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CURRICULUM Forum Med Suisse No 9 26 février 2003 205

Introduction

Les œdèmes sont une manifestation cliniqueque chaque médecin rencontre dans sa pra-tique quotidienne. Alors que le diagnostic estsouvent aisé, la cause de ces œdèmes peut êtredifficile à identifier et une bonne connaissancedes mécanismes physiopathologiques menantà la formation d’œdèmes est essentielle nonseulement pour identifier la cause mais aussipour assurer un traitement adéquat. Quoique lerein soit l’organe effecteur et sur lequel nosmoyens d’action les plus efficaces (diurétiques)agissent, il est rarement la cause des œdèmes,démontrant par là l’importance des mécanismesextrarénaux dans le contrôle de la rétentionhydrosodée. Cette article revoit les mécanismespouvant mener à la rétention hydrosodée en selimitant à la physiopathologie. Nous n’abor-dons pas les moyens diagnostiques ni les trai-tements.

Définitions des œdèmes

Un œdème est une accumulation de liquidedans l’espace extra-cellulaire, qui est composéde deux compartiments: le volume plasmatiqueet le volume interstitiel [1]. Le milieu extra-cellulaire est une solution dont la pressionosmotique est liée à la concentration du sodiumqui est majoritaire (95%). Dans les circons-tances normales, la pression osmotique nevarie presque pas malgré une variation quoti-dienne des apports en eau et sel. Le volumeplasmatique absorbe presque intégralement les apports digestifs d’eau et de sel. Les sortiesrénales d’eau et de sel sont ajustées aux quan-tités ingérées desquelles sont soustraites lespertes insensibles (digestives, respiratoires etcutanées) grâce à des phénomènes biologiquesactifs (transit digestif, respiration et transpira-tion). Le volume interstitiel est régulé par desphénomènes passifs constitués par des échan-ges d’eau et de solutés avec le volume plasma-tique à travers la paroi capillaire et le drainagelymphatique. Ces échanges transcapillairesobéissent aux règles de la diffusion des solutésen fonction des gradients de concentration etde la filtration convective des fluides, des gra-

dients de pression oncotique et hydrostatiquemodélisés par la loi de Starling:

Flux transcapillaire = Kf* (!P-!" )

Kf est le coefficient de filtration

!P est la différence de pression hydrostatiqueentre un secteur et l’autre

!" est la différence de pression oncotique entreun système et l’autre

A l’équilibre, les flux dus à chacune des diffé-rences de pression s’annulent et la résultanteest nulle.Une modification de chaque variable change larépartition des liquides entre le compartimentvasculaire et interstitiel. Une augmentation dela perméabilité capillaire (ex: inflammation),une diminution de la pression oncotique (ex:hypoalbuminémie) ou une augmentation de lapression hydrostatique (ex: insuffisance vei-neuse), favorisera l’accumulation de liquidedans l’espace interstiel et la formation d’œdè-mes. Le système lymphatique récupère l’eauqui transsude des capillaires pour la renvoyerdans la circulation systémique (jusqu’à 8 litrespar jour) et il faut que ce système soit saturépour que les œdèmes deviennent apparents. Un dysfonctionnement du système lymphatiquepeut également entraîner la formation d’œdè-mes, mais ceux-ci auront un aspect différent en raison d’une plus forte teneur en protéineset de l’absence de drainage.Dans le cas d’un œdème local, une rétentionhydrosodée n’est pas en cause, le processusétant limité dans l’espace et la répartition sefaisant au détriment de l’un des deux compar-timents. Il n’en est pas de même dans l’œdèmesystémique ou généralisé.

Œdèmes systémiques

Contrairement aux processus locaux évoquésplus hauts, les œdèmes systémiques résultentinvariablement d’une rétention hydrosodée. Lalocalisation des œdèmes généralisés n’est pasuniforme et dépend de la pression hydrosta-tique, (accumulation dans les parties déclivespar augmentation de la pression hydrosta-

Mécanismes extrarénaux de la formation des œdèmesSophie de Seigneux, Eric Feraille, Pierre-Yves Martin

Correspondance:Pr Pierre-Yves MartinMédecin-chefDivision de Néphrologie/ Département de Médecine Hôpital universitaire de GenèveCH-1205 Genève

[email protected]

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seurs ou afférents (figure 1). Ils sont localisés àdifférents endroits et captent des variations soitde volume (récepteurs à basse pression), soit depression (récepteurs à haute pression). L’étudedes états œdémateux montre que les récepteursde pression ont un rôle plus important que lesrécepteurs de volume dans la régulation de labalance hydrosodée, expliquant que, dans lescas de faible remplissage artériel, il y ait unerétention hydrosodée malgré une volémie aug-mentée (ex: insuffisance cardiaque).

