du négoce doitapporter « 500 millions de dollarsde fonds de roulement sous formede prêt ». Une société commune decommercialisation de produits raffinésproduits au Gabon doit voir le jour,détenue à hauteur de 55% par l’Étatgabonais et à 45% par Gunvor.

Mais le dossier s'effiloche et ne verrajamais le jour. Hasard du calendrier,en mars 2014, l’enquête ouverte en Francecontre Michel Tomi est révélée dans LeMonde et, en juin, le Corse est interpellé.À l’été 2014, le projet de hub seraenterré. L’un des directeurs de Gunvorqui le pilotait vient alors d’être poussé

à la démission, pour son implicationdans plusieurs dossiers embarrassantssur d’autres marchés africains, dont undeal pétrolier en Côte d’Ivoire queMediapart a raconté. Trop, c’est trop. Legéant du négoce décide de se désengagerdu continent africain, qui décidément nelui porte pas chance.

Le tribunal de commerce deLille a été désavoué pour sapartialitéPAR MICHEL DELÉANLE VENDREDI 3 JUILLET 2015

La cour d’appel de Douai vient de rendreun arrêt très sévère pour le tribunal decommerce de Lille en annulant la cessiondu complexe Horse Land. Une affaire danslaquelle un juge consulaire lillois était enconflit d'intérêts flagrant.

Implacable. Dans un arrêt de 30 pages

rendu jeudi 2 juillet, la 2e chambre dela cour d'appel de Douai vient d'infligerun camouflet cinglant au tribunal decommerce de Lille, en annulant l'un desjugements de façon spectaculaire, et enrappelant des règles de droit essentiellesqui semblent avoir été oubliées parcertains juges consulaires.

L'affaire Horse Land tient le Nord enhaleine depuis plus de deux ans. Cedevait être le plus grand centre hippiqueeuropéen avant que son promoteur, GérardDefrance, jette l'éponge et mette fin à sesjours (lire notre article ici), et le centrea été cédé à très bas prix en avril dernier,sur décision du tribunal de commerce deLille. Mais il est alors apparu que l’undes juges consulaires ayant siégé lors dedeux audiences Horse Land (les 25 marset 15 avril) s’était fait communiquer peuavant, en qualité de dirigeant d’une sociétéd’investissement, les comptes des sociétésciviles immobilières de Brigitte Defrance,la veuve de Gérard Defrance, qui pèsentplusieurs dizaines de millions d’euros.Fâcheux mélange des genres.

Autrement dit, ce juge consulaire avaitapparemment un intérêt indirect à ce queHorse Land soit cédé à un prix très

bas, afin que Brigitte Defrance vendeensuite ses biens immobiliers en toutehâte, et non pas au meilleur prix pourelle. C’est ce qu’ont pointé, le 15 juin

dernier, Mes Cindy Dubrulle (pour BrigitteDefrance) et Éric Delfly (pour la Caissed’épargne et de prévoyance Nord FranceEurope), soulevant tous deux une nullitédu jugement pour défaut d’impartialitédu tribunal de commerce. La Conventioneuropéenne des droits de l'homme énoncenotamment (dans son article 6-1) que «toute personne a droit à ce que sa causesoit jugée par un tribunal indépendant etimpartial ».

Dans son arrêt, la cour d'appel de Douaileur a donné raison en estimant quele juge consulaire incriminé, un agentimmobilier lillois, avait « manifesté del'intérêt pour les actifs immobiliers dugroupe Defrance moins de deux semainesaprès la liquidation judiciaire de la SARLDomaine de l'Étang, et six mois avant lejugement aujourd'hui attaqué », écriventles magistrats de Douai. « En outre,les appelantes soutiennent, à juste titre,que la cession à vil prix, telle qu'ellerésulterait du plan de cession critiqué, nepourrait que contraindre Mme Defrance– par ailleurs caution de nombreuxengagements des sociétés du groupe – àprocéder en urgence à la vente de biensdépendant de cette "foncière" à un prixattractif et inférieur à leur valeur, ce dontne pourraient profiter que les acquéreurspotentiels, dont M. S. », le juge consulairecritiqué.

Et la cour d'appel de conclure : « Cela seulsuffit pour créer un doute raisonnable,objectivement justifié, sur l'impartialitéde l'intéressé, et en conséquence surcelle de la composition susceptible d'avoirdélibéré. En conséquence le jugement seraannulé, en application de l'article 6-1 dela Convention de sauvegarde des droits del'homme et des libertés fondamentales. »Avec cette décision, la veuve de GérardDefrance peut maintenant espérer queHorse Land soit mis aux enchères, et entirer un meilleur prix pour indemniser lescréanciers.

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L’histoire commence en 2000, quandGérard Defrance, un homme d’affaireslillois ayant fait fortune dans l'immobilier,commence à faire l’acquisition deplusieurs terrains à Prémesques, un villagedes environs. Il a pour projet de créerle plus grand centre hippique européen,Horse Land. Les travaux commencent.En 2011, Gérard Defrance acquiert unrestaurant pour compléter l’ensemble deses parcelles, qui compte une trentained'hectares. Installations hippiques, hôtel,restaurant, le projet se veut haut de gammecomme le montre la vidéo de présentation.

L’homme d’affaires a-t-il vu trop grand ?L’emplacement est-il mal choisi ?Toujours est-il que la société qui pilotele projet de complexe hippique est placéeen redressement judiciaire fin 2013, puisen liquidation judiciaire fin 2014. GérardDefrance, lui, a mis fin à ses jours en août2013, et c’est sa veuve, Brigitte, qui essaiede sauver leurs sociétés.

Les offres de reprise parviennent alorsau tribunal de commerce de Lille, dontune de l’ancien footballeur du PSGFrancis Llacer, qui ne sera finalementpas retenue. Le climat est lourd. Certainsrepreneurs potentiels sont intimidés, voireagressés physiquement pour l'un d'eux.Les juges consulaires du tribunal decommerce finissent par céder la SARLDomaine de l’Étang pour 1,6 milliond’euros seulement, en avril 2015. BrigitteDefrance et ses avocats n’en reviennentpas. Il faut dire que feu son mari avaitinvesti quelque 34 millions d’euros dansce projet, et que le passif de la liquidationest de 21 millions.

Une expertise diligentée par un créancier,la Caisse d’épargne du Nord, chiffre parailleurs à 6,8 millions d’euros la valeur dusite principal, ou à 7,6 millions avec deuxfermes attenantes.

Soucieux de céder le complexe dansles meilleures conditions, les avocatsde la Caisse d’épargne et de BrigitteDefrance ont pointé la faute gravedes juges consulaires, qui a provoquél'annulation de la cession ce 2 juillet.Curieusement, le tribunal de commerce

de Lille (le 4e de France) a plutôt mal

réagi, lorsque les avocats ont déposéleurs conclusions, quelques jours avantl’audience de la cour d'appel. Au lieude demander au juge consulaire quiétait en situation de conflit d’intérêtsde démissionner pour d'évidentes raisonséthiques et déontologiques, le présidentdu tribunal de commerce, Éric Feldman,a préféré téléphoner au bâtonnier desavocats lillois, Vincent Potié... pour seplaindre des agissements de l’avocate deBrigitte Defrance.

Un incident étonnant, qui a été exposé le

15 juin aux magistrats de la 2e chambrede la cour d'appel de Douai. Le parquetsoutenait, pour sa part, que la demandede Brigitte Defrance était irrecevable pourdes raisons techniques.

Sollicité en juin par Mediapart, ÉricFeldman, le président du tribunal decommerce de Lille, avait expliqué avoirmené « une enquête approfondie » surcette affaire, au terme de laquelle « nil'impartialité ni la bonne foi de ce juge nepeuvent être mises en cause ». Selon ÉricFeldman, il s'agit d'un agent immobilierlillois qui a uniquement reçu une demanded'information d'un client pour un lotd'immeubles, en octobre 2014, puis d'uneusurpation d'identité de la part de deuxpersonnes s'étant réclamées de sa sociétéauprès de l'administrateur judiciaire, cealors qu'il ne siégeait pas encore dans la «chambre de suivi » chargée de cette affairemais dans une « chambre générale ».

« Mon juge n'était pas au courant decette affaire, et il ne s'y est pas intéressé», expliquait le président du tribunal decommerce de Lille. « C'est ce que j'aiexpliqué au bâtonnier. Je comprends lesarguments de madame Defrance, qui a puêtre déçue du montant de cette cession,mais on a cherché la meilleure solutionpendant deux ans dans un climat trèscompliqué, avec des cessionnaires qui ontfait état de menaces et l'un qui a même étéenvoyé à l'hôpital. »

Au plus, Éric Feldman estime que le jugeconsulaire en question « aurait peut-êtredû avoir la prudence de se retirer auvu de sa profession. C'est une questionque nous étudierons dans notre comité de

déontologie. Mais si les professionnels nepeuvent plus siéger dans les audiences quiconcernent leur domaine, on va aller versun système avec des juges professionnels».

Dans les Alpes-Maritimes,les droites continuent de semélangerPAR ELLEN SALVILE VENDREDI 3 JUILLET 2015

Ancien adjoint de Christian Estrosi àNice, Olivier Bettati sera la tête de listedu FN dans les Alpes-Maritimes pourles élections régionales de décembre. Unralliement symbolique de la porosité desdroites dans le Sud-Est.

Il a dit oui. Contrairement à ce qu’ilaffirmait à Mediapart il y a encorequelques jours, Olivier Bettati, ancienadjoint de Christian Estrosi, sera la têtede liste du Front national dans les Alpes-Maritimes pour les élections régionalesde décembre, comme l’avait annoncéLe Monde. Il emmène avec lui BenoîtKandel, ancien premier adjoint du députéet maire LR (ex-UMP) de Nice, démis deses délégations à la suite de l’affaire de laSemiacs, la société de gestion des parkingsde la ville, pour laquelle il a été mis enexamen.

En attendant que Marion Maréchal-LePen présente, dimanche 5 juillet, sestêtes de listes dans chaque départementde la région Provence Alpes-Côted'Azur (PACA), Olivier Bettati tiendraune conférence de presse ce vendredi.L'occasion, peut-être, d'en savoir un peuplus sur la façon dont son rapprochementavec la candidate frontiste s'est effectué.Contacté par Mediapart à plusieurs

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reprises, le conseiller municipal n'a pasrépondu à nos appels depuis l'annonce deson investiture.

De gauche à droite : Vardon, Arnautu et Bettati. © DR

Ces derniers jours, une photographiede l'élu niçois circulait sur les réseauxsociaux. On l’y voyait déjeuner encompagnie de Marie-Christine Arnautu,chef de file du FN dans le département,et de Philippe Vardon, ancien responsablede Nissa Rebela, la branche locale du Blocidentitaire.

Ce dernier a d’ailleurs toutes les chancesde figurer sur la liste FN dans le 06.« Les listes ne sont pas faites, maisla présence de Vardon n'est un secretpour personne », confirme à Mediapartl'entourage de Marion Maréchal-Le Pen.Bettati qualifiait, il y a quelques moisencore, de « catastrophe majeure »l’éventuelle entrée, au conseil municipalde Nice, des identitaires et du «type de leurmessage».

En acceptant la proposition de la tête deliste régionale du FN, Olivier Bettati s’estfait de nouveaux ennemis, à commencerpar le conseiller municipal divers-gaucheMarc Concas, avec lequel il s’étaitallié pour les municipales de 2014 sousl’étiquette du mouvement “Mon parti c’estNice”. Cette équipe censée « transcenderles clivages gauche-droite » regroupaitdes profils divers, parmi lesquels l’actuelprésident de l'association Anticor, Jean-

Christophe Picard. Le 1er juillet, Concasa écrit à son ancien colistier pour lessommer, lui et Kandel, de quitter leurgroupe.

