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Remettez l’Homme au cœur de l’économie / www.terra-economica.info N° 35 - Du 15 au 28 février 2007 / 17 LA FRANCE S’ENDETTE C’est grave, mais c’est pas grave MAMIE FAIT DE LA RÉSISTANCE Une maison de retraite féministe, écologique et autogérée… 35 du 15 au 28 février 2007 un jeudi sur deux REMETTEZ L’HOMME AU CŒUR DE LÉCONOMIE www.terra-economica.info MARÉES NOIRES les dessous du transport pétrolier MARÉES NOIRES Les dessous du transport pétrolier

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Remettez l’Homme au cœur de l’économie / www.terra-economica.info N° 35 - Du 15 au 28 février 2007 / 17

LA FRANCE S’ENDETTEC’est grave, mais c’est pas grave

MAMIE FAIT DE LA RÉSISTANCEUne maison de retraite féministe, écologique et autogérée…

35 du 15au 28 février 2007

un jeudi sur deux

REMETTEZ L’HOMME AU CŒUR DE L’ÉCONOMIE

www.terra-economica.info

MARÉES NOIRESles dessous du transport

pétrolier

MARÉES NOIRESLes dessous du transport

pétrolier

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2 / N° 35 - Du 15 au 28 février 2007 www.terra-economica.info / Remettez l’Homme au cœur de l’économie

Brèves

Forum des lecteurs

n° 35 Sommaire

L’OBJET Le hamburger ............................../4

L’ÉCONOMIEEXPLIQUÉE À MON PÈREBanqueroute droit devant ? ...../5

DOSSIERLes dessous du transportpétrolier ........................................./6-10

ENRICHISSEZ-VOUS !Kropotkine, anarcho…centriste ............................................../13

ENQUÊTEUniversité : poches videset système D .......................... /14-15

LA BA DE LA SEMAINELes mamiesfont de la résistance..................../16

Une rubrique sports, des conseils pour la vie quotidienne, les faits et gestes de la jet set : rien de bien nouveau au sommaire d’Avastar. Pourtant cet heb-domadaire né il y a quelques semaines n’existe pas. Ou plutôt si. Mais dans l’univers virtuel du jeu en ligne Second Life. Le périodique a même un prix. Il coûte 150 linden, la monnaie « loca-le » de ce pays imaginaire. Lancé par le bien réel hebdomadaire allemand Bild,

Avastar est censé donner la tempéra-ture de ce qui se passe dans la réalité virtuelle. Cette initiative n’est cependant pas « gratuite ». Sur Second Life, plus de 2,5 millions d’internautes se cotoient et l’équivalent d’un million de dollars est échangé chaque jour. Deux candidats à la présidentielle – Ségolène Royal et Jean-Marie Le Pen – y ont même installé un QG de campagne. // Alioune Zergal

« Allo, t’es où ? » Cette question n’aura peut-être plus de sens à l’avenir. Car il sera bien-tôt possible d’identifi er la position d’un individu. Non pas via la puce de son téléphone portable ou de sa montre mais plutôt grâce à sa paire de chaussures. Un entrepreneur de Miami a en eff et développé des baskets dotées – dans la semelle – d’un système GPS, car « on peut oublier son mobile, mais pas ses chaussures », défend son concepteur. Surfant sur les aspirations sécuritaires d’une société du « tout-contrôle », Isaac Daniel compte bien séduire au-delà de la population des militaires et des randonneurs de montagne. D’ailleurs, pour attirer les jeunes, les baskets – vendues 350 dollars pièce – proposent jeux et téléphone sans fi l. Et s’affi chent comme le moyen idéal de retrouver ses amis perdus lors de la tournée des bars. // Anne Bate

LE PREMIER MAGAZINE PEOPLE VIRTUEL

J’essaie de faire attention à ce que je consomme (eau, électricité…), je trie mes déchets… Bref, je suis un citoyen « normal ». Je com-prends que l’on s’alarme sur les conséquences de notre mode de vie, mais ce réchauffement climatique me fatigue. (…) L’Histoire nous montre aussi que la Terre a toujours su s’adapter

aux circonstances et que le climat a varié par le passé.// Un lecteur

La réponse de la rédaction :

Les experts internationaux du climat réunis le 2 février à Paris sont malheu-reusement catégoriques. La situation est sans précédent dans l’histoire de l’huma-nité. Pour mieux comprendre, nous vous recommandons la lecture du site :www.manicore.com

ExcessifRéaction à l’article « Et si le ciel nous tombait sur la tête ?», Terra Economica Le blog.

LE GPS, C’EST LE PIEDWANTED : PARENTS INDIGNESCertains seraient prêts à payer pour voir leur visage placardé à la Une des jour-naux. Tendance inverse au Canada où les mauvais payeurs vont devoir débourser pour que leur photo ne soit pas diff usée sur Internet. Le ministère des Services sociaux et communautaires a décidé de tout mettre en œuvre afi n de retrouver les « parents irresponsables » qui n’ont pas versé leur pension alimentaire. Pour cela, il compte menacer quiconque étant en infraction avec la loi, de placarder son portrait sur un site Web. A charge ensuite aux enquêteurs de se mettre sur la piste des contrevenants et de les localiser. Le Bureau des obligations familiales, dont le rôle est de s’assurer du paiement des pen-sions, détient actuellement 188 000 dos-siers en instance. Le ministère mise sur le sentiment de honte suscité chez les mauvais payeurs pour faire le tri dans ses fi chiers. // Pauline Hervé

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Remettez l’Homme au cœur de l’économie / www.terra-economica.info N° 35 - Du 15 au 28 février 2007 / 3

C’est le plus grand toit de panneaux solaires au monde. 4 km2 de capteurs vont équi-per le premier hypermarché Tesco des Etats-Unis. Pour symboliser sa politique d’éco-nomie d’énergie, la chaîne de supermarchés britanniques a passé un contrat de 13 mil-lions de dollars avec la société américaine Solar. Ce disposi-tif devrait permettre d’éviter

jusqu’à 1 200 tonnes de CO2 par an. Il produira par ailleurs 2,6 millions de kilowattheures annuels, soit un cinquième de ce que consomme la grande surface. Seul hic : ces super-marchés « écolos » devraient attirer de plus en plus de clients soucieux de l’environ-nement. Des consommateurs qui viendront faire leurs cour-ses… en voiture. // P. H.

Mettre la « plume dans la plaie », c’était bon pour le journalisme du XXe siècle. A l’avenir, il faudra plutôt « mettre le clic dans la paye ». La faute à une nouvelle forme de rémunération des blo-gueurs révélée par Mary Jo Foley. Cette ancienne journaliste du site Internet ZDNet.com couvre depuis des années l’actualité de l’entreprise Microsoft. Désormais indépendante, elle est rétribuée au clic, comme elle le raconte sur son blog (1) : plus l’article est lu, plus son salaire est élevé. Le « journalisme pay-per-view » fait tiquer les spécialistes des médias qui redoutent une dérive vers le sensationnalisme. // A. B.

(1) http://blogs.zdnet.com/microsoft

L’HYPER QUI CARBURE AU SOLEIL

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RÉAGISSEZ. Vos contributions seront publiées dans ce ForumContact : [email protected]

LES JOURNALISTES PAYÉS À L’APPLAUDIMÈTRE

Réaction à l’article « Vivre sans voiture, un

jour peut-être ? », Terra Economica le blog

On parle beaucoup de biocarburants

en laissant supposer qu’ils constituent

la solution à tous les maux. C’est scien-

tifi quement erroné pour de multiples

raisons. La surface cultivable suscepti-

ble d’être réservée aux biocarburants

est ridiculement faible par rapport aux

besoins. L’expérience brésilienne sou-

vent citée en exemple est une catastro-

phe sur plusieurs plans. En eff et des hec-

tares de forêt amazonienne sont abattus

pour cultiver du soja, ce qui détruit les

sols à grande vitesse. Le rendement en

biomasse va chuter, or la forêt amazo-

nienne est un régulateur planétaire.

// Une lectrice

Propre ?

