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74 CHALLENGES N°568 - 31 MAI 2018 Enquête C e lundi 16 avril, sur le campus parisien de l’Edhec, rue du Quatre- Septembre, seize étu- diants du Global MBA entament leur semaine de spécialisation en in- novation digitale. Ces trentenaires, pour la plupart origi- naires d’Asie et du Moyen-Orient, écoutent attentivement la présen- tation de Sébastien Garcin. Barbe naissante, costume trois-pièces et sneakers vertes assorties à sa cra- vate, le directeur du digital de L’Oréal France décrit (en anglais, bien sûr) la déflagration provoquée par la révolution numérique dans les entreprises, y compris les multi- nationales comme le géant de la cosmétique. MBA Parcours de premiers de cordée Grâce à la reprise, ces cursus bâtis pour élargir ses propres compétences et prendre de nouvelles responsabilités tiennent toutes leurs promesses. Cérémonie de remise des diplômes à Harvard. L’université américaine reste une référence internationale, notamment en matière de MBA. Rick Friedman/Corbis/Getty Images

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Page 1: MBA C Parcours de premiers de cordée...multiculturels. La transformation digitale crée des besoins immenses dans les entreprises. Et ces jeunes professionnels, agiles et mobiles,

74 CHALLENGES N°568 - 31 MAI 2018

Enquête

C e lundi 16 avril, sur le campus parisien de l’Edhec, rue du Quatre-Septembre, seize étu-diants du Global MBA entament leur semaine de spécialisation en in-novation digitale. Ces

trentenaires, pour la plupart origi-naires d’Asie et du Moyen-Orient, écoutent attentivement la présen-tation de Sébastien Garcin. Barbe naissante, costume trois-pièces et sneakers vertes assorties à sa cra-vate, le directeur du digital de L’Oréal France décrit (en anglais, bien sûr) la déflagration provoquée par la révolution numérique dans les entreprises, y compris les multi-nationales comme le géant de la cosmétique.

MBAParcours

de premiers de cordée

Grâce à la reprise, ces cursus bâtis pour élargir ses propres compétences et prendre de nouvelles responsabilités tiennent toutes leurs promesses.

Cérémonie de remise des diplômes à Harvard. L’université américaine reste une référence internationale, notamment en matière de MBA.

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RANG ETABLISSEMENT Pays MOYENNE

