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AUSTRALIE Rock aborigène p. 40 www.courrierinternational.com N° 697 du 11 au 17 mars 2004 - 3 3:HIKNLI=XUXUU[:?a@q@t@h@a; M 03183 - 697 - F: 3,00 E ISLAM Pourquoi cette violence contre les chiites p. 30 AFRIQUE CFA : 2 200 FCFA - ALLEMAGNE : 3,20 - AUTRICHE : 3,20 BELGIQUE : 3,20 - CANADA : 5,50 $CAN - DOM : 3,80 - ESPAGNE : 3,20 E-U : 4,25 $US - G-B : 2,50 £ - GRÈCE : 3,20 - IRLANDE : 3,20 - ITALIE : 3,20 JAPON : 700 Y - LUXEMBOURG : 3,20 - MAROC : 25 DH PORTUGAL CONT. : 3,20 - SUISSE : 5,80 FS - TUNISIE : 2,600 DTU Aux portes de l’Europe riche LES FORÇATS DE L’EST Election en Russie De quoi Poutine est-il capable ? p. 48 Supplément mode 32 pages de style

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Mag697

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AUSTRALIE Rock aborigène p. 40

www.courrierinternational.com N° 697 du 11 au 17 mars 2004 - 3 €

3:HIKNLI=XUXUU[:?a@q@t@h@a;M 03183 - 697 - F: 3,00 E

ISLAM Pourquoi cetteviolence contre les chiites p. 30

AFRIQUE CFA : 2 200 FCFA - ALLEMAGNE : 3,20 € - AUTRICHE : 3,20 €BELGIQUE : 3,20 € - CANADA : 5,50 $CAN - DOM : 3,80 € - ESPAGNE : 3,20 €

E-U : 4,25 $US - G-B : 2,50 £ - GRÈCE : 3,20 € - IRLANDE : 3,20 € - ITALIE : 3,20 €JAPON : 700 Y - LUXEMBOURG : 3,20 € - MAROC : 25 DH

PORTUGAL CONT. : 3,20 € - SUISSE : 5,80 FS - TUNISIE : 2,600 DTU

Aux portes de l’Europe riche

LES FORÇATS DE L’EST

Election en Russie De quoi Poutine est-il capable ? p. 48

Supplément mode 32 pages de style

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30 ■ moyen-orient dossier islam Lanouvelle violence contre les chiites Adonis : “Gareà l’épuration confessionnelle !” • Un schisme plus poli-tique que religieux • Jusqu’ici tout allait bien • Bientôtle temps de la résurrection • L’antichiisme, une spécialitépakistanaise • La hantise d’une “Intifada chiite”

33 ■ afrique S O M A L I E Le peuple veut la paix, lesdirigeants un peu moins B U R K I N A FA S O Et si on se passaitdes bailleurs de fonds ?

E N Q U Ê T E S E T R E P O R T A G E S

34 ■ en couverture Les forçats de l’Est900 000 Est-Européens travaillent déjà dans des paysmembres de L’UE, souvent dans des conditionsdéplorables. Demain, combien seront-ils ?

40 ■ enquête Les rockers aborigènes ontle blues Après le succès du groupe Yothu Yindi, desdizaines de formations ont vu le jour. Mais commentréussir sans trahir ses racines ?

43 ■ enquête Guerre aux antiguerre ! Infil-trations, harcèlement judiciaire, perte d’emploi : toutest bon à l’administration Bush pour faire obstacleaux pacifistes.

46 ■ enquête La maladie de Chagas et sespunaises maudites Près de 20 millions de Latinos-Américains sont affectés par cette parasitose.Reportage en Bolivie.

48 ■ débat Poutine sera-t-il le sauveur detoutes les Russies ? Le point de vue de deuxcommentateurs russes de renom ; “Assez des hommesprovidentiels”, dit l’une ; “Sans lui, nous allons auchaos”, affirme l’autre.

I N T E L L I G E N C E S

52 ■ économie C O M M E R C E La Chine, un marchéprometteur pour l’Europe S O C I A L La main-d’œuvre ne vautpas cher sur Internet ■ la vie en boîte Votre patron estpeut-être psychopathe

55 ■ multimédia PROPAGANDE A l’affût des subtilsmessages du dictateur Kim Jong-il I N T E R N E T Pyongyangs’offre le haut débit

56 ■ sciences CHIRURGIE Les Américains préparentla première greffe de visage CHIMIE Un cristal creux commeréservoir du futur ■ la santé vue d’ailleurs Un vaccin desynthèse cubain pour les enfants des pays pauvres

D ’ U N C O N T I N E N T À L ’ A U T R E

12 ■ france P O L I T I Q U E Battisti, pomme de discordefranco-italienne VU DE DROITE Une polémique qui n’aide pasà tourner la page É C O N O M I E Privatiser ne suffit pas pourrelancer l’économie S O C I É T É Non, portugais ne rime pasavec maçon ! S O C I A L La justice comme arme syndicale

15 ■ europe G R È C E Une victoire attendue, voireméritée C O M M E N TA I R E Un PASOK fatigué A L L E M A G N E Quandles écolos s’achètent une centrale nucléaire E S PA G N E

Prisonniers de la bulle immobilière ROYAUME-UNI Ici Londres,payez SVP B O S N I E-H E R Z É G OV I N E Sarajevo, la ville qui négligeses artistes

18 ■ amériques ÉTATS-UNIS Et le colistier de Kerrysera… F I N A N C E M E N T Les démocrates partent à la chasseau cash É TAT S - U N I S Deux millions de têtes blondesmanquent l’école VENEZUELA En attendant une interventionde l’étranger R É P U B L I Q U E D O M I N I C A I N E Des coupures decourant de huit à douze heures par jour B R É S I L Pas debingo cet hiver pour la “maison Lula” P O R T R A I T Unsuperministre dans la tourmente

24 ■ asie CHINE C’est officiel : la propriété privée estlégale RÉFORME Les partis démocratiques veulent jouer unrôle THAÏLANDE Pour une fois, le Premier ministre fait montred’humilité I N D E Pour faire fortune, passez par la guérillaS R I L A N K A Tigres de Jaffna contre Tigres de BatticaloaJAPON – MARSHALL Les Marshallais ont-ils servi de cobayes ?■ le mot de la semaine shi no hai, les cendres de la mort

R U B R I Q U E S

8 ■ l’éditorial Des travailleurs sans états d’âme, par Philippe Thureau-Dangin

8 ■ l’invité Avraham Tirosh, Maariv, Tel-Aviv

8 ■ le dessin de la semaine8 ■ courrier des lecteurs 6 ■ les sources de cette semaine10 ■ à l’affiche58 ■ voyage A Livingston, dans le Guatemala noir

61 ■ le livre Road-movie balkanique

61 ■ épices et saveurs Portugal : le vin qui a attendu cinq siècles

63 ■ tendance Une vache à lait au pays des vaches sacrées

Au Guatemala, mais ailleurs p. 58

Etats-Unis : sus aux pacifistes p. 43

en couverture●

Aux portes de l’Europe riche

LES FORÇATS DE L’ESTLe 1er mai prochain, huit pays d’Europe de l’Est entrerontdans l’Union européenne. Doit-on craindre une invasion demain-d’œuvre, attirée par les différences de salaire abyssaleset nos systèmes de protection sociale ? Pour répondre à cespeurs d’une partie de l’opinion publique, la plupart des paysd’Europe de l’Ouest ont multiplié les barrières empêchant lelibre accès à leur marché du travail. La réalité est que900 000 Est-Européens travaillent déjà dans l’Union,souvent clandestinement et dans des conditions effroyables.

pp. 34 à 39

� Des immigrés travaillant dans des serres à El Ejido, en Andalousie.

J.B

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sommaire ●

� W W W . �

■ et toujoursLa revue de pressequotidienne,

les dossiersd’actualité,le kiosque en ligne,les repères pays,la galerie des meilleurs dessinsde presse, etc.

■ analyseVenezuela, la crisepermanente HugoChávez, président élu maisque son opposition qualifie de “dictateur”, a la pressecontre lui et les pauvres de son côté. Décryptaged’une crise qui neressemble à aucune autre.Par Anne Proenza

■ femmes d’ailleursL’histoire des Etats-Unismieux écrite avec lesfemmes Les livres d’histoiredes écoles américainesmentionnent les femmes,mais de façon superficielle.Deux enseignants veulent leur redonner une plus juste place.Par Anne Collet

<http://www.courrierinternational.com>

COURRIER INTERNATIONAL N° 697 5 DU 11 AU 17 MARS 2004

Dans notreprochain numéro,

24 PAGESÀ NE PAS

MANQUERSUR LA

LITTÉRATURECHINOISE

697p05 9/03/04 13:03 Page 5

ASAHI SHIMBUN 8 230 000 ex. (éditions dumatin) et 4 400 000 ex. (éditions du soir),Japon, quotidien. Fondé en 1879, chantre dupacifisme nippon depuis la Seconde Guerremondiale, le “Journal du Soleil-Levant”est une véritable institution.Trois millejournalistes, répartis dans trois cents bureauxnationaux et trente à l’étranger, veillent à la récolte de l’information.

ASIA TIMES ONLINE <http://www.atimes.com>.Lancé début 1999 de Hong Kong et de Bangkok, ce journal en ligne, “fait par des Asia-tiques pour des Asiatiques”, dispose de corres-pondants dans toutes les capitales de la région.L’édition papier de l’Asia Times éditée à Bangkok s’est arrêtée en juillet 1997.

THE AUSTRALIAN 133 000 ex., Australie,quotidien. The Australian a été lancé en 1964 par Rupert Murdoch, avec la promesse de “fournir une information objective et la penséeindépendante qui sont essentielles au progrès”.9 bureaux permanents à travers l’Australie,c’est le seul quotidien véritablement national.

BANGKOK POST 55 000 ex.,Thaïlande, quotidien.Fondé en 1946, ce journal indépendant, enanglais, réalisé par une équipe internationale,s’adresse à l’élite urbaine et aux expatriés.

BRECHA 10 000 ex., Uruguay, hebdomadaire.Fondé en 1985, ce magazine a succédé au légendaire Marcha disparu à la fin des an-nées 70 sous la dictature militaire. Se définis-sant comme “indépendant de gauche”, “LaBrèche” défend la démocratie et la justice so-ciale. Le directeur de la rédaction et le rédac-teur en chef sont élus par les journalistes.

DANI 20 000 ex., Bosnie-Herzégovine, hebdo-madaire. Journal indépendant de l’intelligent-sia sarajévienne, “Le Jour” est l’hebdomadairebosnien le plus influent.

THE ECONOMIST 838 000 ex., Royaume-Uni, heb-domadaire.Véritable institution de la pressebritannique, The Economist, fondé en 1843, estla bible de tous ceux qui s’intéressent à l’actua-lité internationale. Ouvertement libéral, l’heb-domadaire se définit comme étant d’“extrêmecentre”. Imprimé dans six pays, il réalise 83 %de ses ventes en dehors du Royaume-Uni.

L’ESPRESSO 430 000 ex., Italie, quotidien. Fondéen 1955 par Eugenio Scalfari, qui créera ensuite La Repubblica, le titre s’est vite imposécomme le grand hebdomadaire du centregauche. Comme La Repubblica, il appartient à l’industriel piémontais Carlo De Benedetti.Il mène une lutte acharnée contre la politiquede Silvio Berlusconi.

EXPRESSO 150 000 ex., Portugal, hebdomadaire.Lancé en 1973, Expresso est le premier hebdo-madaire moderne de la presse portugaise.Il se situe plutôt au centre droit et se distinguepar l’excellence de sa couverture politique et économique. La concurrence l’a obligé à revoir sa formule en juin 2001. Aujourd’hui,Expresso publie 8 cahiers tous les samedis.

FAR EASTERN ECONOMIC REVIEW<http://www.feer.com/>,101 000 ex., Chine (HongKong), hebdomadaire. Cemagazine, fondé en 1946 etpropriété du groupe améri-cain Dow Jones, a été l’obser-vateur privilégié des muta-

tions de l’Asie. Ses correspondants, présentsdans une douzaine de pays de la région,proposent des analyses et des reportages surl’ensemble du continent – avec une préférencepour la Chine et l’Asie du Sud-Est.

FINANCIAL TIMES 483 000 ex., Royaume-Uni,quotidien. Le journal de référence, couleursaumon, de la City. Et du reste du monde.Une couverture exhaustive de la politique in-ternationale, de l’économie et du management.Autre particularité : depuis 1999, le FT est le

premier journal britannique à être dirigé par un français, Olivier Fleurot.

IL FOGLIO 40 000 ex., Italie, quotidien. Créé en1996 par Giuliano Ferrara, ancien porte-paro-le du gouvernement Berlusconi, et animé parune équipe de conservateurs et de transfugesde l’extrême gauche, Il Foglio se veut le quoti-dien de l’intelligentsia de la droite italienne.

THE GUARDIAN 400 000 ex., Royaume-Uni, quoti-dien. Le Manchester Guardian and EveningNews a été fondé en 1921. Ayant quitté lenord de l’Angleterre pour Londres,TheGuardian est une des institutions du journalis-me britannique. Au programme depuis l’origi-ne : l’indépendance, la qualité et la gauche.

AL HAYAT 110 000 ex., Arabie Saoudite (siège à Londres), quotidien. “La Vie” est sans doutele journal de référence de la diaspora arabe et la tribune préférée des intellectuels de gauche ou des libéraux arabes qui veulents’adresser à un large public.

THE INDEPENDENT 225 500 ex., Royaume-Uni,quotidien. Créé en 1986, ce journal s’est faitune place respectée, puis fut racheté, en 1998,par le patron de presse irlandais Tony O’Reilly.Il reste farouchement indépendant et se dé-marque par son engagement pro-européen, sespositions libertaires sur les problèmes de socié-té et son excellente illustration photographique.

INDIA TODAY 445 000 ex., Inde, hebdomadaire.Fondé en 1982, ce magazine est aujourd’huil’hebdomadaire de langue anglaise le plus luen Inde, avec un lectorat qui dépasse les 3,5 millions de personnes. India Today,qui se caractérise par une position plutôt conservatrice, est apprécié pour son sérieux.

ISTOÉ 370 000 ex., Brésil, heb-domadaire. Fondé en 1976,“C’est-à-dire” s’est imposécomme un des principauxhebdomadaires du pays. Detendance libérale et situé aucentre gauche, Istoé s’est bâtiune solide réputation pour

son regard à la fois large et indépendant, enaccord avec l’esprit combatif prodémocratiquequi oriente ce magazine depuis sa création.

IZVESTIA 430 000 ex., Russie, quotidien. L’undes quotidiens russes de référence, qui traitetous les domaines de l’actualité, les articlesétant souvent accompagnés de bons dessinshumoristiques ; un supplément “business”sur pages saumon le mardi et le jeudi.

LA JORNADA 75 000 ex., Mexique, quotidien. Néen 1983, “La Journée” est un quotidien de ré-férence. Critique et indépendant, représentatifdu courant PRD, il est lu par la classe moyenne et les universitaires. Ses colonnes rassemblent de nombreuses signaturesd’intellectuels mexicains et étrangers.

I KATHIMERINI 30 000 ex., Grèce, quotidien. Fon-dé en 1919, ce titre conservateur est considérécomme l’un des journaux les plus sérieux dupays. Le propriétaire actuel du “Quotidien”,l’armateur Aristides Alafouzos, lui a donné unprestige international en lançant une éditionen anglais distribuée en Grèce comme supplément de l’International Herald Tribune.

LIANHE ZAOBAO 200 000 ex., Singapour, quoti-dien. Lancé en 1983, c’est l’un des quotidiensde référence de la région et le premier enlangue chinoise de la cité-Etat. Appartenant au Singapore Press Holdings, il s’est fixé pour ligne éditoriale la protection des intérêtsnationaux, mais reste une source précieused’informations sur la région.

LOS ANGELES TIMES 1 000 000 ex., Etats-Unis,quotidien. 500 g par jour, 2 kg le dimanche,une vingtaine de prix Pulitzer : le géant interna-tional de la côte Ouest. Créé en 1881, il dispo-se d’une solide réputation de sérieux et de qua-

lité lui assurant une audience nationale. Le plusà gauche des quotidiens à fort tirage du pays.

MAARIV 150 000 ex., Israël, quotidien. Créé en1948 à la veille de la création de l’Etat d’Israël,“Le Soir” appartient à la famille Nimrodi. Cequotidien, couramment classé très à droite,marie, à l’image de son concurrent Yediot Aha-ronot, populisme, analyse rigoureuse et débat.

EL MUNDO 312 400 ex., Espagne, quotidien.“Le Monde” a été lancé en 1989 par Pedro J.Ramírez et d’autres anciens de Diario 16. Pe-dro Jota, comme on appelle familièrement ledirecteur d’El Mundo, a toujours revendiqué lemodèle du journalisme d’investigation à l’amé-ricaine bien qu’il ait tendance à privilégier lesensationnalisme au sérieux des informations.

AN NAHAR 55 000 ex., Liban, quotidien.“Le Jour”a été fondé en 1933.Au fil des ans, il est devenule quotidien libanais de référence. Modéré et li-béral, il est lu par l’intelligentsia libanaise.

TA NEA 77 000 ex., Grèce, quotidien. “Les Nou-velles” est un titre prestigieux appartenant aupuissant groupe de presse Lambrakis. C’est unquotidien de l’après-midi, proche du Mouve-ment socialiste panhellénique (PASOK). Po-pulaire et sérieux, il consacre ses pages à la po-litique intérieure et internationale, aux loisirs,au sport et aux petites annonces.