Sur le fond, votre article m’a convaincu. Oui, il faut limiter au maximum les émissions de gaz à eff et de serre. Et vous avez mille fois raison de pointer du doigt le « tout bagno-le » et l’avion « bouff eur de kérosène ». Mais j’ai la pénible impression que votre magazine, comme les associations et partis écologistes, ne font que prêcher des convertis. Bien sûr, tout le monde est pour un environnement plus propre. Mais à quel prix ? Avez-vous pensé aux gens qui gagnent moins de 1 500 euros par mois (la moitié des salariés en France) et qui sont obligés de prendre leur voi-ture pour aller travailler ? De grâce, n’oubliez pas l’urgence sociale ! » // Alban Truff aut

CONVERTISRéaction à l’article «Quel avenir pour l’automobile ? », Terra Economica n°34,

1er février 2007

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4 / N° 35 - Du 15 au 28 février 2007 www.terra-economica.info / Remettez l’Homme au cœur de l’économie

L’OBJET

LE GROS MOT LA PETITE PHRASE

La règle n°1, c’est que le football est

une industrie ”

DermonutritionIl se passe toujours quelque chose chez Danone. Le n°1 mondial de l’agroalimentaire lance l’Essensis, le premier yaourt qui « nour-rit la peau de l’intérieur ». Pour justifi er l’apparition de son produit, la multinationale s’appuie sur le concept de « dermonutrition », un néologisme désignant la « fusion entre cosmétique et alimenta-tion ». Mais Danone surfe aussi sur le fl ou scientifi que. L’entreprise mentionne une étude clinique… sans en révéler ni la nature, ni les conclusions. L’Essensis recèlerait ainsi des vertus cosmétiques et permettrait de « contribuer à la qualité de la peau ». Ce, en li-mitant la déperdition en eau des cellules de l’ordre de 15 % dès 6 semaines d’utilisation et jusqu’à 25 % après 4 mois. Pour cela, explique l’étude, le consommateur est invité à ingurgiter deux pots de yaourts par jour. L’UFC-Que Choisir n’est pas sur la même longueur d’ondes. D’après elle, Danone n’a pas daigné consulter l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa). Mais c’est bien connu, le marketing consiste aussi à surfer sur les ten-dances pour créer des besoins là où il n’y en avait pas, comme Da-none l’a déjà montré en lançant l’Actimel. Avec l’immense succès commercial que l’on sait. // Capucine Cousin

Antonio Matarrese, président de la Ligue des clubs profes-sionnels italiens, après la mort d’un policier vendredi 2 février en Sicile. Le dirigeant ajoute que « les morts font malheureu-sement partie de ce très grand mouvement qu’est le football ». Selon lui, le ballon rond est

« une industrie ». La perspective de suspendre la saison de foot-ball est pour Antonio Matar-rese une « mauvaise chose ». Et d’interroger : « Pensez-vous qu’il y ait une industrie qui ferme ses usines et ne sache pas quand elle les rouvre ? »

Illus

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: Cire

Le hamburger

Du pain, de la laitue, quelques rondelles d’oignons et de concombre, un steak haché, une tranche de fromage et le tour est joué. Une étude du ministère de la Santé des Etats-Unis estime qu’un Américain consomme en moyenne 150 hambur-gers par an. Des chercheurs suédois ont donc décortiqué le célèbre sandwich afi n d’étudier son impact environnemental. Ils ont listé leurs questions et pisté le burger depuis le champ jusqu’à l’assiette. Le concombre est-il surgelé, la salade cultivée sous serre, le bœuf élevé en plein air, le pain fabriqué à partir de blé génétiquement modifi é ? Selon les réponses, les scien-tifi ques ont pu établir que la consommation énergétique d’un seul hamburger varie de 7 à 20 mégajoules. Un résultat « insuf-fi sant », estime l’écrivain californien Jamais Cascio, qui convertit le verdict de l’étude en émissions de gaz carbonique. D’après ses travaux, un Américain génère jusqu’à 75 kg de CO2 par an en consommant des hamburgers, l’équivalent d’un plein d’es-sence pour une petite voiture. L’Américain va même plus loin et intègre dans ses calculs les émissions de méthane produites par le bétail utilisé dans le hamburger. Bilan du test : chaque sand-wich émet 2,6 kg de CO2 en raison de la viande qu’il contient. Au total, donc, un Américain rejette l’équivalent d’une demi-tonne de gaz carbonique par an rien qu’en hamburgers. Gloups. // David Solon

Le rapport sur l’utilisation de l’énergie dans l’industrie agroalimentaire :

www.infra.kth.se/fms/pdf/energyuse.pdf

90 millions de hamburgers sont vendus, chaque année, en France.Pas très rassurant pour notre santé… ni pour celle de l’environnement !

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Remettez l’Homme au cœur de l’économie / www.terra-economica.info N° 35 - Du 15 au 28 février 2007 / 5

L’ÉCONOMIE expliquée à mon Père

Dette publique

L’Etat croule sousles dettes. Du coup,les Français vont devoirse serrer la ceinture.Vrai ou faux ? Décryptage.

Illus

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: Pyf

L’alerte date de 2005 et porte un nom : le rapport Pébereau. Ce document com-mandé par le gouvernement fait mouche. Le poids de la dette est passé de « 21 % du produit intérieur brut (PIB) en 1980 à 64,7 % en 2004 ». Il s’agit ici de la dette publique selon la défi nition européenne. C’est-à-dire des dettes de l’Etat, des organismes de Sécurité sociale et des collectivités lo-cales réunies. La comparaison avec le PIB, qui mesure la richesse produite chaque année par un pays, est habituelle. Mais rapporté au nombre d’habitants, le ratio en devient presque eff rayant. En eff et, les 1 100 milliards d’euros de dette publi-que représentent une ardoise d’environ 18 000 euros par Français. Et le rapport Pébereau en remet une couche. Selon l’audit des comptes de la France, la pour-suite des tendances actuelles conduirait à « des taux d’endettement astronomiques de 130 % en 2020 et de près de 400 % en 2050 ».

La France au bordde la faillite ?En réalité, la France affi che une dette publique inférieure à la moyenne de la zone euro (66,6 % contre 70,8 %, en 2005). L’Italie se situe au-dessus (106,6 %) et l’Allemagne au même niveau (67,9 %). Les Etats-Unis affi chent un endettement public à 64,1 % du PIB et le Japon culmine à 172 %. Et pourtant, personne ne parle de faillite pour ces deux pays ! « De toute façon, c’est un terme impropre. Un Etat d’un pays riche ne peut pas faire faillite car il peut toujours lever des impôts pour aug-menter ses recettes », fait remarquer Henri Sterdyniak, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). C’est pour cette raison que les fonds de pension achètent des obliga-tions d’Etat, c’est-à-dire des emprunts émis par l’Etat. Même Denis Ferrand, son

confrère de Rexecode, un institut pro-che du Medef l’admet : la dette publique n’est pas mauvaise en soi. « Il est normal que l’Etat s’endette dans la mesure où cela fi nance des recherches, des infrastructures. On peut comparer cette démarche à celle d’une entreprise qui emprunte pour inves-tir », décrypte-t-il. Reste à savoir si, en France, la dette publique a servi à fi nan-cer des investissements. « Non », affi rme le rapport Pébereau pour qui l’endette-ment a été utilisé pour payer les dépen-ses courantes. Une analyse contestée en bloc par Henri Sterdyniak de l’OFCE : « Cet argent n’a pas été gaspillé. Si nos services publics n’étaient pas effi caces, la France ne serait pas le troisième pays d’accueil des in-vestissements étrangers. »Mais, la comptabilité n’aide pas à trancher le débat. Car « l’actif » – le patrimoine – des administrations publiques est diffi -cile à évaluer. Comment estimer la valeur de la Joconde, du Mont Saint-Michel ou encore celle induite par des routes bien entretenues ? L’Insee est parvenu à un chiff re, considéré comme minimal, de 1 960 milliards d’euros de patrimoine en

2005. Soit un montant supérieur à celui de l’endettement (plus de 30 000 euros par Français). Mais les pourfendeurs de la dette publique se gardent bien de men-tionner la valeur des actifs de l’Etat.Ils omettent aussi de signaler que les ménages détiennent une grande partie de la dette publique. Les Français pla-cent très souvent leurs économies dans des contrats d’assurance-vie. Or, ces der-niers contiennent beaucoup d’obliga-tions d’Etat. Lorsque les administrations payent les intérêts de leur dette, une part fi le dans la poche des détenteurs de ces contrats. Autant d’actifs dont les généra-tions futures hériteront également.