1 HARVARD Etats-Unis 3,0

2 STANFORD  Etats-Unis 3,3

3 WHARTON  Etats-Unis 4,3

4 CHICAGO BOOTH  Etats-Unis 6,7

5 COLUMBIA BUSINESS SCHOOL Etats-Unis 8,0

6 INSEAD  France/Singapour 8,3

7 NORTHWESTERN KELLOG  Etats-Unis 9,0

8 BERKELEY HAAS  Etats-Unis 9,3

9 MIT SLOAN  Etats-Unis 11,7

10 HEC  France 13,0

11 LONDON BUSINESS SCHOOL  Royaume-Uni 13,3

12 UCLA ANDERSON  Etats-Unis 14,7

12 YALE  Etats-Unis 14,7

14 IESE  Espagne 17,3

15 MICHIGAN ROSS  Etats-Unis 17,7

16 CEIBS  Chine 18,0

17 DUKE UNIVERSITY/FUQUA  Etats-Unis 18,3

18 NEW YORK UNIVERSITY/STERN  Etats-Unis 18,7

19 DARTMOUTH TUCK  Etats-Unis 22,7

20 IMD  Suisse 24,7

21 CORNELL JOHNSON  Etats-Unis 26,3

21 SDA BOCCONI  Italie 26,3

23 ESADE BARCELONE  Espagne 28,3

24 UNIVERSITY OF CAMBRIDGE/JUDGE BUSINESS SCHOOL  Royaume-Uni 29,0

25 OXFORD UNIVERSITY/ SAÏD BUSINESS SCHOOL  Royaume-Uni 37,0

26 GEORGETOWN UNIVERSITY MCDONOUGH Etats-Unis 43,0

27 NUS BUSINESS SCHOOL  Singapour 53,0

28 HKUST BUSINESS SCHOOL  Chine 55,7

29 NANYANG BUSINESS SCHOOL Singapour 57,3

30 ISB  Inde 60,5

31 MAI 2018 - CHALLENGES N°568 75

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Parmi les étudiants, Pranjali Apur-va, designer de mode basée à Dubai, termine une année intense de tra-vail, entre études de cas et voyages d’études. Elle espère maintenant accéder à des postes de direction ou de conseil en stratégie. « Pour faire le pont entre académique et entreprises, une rencontre avec le patron du numérique d’Accor­Hotels et une visite de Criteo sont aussi programmées », indique Benoît Arnaud, directeur d’Edhec Executive Education.

Opportunités digitalesGrâce à ce sésame universel qu’est le Master of Business Administra-tion (MBA), ces futurs diplômés n’auront sans doute aucune difficul-té à séduire des employeurs en quête de managers pluridisciplinaires et multiculturels. La transformation digitale crée des besoins immenses dans les entreprises. Et ces jeunes professionnels, agiles et mobiles, sont parfaitement calibrés pour ac-compagner le changement. D’ail-leurs, les sociétés de conseil en stra-tégie, en particulier les Big Four (Deloitte, EY, KPMG et PwC), en recrutent à tour de bras et les pro-pulsent au sommet. Comme Sébas-tien Amichi, récemment nommé di-recteur exécutif d’Accenture Strategy, et Céline Boyer-Cham-mard, directrice associée du Boston Consulting Group à Paris. Deux qua-dras diplômés d’un MBA, à Warwick pour l’un, l’Insead pour l’autre.Grâce à la reprise économique, ces cursus bâtis pour élargir ses compé-tences et prendre de nouvelles res-ponsabilités tiennent toutes leurs promesses. « Les MBA sont particu­lièrement intéressants pour les in­génieurs et les scientifiques, qui sont pas mal déconnectés du busi­ness », explique Eric Aubert, par­tner du cabinet de recrutement de cadres dirigeants Boyden, lui-même médecin de formation. Diplômée de Sciences-Po et X-Mines, Elodie Per-thuisot, 41 ans, forte d’un MBA de l’ESCP, est devenue la nouvelle di-rectrice du marketing et client de Carrefour. « Mais il ne faut pas considérer le MBA comme un accé­lérateur de carrière, poursuit le consultant. C’est davantage une for­mation pour se réorienter en chan­geant de secteur ou de pays. »

Le titre de MBA n’étant pas protégé, il faut examiner soigneusement l’offre avant de se lancer dans ce périple parfois fort coûteux. Il en existe 400 en France, et plus de 3 000 dans le monde. La certification AMBA est un gage de la qualité de l’enseignement, le contenu des pro-grammes, ainsi que l’insertion des diplômés. Mais c’est surtout la puis-sance d’une marque que les candi-dats achètent. Parfois très cher. « Mon MBA à Harvard m’a coûté 200 000 dollars au total pour deux années, raconte Kiné Seck Mercier, consultante télécoms du cabinet de recrutement Egon Zehnder. Mais je ne l’ai jamais regretté. Cela m’a permis d’avoir un profil plus inter­national et de gagner énormément en confiance. » Utile pour recruter des managers de haut vol. Olga Jordao, elle, a opté pour l’Executive MBA Trium d’HEC, LSE et New York University. « Les cours durent deux semaines tous les trois mois, explique-t-elle. J’ai pu ainsi conti­nuer à travailler, sans perte de sa­laire. » Et grâce à ses quinze années d’expérience professionnelle, elle n’a pas eu à passer le GMAT, le test de compétence exigé pour candida-ter aux meilleurs MBA.