Joint par Mediapart, Marc Concas ne sefait guère d’illusions quant à l’issue de sadémarche. « Olivier Bettati m’a envoyé untexto en guise de réponse. Il m’écrit “Jete tiens au courant. Je vois avec Benoît[Kandel] pour cette histoire de groupe etje te dis. Bises.” Je pense qu’il va justechanger le nom et utiliser les moyens dela mairie pour faire campagne pour leFN. C’est une escroquerie intellectuelle. »Face à un Bettati président de groupe, leconseiller municipal divers-gauche risquesurtout de faire cavalier seul.

De gauche à droite : Marc Concas, OlivierBettati et Benoît Kandel. © Twitter/@OBettati

Concas ne décolère pas. Il rappelle que sonancien colistier « s’est allié à la gauchepour les municipales, puis s’est tournévers la droite pour les sénatoriales et vadésormais au FN pour les régionales ». «Ce qu’il souhaite, c’est se faire élire partous les moyens. Je ne sais pas à quelleformation politique il ira la prochainefois », souffle-t-il. À ses yeux, on est loin,très loin, des valeurs gaullistes dont lanouvelle tête de liste FN dans les Alpes-Maritimes se réclame depuis qu’il a été éluconseiller municipal et départemental en1994.

Les « bébés Médecin »Le ralliement d'Olivier Bettati s’inscritdans la tradition d’une ville – et pluslargement, d'un coin de France – où lesdroites n’ont jamais cessé de se mélanger.De 1995 à 2008, Nice fut dirigée parun ancien frontiste, Jacques Peyrat, éluune première fois sous les couleurs d’unparti local créé par ses soins, l’Entente

républicaine, avant d’être réélu en 2001, àla tête d'une liste d'union de la droite (RPR-UDF-DL-MPF).

Christian Estrosi et Eric Ciotti. © Reuters

Avant Peyrat, la ville avait aussi connu lesamitiés entre Jacques Médecin – apparentéRPR – et le FN. Celui qui fut mairede Nice de 1966 à 1990, et quidonna le surnom de « bébé Médecin »à bon nombre d’élus actuels – entête desquels Christian Estrosi –, avaitd’ailleurs déclaré, dans l'organe d'extrêmedroite National Hebdo, partager les thèsesdu FN « à 99,9 % ». Après les

révélations du Canard enchaîné le 1er

juillet sur les négociations du député LRdu Vaucluse, Julien Aubert, avec sa rivaleFN aux législatives de 2012, l'épisodeOlivier Bettati apparaît comme un énièmerévélateur de la porosité droite/extrêmedroite dans le Sud-Est.

Pour le directeur de campagne de ChristianEstrosi pour les régionales, AnthonyBorré, le choix d’Olivier Bettati derejoindre le Front national « n’a rien àvoir avec la porosité ». « Ce n’est pasune histoire de conviction, mais de petitescombines personnelles, dit-il à Mediapart.On est face à quelqu’un d’opportunistequi cherche à exister politiquement. » Unavis partagé par le député LR et présidentdu conseil général des Alpes-Maritimes,Éric Ciotti. « C’est plutôt un parcours

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individuel, confie-t-il. Il n’avait plus rienà espérer du côté de la droite. Du coup, ila franchi le Rubicon. »

Marion Maréchal-Le Pen. © Reuters

Si Ciotti se dit « un peu surpris » parla décision de Bettati, Anthony Borré,lui, rappelle qu’il y avait déjà, « dans sagrande liste de rassemblement » pour lesmunicipales de 2014, « Madame Pastorel,suppléante de Jean-Marie Le Pen auxlégislatives de 1993 ». Le directeur decampagne du député et maire de Nices'inquiète-t-il des voix que pourrait piquerl’ex-adjoint d’Estrosi, avec ses réseaux etsa bonne connaissance de la droite locale ?« Je nepense pas que ce soit un vraiproblème, tranche-t-il. Nous, c’est MarionMaréchal Le Penque nous affrontons.Après, que ce soit celui qui a trahi lesélecteurs qui se retrouve tête de liste dansles Alpes-Maritimes, me semble plutôtintéressant. »

[[lire_aussi]]

Souhaitant depuis toujours conquérir lamairie de Nice et en déloger ChristianEstrosi qu’il exècre, Olivier Bettati s’étaitrapproché de Jean-François Copé en 2012,quand son meilleur ennemi avait choisi lecamp de François Fillon. Très proche dela famille Tabarot, qu’il décrit comme« un clan sicilien », il avait été d’uneaide précieuse lors de l’élection de Copéà la présidence de l’UMP. C’est eneffet l’annulation des résultats des deuxbureaux de votes tenus par lui et sa femmequi avait permis au député et maire deMeaux de l’emporter. « Sans cet épisode,Fillon gagnait », grince encore Éric Ciotti.

Le nom de Bettati était égalementapparu au printemps 2014, en pleineaffaire Bygmalion, après la révélation,par Le Point.fr, d’une facture Events& Cie, filiale de la société decommunication, correspondant à des jours

de formation payés par le conseilgénéral des Alpes-Maritimes et, selonl’hebdomadaire, jamais effectués parl’intéressé. À l'époque, l'élu niçois avaitcatégoriquement démenti l'information.Aussi catégoriquement qu'il a démenti,voilà quelques jours, prendre la tête d'uneliste FN pour les régionales.

Alain Badiou - Jorge Lago.Après Syriza, jusqu'où iraPodemos?PAR LA RÉDACTION DE MEDIAPARTLE JEUDI 2 JUILLET 2015

Un nouveau numéro de «Contre-courant».

Alors qu'Alexis Tsipras a annoncé unréférendum décisif pour la Grèce etl'Europe pour le dimanche 5 juillet,Alain Badiou revient avec Jorge Lago,responsable du mouvement espagnolPodemos, en charge des questionsculturelles, sur la situation des gauchesradicales en Europe, la politique deBruxelles et les récentes victoires auxmunicipales espagnoles de coalitionsissues des mouvements indignés.

Le tribunal de Bordeauxrelaxe la juge Prévost-DesprezPAR MICHEL DELÉANLE JEUDI 2 JUILLET 2015

Faute de preuves, et au vu d’undossier bancal, la juge emblématiqueIsabelle Prévost-Desprez a été relaxéedes accusations de violation du secretprofessionnel lancées contre elle audémarrage de l’affaire Bettencourt.Extraits du jugement.

Traînée devant le tribunal correctionnel,mais relaxée au bout du compte. Lamagistrate Isabelle Prévost-Desprez estsoulagée, et va pouvoir se remettreau travail. Les trois juges du tribunalcorrectionnel de Bordeaux qui avaientdéjà eu à examiner le pan principalde l’affaire Bettencourt, puis l’épisodede la Légion d’honneur de Patrice deMaistre et de l’embauche de l’époused’Éric Woerth, ont rendu leur décisionce jeudi dans le troisième voletdu dossier Bettencourt qui leur étaitsoumis : celui d’une prétendue « violationdu secret professionnel » dont leur

collègue, présidente de la XVe chambrecorrectionnelle du tribunal de Nanterre,se serait rendue coupable en faisant fuiterdes informations au démarrage de l’affaireBettencourt, selon l’ordonnance de renvoidu juge d’instruction Philippe Darphin etles réquisitions du parquet de Bordeaux.On ignore pour le moment si le parquet deBordeaux décidera de faire appel de cetterelaxe.

Isabelle Prévost-Desprez © Reuters

Ce jeudi, le tribunal a estimé qu’iln’existait pas de charges suffisantes contreIsabelle Prévost-Desprez, et l’a relaxée,dans un jugement de 26 pages dontMediapart a pris connaissance. Cettedécision n’est pas à proprement parler unesurprise, au vu de la faiblesse du dossier,et après les deux jours de débats qui lui ontété consacrés en mai dernier. Des débatsqui avaient plutôt tourné à un procèspublic des méthodes de l’ex-procureurde Nanterre, Philippe Courroye.

Dans son jugement, le tribunal estimeétabli qu’Isabelle Prévost-Desprez « avaitdes contacts très nombreux et réguliersavec de nombreux journalistes, dont huitd’entre eux ont été identifiés », aprèsexamen des factures détaillées (fadettes)

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de son portable personnel. « Au regarddu nombre de SMS échangés commedes heures de ces messages, ils nepouvaient uniquement porter sur desquestions de procédure ou de rôlesd’audiences comme l’affirme IsabellePrévost-Desprez », écrivent les juges deBordeaux. « Pour autant, le contenu del’ensemble de ces SMS demeure inconnu àce jour, et il ne peut donc en être déduitqu’ils concernent le contenu des procès-verbaux en cause. » Voilà pour la fuitedans le premier article de presse (dans Le

Monde daté du 1er septembre 2010), unparmi beaucoup d’autres, qui était visé.

Pour ce qui est d’un deuxième article (dansle Canard enchaîné du 21 juillet 2010),où la juge était également soupçonnéed’avoir fait fuiter des procès-verbaux, letribunal écrit ceci : « En l’état, il n’est pasdémontré qu’Isabelle Prévost-Desprez acommuniqué elle-même des éléments duprocès-verbal à des tiers ; le seul faitque Christophe Régnard [alors présidentde l’Union syndicale des magistrats, ndlr]évoque une campagne de presse, dans uncontexte conflictuel entre la présidente dela chambre correctionnelle et le procureurde la République de Nanterre [PhilippeCourroye, ndlr] ne peut être retenu commeune preuve de la divulgation par lamagistrate ou par le président de l'USM ducontenu de l’audition. »

Sur une troisième information apparuedans un article de presse (Le Monde

du 1er septembre 2010), le tribunal noteque « des copies de procès-verbaux ontpu circuler et être transmises sans quela liste des demandeurs autorisés soitcomplète. Il en résulte que le contenudes procès-verbaux a pu être transmisà des organes de presse autrement quepar la voie d’Isabelle Prévost-Desprez ».Les magistrats relèvent d’ailleurs que LeFigaro n’avait pas hésité à publier, le 9juillet 2010, « un fac-similé de l’auditionde Claire Thibout intervenue le 7 juillet »,sans que cela ne déclenche la moindreenquête sur les fuites.

« Par ailleurs, il est constant que desprocès-verbaux des auditions de gardeà vue de Patrice de Maistre, dans le

cadre d’une des enquêtes préliminaires,ont été diffusés à cette même période,entraînant la chute d‘un conseiller dugarde des Sceaux »[il s’agit de DavidSénat, qui était en poste auprès deMichèle Alliot-Marie place Vendôme,ndlr]. « Manifestement, le contenu desprocès-verbaux des auditions réaliséesdans le cadre des différentes enquêtesdiligentées dans le cadre du supplémentd’information a été communiqué à desjournalistes. »

Le tribunal relève ainsi que, le 31août 2010, une journaliste du Monde atéléphoné plusieurs fois à un capitaine dela sous-direction des affaires économiqueset financières en charge de l’affaireBettencourt, sans que la moindrerecherche soit effectuée sur cette piste defuite possible. « Les recherches sur lapériode du 16 juillet au 29 août n’ontporté exclusivement que sur celles [lesfadettes, ndlr] de la magistrate ; il eûtété intéressant de rechercher si d’autrescontacts téléphoniques étaient intervenusprécédemment entre la journaliste duMonde et les enquêteurs », lit-on.« Dès lors, même s’il existe des chargescertaines à l’encontre d’Isabelle Prévost-Desprez, celles-ci ne constituent pas despreuves suffisantes pour entraîner unedéclaration de culpabilité de la prévenue.»

Pour finir, l’annonce rapide de la

perquisition du 1er septembre 2010 chezLiliane Bettencourt n’est pas non plusattribuée à la magistrate. Le tribunal noted’abord qu’Isabelle Prévost-Desprez avaitéchangé avec d’autres journalistes quiauraient pu griller la politesse au Mondesi elle avait été l’auteur de la fuite. Lejugement relève encore qu’un capitaine depolice a échangé de nombreux SMS versune personne non identifiée, et surtout quel’infirmier de Liliane Bettencourt, avertide la perquisition par les enquêteurs, avaitaussitôt appelé l’avocat Pascal Wilhelm etla communicante Marion Bougeard.