Complexitéet calculs politiquesCependant, au jour le jour, le poids de l’endettement n’est pas négligeable dans le budget de l’Etat. Les intérêts de la dette constituent ainsi le deuxième poste des dépenses publiques, derrière l’Education nationale. En outre, en cas de remontée rapide des taux d’intérêt – le loyer de l’ar-gent –, la situation pourrait se corser. « Le danger, c’est l’eff et boule de neige, lorsqu’il faut s’endetter… pour payer les charges d’intérêt », avertit Denis Ferrand de Rexe-code. Naturellement, plus la dette est faible, moins l’Etat s’expose à ce genre de mésaventure. C’est en ce sens que les cri-tères européens, qui imposent une dette publique inférieure à 60 % du PIB, ne sont pas si aberrants.Limiter la dette publique off re en fait davantage de marge de manœuvre à un gouvernement. La question est de savoir si la réduction de la dette doit être une priorité en France. Il n’y a pas d’urgence du point de vue économique tant que les taux restent bas. En fait, l’enjeu est poli-tique. L’actuel gouvernement envisage, grâce à une stagnation des dépenses de l’Etat, de faire baisser la dette publique à 63,6 % du PIB en 2007. Les élections passées, que fera le prochain gouverne-ment ? // Marie Sergent

C’est grave, mais c’est pas grave

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6 / N° 35 - Du 15 au 28 février 2007 www.terra-economica.info / Remettez l’Homme au cœur de l’économie

Créd

it : C

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Enquête

Sept ans après

le naufrage de l’Erika,

alors que s’ouvre

le procès de la catastrophe,

Terra Economica a

remonté la chaîne

du transport pétrolier.

Bilan : les navires

poubelles ont fui les eaux

européennes.

Mais les équipages

et l’environnement restent

le maillon faible.

Dans les coulissesdu transport pétrolier

MARÉES NOIRES

Vraquiers, porte-conteneurs, pétro-liers, chalutiers… Chaque année, 55 000 navires empruntent le rail

d’Ouessant, les fl ancs parfois chargés de matières extrêmement dangereuses. 200 à 300 millions de tonnes de pétrole se « promènent » ainsi bon an mal an, au large de nos côtes bretonnes. Sans incident, la plupart du temps. Mais lors-que ce dernier survient, le littoral sup-porte les dommages collatéraux. Les galettes de fi oul échappées ces jours-ci des réservoirs du porte-conteneurs MSC Napoli ravivent de mauvais souvenirs, à l’heure de l’ouverture du « procès de l’Erika ».400 kilomètres de plages et de côte sau-vage polluées, des colonies d’oiseaux décimées. C’est au nom de l’ampleur des dégâts que les parties civiles, notamment les collectivités locales, veulent faire de l’épisode judiciaire de l’Erika un événement sans précédent. Les 19 000 tonnes de fi oul de l’Erika avaient souillé 400 km de côtes, du Finistère à la Charente maritime.

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Remettez l’Homme au cœur de l’économie / www.terra-economica.info N° 35 - Du 15 au 28 février 2007 / 7

A la justice de déterminer les responsa-bilités du naufrage. Mais déjà, force est de constater qu’aujourd’hui le transport pétrolier n’est plus cette fi lière « à la dérive » que décrivaient alors certaines gazettes. « Dieu sait que je suis critique, mais il faut reconnaître que les choses se sont améliorées », confi e Corinne Lepa-ge, une des avocats des parties civiles, par ailleurs candidate à l’élection prési-dentielle 2007.

Moins de marées noiresUn chiff re illustre cette tendance. Depuis les années 1970, l’ITOPF (1) dénombre toutes les marées noires accidentelles mettant en cause des pétroliers, des cargos et des barges. Au cours des dix dernières années, l’ITOPF a recensé 46 marées noires de plus de 700 tonnes, contre 96 dans les années 1980 et 236 dans les années 1970 ! « Localement, une marée noire est toujours une catastrophe. Mais la tendance est nette », souligne Jean-Frédéric Laurent, responsable du département des études du courtier maritime Barry Rogliano Salles.Pour comprendre les progrès réalisés et mettre en lumière les zones d’ombre qui subsistent, il faut remonter la lon-gue chaîne du transport pétrolier, un écosystème « mondialisé » avant même que le terme ait existé.

1. Qui est propriétaire ?Le premier maillon de cette chaîne est le propriétaire du navire. Lorsqu’en décem-bre 1999 l’entreprise TotalFinaElf – via sa fi liale Total Transport Corporation – décide de livrer 30 000 tonnes de fi oul lourd à Enel (l’EDF italien), elle aff rète un navire qu’elle ne possède pas. Car depuis les années 1970, et notamment depuis le naufrage de l’Amoco Cadiz, les compagnies pétrolières se sont progressivement désengagées de leur fl otte. « C’était d’une part une question d’image », rappelle Jean-Frédéric Lau-rent. L’Amoco Cadiz et l’Exxon Valdez portaient en eff et les couleurs de leur compagnie [respectivement Amoco et Exxon, ndlr] lorsqu’ils ont coulé. On a connu campagne de communication plus glamour.« C’était d’autre part la volonté d’externa-liser un métier – le transport – qui n’était pas central dans leur activité, poursuit Jean-Frédéric Laurent. Il n’y a d’ailleurs aucune chance pour que les compa-gnies reconstituent un jour des fl ottes de pétroliers. » Aujourd’hui des armateurs comme le géant canadien Teekay Ship-ping ou le norvégien John Frederiksen

L’aff réteur

Décembre 1999. TotalFinaElf livre 30 000 tonnes de fi oul lourd de sa raffi nerie de Dunkerque à l’usine Enel de Livourne (Italie). C’est Total Transport Corp qui aff rète l’Erika, un navire de 25 ans d’âge, via le courtier Petrian Shipbroker. Lequel touche une commission de 1,25 % du prix du transport.

Le propriétairefantôme

Derrière une cascade de sociétés-écrans, l’entreprise Tevere Shipping, dirigée par Giuseppe Savarese, est l’armateur (propriétaire) de l’Erika. Mais elle en a confi é la gestion à la société Panship, qui a recruté l’équipage.

“Entre 2000

et 2004 on a assisté

à la démolition massive de navires

de toutes tailles”

ont bâti de larges fl ottes qu’ils louent aux majors du pétrole.

Ecran totalEn 1999, c’est fi nalement du côté de l’Italie que l’on a retrouvé le propriétaire de l’Erika. Giuseppe Savarese, un jeune homme de 36 ans, portant costume et lunettes fi nes, avait pris soin d’abriter les activités de son entreprise Tevere Ship-ping derrière une cascade de sociétés-écrans. Ce dispositif banal lui a permis dans un premier temps de ne pas être inquiété par la justice. Savarese avait confi é la gestion quotidienne de l’Erika à Panship, une entreprise indienne qui s’était chargée de recruter l’équipage.De TotalFinaElf à Panship en passant par Savarese, cet éclatement de la propriété d’un navire et de sa cargaison rend diffi cile la détermination des responsa-bilités en cas d’accident. « Dans ce cadre, c’est une prouesse que la juge Dominique de Talancé ait pu boucler l’enquête sur le naufrage de l’Erika », estime Corinne Lepage. Car si le transport maritime est mondialisé, la justice ne l’est toujours pas. Sur ce point, rien n’a évolué depuis l’Erika. Zéro pointé.