Sillon françaisFace aux universités anglo-saxonnes qui dominent le haut du tableau (lire ci­contre), les busi-ness schools françaises creusent leur sillon avec des programmes plus courts et moins onéreux. « Un MBA, c’est un investissement à tout point de vue. Cela doit obéir à un choix de carrière », insiste Jean-François Fiorina, directeur adjoint de Grenoble EM. Grâce aux gains de salaire obtenus, les diplômés de l’Edhec rentrent dans leur frais en vingt-six mois, soit deux fois plus vite que ceux des universités améri-caines. De son côté, l’école Neoma vient de lancer un Executive MBA que l’on peut suivre en quinze, dix ou sept mois. « Nous l’avons conçu comme un jeu de Lego, extrême­ment modulable, car nos étudiants veulent plus de personnalisation et de souplesse », estime Jérôme Couturier, directeur général adjoint de l’école. Une façon de relancer sa carrière sans prendre trop de risque. Kira Mitrofanoff

TOP-30 DES GLOBAL MBA

CE PALMARÈS résulte de la moyenne des rangs dans les classements 2018 du Financial Times, de The Economist et de QS. Ils prennent notamment en compte la satisfaction des diplômés et des employeurs, les progressions de salaire, la qualité académique ou encore l’ouverture internationale.R

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Enquête

S’offrir un profil businessMoins coûteux et moins longs que leurs équivalents anglo-saxons,

les cursus français ont acquis leurs lettres de noblesse. Une bonne option pour de jeunes cadres ambitieux… et très motivés.

MBA FRANÇAIS GÉNÉRALISTES

Longtemps vus comme de pâles copies de leurs grands frères anglo-saxons, les MBA français ont gagné leurs lettres de noblesse.

Six d’entre eux figurent cette année dans le sacro-saint classement du Financial Times. Et si l’Insead, 2e mondial, et HEC, 21e, sont des habitués des palmarès internatio-naux, d’autres écoles sont parve-nues à se faire une place au soleil. L’EMLyon, l’Edhec, Grenoble EM, l’Iéseg ou encore l’Essec attirent des candidats bien au-delà de l’Hexagone. Les atouts majeurs de ces cursus made in France ? Leur durée, moins longue que les MBA anglais ou américains, et par consé-quent leur coût, moins élevé. La re-cette, en revanche, reste la même : dix à quinze mois de cours intensifs en management, finance et marke-ting, ponctués d’études de cas, de travaux de groupes et de stages ou séjours à l’étranger. A l’arrivée, une carrière relancée, mais aussi une capacité à se réinventer.

Boîte à outilsThéophile Armand, 32 ans, en est un exemple parfait. Cet ancien aspi-rant médecin, puis ostéopathe, s’est finalement orienté vers le com-merce de mobilier de luxe avant d’être embauché par Norauto pour une mission de trois ans à Moscou. Il revient de Russie avec la sensa-tion qu’il lui manque « quelque chose » pour « changer de dimen-sion ». Il le trouvera à l’Edhec. De son année au sein du MBA basé à

Nice, il retient « le cadre exception-nel, la diversité des étudiants et la cohésion des groupes de travail ». Une expérience qui ne se résume pas, dit-il, à « l’incroyable réseau que l’on s’y fabrique ». « Le MBA, c’est une boîte à outils, on ne se sert pas de tout, tout de suite, mais

on est capable à la sortie de super-viser et de comprendre chaque do-maine d’activité. » Recruté par Amazon dans le cadre d’un pro-gramme destiné aux diplômés de MBA, il prévient toutefois que « ça se mérite ! »Un avertissement confirmé par An-drea Masini, directeur délégué du MBA d’HEC. Il a pour habitude de dire à ses diplômés : « Nous vous donnons les moyens pour réussir mais, à la fin, c’est vous qui faites l’effort. » « Ça n’est pas une ba-guette magique », abonde Phil Eyre, qui dirige le MBA de Gre-noble EM. Mais, à condition de s’investir à 200 %, on en repart avec de solides compétences et une légi-timité à l’international.