THE NEW YORK TIMES 1 160 000 ex. (1 700 000le dimanche), Etats-Unis, quotidien. Avec1 000 journalistes, 29 bureaux à l’étranger etplus de 80 prix Pulitzer, le New York Times estde loin le premier quotidien du pays, dans le-quel on peut lire “all the news that’s fit to print”(toute l’information digne d’être publiée).

NRC HANDELSBLAD 265 450 ex., Pays-Bas, quoti-dien. Né en 1970, le titre est sans conteste le quotidien de référence de l’intelligentsianéerlandaise. Libéral de tradition,rigoureux par choix, informé sans frontières.

OPENDEMOCRACY<http://www.opendemocracy.net>, Royaume-Uni. Soutenu par la fondation Ford, ce journalen ligne veut être “un espace de connaissance,d’échange et de compréhension, indépendant detout groupe médiatique et ne servant ni un intérêtparticulier, ni un point de vue idéologique”.Cependant le site, entièrement remodelé ennovembre 2002, est très nettement de gauche.

EL PAÍS 434 000 ex. (777 000 ex. le dimanche),Espagne, quotidien. Né en mai 1976, six moisaprès la mort de Franco, “Le Pays” est uneinstitution en Espagne. Il est le plus vendu des quotidiens d’information générale et s’est imposé comme l’un des vingt meilleursjournaux du monde. Il appartient au groupe de communication PRISA.

LE PAYS 20 000 ex., Burkina Faso, quotidien.Fondé en octobre 1991, ce journal indépendantest rapidement devenu le titre le plus populairedu Burkina Faso. Proche de l’opposition,ce tabloïd multiplie les éditoriaux au vitriol.

LA REPUBBLICA 650 000 ex., Italie, quotidien.Née en 1976, La Repubblica se veut le quoti-dien de l’élite intellectuelle et financière dupays. Le titre est orienté à gauche, avec unesympathie affichée pour les Démocrates degauche (ex-Parti communiste), et fortementcritique vis-à-vis de l’actuel président duConseil, Silvio Berlusconi. Son supplément féminin, hebdomadaire, s’intitule D.

SALON MAGAZINE <http://www.salon.com>,450 000 lecteurs par mois, Etats-Unis, quoti-dien. Créé en novembre 1995 par David Talbot,ancien journaliste du San Francisco Examiner,cewebzine s’intéresse particulièrement à l’actualitéculturelle et littéraire et à la vie des idées.

SHARGH Iran, quotidien. Né en 2003, “Orient”occupe une place privilégiée dans la nouvellepresse réformatrice iranienne. Il réunit les

meilleures plumes de journaux aujourd’hui in-terdits par le ministère de l’Intérieur. Indépen-dant de l’aile réformatrice du pouvoir, ce quo-tidien est la tribune la plus libre et la plus pro-fessionnelle existant dans le pays

STERN 1 275 000 ex.,Allemagne, hebdomadaire.Premier magazine d’actualité allemand.Appartient au groupe de presse Gruner + Jahr.Toujours à la recherche d’un scoop, cette “étoile”

a un peu pâli depuis l’affaire du faux journalintime de Hitler.

SUNDAY OBSERVER 68 000 ex., Sri Lanka, hebdo-madaire. Propriété du groupe de presse Asso-ciated Newspapers contrôlé par le gouverne-ment, ce journal du dimanche accorde une lar-ge place aux négociations entre les autorités etles indépendantistes tamouls.

SVENSKA DAGBLADET 187 000 ex., Suède, quoti-dien. Fondé en 1884, “Le Quotidien de Suè-de”, plutôt conservateur, a été racheté en 2000par le groupe norvégien Schibstedt. En grandedifficulté financière, il est passé en 2001 en for-mat tabloïd. Il offre de bonnes pages culturelles.

DIE TAGESZEITUNG 60 000 ex., Allemagne, quoti-dien. L’“alternatif” de Berlin (proche des Grü-nen), né en 1979, est devenu la taz, quotidiende référence des écologistes, des pacifistes, desféministes, des gauchistes… sérieux.

THE WALL STREET JOURNAL 1 820 000 ex., Etats-Unis, quotidien. C’est la “bible des milieuxd’affaires”. Des articles de qualité – etd’esprit – sur la vie des affaires dans le mondeentier, notamment grâce à ses éditions euro-péenne (Bruxelles) et asiatique (Hong Kong).

THE WALL STREET JOURNAL EUROPE 220 000 ex., Bel-gique, quotidien. Créée en 1976, remaniée enavril 2002, la version européenne de la “bibledes milieux d’affaires” propose commentaireset analyses permettant de décoder l’économieeuropéenne et mondiale, les marchés finan-ciers et les nouvelles technologies.

THE WASHINGTON POST 812 500 ex. (1 100 000 ledimanche), Etats-Unis, quotidien. Recherchede la vérité, indépendance : la publication desrapports secrets du Pentagone sur la guerre duVietnam ou les révélations sur l’affaire du Watergate ont démontré que le Washington Postvit selon certains principes. Un grand quoti-dien de centre droit.

THE WEEK 200 000 ex., Inde, hebdomadaire. Fon-dé en 1982, le titre est apprécié pour son choixéditorial, souvent décalé par rapport à l’actuali-té immédiate et dominante. Il appartient à Ma-layala Manorama, un groupe de presse régionalinstallé dans l’Etat du Kerala, connu pour sontrès fort taux d’alphabétisation (91 %).

WIRTSCHAFTSWOCHE 148 000 ex., Allemagne,hebdomadaire. Le principal magazine économique allemand, privilégiant l’information et l’analyse politique.

CETTE SEMAINE DANS COURRIER INTERNATIONAL

les sources●

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Stéphane Corre ; Eric Pialloux ; Sylvia ZappiDépôt légal : mars 2004 - Commission paritaire n° 0707C82101

ISSN n° 1 154-516 X – Imprimé en France / Printed in France

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Assistante Dalila Bounekta (16 16) Rédacteurs en chef Sophie Gherardi (16 24), Bernard Kapp (16 98)Rédacteurs en chef adjoints Odile Conseil (16 27), Isabelle Lauze (édition,16 54)

Chef des informations Claude Leblanc (16 43) Rédacteur en chef Internet Marco Schütz (16 30) Rédactrice en chef technique Nathalie Pingaud (16 25) Directrice artistique Sophie-Anne Delhomme (16 31)

Europe de l’Ouest Anthony Bellanger (chef de service, Royaume-Uni, Portugal,16 59), Gian-Paolo Accardo (Italie, 16 08), Isabelle Lauze (Espagne, 16 54),Danièle Renon (chef de rubrique,Allemagne,Autriche, Suisse alémanique, 16 22),Léa de Chalvron (Finlande), Guy de Faramond (Suède), Philippe Jacqué (Irlande),Alexia Kefalas (Grèce, Chypre), Nathalie Pade (Danemark, Norvège), Cyrus Pâques(Belgique), Judith Sinnige (Pays-Bas) France Pascale Boyen (chef de rubrique,16 47), Eric Maurice (16 03) Europe de l’Est Miklos Matyassy (chef de service,Hongrie, 16 57), Laurence Habay (chef de rubrique, Russie, ex-URSS, 16 79),Ilda Mara (Albanie, Kosovo, 16 07), Iwona Ostapkowicz (Pologne, 16 74), PhilippeRandrianarimanana (Russie, ex-URSS, 16 36), Sophie Chergui (Etats baltes),Andrea Culcea (Roumanie, Moldavie), Kamélia Konaktchiéva (Bulgarie), LarissaKotelevets (Ukraine), Marko Kravos (Slovénie), Miro Miceski (Macédoine), ZbynekSebor (Tchéquie, Slovaquie), Sasa Sirovec (Serbie-et-Monténégro, Croatie, Bosnie-Herzégovine), Iouri Tkatchev (Russie) Amériques Jacques Froment (chef deservice, Etats-Unis, Canada, 16 32), Christine Lévêque (chef de rubrique,Amériquelatine), Eric Maurice (Etats-Unis, Canada, 16 03),Anne Proenza (Amérique latine,16 76), Martin Gauthier (Canada), Paul Jurgens (Brésil) Asie Hidenobu Suzuki(chef de service, Japon, 16 38),Agnès Gaudu (chef de rubrique, Chine, Singapour,Taïwan), Christine Chaumeau (Chine, Singapour, Taïwan, 16 39), Hongyu Idelson(Chine, Singapour, Taïwan, 16 39), Claude Leblanc (Japon, Asie de l’Est, 16 43),Ingrid Therwath (Asie du Sud, 16 51), Marion Girault-Rime (Australie, Pacifique),Elisabeth D. Inandiak (Indonésie), Jeong Eun-jin (Corées), Hemal Store-Shringla(Asie du Sud), Kazuhiko Yatabe (Japon) Moyen-Orient Marc Saghié (chef deservice, 16 69), Nur Dolay (Turquie, Caucase), Pascal Fenaux (Israël), GuissouJahangiri (Iran, Afghanistan, Asie centrale), Pierre Vanrie (Moyen-Orient) AfriquePierre Cherruau (chef de service, 16 29), Chawki Amari (Algérie), Anaïs Charles-Dominique (Afrique du Sud) Débat, livre Isabelle Lauze (16 54) EconomieCatherine André (chef de service) et Pascale Boyen (16 47) Multimédia ClaudeLeblanc (16 43) Ecologie, sciences, technologie Olivier Blond (chef de rubrique,16 80) Insolites, tendance Claire Maupas (chef de rubrique, 16 60) Epices& saveurs, Ils et elles ont dit Iwona Ostapkowicz (16 74)

Site Internet Marco Schütz (rédacteur en chef, 16 30), Eric Glover (chef de service,16 40),Anne Collet (documentaliste, 16 58), Philippe Randrianarimanana (16 68),Hoda Saliby (16 35), Pierrick Van-Thé (webmestre, 16 82)

Agence Courrier Sabine Grandadam (chef de service,16 97),Caroline Marcelin (16 62)

Traduction Raymond Clarinard (chef de service, anglais, allemand, roumain, 16 77),Nathalie Amargier (russe), Catherine Baron (anglais, espagnol), Isabelle Boudon(anglais, allemand), Ngoc-Dung Phan (anglais, vietnamien), Françoise Escande-Boggino (japonais, anglais), Marie-Françoise Monthiers (japonais), Mikage Nagahama(japonais), Marie-Christine Perraut-Poli (anglais, espagnol), Olivier Ragasol (anglais,espagnol), Danièle Renon (allemand), Mélanie Sinou (anglais, espagnol)

Révision Daniel Guerrier (chef de service, 16 42), Elisabeth Berthou, PhilippeCzerepak, Fabienne Gérard, Philippe Planche

Photographies, illustrations Pascal Philippe (chef de service, 16 41), Lise Higham,Lidwine Kervella (16 10), Cathy Rémy (16 21), assistés d’Agnès Mangin (16 91)

Maquette Marie Varéon (chef de service, 16 67), Catherine Doutey, NathalieLe Dréau, Gilles de Obaldia, Denis Scudeller Cartographie Thierry Gauthé(16 70), Daniel Guerrier Infographie Catherine Doutey (16 66), EmmanuelleAnquetil (colorisation) Calligraphie Michiyo Yamamoto

Informatique Denis Scudeller (16 84)

Documentation, service lecteurs Iwona Ostapkowicz 33 (0)1 46 46 16 74,du lundi au vendredi de 15 heures à 18 heures

Fabrication Jean-Marc Moreau (chef de fabrication, 16 49). Impression, brochage :Maury, 45191 Malesherbes. Routage : France-Routage, 77183 Croissy Beaubourg

Ont participé à ce numéro Violaine Ballivy, Inès Bel Aïba, Vincent Bloquel, ValérieBrunissen,Alexandre Cheuret,Valeria Dias de Abreu, Jean-Luc Favreau, Marc Fernandez,Sandra Grangeray, Marie-Louise von Holstein, Samir Labib, Frédéric Lagrange, FrançoiseLiffran,Benilde Lopes,Philippe Mischkowsky,Nawel Neggache, Laurence Sreshthaputra-Korotki, Isabelle Taudière, Emmanuel Tronquart, Janine de Waard, Zaplangues

ADMINISTRATION - COMMERCIALDirectrice administrative et financière Chantal Fangier (16 04). Assistantes :Nolwenn Hrymyszyn-Paris (16 99). Contrôle de gestion : Stéphanie Davoust(16 05). Comptabilité : 01 42 17 27 30, fax : 01 42 17 21 88Relations extérieures Anne Thomass (responsable, 16 44), assistée d’EdwinaLiard (16 73)Diffusion Le Monde SA ,21 bis, rue Claude-Bernard,75005 Paris, tél. : 01 42 17 20 00.Directeur commercial : Jean-Claude Harmignies. Responsable publications : BrigitteBilliard. Abonnements : Fabienne Hubert. Direction des ventes au numéro : HervéBonnaud. Chef de produit : Franck-Olivier Torro (38 58), fax : 01 42 17 21 40Publicité Le Monde Publicité SA, 17, boulevard Poissonnière 75002 Paris, tél. :01 73 02 69 30, courriel : <[email protected]>. Directeur général : Stéphane Corre.Directeur de la publicité : Alexis Pezerat, tél. : 01 40 39 14 01. Directrice adjointe :Lydie Spaccarotella, tél. : 01 73 02 69 31. Direction de la clientèle : Asma Ouled-Moussa, tél. : 01 73 02 69 32. Chefs de publicité : Hedwige Thaler, tél. :01 73 02 69 33 ; Stéphanie Jordan, tél. : 01 73 02 69 34. Exécution : GéraldineDoyotte, tél. : 01 40 39 13 40. Publicité internationale : Renaud Presse, tél. :01 42 17 38 75. Etudes : Audrey Linton (chargée d’études), tél. : 01 40 39 13 42Publicité site Internet : i-Régie, 16-18 quai de Loire, 75019 Paris,tél. : 01 53 38 46 63. Directeur de la publicité : Arthur Millet, <[email protected]>

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Courrier international (USPS 013-465) is published weekly byCourrier international SA at 1320 route 9, Champlain N. Y. 12919.Subscription price is 199 $ US per year. Periodicals postage paidat Champlain N.Y. and at additional mailing offices. POSTMASTER:send address changes to Courrier international, c/o Express Mag.,P. O. BOX 2769, Plattsburgh, N.Y., U. S.A. 12901 - 0239. For furtherinformation, call at 1 800 363-13-10.

Ce numéro comporte un 32 pages “mo(n)de – Etes-vous São Paulo ouMoscou?” superposé tête-bêche et mis sous film pour l’ensemble du tirage.

COURRIER INTERNATIONAL N° 697 6 DU 11 AU 17 MARS 2004

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É D I T O R I A L

Attention, ils arrivent ! Les hordesde l’Est affluent ! Ces dernièressemaines, dans les chancellerieset les différents ministères del’Europe opulente, on ne parlaitque de cela : l’ouverture des fron-tières à dix nouveaux membres de

l’Union européenne le 1er mai prochain. Parmieux, des pays comme la Pologne, la Slovaquie,dont les populations sont souvent prêtes à allerchercher fortune ailleurs. Les accueillir ou non,that is the question. Le Royaume-Uni, à ce propos,a déjà changé trois fois d’avis…Un récent sondage commandé par Bruxelles estédifiant. Il ressort notamment que les Françaissont 55 % à redouter l’élargissement à l’Est, leplus fort pourcentage de l’Union européenne. Etpourtant ce vieux continent riche a besoin de cet-te immigration. Le démographe Alfred Sauvy ledisait déjà il y a vingt ans, et il avait raison. Onne peut pas vivre barricadé avec des taux de na-talité de 1,2 ou 1,4 enfant par femme – commeen Allemagne ou en Italie –, qui ne permettentmême pas le renouvellement de la population.On ne peut espérer retrouver un dynamisme éco-nomique, ou une vocation pour la recherche, sila société vieillit constamment et si les écoles fer-ment dans les bourgs ruraux. Même si l’on re-jette le productivisme et que l’on souhaite uneautre forme de croissance, on ne peut pas accepterde vivre dans des pays où la vieillesse dicte leschoix sociaux.Et puis, notre dossier le montre, inutile d’ima-giner des barrières : ces Européens de l’Est prêtsà tout pour venir travailler sont déjà sur place.Tra-vaux agricoles, hôtellerie, travaux publics, aideà domicile, petits boulots, rien ne leur échappe,aussi bien au Royaume-Uni qu’en Espagne, en-core hier pays d’émigration. Combien sont-ils ?Près d’un million. Parmi eux, des Ukrainiens, desMoldaves, des Roumains, clandestins forcément,et dont les pays n’entreront pas de sitôt dansl’Union. Imaginons des systèmes de quotas pourréguler les flux, mais ne fermons pas nos fron-tières. Et dépensons plus pour la recherche, etmoins pour la police de l’immigration !