2. Qui contrôle ?On ne peut pas en dire autant du contrô-le des navires, le deuxième maillon de la chaîne. Du point de vue de la sécurité maritime, c’est le point central. Il impli-que quatre protagonistes : l’aff réteur, l’état du pavillon, l’état du port et la société de classifi cation. En se défaisant de leur fl otte, les pétroliers ont tenu à conserver un œil grand ouvert sur les navires qu’ils aff rétaient. Exxon, Total, Shell et d’autres ont donc créé en 1993 une immense base de données. SIRE (2), c’est son nom, joue en quelque sorte les renseignements généraux du transport pétrolier. Les inspecteurs des majors contrôlent régulièrement les navires qu’elles aff rètent. A cette occasion, ils rédigent des petites notes, qui alimen-tent SIRE. C’est le « vetting ».Cette opération est complétée par le travail de la société de classifi cation du navire. Celle-ci se charge d’en assurer l’inspection indépendante : au moins de visu voire, à intervalles réguliers, en menant une visite complète sur cale sèche. Dans le cas de l’Erika, c’est la société italienne Rina (3) qui réalisait ces contrôles. A-t-elle assuré correcte-ment son travail ? Rina, suspectée de laxisme à l’époque, compte au nombre des prévenus du procès de l’Erika. Elle n’en est pas moins membre de l’IACS,

La raffi nerie de Total Raffi nage Distribution

à Dunkerque

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8 / N° 35 - Du 15 au 28 février 2007 www.terra-economica.info / Remettez l’Homme au cœur de l’économie

Enquête

Octobre 2005. Le porte-conteneurs Lerrix, en provenance du port d’Ham-bourg (Allemagne), croise dans les eaux de la mer Baltique, direction Klaipeda (Lituanie). Malgré les appels incessants l’enjoignant de modifi er sa route, le Lerrix s’échoue corps et bien. Seul au poste de pilotage, le capitaine du navire s’était endormi. Les marins de la planète en auraient-ils plein les bottes ? En dépit d’une culture machiste peu encline à reconnaître ce fait, c’est la conclusion de plusieurs études sur la fatigue des équipages. En 1998, l’ITF avait interrogé 2 500 marins de 60 nationalités sur leurs cadences de travail. Conclusion : les deux tiers décla-raient travailler plus de soixante heures par semaine, et un quart plus de quatre-vingts heures. Un tiers des marins interrogés rapportaient que leurs rotations à bord d’un navire duraient 26 semaines d’affi lée ou plus. Diffi cile, selon l’ITF, de récupérer physiquement dans de telles conditions de travail. Andy Smith, un professeur de l’université de Cardiff , confi rme « que la fatigue est un facteur de collisions et d’échouage des navires. De tels incidents peuvent avoir de graves conséquences pour les compagnies. Et les accidents peuvent s’avérer désastreux pour l’environnement et mortels pour les équipages impliqués. »

Le site de l’ITF : www.itfglobal.org/seafarers/index.cfm

l’Association internationale des sociétés de classifi cation, un club très select dont les membres contrôlent à eux seuls 90 % du tonnage mondial. En 1997, l’IACS n’avait pas hésité à exclure de ses rangs le Polish Register. Après les épisodes de l’Erika et du Prestige, l’IACS a substan-tiellement durci les règles de contrôle des pétroliers de plus de 15 ans.

La Commission européenneveille au grainTroisième niveau de contrôle : l’Etat du pavillon. C’est lui qui délivre, après ins-pection, le permis de naviguer. L’Eri-ka était immatriculée à La Valette, la capitale de Malte. Ce caillou posé au milieu de la Méditerranée était qualifi é en 2000 de « pavillon de complaisance ». Selon les spécialistes, il respectait bien les lois maritimes internationales et ses inspecteurs travaillaient le plus sérieu-sement du monde. Mais Malte s’avèrait incapable de faire respecter son niveau d’exigence à tous les navires battant son pavillon sur les mers de la planète. Depuis, Malte a fait des progrès : c’était une des conditions sine qua non de son entrée dans l’Union européenne. La Valette fi gure désormais sur la « liste blanche » des pavillons les plus attentifs à la qualité de la fl otte qu’ils immatri-culent, aux côtés de la France, de la Finlande ou encore du Royaume-Uni. A contrario, d’autres Etats « sous-normes » continuent de délivrer leur pavillon à

des navires-épaves. Bolivie, Slovaquie, Géorgie, Comores, Tonga, Honduras, Albanie, Corée du Nord sont classées sur la liste noire du « Paris MOU » (4), aff u-blées du qualifi catif « très haut niveau de risque ». Faute de moyens et/ou de volonté, pirates des mers et navires poubelles y sont les bienvenus.Il existe, enfi n, un quatrième niveau de contrôle : l’Etat du port. Au sein du Paris MOU, les Européens, les Canadiens et les Russes font respecter un arsenal de règles, qui s’appliquent à l’ensemble de leur domaine maritime. Depuis l’Erika, une attention particulière est apportée au respect de celles-ci. Un seul exemple : pour accroître les chances de détecter les navires « sous-normes » (pétroliers ou non) chaque Etat doit inspecter au moins un navire sur quatre faisant escale dans ses ports. Et les poubelles sont priées d’aller croiser ailleurs. Il y a quelques jours, les autorités italiennes ont ainsi banni le Trinity des eaux euro-péennes. Ce vraquier battant pavillon cambodgien, propriété d’un armateur grec, avait été immobilisé pendant deux semaines dans le port de Ravenna en raison d’une dizaine d’avaries ou de manquements à la sécurité.

Sus aux navires poubelles !A l’époque de l’Erika, faute d’inspec-teurs en nombre suffi sant, la France contrôlait au maximum un navire sur huit… Pas très reluisant. Elle en inspec-te aujourd’hui un sur trois. Et la Com-mission européenne veille au grain : le troisième des « paquets Erika » – une série de mesures destinées à faire des eaux européennes les plus sûres au monde – prévoit que tous les navires puissent être inspectés, à terme.Pour parachever ce long chapitre de la sécurité, le vetting des majors du pétrole a été complété depuis l’Erika par une autre base de données, Equasis, qui scrute l’ensemble de la fl otte : pétroliers, vraquiers, porte-conteneurs, etc. Gérée depuis Saint-Malo, Equasis permet en un clin d’œil de tout connaître d’un navire. Et, par conséquent, de détecter les poubelles potentielles croisant au large des côtes européennes.C’est donc net : le maillon du contrôle a été considérablement renforcé depuis l’Erika. Du coup, les membres du Paris MOU détectent moins de contrevenants qu’auparavant, alors qu’ils contrôlent de plus en plus de navires. En 2005,

Pavillonde complaisance

L’Erika bat pavillon maltais. Ce qui signifi e que l’Etat maltais – à l’époque un pavillon à haut risque – accepte d’immatriculer le navire. Le contrôle technique de l’Erika est confi é pendant trois ans à une société de classifi cation italienne : Rina.

L’état du port

Outre les contrôles de la société de classifi cation, le navire peut subir ceux des autorités portuaires. Leur rôle : détecter les poubelles des mers. Important : l’état de l’Erika était également consigné dans SIRE, une base de données commune aux grands groupes pétroliers.

Equipages : un quart de veille,trois quarts de fatigue

La Valette, capitale de l’Ile de Malte

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Le 19 novembre 2002, le Prestige coule par 3 500 mètres de fond laissant échapper 63 000 tonnes de fi oul. C’est la plus grande marée noire de ces dix dernières années.

994 d’entre eux ont été immobilisés temporairement pour manquement aux règles. Ils étaient 1 577 en 2002. Et « du côté des pétroliers on a assisté à la démolition massive de navires de toutes tailles entre 2000 et 2004, raconte Jean-Frédéric Laurent. Aujourd’hui, l’épuration de la fl otte est en grande partie réalisée. » A tel point que les majors du pétrole uti-liseraient désormais des navires récents pour transporter les fi ouls très bas de gamme, tels celui que convoyait l’Erika.