« Le tribunal relève qu’aucuneinvestigation n’a été menée sur lescontacts téléphoniques qu’ont pu avoirl’avocat mais surtout la chargée

de communication, Marion Bougeard,

ancienne collaboratrice de Me Kiejman,avec des journalistes », lit-on. Malgrédes « coïncidences troublantes » et des« charges », la tribunal constate queles autres hypothèses de la fuite surla perquisition n’ont pas été explorées.« De plus, si l’information avait étéprécisément donnée par Isabelle Prévost-Desprez, l’alerte n’aurait pas mentionnéla présence du juge sur les lieux », alorsqu’elle avait en fait délégué ses pouvoirsaux policiers.

Enfin, « la question du mobile et del’intérêt de diffuser l’information à cettedate mérite d’être posée », concluent lesjuges. « Au regard de la volonté de

Me Kiejman d’obtenir le dessaisissementd’Isabelle Prévost-Desprez, caractériséenotamment par les commentaires peurespectueux de cet avocat dans lesenregistrements produits par la partiecivile (...) comme dans les articles parusdans la presse, le tribunal ne peut écarterla thèse développée par la défense selon

laquelle l'avocat Me Kiejman avait toutintérêt à ce que l’information soit diffuséepour ensuite l’utiliser pour obtenir un

dessaisissement de la 15e chambre dutribunal correctionnel de Nanterre, ce quiest finalement advenu. Isabelle Prévost-Desprez n’avait aucun intérêt à cette dateà ce que les informations soient diffusées.»

« Dans ces conditions », conclut letribunal, s’il « est matériellement établil’envoi de SMS au journaliste diffusantles informations à des moments coïncidantparfaitement avec cette diffusion, pourautant ces coïncidences troublantes neconstituent pas des preuves suffisantesau regard de l’article 427 du code deprocédure pénale pour déclarer IsabellePrévost-Desprez coupable de l’infractionreprochée ».

Abdellah Lefnatsa : auMaroc, «la règle, c'est larépression»PAR ILHEM RACHIDI

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LE VENDREDI 3 JUILLET 2015

Abdellah Lefnatsa, membre del'Association marocaine des droitshumains (AMDH), décrypte ledurcissement de la répression contreles militants des droits humains, maisaussi contre des mouvements sociaux, ettrouve « honteux » le nouveau protocoled'entraide judiciaire entre la France et leroyaume.

Rabat (Maroc), de notrecorrespondante. - Abdellah Lefnatsa faitpartie d'un nombre restreint de militantsmarocains qui continuent à manifesterrégulièrement, malgré l’essoufflement queconnaît le mouvement de protestationdu 20-Février, initié en 2011. Encharge des droits économiques et sociauxà l'Association marocaine des droitshumains (AMDH), l'une des organisationsde défense de droits de l'homme les plusinfluentes de la région, membre du partimarxiste-léniniste La voie démocratique(Annahj Addimocrati), il jette unregard sans concession sur l'évolutiondémocratique du Maroc et revient sur larépression qui s'est intensifiée ces derniersmois contre l'AMDH, mais aussi contredes mouvements ouvriers, de défense deschômeurs, et plus récemment contre lesmarchands ambulants.

Adopté par l'Assemblée nationale le

23 juin, puis le 1er juillet par laCommission des Affaires étrangères duSénat, le nouveau protocole d'entraidejudiciaire entre la France et le Maroc estfortement critiqué par les organisationsde défense des droits de l'homme. Quelest votre point de vue sur cet accord ?

Abdellah Lefnatsa. C'est honteux dela part de la France et cela favorisel'impunité qui sévit ici, au Maroc.C'est malheureusement aussi un coupdur pour les victimes de tortures denationalité française qui espéraient obtenirjustice devant leurs instances. Les intérêtséconomiques et politiques ont primé surla justice, la démocratie. C'est une pagenoire de la politique et de la justicefrançaise, qui va se soumettre à la justicede classes marocaine, surtout dans un

contexte national de répression contre lesmouvements sociaux, les militants desdroits de l'homme.

Abdellah Lefnatsa, au centre

Depuis l'été 2014, plusieurs dizainesd'activités organisées par l’Associationmarocaine des droits humains (AMDH)ont été interdites. Plus récemment, unsit-in contre la guerre au Yémen a étéréprimé. Pourquoi les autorités ont-ellesl'AMDH dans le collimateur ?

Nous en sommes à 80 activités interdites.Nous avons 13 sections qui n'ont pasobtenu de récépissé. Les autorités neveulent pas reconnaître les nouveauxbureaux élus, donc nous ne pouvonspas prétendre à l'utilisation de sallespubliques. Avant, nous les obtenions, maismaintenant on nous dit que la salle estoccupée ou en maintenance. Mais il n'ya pas que l'AMDH. Depuis le 20 février2011, nous sommes passés par toutesles étapes. Le pouvoir a d'abord faitdes concessions symboliques. Une foispassée la vague, il a repris les choses enmain et relancé la répression. Il y a desreprésailles contre tous les mouvementsqui ont manifesté. Le pouvoir essaie demater tous les mouvements sociaux car iln'a pas de réponse aux problèmes soulevéspar ces mouvements : celui des syndicatsouvriers, des habitants des bidonvilles, deszones rurales. Pour lui, la réponse est cellequi va avec la nature antidémocratiquedu régime. Bien sûr, il a pu acheterla paix sociale vis-à-vis des syndicats,des partis politiques réformistes, mais desmouvements spontanés ont émergé.

L'AMDH est ciblée parce qu'elle aadopté les revendications économiqueset sociales de ces mouvements. Ellesubit aussi des mesures de représaillesparce qu'elle a défendu toutes lesvictimes de la répression. À Ouarzazate,

notamment, où 47 plaintes ont étédéposées contre des syndicalistes. Lesmilitants du mouvement du 20-Févriersont emprisonnés, poursuivis, harcelés.Les marchands ambulants aussi sontréprimés. La répression s'abat sur lesmouvements estudiantins. Il n'y a pas unjour où l'on n'entend pas parler de larépression au sein des universités. Doncl'AMDH n'est pas la seule à subir larépression. Mais elle est médiatisée. Et elledéfend tous ces gens-là. Pourquoi ont-ilsarrêté les journalistes français expulsés enfévrier dernier à l'AMDH et pourquoi yont-ils envoyé 30 agents ?!

Ces mouvements sociaux soutenus parl’AMDH réclament un autre partage dela richesse. Au Maroc, vous pouvez vousexprimer à condition de ne pas souleverles vrais problèmes. En Europe aussi,vous pouvez crier sur votre gouvernement,à condition de ne pas toucher à larépartition des richesses. Mais là-bas,c'est tout de même l'État de droit.Ici, c'est le despotisme. Le régime netolère pas ces revendications. Il peutvous laisser critiquer le gouvernement,les partis politiques, les syndicats,quelques responsables administratifs. Lesexécutants, pas les décideurs.

Les autorités pointent du doigt vossources de financement. Que leurrépondez-vous ?

Nos financements sont approuvés parl'État. Chaque année, nous déclaronsnos bilans financiers. Nous recevons del'argent de l'étranger sous approbation del'État dans le cadre de la coopérationentre l'État marocain et ces pays. L'argentne va pas uniquement aux ONG maisil contribue au développement, à traversdes programmes pour l'eau potable,l'électricité dans le milieu rural, parexemple. Si le ministère de l'intérieur ouquiconque a des soupçons, qu'il saisissela justice. Ces accusations sont desprétextes pour justifier la répression contreles militants et les interdictions de nosactivités... Nous avons d'ailleurs saisi lajustice au sujet d'une activité interdite etnous avons eu gain de cause.

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La justice marocaine peut donc êtreimpartiale, puisqu'elle vous a donnéraison ?

C’est une exception. Nous avons eu gainde cause dans un dossier mais dans lesautres, nous ne pouvons même pas saisirla justice. Nous n'avons pas de preuves desinterdictions. On nous dit que les salles nesont pas disponibles. Mais la plupart dutemps, nous n'avons pas de preuves pouraller en justice.

La contestation a sensiblementfaibli ces deux dernières années.Pourquoi la répression s'intensifie-t-ellemaintenant, d’après vous ?

Nous sommes partis d'un contextede soulèvement du peuple avec lemouvement du 20-Février. Ensuite lerégime a fait un pas en arrière. Unefois le mouvement affaibli, il est revenuà la charge. Il se venge de toutesles organisations qui ont scandé desslogans contre le despotisme, l'injustice.Ça a commencé avec le gouvernementBenkirane [fin 2011], le régime s'est dit :«J'ai instauré de nouvelles institutions,j'ai amorti le choc. » Après l'instaurationde la nouvelle constitution, les électionset le gouvernement Benkirane, le régimes'est dit : «Assez de concessions ! »Et il est revenu aux mesures quiconstituent sa vraie nature, celles d'unrégime antidémocratique. La règle, c'est larépression. Les retouches menées de tempsà autre sur la façade du régime ne changentrien à sa nature.

La lutte politique et sociale a fait pressionet les acquis ont été obtenus grâce à cespressions et aux actes militants. Certainsparlent aujourd'hui comme si l'histoireavait commencé avec le discours du 9mars 2011 ! Le régime utilise ces acquiscomme étant de sa propre initiative. Ilne reconnaît jamais la force des luttes

démocratiques. Ce qui est essentiel, c'estnotre lutte qui a fait pression sur le régimeet les Occidentaux.

Sur mediapart.fr, une vidéoest disponible à cet endroit.

Vous faites partie d'un grouperestreint de personnes qui continuentrégulièrement de manifester. Pourquoicontinuez-vous à militer malgréles risques encourus et la faiblemobilisation ?

Parce que je défends les valeursdu mouvement 20-Février, sesrevendications, ses slogans, que nousavons exprimés en tant que militantsde gauche, pour une société où lepeuple décide de son avenir, contre ledespotisme. Donc je vais continuer ày aller ! Parce qu'un mouvement del'ampleur du mouvement du 20-Février,c'est rare au Maroc. On veut maintenircette flamme. Elle signifie beaucoup dechoses pour les couches populaires qui yont participé.

Mais ces gens ne manifestent plusaujourd’hui…

En tant que militants, nous voulons, parrespect pour eux, et aussi par conviction,sortir une fois par mois, quitte à le faireen nombre réduit. Ce n'est pas ça qui vachanger le Maroc, vu l'ampleur actuelle dece mouvement, mais c'est un espoir.

[[lire_aussi]]

Est-ce que vous auriez pu obtenirdavantage avec le mouvement 20-Février ? Pensez-vous que vous auriez-vous pu faire mieux ?

Un mouvement comme celui du 20-Février ne peut pas faire mieux.Si la gauche avait été unie autourd'un programme de changement radical,peut-être aurait-on pu. Ce n'étaitmalheureusement pas le cas. Certainsmilitants ont soulevé des slogans radicauxet d'autres ont imposé un plafond, lamonarchie parlementaire. Le PSU (Partisocialiste unifié), notamment. Ensuite ily a eu la décision d'Al Adl Wal Ihsane(une association islamiste) de se retirer dumouvement.

Si l'on avait eu des partis progressistesunis, on aurait pu changer beaucoup dechoses. Le mouvement du 20-Février afaibli, c'est vrai. Mais il faut savoir queles gens des campagnes, dans les coinsles plus reculés du pays, s’en inspirent. Ilsn'attendent plus les autorités locales pourleur apporter l'école, la route, l'hôpital.Les gens s'organisent et crient leur colèredans des marches. Jamais un mouvementn'a résisté quatre ans. Tous les autresmouvements qu'on a connus, on peut leurdonner une date : le 20 juin 1981, le 23mars 1965. Le mouvement du 20-Février,nous en connaissons le début, mais pasla fin. Il a déjà des acquis que les forcesréformistes ont été incapables d'obtenir. Jamais elles n'ont obtenu une modificationde la constitution, jamais un syndicat n'aobtenu 600 dirhams d'augmentation d'uncoup et hors budget, jamais des électionsanticipées n'avaient été obtenues sous lapression.