Portes ouvertes« Il ne faut pas arriver en consom-mateur, et il faut être réaliste quant à ses attentes », renchérit Sandra Richez, directrice du MBA de l’Edhec. Beaucoup de candidats, en effet, aspirent à effectuer le « triple jump » : changer de salaire, de secteur d’activité et de zone géo-graphique. Une culbute qui se réa-lise rarement juste après un MBA, constate Jacob Vakkayil, en charge du cursus de l’Iéseg. « La transfor-mation la plus courante est le lan-cement d’une carrière internatio-nale pour ceux qui ont une expérience antérieure dans leur pays. »Rare, mais pas impossible, assure Camille Fages, 38 ans, diplômée du MBA de l’Essec en 2016.

10 GLOBAL MBA (1)

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ETABLISSEMENT Ville

DURÉE (en mois)

COÛT (en euros)

GAIN DE SALAIRE*

AUDENCIA Nantes 12 31 500 30 %

EDHEC Nice 10 44 000 79 %

EMLYON Lyon 12 40 000 59 %

ESCP EUROPE Paris, Londres, Berlin, Madrid, Turin, Varsovie

12 33 000 **

ESSEC Cergy et Singapour 12 45 000 48 %

GRENOBLE EM Grenoble et Berlin 24 31 950 68 %

HEC Jouy-en-Josas 16 66 000 105 %

IAE PARIS Paris 17 18 400 NC

IÉSEG Paris 12 24 000 44 %

INSEAD Fontainebleau, Singapour, Abou Dhabi

10 71 000 105 %

* Trois ans après la sortie. ** Lancé en septembre 2017.

(1) Ce tableau n’est pas un palmarès. Il a été réalisé à partir des données fournies par les écoles.

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Enquête

Cette mère de trois enfants a ressenti la nécessité de reprendre des études après quinze ans de car-rière dans le secteur des achats. Très vite, le MBA lui apparaît comme étant la solution à ses en-vies d’évolution. Après avoir pré-paré intensivement le GMAT – exa-men en anglais indispensable pour intégrer un MBA –, elle candidate auprès de l’Essec. « J’ai appris durant cette année plus que je n’aurais jamais imaginé », s’en-thousiasme-t-elle. Immersion dans le campus de Singapour, voyage d’études à Shanghai, stage en Tan-zanie et week-end d’intégration à Saint-Cyr – trois jours mémorables dans la boue et sous la pluie, de

quoi souder la promotion ! –, tra-vaux de groupes… La formule lui convient en tous points.D’autant que, à la fin, les portes s’ouvrent. Son diplôme en poche, elle est recrutée par Invivo, un groupe coopératif agricole. « Un an plus tard, j’étais responsable digi-tale d’une filiale du groupe, ra-conte-elle. J’ai rentabilisé mon MBA en deux années en changeant non seulement de fonction, de sec-teur d’activité mais aussi de ni-veau hiérarchique. »« Le MBA est un formidable booster de carrière, assure Olivier Dufour, directeur exécutif au sein de Page Personnel. Mais avant de sauter le pas, il faut s’interroger sur ce qui

nous manque. Faire un MBA pour le simple plaisir de l’inscrire sur son CV est rarement une motiva-tion suffisante. » Sa valeur ajoutée est notamment importante pour ceux dont le profil n’est pas busi-ness. Le parcours de Clémence Knaébel est à ce titre éloquent. Gra-phiste designer, elle comprend à 35 ans que la dimension conseil de son activité lui plaît particulière-ment. Le MBA de l’Insead lui permet d’acquérir des compétences en ges-tion et management. C’est aussi l’occasion de confirmer cet attrait pour le conseil. Elle est aujourd’hui consultante en stratégie digitale à Accenture. « Je ne peux pas m’ima-giner à ce poste sans mon MBA », assure la jeune femme.