Philippe Thureau-Dangin

Avraham Tirosh Maariv, Tel-Aviv

l ’ invi té ●

L E D E S S I N D E L A S E M A I N E C O U R R I E R D E S L E C T E U R S

J’ai soutenu et je continue à soutenir Sharondans sa décision de négocier avec le Hez-bollah libanais le rapatriement d’ElhananTannenbaum [homme d’affaires israélienenlevé au Liban en 1999, par ailleurs soup-çonné de divers trafics] et des dépouilles detrois de nos soldats. Je suis même prêt à ad-mettre que, lorsque Sharon a décidé de cet-

te transaction avec le Hezbollah, il n’était effecti-vement au courant de rien des liens familiaux entreTannenbaum et Shimon Cohen [l’ex-beau-pèrede Tannenbaum et patron de la société commer-cialisant la production du ranch privé d’Ariel Sha-ron dans les années 70].Mais, lorsque le Premierministre et son entourageaccusent notre journal deharcèlement systématiqueet de collusion avec despartis politiques, histoirede se laver de tout soup-çon, ils font preuve de lé-gèreté et de duplicité.Imaginons ce qui seraitarrivé aux anciens Pre-miers ministres Begin,Shamir ou Rabin si unesorte de Tannenbaum leurétait tombé sur la tête.Imaginons encore quel’un de ces Premiers mi-nistres ait ordonné pareilletransaction avec le Hez-bollah [Israël a libéré plusieurs centaines de pri-sonniers palestiniens et libanais en échange de Tan-nenbaum et des corps des trois soldats]. Imagi-nons enfin que l’on ait découvert que, dans unlointain passé, ledit Premier ministre avait eu delointaines accointances familiales avec un Tan-nenbaum relâché par le Hezbollah à un prix exor-bitant pour Israël.Aurait-on mis la parole du Premier ministre endoute lorsqu’il jure ses grands dieux qu’il n’étaiten rien au courant de ces accointances familiales ?Non. Il faut avouer que personne n’aurait jamaismis en doute les serments de Begin, de Shamir oude Rabin. Et c’est bien là le problème d’Ariel Sha-ron, un Premier ministre qui doit désormais pro-

Des travailleurs sans états d’âme

céder à son examen de conscience et tenter decomprendre comment lui, l’homme qui a long-temps bénéficié d’un soutien inégalé et sans pré-cédent de l’opinion israélienne, a bien pu dégrin-goler à une vitesse telle qu’il fait aujourd’hui l’objetd’une défiance absolue et qu’il jouit du statutinsupportable d’éternel suspect.Dans sa façon de se comporter et de gérer ses af-faires, la famille Sharon – le père et ses deux fils,Gilad et Omri [eux aussi liés à des scandales decorruption] – non seulement suscite le dégoût defractions de plus en plus larges de l’opinion is-raélienne, mais ne fait également qu’alimenter des

rumeurs et des soupçonsde plus en plus grands àson égard. Le peuple estfoulé aux pieds par cet-te attitude digne d’unedynastie.Quand on se comportecomme Sharon et ses filsdans les enquêtes judi-ciaires sur l’affaire CyrilKern et celle des îlesgrecques [un scandalemêlant pots-de-vin et fi-nancement électoral frau-duleux], quand on s’ar-roge le droit de se taire etde refuser contre vents etmarées de remettre desdocuments clés à la jus-tice, quand on s’échine à

répéter : “Je ne savais pas, je n’en avais jamais en-tendu parler et on ne m’avait rien dit”, quand on sedémène pour augmenter la valeur foncière desterres appartenant aux anciens copains de KfarMallal [village natal d’Ariel Sharon] alors que lesIsraéliens s’enfoncent dans le marasme, quand onfait pis encore, on ne doit pas s’attendre à ce quele peuple vous dresse des lauriers de prince à vieet boive encore la moindre de vos paroles. Quandon s’entête à se comporter de la sorte, il faut plu-tôt s’attendre à figurer sur la liste des suspects im-prescriptibles. Aujourd’hui, en Israël, qui désireencore avoir pour Premier ministre quelqu’un dontle destin semble d’être en permanence sur la listedes suspects ? ■

Ras le bol des affaires de Sharon

Chaque jour, retrouvez un nouveau dessin d’actualité sur www.courrierinternational.com

■ Moins de sidéensDr Etienne de Harven, 06530 Saint Cézaire sur SiagneDans l’article “Le sceptique et ses détracteurs”(CI, n° 694 du 19 février 2004, p. 46), il ne fau-drait pas faire penser aux lecteurs de Cour-rier international que le journaliste sud-africainRian Malan est un isolé. Des milliers de scien-tifiques “sceptiques” partagent son interpré-tation des chiffres tout à fait “gonflés” du sidaen Afrique. Je faisais partie d’une visite offi-cielle à Soweto, en juillet 2000, au fameux ChrisHani Hospital. Nous y avons vu des centainesde malades se mourant de malnutrition, detuberculose, de malaria… mais pas un seulsidéen ! La même année, lors d’une visite enInde nous avons demandé à voir des patientsdu sida. On nous a présenté vingt tuberculeuxpulmonaires… Tout cela a beaucoup à voir avecles méthodes de l’OMS et les pressions deshautes instances pharmaceutiques. Un large

débat sur ce thème s’est tenu à Bruxelles dansl’enceinte du Parlement européen le 8 décembre2003, et que ceux qui veulent approfondir laquestion devraient consulter largement le site<www.altheal.org> (en anglais) ou <www.sida-sante.com> (en français).

■ ErratumLes multiples vérifications occasionnées par ledossier du n° 696 de CI intitulé “Sur la Route dela soie” en ont fait oublier une de taille : Petrase trouve en Jordanie et non au Liban (voirarticle : “De Tash Rabat (Kirghizistan)”, p. 36).Avec toutes nos excuses.

■ PrécisionDans notre hors-série Les Héritiers, en kiosquedepuis le 3 mars, nous avons omis de signalerque le guide des 29 monarchies avait été réa-lisé par Eléonore Dermy, d’après l’hebdomadaireVlast, Moscou.

DR

■ Avraham Tirosh est l’un des principauxéditorialistes du Maariv, quotidien conser-vateur et libéral de Tel-Aviv, et par ailleursson médiateur. Tenant d’une ligne sécuri-taire sans concessions et résolument ancréà droite, Tirosh reste en même temps atta-ché à la défense de l’Etat de droit.D

R

■ � ClaudeNougaro s’en est allé rejoindrequelques autres qui, comme lui,aimaient les motset les notes.Le chanteurtoulousain a été enterré le 10 mars dans sa ville natale.

(A partir de la gauche : Bécaud, Ferré, Brassens,Trenet, Gainsbourg, Brel, Barbara,Coquatrix, Nougaro). Dessin de Burki paru dans 24 Heures, Lausanne

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à l ’aff iche●

Venezuela Tu seras patron, mon fils ! NASIR ER-RUFAI

Il met bas

Le nouveau ministrede l’Aménagement

du territoire du Nigeria adécidé de sauver Abujadu chaos urbain. Objec-tif : détruire toutes lesconstructions sauvagesqui pullulent dans la

capitale au mépris des lois de planification duterritoire. Dans cette ville de 6 millions d’ha-bitants, les maisons ont poussé sur des cana-lisations, surgi au beau milieu d’espaces vertsou d’aires de jeux. Seul problème : la plupartde ces maisons appartiennent à des person-nages politiques haut placés. (“A l’époque dugénéral Sani Abacha, rappelle le SundayTimes, on distribuait les terrains aux géné-raux, à leurs maîtresses et à tous ceux quipouvaient payer.”) Mais le “minuscule ministreà lunettes” – dixit le quotidien sud-africain –n’a pas faibli et a lâché les bulldozers, deve-nant du même coup l’ennemi public numéroun de l’élite nigériane. “Demolition Man” nese déplace plus sans ses gardes du corps : aufur et à mesure que les bâtiments tombent,les menaces de mort pleuvent. Auprès de lapopulation, sa réputation d’homme efficaceet courageux n’est plus à faire. Le valeureuxministre a tout de même buté sur un os : lavilla présidentielle, construite sur une réservenaturelle. Nasir er-Rufai a expliqué sans sedémonter que, bien qu’illégale, cette construc-tion ne représentait aucun danger pour la sécu-rité publique et pourrait donc rester en l’état.

GABRIEL PROKOFIEV

La musique en héritage

Le 17 mars prochain,leshabitués du Cargo

risquent d’avoir un choc.Alors que la musiqueélectronique et la technorègnent en maître danscette salle de spectacletrès à la mode de l’est

de Londres, Gabriel Prokofiev compte leur ser-vir un quatuor à cordes de sa composition etde facture on ne peut plus classique. Pour ce“grand blond à l’allure aristocratique”, lamusique a, en fait, sauté une génération. Sonpère, Oleg, a fui le régime soviétique pourse réfugier au Royaume-Uni. Sans être musi-cien lui-même, il a néanmoins peuplé la mai-son familiale de Greenwich du souvenir dugrand Sergueï Sergueïevitch. C’est à Gabrielqu’il est revenu d’assumer la filiation musi-cale. A 29 ans, et depuis quelques annéesdéjà, il voit son nom associé – commeproducteur – à la scène garage londonienne,dont le Cargo est l’un des temples. C’est làque le jeune compositeur a décidé de donnersa première œuvre “classique”, mêlant le trèsélégant Elysian Quartet et les DJ du Cargo. Ason image, somme toute, puisque GabrielProkofiev a toujours eu à cœur de mélangerles genres. On doit notamment à ce jeunehomme “qui parle couramment le swahili”,explique le Daily Telegraph, un rien admira-tif, “la plus vaste compilation de musiquemassaï jamais réalisée à ce jour”.

JOSEF KLECH, maire de HorniBenesov, en Républ ique tchèque■ Fier“Il a eu neuf sur dix ! Neuf sur dix !J’espère qu’il sera président !” s’estexclamé l’élu de la localité d’où estoriginaire Fritz Kohn. Son petit-fils,John Kerry, a gagné dans neuf Etatssur dix lors du “Super Tuesday” etest assuré de devenir le candidatdémocrate à la présidence améri-caine. (Financial Times, Londres)

JONH KERRY, candidat démocrateà la présidence américaine■ Ambitieux“Bill Clinton a souvent étéconsidéré comme le premierprésident noir. Ça ne me déran-gerait pas de gagner le droitd’être le second.” Il espèreconquérir l’électorat noir, qui,par le passé, soutenait Clinton.

(Time, New York)

JOSCHKA FISCHER, ministre des Affaires étrangères al lemand■ Planétaire“[Je plaide] pour une re-construction de l’Occidentet un renouveau du par-tenariat transatlantique qui tienne compte des évo-lutions en Europe et de lanouvelle situation straté-gique mondiale.” Dans une longueinterview, il explique ses initiativeset son grand dessein en faveurd’un “transatlantisme du XXIe siècle”

et d’un règlement des conflits auProche- et au Moyen-Orient“compatible avec les ambi-tions américaines”. (Frankfurter

Allgemeine Zeitung, Francfort)

JESUSA RODRÍGUEZ, comédienne mexicaine■ Désabusée“Il n’y a rien à célébrer pendant

la Journée internationale de la

femme tant que les cas de femmesassassinéesàCiudad Juárez

ne seront pas résolus.” Elledénonce l’impunité qui en-toure ce qu’on appelle dé-sormais le “féminicide”. (Au

moins 370 jeunes femmesont été assassinées depuis

1993 dans cette ville dunord du Mexique.)

(La Jornada, Mexico)

JAN TRUSZCZYNSKI, vice-ministredes Affaires étrangères polonais■ Assoupli“Nous sommes prêts à discuter surquand et comment changer le traitéde Nice.” Le gouvernement polo-nais est disposé à parvenir à uncompromis avec le reste de l’UE età débloquer ainsi les travaux sur laConstitution européenne, au pointmort depuis la Conférence inter-gouvernementale à Rome.

(Rzeczpospolita, Varsovie)

MGR CHRISTODOULOS, métropol i te d’Athènes■ Nationaliste“Le plan Annan [de réunificationde Chypre] est antigrec et anti-chrétien ; c’est un grand dangerpour l’hellénisme.” (Ta Nea, Athènes)

REINHOLD LOPATKA, secrétairegénéral du Parti du peupleautrichien (ÖVP, chrétien-démocrate)■ Abattu“Les deux résultats sont décevants.Et toute déception est doulou-reuse.” Réaction aux échecs cui-sants aux élections régionales du7 mars enregistrés par le parti duchancelier Wolfgang Schüssel, quifait son plus mauvais score depuis1945 en Carinthie (11,5 %, contre42 % au populiste Jörg Haider) etperd, pour la première fois depuisl’après-guerre, le Land de Salzbourgau profit des sociaux-démocrates.

(Der Standard, Vienne)

Aujourd’hui, le pouvoir est syno-nyme d’information. Il faut“être connecté”, comme ilsdisent. Gustavo Cisneros, né àCaracas en 1945, est l’un deshommes les plus “connectés”de la planète, et un des plusriches d’Amérique latine. Il est

propriétaire ou copropriétaire de 26 chaînesde télévision (dont Venevisión, la chaîne laplus regardée au Venezuela), actionnairemajoritaire d’Univisión (qui accapare 90 %de l’audience d’origine hispanique auxEtats-Unis), patron de sociétés de produc-tion de programmes télévisés, musicaux etde théâtre. Il possède des musées, trois four-nisseurs d’accès à Internet, des brasseries,des supermarchés, des pizzérias, des mines,des vidéoclubs, une agence de voyages, unconcours de miss et une marque de produitsde beauté, ainsi qu’une équipe de base-ball,et emploie 15 000 personnes dans 80 pays.Selon des données de 2002, le chiffre d’af-faires de son groupe atteint plus de 3,5 mil-liards d’euros par an.Sa maison se nomme “La Serenísima”.C’est une sorte de palais ou de couventdédié à la quiétude dans le lieu le plus sélectdes Caraïbes, le quartier de Casa de Campode la Romana, à Saint-Domingue [Répu-blique dominicaine], une construction destyle colonial en bois sombre et en pierre decorail patinée par l’eau et le temps. C’est unlieu de résidence bien plus exclusif que leplus exquis des hôtels, où logent les chefsd’Etat, les intellectuels et les puissants de cemonde, invités habituels de Cisneros. Je luipose ma première question : “Lorsque vousavez acheté votre première chaîne de télévisionpar satellite, en 1997, Imagen Satelital, vousavez dit que vous vouliez ‘simplement tou-cher le ciel’. L’avez-vous touché ? Avez-vous

le sentiment d’être au firmament ?”“Oui.Nousvenons de nous associer à Rupert Murdoch,ce qui est un énorme avantage, explique-t-il.C’est un ami personnel,un homme de décision,avec une façon de voir les choses très similaireà la mienne.Cet accord renforcera nos chaînes.Rupert Murdoch domine le Brésil et le Mexique,et nous le Venezuela,Porto Rico, l’Amérique cen-trale et l’Argentine.” Parmi tous les com-mentaires non autorisés qui circulent surGustavo Cisneros figure une informationde l’hebdomadaire américain Newsweek leprésentant comme le principal instigateurde la tentative de coup d’Etat contre HugoChávez, en avril 2002. Le magazine a publiéun démenti après avoir reçu des lettres dedeux députés vénézuéliens réfutant cetteaccusation, mais le web continue à s’en fairel’écho. Il faut dire que le groupe Cisneros

est l’une des nombreuses entreprises véné-zuéliennes qui ont transféré leur directionen dehors des frontières du pays. Je décidede poser la question sans détour : “Aime-riez-vous que Chávez soit renversé ?” “Non,répond-il en riant. Je ne me mêle pas de poli-tique, et en outre je veux des changements paci-fiques et constitutionnels. Je suis un vrai mili-tant du centre démocratique : jamais je nem’impliquerai dans un processus violant laConstitution et la loi.”

Son père, Diego Cisneros, fondateurdu groupe et authentique visionnaire, l’avaitchoisi, parmi ses huit enfants, comme dau-phin. A 14 ans, le détournant de sa voca-tion religieuse, il lui avait assuré qu’il serait“patron”. Avec une consigne impérative :ne fais pas d’affaires avec les politiques.Diego ne se doutait peut-être pas qu’audébut du deuxième millénaire, le pouvoirmédiatique remplacerait le pouvoir poli-tique, que l’opinion médiatique évinceraitl’opinion publique, et que la télévision seraitla meilleure arme qu’un gouvernementpuisse avoir entre les mains. Pour illustrercela, Cisneros donne l’exemple qu’il préfèreentre tous, celui de la chaîne dont il est l’ac-tionnaire majoritaire : Univisión, la chaînepréférée des Hispaniques qui vivent auxEtats-Unis. “Nous utilisons l’autorité que nousprocure cette chaîne pour donner accès aux His-paniques à leur langue et à leur culture. C’estune façon d’intervenir dans la politique. Oui,nous sommes les grands ambassadeurs de lalangue espagnole, et c’est la raison pour laquellenous sommes critiqués. Mais, attention : nousne disons pas au public pour qui il doit voter.Nous nous limitons à faire des campagnes pourses droits, de façon très institutionnelle. Lesmédias sérieux et importants n’interviennentpas dans la politique partisane”, précise-t-il.

Elena Pita, El Mundo (extraits), Madrid

I L S E T E L L E S O N T D I T

PERSONNALITÉS DE DEMAIN

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GUSTAVO CISNEROS, 59 ans, est l’un deshommes les plus riches d’Amérique latine. Sabiographie autorisée, Gustavo Cisneros, un em-presario global (Gustavo Cisneros, un patronmondial), de Pablo Bachelet, vient d’être publiéeen Espagne par les éditions Planeta.

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COURRIER INTERNATIONAL N° 697 10 DU 11 AU 17 MARS 2004

� Dessin de Simanca Osmani, Brésil.

� Dessin deSchiamarella.

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Publicite 20/03/07 16:05 Page 56

POLITIQUE

Battisti, pomme de discorde franco-italienneAu-delà du problème juridique d’une éventuelle extradition de l’ex-activiste, le soutien politique qu’il obtient en France continue d’irriter la presse transalpine.Comme le quotidien de centre gauche La Repubblica.