- Un avant-projet du code pénalen préparation, jugé répressif parun certain nombre d'analystes etd'activistes, a été publié. Quel est votreregard sur ce nouveau texte ?

Il n'est pas très différent du code actuel.C'est un instrument de répression plutôtque de justice. On peut prendre l'exemplede l'article 288, dont ont déjà été victimesles syndicats. Il a été repris et lespénalités ont été aggravées. On peut êtrecondamné à deux ans de prison pouravoir organisé une grève. Ils ont aussiaugmenté l'amende de 5 000 à 20 000dirhams. Nous nous attendions à ce quedes partis comme le PJD (Parti de la justiceet du développement, qui a remportéles élections anticipées de 2011) et lePPS (Parti du progrès et du socialisme)réclament l'amendement de cet article.Nous sommes prêts à dénoncer ce projetet y résister, et nous sommes prêts à toutesles actions militantes.

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Le FN tente de minimiserl'annulation de lasuspension de Jean-MarieLe PenPAR MARINE TURCHILE JEUDI 2 JUILLET 2015

Jean-Marie Le Pen au tribunal deNanterre, vendredi 12 juin. © Reuters

Le TGI de Nanterre a annulé jeudi, pourun motif de forme, la suspension de Jean-Marie Le Pen et demandé qu'il retrouveson statut d'adhérent. Il s'agit d'un reverssymbolique pour la direction du FN : lesmilitants devraient tout de même entérinerla suppression de la présidence d'honneurlors du vote sur la réforme des statuts, dontles résultats seront connus le 10 juillet.

Le vaudeville familial et politique du Frontnational n'est donc pas fini. Le tribunalde grande instance de Nanterre a annuléjeudi après-midi, pour un vice de forme, lasuspension de Jean-Marie Le Pen, décidéepar le bureau exécutif du FN début mai. Letribunal demande que Jean-Marie Le Penretrouve son statut d'adhérent. D'après LeFigaro, le FN aurait omis de préciser ladurée de ladite suspension.

En conflit ouvert avec la direction du Frontnational depuis trois mois, suspendu le4 mai après ses propos sur les chambresà gaz (qu'il a à nouveau qualifiées de «détail » de l'Histoire), et sa défense dumaréchal Pétain, Jean-Marie Le Pen, 87ans, avait assigné son parti en justice le 2juin, estimant cette sanction irrégulière.

Alors que les militants sont appelés à seprononcer d'ici le 10 juillet sur la réformedes statuts – qui supprime cette fonction deprésident d'honneur –, le TGI de Nanterredemande au parti de « rétablir M. Jean-

Marie Le Pen dans tous les droits attachésà sa qualité d'adhérent et le cas échéant àcelle de président d'honneur ».

La direction du FN a immédiatement tentéde minimiser cette décision, qui est toutde même un revers symbolique pour elle.Dans un communiqué, le parti estime quecette décision a été rendue « pour un seulmotif de forme » et annonce qu'il « laconteste et en interjette appel ». « En toutétat de cause, ce jugement n’aura qu’unseul effet : permettre à Jean-Marie Le Pende voter dans le cadre du congrès dont lesrésultats seront connus dans 8 jours, c’est-à-dire le 10 juillet prochain », peut-on lire.« Ça ne change pas grand-chose », ontrépété les dirigeants du parti.

Les Le Pen au parlement européen,le 19 mai 2015. © Reuters

« La réalité, c'est que dans huit jours,les résultats de l'assemblée généraleextraordinaire seront rendus publics etdonc cela ne change rien à la situation,a réagi Marine Le Pen, contactée parEurope 1. Cette suspension valait jusqu'àla tenue de l'assemblée générale. Cen'est donc qu'un baroud d'honneur !Cela n'aura aucune influence sur lesprocédures qui sont engagées. » Cela «ne change pas grand-chose à la décisionpolitique puisque la décision annulée estune simple décision conservatoire dansl'attente du vote des adhérents », aégalement déclaré au Lab Nicolas Bay, lesecrétaire général du FN. Jean-Marie LePen « est à nouveau adhérent, reconnaît-il, mais si les militants votent pour lamodification des statuts, il ne sera de toutefaçon plus président d'honneur ».

Sur BFMTV, Florian Philippot, le numérodeux du FN, a dénoncé un jugement «tout à fait procédurier ». Il a redit que «plus personne ne croit qu'il [Jean-MarieLe Pen – Ndlr] parle au nom du Frontnational ». En témoigne selon lui la « trèsforte poussée des adhésions en juin » quiprouverait qu'il y a « unanimité derrièreMarine Le Pen ». Quant au député (et

avocat) Gilbert Collard, il a ironisé surTwitter: « la suspension de sa suspensionne suspend rien: pure question de forme ».

Le fondateur du FN s'est réjoui sur Twitter,puis dans un long communiqué diffuséjeudi soir sur son blog. Il se félicited'avoir été « rétabli dans toutes (ses)prérogatives d’adhérent, et a fortiori dePrésident d’honneur » et « conteste lestermes » du communiqué de son parti: «la décision de justice a été rendue pourdes motifs de fond et non de forme : laviolation des statuts ».

Il va plus loin en voulant voir deux autresconséquences à cette décision de justice: «frapper rétrospectivement de nullité toutesles décisions prises en (son) absence,notamment celle de procéder au pseudo-congrès » et lui « permettre de nouveau,immédiatement, de retrouver (sa) placeau Front National et de siéger au seinde ses instances ». « Je retrouverai parconséquent, dès demain vendredi à 11h00,mon bureau au Siège du Front Nationalque j’ai fondé il y a 43 ans », annonce-t-il.

Sur mediapart.fr, un objet graphiqueest disponible à cet endroit.

En réalité, Jean-Marie Le Pen neretrouvera pas son bureau pour longtemps.Comme le note l'un de ses proches, AlainJamet, un historique du FN, cette décisionn'aura « pas une grande incidence pratique» d'ici le 10 juillet puisqu'aucun événementpolitique majeur n'est à l'agenda du parti

Mais cette décision est un revers importantpour la direction du FN. D'autant queMarine Le Pen avait assuré en amontde l'audience qu'elle n'avait « aucunecrainte » quant à cette procédure, et quecette « affaire » était « déjà réglée » dansl'esprit des militants.

Pour autant, ce jugement ne règle pas leproblème de Jean-Marie Le Pen, puisqueles adhérents doivent trancher d'ici le 10juillet, via un vote global sur la refontedes statuts du parti, la question de lasuppression de sa présidence d'honneur, unstatut créé sur mesure pour lui en 2011.

Dans son communiqué, le fondateur du FNa à nouveau demandé aux militant de ne «pas participer à cette consultation sur les

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statuts », qu'il considère désormais comme« illégale ». C'est « un procédé de gangster» voulu par Marine Le Pen et son « adjointM. Philippot », avait-il dénoncé mi-juin.Sur Twitter, il s'est mobilisé ces derniersjours contre ce « congrès postal »:

Mais l'issue de ce scrutin transformé envote "pour" ou "contre" la réforme desstatuts ne fait pas de doute. Les résultatsseront communiqués par le parti dès le 10juillet, au soir. Jean-Marie Le Pen fera-t-il à nouveau l’objet d’une suspensionaprès le 10 juillet ? « Cela va dépendre delui : est-ce qu’il va accepter le verdict desurnes ? », a expliqué au Monde un prochede Marine Le Pen.

Jean-Marie Le Pen au tribunal deNanterre, vendredi 12 juin. © Reuters

Mais le Front national voudra-t-ilpoursuivre le grand déballage? Le 12 juin,l'audience au TGI de Nanterre avait donnélieu à des échanges virulents entre Jean-Marie Le Pen et son parti (lire notre

récit). L'avocat du fondateur du FN, Me

Frédéric Joachim, avait dénoncé « uncoup de force », des « statuts violés »,« une euthanasie politique », et il avaitréclamé à la justice l'annulation de lasuspension de son client, pour lui restituersa fonction, « même provisoirement, pourqu'il puisse s'exprimer dans un congrès ».

De son côté, l'avocat du Front national,

Me Frédéric-Pierre Vos, avait entamésa plaidoirie par une phrase assassine,moquant le« chant du cygne »de Jean-Marie Le Pen: « Au voleur, au voleur, macassette ! Rendez-moi mon Front nationalà moi, mon Front national dans lequelje pourrai avoir ma pensée visionnaire,et mes idées novatrices, celles où l’onparle de chambres à gaz, du maréchalPétain ! » Il avait estimé que « le rôle dela justice n'est pas de juger les états d'âmed'un président d'honneur mécontent de sonsort ».

Mercredi, en amont du jugement, unmembre du bureau politique questionnépar Mediapart jugeait qu'« exclure Jean-Marie Le Pen » serait tout de même unedécision « assez forte ».

Boite noireMise à jour: cet article a été actualisé le2 juillet à 19h45 avec la réaction de Jean-Marie Le Pen.

Petits espionnages entreamis, les marchés de dupesde la NSAPAR JÉRÔME HOURDEAUXLE JEUDI 2 JUILLET 2015

Un des documents publiés par WikiLeaksatteste d'une écoute de dirigeantsallemands directement opérée par lesservices britanniques pour le compte dela NSA, fruit d'un savant jeu d'alliancesorchestré par le tout-puissant service derenseignement américain.

C’est une mention discrète, une simpleindication administrative en bas d’unrapport d’écoutes. Mais les implicationsdiplomatiques sont considérables. Enbas à gauche d’un de deux rapportsd’interception de communications dedirigeants allemands, fournis à Libérationet Mediapart par WikiLeaks, àl’emplacement où est généralementindiquée la méthode de collecte, est

indiqué : « 2nd Party British ». En clair :cette opération a été assurée par lesservices britanniques, et plus précisément

par celui chargé des interceptions :le Global Communication Headquarters(GCHQ).

La Grande-Bretagne a toujours été le plusproche allié des États-Unis en matièrede renseignement, et les deux servicesont, dès la Seconde Guerre mondiale,tissé des liens très étroits en matière decollaboration et d’échange d’informations.Cette alliance était largement connue, etavait été en grande partie documentéenotamment par les documents fournispar Edward Snowden. L’exemple concretlivré aujourd’hui par WikiLeaks en estla preuve matérielle. Il est égalementsymptomatique du double, voire triple, jeuque jouent les États-Unis avec leurs alliés,n’hésitant pas à utiliser les uns contre lesautres, à demander à certains de surveillerleurs voisins, tout en demandant à cesderniers d’en faire de même. Mais au boutdu compte, une seule agence centralise lesinformations et tire les ficelles : la NSA.

© WikiLeaks

Le terme « 2nd Party » fait référenceau premier cercle de partenaires de laNSA, signataires du traité secret de 1946,UKUSA. Ils sont au nombre de quatre :la Grande-Bretagne, le Canada, l’Australieet la Nouvelle-Zélande. La répartitionentre ces cinq pays anglophones assureune couverture quasi totale des zonesles plus sensibles du globe. Le nomde cette alliance est connue, et mêmedésignée dans certains documents de laNSA, sous le nom des « Five Eyes »,les « cinq yeux ». Ce statut offre bienentendu un certain nombre d’avantages.Les pays membres, certes, doiventassurer un certain nombre d’opérationspour les États-Unis et héberger desbases sur leurs territoires. Mais, enéchange, ils sont censés bénéficier d’unéchange d’informations tout en étant,théoriquement, protégés de la surveillancede leurs alliés. Ainsi, au mois de juin

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2014, leWashington Post avait publié undocument de la NSA fourni par Edward

Snowden listant les pays « 2nd Party » pourlesquels la surveillance est interdite. Mais,dans la pratique, cette règle ne semblepas toujours respectée. Les espionnagesentre les « cinq yeux » sont en effetbel et bien pratiqués. En 2000, la pressebritannique avait par exemple révélé que,en 1983, la première ministre britanniqueMargaret Thatcher avait fait appel auxservices secrets canadiens pour surveillerdes membres de son propre gouvernement.

