mars 2016 - gérer un changement d'interlocuteur

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26 vegetable.fr • n o 331 / mars 2016 GRANDE DISTRIBUTION Regard d’expert par Bertrand GUÉLY ©FFANG-DREAMSTIME.COM  On le sait, on met longtemps à construire sa crédibilité mais on la perd en très peu de temps. I l présente toujours un risque certain de perturbation pour le business compte tenu du caractère quotidien de la relation en F&L (entremêlement des fonctions achat et approvisionnement en produits frais). J’ai déjà eu l’occasion de décrypter le caractère profondément anxiogène de l’acte d’achat et plus particulièrement le risque de la rupture magasin en cas de sourcing défail- lant (produit non trouvé ou refusé à l’entrée de la plateforme). Que ce soit l’acheteur qui insiste, inquiet, auprès de son remplaçant pour « maintenir les lignes » ou le vendeur, soucieux de perdre sa commission, qui explique quand et comment appeler, le stress est palpable tant il faut du temps pour dépasser la tension de relation et se focaliser sur la tension de tâche. 100 fois sur le métier tu remettras l’ouvrage... On peut identifier 5 grands types de nouvel inter- locuteur et les classer dans l’ordre de risque qu’il représente : 1 Le nouveau est un novice complet au métier, un jeune diplômé en général. Si celui-ci est un carrié- riste, il va chercher à briller rapidement, quitte à pressurer outre mesure ses interlocuteurs et à utiliser le levier le plus simple à actionner, la baisse de prix forcée sous peine de déréférence- ment. Heureusement, ils sont aujourd’hui minoritaires et la plupart comprend que le four- nisseur n’est pas un ennemi mais un allié avec lequel on doit faire mieux que le concurrent. Par ailleurs, s’il enchaîne les erreurs de débutant, il va vous falloir ici vérifier qu’il tient ses maga- sins, qu’il n’est pas un maniaque par principe de l’animation ou de la PLV... 2 Le nouveau est un ancien dans la fonction. S’il fait partie de la catégorie des « acheteurs à vie », danger également car il a forcément ses convictions, voire ses rancœurs, et cherchera souvent à revenir à ce qu’il connaissait. C’est le fameux syndrome du « c’était mieux avant ! », quitte à revenir en arrière par rapport aux prin- cipales avancées de notre filière ces dernières années (sélection variétale, gustativité, condi- tionnement...). 3 Le nouveau s’est vu imposer le portefeuille pro- duit en question et ne va pas y mettre toute la pas- sion. Tous les acheteurs ont, et c’est bien com- préhensible, leurs affinités particulières : il y a les légumiers, les fruitiers, les rois de la banane, les bretons, les spécialistes des ‘ch’tites lignes ed’ brun’, les amoureux du local même quand il n’est pas à niveau, les talibans du Bio... Mal- heur si vous vous retrouvez avec un légumier à qui on impose de s’intéresser à la carambole ou avec un breton à qui vous voulez vendre du chou du marrais audomarois... 4 Le nouveau attend la retraite. C’est le fameux adepte du « le poireau, on fait chul’ MIN ! » : il n’a pas compris que la filière évolue aussi et ressasse en général une bonne dose de choses QU’IL SOIT DÉFINITIF OU MOMENTANÉ, LE CHANGEMENT D’INTERLOCUTEUR DANS UNE RELATION COMMERCIALE REVÊT UN CARACTÈRE DÉSTABILISANT POUR LES DEUX PARTIES. Gérer un changement d’interlocuteur

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Page 1: Mars 2016 - Gérer un changement d'interlocuteur

26 • vegetable.fr • no 331 / mars 2016

GRANDE DISTRIBUTION Regard d’expert

par Bertrand GUÉLY

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Relation commerciale

 On le sait, on met longtemps

à construire sa crédibilité mais on la perd en très

peu de temps.” Il présente toujours un risque certain de perturbation pour le business compte tenu du caractère quotidien de la relation en F&L (entremêlement des fonctions achat et approvisionnement en produits

frais). J’ai déjà eu l’occasion de décrypter le caractère profondément anxiogène de l’acte d’achat et plus particulièrement le risque de la rupture magasin en cas de sourcing défail-lant (produit non trouvé ou refusé à l’entrée de la plateforme). Que ce soit l’acheteur qui insiste, inquiet, auprès de son remplaçant pour « maintenir les lignes » ou le vendeur, soucieux de perdre sa commission, qui explique quand et comment appeler, le stress est palpable tant il faut du temps pour dépasser la tension de relation et se focaliser sur la tension de tâche.