LA REPUBBLICARome

Les commentaires répétésque Le Monde a consacrésd’abord à la détention, puisà la libération de Cesare

Battisti, arrêté le 10 février en exécu-tion de la demande d’extraditionprésentée en 1990 par l’Italie*, sontnavrants plus que la nouvelle elle-même. Il s’agit d’un ancien terroristequi a toujours refusé de se repentir**,condamné à la prison à perpétuitépour quatre assassinats, dont celui dufonctionnaire de la police pénitentiaireAntonio Santoro, tué à Udine le 6 juin1978. Arrêté peu après avec ses com-plices, Cesare Battisti est parvenu às’évader de la prison de Frosinone en1981 et à fuir vers le Nicaragua,jusqu’à ce qu’il trouve, en 1990, unrefuge commode, avec trois centsautres fugitifs, sur les bords de laSeine. François Mitterrand, qui ac-cueillait alors les terroristes italiens,basques et allemands*** qui avaientéchappé à la justice de leurs paysrespectifs, salissait et détournaitainsi la tradition de la “France, terred’asile”, instaurée au temps où ellehébergeait les exilés provenant del’Italie de Mussolini, de l’Allemagned’Hitler, de la Russie de Staline.

La solidarité exprimée par lesjournaux français et par les person-nalités politiques de la gauche, commele secrétaire du Parti socialiste, Fran-çois Hollande, suscite un malaise denotre côté des Alpes, pour plusieursraisons. En premier lieu, elle est lesigne de la décrépitude culturelle – jedirais presque de l’état mental – d’unepartie non négligeable de la gauchefrançaise. Celle-ci feint manifestementd’ignorer que l’Italie s’est libérée dufascisme le 25 avril 1945 et que les

années 1970 ne sont pas celles dutriomphe d’un régime à la Pinochet,mais celles d’une démocratie qui a suvaincre le terrorisme sans violer lesgaranties constitutionnelles. Unegauche qui feint d’ignorer qu’à ce jourpresque tous les brigadistes, y com-pris les assassins d’Aldo Moro, sontsortis de prison ou sont en semi-liberté, du moins ceux qui ont mani-festé leur repentir, et, enfin et surtout,que le phénomène n’est pas complè-tement éradiqué.

Mais est-il utile de rappeler toutcela aux Sollers, aux Pennac, au Conseilde Paris, qui a “placé sous [sa] protec-tion” un assassin qui, il y a seulementdeux ans, a déclaré qu’il assumait “lesresponsabilités politiques et militaires dece que furent les années 70 en Italie”,

ajoutant, pour être tout à fait clair : “Jeme déclare coupable et j’en suis fier” ?

Ce jugement insensé sur l’Italie etsur son histoire s’accompagne en outred’une représentation tout aussi stupidede l’Italie d’aujourd’hui, de ses insti-tutions, de ses lois, de sa magistrature.L’hostilité politique envers Berlusconin’explique ni ne justifie rien. Seul unracisme anti-italien et un mépris maldissimulé mélangé à la bouillie idéo-logique gauchisante dont se repaissentles défenseurs de Battisti peuventconduire à absoudre les terroristes sousprétexte qu’ils ont été des jeunes enproie à “une contradiction qui les amenaà tuer pour défendre une idée de justiceet de liberté”.

Que de telles absurdités aient coursdans les rangs de la gauche françaisene peut laisser la gauche italienneindifférente. Pas seulement la gaucheréformiste, qui a des relations directesavec les socialistes français, mais aussiceux qui, tout en militant dans des for-mations plus marginales, ont menéune tout autre réflexion sur le terro-risme et sur la violence d’hier et d’au-jourd’hui. Mario Pirani

* Cesare Battisti a été remis en liberté souscontrôle judiciaire le 3 mars. La chambred’instruction de la cour d’appel de Parisexaminera la demande d’extradition le con-cernant le 7 avril.** Depuis les lois italiennes “sur les repentis”de 1980 et 1982, offrant des réductions depeine aux condamnés qui collaborent avecla justice, il y a lieu de bien différencier les“repentis” des “dissociés” reconnaissant leurserreurs passées tout en se refusant à mettre encause leurs anciens camarades.*** Si la France a garanti l’asile en 1985 auxactivistes italiens “qui avaient rompu avec lamachine infernale”,en revanche, elle n’a jamaisfait de même ni avec les indépendantistesbasques ni avec les activistes allemands enfuite (comme on a pu le constater avec le casdu “dissocié” Hans-Joachim Klein, arrêté enFrance en 1998).

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� Dessin de MarekSobczak, Pologne.

V U D E D R O I T E

■ L’un des effets collatéraux lesplus néfastes de la campagned’opinion insensée qui se dérouleen France en faveur du terroristeet auteur de plusieurs assassinatsCesare Battisti est qu’elle rendplus ardu le processus pourtantnécessaire de dépassement des“années de plomb”. Pour tirer untrait sur cette tragique période defanatisme criminel, la sociétéitalienne a besoin d’une lectureunivoque du phénomène, d’unecondamnation sans appel de sesmotivations délirantes, pour enfins’autoriser un acte de clémencequi serait la démonstration de la

force de la démocratie, et non l’ex-pression ambiguë d’une espècede complexe de culpabilité sansraison d’être.Dans l’opinion publique et dans ledébat culturel italien, on est entrain de parvenir à tourner la page,comme en témoignent diverssignaux, inattendus et provenantde milieux très distants les unsdes autres : Refondation commu-niste a proclamé que la non-violence était la seule méthode delutte acceptable, et Silvio Berlus-coni s’est prononcé en faveur dela grâce pour Adriano Sofri [ex-leader du mouvement d’extrême

gauche Lotta continua, devenu édi-torialiste à succès depuis sa pri-son]. Mais qu’un vaste secteur del’opinion publique française, àl’occasion de l’af faire Battisti,présente la lutte contre le ter-rorisme comme une vengeancedes classes dirigeantes enversdes gens dépeints comme dessortes de résistants à l’arbitraireet à la violence d’Etat ne fait quecompliquer les choses.L’Italie n’a aucun motif d’avoirhonte d’avoir combattu le terro-risme par la loi et la démocratie,et non avec des tribunaux som-maires. L’erreur a été la conces-

sion, par François Mitterrand, d’undroit d’asile aux terroristes italienscomme s’ils étaient les victimeset non les bourreaux. Il est bonque, là-dessus, l’opinion italiennesoit ferme et unanime, et c’est unplaisir de voir que La Repubblicase situe du bon côté dans cettebataille. La page du terrorisme doitêtre tournée, il faut pour cela ache-ver la capture des nouveaux bri-gadistes et conclure avec ceuxd’hier par un acte de clémence.Ce ne peut être fait que sous lesigne de la conscience communedu bon droit dans la lutte contrele terrorisme. Il Foglio, Milan

Une polémique qui n’aide pas à tourner la page

ÉCONOMIE

Privatiser ne relancerapas l’économie

Un an et demi après avoir an-noncé son intention de pro-céder à de nouvelles privati-

sations, le gouvernement françaissemble décidé à profiter d’une conjonc-ture boursière favorable pour vendreune bonne partie des actifs des entre-prises publiques, ainsi que certains im-meubles appartenant au patrimoine del’Etat. Aux motivations idéologiquess’ajoute aujourd’hui la nécessité pourla France de réduire son déficit public(qui atteignait 4,1 % du PIB en 2003),afin de respecter les exigences du pac-te de stabilité en vigueur dans la zoneeuro [le déficit des Etats ne doit enprincipe pas dépasser 3 % du PIB].

Plus d’une centaine d’entreprisesfrançaises sont à l’heure actuelle inté-gralement ou partiellement détenuespar l’Etat. Mais quelques-unes d’entreelles seulement sont susceptibles d’in-téresser les investisseurs privés, à causede leur secteur d’activité ou de leurfort endettement. On jugera la portéeréelle de ce processus de privatisationà l’aune des conditions que fixera legouvernement français pour l’entréedans le capital des joyaux de la cou-ronne que sont EDF et GDF [aucunedate n’a été fixée pour une ouverturedu capital de ces entreprises, mais laCommission européenne a donnéjusqu’au 31 décembre 2004 pour unchangement de statut d’EDF]. Lavente partielle de ces entreprises se tra-duira par une baisse de revenus consi-dérable pour les caisses de l’Etat, enéchange de rentrées d’argent plusimmédiates dérivées de la cession.Mais le plus frappant, c’est que l’Etatn’aura plus le contrôle du secteur del’énergie, que les autorités françaisesconsidéraient jusqu’à présent commestratégique.

La reprise tant attendue de l’éco-nomie française ne dépend pas de cettevague de privatisations. On l’a déjà vuen Allemagne, les politiques macro-économiques ne permettent pas àl’économie de décoller, et encore moinsde résister à la concurrence des Etats-Unis. Car le nécessaire redressementbudgétaire s’accompagne d’une appré-ciation importante de l’euro face audollar, qui provoque un durcissementdes conditions monétaires dans uneéconomie où l’endettement des entre-prises est très important. La France, àl’instar de la majorité des pays de lazone euro, devra poursuivre ses ré-formes structurelles dans la directiondonnée par l’agenda de Lisbonne [lorsdu sommet européen de Lisbonne, enl’an 2000, les Quinze se sont fixécomme objectif de devenir la zone éco-nomique la plus compétitive d’ici à lafin de la décennie]. Il appartiendra parailleurs aux institutions européennes,en particulier à la Banque centraleeuropéenne, de faciliter la digestion deces traumatismes en fixant des condi-tions monétaires similaires à celles desautres grandes économies de la planète.

El País, Madrid

COURRIER INTERNATIONAL N° 697 12 DU 11 AU 17 MARS 2004

� Appel au calmePersonne ne songeà “s’offusquer de ce que la politiquemitterrandienne [ne pas extrader lesterroristes italiens]ait changé aprèsune rencontre entreles ministres de laJustice italien etfrançais”, déplore IlManifesto. Les actescommis durant les‘années de plomb’ne sont pascomparables à ceuxcommis par Al Qaida, ni par leur nature, nipar leur dangerosité.Calmons-nous donc un peu !”

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Publicite 20/03/07 16:05 Page 56

EXPRESSOLisbonne

Aussi incroyable que celapuisse paraître, trois géné-rations après l’arrivée despremiers immigrés portu-

gais en France, on trouve encore lecliché du maçon moustachu appeléManuel et de son épouse femme deménage ou gardienne d’immeuble.Pour enfin parvenir à s’affirmer, lacommunauté portugaise avait sansdoute besoin de participer plus acti-vement à la vie civique du pays,garantie d’égalité des droits avec lesnationaux. C’est en 2001, après levote par la France, en 1997, d’uneloi organique transposant une direc-tive de l’Union européenne de 1994,que les Portugais, comme les res-sortissants des autres Etats membresde l’UE, ont pu voter pour la pre-mière fois à des élections municipaleset présenter leur candidature à desmandats municipaux [à l’exceptionde ceux de maire et maire adjoint].

C’est ainsi qu’il y a aujourd’huiprès de 220 élus municipaux por-tugais en France, essentiellementissus des classes moyennes, et cer-tains dans des villes aussi importantesque Bordeaux ou Limoges. “Il y a detout,affirme António Monteiro, l’am-bassadeur du Portugal en France. Ducommerçant au professionnel libéralretraité ou à l’ancienne femme de ménagetrès investie dans le secteur associatif.”L’ascension sociale est une constantede beaucoup de ces histoires. C’estle cas pour Ana de Oliveira-Pommet,63 ans, élue depuis trois ans de la villede Bordeaux. Elle est conseillèremunicipale en charge de la sécurité

dans les établissements publics ; entant qu’officier d’état civil, elle a éga-lement le pouvoir de marier lescouples. Ana s’occupe également desrelations internationales, et plus par-ticulièrement avec la péninsule Ibé-rique. Il est difficile de deviner que lepremier métier de cette femmeaujourd’hui conseillère municipalefut celui de cuisinière. Elle est arri-vée en France en 1960, à l’âge de19 ans. Pendant un an, elle a travaillécomme cuisinière chez un industrielfrançais fortuné dont l’épouse étaitportugaise. Elle a ensuite été ven-deuse dans un magasin de chaus-sures, puis dactylo, jusqu’à ce qu’elleouvre une pâtisserie-salon de thé dansle centre de Bordeaux.

Après quelques années, Ana avendu son commerce pour investirdans l’immobilier, s’assurant ainsiune rente lui permettant de vivre

sans travailler. C’est à cette époqueque le mouvement associatif portu-gais s’est développé en France, pourl’accueil et l’intégration des immi-grés. Elle a alors créé plusieurs asso-ciations, parmi lesquelles ActionAquitaine Portugal, dont elle estaujourd’hui encore la présidente.“Beaucoup de gens, ici, sont à chevalentre deux mondes, explique Ana. Ilsont l’impression d’être des Portugais enFrance et des étrangers au Portugal. Ilsne se sentent pas vraiment bien ici, maisdisent qu’ils ne le sont pas non plus là-bas. Jusqu’à 18 ans, mon fils n’a pasvoulu parler portugais. Il ne se considé-rait pas comme Portugais. Ce n’était pasune image valorisante, parce qu’elle ren-voyait à cette première génération demaçons et de femmes de ménage.” Unetelle implication sur le plan social afini par attirer l’attention du consuldu Portugal et d’Alain Juppé, qu’ila invitée à intégrer sa liste aux der-nières élections municipales.

“NOUS SOMMES DE PLUS EN PLUS FRANÇAIS”

Aníbal Almoster, 36 ans, préfère par-ler français, langue dans laquelle ilse sent plus à l’aise. Ce comptablequi vit en France depuis l’âge dedeux ans a épousé une Française et,à sa demande, leur petite fille pos-sède la double nationalité. Conseillermunicipal de la ville de Limoges, élusur la liste des Verts, il est chargé desaffaires culturelles, de la jeunesse etdes finances. “Dieu sait” que ce n’estpas l’entourage familial qui a faitnaître ce “virus” de la politique. Ala maison, sans doute à cause du fan-tôme de Salazar [le dictateur quidirigea le Portugal de 1932 à 1968],ses parents n’abordaient jamais cessujets, comme par crainte d’avoir deshistoires. Aujourd’hui encore, ils neparlent pas de l’activité de leur fils…Aníbal a passé pratiquement toutesa vie en France mais se sent “Por-tugais de cœur”. “Quand il y a unmatch Portugal – France, mon cœur batpour les quinas*”, avoue-t-il. Il vatous les ans au Portugal, mais resteréaliste : “Le fait de vivre en Franceme permet de m’épanouir profession-nellement et politiquement.”

Aníbal est le seul des enfants dela famille qui envisage de rentrer. Etbien qu’il souhaite transmettre lesvaleurs de la culture portugaise à safille, il a des doutes quant à la sur-vie de la communauté lusophone enFrance : “Nous sommes de plus en plusfrançais. Je le vois bien avec mes frèresqui ont appelé leurs enfants Alain etElodie. D’ici trente, quarante ans, jepense qu’il n’y aura plus de Portugaisen France. Ce sera comme avec lacommunauté polonaise. Nous allons dis-paraître.” Katya Delimbeuf

* Nom donné à l’équipe nationale de football.Les quinas sont les cinq écus qui ornent lecentre du drapeau portugais.

SOCIÉTÉ

Non, portugais ne rime pas avec maçon !Les Portugais de France cherchent à faire reconnaître leur ascension sociale. Pour certains, cette démarche passe par un mandat électif.

COURRIER INTERNATIONAL N° 697 14 DU 11 AU 17 MARS 2004

f rance

� Dessin de LeonardBeard paru dans El Períodicode Catalunya,Barcelone.

■ ChiffresLes autoritésportugaisesestiment qu’environ800 000 de leursressortissants viventen France. LaFrance, qui ne prenden compte que lespersonnes n’ayantpas la doublenationalité franco-portugaise, recenseun peu moins de600 000 Portugais.Des données qui neprennent pas encompte les enfantsfrançais de parentsportugais.

SOCIAL

La justice commearme syndicale

Dans son bureau, sous les pos-ters de Lénine et de CheGuevara, François Desanti se

dit prêt à recourir à des tactiques ré-volutionnaires : “Nous n’avons pasd’états d’âme.Pour nous, la fin justifie lesmoyens.” François Desanti ne parle pasde cocktails Molotov, mais d’actionsen justice. Sous la conduite de la CGT,son syndicat, et d’autres organisations,quelque 1 500 chômeurs viennentd’engager des poursuites pour ruptu-re de contrat contre l’UNEDIC, aprèsavoir été victimes, en janvier, d’une ré-duction de la durée de leur indemni-sation. Leurs dossiers seront examinéspar les tribunaux au cours des pro-chains mois. Pour des syndicats eu-ropéens comme la CGT qui s’effor-cent généralement d’obtenir des chan-gements par des manifestations et desgrèves, le lancement coordonné d’ac-tions en justice est une tactique révo-lutionnaire. C’est la procédure la plusproche du recours collectif de typeaméricain, interdit en France et dansla plupart des pays européens. La ba-taille judiciaire française illustre lacrainte de nombreux dirigeants d’af-faires de voir l’Europe devenir de plusen plus procédurière. Cette tendancea été encouragée par des avocats agres-sifs et des reportages bien documen-tés sur les indemnisations de plusieursmillions de dollars qu’il est courantd’obtenir aux Etats-Unis.Gérard Boulanger, un avocat borde-lais qui travaille avec François Desanti,souligne que les recours en justicedeviennent fréquents parce que les tra-vailleurs sont déçus par les tactiquessyndicales traditionnelles. “Les gensse sont rendu compte que descendre dansla rue ou faire grève présente une effica-cité limitée”, explique-t-il. “L’Europe vas’apercevoir qu’il est difficile pour l’opi-nion publique de débattre en toute sérénitélorsque tout le monde peut utiliser lamenace judiciaire pour parvenir à ses finsau détriment de l’intérêt général”, pré-vient cependant l’avocat new-yorkaisPhilip Howard, président de The Com-mon Good, un groupe de pression lut-tant contre la dérive procédurière. Lesdommages et intérêts réclamés dansles tribunaux français restent toutefoisinfimes. Dans l’affaire des chômeursfrançais, les réparations demandées nedépassent pas 4 500 euros par per-sonne. Autre différence importante :nulle part en Europe les avocats nereçoivent une part des sommes gagnéespar leur client. Même si certains avo-cats français acceptent déjà des hono-raires moins élevés en échange d’un“pourcentage en cas de réussite”.Pour François Desanti, le virage versune société plus procédurière n’estqu’une étape sur la voie de la révolu-tion qu’il appelle de ses vœux. “Nousavons recours aux tribunaux parce qu’ilssont au service du pouvoir en place, dit-il. Si nous n’arrivons pas à nos fins parla voie judiciaire, nous pourrons toujoursprendre les armes.” Charles Fleming,

The Wall Street Journal Europe (extraits), Bruxelles

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COURRIER INTERNATIONAL N° 697 15 DU 11 AU 17 MARS 2004

GRÈCE

Une victoire attendue, voire méritéeLe 7 mars, un raz de marée électoral a porté Costas Caramanlis au pouvoir. Une victoire, explique le quotidienlibéral I Kathimerini, qui récompense la métamorphose de la Nouvelle Démocratie en un parti de droite moderne.