La Grande-Bretagne tient bien entenduune place toute particulière dans cepartenariat. Tout d’abord pour des raisonshistoriques. Le pays a été le premierà signer l’accord UKUSA. Créé lamême année, le GCHQ est, lui, restélongtemps une agence top secrète. Cen’est que dans les années 1970 queson existence est révélée au grandpublic, comme l’écrivait en juin 2013dans Le Monde le journaliste DuncanCampbell. Au fil des années, les deux payssont devenus des partenaires privilégiés,partageant de nombreuses ressources. « LeGCHQ et son personnel sont presquetotalement intégrés à l'Agence de sécuriténationale (NSA) américaine, avec quiils partagent les missions, conformémentau traité américano-britannique signéen 1946, étendu depuis au Canada, àl'Australie et à la Nouvelle-Zélande »,précisait Duncan Campbell. Selon un autredocument d'Edward Snowden publié parle Guardian en août 2013, la NSAaurait financé le GCHQ à hauteur de 100millions de livres sur les trois annéesprécédentes.

La Grande-Bretagne a également uneposition géostratégique capitale en matièrede renseignement. Les îles britanniquesconcentrent un grand nombre de pointsd’arrivée de câbles transatlantiques, descâbles transportant les flux internetet les données téléphoniques d’unezone géographique à une autre avantd’y être redistribués (cliquer ici pourconsulter une carte mondiale descâbles transatlantiques). En s’assurantle contrôle de l’un de ces câbles,

on peut ainsi accéder à un nombreconsidérable de données. Et de par saposition centrale dans l’acheminement desdonnées, la Grande-Bretagne a donc lapossibilité d’intercepter une bonne partiedes communications mondiales, ou tout dumoins européenne.

© submarinecablemap.com

Cette caractéristique est au cœur de l’unedes premières, et des plus retentissantes,révélations d’Edward Snowden : leprogramme TEMPORA. Au mois de juin2013, le Guardian a révélé l’existencede cette opération testée en 2008et officiellement lancée en 2011 etdont le principe est tout simplementde se brancher directement sur lescâbles sous-marins reliant l’Amérique àl’Europe et se trouvant sur le territoirebritannique. Pour cela, la NSA a elle-même financé le réaménagement d’unestation située à Bude, sur la côtéouest de l’Angleterre, pour un montantde 17,8 millions d’euros. Comme l’arévélé peu après la Süddeutsche Zeitung,le GCHQ a pu également comptersur l’aide active de sept opérateursmondiaux British Telecom, VodafoneCable, Verizon Business, Global Crossing,Level 3, Viatel et Interoute, qui lui ontoffert l’accès aux câbles sous leur contrôle.

La base de Bude © Reuters

À l’été 2011, le GCHQ avait installé dessondes sur plus de 200 câbles transportantchacun 10 gigabits de données par

seconde. Au mois de mai 2013, pas moinsde 300 analystes du GCHQ et 250 dela NSA étaient affectés au programmeTempora. Ceux-ci étaient capables degérer 600 millions « d’événementstéléphoniques », et quelque 21 pétabitespar jour. À titre de comparaison, précisaitle Guardian, cela est « équivalent àenvoyer toutes les informations contenuesdans tous les livres de la BritishLibrary 192 fois toutes les 24 heures ».Certes, toutes les données ne sont pas« écoutées ». Le principe de Tempora estde stocker celles-ci de manière massive etindiscriminée dans le but d’une éventuelleutilisation. Les durées de conservationétaient fixées à trois jours pour lescontenus et à trente jours pour lesmétadonnées.

[[lire_aussi]]

Depuis, les révélations sur l’intimitéentre le GCHQ et la NSA n’ont cesséde se multiplier. Ainsi, toujours enjuin 2013, le Guardian avait égalementdévoilé une opération conjointe menéeà l’occasion d’un sommet internationalparticulièrement sensible. Aux moisd’avril et de septembre 2009, les dirigeantsdu monde entier se retrouvaient à Londrespour un sommet du G20 consacré àla crise économique et à la réformedu système bancaire mondial. Durantces deux journées, des responsables dumonde entier ont vu leurs communicationstéléphoniques et leurs mails interceptés,leurs ordinateurs piratés et infectés pardes virus destinés à récolter un maximumde données, dont leurs identifiants.L’opération, révélée par des documentsde la NSA fournis par Edward Snowdenpubliés par le Guardian, a été menée parle GCHQ. Celle-ci impliquait, notamment,de pirater certains téléphones ou encore demettre en place de faux cyber-cafés, tenusen fait par des agents, dans lesquels lesclients étaient tout simplement piégés.

Au mois de février dernier, le siteThe Intercept publiait de son côtéun autre document d’Edward Snowdendétaillant une opération conjointe menéepar le GCHQ et la NSA visant Gemalto,une multinationale basée aux Pays-Bas,

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leader mondial de la fabrication decartes SIM pour les téléphones portables.Le but de ce piratage était de volerles clefs de chiffrement de ces cartes,qui permettent à leur possesseur dedéchiffrer les communications sécurisées.Gemalto fournit environ 450 opérateurstéléphoniques dans le monde et produit 2milliards de cartes SIM par an.

Ces différentes révélations, et d’autresencore, ont valu à la Grande-Bretagne dese faire décerner le titre de « Championdu monde de la surveillance » dans lerapport annuel de Reporters sans frontièressur les « ennemis d’internet ». Maissi l’Allemagne est bien une victime deces accords dans le cas des documentsdévoilés par WikiLeaks, elle n’est pasnon plus exempte de tout reproche.Le 18 juin 2014, le Spiegel avaitmis en ligne 53 documents tirés desarchives d’Edward Snowden. Ceux-cidétaillent non seulement l’espionnagepratiqué par la NSA en Allemagne,mais surtout la coopération des agencesde renseignements du pays. Le BNDa notamment été l’un des principauxpartenaires des États-Unis dans le cadred’un programme baptisé « Wharpdrive »visant à se connecter directement sur lescâbles acheminant les flux de donnéesinternet. Mais, souligne le Spiegel, cettecollaboration est bien plus large. LaNSA dispose outre-Rhin de pas moinsd’une douzaine de bases actives, enfaisant la principale base opérationnelle durenseignement américain.

Plus récemment, le Spiegel a publié,en pleine commission d’enquête duBundestag sur la NSA, une véritablebombe : le BND a, elle aussi, espionnédes dirigeants politiques économiques eteuropéens pour le compte de la NSA.Un espionnage entre amis qui, en fin decompte, ne profite qu’à l’un d’entre eux.

La contrôleuse généraledes prisons s'oppose auregroupement des détenusislamistesPAR FERIEL ALOUTI

LE VENDREDI 3 JUILLET 2015

Dans un avis, publié le 30 juin 2015,la contrôleuse générale des lieux deprivation de liberté se dit défavorable auregroupement des détenus islamistes.Son rapport pointe les faiblesses del’expérimentation menée à la maisond’arrêt de Fresnes.

« Avant la fin de l’année, la surveillancedes détenus considérés comme radicaliséssera organisée dans des quartiersspécifiques créés au sein d’établissementspénitentiaires », déclarait, le 12 janvier2015, le premier ministre, Manuel Valls.Une mesure qu'il avait jugée nécessaireaprès l’effroi suscité par les attentatsde Paris et ses dix-sept morts. Le chefdu gouvernement annonçait alors vouloirgénéraliser l’expérience de regroupementdes personnes détenues radicalisées menéeà la maison d’arrêt de Fresnes depuisoctobre 2014. L’objectif étant, selon lui,d’« éviter d’une part les pressions etla propagation du prosélytisme religieuxradical et, d’autre part de favoriserla prise en charge des personnesradicalisées ».

Presque un an après l'ouverture de cetteunité à Fresnes, lancée par son directeurpour endiguer l'influence des détenusradicalisés, le gouvernement souhaite,avant la fin de l’année, créer cinqquartiers dédiés aux personnes détenuesradicalisées à Fleury-Mérogis, Osny,Lille-Annoeullin et Fresnes pour unbudget estimé à 15,5 millions d’euros.C’est pourquoi l’équipe d’Adeline Hazan,contrôleuse générale des lieux de privationde liberté (CGLPL), s’est rendue les15 et 16 janvier derniers à la maisond'arrêt de Fresnes ainsi que dans d’autresétablissements. Elle a également menéplusieurs entretiens avec des responsablesde l’administration pénitentiaire, desmagistrats, des avocats, des chercheurs,des familles de détenus, des membres durenseignement et du service pénitentiaired’insertion et de probation (Spip). Sonavis, publié le 30 juin 2015 auJournal officiel, est sans ambiguïté, cette

institution indépendante faisant savoirqu’elle n’est « pas favorable » auregroupement des détenus islamistes.

L’équipe d’Adeline Hazan pointe, toutd’abord, « les difficultés d’identificationdes personnes visées » qui ne sont« pas résolues ». Elle vise les critèresde sélection des détenus qui suscitent« incompréhension », « crainte »,« désarroi », « aussi bien parmi lespersonnels pénitentiaires que chez lespersonnes détenues ». Par exemple, àFresnes, où le directeur a lancé, enoctobre 2014, une expérimentation deregroupement sans avertir au préalable ladirection de l’administration pénitentiaireet la garde des Sceaux, les vingt-deuxdétenus, répartis dans douze cellules etréunis au sein d’une « unité de préventiondu prosélytisme » (U2P), située au premierétage de l’aile sud de la première division,ont uniquement été sélectionnés sur critèrejudiciaire, tous soupçonnés ou condamnéspour des faits de terrorisme en lien avecune pratique radicale de l’islam. Lesdétenus de droit commun sont donc exclus.Pour le CGLPL, ce critère de sélection« est clairement un frein à l’efficacité dela mesure » et « ne semble pas suffireà identifier tous les islamistes radicauxprésents à Fresnes ».

Preuve en est, une anecdote racontée dansun autre rapport, celui de l’inspection desservices pénitentiaires que Mediapart apu consulter (et que vous trouverez sousl'onglet Prolonger). Ses membres qui ontvisité la maison d’arrêt de Fresnes les 14et 21 janvier 2015, racontent qu’«à lasuite de la découverte le 17 janvier 2015d’un document conséquent évoquant lacréation de l’État islamique et contenantégalement des clichés photographiques dela Syrie dans la cellule de deux détenusécroués pour des faits de droit commun,aucun dispositif de surveillance spéciale,ni de suivi n’a été entrepris. [...] Il étaitégalement découvert une enveloppe avecun numéro d’écrou correspondant à l’undes PRI [pratique de l’islam radicale,c'est ainsi que sont qualifiés les détenusregroupés en U2P - ndlr] considéré

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comme l’un des deux leaders du groupe,pouvant laisser supposer qu’il était ledestinataire final ».

Dans les deux rapports, les auteurss’inquiètent aussi des « effets pervers » de« la cohabitation des personnes détenuesprésentant des niveaux d’ancrage trèsdisparates dans le processus deradicalisation », craignant l’influencenéfaste des détenus les plus radicaliséssur les plus fragiles. Ainsi, un jeune, âgéde vingt-quatre ans et mis en examenquelques jours après son retour de Syrie,puis incarcéré et placé à l’isolement a,selon sa mère, « eu très peur » lorsqu’ila entendu parler du regroupement desdétenus radicalisés. « Il ne veut pas. Il jureque ce sera une catastrophe. Il est fragile,les autres vont l’influencer. Il dit qu’il vase suicider. »

L’inspection des services pénitentiairesraconte aussi le cas d’une personnedétenue en U2P à Fresnes qui montreune « opposition ferme à adopter lesrègles de vie de la plupart des autresmembres du groupe. Il a déclaré vouloirfumer, regarder tous les programmes detélévision y compris ceux présentant desimages de corps dénudés, écouter touttype de musique, ce qui n’a pas pu êtrepossible lors de ses différentes affectationsen cellules. Il pourrait après interventiondu magistrat instructeur être réaffectéailleurs dans l’établissement ». Certainsdétenus qui refusent de rester dans cetteunité disent aussi qu’ils ont « peur » deceux qui veulent leur « mettre la tête àl’envers ».