3. Y a-t-il un pilote à bord ?Reste, dans la chaîne du transport pétro-lier, un maillon faible : les équipages. « Dans le transport maritime, 80 % des incidents et 95 % des collisions et échoua-ges sont d’origine humaine. Or, l’élément humain n’est toujours pas suffi samment pris en compte », insiste Philippe Alfon-so. A Bruxelles, il suit le dossier du trans-port maritime pour l’ETF, la branche européenne du puissant syndicat des ouvriers des transports ITF. Dans leurs bureaux de Londres, à un jet de pierre de la Tamise, les équipes d’assistance de l’ITF reçoivent quotidiennement des appels de détresse « de marins confron-tés à des situations sordides », raconte Philippe Alfonso. Equipages abandon-nés, accidents du travail non indemni-sés, salaires impayés, horaires stakhano-

vistes (Lire encadré « Un quart de veille, trois quarts de fatigue »).En cause, les armateurs véreux mais aussi les « manning agencies » : des sociétés intermédiaires qui fournissent des équipages clés en main aux opé-rateurs des navires. « Avec le risque que certains armateurs engagent des marins moins bien formés, au rabais, pour une simple question de coût », relève Philippe Alfonso. Certaines manning agencies ont pignon sur rue. D’autres se contentent d’acheter et vendre des équipages… sur le Net. Dans le transport pétrolier, ces agences comblent un vide car, « depuis trois ans, la disponibilité de personnel qualifi é est un vrai problème, confi e une spécialiste du secteur. La demande est telle que la fi lière est confrontée à une grosse pénurie de main-d’œuvre. »Philippe Alfonso s’inquiète également de la criminalisation des équipages. « Comme la chaîne du transport maritime est morcelée, il arrive que la responsa-bilité des uns et des autres s’interrompe en cas d’accident grave. La tentation est grande de faire des offi ciers et capi-taines les boucs émissaires », dit-il. Le commandant de l’Erika compte ainsi parmi les prévenus du procès. Celui du Prestige a eu droit à un séjour derrière les barreaux. Pour l’ETF, il est urgent de mieux former mais aussi de protéger

les équipages. Sur ce point, la balle est dans le camp de la Commission et du Parlement européens, qui planchent sur la transcription en droit européen de la Convention sur le droit maritime de l’OIT (Organisation internationale du travail). En se montrant intraitable sur la sécurité du transport pétrolier, l’Union a largement contribué à net-toyer les eaux européennes. Et, par rico-chet, à envoyer à la casse des dizaines de navires poubelles croisant sur tous les océans. « L’Europe doit continuer de montrer l’exemple et se montrer mainte-nant intraitable sur la question sociale », conclut Philippe Alfonso.// Walter Bouvais

(1) ITOPF : association d’armateurs, spécialisée dans la gestion des marées noires. L’ITOPF dif-fuse des statistiques complètes sur les marées noires sur son site : www.itopf.com/stats.html(2) SIRE : Ship Inspection Report Exchange(3) Rina : Registro Italiano Navale(4) Le Paris Memorandum of Understanding (« Paris MOU ») regroupe des Etats européens, le Canada et la Russie. Il publie les listes noires des pavillons de complaisance et des navires bannis des eaux de ses Etats membres. A consulter sur : www.parismou.org

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10 / N° 35 - Du 15 au 28 février 2007 www.terra-economica.info / Remettez l’Homme au cœur de l’économie

DossierEnquête

« Un minimum de 400 millions d’euros ». C’est l’évaluation que donne Jacques Auxiette, le président de la région Pays de la Loire, pour le préjudice écologique de la marée noire de l’Erika. Vent debout contre les prévenus du procès, trois régions – Bretagne, Pays de la Loire, Poitou-Charentes – se sont portées par-ties civiles avec une soixantaine d’autres collectivités territoriales.Pour elles, l’enjeu est limpide : la condamnation de tout ou partie des acteurs de la chaîne du transport pétro-lier (dix-neuf prévenus au total). Et l’ob-tention d’une première : la reconnais-sance du principe de pollueur-payeur. Car, « en matière de transport pétrolier on peut parler d’éthique ou de responsabilité morale de Total. Mais le droit est ainsi fait que le principe de pollueur-payeur n’existe pas », tranche Yann Rabuteau, juriste et expert au sein du réseau Allégans.

Ni payeur ni responsableDe fait, le propriétaire du navire sous-crit une assurance responsabilité civi-le, comme le ferait un automobiliste. C’est la convention « CLC ». En cas de pépin, l’assurance couvre la répara-tion des dégâts, jusqu’à une certaine limite (103 millions d’euros). Au-delà, c’est un fonds, le Fipol, qui prend le relais. Son montant est lui aussi limi-té : 457 millions d’euros à l’époque de l’Erika ; 864 millions d’euros aujourd’hui. « Ce dispositif protège le propriétaire du navire et l’aff réteur de la cargaison. Il ne cherche pas de responsabilité, il permet simplement d’indemniser les victimes », explique Yann Rabuteau.Le système CLC-Fipol est mutualisé. Total et le propriétaire de l’Erika ont donc contribué à son fi nancement, mais n’ont pas à indemniser directement les victi-mes. « Ce système n’a donc aucune vertu préventive », tranche Yann Rabuteau.

Les victimes de l’Erika

veulent un procès

exemplaire, à l’image

de celui de l’Exxon

Valdez aux Etats-Unis.

L’enjeu est écologique.

Plus grave : à ce jour, les victimes de marées noires ne peuvent être dédom-magées que pour les préjudices prévus par le Fipol. « Or le Fipol prend en compte ‘‘le coût raisonnable de remise en état’’ du littoral mais pas les dommages envi-ronnementaux », précise l’expert. Exit la notion de préjudice écologique. Tant pis pour les 80 à 150 000 oiseaux victimes de la pollution.Après la marée noire de l’Exxon Valdez en Alaska, les Etats-Unis avaient quant à eux bâti leur propre système (1) et reconnu le préjudice écologique. Montant de la facture pour Exxon : 2,5 milliards de dol-lars. « On donne une valeur marchande à certaines zones en additionnant le ‘‘prix’’ d’un pingouin, d’un fou de bassan, etc. », explique Christophe Rousseau, adjoint au directeur du Cedre (2). A l’image des Américains, les parties civiles du dossier Erika ont demandé à l’Inra de Rennes de chiff rer le « préjudice écologique et l’atteinte au patrimoine naturel ». Si le tribunal retient cette idée, la moindre dégradation se paiera au prix fort. Et l’ensemble de la fi lière pétrolière devra redoubler d’exigence.

Risque sociétalCela dit, l’Exxon Valdez n’était pas un navire poubelle. « Il avait 3 ans et ça n’a pas empêché l’accident, observe Jean-Frédéric Laurent. En matière de transport pétrolier, nous sommes face à un risque de système, un risque sociétal. » Enfi n, aussi choquantes soient-elles, les marées noi-

A la recherche du pollueur-payeur

Enquête

Créd

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Aller plus loin

Les « Paquets Erika » de l’Union européenne : http://europa.eu/scadplus/leg/fr/s13003.htm

L’Oil Pollution Act américain, instauré après le drame de l’Exxon Valdez :www.epa.gov/region5/defs/html/opa.htm

Le dossier complet de l’Erika, vu par les collectivités locales, sur le site de la région Pays de la Loire :www.paysdelaloire.fr/fi leadmin/PDL/uploads/070202_DP_Erika_2_f_vrier_2007.pdf

Suivre le procès de l’Erika :www.proces-erika.org

res ne représentent que 6 % de la pollu-tion marine. On doit l’essentiel de cette dernière (60 %) aux activités terrestres : retombées de la pollution des villes côtières et rejets des fl euves. // W. B

(1) L’Oil Pollution Act de 1990 (OPA)(2) Centre de documentation, de recherche et d’expérimentations sur les pollutions acciden-telles des eaux (www.cedre.fr)

Depuis le drame de l’Exxon Valdez (1989), les Etats-Unis reconnaissent la notion de préjudice écologique.