Volume circulant effectifLe concept de volume circulant effectif est trèsimportant pour comprendre la raison du dys-fonctionnement des mécanismes senseurs [2].Ce terme intègre non seulement le volumesanguin total mais dépend également de lapression artérielle, de la résistance vasculairepériphérique et du débit cardiaque, reflétant de ce fait l’état de «remplissage» des artères.Une variation d’un seul de ces paramètresmodifiera le volume circulant effectif et entraî-nera une activation des mécanismes senseurs.Ceux-ci vont déclencher une cascade de méca-nismes effecteurs qui tendront à ramener levolume circulant effectif à la norme. Le volumeplasmatique total est en majorité (85%) répartidans la circulation veineuse qui contribue peuà la régulation des afférences. Ceci expliquepourquoi les états œdémateux (reflet du volumeplasmatique total) apparaissent dans des situa-tions où le volume circulant effectif est anormaltelles qu’une résistance vasculaire basse, unehypotension artérielle, un débit cardiaquediminué (figure 2).

Mécanismes effecteurs (tableau 2 et 3)Les mécanismes effecteurs modulent la réab-sorption rénale de sel et d’eau. Des altérationsdes mécanismes afférents et efférents sont im-pliqués dans certaines situations pathologiqueset physiologiques que nous allons maintenantdétailler.

Insuffisance cardiaqueLa formation des œdèmes de l’insuffisance car-diaque résulte d’une rétention rénale de sel etd’eau. La baisse du débit cardiaque (ou baissedes résistances périphériques dans les insuffi-sances cardiaques à haut débit) entraîne unediminution du volume circulant effectif et de cefait active les mécanismes de rétention d’eau etde sel. Dans l’insuffisance cardiaque, une com-posante de transsudation capillaire par aug-mentation de la pression veineuse existe maisce phénomène contribue peu à la formation desœdèmes en comparaison à la rétention hydro-sodée.Au stade précoce de l’insuffisance cardiaque, ilexiste déjà des altérations de l’homéostasiehydrosodée. L’élévation du peptide natriuré-

Tableau 1. Mécanismes afférents.

– Senseurs de volume (variation de la pressiontransmurale): oreillettes, ventricules, vaisseauxpulmonaires

Action: diminution AVP, diminution activitésystème sympathique, stimulation ANP et BNP

– Senseurs de pression (activation inversementproportionnelle à la tension de la paroi desvaisseaux): arc aortique et carotides, artériolesafférentes rénales

Action: activations système sympathique, AVP,SRAA

– Système nerveux central: variations de Na?

– Foie: barorécepteurs et osmorécepteurs

NatriureticPeptides

Renin-Angiotensin-Aldosterone System

Arginine vasopressinSympathetic nervous

system

Paracrine Systems

Figure 1. Mécanimes senseurs principaux du contrôle de volume de liquide extracellulaire.

tique), de la pression interstitielle et de la pres-sion oncotique.Les situations cliniques les plus fréquentes oùl’on observe des œdèmes «à rein sain», sont lacirrhose, l’insuffisance cardiaque, le syndromenéphrotique, l’insuffisance respiratoire chroni-que décompensée et la situation physiologiquede la grossesse. Dans chacune de ces situa-tions, il y a une activation de mécanismes ditssenseurs et effecteurs, responsables du main-tien de l’homéostasie hydrosodée.