Labels repèresQuant au bon moment pour se lan-cer, selon Aarti Ramaswami, direc-trice du Global MBA de l’Essec, « c’est lorsqu’on sent qu’une année ou deux de plus à son poste ne suf-firont pas pour faire évoluer sa carrière ». Un constat qui se fait généralement après trois ou quatre ans d’expérience professionnelle. Lorsque la décision est prise, « mieux vaut privilégier les écoles dont la marque est reconnue », es-time Olivier Dufour. Le marché reste en effet peu réglementé, et foisonne, en France comme ail-leurs, de cursus qui n’ont de MBA que le nom.Parmi les critères de choix, la diver-sité des promotions est aussi déter-minante, les meilleurs affichant un taux d’étudiants étrangers de plus de 85 %. Par ailleurs, le label AMBA, qui accrédite les programmes les plus sérieux, permet de se repérer dans cette jungle. « Il ne faut pas hésiter à aller sur place, pour ren-contrer les étudiants et l’équipe académique », recommande égale-ment Martin Dion, passé par HEC. Salarié de Fiat, et aspirant à grim-per les échelons dans l’industrie automobile, il a pris le risque à 35 ans de quitter son emploi. Un pari gagnant, comme semble le prouver son recrutement par Renault-Nissan. Au sein d’un pro-gramme en cinq ans destiné aux hauts potentiels diplômés d’un MBA, sa prochaine rotation s’effec-tuera au Japon. Caroline Franc

« J’ai passé trois fois le GMAT avant de pouvoir intégrer HEC, et j’ai quitté mon emploi, sans filet. Mais l’expérience a été à la hauteur et j’ai immédiatement trouvé un poste intéressant à Renault-Nissan, où j’ai plus que doublé mes revenus. Durant mon cursus, j’ai pu me remettre en question, et j’ai la sensation d’avoir changé. Après un MBA, on absorbe tout, plus vite. »

MARTIN DION, 37 ANS, DIPLÔMÉ DU MBA D’HEC EN 2017.

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Enquête

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Transformer l’essai managérial

Cette formule, qui permet de combiner travail et études de haut vol, séduit les cadres expérimentés en quête d’une nouvelle carrière. A la clé, un réseau international et l’accès aux fonctions de direction.

EXECUTIVE MBA FRANÇAIS

Q uand il a fait le choix de re-prendre ses études en 2015, Christophe Canneva, 45 ans, chef de projet pour la socié-té de logistique européenne

Stef, cherchait un second souffle. « Après plusieurs années passées à monter des solutions d’optimisa-tion logistique pour de grands comptes, j’avais envie de changer de dimension, et l’Executive MBA m’est apparu comme la formation idéale », raconte-t-il. Diplômé depuis quelques mois de l’ESCP Europe, il dit être « un autre homme ». « Intel-lectuellement, c’est sublime, mais cela demande un investissement très lourd, car l’accélération de rythme est impressionnante, confie-t-il. Pour réussir, il est indis-pensable d’être soutenu par ses proches comme par sa hiérarchie. Depuis ma reprise à temps plein, plusieurs propositions intéres-santes se profilent et je ne regrette pas les efforts consentis. »

Promos triées sur le voletComme lui, de nombreux cadres se lancent chaque année afin d’accélé-rer leur carrière et d’étoffer leur car-net d’adresses au sein de promo-tions triées sur le volet, parfois très internationales. « Sur le campus de l’Insead à Fontainebleau, personne ne m’a jamais parlé en français, raconte Jessica Fracassi Berrezaie. Et aujourd’hui, je dispose d’un réseau de contacts privilégiés à tra-

vers le monde. C’est bien plus riche que les compétences académiques que je cherchais au départ. » De retour chez Hermès, la jeune femme s’est vu proposer un poste de direc-trice du merchandising et de l’expé-rience client. Elle manage aujour-d’hui une centaine de personnes, contre une dizaine auparavant.Ces programmes concoctés par les grandes écoles sont réservés à des managers expérimentés qui cumu-lent, durant sept à vingt-quatre mois selon les cursus, leur travail avec des cours et séminaires. Âgés de

35 ans en moyenne, ils affichent une dizaine d’années d’expérience pro-fessionnelle, sont déjà rompus au management multiculturel et parfois identifiés comme des cadres à haut potentiel. « La très grande majorité de nos participants ont en tête de faire évoluer leur carrière, mais ils ne savent pas toujours bien vers quoi », observe Hervé Remaud, directeur de l’EMBA de Kedge, qui pointe l’ouverture d’esprit, la volon-té de transformation et les capacités à se remettre en question comme conditions pour réussir.