Résultat, « la plupart » desacteurs rencontrés par l’équipe de lacontrôleuse générale s’interrogent sur lesconséquences de cette mesure. « Ce seratout bénéfice pour les recruteurs, estimeun fonctionnaire de l’administrationpénitentiaire. Ils trouveront sur place tousceux dont ils ont besoin. Et dans dixans, on dira qu’ils se sont rencontrés enprison où ils se sont échangé leurs cartesde visite. Si on veut vraiment séparercomplètement ces détenus du reste de la

population pénale, il faudrait construireun "Guantanamo". Est-ce cela que l’onsouhaite ? »

Une absence de prise en charge« surprenante »D’autant qu’à Fresnes les détenusde l’U2P bénéficient d’un régime dedétention moins strict que celui appliquéà l'isolement. Ces personnes peuvent doncparticiper aux activités socioculturelles,suivre des cours et travailler en détentionen étant au contact des autres détenus.Ils sont uniquement regroupés pour leculte, le sport en extérieur, l’accès à labibliothèque et à la cour de promenade.« Il n’existe pas de véritable étanchéitéalors que le but principal assigné à ceregroupement est de supprimer la sphèred’influence des membres du groupe enévitant le contact avec les autres détenus »,s'étonnent les agents de l’inspection desservices pénitentiaires.

Par exemple, au parloir, l’échange avecles autre détenus est « inévitable » durantle quart d’heure qui précède la rencontreavec les proches. Dans les cellules, lesdétenus regroupés peuvent « converseravec les codétenus qui se trouvent dansles autres étages voire même échanger desobjets par le biais du "yoyotage" [méthodequi consiste à s’aider d’une corde pourtransmettre des objets à travers lesfenêtres - ndlr] ».

L’inspection pénitentiaire et la contrôleusegénérale ont aussi observé la manièredont le personnel de Fresnes surveille cesdétenus. Et là aussi, les insuffisances sontflagrantes. « La mission n’a relevé aucunemesure spécifique prise concernant lesfouilles de cellules et les modalités decontrôle des personnes détenues PRI auretour de certaines activités, les cellulesde ce quartier sont contrôlées à l’instardes autres cellules de la division unefois par mois », constate l’inspectionpénitentiaire. Et si les détenus sont, enrevanche, fouillés au retour des parloirs,les mandats qu’ils reçoivent ne font l’objetd’aucune attention particulière.

Encore plus regrettable, l’absence demoyens spécifiques d’accompagnementde cette expérimentation. Le rapportde la contrôleuse générale souligneainsi que « l’absence de toute formede prise en charge spécifique duphénomène de radicalisation religieuseest surprenante ». Un appel d’offres apourtant été lancé au second semestre2014, donc bien avant les attentats deParis, par l’administration pénitentiairesur le thème de « la détection etprise en charge de la radicalisationreligieuse des personnes détenues ». Cesont l’Association française des victimesde terrorisme (AfVT) et l’associationDialogue citoyen qui ont remporté cemarché de 115 000 euros. Elles ontjusqu’à décembre pour préparer leursprogrammes.

« On ne prévoit pas de travaillerà Fresnes mais à la maison d’arrêtd’Osny et de Fleury-Mérogis », indiqueun responsable de l’AfTV dont lamission consiste à améliorer les outilsde détection des détenus radicalisés,d’accompagner de manière individuelleet collective deux groupes d’environquinze personnes chacun et de transmettre,à l’administration pénitentiaire, deséléments de méthodologie pour déployerces programmes. Jugé nécessaire, cetaccompagnement ne résoudra rien auxproblèmes de fond : la surpopulationcarcérale et la pénurie d’aumôniersmusulmans. Comme l’indique le CGLPL,la surpopulation « nourrit le prosélytismeet favorise l’emprise de personnesdétenues radicalisées sur les plusfragiles ». À Fresnes, il n’y a qu’un seulaumônier pour plus de 2 200 détenus. Maisle gouvernement s’est récemment engagéà en recruter, à l’échelle nationale, unesoixantaine.

[[lire_aussi]]

Le CGLPL et l’inspection pénitentiairefont également remarquer quel’expérimentation de Fresnes n’a faitl’objet d’aucune discussion ou échangeavec les interlocuteurs concernés.« Mis à part le cas de l’aumôniermusulman, la totalité des autres acteurs

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de l’établissement rencontrés par lamission ont le regret de ne pasavoir été associés à cette démarche.[...] À la logique d’éparpillement s’estsubstituée une logique de regroupementsans qu’une analyse particulière detype avantages/inconvénients/bénéfices/attendus/faisabilité n’ai été réellementmenée et justifie cette nouvelle approche »,note le rapport de l’inspection des servicespénitentiaires. Un magistrat antiterroriste,interrogé par l’équipe du CGLPL, regretted’ailleurs que les juges d’instructionn’aient, à aucun moment, été consultés surla question du regroupement « alors quec’est nous qui connaissons le mieux cesdétenus ».

Ainsi, les conclusions de l’inspectionpénitentiaire sont sans appel :« L’expérience de Fresnes estintéressante, pas comme modèle à suivremais plutôt en ce qu’elle permet derecenser les obstacles rencontrés etpartant de là, de prévoir les conditions àréunir pour une meilleure réussite. » End’autres termes, l’unité de Fresnes sembleêtre l’exemple de ce qu'il ne faut pas faire.La garde des Sceaux, elle-même, s’étaitmontrée réticente, après avoir visité, le13 janvier dernier, l’U2P. « C’est uneinitiative d’un directeur d’établissementque l’administration pénitentiaire suit detrès près. Je suis très, très réservée,je l’ai dit devant le Parlement ; cetteidée avait d’ailleurs été proposée pardes parlementaires UMP. » Et surtout,soutenue par le premier ministre, ManuelValls, oublie de préciser ChristianeTaubira.

Dans sa réponse à l’avis du CGLPL,transmise le 26 juin 2015, la ministre parled’une question « extrêmement difficile ».Sur l’évaluation des détenus et leur prisecharge, elle explique qu’il y aurait deuxdes cinq unités consacrées à l’évaluationdes personnes détenues radicalisées ouen voie de radicalisation, « afin derepérer celles qui seraient susceptiblesd’intégrer un des programmes de prise encharge ». Ces unités seraient implantéesaux centres pénitentiaires de Fleury-Mérogis et de Fresnes. Les personnes

détenues « accessibles à une remise enquestion » pourraient, elles, être affectéesdans les unités dédiées de la maisond’arrêt d’Osny ou de Fleury-Mérogis. Ets’agissant des personnes détenues « plusopposantes à toute prise en charge », uneréflexion est engagée sur leur affectationau centre pénitentiaire d’Annoeullin.

Quid de l’unité de regroupement deFresnes ? « Cette question est encoreen arbitrage, indique le porte-parole duministère de la justice. Une seule unitédevrait être maintenue et le cas échéantl’unité de regroupement deviendrait unitéd’évaluation mais cette hypothèse estencore à l’étude. »

Le Pérou condamné par laCour interaméricaine desdroits de l'hommePAR KARL LASKELE JEUDI 2 JUILLET 2015

La juridiction a jugé l’État péruvienresponsable de l’exécution extrajudiciairede l’un des preneurs d’otages del’ambassade du Japon, en 1997, alorsqu’il était entre les mains des forces del’ordre, désarmé et entravé. Le présidentOllanta Humala a réagi en contestantdevoir payer les frais de justice des deuxONG plaignantes.

« Je ne peux pas accepter que l’on dise queles commandos sont des délinquants », acommenté mardi le président péruvien etgénéral en retraite Ollanta Humala. Dansun arrêt rendu public le 29 juin – etque l'on peut télécharger ici –, la Courinteraméricaine des droits de l’homme(CIDH) a condamné le Pérou pourl’exécution extrajudiciaire de l’un despreneurs d’otages de l’ambassade duJapon, Eduardo Cruz Sanchez, alors qu’ilétait entre les mains des forces de l’ordre,désarmé et entravé, le 22 avril 1997.

La Cour juge l’État péruvien responsabled’avoir enfreint l’article 4 de laConvention américaine des droits del’homme qui stipule que « personne nepeut être privé de la vie arbitrairement » etestime que le Pérou n’a pas non plus offert

les garanties d’un procès équitable auxfamilles, ni non plus de délai raisonnable.Saisie de trois plaintes, elle a jugé qu'ellene disposait pas d'éléments suffisants pourmettre en cause la version de l'arméeconcernant la mort de deux autres preneursd'otages.

La CIDH enjoint aussi les autoritéspéruviennes d'engager de véritablesinvestigations afin d'identifier lesresponsables de la mort de Cruz Sanchez.Les militaires ayant conduit l'opérationayant jusqu'à présent été mis à l'abri detoute enquête.

En défenseur habituel – voire enreprésentant – du lobby militaire, leprésident Humala a fait savoir que l’Étatne rembourserait pas leurs frais de justiceaux deux ONG plaignantes – l’Aprodehet le Centro por la Justicia y el DerechoInternacional – ainsi que l’a exigé laCour, qualifiant cet attendu de « mauvaisenouvelle ». « Nous considérons quec’est d’abord à eux de payer ce qu’ilsdoivent au Pérou », a-t-il affirmé, s’enprenant aux « familles des terroristes »qui ont demandé, dès 2001, l’ouvertured’investigations sur les circonstances de lamort des preneurs d’otages. Ces frais nes’élèvent pourtant qu’à 30 000 dollars autotal…

Ollanta Humala, devant un défilé militaire,après son élection en 2011. © Reuters

Le 17 décembre 1996, quatorzemembres du Mouvement révolutionnaireTupac Amaru (MRTA) avaient investil’ambassade du Japon, lors d’uneréception en l’honneur de l’empereurjaponais, prenant en otages près de 600personnes, ramenées peu après à 76personnes retenues. Quatre mois plustard, après d’interminables négociations,et de longs préparatifs, les forces arméesdéclenchaient l’opération “Chavín de

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Huántar” et reprenaient l’édifice, le22 avril 1997, en déplorant un mortparmi les otages, et deux militairestués lors de l’action. Le commandementdes forces spéciales signale à l’époqueque les quatorze preneurs d’otages sontmorts « lors de l’affrontement avec leseffectifs militaires ». Aucune enquêten’est à l’ordre du jour jusqu’en décembre2000, lorsque le premier secrétaire del’ambassade du Japon, Hidetaka Ogura,révèle à la presse avoir vu trois preneursd’otages en vie, entre les mains desmilitaires, après l’assaut.

Les plaintes des familles provoquent dansles mois qui suivent l’exhumation descorps et les premières expertises médico-légales. Selon les légistes, les quatorzetués présentent tous des lésions parballes au cou et/ou à la tête. Huit surquatorze présentent « des lésions ayantperforé la région postérieure du couentre la première et la troisième vertèbrecervicale » et sortant par le visage. Ces tirssystématiques font penser à des coups degrâce. La plupart des tués ont été touchéspar d’autres impacts, mais la positiondes victimes semble avoir été la mêmelorsqu’elles ont reçu le tir dans la nuque,et « leur mobilité réduite ou voisine dezéro », selon les experts. Seul EduardoCruz Sanchez, dit « Tito », a été tué par« un seul tir reçu dans le cou, au niveaude la première vertèbre cervicale » alorsqu’il se trouvait immobilisé. Or HidetakaOgura déclare avoir entrevu deux preneursd’otages maîtrisés par des militaires dansune cour intérieure et avoir entendu desplaintes et des tirs, puis il assure avoir vu« Tito », vivant, emmené par des militairesà l’intérieur de l’ambassade.