� RésultatsLe 7 mars,la NouvelleDémocratie aobtenu 45,4 % desvoix et 165 députés.C’est 14 de plusque la majoritéabsolue. Le PASOK,lui, est passé de158 à 117 sièges.Arrivés en troisièmeposition,les communistes du KKE obtiennent12 députés – 1 de plus – et 5,88 % des voix.En remportant ces élections,ConstantinCaramanlis devient,à 47 ans, le plusjeune Premierministre de l’histoirede la Grèce.

I KATHIMERINIAthènes

Même ses adversaires lereconnaissent : CostasCaramanlis a été lepersonnage central de

cette élection. Non seulement parceque l’enjeu véritable du vote était leretour attendu au pouvoir de la Nou-velle Démocratie (ND), mais aussiparce que, dans les mois qui ont pré-cédé le vote du 7 mars dernier, le chefde l’opposition a animé à lui seul lacampagne électorale. Surtout, samodestie affichée et la sensibilité qu’ila manifestée sur les questions socialeslui ont permis de refaçonner l’imagedu parti conservateur.

La ND n’est plus un parti de droitetraditionnel. Ayant pris ses distancesavec le programme néolibéral de l’an-cien Premier ministre Constantin Mit-sotakis [1990–1993], cette formationa, sous la férule de Caramanlis, réaliséune synthèse idéologique intéressante.Aujourd’hui, le discours néolibéral seteinte d’une sensibilité nouvelle auxproblèmes des classes moyennes etdéfavorisées. La ND n’appartient plusdésormais à la “droite populaire”, quidéfendait des idées étatiques et aristo-cratiques, conjuguées à un paterna-lisme envers les couches socialesmodestes alimenté par le clientélisme.Dans les limites du paysage politiquetraditionnel, la ND est ainsi devenueun parti de centre droit moderne.

Caramanlis s’est engagé dans unevoie semée d’embûches. Il a repris le

flambeau d’une ND relativement jeuneet sans grande expérience politique. Ilne fait guère de doute que son patro-nyme a joué un rôle fondamental dansson élection. Costas est, en effet, leneveu d’un autre Caramanlis, Premierministre de l’après-régime des colonelset qui a marqué de son charisme plusd’un demi-siècle de vie politique en

Grèce. Mais l’actuel chef de la droitelocale a très vite révélé ses qualités poli-tiques. Après quelques erreurs tac-tiques, il a fini par atteindre son objec-tif stratégique. Et, hormis quelquesnotes discordantes de la part de per-sonnes dépassées par la transforma-tion du parti, le message de la ND estdésormais clair, moderne et séduisant.Le discours politique de Caramanlis adissipé la plupart des préjugés à l’égardde la droite dans l’opinion publique, ila élargi l’audience du parti et facilitéle ralliement d’électeurs centristesdéçus par onze années de règne dessocialistes du PASOK.

Un second élément essentiel dupersonnage est le combat qu’il mènecontre les conflits d’intérêts. Sa déci-sion d’ouvrir un front contre la col-lusion entre les milieux politiques etle monde des affaires lui a valu unesérie d’attaques personnelles. Desannées durant, une majorité écrasantedes médias alimentait l’idée que Cara-manlis était le principal handicapde la ND et Costas Simitis, le grandatout du PASOK. Malgré tous leursefforts, la perspective d’une défaitecuisante a obligé le Premier ministresortant et les intérêts qui le soute-naient à organiser sa succession – unetentative désespérée pour éviter uneBerezina, qui finalement s’est pro-duite. La carte maîtresse du PASOKa ainsi été mise au placard, tandisque le très critiqué Caramanlis devientPremier ministre. Cela dit, le grandtest pour lui viendra après son entréeen fonctions. ■

europe●

A L L E M A G N E

Quand les écolos s’achètent une centrale nucléaireQuelle valeur accorderiez-vous au fait

que Siemens ne vende pas sa fabriquede plutonium à la Chine ? 100 euros ?1 000 euros ? Pour 50 euros et même àmoindres frais, vous pouvez faire en sorteque cette usine soit mise au rebut dans lerespect de l’environnement plutôt que d’al-ler produire du plutonium pouvant, le caséchéant, ser vir à des fins militaires enChine. Bref, il s’agit d’acheter soi-mêmeHanau plutôt que de la vendre à la Chine.C’est l’initiative que vient de lancer [le26 février dernier] l’association internatio-nale IPPNW, qui regroupe les “médecinspour la prévention contre une guerrenucléaire et pour la responsabilité sociale”.Leur idée : faire au groupe Siemens, pro-priétaire de l’usine, une meilleure offre queles Chinois. Ces derniers ont offert 50 mil-lions d’euros ? A nous de mettre sur latable 50 millions et 1 euros !Mais il faut rassembler l’argent… Pour yparvenir, on doit “acheter soi-même

Hanau”, comme le disent le slogan choisiet le site web du même nom. En allant sur<www.hanauselberkaufen.de>, on peuts’engager à verser une cer taine somme,ne dépassant pas 5 000 euros, dans l’es-poir que l’action aboutisse.“L’idée nous est venue tout récemment”,explique Ute Watermann, por te-paroled’IPPNW. “Après tant d’années de lutte etalors que l’Allemagne a pris la décisionde sor tir de l’atome, imaginer qu’uneusine de plutonium allemande puisse fonc-tionner en Chine était intolérable. Nousn’avons pas vu d’autre solution que d’ache-ter Hanau.”Il ne s’agit pas d’acheter la ville[90 000 habitants, près de Francfor t],mais seulement son usine, soigneusementemballée dans soixante conteneurs prêtsà traverser les mers. Comme Hanau n’estjamais entrée en fonction, aucun élémentn’est radioactif – ce qui rend l’achat pos-sible par l’association. Celle-ci pense néan-

moins que 20 millions supplémentairesseront nécessaires pour se débarrasser del’usine dans le respect de l’environnement.Si tout marche bien, les acheteurs pourrontmême obtenir de vrais petits bouts del’usine. “J’ai toujours rêvé d’en avoir unedans mon jardin”, plaisante le cabarettisteMartin Buchholz. “Enfin une initiative intel-ligente, qui reflète l’opinion de la popula-tion”, soupire d’aise le chanteur Konstan-tin Wecker, prêt à verser au pot commun750 euros. Ils sont légion à se lancer indi-viduellement ou en tant qu’organisationsdans l’affaire : le commissaire Peter Sodann[série télévisée Tatort], l’écrivain Erich Loest,Greenpeace et d’autres écologistes, maisaussi des hommes politiques de la coali-tion de gauche au pouvoir – ce qui rend lemouvement assez explosif.“Si Hanau part [en Chine], Schröder doitpar tir aussi”, lancent les Ver ts les plusmobilisés, qui réclament un congrès extra-ordinaire de leur parti et que vient renfor-

cer l’opposition dans les rangs sociaux-démocrates.Le rachat d’Hanau serait une solution élé-gante au problème : le calme reviendraitchez les Verts, une crise gouvernementalepourrait être évitée, la Chine réduirait saproduction de plutonium à usage poten-tiellement militaire – et l’on pourrait expo-ser dans son jardin ou sur ses étagères unpetit bout de Hanau.Ute Watermann a déjà pris contact avecSiemens pour ouvrir des négociations.Elle espère pouvoir faire baisser le prix. Letemps presse : le gouvernement compteprendre sa décision avant la mi-mars. Entout état de cause, une manifestation estdéjà prévue le 20 mars à Ramstein, à l’ini-tiative d’IPPNW, contre la politique nucléairedu gouvernement. Car, en Allemagne, ilexiste encore 65 armes atomiques, quireprésentent 150 fois le potentiel explosifde la bombe d’Hiroshima.

Katrin Evers, Die Tageszeitung (extraits), Berlin

� Dessin de MediBelortaja, Tirana.

C O M M E N T A I R E

■ Après neuf ans et cinq mois de pou-voir socialiste du PASOK, le pays voulaitun changement. Le 7 mars, les électeurssocialistes ont voté, mais sans convic-tion, pour leur parti. Quant aux autres,un quatrième mandat pour le PASOKaurait été un de trop. Comment expliquercette défaite historique ? D’abord, lamauvaise campagne du PASOK n’a faitqu’aggraver le déficit de crédibilité dessocialistes et leur incapacité à résoudreles problèmes actuels de la sociétégrecque. L’éducation et le système desanté sont en crise et l’ancien gouver-nement n’a pas su résoudre les pro-blèmes. De la même façon, il n’a su niprévoir ni gérer la montée de l’immigra-tion clandestine. Enfin, la stratégie quia consisté à changer le président du Partisocialiste un mois avant les électionsn’a pas été payante. En effaçant CostasSimitis au profit de Georges Papandréou,les socialistes se sont privés du bilanpositif du Premier ministre sortant. Finil’entrée de la Grèce dans la zone euro,oublié la bonne gestion de la crise chy-priote et l’emprisonnement des terro-ristes du groupe du 17 Novembre. Lebouleversement proposé par Papandréous’est très vite résumé à son aspect leplus spectaculaire : un nouveau nompour le parti et de nouvelles couleurspour son logo.

Irini Karanasopoulou, Ta Nea, Athènes

Un PASOK fatigué

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ESPAGNE

Prisonniers de la bulle immobilièreAntonio et Beatriz comptent s’abstenir ou voter blanc aux législatives du 14 marsprochain. Comme nombre de jeunes Espagnols, ce couple madrilène a toutes les peinesdu monde à trouver un logement. Et n’a aucun espoir que cela s’arrange.

EL PAÍSMadrid

Antonio a 26 ans et Bea-triz 25. Ils sont jeunes etbeaux, mais ne sont pasheureux. Antonio, origi-

naire de Cadix, vit à Madrid depuis1999. Beatriz est madrilène. Ils for-ment un couple et “bossent” tous lesdeux à l’aéroport de Madrid, Bara-jas, “pour une entreprise de handling(assistance aéroportuaire)”. Ils parlentanglais et français, et gagnent cha-cun 1 000 euros net par mois. Ilsenchaînent les contrats temporaires,travaillant six mois d’affilée, puis pas-sant un mois au chômage. “De cettefaçon, l’entreprise évite de nous embau-cher en contrat à durée indéterminée(CDI)”, expliquent-ils. Ils se sontinstallés ensemble en décembre, etpaient 750 euros de loyer par moispour un appartement situé dans lalocalité de Barajas. “C’est près du bou-lot. Comme ça, on dépense moins entransport”, précisent-ils.

Antonio, qui est “pilote commer-cial sans emploi”, a dû contracter unprêt pour payer les 12 millionsd’anciennes pesetas [72 000 euros]que lui a coûté son diplôme. Aujour-d’hui, il rembourse 335 euros parmois , auxquels s ’a joutent les375 euros de la moitié de son loyer.Total : 710 euros. “Il ne me reste doncplus que 290 euros pour me nourrir,payer le gaz, l’électricité et l’eau”,conclut-il. Leur arrive-t-il d’aller aucinéma ? “Non, nous ne pouvons pasnous le permettre. C’est très cher. Maisnous avons acheté un lecteur DVD pour60 euros et, maintenant, nous regardonsà la maison les films que nos amis télé-chargent sur Internet.”

LE MÊME DRAME QU’EN 1958DANS L’ESPAGNE FRANQUISTE

Après avoir expliqué en une seulephrase la raison de la piraterie mon-diale, Antonio et Beatriz disent qu’ilsn’ont pas vu El Pisito [Le petit appar-tement], le célèbre film de MarcoFerreri et Rafael Azcona, qui, en1958, racontait la tragi-comédie dela recherche d’un appartement dansl’Espagne franquiste. Ils ne saventdonc pas qu’ils vivent aujourd’hui lemême drame, sauf que la concur-rence est nettement plus féroce etnombreuse qu’à l’époque.

A la mi-février, Antonio et Beatrizont poussé la porte de l’Office muni-cipal du logement de Madrid (EMV)pour essayer de trouver un appar-tement à un prix plus abordable quecelui où ils vivent actuellement, “unelocation avec option d’achat”. Ils arri-vaient désenchantés de l’Institut dulogement de la région de Madrid, oùon leur avait proposé “76 apparte-ments à Leganés et 23 à San Martín dela Vega” [dans la grande banlieue de

la capitale]. Malheureusement, lejeune couple ne remplissait pas lapremière condition requise : êtredomicilié là-bas depuis deux ans. Onles a donc aiguillés sur l’EMV, oùune aimable fonctionnaire les ainformés qu’il n’y avait rien en cemoment, qu’il y avait eu une offre enjanvier, mais qu’il s’agissait d’un lotd’appartements en vente et non enlocation, que, bien entendu, ilsavaient dépassé la date limite maisqu’ils pouvaient toujours prendre cenuméro de téléphone et appeler dansquelques jours, ils auraient peut-êtreplus de chance.

De la chance ! Tout dépend decela, semble-t-il – de cela et desbarèmes d’attribution des logements.Mais on a beau avoir beaucoup depoints et satisfaire à tous les critèrespossibles et imaginables, on n’est paspour autant assuré d’accéder à unlogement subventionné. Le dernierprogramme madrilène d’accession àla propriété comprend 774 apparte-ments à la périphérie de la capitale.L’EMV a reçu plus de 77 000 dos-siers, ce qui signifie que seulement1 % des demandeurs verront leurrêve se réaliser. D’après l’attrayantprospectus bleu vif de l’EMV, le prixde ces appartements oscille entre88 000 euros pour un deux pièces de50 m2 et 115 000 euros pour un cinqpièces de 94 m2.

Le profil idéal pour se voir attri-buer un logement est plutôt dépri-mant : ce qui donne le plus de points,c’est d’avoir perdu son logementdans les deux années précédant lademande – pour cause de faillite,d’expropriation ou de réhabilitationconfirmée par un juge. Il est “bon”également d’être handicapé à plus de65 %, d’appartenir à un foyer de sixmembres ou plus, d’être victime deviolences familiales, d’être seul sou-tien de famille, d’avoir moins de35 ans ou plus de 65 ans, de gagnerentre 1,5 et 2,5 fois l’équivalent

du SMIC (ni plus ni moins) oud’avoir plus de 35 ans et de vivreencore au domicile parental.

“PERSONNE N’AIDE LES JEUNESET LES OUVRIERS”

Les choses étant ce qu’elles sont, àpeine se sont-ils aventurés dans l’im-pitoyable jungle immobilière madri-lène qu’Antonio et Beatriz sont déjàdécouragés, presque au bord dudésespoir. Et les élections du 14 marsleur semblent aussi lointaines que laplanète du même nom. “C’est décidé,je deviens apolitique, lance Beatriz. Jen’irai pas voter. Ce gouvernement nefavorise que les chefs d’entreprise et ceuxqui ont 40-45 ans. Personne n’aide lesjeunes et les ouvriers. On ne t’aide quesi tu veux créer une entreprise, mais,pour le reste, rien de rien. Le logementest la chose la plus importante pour pou-voir se lancer dans la vie ; pourtant,personne ne fait rien.” Plus timide,Antonio dit n’avoir de préférencepour aucun parti. “Je ne sais pas, jevoterai peut-être blanc.”

Une victoire des socialistes amé-liorerait-elle les choses ? “Non, assureBeatriz. C’est un cercle vicieux : pouraméliorer certaines choses, il faut prendrede l’argent ailleurs, et je ne crois pas qu’ilspourront le faire.”“Les patrons leur tom-beraient dessus”, ajoute Antonio.

La conversation se poursuit entreplaintes, tristesse et désespoir. Bea-triz et Antonio sont prématurémentdéçus de la vie. En Espagne, il y a descentaines de milliers de jeunes dansleur cas. Ils sont prisonniers de labulle immobilière, ils ont un emploiprécaire et ne sont pas encore tout àfait autonomes financièrement. Ilsont investi beaucoup d’efforts et d’ar-gent dans une bonne formation, ilssont jeunes et intelligents, ils s’ai-ment, ils ont une petite voiture, unetélé, un lecteur DVD et un appar-tement de 60 mètres carrés. Mais ilsn’aiment pas la vie.