Mécanismes senseurs (tableau 1 et figure 1)De nombreux systèmes régulent l’homéostasiehydrosodée. Ils sont appelés mécanismes sen-

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tique cérébral (BNP), est un marqueur précocede dysfonction cardiaque témoignant de la miseen action de mécanismes adaptatifs permettantde maintenir une fonction rénale normale avecune capacité d’excrétion sodée conservée [3].On parle alors d’insuffisance cardiaque com-pensée. Avec la progression de la maladie, lesmécanismes compensateurs deviennent insuf-fisants malgré une stimulation importante, illus-trée par des taux circulant élevés des neurohor-mones cités ci-dessus et la capacité rénale d’ex-crétion sodée diminue. On parle alors d’insuf-fisance cardiaque décompensée caractériséepar des œdèmes et une vasoconstrictionpériphérique.Les mécanismes mis en jeu par la baisse dedébit cardiaque et donc du volume circulanteffectif sont les suivants:– Système rénine-angiotensine-aldostérone

(SRAA) par l’appareil juxtaglomérulaire(baisse du débit dans l’artériole afférente),principal système vasoconstricteur et anti-natriurétique. Le degré d’activation du RAAest toujours difficile à juger en raison defacteurs confondant tels que l’emploi de diu-rétiques et la restriction sodée, mais il estcorrélé avec la sévérité de l’insuffisancecardiaque. Son action rénale est très impor-tante pour maintenir la filtration glomé-rulaire en présence d’une baisse du débitsanguin rénal. Cette action se traduit parune augmentation de la fraction filtrée (FF).

– Activation du système sympathique (SNS)par les barorécepteurs carotidiens qui ren-forcent l’action vasoconstrictrice et anti-natriurétique du SRAA. Cette activation estun facteur de sévérité de l’insuffisance car-diaque (le niveau de concentration de nor-adrénaline prédit la mortalité) [4].

– Stimulation non osmotique de la sécrétion devasopressine (AVP) qui contribue égalementà la vasoconstriction et induit une rétentiond’eau libre (hyponatrémie) qui est égalementun facteur de mauvais pronostic [5].

– Endothélines et NO: rôles paracrines prin-cipalement dont il est encore difficile dedéterminer leur rôle.

– Les volorécepteurs cardiaques sont activéset stimulent la production d’hormones na-triurétiques, à savoir l’ANP et le BNP. Ceshormones dont le rôle est de lutter contre les systèmes précédents sont effectivementstimulés dans l’insuffisance cardiaque etelles permettent, dans le stade précoce, lemaintien d’une filtration glomérulaire nor-male et d’une natriurèse. Cependant, à me-sure que l’insuffisance cardiaque progresse,elles deviennent incapables de maintenirune natriurèse suffisante en raison d’unerésistance à leur action diurétique au niveaudu tube collecteur. Leur rôle reste néan-moins primordial dans le maintien de la

Figure 2.Schéma expliquant le concept de baisse de volume effectif circulant malgré un volume intravasculaire total normal: le compartiment artériel paraît vide malgré une augmentationde la contenance du système veineux. Les artères sont «perçues» comme moins remplies.Adapté selon [2].

Tableau 2. Antinatriurétiques.

Neurohumoraux

Système Rénine-Angiotensin-Aldostérone (SRAA):Angiotensine II: vasoconstriction préférentielle artère efférente à faible concentration,vasoconstriction artères efférentes et afférentes à doses plus élevées. Stimulation réabsorption du sodium par le tube proximal (effet direct et indirect).

Aldostérone: stimule la réabsorption du sodium au niveau des tubes distaux et collecteurs.

Système sympathique (SNC): vasoconstriction rénale (art afférente et efférente),activation de la réabsorption sodique au niveau du tube proximal; stimulation de la production de rénine.

Vasopressine (AVP): stimule la réabsorption d’eau au niveau des tubes distaux et collec-teurs; stimule la réabsorption de sodium dans l’anse ascendante de Henle; inhibe la production d’ANP.

Rénaux

Autorégulation (altération du taux de filtration en fonction de la pression de perfusion).

Rétrocontrôle tubulo glomérulaire.

Substances paracrines: endothélines, adénosine, kallicréines (nb: la régulation de cesdifférents peptides est complexe et leur action peut être natriurétique dans certainescirconstances).

Tableau 3. Natriurétiques.

Neurohormonaux

ANP et BNP (atrial et brain natriuretic peptides): augmentation GFR (vasodilatation artèreafférente et vasoconstriction artère efférente). Inhibition de la réabsorption de sodium auniveau de la partie médullaire du tube collecteur. Inhibition de la sécrétion de rénine et d’AVP.

Adrénomedulline: hypotension (vasodilatation artérielle). Augmentation GFR etaugmentation de la natriurèse.