Face à l’ouverture de l’enquête, leministère de la défense décide de saisir enurgence le tribunal militaire, en mai 2002,afin de circonscrire les investigationsconcernant ses hommes. Dès 2004, lajustice militaire conclut ainsi qu’il n’ya « aucune preuve qui accrédite lacommission d’un délit » et que « lescommandos ont agi en légitime défense dela vie humaine ».

Seule la poursuite du procès pénal visantles responsables civils, et notammentl’ancien conseiller spécial du présidentVladimiro Montesinos, fait apparaître deséléments contradictoires. Deux policiers– Raúl Robles Reynoso et MarcialTeodorico Torres Arteaga – révèlent àla justice qu’ils ont interpellé « Tito »alors qu’il s’était mêlé aux otages, lorsde leur libération. Un temps plaqué ausol, menotté dans le dos, « Tito » a étéremis à un militaire qu’il l’a fait rentrerdans le tunnel qui communiquait avecla résidence de l’ambassadeur qui venaitd’être évacuée. Une scène précisémentrapportée par l’ancien otage HidetakaOgura.

Le président Alberto Fujimori arrivésur place après l'assaut. © DR

L’enquête va écarter la thèse del’exécution sommaire des autres preneursd’otages, y compris de ceux entraperçuspar le diplomate japonais. Les membresdu commando assurent les avoir tuésau combat. En mai 2012, alors que lesjuges s’apprêtent à conclure l’affaire, laprésidente du tribunal Carmen Rojjasi, estconvoquée par le ministre de la justiceet l’envoyé spécial de l’État péruvienà la CIDH sur cette affaire, l’actuelpremier ministre Pedro Cateriano, qui luiexpliquent tous deux que « l’intérêt del’État est que l’on [le tribunal] dise qu’iln’y a pas eu de mort extrajudiciaire ».Hélas, la justice ne peut effacer l’exécutiond’Eduardo Cruz Sanchez.

Devant la CIDH, l’État péruvien soutientpourtant qu’Eduardo Cruz Sanchez a ététrouvé une grenade à la main aprèssa mort ; un scénario déjà exclu parl’enquête pénale. « La Cour ne juge paspossible qu’une fois capturé et transportéavec les mains attachées, Eduardo CruzSanchez ait pu avoir l’opportunité de

tenir une grenade, note la CIDH dansson arrêt. Ce qui permet à cette Courde conclure que la dernière fois qu’ila été vu en vie, il se trouvait dansune situation “hors de combat”, et qu’ilbénéficiait de la protection des normes dudroit international humanitaire. Une foisqu’Eduardo Sanchez Cruz a été capturé envie, l’État avait l’obligation de lui offrirun traitement humain et de respecter sesdroits en conformité avec l’article 4 deconvention américaine, et l’article 3 desaccords de Genève. »

La CIDH signale en outre que l’Étatavait « l’obligation » de fournir « uneexplication satisfaisante et vraisemblabledes faits », l’intéressé étant mort « dansun secteur sous son contrôle exclusif ». Lajuridiction internationale, qui n'a pascontesté l'usage légitime de la force pourobtenir la libération des otages, a relevécependant de nombreuses irrégularitésprocédurales, tant sur les premièresconstatations, l’autopsie, la levée descorps, et leur inhumation secrète dansdifférents cimetières.

Alors que le président péruvien a estimémardi que la justice militaire n'étaitpas mise en cause dans cette affaire,l’arrêt de la CIDH rappelle au contraireque compte tenu de « la nature ducrime », « la juridiction pénale militairen’est pas compétente pour investiguer,juger et sanctionner les auteurs deviolations des droits de l’homme ». LaCour interaméricaine estime que la justicepéruvienne n'a pas offert la « garantie dujuge naturel » en validant la compétencedes juges militaires dans ce dossier,entraînant la responsabilité de l’État sur cepoint.

« L’État doit conduire efficacementl’investigation, et le procès, pour identifieret juger et sanctionner les responsables

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de l’exécution extrajudiciaire d’EduardoCruz Sanchez », conclut l’arrêt de laCIDH.

Le commando Chavín de Huántar, et parmises chefs, Leonel Cabrera, l'ancien

supérieur d'Humala. © DR

En janvier 2012 déjà, Ollanta Humalaavait déclaré garantir « qu’aucun membredu commando Chavín de Huántar n’ira enprison ». Mardi, le ministre péruvien de lajustice Gustavo Adrianzén a souligné qu’ildéfendrait les militaires quoi qu’il arrive.« Ce que je peux garantir, c’est que nousallons faire la même défense serrée, sanslésiner sur les frais et les recours, sanslésiner sur les moyens pour défendre noshéros commandos Chavín de Huántar.»

Il est vrai qu’un des chefs de cetteopération, le général Leonel Cabrera,avait été le supérieur d’Ollanta Humalalorsqu’il dirigeait la base antisubversivede Madre Mía dans la région de TingoMaría, en 1992. Devenu président, et lui-même visé par plusieurs plaintes pour deshomicides de sympathisants de la guérillamaoïste, Ollanta Humala a nommé legénéral Cabrera chef des forces arméespéruviennes, en décembre 2013.

Ainsi que Mediapart l’a rapporté ici, laCommission interaméricaine des droitsde l’homme est saisie depuis cinq ansd’une plainte déposée par une Péruvienne,Teresa Avila, contre le Pérou au sujet del’enlèvement et de la disparition de sasœur et son beau-frère le 17 juin 1992,vraisemblablement exécutés six jours plustard, à proximité de la base militairedirigée par Ollanta Humala.

Interdite de quitter leterritoire : « Ma mère apeur que je tombe entre demauvaises mains »PAR LOUISE FESSARD ET MICHAËLHAJDENBERGLE JEUDI 2 JUILLET 2015

La mère d'Émelyne craint le pire :sa fille, convertie à un islam rigoriste,prononce des phrases étranges sur lesmartyrs et projette de partir à l'étranger.Son signalement a abouti en mars à luiinterdire de quitter la France. Mais cemercredi, devant le tribunal administratifde Paris, rien ne laissait à penser qu'onentendait une future terroriste. Récit.

Que voit-on d’Émelyne ? Le bout de sesconverses, quand elle croise ses jambes surle banc du tribunal administratif de Paris.Et une partie de son visage, depuis sessourcils jusqu’au-dessus de son menton.Le reste est couvert par un long voile noir.

Que sait-on d’Émelyne ? Pas tellementplus. Cette jeune femme de 23 ans,convertie à l’islam, s’est vu interdire enmars de quitter la France pour 6 moispar le ministère de l’intérieur (voir notreprécédent article à ce sujet) en vertu dela loi antiterroriste du 13 novembre 2014qui permet de retirer son passeport et sacarte d'identité à tout Français « lorsqu'ilexiste des raisons sérieuses de penser qu'ilprojette des déplacements à l'étrangerayant pour objet la participation à desactivités terroristes ».

Ce mercredi, elle n'est pas la seule àcontester une telle décision devant lajustice. Trois autres « interdits de sortiedu territoire » ont entrepris une démarchesimilaire (sur 103 Français frappés d'unetelle sanction depuis la promulgationde la loi). Le cas d’Émelyne résumecependant à lui seul les dangers du texte :l’administration statue, et le cas échéantprive de libertés, en fonction non pasd’un comportement répréhensible, qu’ils’agirait de sanctionner. Mais dans le butde prévenir la commission de possiblesactes à venir.

Comme l’explique le rapporteur public,qu’on sent gêné, la décision nepeut reposer que sur un faisceau deprésomptions. Or, dans le cas d’Émelyne,les indices sont maigres.

Ce ne sont pas les renseignementsgénéraux qui ont alerté sur son cas, maisla propre mère d’Émelyne, visiblementpaniquée par la transformation et lesprojets de sa fille depuis la fin de l’année2014. Elles vivent toujours ensemble àMulhouse, se parlent. « Parfois de façontrès tranquille, parfois plus houleuse »,explique Émelyne en marge de l’audience.

La mère n’est pas présente mais elle aaccompagné sa fille à la gare le matin.Et Émelyne ne l’accable pas du tout : «Elle s’inquiète, elle veut me protéger. Ellea peur que je tombe entre de mauvaisesmains. C’est légitime. C’est une mère ! »

Une mère qui attribue à sa fille une phrasecentrale dans la procédure : « Mouriren martyr est un moyen d’engrangerdes points supplémentaires pour aller auparadis. » Émelyne dit que sa mère a dûmal comprendre, mélanger, mais elle restecalme : « Le problème, c’est plutôt quedes gens scellent ma vie sur deux phrases,sans rien connaître de moi, sans m’avoirjamais parlé. Ils veulent me coller uneétiquette de terroriste alors que pour moi,il est évident que ceux qui font exploser desbombes n’ont rien compris à la religionmusulmane. »

Outre cette phrase, supposée légitimer ledjihadisme, le ministère dit s’inquiéterde son prosélytisme (Émelyne a traitéses parents de « mécréants »), de sapratique religieuse radicale, « telle queprônée par le mouvement salafiste », etde son intention de quitter la Franceprochainement.

Seulement, si Émelyne confirme avoirprospecté sur Internet pour un voyage àl’étranger, il s’agissait de rejoindre uneuniversité en Arabie saoudite. Pas d'alleren Syrie. Ni de se former au terrorisme.

Comme le rappelle son avocat Me FrançoisZind, Émelyne n’a jamais fréquenté depersonnes ayant connu un tel parcours.

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Elle n’a jamais manifesté sur les réseauxsociaux une quelconque sympathie pourles mouvements islamistes.

Ce qui n’empêche pas le ministère detrouver bien floues ses explications. « Elleest floue comme une jeune de fille de20 ans qui ne sait pas précisément ce

qu’elle a envie de faire », plaide Me Zind,pour qui « les services ont les moyenstechnologiques de mener des enquêtesbien plus approfondies », qui auraient,selon lui, démontré l’absence de projetsrépréhensibles de sa cliente.

À la barre, la représentante du ministèrede l’intérieur estime que dans ce typed’enquête « il faut aller vite, on n’a pas letemps d’amasser les éléments, sinon celaconstitue un risque. Le ministère a pris sesresponsabilités. Cette personne présenteun risque. Mieux vaut prévenir le départ. »

Puis vient l’argument massue : « Onne peut pas reprocher au ministère del’intérieur de prendre ce type de décisionet ensuite, quand il y a un attentat en Isère,reprocher au même ministère de n’avoirrien fait alors qu’il avait des éléments.Faudrait savoir. »

Le rapporteur public n’a pas la mêmelecture du dossier. Bien qu’il expliqueavoir beaucoup hésité, il estime aubout du compte qu’il n’y a pasde raisons suffisamment sérieuses depenser qu’Émelyne comptait rejoindreune entreprise terroriste. Elle doit doncpouvoir disposer d’un passeport pourquitter son pays.

Le jugement sera rendu le 7 juillet.

Boite noireÉmelyne est en réalité le deuxième prénomde la jeune fille interdite de quitterle territoire, qui préfère que son nomn'apparaisse pas.

Sivens : le militantaccusé d'avoir fracturé lamain d'un gendarme estfinalement relaxéPAR LOUISE FESSARD

LE MERCREDI 1 JUILLET 2015

Yannick, un militant de 42 ans, accuséd'avoir grièvement blessé un gendarme (45jours d'ITT) en septembre 2014 à Sivens

a été relaxé ce mercredi 1er juillet 2015par la cour d'appel de Toulouse. Une vidéomontre que c'est en fait un autre gendarmequi a donné un coup de ranger dans la mainde son collègue...