Miguel Mora

COURRIER INTERNATIONAL N° 697 16 DU 11 AU 17 MARS 2004

europeROYAUME-UNI

Ici Londres,payez svp

En une année de mise en ser-vice du fameux péage urbainlondonien, les caméras qui

contrôlent l’acquittement de la taxeexigée des automobilistes ont débus-qué une centaine de voitures “clo-nées” : c’est-à-dire des véhicules do-tés par leurs propriétaires de faussesplaques d’immatriculation. Les auto-mobilistes, en effet, s’ingénient à trou-ver des astuces pour éviter d’acquit-ter les 5 livres par jour [7,50 euros]qu’il leur faut débourser pour circulerdans la capitale. Le maire de Londres,Ken Livingstone, a récemment révé-lé que, lors d’une vaste opération des-tinée à réprimer ces fraudes, l’un deses services, la Transport for LondonAuthority (TfL), avait mis en four-rière ou immobilisé 255 véhicules,tandis que 40 récidivistes avaient toutsimplement vu leur voiture détruite.

D’après les derniers chiffrespubliés par la TfL, la taxe anti-embouteillages a entraîné une réduc-tion de 18 % du trafic dans le centrede Londres. Le nombre des voituresparticulières a ainsi chuté de 30 %,tandis que celui des bus, taxis etdeux-roues motorisés a augmenté.Pour sa part, M. Livingstone affirmeque l’instauration de la taxe a entraînéune évolution des habitudes de dépla-cement en faveur des transports encommun. Un phénomène qu’il qua-lifie de “bouleversement, l’un des plusimportants auxquels il nous ait été donnéd’assister depuis la fin de la SecondeGuerre mondiale”.

Environ 110 000 personness’acquittent chaque jour de cettetaxe et , chaque mois, ce sontquelque 160 000 contraventions quisont envoyées aux contrevenants.

Andrew Clark, The Guardian, Londres

� “Votonsdirectement pour les promoteurs !Inutile de passer par des intermédiaires!”Dessin d’El Rotoparu dans El País,Madrid.

Un an de péage urbain londonien

Nombre de véhicules entrant dans la zone du péage londonien pendant les heures payantes (en milliers)

Avant l’instauration du péageAprès l’instauration du péage

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■ Flambée des prixDe moins en moinsd’Espagnols ontaujourd’hui les moyensd’acheter unlogement. Depuisl’arrivée du Partipopulaire aupouvoir, en 1996,le prix moyen du mètre carré a augmenté de presque 100 %,pour atteindre1 931 euros enmoyenne au niveaunational et jusqu’à2 917 euros à Barcelone et 2 868 à Madrid(par comparaison,le prix moyen du mètre carré à Paris est de 3 850 euros).Le problème a prisune telle ampleurque le Partipopulaire et son adversairesocialiste ont trufféleurs programmesélectoraux de mesuresdestinées à faciliterl’accession à la propriété et le marché de la location, trèspeu développé dansun pays où 86 % des habitants sontpropriétaires de leurlogement (contre56 % en France).

697p16 8/03/04 18:50 Page 16

DANI (extraits)Sarajevo

Décidément, il faut bienque la Bosnie-Herzégo-vine se distingue du restede l’univers.Tandis que

le commerce des œuvres d’art est l’unedes occupations les plus onéreuses etles plus appréciées dans le mondeentier, nous manquons jusqu’au cadrelégislatif qui régirait cette activité. S’ily a un point qui n’est pas contestédans le bilan de Margaret Thatcher,c’est bien le fait qu’elle ait chargé laBritish Lottery de prendre soin desmusées et des galeries britanniques.C’est ainsi que des fonds considérablesont pu être destinés au rachat et à laconservation des œuvres d’art.

A Sarajevo, Dunja Blazevic, ladirectrice du Centre sarajévien del’art contemporain (SCCA), trèsengagée sur le plan de la promotiondes jeunes artistes et de l’art du pays,fait état de son mécontentement. “Iln’y a pas moyen chez nous d’engager undialogue entre les artistes et ceux qui déci-dent de la politique culturelle. Nousn’avons pas, comme cela existe dansd’autres pays, d’endroits spécialisés oùl’on puisse se rendre pour acheter telle outelle œuvre, sans même passer par unegalerie. Ici, des œuvres de grande qua-lité, mais moins commercialisées, n’ontjamais leur place à côté des grands nomsreconnus.De même, seules quelques gale-ries d’art contemporain proposent destravaux d’artistes mondialement connuscomme Marina Abramovic ou BracoDimitrijevic.”

UN MARCHÉ GANGRENÉ PAR LE NATIONALISME

En d’autres termes, si vous faites lecommerce des œuvres d’art, au regardde la loi, vous êtes dans la même posi-tion que celui qui vend de la papete-rie ou du matériel de construction,voire des bananes ou des pièces déta-chées. Meliha Husedzinovic, directricede la Galerie nationale des beaux-arts,estime que les lois adoptées depuisla fin de la guerre [1995] n’ont pasrégulé le marché de l’art, loin de là.“Jusqu’en 2001, année où l’on a mis enplace la collection permanente, la Gale-rie nationale a certes fait du rachat,maisdans de mauvaises conditions. Il fallaitque l’artiste connaisse un ministre pourarriver à placer son œuvre.”

Les prix sont ce qui intrigue leplus : combien coûte une œuvre quiest susceptible de faire partie du patri-moine culturel ? Dans la Croatie voi-sine, à l’exception des prix de venteexorbitants des œuvres de l’hyperréa-liste Zvonimir Mihanovic (jusqu’à125 000 dollars [98 355 euros] dansles galeries new-yorkaises), les autresprix varient entre l’équivalent de 130à 260 euros. Certes, il y a quelquesexceptions parmi les jeunes artistespopulaires qui obtiennent des ventesde l’ordre de 2 000 à 5 000 euros.

A Sarajevo, la seule galerie quisemble fonctionner sur la base derègles clairement établies est Paleta,située rue Hamdije Kresevljakovica.Elle est entre les mains de SabinaTomanovic, qui a appris le métier deson père, Izo, symbole d’un certainSarajevo urbain et cultivé. Ils gèrentleur galerie avec beaucoup d’amour,mais Sabina nous confie que l’appau-vrissement de la population a créé unesituation d’incertitude totale. “Sou-vent, on nous apporte des œuvres devaleur qui font partie de collections pri-vées. Les gens sont prêts à les céder au-dessous de leur valeur réelle. Cependant,il nous faut du temps pour réunir l’argent.Alors, ce qui se passe, c’est que le patri-moine artistique de ce pays est exporté àl’insu des institutions spécialisées. Il estadvenu récemment qu’un client riche enprovenance d’un pays arabe s’intéresse àune grande toile d’Ibrahim Ljubovic.Lavaleur de ce tableau a été estimée à envi-ron 10 000 euros.Ce client nous a immé-diatement offert la somme indiquée, quenous avons refusée. Ensuite, il a proposé2 500 euros de plus en nous demandantpourquoi nous n’acceptions pas,car c’étaitune somme importante. Nous lui avonsrépondu que le commerce n’était pas notreobjectif principal et que les billets debanque ne pouvaient pas remplacer aumur la toile manquante.”

Dans la situation chaotique qui estla nôtre, il est difficile d’établir descatégories de prix correspondant auxdifférentes œuvres. Les prix varientde 200 à 1 500 euros pour des œuvresun peu plus importantes, ce qui n’estpas beaucoup. La difficulté qui s’ajouteest que la plupart de nos artistes nepeuvent pas être appréciés à l’étrangerautant que par le public local. Maisla couche de la population qui seraitprête à consacrer des sommes impor-tantes à l’art a pratiquement disparu.Aujourd’hui, on achète le plus souvent

BOSNIE-HERZÉGOVINE

Sarajevo, la ville qui néglige ses artistesErigée en symbole de la culture européenne pendant la récente guerre, la capitale bosnienne adu mal à gérer sa richesse artistique. Et pour cause : amateurs et mécènes ont disparu, et l’Etat a d’autres soucis.

COURRIER INTERNATIONAL N° 697 17 DU 11 AU 17 MARS 2004

europe

■ LivreSi jusqu’à présent la peinture bosno-herzégovienne était peu connue,elle devrait l’êtremieux désormais.L’Académiebosnienne des sciences et des arts vient en effet d’éditer,en collaborationavec l’université deMostar, Slikarstvo uBosni i Hercegoviniod 1945 do 1990(La peinture enBosnie-Herzégovinede 1945 à 1990) de Nikola Kovac,professeur delittérature françaiseet ambassadeur à Paris de 1993 à1999. Le prochainouvrage de l’auteursera consacré à lapériode 1914-1944.

� Cri, 1997.Peinture de MehmedZaimovic.

les vrais collectionneurs commençaient seu-lement à apparaître.Hélas, les collectionsont elles aussi subi les dommages de laguerre,à cause des critères nationaux quiont pris le dessus : les Serbes achètent lestravaux des ‘leurs’, les Croates des ‘leurs’…Les artistes sont condamnés à naviguerdans ces eaux-là, certains y trouvent duplaisir, d’ailleurs. Parfois, je me sens malà l’aise de voir que les médias font la publi-cité pour certains artistes comme si c’étaitdes chanteurs de musique folk. Dans laville,on s’aperçoit que la plupart des gale-ries d’avant guerre sont devenues des cafés,alors que ce devrait être l’inverse.”

Aujourd’hui, Zaimovic est unartiste connu, mais investir dans sestoiles n’est pas un placement “sûr”, àla différence des vedettes européennes,comme Mersad Berber ou Safet Zec.Ce sont les peintures de Berber quiatteignent les prix les plus élevés : enCroatie, jusqu’à 20 000 euros et, lorsde son exposition à Londres, plus de50 000 euros. Rappelons, à ce sujet, leportrait type du Bosniaque aisé d’avantla guerre : un Berber accroché au mur,une maison à Neum, sur la côte Adria-tique, les clés d’une Golf dans la poche.La situation n’est pas vraiment diffé-rente aujourd’hui, sauf que la liste despossessions comprend, en outre, unecollection de livres écrits par feu le pré-sident Alija Izetbegovic et une traduc-tion du Coran reliée cuir.

Enfin, une lueur d’espoir se profileà l’horizon. Les responsables de la Gale-rie nationale des beaux-arts affirmentque, cette année, pour la première fois,le ministère fédéral de la Culture et duSport a alloué 25 000 euros au rachatdes œuvres d’art. Ahmed Buric

dans les ateliers d’artistes, ce qui esttoujours mieux que rien. L’atelier dupeintre Mehmed Zaimovic beigne dansla douceur ; la conversation qui com-mence autour d’un café ne tarit pas.“Il est difficile de définir notre public.Ceuxqui savent quelle œuvre d’art ils souhai-tent s’offrir n’ont pas d’argent ; ceux quien ont ne connaissent pas l’art et ne s’yintéressent pas. Quand je vends montableau à quelqu’un, d’une certainemanière nous devenons amis. L’une desconséquences des années difficiles qui sontderrière nous est que les collectionneurs ontpratiquement disparu.Or,avant la guerre,

Bibliothèque nationale de Francesite François-Mitterrand

Grand auditorium, Hall Est Quai François-Mauriac Paris 13e

Le regard des autres

mercredi 17 mars2004

18 h 30 - 20 hentrée libre

leçons de littérature

En association avec Courrier international

conférence

Né en 1943, venu une première fois en France en 1960pour faire l’école de journalisme de Lille, reparti en Grèce, revenu à Paris en 1968 pour s’y installer,Vassilis Alexakis est un homme des allers-retours. Entre deux langues, entre deux pays, entre deux amours.Écrivain, journaliste, dessinateur, homme de radio et homme du rire, il a mis au point entre Athènes et Parisune géographie personnelle et amoureuse, moins faite de lignes de fractures que de lignes de chance et de sens. Vassilis Alexakis est l’auteur d’une quinzained’ouvrages parmi lesquels La langue maternelle(Prix Médicis 1995), Talgo (1997), Paris Athènes (1997),Contrôle d’identité (2000) et Les mots étrangers (2002).

Vassilis Alexakis

www.bnf.fr

697p17 8/03/04 20:14 Page 17

Al Gore. Mais on a déjà vu des pré-sidents se choisir un rival, mêmeacharné, comme John F. Kennedylorsqu’il a fait appel à LyndonB. Johnson en 1960.

En l’an 2000, Gore avait désignéle sénateur Joseph Liebermann – undémocrate conservateur connu pourson combat contre l’immoralité aucinéma et à la télévision – pour ras-surer les électeurs quant au fait que letemps des scandales de Clinton étaitbel et bien révolu. Bush, lui, avait choisiDick Cheney, à la fois parce qu’il l’ap-préciait et le respectait, et parce queCheney était un gage de crédibilité enpolitique étrangère. Plusieurs partisansde Kerry le pressent de choisir un pit-bull démocrate, lequel pourrait atta-quer Bush tandis que Kerry resteraitun peu au-dessus de la mêlée.

Certains conseillers de Kerry pen-sent que Gephardt pourrait être lebon choix. Il est d’une loyauté à touteépreuve, infatigable, et plus disciplinéque n’importe lequel des politiciensen lice. Gephardt dispose de puissantsappuis, notamment de la part des diri-geants syndicaux et de nombreuxdéputés de la Chambre des repré-sentants. De plus, l’un de ses princi-paux conseillers, Steve Elmendorf, estl’adjoint au directeur de campagne deKerry. Les partisans de Gephardt fontvaloir que les démocrates doiventgagner l’élection dans le Middle Westet que Gephardt est le mieux à mêmed’argumenter contre la politique éco-nomique de Bush.

Jim VandeHei

ÉTATS-UNIS

Et le colistier de Kerry sera…Le sénateur du Massachusetts étant maintenant assuré d’être le candidat démocrate à la Maison-Blanche, il lui faut trouver un candidat à la vice-présidence. Un processus beaucoup plus complexe qu’on ne l’imagine.

THE WASHINGTON POSTWashington

D ès le lendemain du“Super Tuesday”, lesénateur John F. Kerrys’est mis en quête d’un

colistier. Profil recherché : un can-didat à la vice-présidence reflétantl’importance historique du Sud etcapable d’arracher au président Bushl’un des “swing States”, les Etats indé-cis qui font la différence.

Contrairement à bien d’autres can-didats à la présidence, Kerry ne pré-sente pas de graves points de faiblesse,comme une inexpérience en politiqueétrangère qu’il devrait compenser ense choisissant un vice-président cré-dible dans ce domaine. L’un des prin-cipaux conseillers de Kerry estime qu’iln’y a pas de “vide à combler”,mais qu’ilfaudrait envisager de nommer un can-didat du Sud, ce qui a été en effet lepréalable à toutes les victoires démo-crates depuis soixante ans. La dernièrefois que les démocrates ont conquis laMaison-Blanche sans la présence d’uncandidat du Sud remonte à 1944, avecle tandem Franklin D. Roosevelt, del’Etat de New York, et Harry S.Tru-man, du Missouri.

Kerry vient de nommer JamesJohnson à la tête de l’équipe de“recrutement” du candidat à la vice-présidence. Cet ancien haut fonc-tionnaire appartient au sérail démo-crate. Jamais un candidat démocratene s’était mis aussi tôt à la recherchede son colistier.Autant dire que Kerrya le sentiment de jouer la montre.

On s’attend à ce que le candidatdémocrate ratisse large pour trouverle bon candidat : il va faire son choixparmi des gouverneurs, des femmes,des minorités et des personnalités poli-tiques d’Etats indécis. Cela lui per-mettra de se placer auprès des déci-deurs et des électeurs, tout en veillantà ne négliger aucun soutien à sa cam-pagne. D’après les hypothèses qui cir-culent en dehors de l’équipe de cam-pagne de Kerry, celui-ci penserait àquatre de ses anciens rivaux à la can-didature : le représentant RichardA. Gephardt (Missouri), les sénateursJohn Edwards (Caroline du Nord) etBob Graham (Floride), ainsi que Wes-ley Clark, général de l’armée de terreà la retraite. Plusieurs gouverneursd’Etats indécis, notamment Tom Wil-sack (Iowa), Edward Rendell (Penn-sylvanie) et Bill Richardson (Nouveau-Mexique), sont également pressentis.Kerry n’exclurait pas la possibilitéd’avoir une colistière, en particulierJeanne Shaheen, ancien gouverneurdu New Hampshire, ou Janet Napo-litano, gouverneur de l’Arizona.

Des démocrates influents n’ap-partenant pas à l’équipe de campagnede Kerry citent aussi les noms de

Robert Rubin [ancien secrétaire auTrésor de Clinton] et de la sénatriceHillary Rodham Clinton (Etat deNew York). “A mon sens”,estime JohnPodesta, ancien secrétaire général dela Maison-Blanche sous Clinton, “BobRubin est le seul candidat capable demettre Bush en difficulté sur la questionéconomique, son grand point faible.”

Le conseiller de Kerry assure quela désignation du candidat à la vice-présidence ne devrait pas avoir lieu

avant le mois de mai, mais certainsdémocrates pensent qu’elle pourraitintervenir plus tôt. Le principal avan-tage d’un choix rapide tient à la pos-sibilité de faire parler de soi pendantune période creuse et de rassemblerdes fonds. Le principal obstacle, c’estle long examen des candidatures.

Généralement, les candidats à laprésidence cherchent un colistieravec lequel ils s’entendent. C’était lecas en 1992, quand Clinton a choisi

COURRIER INTERNATIONAL N° 697 18 DU 11 AU 17 MARS 2004

amériques●

F I N A N C E M E N T

John Kerry va devoir trouver rapidement desdonateurs. Mais il a peu de chances de pouvoirrivaliser financièrement avec George Bush.