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Remettez l’Homme au cœur de l’économie / www.terra-economica.info N° 35 - Du 15 au 28 février 2007 / 11

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12 / N° 35 - Du 15 au 28 février 2007 www.terra-economica.info / Remettez l’Homme au cœur de l’économie

LU d’ailleurs

Une fenêtre sur l’autre mondeSource

Comment concilier croissance écono-mique et respect fondamental de l’in-dividu ? La question, valable pour tou-tes les catégories de population, l’est encore davantage pour ceux que le site Internet de l’Icra désigne comme les « peuples premiers ». Ce portail, apoli-tique et non confessionnel, s’appuie sur un réseau de 250 correspondants béné-voles et associatifs à travers le monde. L’idée consiste à recenser et répercuter les informations relatives aux popula-tions primitives. Exemple : la consom-mation de cocaïne est en forte hausse

en Europe ? L’Icra explique qu’un kilo consommé à Paris provoque la disparition d’un hectare de forêt en Colombie et met en péril les peu-ples indigènes.Ce site passionnant embarque l’in-ternaute dans un tour du monde, depuis la forêt guyanaise jusqu’à la Birmanie, en passant par le Botswana. L’Icra ne se limite pas à l’in-formation et affi che des velléités mili-tantes. Car le lecteur est, au détour des pages, invité à se mobiliser. Histoire de ne pas fermer les yeux sur cet autre

monde qui disparaît devant nous.// Charlie Pegg

www.icrainternational.org/

Les « peuples autochtones » ? Ce sont 300 millions de personnes

dans le monde. Un portail Internet part à leur rencontre,

afi n de les écouter et de les défendre.

Rien ne sert de payer, il faut voyager moinsDonner de l’argent pour racheter sa conscience. C’est le calcul de certains voyageurs aériens. Pour compenser leurs émissions de CO2, ils versent quelques dizaines d’euros supplémentaires à des agences de voyages. En imposant une surtaxe sur le prix des billets, ces derniè-res off rent à leurs clients la possibilité de participer à la reforestation ou à l’assai-nissement d’un site. Et elles ne sont pas les seules. De Tony Blair aux entreprises, tout le monde se prête au jeu. Méfi ance, insiste cependant le quotidien suisse Le Temps. Car pour un même trajet, le tarif de compensation peut varier du simple au triple. Tout dépend de la façon dont est réalisé le calcul. Enfi n, ces compensations ne font guère avancer le combat pour l’environnement. En 2005, elles n’auraient concerné qu’1 % des émissions de CO2.// Maëlle Boudet

www.letemps.ch

Elle est bannie des lieux publics. Le nombre de ses adeptes diminue de 1 à 2 % par an. Pourtant, la cigarette se porte très bien. Aux Etats-Unis, l’industrie du tabac voit même l’avenir en rose, révèle The New York Times. Le groupe Altria, ex-Philip Morris, a décidé de se séparer de sa fi liale alimentaire Kraft Foods pour se recentrer sur la production de cigarettes, et Wall Street applaudit. « Ce qu’il ne faut pas oublier, explique un ana-lyste fi nancier, c’est que les gens aiment fumer. » Voilà pourquoi la clope est le chouchou de la bourse américaine : « Un produit addictif, peu cher à fabriquer, et dont on peut augmenter le prix

sans voir les ventes tomber en chute libre. » L’optimisme des cigarettiers est d’autant plus fort que la grande période des procès semble terminée. Et au-delà des 45 millions de fumeurs américains, les marchés des pays en développement sont pro-metteurs. On estime que « plus d’un milliard de personnes » sur la planète grillent une « tige » régulièrement. Reste quelques remords quant à la dangerosité du produit. Mais les géants du tabac vont s’en débarrasser très vite : ils planchent sur des cigarettes « inoff ensives ». // Pauline Hervé

www.nytimes.com

Ciel dégagé pour l’industrie du tabac

La guerre des pilons aura bien lieuQue faire des pilons du poulet quand on en n’aime que la poitrine ? Les jeter ? Non. Les exporter vers l’Afrique. C’est, d’après le quotidien sud-africain Mail&Guardian, la solution ingénieuse trouvée par les compagnies de production de volaille pour se débarrasser des morceaux bou-dés par les Européens. Reste que l’af-faire n’est pas rentable pour tous. Car en Afrique, ces nouvelles importations viennent directement concurrencer les élevages locaux. Au Cameroun, par exem-ple, les pilons importés se vendent au prix de 1,37 euro le kilo, contre 1,98 pour les pilons africains. Et les risques pour la santé sont nombreux, car les produits impor-tés d’Europe sont souvent décongelés et recongelés plusieurs fois. Le Cameroun a donc décidé d’augmenter les taxes sur ces biens. // Karine Le Loët

www.mg.co.za

La forêt amazonienneaux enchèresPlusieurs associations environnemen-tales péruviennes ont décidé de faire pression sur le président Alan Garcia. Car pour fi nancer son programme de relance économique baptisé « Investissements choc », le chef de l’Etat a proposé des parcelles de la forêt amazonienne aux enchères. Du coup, les multinationales se bousculent au portillon. Gaz, pétrole, minerais, cette région regorge de trésors. Selon la BBC, qui cite l’agence progouver-nementale Peru Petro, onze concessions de la taille de l’Etat du Maine, aux Etats-Unis, sont en passe d’être vendues. Parmi elles, une seule est vierge de toute popu-lation indigène. Pour autant, le président Alan Garcia veut tenir bon et affi rme que son plan de bataille doit permettre de réduire la pauvreté qui touche plus de la moitié des 25 millions de Péruviens.// David Solon

www.bbc.co.uk

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Remettez l’Homme au cœur de l’économie / www.terra-economica.info N° 35 - Du 15 au 28 février 2007 / 13

KROPOTKINE, ANARCHO… CENTRISTE

ENRICHISSEZ-VOUS !

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DANS LE POSTE L’AFRIQUE SE CHERCHE // Selon les statistiques de la Banque mondiale, l’espérance de vie moyenne sur le conti-nent africain est de 41 ans. Un enfant sur six y meurt avant l’âge de 5 ans. L’Afrique lutte ainsi entre développement économique et construction de la démocratie. Par où com-mencer, comment faire ? L’Afrique est-elle maudite ?, mardi

20 février, 20 h 40, Arte.

LE MÉTISSAGE DANS LA LUCARNE // Comment la télé-vision a-t-elle abordé le thème de l’immigration au cours des dernières décennies ? Ce documentaire analyse en images le rapport de la France à ses « enfants venus d’ailleurs ». La Saga des immigrés, lundi 19 février, 21 h 35, France 5.

EN RAYONSTOUT SUR SARKO ET SÉGO // Connaissez-vous l’histoire secrète de Nicolas Sarkozy et de Ségolène Royal ? Retour en BD et avec le sourire sur les deux candidats phare de la prochaine élection présidentielle. Tout sur Sarko, Cire et

Brenard, Tout sur Ségo, Frécon et Salmon, Soleil Editions,

46 p. 10,90 euros.

MA PETITE ENTREPRISE // Chaque jour en France, des centaines de personnes créent leur entreprise. France Initiative soutient ces « aventuriers » grâce à des prêts d’hon-neur et un accompagnement personnalisé des créateurs. Et leurs entreprises verront le jour, Bernard Brunhes et Jean-Michel Mestres, Ed. Autrement, 176 pages, 19 euros.

SUR LES ONDES LE SIDA CARTOGRAPHIÉ // 40 millions de personnes sont infectées par le sida. Depuis sa découverte, en 1981, le virus a tué 25 millions d’individus sur la planète. Retour sur cette révolution démographique. Géographie du sida, Planète

Terre, mercredi 21 février 2007, 14 h, France Culture.

SUR LA TOILELE GRAND RETARD // En 2000, l’UE s’est engagée à faire de l’Europe « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique » du monde. Que reste-t-il de ces belles pro-messes ? « La trop longue marche vers Lisbonne ». Dossier à

lire sur www.futuribles.com

Il y a des utopistes ennuyeux, eff rayants ou ridicules. Et puis, il y a Kropotkine.

Cet humaniste a imaginé dès la fi n du XIXe siècle un monde qui ressemble

diablement… aux Trente Glorieuses.