Rénaux

Substances paracrines: NO, prostaglandines (PGE2), urodilatine, kinin-kallikréines, dopamine (nb: le mode d’action de ces peptides est complexe et dépend de la localisationintrarénale de leur production). Le NO produit par les cellules principales interagit avec la vasopressine alors que dans la macula densa il contribue à la régulation de la productionde rénine. De même l’action de PGE2 dépend des récepteurs qu’il stimule et qui sont aunombre de 4 au minimum dans le rein).

Rétrocontrôle tubuloglomérulaire.

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fonction rénale, comme très bien démontrépar l’emploi d’anticorps anti-ANP dans desmodèles animaux d’insuffisance cardiaquechronique.

La rétention hydrosodée et la vasocontrictionrésultant de ces mécanismes entraînent uneaugmentation du volume plasmatique total etde la charge de travail cardiaque. Dans un pre-mier temps, ces mécanismes adaptatifs sontefficaces (loi de Starling optimalisée) et lessystèmes afférents ne sont pas stimulés davan-tage, on parle d’insuffisance cardiaque com-pensée. A mesure que l’insuffisance cardiaqueprogresse, ces mécanismes ne parviennent plus à désamorcer l’activation des afférences,le volume effectif circulant artériel n’augmen-tant plus en raison de l’insuffisance cardiaque

et on parle alors d’insuffisance cardiaque dé-compensée, stade où les œdèmes apparaissent(figure 3).Les bases du traitement actuel de l’insuffisancecardiaque (inhibiteurs de l’enzyme de conver-sion de l’angiotensinogène [IEC], antagonistedes récepteurs de l’angiotensine II [ARA II],bêtabloquants et spironolactone) sont issues dela compréhension de ces mécanismes physio-pathologiques.– On connaît actuellement les bénéfices tant

sur la survie que sur la qualité de vie des IEC,dont le but est de lutter contre l’activationdu SRAA, cette activation jouant non seule-ment un rôle dans la rétention hydrosodéeet la vasoconstriction périphérique, maisaussi directement sur le tissu myocardiqueoù l’angiotensine aurait un rôle mitogéniqueet entraînerait un remodelage du tissu car-diaque.

– Le bénéfice de l’emploi d’inhibiteur del’aldostérone (spironolactone) sur la morta-lité et la qualité de vie des insuffisants car-diaques de classe IV est également établi.

– Plus récemment les bêtabloqueurs, médica-ments auparavant bannis chez ces patients,ont été valorisés. De multiples études mon-trent clairement un effet bénéfique de cesmédicaments sur la survie, y compris dansles insuffisances cardiaques sévères.

– Reste encore une piste à explorer dans lefutur: les antagonistes de l’AVP, dont l’im-plication est reconnue et de mauvais pro-nostic. Ces inhibiteurs ont déjà été étudiésdans des situations expérimentales chez lerat, avec un effet sur la diurèse, l’osmolalitéurinaire et plasmatique et le nombre de ré-cepteurs à cette hormone [5].

CirrhoseLa particularité des œdèmes de la cirrhose estla formation d’ascite, qui souvent précède lesœdèmes périphériques et témoigne des anoma-lies hémodynamiques particulières de cettemaladie. Il existe, en effet, une vasodilatationartérielle principalement splanchnique dans lacirrhose [6]. Cette vasodilatation splanchniqueest la principale responsable de la circulationhyperdynamique caractérisée par un débit car-diaque augmenté et des résistances vasculairespériphériques effondrées. L’abaissement de larésistance vasculaire artérielle principalementsplanchnique est la cause de la baisse duvolume effectif circulant (arterial underfilling)et ceci malgré un volume plasmatique totalaugmenté (figure 4).La baisse du volume artériel effectif entraîneune stimulation des mécanismes senseurs setraduisant par l’augmentation des taux derénine, aldostérone, noradrénaline et AVP ob-servés lors de la cirrhose. Contrairement à lasituation de l’insuffisance cardiaque, ces sys-

Diminution débit cardiaque

4Diminution du volume effectif circulant

4Activation neuronormonale (SRAA, SNC, AVP)

4Rétention hydrosodée

Œdèmes, OAP, Anasaque

Stress endothélial; toxines?

4Augmentation de la production de NO;

autres médiateurs?