Sorti victorieux d’une difficile et coûteusecampagne pour les primaires démocrates,

John Kerry se retrouve avec une caisse relati-vement vide alors qu’il va devoir affronter uneoffensive publicitaire du président Bush. Sescollaborateurs et collecteurs de fonds envisa-gent de continuer sur la lancée de leurs victoiresdu “Super Tuesday” pour entamer dans lessemaines à venir une tournée destinée à leverau moins 20 millions de dollars. Mais les stra-tèges et collecteurs de fonds démocrates sedisent résignés à voir Bush dépenser desdizaines de millions de dollars de plus que leurchampion au cours des prochaines semaines.D’après les stratèges démocrates, la campagnede Kerry va s’appuyer sur la publicité payée parle parti et par des groupes extérieurs indépen-dants pour contrer les messages du camp répu-blicain. Mais c’est un pari risqué, car certainesorganisations n’ont pas le droit de coordon-

ner leur action avec la campagne proprementdite, d’où un éventuel manque de cohérencedes messages. La publicité permettrait auxdémocrates d’empêcher que le président sor-tant ne stigmatise trop vite son adversaireauprès de l’opinion.La plupart des ténors du parti concèdent queleur candidat ne pourra jamais rivaliser avecBush sur le plan financier. L’écart est déjà mani-feste : le sénateur du Massachusetts a quelquesmillions de dollars en banque, tandis que le pré-sident sortant – qui n’a pas eu à affronter desprimaires – dispose de plus de 100 millions dedollars. Si le camp Kerry reste muet sur sonplan d’attaque et sur le montant des donsescompté, il est mieux loti que les démocratesdes élections précédentes parce que le séna-teur a refusé tout financement public. A l’instarde Bush, il est libre de recueillir toutes les contri-butions et de dépenser sans limites au coursdes primaires. Il a collecté plus de 1,2 millionde dollars sur Internet dans les heures qui ontsuivi les scrutins du Super Tuesday. Son frère,Cameron Kerry, a récemment rencontré les col-

lecteurs de fonds en Floride. Son épouse mul-timillionnaire, Theresa Heinz Kerry, a assistéà un déjeuner de levée de fonds en Californie.Mme Kerry a réaffirmé son droit de dépenser del’argent de son côté, du moment que ces fraisne sont pas engagés en coordination avec lacampagne de son mari.Au cours des dernières semaines, l’équipe finan-cière de Kerry s’est consacrée à la formationd’un réseau de collecte de fonds, en faisantappel à de grands spécialistes à travers le pays,de Hollywood à New York. Ce réseau devraitse renforcer dans les semaines à venir, car denombreux partisans restés neutres tant qu’au-cun candidat n’émergeait ont commencé à sejeter dans la mêlée. Ainsi, plusieurs gouverneursdémocrates devraient aller solliciter les dona-teurs. Le producteur Haim Saban, principalbailleur de fonds en 2002 avec 9,4 millionsde dollars, s’est engagé à soutenir le candi-dat investi par le Parti démocrate. Il en est demême du cinéaste Steven Spielberg et de sescollègues de chez Dream Works.

Glen Justice, The New York Times, New York

Les démocrates partent à la chasse au cash

� Hair (chevelure),la comédie musicaledémocrate.Dessin de Mike Lane paru dans The Baltimore Sun,Etats-Unis.

� 11 septembreComme le montrentses premiers spotstélévisés, Bushutilise les attentatsdu 11 septembre2001 comme “uneexplication fourre-tout pour se protégerde ses faiblesses,comme l’économiefragilisée, les déficitsbudgétaires et la réduction deslibertés civiques”,explique le Los Angeles Times.D’après le quotidien,Bush sera réélu si les enjeux de l’élection sontdéfinis par le11 septembre. Maisil pourrait perdre sielle se réduit à laquestion classique : vivez-vous mieux qu’il y a quatre ans ?

697p18-19 8/03/04 17:15 Page 18

THE ECONOMISTLondres

DE WASHINGTON

L’enseignement dispensé parles établissements scolairesaméricains est-il si mauvaisque ça ? Et à quel point la

fraction conservatrice de la popula-tion se méfie-t-elle de l’Etat ? Le déve-loppement du home-schooling, l’en-seignement à domicile, fournit uneréponse à ces deux interrogations.Près de deux millions d’élèves amé-ricains, soit un sur vingt-cinq, enbénéficieraient aujourd’hui. Le suc-cès de cette formule est d’autant plusremarquable quand deux faits sontpris en considération. D’un côté, l’en-gagement des parents. Ils ne choisis-sent pas seulement de tirer un traitsur la gratuité de l’enseignement, maisils sacrifient aussi bien souvent la pos-sibilité d’un deuxième revenu, parceque l’un des deux membres du couple(la mère, généralement) doit resterà la maison pour s’occuper de l’édu-cation des enfants. De l’autre, le défiaux dogmes de l’enseignement public.Depuis à peu près cent cinquante ans,l’éducation obligatoire pour tous a étéle symbole de toute société civilisée.Des sociologues comme Max Webervoyaient dans la domination de l’édu-cation par l’Etat le pendant naturelde la “modernisation”. Pourtant, dansle pays le plus développé de la planète(sous bien des aspects), plus de deuxmillions de parents maintiennent quel’enseignement est une mission quileur revient. Comment en est-onarrivé là ?

Le chiffre de deux millions pro-vient de l’Association de défense juri-dique de l’enseignement à domicile(HSLDA). L’étude la plus récenteréalisée par le ministère de l’Educa-tion n’arrivait qu’à 850 000. Il estprobable que la HSLDA est plus prèsde la vérité. Ce sont leurs donnéesque cite dans ses discours Rod Paige,le ministre de l’Education. Et, mêmesi les gens qui ont opté pour cettesolution ont tendance à refuser derépondre aux enquêtes de l’Etat, biendes indices prouvent que cette pra-tique gagne du terrain.

Le marché du matériel et desfournitures destinés à l’enseignementà domicile s’élève à 850 millions dedollars par an. Plus de 75 % des uni-versités proposent désormais des pro-grammes pour les élèves issus de cesformations. Des réseaux de soutienont fait leur apparition dans des cen-taines de villes dans le pays, permet-tant aux parents de tout faire, de lacréation d’un labo de sciences à la for-mation d’une équipe sportive, en pas-sant par la défense de leurs droits. En2001, quand J.C. Penney a commencéà commercialiser un tee-shirt arbo-rant la mention “Ansaigneman à dau-missile” [Home Skooled], la chaîne degrands magasins a fait l’objet de tant

de plaintes qu’elle a dû retirer le pro-duit de la vente.

Le phénomène est relativementrécent. En 1981, lors de l’accession aupouvoir de Ronald Reagan, il étaitinterdit aux parents de prendre encharge l’éducation scolaire de leursenfants dans la plupart des Etats.Aujourd’hui, c’est un droit garanti parla loi dans chacun des cinquante Etats.Vingt-huit d’entre eux exigent que lesenfants qui suivent ce genre de for-mation se soumettent à une évalua-tion officielle sous une forme ou sousune autre, soit en passant des testsstandardisés, soit en présentant uncatalogue de leurs travaux.Treize Etatsinvitent simplement les parents à tenirles autorités informées de ce qu’ilscomptent enseigner à leur progéniture.Au Texas, les parents n’ont aucunedéclaration à faire.

Si les barrières juridiques qui s’op-posaient à ce système ont volé enéclats dans tous les Etats-Unis, c’està cause de la puissance de la droiteprotestante. Certes, toutes les famillesqui font ce choix ne sont pas des reli-gieux conservateurs. John Holt, l’undes premiers défenseurs de l’ensei-gnement à domicile, était de gauche,et il considérait les établissements sco-laires comme des instruments ducomplexe bureaucratico-industriel.Une vigoureuse sous-section du mou-vement préconise la “déscolarisation”,affirmant que les enfants devraient engros pouvoir se former par eux-mêmes. Par ailleurs, les Noirs sont deplus en plus nombreux à opter pourcette solution.

Mais ce sont les religieux conser-vateurs qui constituent la garde pré-torienne du mouvement. Ils ont com-mencé à préférer l’enseignement àdomicile à partir des années 70, faceà ce qu’ils estimaient être le virage del’éducation vers la gauche laïque.Aujourd’hui encore, ce sont eux qui

défendent le principe avec le plusd’acharnement dans les couloirs duCapitole. Le sénateur Rick Santorums’occupe par exemple de l’éducationde ses enfants – ou plutôt, c’est sonépouse qui s’en charge. Une autreavocate de l’enseignement à domicile,la représentante républicaine MarilynMusgrave, pousse à l’adoption d’uneloi qui clarifierait la situation juridiquedes financements et des bourses pourles élèves issus de ce système.

UNE MÉTHODE QUI PROFITE DU DÉVELOPPEMENT D’INTERNET

George W. Bush a tout fait pour seconcilier les adeptes de l’enseigne-ment à domicile. Pendant la cam-pagne de l’an 2000, il déclarait : “AuTexas,nous considérons l’enseignement àla maison comme une chose qu’il faut res-pecter, qu’il faut protéger. Il faut la res-pecter pour l’énergie et l’engagement demères et de pères aimants. Et la proté-ger des ingérences de l’Etat.” En tant queprésident, il a à plusieurs reprises reçuà la Maison-Blanche des élèves en for-mation à domicile.

Si les syndicats d’enseignants four-nissent nombre de volontaires descampagnes démocrates, la piétaillerépublicaine est souvent composée departisans de cet enseignement. A encroire la HSLDA, 76 % des jeunesde 18 à 24 ans qui ont fait leurs étudeschez eux se rendent aux urnes, contre29 % de l’ensemble de la populationdans cette tranche d’âge. Ils sont enoutre plus susceptibles de contribueraux campagnes et de travailler pourles candidats, républicains la plupartdu temps.

L’idéologie joue donc un rôleincontestable chez les partisans del’éducation familiale. Il ne faut toute-fois pas se leurrer. Pour commencer,il s’agit d’un mouvement populaire,qui voit des parents, toutes couleurspolitiques confondues, prendre indi-

viduellement (et non sur quelqueordre venu d’en haut) la décision deretirer leurs enfants de l’école. Ensuite,le côté utilitaire du mouvement n’estpas à négliger. Ces parents sont effec-tivement convaincus qu’ils peuventoffrir à leurs enfants une meilleure édu-cation chez eux. Ils estiment que cetenseignement personnalisé permet auxenfants d’avancer à leur rythme, plu-tôt que selon un emploi du temps quiagrée aux syndicats d’enseignants. Etqu’ils peuvent étudier les matières qui“conviennent”, fondées sur la traditionjudéo-chrétienne. Certains parentspenchent en faveur d’un cursus clas-sique en trois étapes, la grammaire, ladialectique et la rhétorique (ce quiimplique que les enfants apprennentle grec et le latin). Tout cela peutparaître dépassé, mais les défenseursde ce système vous diront qu’ils ont latechnologie pour eux. Avec Internet,il est de plus en plus facile de suivredes cours à domicile, et il existe désor-mais des communautés virtuelles quipermettent d’échanger facilement desinformations. Le succès même de ceprincipe agit en sa faveur. Bien desparents craignaient qu’en s’occupanteux-mêmes de l’éducation de leursenfants, ces derniers se retrouvent iso-lés. Mais, aujourd’hui, presque toutesles villes du pays s’enorgueillissant deposséder leurs propres réseaux d’ensei-gnement à domicile, cette inquiétudeest presque de l’histoire ancienne. Lesenfants qui vont à l’école chez euxpeuvent jouer au base-ball, faire desvoyages scolaires, et ainsi de suite, avecd’autres enfants comme eux.

Qu’en est-il du niveau de cesélèves ? Le réseau est fier de ses résul-tats : une famille a inscrit trois enfantsà Harvard ; un élève à domicile a publiéun best-seller ; on cite une première,une deuxième et une troisième placeau Concours national d’orthographeen l’an 2000 ; sans parler de la créa-tion de la première université à domi-cile [voir ci-contre]. Selon une étude dela HSLDA, 75 % des adultes de 18 à24 ans qui ont suivi ce genre de for-mation sont entrés à l’université, contre46 % pour l’ensemble de la popula-tion. Ces données ne sont cependantguère concluantes : les élèves qui béné-ficient d’un enseignement à domicilene sont pas tenus de communiquerleurs mauvais résultats. Et puis, ceschiffres s’expliquent peut-être simple-ment par le fait que la plupart de cesétudiants sont issus de la frange la pluséduquée de la population. ■

ÉTATS-UNIS

Deux millions de têtes blondes manquent l’écoleDe plus en plus de parents américains choisissent d’éduquer leurs enfants à la maison. La formule du home-schooling,prônée notamment par la droite religieuse, est désormais acceptée dans tous les Etats du pays.

COURRIER INTERNATIONAL N° 697 19 DU 11 AU 17 MARS 2004

amériques

UniversitéLe mouvement des home-schoolersa désormais sonuniversité, le PatrickHenry College,en Virginie.Cette institutionultraconservatrice,créée en 2000,ne compte que 242 étudiants.Mais elle mise sur l’inscription de 1 600 élèves en premier cycle et 400 en faculté de droit. Plus dequatre sur cinq ont fait leurs étudesà domicile.La religion y est omniprésente : les tableaux despères fondateursdes Etats-Unis en prière sontvisibles partout.Pour y être admis,les étudiantsdoivent notammentdécrire dans une dissertationquel est “leurrapport à Jésus-Christ et le cheminpersonnel qui les a mené à la foi”.Les enseignants,quant à eux, doiventsigner une“déclaration deconception biblique”dans laquelle ils reconnaissentl’explicationcréationniste del’origine de l’Univers.Les étudiants sont fortementencouragés à mettreleurs parents au courant s’ils entretiennentune relationamoureuse.(D’après TheEconomist, Londres)

� W W W . �Toute l’actualité internationale

au jour le jour sur courrierinternational.com

� Dessin de WolfErlbruch paru dans Die Zeit,Hambourg.

697p18-19 8/03/04 17:16 Page 19

VENEZUELA

En attendant une intervention de l’étrangerAlors que la tenue d’un référendum anti-Chávez est encore une fois remise en question, l’opposition rêve d’uneintervention étrangère, s’inquiète un des rares journaux sud-américains à défendre le président vénézuélien.

BRECHAMontevideo

Le Conseil national électo-ral (CNE) vient de mettreen doute la légitimité d’“àpeine” 1,5 million de signa-

tures recueillies par l’opposition en vuede révoquer le mandat présidentiel. Dequoi compromettre une nouvelle foisla stabilité du pays. Les dirigeants del’opposition parlent déjà de désobéis-sance, de refus de se plier aux décisionsdu CNE, continuant peut-être de rêverà un défilé de marines dans les rues deLa Guaira [un des grands ports véné-zuéliens]. Le CNE se propose main-tenant d’étudier les 148 190 listes designatures ayant la même calligraphieet où ne figure pas la signature desdeux observateurs de l’Organisationdes Etats américains (1 481 900 signa-tures au total) et de les faire valider unenouvelle fois par les électeurs. [L’op-position et le CNE négocient actuel-lement sur l’éventuel processus de rati-fication de ces signatures.] La validitéde plus de 1,5 million de signatures estcontestée : signatures en double, voireen quadruple, signatures de mineurs,d’étrangers, avec des cartes d’identitéde personnes décédées ou auxempreintes digitales falsifiées.

“L’opposition vénézuélienne est sipeu présentable”, reconnaît un Argen-tin de la mission de l’OEA, “qu’ellen’est même pas arrivée à recueillir lessignatures nécessaires. Si elle n’était pasaussi arrogante, nous pourrions chercherune porte de sortie consensuelle.” Le pro-blème n’est pas seulement celui dessignatures, il tient aussi au fait que l’op-position est incapable de se présenter

unie à un référendum révocatoire oùelle risque d’être balayée par Chávez.

En plusieurs années de conspira-tion, la nébuleuse de l’opposition n’apas pu se mettre d’accord sur uneplate-forme commune, et encoremoins sur un candidat. La questionreste toujours : après Chávez, quoi ?Après l’échec du coup d’Etat [du11 avril 2002, qui avait duré quarante-sept heures] et le sabotage pétrolier[longue grève de décembre 2002 àfévrier 2003], les opposants saventqu’ils ne sont pas capables, seuls, derenverser Chávez. Dès lors, leur pro-gramme occulte semble être le suivant :tentative de déstabilisation puisdemande d’intervention étrangère.

Les observateurs de l’OEA et leCentre Carter ont jugé “raisonnableset légitimes” les doutes du Conseilélectoral. “La validité des signatures estdouteuse sur certains formulaires, où lescoordonnées des gens présentent des simi-litudes d’écriture”, assure FernandoJaramillo, le Colombien qui se trouve

à la tête de la mission des observa-teurs de l’OEA.

Le rapport de l’OEA précise qu’“ilfaut déterminer si une personne a signépour une autre”. Le département d’Etataméricain et l’opposition vénézué-lienne, ainsi que leurs alliés de la droiteeuropéenne, ont cependant tenté dejeter le discrédit sur le Conseil élec-toral. Ils estiment que la seule manièrede garantir la paix est d’organiser unréférendum, indépendamment dunombre de signatures valides. L’op-position vénézuélienne, Richard Bou-cher [porte-parole du départementd’Etat américain], Roger Noriega[chargé de l’Amérique latine au dépar-tement d’Etat américain], US News& World Report et certains médiascommerciaux présentent une versionbiaisée des événements au Venezuela.L’ingérence a atteint des proportionsaberrantes et inadmissibles depuis que

Charles Shapiro est ambassadeur desEtats-Unis [à Caracas]. Il donne sonavis sur des questions qui ne concer-nent que les Vénézuéliens et a déjà crééau sein de son ambassade un “bureaupour la transition” censé être utileaprès la chute de Chávez. Il faut serappeler que les Etats-Unis n’ont pascondamné les putschistes. Il est parailleurs avéré que Washington financeles principaux mouvements d’opposi-tion et a ainsi versé des millions de dol-lars pour la campagne du référendumrévocatoire contre le président Chá-vez, par le biais de l’association Súmate[qui a notamment organisé le recueildes signatures et dont Hugo Cháveza affirmé à la télévision avoir la“preuve” qu’elle avait reçu 53 400 dol-lars de la National Endowment forDemocracy (Fondation américainepour la démocratie)].