Qui sont les utopistes du XIXe siècle – les Proudhon, Bakounine ou Fourier – et qu’ont-ils d’intéressant à nous dire aujourd’hui ? En général, pas grand-chose. D’où étonnement à la lecture de La Conquête du Pain. Car l’essai de Kropotkine publié en anglais en 1888 semble encore diablement vert. Kropotkine, aristo russe passé du côté des faméliques, est l’un des fondateurs du communisme libertaire. Dit de la sorte, le constat est un peu accablant. C’est en réalité plutôt sympathique. Là où ceux qu’il nomme « les collectivistes » (les tristes sires qui inspireront la future URSS) font des citoyens une variable d’ajustement de leurs Grandes Idées pour l’Humanité, Kropo a la fi nesse de voir nos défauts d’humains.

Trois plâtrées de rutabagasIl n’imagine pas une société d’individus solidaires, appliqués comme des Bénédictins. Il sait que nous sommes tous un peu tire-au-fl an, un peu snobs, et souvent futiles. Il appelle ça « l’esprit d’indépendance de l’humanité »… Ainsi, il sait que trois plâtrées de rutabagas ne seront pas suffi santes pour égayer les jours du travailleur : « Aujourd’hui, on voit des hommes et des femmes se refuser le nécessaire pour acquérir telle bagatelle (…) en réalité, ce sont précisément ces

bagatelles qui rompent la monotonie de l’existence, qui la rendent agréable. (…) Le loisir – après le pain – voilà le but suprême. » Le loisir, oui ! On en sera peut-être étonné, mais au fond, sa société communiste libertaire se rapproche (la propriété en moins) de la social-démocratie de l’après-Seconde Guerre mondiale. Celle des Trente Glorieuses, qui permettait une « vraie » redistribution des richesses, sans nier les aspirations individuelles.Kropo le futé songe même à la moitié du genre humain que les utopistes – machos en diable – oublient trop souvent : les femmes. « Sachons qu’une révolution qui s’enivrerait de plus belles paroles de Liberté, d’Egalité et de Solidarité, tout en maintenant l’esclavage du foyer, ne serait pas la révolution. La moitié de l’humanité (…) aurait encore à se révolter contre l’autre moitié. » Rappelons que ceci date de 1888… On trouvera encore sous sa plume une défense du travail collaboratif que les fans de Wikipédia pourraient faire leur, une attaque contre le brevetage de la pensée et un appel au « travail agréable », qui pourrait fi gurer à la Une de Terra Economica ! Eh les gars, on l’embauche bientôt ?// Arnaud Gonzague

http://luvuentendu.blogspot.com

Pierre Kropotkine,

La Conquête du Pain,

Editions du Sextant,

288 p., 14,90 euros.

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14 / N° 35 - Du 15 au 28 février 2007 www.terra-economica.info / Remettez l’Homme au cœur de l’économie

Reportage

Université : poches vides et système D

Deux ou trois sacs à enjamber, un groupe d’étudiants à bous-culer avant d’atteindre la porte

de l’amphi. Cyrille traverse les couloirs sombres de l’UFR des langues à l’uni-versité de Caen. Sur les murs de ce bâti-ment construit après-guerre, la peinture s’écaille. Alors quand on lui demande ce qu’il pense de ses conditions d’étu-des, le jeune homme blond soupire. « Je n’aime pas me plaindre, mais quand je me souviens du premier trimestre avec les amphis pleins à craquer, quand il fal-lait arriver vingt minutes avant le cours pour être sûr de pouvoir entrer, je me dis que ce n’est pas très digne de la France. » Pas de doute, les universités de l’Hexa-gone vont mal. Etudiants, présidents d’université et enseignants entonnent le même refrain : il faut agir. Mais diffi -cile d’entamer une réforme radicale du système sans susciter une contestation générale. Un risque qu’aucun politique ne veut prendre en cette période déli-cate de pré-élections. Alors en attendant le printemps, les universités doivent se débrouiller, les poches vides.

Main dans la main avec l’EtatLe système actuel de fi nancement des universités françaises date en partie de la loi Savary votée en 1984. Sur le papier, celles-ci s’autogèrent. Autrement dit, elles élisent à leur guise les parte-naires avec lesquelles elles signent des contrats. Mais l’Etat demeure le premier

Amphis bondés, locaux vétustes… Les facs françaises peinent à remplir leur mission. L’idéalde l’université gratuiteet universelle cachele royaume de la débrouille et des bouts de ficelle.

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Remettez l’Homme au cœur de l’économie / www.terra-economica.info N° 35 - Du 15 au 28 février 2007 / 15

contrats quadriennaux de développe-ment de l’université. L’Europe, les régions, et un tout petit nombre d’interlocuteurs privés forment le reste de ses parte-naires. Les universités reçoivent aussi chaque année une somme versée par le ministère de l’Education nationale : la dotation globale de fi nancement (DGF). Celle-ci vise à garantir le fonctionne-ment concret de l’université : entretien des locaux, électricité, chauff age, etc.

Solution n°1 : se regrouperBien entendu, un établissement accueillant 3 000 étudiants ne reçoit pas la même dotation que celui qui en accueille 10 000. Depuis 1991-92, la DGF est calculée selon un système de réparti-tion complexe baptisé San Rémo. Celui-ci, soulignait le rapport Laugenie en 2001, « a fonctionné de 1993 à 1996-97 » seulement. Depuis, il attire toutes les cri-tiques. Son principe est simple – la DGF est calculée selon le nombre d’étudiants inscrits à l’université l’année précéden-te – et son résultat sans appel : au-des-sous d’une certaine taille, les universités sont pénalisées dans leur fonctionne-ment. Les 85 établissements français ont donc intérêt à se démener pour attirer le plus d’étudiants possible.A moins d’employer la ruse et de regrou-per par exemple plusieurs universités pour n’en faire qu’une. En décembre dernier, les trois établissements stras-bourgeois ont ainsi annoncé leur fusion pour 2009. Une solution illusoire pour le président de la Sorbonne (Paris), Jean-Robert Pitte. Ce franc-tireur du milieu universitaire qui assure « dire tout haut ce que les autres pensent tout bas ». « Si vous mettez le Mali, le Niger et le Burkina Faso ensemble, ça ne donne pas un grand pays riche. Cela fait juste un grand pays pauvre », ironise-t-il sous les boiseries de son bureau de la rue Saint-Jacques. Pour lui, pas de doute : il faut réformer entiè-rement le système avec une augmen-tation drastique des droits d’inscription compensée par des bourses sur critères sociaux et au mérite. Et des prêts d’hon-neurs établis par les banques.

S’allier avec le privéEn attendant cette hypothétique réfor-me, d’autres établissements, à l’instar de Paris-Dauphine, ont décidé de don-ner une plus grande place aux contrats avec des partenaires privés. L’université parisienne a ainsi signé il y a deux mois quatre partenariats avec les AGF, Axa, Calyon, EDF et Groupama. Une prati-

Bonnet d’âne pour l’Etat français

En 2005, l’Etat français a dépensé en moyenne 8 940 euros pour chacun des 1 788 500 étudiants de l’enseignement supérieur. La moyenne des pays de l’OCDE se situe à 10 655 euros. Un étudiant en université « coûte » pour sa part 7 210 euros par an, contre 13 560 en classe préparatoire aux grandes écoles et 10 890 dans les IUT. L’Etat dépense 8 650 euros pour un lycéen. La part du bud-get de l’Education nationale (118 milliards d’euros) consacrée à l’enseignement supérieur s’élève à 17,5 %.Source : ministère de l’Education nationale

que courante à l’étranger, notamment aux Etats-Unis, mais aussi dans de nom-breuses écoles de commerce françaises. Pour les partisans de ce rapprochement université-entreprises, tout le monde y gagne. Car si l’université s’ouvre ainsi plus concrètement au monde de l’en-treprise, cette dernière s’en tire à un prix raisonnable. Ainsi, à Dauphine, chacune des quatre chaires fi nancées par le privé sera dotée d’un budget de 300 000 euros par an. Autre atout pour les facs : l’es-