4Vasodilatation artérielle splanchnique,

baisse RVP

4Diminution volume circulant effectif

4Activation neurohormonale (SRAA, SNC, AVP)

4Rétention hydrosodée

ascites, œdèmesSyndrome hépatorénal

Figure 3.Schéma résumant les mécanismes physiopatho-logiques responsables de la rétention hydrosodéedans l’insuffisance cardiaque.

Figure 4.Schéma résumant les mécanismes physiopatho-logiques conduisant à la rétention hydrosodée dansla cirrhose (RVP: résistance vasculaire périphérique).

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tèmes augmentent efficacement le débit car-diaque mais ils ont peu d’effet sur la résistancevasculaire systémique en raison de l’hyporéac-tivité vasculaire qui caractérise la cirrhose prin-cipalement dans la circulation splanchnique.Cette hyporéactivité ne touche pas tous les litsvasculaires et la circulation rénale reste trèssensible aux vasoconstricteurs. Il en résultecette situation paradoxale où dans le contextede résistances vasculaires systémiques abais-sées, le débit rénal est diminué et l’antidiurèsestimulée. L’augmentation du volume plasma-tique total permet dans un premier temps deremplir adéquatement le système artériel et par conséquent de désactiver les systèmes affé-rents (cirrhose compensée). Cette augmenta-tion du volume plasmatique devient cependantinefficace à mesure que la maladie progresse et que la résistance périphérique (principale-ment splanchnique) aux vasoconstricteurs aug-mente. La rétention hydrosodée devient mas-sive, avec ascite (cirrhoses décompensées) puisœdèmes généralisés et peut évoluer vers lesyndrome hépatorénal caractérisé par une in-suffisance rénale aiguë avec rétention intensede sodium (natriurièse effondrée souvent infé-rieure à 10 mmol/l) consécutive à une vaso-constriction extrême de la circulation rénale. La physiopathologie de la vasodilatationsplanchnique n’est pas complétement élucidée,mais une production vasculaire de NO augmen-tée est en cause [7].– Des travaux ont montré que les taux de NO

et de la NO synthase sont augmentés dans la cirrhose chez l’animal et l’homme.

– On sait que l’inhibition de la formation deNO chez des animaux atteints de cirrhosecorrige l’état hyperdynamique, désactive les systèmes RAA, AVP et sympathique. Ceci est également démontré en aigu chezl’homme.

– D’autres médiateurs semblent égalementimpliqués dans cette vasodilatation mais defaçon moins claire.

Sur le plan pratique, la correction de la mala-die hépatique, la plupart du temps au moyend’une transplantation hépatique reste le seultraitement de la cirrhose décompensée et du syndrome hépatorénal. Cependant, en sebasant sur la compréhension de ces méca-nismes, l’administration de vasoconstricteurs à doses efficaces sur la circulation splanch-nique tels que l’ornipressine, la terlipressine(deux analogues de la vasopressine) ou la nor-adrénaline associés à un remplissage colloidal,est devenue le premier traitement pharmacolo-gique qui prolonge de manière importante lasurvie des patients atteints de syndrome hépa-torénal [8]. En revanche, l’inhibition de lasynthèse de NO, qui serait une approche pluslogique, n’a pas encore démontré son efficacitéen clinique.

Insuffisance respiratoire chronique avec hypercapnie

Dans l’insuffisance respiratoire chronique, onobserve la formation d’œdèmes principalementlors des décompensations hypercapniques. Lemécanisme entraînant la formation de ces œdè-mes est encore incomplètement élucidé maissemble reposer principalement sur une cas-cade induite par les modifications des échangesgazeux.On connaît actuellement plusieurs élémentsphysiopathologiques expliquant la rétentionhydrosodée de l’insuffisance respiratoire chro-nique. L’hypercapnie semble l’élément indispensableà la formation d’œdèmes et induit une vaso-dilatation entraînant une baisse du volume cir-culant effectif avec par la suite une activationdes systèmes sympathiques et RAA. L’acidoserespiratoire associée à l’hypercapnie augmenteénormément la réabsorption de bicarbonatesau niveau du tube proximal. Ceci stimule laréabsorption sodique sous l’action de l’échan-geur Na/H, élément important de la réabsorp-tion sodique proximal (figure 5).L’hypoxémie contribue aussi à la rétentionhydrosodée mais dans une moindre mesure.Elle entraîne une activation du système sympa-thique et elle entraîne une baisse du fluxsanguin rénal soit directement, soit par l’inter-médiaire du système sympathique. La consé-

2 CO2

4 volume circulant effectif

Stimulation neurohormonale(RRA, SNS, AVP)

Rétention hydrosodéeŒdèmes, anasarque

vasodilatation artérielle 2 échange Na/H

Figure 5.Schéma résumant les mécanismes physiopathologiques conduisant à la rétention hydro-sodée dans l’insuffisance respiratoire chronique.