Variété de profilsSi les ingénieurs en quête de compé-tences managériales sont toujours nombreux dans ces programmes, ils cohabitent désormais avec des spé-cialistes de la finance, du marketing, des juristes, des artistes ou des cher-cheurs… Une variété de profils que les business schools françaises favo-risent. Illustration avec Mathieu Tamby, 41 ans, chercheur en scien-ces médicales et immunologie et diplômé de l’EMBA de Neoma BS. « Après douze ans d’expérience dans une agence de communica-tion en santé, je voulais monter

ETABLISSEMENT Campus

DURÉE (en mois)

COÛT (en euros)

GAIN DE SALAIRE*

ESCP EUROPE  Paris, Londres, Berlin, Madrid, Turin

18 à 30 62 000 62 %

ESSEC  Paris, Mannheim, Singapour, Rabat

18 52 000 49 %

HEC  Paris, Doha 14 à 18 71 450 52 %

INSEAD  Fontainebleau, Singapour, Abou Dhabi

14 à 17 119 000 48 %

KEDGE  Paris, Marseille, Shanghai

24 à 36 39 000 94 %

NEOMA BS  Reims, Rouen, Paris, Téhéran

7/10/15 41 500 54 %

6 EMBA (1)

* Trois ans après la sortie.(1) Ce tableau n’est pas un palmarès. Il a été réalisé à partir des données fournies par les écoles.

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mon entreprise, mais il me man-quait des clés. » Des compétences qu’il estime avoir acquises. « L’objet caché de cette formation, c’est la transformation personnelle, car on apprend à se forger une vision à 360°. Si je ne suis pas devenu ex-pert de toutes les matières ensei-gnées, je me sens capable de parler finance avec quelqu’un dont c’est le métier », indique le nouveau patron.« Apprendre à se confronter à des personnalités différentes est un vecteur de succès », assure Inès Khedir, directrice de l’EMBA de l’ESCP Europe. L’école a ainsi mis en place des bourses pour les can-didats entrepreneurs ou issus de PME et d’ONG. Des aides qui lèvent le frein du coût de ces programmes, entre 40 000 et 120 000 euros. Et si certains employeurs contribuent financièrement, pour un tiers, ils sont moins nombreux qu’avant. Pourtant, cette participation n’est jamais désintéressée… Dans la balance ? Le retour dans l’entre-prise de cadres plus sûrs d’eux et de leur leadership. Béatrice Girard

« Juriste et traductrice de formation, j’étais en charge de la gestion technique, financière et commerciale de contrats à Airbus Helicopters. Après huit ans, j’ai souhaité faire un EMBA. Je conseille aujourd’hui les managers sur les performances financières des contrats complexes, un poste hautement stratégique. »

SOPHIE GIORDANENGO, 45 ANS, DIPLÔMÉE DE L’EMBA DE KEDGE EN 2016.

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Enquête

S’investir à l’étranger pour décoller

Changer de pays ouvre aux MBA les plus cotés et permet de prendre une nouvelle dimension. Reste à choisir entre cursus

américains et les autres. Une question de priorités.