100 fois sur le métier tu remettras l’ouvrage...

On peut identifier 5 grands types de nouvel inter-locuteur et les classer dans l’ordre de risque qu’il représente :1 Le nouveau est un novice complet au métier, un

jeune diplômé en général. Si celui-ci est un carrié-riste, il va chercher à briller rapidement, quitte à pressurer outre mesure ses interlocuteurs et à

utiliser le levier le plus simple à actionner, la baisse de prix forcée sous peine de déréférence-ment. Heureusement, ils sont aujourd’hui minoritaires et la plupart comprend que le four-nisseur n’est pas un ennemi mais un allié avec lequel on doit faire mieux que le concurrent. Par ailleurs, s’il enchaîne les erreurs de débutant, il va vous falloir ici vérifier qu’il tient ses maga-sins, qu’il n’est pas un maniaque par principe de l’animation ou de la PLV...2 Le nouveau est un ancien dans la fonction. S’il fait partie de la catégorie des « acheteurs à vie », danger également car il a forcément ses convictions, voire ses rancœurs, et cherchera souvent à revenir à ce qu’il connaissait. C’est le fameux syndrome du « c’était mieux avant ! », quitte à revenir en arrière par rapport aux prin-cipales avancées de notre filière ces dernières années (sélection variétale, gustativité, condi-tionnement...).3 Le nouveau s’est vu imposer le portefeuille pro-

duit en question et ne va pas y mettre toute la pas-sion. Tous les acheteurs ont, et c’est bien com-préhensible, leurs affinités particulières : il y a les légumiers, les fruitiers, les rois de la banane, les bretons, les spécialistes des ‘ch’tites lignes ed’ brun’, les amoureux du local même quand il n’est pas à niveau, les talibans du Bio... Mal-heur si vous vous retrouvez avec un légumier à qui on impose de s’intéresser à la carambole ou avec un breton à qui vous voulez vendre du chou du marrais audomarois...4 Le nouveau attend la retraite. C’est le fameux adepte du « le poireau, on fait chul’ MIN ! » : il n’a pas compris que la filière évolue aussi et ressasse en général une bonne dose de choses

QU’IL SOIT DÉFINITIF OU MOMENTANÉ, LE CHANGEMENT D’INTERLOCUTEUR DANS UNE RELATION COMMERCIALE REVÊT UN CARACTÈRE DÉSTABILISANT POUR LES DEUX PARTIES.

Gérer un changement d’interlocuteur

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NOUVEAU !

www.vegetable.fr/blogs/guely

Retrouvez l’humeur de Bertrand Guely sur son végéblog :

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GRANDE DISTRIBUTION Regard d’expert

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TRANSMISSION IDÉALE… OU PAS !

« Y faut rien ! »C’est qui-qui fait les produits de Gilles maintenant ? Cette petite phrase lancée par la standardiste dans l’open space des acheteurs n’est jamais bon signe car elle en dit long sur la transmission des dossiers du Gilles en question ! Si même la secrétaire ne le sait pas, il y a des chances qu’il faille appliquer une bonne partie des conseils listés ci-contre sous peine d’attendre fébrilement un hypothétique fax de commande du « nouveau » qu’on ne connaît pas...

en bref

Relation commerciale

Le mois prochain : Les avantages d’une relation suivie avec la GMS pour les producteurs

qui étaient vraies... avant. Pas gagné de véhicu-ler le changement et le progrès avec un futur retraité qui pense déjà plus aujourd’hui à ce qu’il va faire... après !5 Le nouveau est un éternel débordé. Comme dans toutes les entreprises qui doivent faire face à la crise, un départ n’implique pas systé-matiquement un recrutement pour remplacer et les dossiers vacants peuvent ainsi être répar-tis sur les acheteurs qui restent, du coup sur-chargés et débordés en permanence et qui auront naturellement tendance à se concentrer sur ce qu’ils gèrent depuis plus longtemps... Ici, il va vous falloir proposer vos services pour gagner du temps : proposition de commande, appel au transporteur, échantillonnage pointu...