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quence est une augmentation de la fractionfiltrée maintenant la filtration glomérulaireconstante et une rétention hydrosodée par aug-mentation de la réabsorption sodique tubulaireproximale. A noter encore une augmentationdu taux plasmatique d’ANP en relation avec lesvariations de la PaO2 et de la PaCO2. La particularité de ce type d’œdèmes est doncde répondre de façon spectaculaire à la correc-tion des échanges gazeux [9] et de façonmoindre aux diurétiques.

Grossesse

Dans la grossesse normale il y a une augmen-tation de 30 à 50% du volume extra-cellulaire(plasmatique et sanguin) accompagné d’uneélévation du même ordre du débit cardiaque,du taux de filtration glomérulaire (GFR) et duflux plasmatique rénal (RBF) [10]. Par ailleursune hyponatrémie hypoosmolaire est égale-ment constatée.Dans la grossesse, l’augmentation du débitcardiaque précède l’augmentation du volumeplasmatique. Cette augmentation du débit estassociée à une vasodilatation systémique etentraîne une diminution du volume circulanteffectif. Cette baisse de volume circulant effec-tif active tous les mécanismes de rétention desel et d’eau, à savoir le SRAA, le système sym-pathique et l’AVP permettant l’augmentationdu volume plasmatique. La baisse des résis-tances périphériques est en partie consécutiveà l’augmentation de la production vasculaire de NO, démontrée chez l’animal et l’homme.Ainsi le NO pourrait être impliqué, comme

dans la cirrhose, dans cette vasodilatation maisdans cette situation précise «à bon escient». Un essai d’inhibition de la NO synthase a étéréalisé chez le rat avec une «correction» desparamètres hémodynamiques. En revanche,contrairement à la situation de la cirrhose, la«normalisation» de ces paramètres est néfasteet entraîne une prééclampsie chez le rat [11].Chez la femme, une déficience en production de NO a été démontrée lors de prééclampsie[12].Par conséquent, la compréhension de cesmécanismes physiologiques dont la finalité estl’optimalisation de la circulation fœtale (vaso-dilatation) et la formation de liquide amniotique(hyponatrémie) devrait nous aider à prévenir ettraiter la prééclampsie et l’éclampsie.

Œdème néphrotique

L’œdème dans le syndrome néphrotique (SN)est celui qui remplit le moins la définition d’unœdème à «rein sain» puisqu’une anomalierénale existe (protéinurie) et qu’une rétentionhydrosodée primaire est fortement suspectée[1]. Dans le syndrome néphrotique, l’expansiondu volume extracellulaire n’est pas symétriqueentre le compartiment interstitiel et le compar-timent plasmatique. En effet, le volume plasma-tique n’augmente pas proportionnellementavec le volume interstitiel en raison d’un alté-ration de la pression oncotique consécutive à laprotéinurie.Deux mécanismes expliquent la formation d’œdèmes dans le syndrome néphrotique [13]:– La protéinurie induit une hypoalbuminémie

avec comme conséquence une chute de la pression oncotique intravasculaire, uneextravasation de liquide vers l’espace extra-cellulaire (transsudation) et finalement unebaisse du volume circulant induisant l’acti-vation des mécanismes visant à la régulationdu volume effectif.

– SRAA avec un rôle de l’aldostérone dans larétention sodée du SN observé dans cer-taines études et par la même un effet béné-fique de l’emploi de spironolactone sur l’ex-crétion sodée.

– Système sympathique avec augmentationdes taux de noradrénaline plasmatique chezles patients atteints de SN et souffrant d’unehypo-albuminémie sévère.

– AVP qui serait augmenté de façon propor-tionnelle à la baisse du volume circulant.