MBA INTERNATIONAUX

C ’est la première question à se poser lorsque sa décision est prise : faut-il rester en France ou partir à l’étranger pour un MBA à temps plein ? Certes,

les écoles françaises, notamment l’Insead et HEC, affichent des pro-motions très internationales, comme leurs enseignants. Mais l’opportuni-té de quitter l’Hexagone constitue une option attrayante. D’autant plus que les offres ne manquent pas en Asie, en Europe et aux Etats-Unis. Cependant, deux grandes catégories distinguent le marché des Global MBA : ceux en deux ans, essentielle-ment aux Etats-Unis, et ceux en un an, privilégiés par l’Europe et l’Asie. Conséquence pour les candidats : les frais engagés varient du simple au double d’un continent à l’autre, avec un budget total qui peut atteindre jusqu’à 200 000 dollars.C’est cher, très cher. Mais les MBA américains dominent les classe-ments mondiaux. Et une immersion prolongée aux Etats-Unis présente de nombreux intérêts. En matière de développement personnel mais aus-si de perspectives financières : ils boostent les salaires. « Je voulais ajouter une dimension plus inter-nationale à ma culture à la fois africaine et européenne, explique Kiné Seck Mercier, consultante télé-coms au cabinet de conseil en gou-vernance Egon Zehnder. En choisis-sant le MBA d’Harvard, j’ai pu accéder à une vision plus globale du monde des affaires. Un autre mode de pensée, faite de prises de risque.

Cela m’aide tous les jours dans mon métier. » Et même si la taille des promotions, de 900 élèves, peut questionner, c’est un trompe-l’œil, constate la jeune femme, qui a béné-ficié d’une bourse couvrant un tiers des frais de scolarité. « Nous étions regroupés par petites classes de 90 élèves où, pour la mienne, se côtoyaient une championne olym-pique de hockey, des médecins, un ancien du FBI chargé de la lutte contre les narcotrafiquants, des banquiers et des consultants. »Cependant, l’élection de Donald Trump et l’accueil moins friendly réservé aux étrangers peuvent conduire à revoir son choix. La possibilité de rester travailler dans ce pays après son diplôme n’est plus aussi certaine. Dans ce contexte, les MBA full time des grandes univer-sités anglaises constituent une alternative intéressante… en atten-dant le Brexit. Ceux de la London Business School ou de Cambridge sont particulièrement bien cotés et ils offrent l’avantage, outre leur proximité avec la France, de s’effec-tuer en moins de deux ans.

Riche vie sociale« L’intérêt d’un MBA, c’est la mise en relation, insiste Rémi Nouailles, sorti en 2017 de la Judge Business School (Cambridge). D’abord pen-dant les études, grâce au travail en groupe, qui m’a permis de tisser des liens forts au sein de ma classe de 170 personnes, mais aussi par les connexions plus larges uuu

ETABLISSEMENT Pays

DURÉE (en mois)

COÛT (en euros)

GAIN DE SALAIRE*

SDA BOCCONI Italie 15 52 000 117 %

CEIBS Chine 12 ou 18 53 400 168 %

CUHK BUSINESS SCHOOL Chine 12 ou 16 58 800 108 %

HKUST BUSINESS SCHOOL Chine 12 ou 16 62 170 112 %**

IE BUSINESS SCHOOL Espagne 11 72 200 108 %

IESE Espagne 19 88 150 126 %

UNIVERSITY OF CAMBRIDGE/JUDGE BUSINESS SCHOOL Royaume-Uni

12 60 100 100 %**

NORTHWESTERN KELLOG  Etats-Unis 22 Environ

118 000 103 %**

MIT SLOAN Etats-Unis 21 Environ

128 000 98 %**

OXFORD UNIVERSITY/ SAÏD BUSINESS SCHOOL Royaume-Uni

12 62 220 99 %

STANFORD Etats-Unis 21 Environ

115 000 114 %**

WHARTON Etats-Unis 20 113 800 96 %**

12 MBA INTERNATIONAUX (1)

* Trois ans après la sortie ** Données issues du classement du Financial Times Global MBA Ranking 2018.(1) Ce tableau n’est pas un palmarès. Il a été établi à partir de données transmises par les responsables des cursus.

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Enquête

sur le campus, en m’immer-geant dans sa riche vie sociale. Ensuite en profitant de l’associa-tion des alumni. » Celle-ci regroupe 200 000 anciens pour toute l’univer-sité ! C’est d’ailleurs grâce à ce ré-seau que ce trentenaire qui souhai-tait partir travailler à New York a trouvé un poste à la direction finan-cière de la société de vente aux en-chères Christie’s.