ainsi publié son classement des « universi-tés hors-la-loi » dénonçant la cinquantaine d’établissements qui ne respectent pas le barème des frais d’inscription prévu par la loi. La palme revient à Aix-Marseille-III qui fait payer 3 500 euros pour certains mas-tères. Pour les autres, ces dépassements parfois minimes ne sont pas inclus dans les droits d’inscription mais dans des frais de dossier ou dans l’inscription à la biblio-thèque. Mais la dernière innovation en matière de développement fi nancier des universités vient tout droit de La Sorbonne. La plus vielle université française a ouvert à la ren-trée dernière une antenne à Abu Dhabi, aux Emirats Arabes Unis. Un établissement régi par le droit local, dont les frais d’ins-cription atteignent 15 000 euros par an. Evidemment, les étudiants bénéfi cient de conditions de travail privilégiées. Pour Jean-Robert Pitte, c’est un « laboratoire extraor-dinaire où l’on fonctionne avec des moyens normaux ». Le budget s’élève à 10 millions d’euros pour 126 étudiants, ce qui doit laisser rêveurs les 126 000 « sorbonnards » qui fonctionnent avec 80 millions annuels, une broutille. Mais une partie des droits d’inscription à Abu Dhabi est reversée à La Sorbonne. « Cela ne nous coûte rien et ça rap-porte, un peu pour le moment, certainement beaucoup dans quelques années, reconnaît le président des lieux. Mais ça n’est qu’une des facettes du projet. » On est loin de l’idéal tricolore de l’enseignement universitaire ouvert à tous, sans sélection.Syndicats comme présidents des universi-tés espèrent bien que le statut des univer-sités sera l’un des enjeux de la campagne présidentielle. L’Unef estime qu’il faudrait investir « trois milliards d’euros » dans l’en-seignement universitaire pour le remettre à fl ot. Pour le moment, les promesses des candidats restent au stade de proposition de fi nancement ou de grands discours sur le besoin de réforme. Qui osera faire trem-bler les bancs des amphis ? // Caroline Boudet

« Regrouper les facs

pour les enrichir, c’est

comme réunir le Mali,

le Niger et le Burkina

Faso… Au bout du

compte, on a juste un

grand pays pauvre. »

poir d’appâter des étudiants impatients de se rapprocher des entreprises pour décrocher le gros lot : un emploi. L’Unef, syndicat étudiant majoritaire n’est pas contre. Mais sous conditions. « Les entre-prises sont les premières à bénéfi cier de l’élévation du niveau de formation, aussi est-il normal qu’elles soient mises à contri-bution. Mais le fi nancement des entrepri-ses doit être encadré par l’Etat », explique Sophie Binet, membre du bureau natio-nal du syndicat

Saler la facture Autre tentation : augmenter les droits d’ins-cription individuels, même si ceci est illégal. En juillet et pour la onzième année, l’Unef a

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La BA de la semaine

solidaires. Nous serons là pour nous épauler dans les gestes de la vie quotidienne, même dans les soins intimes. C’est pour cette raison et parce que le montant des retraites des hommes se trouvent être supérieures aux nôtres, que nous souhaitons réserver notre maison aux femmes. » De la même façon, si chacune des pensionnaires verse son loyer à l’offi ce HLM, les cours de yoga ou de massage pris en commun sont payés proportionnellement aux revenus des pensionnaires. Car les Babayagas veulent ouvrir leur maison sur « le quartier et sur le monde ». « Nous n’avons pas l’intention de mourir idiotes ! » Au programme : des conférences sur le féminis-me, des concerts de world music ou encore des cours d’alphabé-tisation destinées aux femmes issues de l’immigration. « Jusqu’à notre dernier souffl e, nous resterons des citoyennes. » Conscientes d’emprunter la planète aux générations futures. La maison sera ainsi édifi ée dans un souci de respect de l’environnement, le cahier des charges prévoyant notamment la mise en place de panneaux solaires.En attendant l’ouverture, prévue pour le début de l’année 2008, les trois copines organisent chaque mois un repas pour une première prise de contact avec des candidates. Car seulement dix-neuf mamies auront la chance de faire partie de l’aven-ture. L’expérience attire d’ailleurs la curiosité de l’étranger. Les Babayagas reçoivent ainsi des mails de personnes intéressées du Brésil et d’Inde… Prochaine étape : « Nous allons devenir un laboratoire mondial d’idées sur le vieillissement ! » // Aude Raux

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A Montreuil, une maisonde retraite autogérée va voirle jour. A l’initiative du projet, trois copines septuagénaires désireuses de prendre en main leurs vieux jours. En toute liberté.

Les mamies font

TERRA ECONOMICA

Ont participé à ce numéro (ordre alphabétique inversé) : Sylvie Sergent, Aude Raux, Pyf, Karine Le Loët, Yannick Le Gal (Une), Pauline Hervé, Nicolas

Filio, Capucine Cousin, Cire, Chloë, Maëlle Boudet, Anne Bate // Direction artistique : Sébastien de Poortere, Denis Esnault // Responsable de la rédaction : David Solon // Systèmes d’information : Gregory Fabre // Conseillers abonnement : Baptiste Brelet, François Terrier // Directeur de la publication : Walter Bouvais // Terra Economica est édité par la maison Terra Economica, SAS au capital de 102 167 euros - RCS Nantes 451 683 718 - Siège social : 42 rue La Tour d’Auvergne - 44 200 Nantes // Principaux associés : Walter Bouvais (président), Gregory Fabre, David Solon, Doxa SAS // Cofondateur : Mathieu Ollivier // Impression du magazine par Dupli Print, 2 rue Descartes, ZI Sezac, 95 330 Domont // Dépôt légal : à parution // Numéro ISSN : 1766-4667 // Commission paritaire : 1011 C 84334 // Numéro CNIL : 1012873 // Lisez-nous, abonnez-vous sur notre site Internet : www.terra-economica.info/abo, ou par courriel :[email protected] ou en nous appelant au 02 40 47 42 66.

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de la résistance

« Nous sommes le même genre de bonnes femmes. Des à qui on ne la fait pas. Issues de la génération qui a acquis le droit de vote, le droit à la contraception et à l’avorte-ment. » Pétillantes, optimistes, féministes, trois « bonnes femmes » de 70 ans, aux cheveux blancs et aux sourires lumineux, racontent, enthousiastes, l’histoire d’une ami-tié et d’un projet à part. Celui d’une maison de retraite baptisée « La maison des Babayagas ».« Je préfère cela à Mamie Nova ! », s’exclame Monique Bragard. Dans les contes slaves, les Babayagas désignent ces sorciè-res habitant des maisons en sucre qui dévorent les enfants ayant osé croquer leurs murs… « Baba » signifi e grand-mère et « yaga », histoire. « Pas question que notre vie nous échappe, qu’elle fi nisse entre les mains de gentils animateurs qui nous obli-gent à chanter alors qu’on n’en n’a pas envie. » Alors pour éviter cette issue, Thérèse Clerc, fondatrice de la Maison des femmes de Montreuil évoque au milieu des années 1990 son idée de maison de retraite alternative à Suzanne Gouëffi c, une amie orthophoniste. Quelques temps plus tard, les deux copines ren-contrent Monique, artiste peintre à Montreuil, et l’embarquent à son tour dans l’aventure.

Panneaux solaires et tri sélectifPrès de dix ans s’écoulent avant que le rêve ne se concrétise. L’aff aire est bouclée grâce à la mairie qui cède un terrain en plein centre-ville. C’est l’Offi ce HLM qui joue les maîtres d’œu-vre. Il s’apprête à construire, pour un budget de 2,6 millions d’euros, une maison composée de plusieurs salles communes et de dix-neuf studios. Autant de petits lieux de vie mis en loca-tion aux conditions du logement social. A noter que cet ensem-ble n’accueillera que des femmes seules, âgées de 60 à 80 ans. A charge pour elles, à tour de rôle, et toujours en duo, de prendre en charge les tâches collectives (gestion, ménage, etc.).« Ce qui nous tient également à cœur, précise Monique, c’est d’être

Les trois amies vont désormais devoir « recruter » leurs dix-neuf futures pensionnaires