Bien sûr, les personnalités sont rarement si basiques et les interlocuteurs souvent un mix de ces catégories mais, si je me permets ces 5 groupes, c’est que j’ai côtoyé pendant près de 20 ans des collègues et amis en centrale d’achats. Toute ressemblance avec quelqu’un existant ou ayant existé...

Les opportunités du changement

1 Pour un fournisseur blacklisté, la porte peut à nouveau s’entrouvrir. Quand l’ancien acheteur (« lui, depuis qu’il m’a planté pendant les 25 jours en 2005, il n’existe plus ») ne le prenait même plus au téléphone, le nouveau peut peut-être lui redonner sa chance.2 La nouvelle donne du commerce moderne fait que la majeure partie des nouveaux interlocu-teurs ont naturellement une fibre commerce équitable, bio... On peut donc plus facilement sortir du seul bras de fer tarifaire. Par contre, on perd souvent, sauf dans le cas de recrutement d’agro/agri, en connaissance produit pure. L’idéal est bien évidemment d’avoir un interlo-cuteur qui connaît l’agriculture ET le marketing.3 Vous repartez sur du rationnel plutôt que sur des crispations. On ne fait pas de Golden de Provence (même si, en l’occurrence, le « On » a plutôt raison !), Aledo ça n’est pas du raisin et je n’en veux pas à Noël qui sort du frigo, la Bintje c’est de la pomme de terre à cochons, la Confé-rence c’est la poire à lancer dans les manifs... Autant de dogmes injustes qui peuvent partir avec l’ancien.4 À  chaque départ son lot de fin de copinages. Qu’on le veuille ou pas, on a tendance à « aimer » tel ou tel fournisseur qui a su gagner la confiance. Un changement d’interlocuteur permet aussi de mettre fin à ces ententes privilégiées et de propo-ser à nouveau ses services pour les autres.

King for a day, fool for a lifetime1

Il est toujours frappant de voir que les fournisseurs plaident pour des relations à long terme leur permettant de s’organiser en production et de sécuriser leurs investissements et leurs embauches... Alors que les commerciaux se vantent, devant les secrétaires aux yeux admiratifs, de leurs plus beaux « coups », généralement simplement basés sur des approches tolérantes des catégories et des calibres... Dans le cas d’un changement d’interlocuteur, ne jouez pas cette carte car vous risqueriez de faire connaissance à terme avec d’autres coups...

1 : Roi pour un jour, idiot pour la vie.

Élément perturbateur supplémentaire, encore faut-il savoir le changement d’interlocuteur plutôt que de le découvrir en appelant le stan-dard. Les bureaux d’achats font rarement publicité des réattributions de portefeuilles et seules certaines enseignes anglaises, à ma connaissance, font une information formalisée systématique.

Bien gérer le changement

– Ne cherchez pas des raisons compliquées au changement. En plus des étapes logiques d’une carrière, le fait de faire tourner les por-tefeuilles d’achat est sain et salutaire. Accep-tez et accompagnez.

– Ne bâclez pas la phase « découverte » avec votre nouvel interlocuteur et commencez par vous présenter vous pour sortir de l’anonymat.

– Proposez de faire physiquement à 3 la trans-mission posée des dossiers. Elle est bien souvent minimaliste entre 2 acheteurs et peut se limiter à la transmission d’un fichier Excel agrémenté de commentaires plus ou moins objectifs. Faites en sorte de dépasser la transmission éclair et accompagnez-la sur le terrain.

– Capitalisez sur ce que vous avez bien fait et qui est reconnu par les différents services. Apportez des chiffres plutôt que le « On est fournisseur depuis toujours ! ».

– Ne harcelez pas de coups de téléphone un acheteur stressé qui découvre son nouveau portefeuille mais obtenez un rendez-vous physique que vous préparerez avec minutie.

– Ne profitez pas du flou artistique. Vous le payeriez dès que le nouvel interlocuteur aura pris ses marques car il ne l’oubliera pas.

QUAND VOUS VOYEZ CE NOUVEAU LOGO, VOUS AVEZ ENTRE LES MAINS UN EMBALLAGE EN CARTON ONDULÉ CERTIFIÉ, DE GRANDE QUALITÉ.

VOUS POUVEZ AVOIR TOUTE CONFIANCE.