Zone géographique cléMieux vaut cependant privilégier la zone géographique où l’on veut être embauché. Même si tous les MBA ont une dimension internationale, ils restent liés à leur région d’implanta-tion. « A Cambridge, ce sont surtout des postes au Royaume-Uni et en Europe qui étaient proposés », se remémore Rémi Nouailles. Il expli-que : « Un MBA, c’est une matrice avec beaucoup d’entrées et de va-

riables ! Pour ma part, je voulais un pays anglophone, mais pas les Etats-Unis, où les cursus sont trop chers et trop longs, et où les promo-tions sont trop nombreuses et moins cosmopolites. »Par ailleurs, la moyenne d’âge dans les MBA américains est moins éle-vée qu’ailleurs : une vraie question pour les trentenaires avec plus de cinq ans d’expérience, comme Alice Ben Arous, consultante pour un grand cabinet à Genève. Diplômée de Centrale Paris, la jeune femme a donc opté pour l’IMD Lausanne, en 2016, alors qu’elle travaillait pour une marque de luxe française à New York : « Les profils sont plus expéri-mentés, avec un âge moyen de 31 ans au sein d’une promotion li-mitée à 90 personnes et dans un environnement interculturel ras-semblant une quarantaine de na-tionalités. »

Si la finance et le conseil restent les premiers recruteurs de MBA, de plus en plus de diplômés ont des plans de carrière bien différents, observe Alex Chisholm, directeur Business School Analytics au sein de la société QS, qui organise le World MBA Tour : ils souhaitent lan-cer leur propre entreprise ou se joindre à un projet de création. Or, les start-up apprécient ces profils internationaux et pluridisciplinaires au moment où elles accélèrent leur développement.

Aventure entrepreneurialeTitulaire d’un MBA de la Chinese University of Hong-kong (CUHK), Philippe Delplancke s’inscrit dans ce schéma : en 2014, cet ingénieur télécoms de 35 ans avait choisi cette formation pour son programme en-trepreneurial. Il est devenu pré-sident de la filiale européenne, ba-sée à Paris, de Nanoleaf, start-up canadienne spécialisée dans les lu-mières connectées. « Avant, les MBA donnaient accès à des posi-tions importantes dans des multi-nationales, alors qu’aujourd’hui c’est plus ouvert, estime-t-il. Person-nellement, j’ai préféré une struc-ture plus petite et agile, qui me cor-respond mieux et où j’ai davantage de responsabilités : je m’épanouis dans mon travail et les nouvelles compétences que j’ai acquises en management ou en gestion me servent tous les jours. » Le fait d’avoir étudié à Hong-kong facilite aussi ses échanges avec les sites chinois de Nanoleaf.Quant à Arthur Rousseau, médecin généraliste de 28 ans, il vient de suivre un MBA de dix-huit mois à l’Esade de Barcelone, avec l’idée de monter son entreprise dans le do-maine de la traumatologie et de l’orthopédie. S’il a préféré cette for-mule plus longue, c’est pour se met-tre à niveau : « Je connaissais bien l’anatomie, mais pas la comptabi-lité ! Les premiers mois, c’était un choc : j’ai dû travailler très dur, se souvient-il. Autour de moi, il y avait d’autres étudiants atypi-ques : avocats, pharmaciens, ex-militaire. On s’entraidait tous. J’ai autant appris de mes camarades que de mes professeurs ! » Une ex-périence qui n’a pas de prix. Mais un certain coût. Stéphanie Condis

« Les deux ans de MBA m’ont donné l’impression d’en avoir vécu dix ! C’est un condensé d’expérience et de relations avec des profils très variés. Cela m’a apporté une grande ouverture d’esprit et un cadre privilégié pour prendre le temps de la réflexion. »

MÉLANIE MERLET, 29 ANS, DIPLÔMÉE DU MBA DE STANFORD EN 2017.

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