Mis en cause après la mort le 26 octobre2014 du jeune militant écologiste RémiFraisse, le ministère de l'intérieur avaità plusieurs reprises cité cette affaire decoups sur un gendarme pour prouver laviolence des opposants au barrage deSivens. Yannick, un habitant du Tarn,venu soutenir les zadistes, avait été accuséd’avoir le 15 septembre 2014 fracturéla main d’un gendarme du PSIG (45jours d’ITT) lors d’une opération derefoulement sur le chantier du barrage. Àl'issue d'une garde à vue de 48 heures,l'ouvrier en bâtiment de 42 ans avait étécondamné en comparution immédiate parle tribunal correctionnel d’Albi. Il avaitécopé de quatre mois avec sursis pourviolences.

Mais une vidéo amateur, passéeinaperçue dans la précipitation de lapremière audience, dément la versiongendarmesque. On s’aperçoit que c’estsans doute un gendarme qui ainvolontairement donné un coup derangers dans la main de son collègueaccroupi, alors que ce dernier cherchait àmaîtriser un manifestant au sol. Lors del’audience en appel du 28 mai, l'avocatgénéral a donc demandé la relaxe deYannick en invoquant des « doutes » aprèsle visionnage de la vidéo.

Selon le militant et une avocate, la courd’appel de Toulouse l'a relaxé, ce mercredi

1er juillet, des faits de violence. Yannick aen revanche été condamné à une peine de30 jours d'amende à dix euros pour avoirrefusé de se soumettre à un prélèvementADN lors de sa garde à vue. « Je suissoulagé car ça fait presque un an que jedis que je n’avais rien fait et que je suisun militant non-violent, réagit Yannick,joint par téléphone. Mais que le simple

fait que le refus du fichage ADN soitconsidéré comme un délit, même si jesuis innocent, montre bien une volonté defichage généralisée. »

Vidéo disponible sur mediapart.fr

Contacté pour vérifier l’information, lesecrétariat de la présidence de la courd’appel de Toulouse nous a répondumercredi après-midi ne pas être au courant.

Son avocat Me Éric Soulans, retenu parune autre audience, confirme « a priori» la relaxe. « Alors qu'en premièreinstance, Yannick avait été condamné surla foi de deux témoignages de gendarmes,nous avons pu démontrer par l'imagequ'il n'avait pas porté ce coup de piedet que la blessure provenait d'un autregendarme, se réjouit l'avocat. Ce quiinterroge fortement dans ce dossier estque nous ayons deux gendarmes ayanttémoigné avoir vu de leurs yeux Yannickporter le coup de pied ! »

La cour d’appel de Toulouse aurait parcontre confirmé la condamnation d’unautre militant, Gaëtan, un charpentier de35 ans, accusé par les mêmes gendarmesde leur avoir donné un coup de pied (cettefois sans ITT). Sa peine a été diminuée «passant de trois mois avec sursis à 60 jours

amende à 15 euros », dit son avocate Me

Claire Dujardin.

«Pour Yannick, la cour a reconnu lavalidité de la vidéo qui contredit lesprocès-verbaux des gendarmes, expliquel’avocate. Mais la condamnation deGaëtan repose uniquement sur lesdéclarations de ces mêmes gendarmes,

qui ont menti. » Me Dujardin, quidéfend depuis plus d’un an les militantsécologistes de Sivens, note qu’il s'agitpour eux d’une « belle victoire » sur « leministère public » et « le discours étatique

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» qui ont « voulu faire croire à l'opinionque les opposants étaient des personnesviolentes ».

Suite à la mort de Rémi Fraisse, le ministrede l’intérieur Bernard Cazeneuve (PS)avait quelque peu gonflé le nombre depoliciers et gendarmes blessés à Sivens.« Je veux rappeler qu’à Sivens, depuis ledébut du mois de septembre, 56 policierset gendarmes ont été blessés », avait-ilainsi déclaré au micro d’Europe 1, le 29octobre 2014. Comme l'avait finalementreconnu le service de communication de lapolice nationale, parmi 56 fonctionnairescités, 41 étaient en fait des policiers, pourbeaucoup blessés non à Sivens, mais lorsdes manifestations en hommage à RémiFraisse notamment à Albi et Nantes.

Le décompte exact, effectué à partirdu rapport de l’Inspection générale dela gendarmerie nationale (IGGN) du2 décembre 2014 et des informationscommuniquées à l’époque par lapréfecture du Tarn et la police nationale,semble beaucoup plus bas. Entre fin aoûtet le week-end fatal des 25-26 octobre2014, 13 fonctionnaires ont été blessés :7 gendarmes (en comptant celui à la mainfracturée) avant le 25 octobre et 6 CRS(dont une ITT de 30 jours pour uneblessure à la main) durant la soirée du25 octobre. « Le seul blessé grave côtéforces de l’ordre a en fait été blessé parun autre gendarme du PSIG, alors quecôté opposants, il y a eu de nombreuxcas dont beaucoup non relayés dans lesmédias surtout les victimes de milices »,souligne Ben Lefetey, le porte-parole ducollectif pour la zone humide du Testet.

Il rappelle que « la justice continue toutde même à condamner des opposants,alors que les pro-barrages agresseurs nesont pas inquiétés sans parler des forcesde l’ordre dont les vidéos montrent laviolence illégale ». Le militant EELVestime que ce n’est pas la première fois quedes gendarmes sont pris en flagrant délitde mensonge. Comme l’avait racontéReporterre, le rapport de l’IGGN du2 décembre 2014 affirmait ainsi queBen Lefetey avait « été contacté parl’IGGN pour lui proposer de recueillir

ses commentaires sur les événements deSivens, sans réponse de sa part à ce jour ».Alors que le militant avait au contrairedès le lendemain tenté à cinq reprises dejoindre le général qui lui avait laissé lemessage en question.

TISA: les nouvellesrévélations de WikiLeakssur l'accord sur les servicesPAR MARTINE ORANGELE MERCREDI 1 JUILLET 2015

L’accord sur les services (TISA) est lecomplément du traité transatlantique. SansWikiLeaks, il serait encore secret. Sonobjet : démanteler toutes les barrières,mettre à terre tous les services publics.WikiLeaks publie un avant-projet discutéen avril 2015.

Entre eux, ils s’appellent les « très bonsamis des services ». Depuis plus dedeux ans, des responsables d’une vingtainede pays, emmenés par les États-Unis,l’Europe, l’Australie et le Canada, seretrouvent dans la plus grande discrétion,souvent à l’ambassade d’Australie àGenève, pour négocier un nouvel accordcommercial. Son nom de code : TISA pourTrade in services agreement (accord surles services).

Ces négociations s’inscrivent dans leprolongement de celles du traitécommercial transatlantique (TAFTA),complétées par le dispositif sur le secretdes affaires. Car même s’il est diviséen plusieurs volets, il s’agit bien dumême projet visant à laisser le champlibre aux multinationales, à abaisser lesdernières défenses des États. Et cesaccords parallèles se discutent toujoursdans les mêmes conditions : la plus totaleopacité.

TISA serait resté totalement inconnu, siWikiLeaks n’avait commencé à dévoilerles premiers projets d’accord en avril2014. Depuis, le site dévoile régulièrementles différentes étapes des discussions,portant sur les services financiers, lesservices informatiques, les transportsmaritimes, les télécommunications (voir

ici). Aujourd’hui, il publie un nouvel étatdes compromis et des divergences entre lesdifférentes parties établi dans un projet endate du 24 avril 2015.

Cliquer ici pour télécharger ledocument principal. Rendez-vous surle site de Wikileaks pour accéder auxannexes.

Considérant qu’il n’y a plus rien à attendredes grands accords internationaux depuisl’échec du cycle de Doha, « les très bonsamis des services » ont décidé de bâtirensemble un nouvel accord cadre visantà organiser entre eux la libéralisationtotale des services. Ces domaines, seloneux, sont encore bien trop protégés parles lois et les règlements nationaux.Des études de think tank – totalementindépendants comme il se doit – viennentopportunément appuyer leurs propos : lalibéralisation des services se traduiraitpar une hausse de la croissance, deplusieurs points par an, assurent-ils,comme ils l’avaient déjà assuré lors de lalibéralisation des marchés financiers, descapitaux, des échanges commerciaux, del’énergie...

Le premier secteur visé est le secteurfinancier. Les négociateurs veulent mettreen place un accord permettant une totalelibéralisation des finances, l’abaissementdes normes et des règles prudentielles.« Les lobbies financiers veulent ce traité,afin d’avoir les moyens de contrer unenouvelle régulation financière. Un accordsur les services financiers, adopté auniveau international, serait pour eux lameilleure garantie pour l’avenir. Celaposerait les principes d’une dérégulationglobale et empêcherait par effet de cliquettout retour en arrière, toute tentative decontrôle de la finance. TISA se veut uneplateforme qui impose un cadre à tousles accords futurs. C’est le but de ceprojet d’accord : interdire par traité touterégulation financière », avait analysédans Mediapart Dominique Plihon,professeur d’économie à Paris XIII,économiste atterré et membre d’Attac, lorsdes premières révélations de WikiLeaksl’an dernier.

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En février 2015, d’autres révélations,portant sur les services informatiques,avaient montré les intentions desmultinationales de se comporter en toutepuissance. Nulle contrainte ne devraitleur être opposée. Les États n’auraientpas le droit de leur demander ne serait-ce que les codes sources de certainséquipements, même au nom de la sécurité.Les droits imprescriptibles des groupesdoivent passer au-dessus des États.

Les nouveaux documents de WikiLeaksdévoilent le cadre plus général de cesnégociations. Il ne s’agit pas seulementde la finance ou des télécommunications,mais de tous les services : le transportmaritime, le e-commerce, le courrier.Avec un objectif : en finir avec tous lesservices publics, les normes de protection,les encadrements.

Tous les services publics en situationde monopole seraient ainsi placés soussurveillance afin de s’assurer qu’ilsne bénéficient pas d’une rente indue.Des groupes concurrents pourraient les

attaquer en justice pour concurrencedéloyale. Même si cela n’est pas ditexplicitement, autant dire qu’ils seraient àterme condamnés, le projet d’accord visantà les dynamiter de l’intérieur. Même lesservices universels, comme l’obligationfaite aux opérateurs de téléphonie mobiled’assurer la desserte du territoire parexemple, seraient soumis à examen, pourvoir s’ils ne contiennent pas des clausesabusives, et pourraient être revus.

Les normes techniques et spécificationspour les marchés devraient être établies« selon des critères transparents etobjectifs ». Quand des autorisations pourla fourniture d’un service sont requises,des contrôles devraient mis en place àintervalles réguliers pour voir si elles sontappropriées. Et « toute personne intéresséepourrait demander un contrôle ».

Toutes les règles de marchés publics,telles qu’elles sont appliquées en France,par exemple, seraient aussi vouées àdisparaître. Le projet d’accord précisequ’il ne pourrait plus y avoir de préférencenationale, de clause imposant des emplois

sur le territoire, de normes particulières,ou même d’y travailler ou d’y payer sesimpôts. C’est le pillage généralisé desfinances publiques qui s’esquisse, sans queles États puissent même espérer en avoirquelques retombées.

Impossible de se dérober à cet accord,est-il précisé dans cet avant-projet. LesÉtats s’engagent à transposer le plusrapidement possible dans leur législationles dispositions du traité et supprimer leslois contraires.

Comme dans le cadre du traitétransatlantique, ce projet organise ledémantèlement de toutes les règles, detous les pouvoirs des États, pour le seulprofit des multinationales. Et tout celase négocie dans le plus grand secret,comme d’habitude. Qui a pris l’initiativeen France, en Europe d’engager de tellesdiscussions ? Qui les mène ? Et à qui enest-il rendu compte ? Va-t-on découvrir,comme dans le secret des affaires, qu’unepoignée de personnes est en train de toutbrader, sans le moindre contrôle ?

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