Ce mécanisme, bien que logique du point de vueconceptuel, ne se vérifie pas constamment lorsdes syndromes néphrotiques expérimentaux ou chez l’homme:– Des mesures de volumes intravasculaires

pratiquées chez des sujets atteints de SN ont

Protéinurie

Baisse P oncotique

Transsudation

4 Volume circulant effectif

Stimulation neurohormonale(RAA, SNC, AVP)

Rétention hydrosodée

Réabsorption Na tubulaire distale

Rétention hydrosodée «primaire»

2 Volume circulant effectif

Transsudation

Œdèmes

Figure 6.Schéma des 2 mécanismes physiopathologiques complémentaires conduisant à la rétention hydrosodée dans le syndrome néphrotique.

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montré des résultats divergents; certainesparlant effectivement pour un volume plas-matique diminué, mais la majorité montrantau contraire un volume augmenté ou nor-mal.

– Les modèles expérimentaux de déplétion enalbumine ou d’analbuminémie ne s’accom-pagnent pas forcément d’œdèmes démon-trant l’existence de mécanismes d’adapta-tion à la baisse de la pression oncotiqueinduite par la diminution de l’albuminesérique.

Ceci a amené à considérer un deuxième méca-nisme impliquant une rétention sodée primaireet basé sur des faits expérimentaux plus ré-cents:– Le traitement du syndrome néphrotique

est suivi d’une diminution de la rétentionhydrosodée avant toute correction de l’hy-poalbuminémie.

– L’induction d’un syndrome néphrotique uni-latéral chez le rat entraîne une hypoalbu-minémie systémique mais n’entraîne pas derétention hydrosodée par le rein sain [14].

– Chez les rats présentant un SN expéri-mental, on observe une hyperactivité de lapompe Na/K ATPase au niveau du tube col-lecteur cortical [15].

– Il existe une hyperactivité des phosphodies-térases rénales entraînant une résistancetubulaire à l’ANP par augmentation de ladégradation de son second messager (cGMP).

– L’activité de la 11b-hydroxystéroide déhy-drogénase, qui prévient l’occupation desrécepteurs au minéralocorticoïdes par lesglucocorticoïdes, est anormale.

Ces deux mécanismes ne sont pas exclusifs et ilest probable que c’est la conjonction des ano-malies intrarénales et extrarénales qui mène àla formation d’œdèmes.Les implications cliniques de ces constatationssont les suivantes:– L’usage des IEC même s’il ne semble pas suf-

fisant pour induire une natriurèse est indi-qué dans tous les cas même chez les patientsprotéinuriques normotendus car il diminuele degré de protéinurie. Cet effet n’est appa-rent que quelques semaines après le débutde la thérapie. Ces traitements semblentdonc parmi les plus importants dans l’arse-nal thérapeutique.

– Les diurétiques ont bien sûr leur place au vu de l’hypervolémie probable. Parmi lesdiurétiques, ceux de l’anse, les plus puis-sants doivent être favorisés, mais un blocageséquentiel visant le tube collecteur (lieu del’atteinte présumée) est essentiel.

– Finalement un régime pauvre en sodium faitpartie de l’arsenal thérapeutique, commedans les autres états œdémateux (à l’excep-tion de la grossesse).

Conclusion

Ces exemples montrent bien combien des prin-cipes semblables gouvernent la formationd’œdèmes dans des situations très distinctes.La notion de volume circulant effectif est capi-tale à la compréhension de ces pathologies. Parailleurs, l’identification des médiateurs et hor-mones impliqués dans la pathogenèse desœdèmes peut ouvrir énormément de nouvellesvoies thérapeutiques.

Quintessence

! Les œdèmes sont le résultat d’une rétention hydrosodée «inappropriée» du rein.

! La baisse du volume artériel circulant effectif active toute une série de récepteurs de pression ou de volume (barorécepteurs carotidiens, oreillettes, ventricules, vaisseaux pulmonaires).

! Les médiateurs neurohumoraux (SNS, AVP, SRAA) en agissant sur le reinsont responsables de la rétention hydrosodée.

! Une bonne compréhension de la physiopathologie des œdèmes permet untraitement approprié, causal ou symptomatique.

Page 8: Mécanismes extrarénaux de la formation des oedèmes · PDF fileCURRICULUM Forum Med Suisse No 9 26 février 2003 206 seurs ou afférents (figure 1). Ils sont localisés à différents

CURRICULUM Forum Med Suisse No 9 26 février 2003 212

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