Aram Aharonián

COURRIER INTERNATIONAL N° 697 20 DU 11 AU 17 MARS 2004

amériques

R É P U B L I Q U E D O M I N I C A I N E

Des coupures de courant de huit à douze heures par jourAlors que l’élection présidentielleapproche, le pays est presque en faillite.

Il y a presque un an de cela, l’armée a dûprotéger le siège d’Unión Fenosa [compa-

gnie d’électricité espagnole] dans la capitalede la République dominicaine. Víctor Geró-nimo haranguait la foule. Son discours étaitpresque anticolonial : “Qu’ils s’en aillent,qu’ils arrêtent de spolier le peuple, de fairesortir l’argent du pays en fraude pour l’em-porter en Espagne !” A la suite de ces mani-festations, la compagnie d’électricité a dûnégocier la rupture d’un contrat de conces-sion de vingt ans et se retirer avec une pertede 160 millions d’euros et des dettes gou-vernementales d’un montant de 340 millionsd’euros. “Ils se sont aventurés dans un paysoù la sécurité juridique est précaire, où ungouvernement peut plier et ne pas respecterles contrats signés par son prédécesseur”,indique une source patronale. L’activistemétis Víctor Gerónimo est le porte-parole du

mouvement populaire qui a paralysé le payspendant quarante-huit heures fin janvier pourdénoncer la cherté de la vie et la politiqueéconomique du gouvernement de HipólitoMejía [sept personnes sont mortes lors demanifestations réprimées par le gouverne-ment]. Ennemi de la privatisation, il a accuséUnión Fenosa de faire payer très cher la dis-tribution d’énergie et de ne pas avoir tenu sapromesse de fournir dix-huit heures d’élec-tricité aux 238 quartiers les plus pauvres dupays en échange du versement par l’Etat de73 millions d’euros par an. “La population acontinué à subir des coupures de courant dehuit à douze heures par jour”, a-t-il précisé.Selon d’autres sources, le problème résidedans le fait que l’alimentation en électricité“revient cher ici, et que personne n’a voulupayer ce prix”. L’opération de démolitionmenée contre Unión Fenosa a effrayéd’autres entreprises et porté atteinte à lacrédibilité institutionnelle de ce pays de huitmillions d’habitants aigris par les coupures

de courant, les manifestations, les ajuste-ments fiscaux, la dévaluation de sa monnaie– qui a perdu plus de la moitié de sa valeuren un an – et l’inflation la plus élevée d’Amé-rique latine, avec un taux cumulé de 43 % en2003. La baisse du pouvoir d’achat et l’ap-pauvrissement n’ont pu être évités. “Le seulqui puisse arranger cela est Jésus-Christ.L’homme ne peut rien faire”, affirme LourdesFernández, une femme au foyer de 45 ans.La situation pourrait être fatale si quatre sec-teurs ne continuaient pas à apporter de l’oxy-gène et des devises : le tourisme, qui restesain et florissant pour les entreprises espa-gnoles ; l’investissement étranger (quoiqueen baisse) ; les zones franches ; les 2 mil-liards de dollars (10 % du PIB) envoyéschaque année par les émigrés dominicains(un peu plus de un million) à leurs familles,dont plus de 90 % vivent aux Etats-Unis. Lemanque de liquidités et de réserves a assom-bri l’horizon jusqu’à l’élection présidentielledu 16 mai prochain, et ce malgré le déblo-

cage prévisible d’une aide d’urgence de600 millions de dollars par le FMI. “Ils peu-vent dire ce qu’ils voudront sur l’incidencede facteurs extérieurs, cet échec doit êtreattribué au gouvernement”, soutient un tech-nicien européen. Le tumulte politique a com-mencé lorsque le président a décidé de bri-guer un second mandat, à l’encontre del’idéologie du Parti révolutionnaire domini-cain (PRD), qui exclut la réélection. Pour pou-voir se présenter à nouveau, Mejía a modifiéla Constitution, dans la meilleure traditionlatino-américaine. “Le pouvoir s’exerce, etquiconque dira le contraire ferait aussi biende se mettre à la coiffure”, a-t-il déclaré.La faillite frauduleuse de trois banques l’an-née dernière a entraîné une perte de 2,6 mil-liards de dollars pour le pays, soit plus de50 % du budget de l’Etat. Pour “sauver le sys-tème financier”, le gouvernement s’est servides bons du Trésor et des économies de cen-taines de milliers d’épargnants.

Juan Jesús Aznárez, El País, Madrid

� “Référendum :Préférez-vous uncoup d’Etat :– de l’opposition– du présidentChávez.”Dessin de PatrickChappatte paru dans l’InternationalHerald Tribune,Paris.

C O N S T I T U T I O N

■ Selon la Constitution vénézuélienne,tout élu peut être révoqué par référen-dum à mi-mandat. Il faut pour cela réunirles signatures de 20 % de l’électorat(2,4 millions de signatures dans le casprésent) sur une pétition demandant l’or-ganisation d’un référendum. Le recueildes signatures contre Chávez a eu lieuen octobre. Le Conseil national électo-ral, chargé de leur vérification, a annoncélundi 1er mars que, sur les 3,4 millionsde signatures recueillies, seules1 832 493 étaient valides. Si le réfé-

rendum avait lieu, il faudrait encore, pourque Chávez soit révoqué, que l’opposi-tion obtienne un nombre de voix supé-rieur au score obtenu par le présidentaux élections de l’an 2000 (3 757 763)et qu’il y ait une participation électoralesupérieure à 25 %. Et, pour que des élec-tions soient organisées, il faut impéra-tivement que le référendum ait lieu avantle 19 août 2004. Dans le cas contraireet même si Chávez était révoqué, ceserait le vice-président qui gouverneraitjusqu’en 2006.

Le référendum en question

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Publicite 20/03/07 16:05 Page 56

ISTOÉSão Paulo

Le président Luiz Inácio da Sil-va et le noyau dur du pouvoirsont convaincus que le gou-

vernement a pour l’instant réussi àéviter l’ouverture d’une enquête par-lementaire relative au scandale tou-chant Waldomiro Diniz, ex-sous-chefdes Affaires parlementaires à la pré-sidence. Le “Waldomirogate” a écla-té le 13 février dernier, lorsqu’on aappris l’existence d’une cassette vi-déo montrant, en 2002, ce proche duministre de la Maison civile [équiva-lent de Matignon] en flagrant délitde tractations avec l’un des caïds dela loterie clandestine, Carlinhos Ca-choeira, dans le but de financer lescampagnes électorales de certainsélus du Parti des travailleurs (PT).Cernés de tous bords depuis, les té-nors du gouvernement, jusqu’alorssur la défensive, ont contre-attaqué,en plein carnaval, par la mesure pro-visoire 168, qui interdit le bingo [jeude hasard très prisé des Brésiliens] etles machines à sous sur l’ensembledu territoire. Un comité d’expertsavait déjà, dès le 5 janvier, préconi-sé l’abolition de ces jeux. On ne s’enest pourtant souvenu qu’après les ac-cusations portées contre l’ex-conseiller du ministre de la Maisoncivile, José Dirceu. “Le président en-tend approuver l’intégralité des huit ar-ticles de cette mesure provisoire : il n’yapportera aucune modification”, pré-vient Aldo Rebelo, ministre de la Co-ordination politique (Parti commu-niste du Brésil), devançant ainsi lesréactions du lobby des bingueiros[ceux qui travaillent dans les jeux dehasard], regroupant une vingtaine deparlementaires emmenés par GilmarMachado, du PT. “Nous devons nousmontrer déterminés et approuver la me-sure provisoire, si possible dès la premiè-re semaine”, affirme Rebelo, après une

réunion avec les leaders de la base al-liée dès le début de mars. Cette me-sure provisoire est toutefois précédéede huit autres, ce qui peut faire traî-ner les choses.

Bien décidés à ne pas lâcher lesrênes, les ténors du gouvernementont tout tenté pour sortir l’affaire descoulisses du Planalto [palais prési-dentiel] et laisser Diniz tenter seul sachance devant la police fédérale etrépondre à l’enquête diligentée parla Maison civile [le gouvernementavait immédiatement annoncé qu’ilouvrait une enquête]. Le jeudi desCendres, le président a réuni la Coor-dination politique pour orchestrerd’autres actions et étouffer le scan-dale. La rencontre, organisée entreautres avec José Dirceu, AntônioPalocci (ministre des Finances),Jacques Wagner (Conseil de déve-loppement économique et social),Aldo Rebelo et Luiz Dulci (secréta-riat général), a permis de mettre aupoint une autre série de mesures,

baptisée “agenda positif”. La premièred’entre elles, annoncée dès le lende-main par Patrus Ananias, ministre duDéveloppement social, s’engageaità avancer de six mois les mesures duprogramme Bourse-Famille. L’ob-jectif était d’en faire bénéficier4,5 millions de familles d’ici àdécembre 2004, mais le gouverne-ment a décidé, pour limiter au mini-mum la casse, d’avancer de six moisce qu’il avait promis pour la fin del’année. “Il n’est bon pour personne delier les questions sociales à des problèmesmineurs de dénonciation”, déclarequant à lui Ananias.

LES EMPLOYÉS DES LOTERIES ONT MANIFESTÉ

En ce début mars, le gouvernementtente à nouveau d’échapper auxretombées de l’affaire WaldomiroDiniz. João Paulo Cunha, présidentdepuis deux jours de la Chambre desdéputés, tout pénétré de son rôle, aréuni les leaders des partis représen-tés à la Chambre pour accélérer unprojet incertain de réforme politiquequi traîne au Congrès depuis unedécennie. Comme on a pu le consta-ter, l’objectif est d’amener la discus-sion sur le financement public descampagnes, qui devrait théoriquementbannir toute corruption électorale.“La meilleure réaction de la Chambre estd’affronter le débat et de réformer notresystème électoral et celui des partis”,affirme Cunha. Les opposants nequitteront pas la table et promettentégalement de réagir. “Je n’ai pas encoresuffisamment de signatures pour deman-der la formation d’une commission d’en-quête parlementaire, mais je suis sûr depouvoir réunir les vingt-sept signaturesrequises.Et ce n’est pas du bluff”,affirmeAntero Paes de Barros, sénateur duParti social-démocrate brésilien(PSDB). “Les choses se sont calmées.J’espère que nous ne commettrons pasd’autres erreurs et que nous retourneronsà nos affaires au gouvernement et au

Congrès”,conclut Sigmaringa Seixas,député PT, vice-leader du gouverne-ment et ami de Dirceu, en faisant allu-sion aux récents faux pas du PT, effec-tués en communiquant sur l’affaire.Depuis, Dirceu est devenu muet surWaldomiro.

Si le vent tourne en faveur du gou-vernement au Congrès, il n’en va pasde même dans la rue et devant les tri-bunaux.Vingt-trois actions ont déjàété intentées en justice par des bin-gueiros remettant en cause la légalitéde la mesure provisoire.A Santa Cata-rina, le jeu a été autorisé, interdit,autorisé à nouveau, puis interditencore, le tout en moins de soixante-douze heures.

Força Sindical, l’organisationsyndicale dirigée par Paulo Pereira daSilva, dit Paulinho, compte organiserde grandes manifestations début marscontre la mesure antibingo. Selon lesinformations du syndicat, la mesureprovisoire a attiré l’attention de lapopulation sur les 320 000 employésdes 1 100 maisons de jeu du pays.Paulinho, qui fut candidat à la vice-présidence dans le cadre de la coa-lition menée par Ciro Gomes lors dela dernière élection présidentielle,dénonce l’opération de diversion dugouvernement. “Cette mesure provi-soire est destinée à détourner l’atten-tion du Planalto.Le gouvernement traiteles travailleurs des établissements de jeucomme s’il s’agissait de bandits. Il feraitmieux d’arrêter les véritables criminels,ceux qui utilisent le bingo pour le crime”,affirme Paulinho. Fin février, lesemployés des établissements de jeude tout le pays ont défilé pour pro-tester contre la mesure. A Brasília, ungroupe de travailleurs de la capitaleet de l’Etat de Goiás a défilé avec sif-flets et banderoles devant un Congrèsdésert. Seuls le temps et la dépositionde Waldomiro, début mars, diront sile gouvernement a fait le bon choix.Les paris sont ouverts.

Ugo Braga et Weiller Diniz

BRÉSIL

Pas de bingo cet hiver pour la “maison Lula”Un premier scandale de corruption, touchant aux loteries, éclabousse le gouvernement brésilien. Pour fairediversion, le chef de l’Etat a pris des mesures sociales. Mais des députés veulent ouvrir une enquête parlementaire.

COURRIER INTERNATIONAL N° 697 22 DU 11 AU 17 MARS 2004

amériques

P O R T R A I T

■ La stature politique de José Dirceu,l’homme fort du gouvernement Lula, risqued’être considérablement réduite par le scan-dale de corruption impliquant son ex-conseiller.Et l’on est en droit de se demander si leministre de la Maison civile (équivalent duPremier ministre) sortira indemne de cettecrise et si le gouvernement serait capable dese passer de lui s’il démissionnait. Lasemaine dernière, son agenda a paru plu-tôt inhabituel : il s’est rendu avec une délé-gation présidentielle à Belém, dans l’Etat duPará, pour inaugurer la dernière étape d’unprojet d’urbanisation. Depuis l’élection deLula, Dirceu s’est à peine échappé trois foisde Brasília, et il y est toujours resté quand leprésident s’est absenté. Le Planalto [palais

présidentiel] semble paralysé par l’affaire quitouche le ministre. Car Dirceu, 57 ans, véri-table machine à faire de la politique depuisses années de militantisme étudiant, avaitendossé jusque-là sans conteste l’habit de“superministre” du gouvernement.Il a prouvé par le passé (il a été prisonnier,puis exilé pendant la dictature) qu’il était assezsolide pour résister à l’adversité. Mais le faitd’avoir été désigné comme le responsable dela perte de crédibilité de l’administration fédé-rale pourrait cette fois-ci entamer son éner-gie. Pendant la semaine qui a précédé le car-naval, le ministre a proposé deux fois sadémission au président (qui l’a refusée). “Ill’a fait non pas avec le ton du désespoir, maisd’une manière cérébrale, agissant comme si

son départ était la meilleure solution pour legouvernement”, a commenté un de ses col-lègues. Les 500 courriers électroniques, télé-grammes et lettres de soutien qu’il a reçusdepuis le début de la crise ne l’ont consoléen aucune manière. Il a pris la peine derépondre aux manifestations de solidaritémais plutôt sèchement. Et a même prévenules gestes d’amitié de ses plus proches amisen leur demandant : “Ai-je vraiment besoin desoutien ?”Les déclarations du sociologue Luiz EduardoSoares, ex-membre du gouvernement, l’ontobligé cependant à adopter une position défen-sive. Soares a en effet affirmé que les rela-tions de Diniz avec le milieu du jeu clandes-tin étaient connues depuis longtemps et

notamment par plusieurs membres du Partides travailleurs (PT).Il est regrettable que le PT, avec son histoiresi particulière dans le paysage politique bré-silien, soit mis en cause dans un scandalepareil. Il risque de payer chèrement son atti-tude pendant la crise. En voulant enterrer lacommission d’enquête parlementaire et mini-miser l’étendue des accusations, à la manièrede n’importe quel autre parti brésilien, il laisseune impression de malaise. Désorienté, para-lysé, le PT n’a proposé que des idées extra-vagantes, comme celle d’organiser une mani-festation nationale de soutien à Dirceu. Or ilfaudrait beaucoup plus que cela pour rendreau “superministre” sa stature d’avant la crise.

(D’après Veja, São Paulo)

Un superministre dans la tourmente

� Dessin de Vlahovicparu dans NIN,Belgrade.

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Publicite 20/03/07 16:05 Page 56

CHINE

C’est officiel : la propriété privée est légaleLes délégués de l’Assemblée nationale populaire, réunis jusqu’au 14 mars, doivent introduire la notion de propriété privée dans la Constitution et adopter des mesures en faveur des campagnes.

sentant presque 70 % de la popula-tion, il est devenu urgent d’entendreleurs doléances. “Compte tenu dunombre de paysans, la prospérité sera unbut inatteignable pour tout le pays si lesagriculteurs ne parviennent pas à gagnerd’argent”,a récemment déclaré ChenXiwen, l’un des responsables des fi-nances au sein du Parti.

Pékin a donc répondu à cetteinquiétude en publiant un “Documentn° 1 ” sur le sujet, similaire à cinq autresédités entre 1982 et 1986, tous signéspar Deng Xiaoping, l’ancien numéro

de culture spéciales permettront d’arrêter le déclin des récoltes et d’atteindre l’objectif de productionde 455 millions de tonnes en 2004.Toutes les autres taxes sur les culturescommerciales – à l’exception dutabac – devraient être supprimées. Lesavantages fiscaux accordés pour sti-muler l’économie rurale seront accom-pagnés de mesures très strictes en vuede mettre fin aux injustices socialesdont sont victimes les paysans et lessaisonniers. Les inspecteurs chargésdes cas de corruption ont reçu l’ordred’abandonner leurs enquêtes pourtraiter les plaintes concernant l’ac-quisition illégale de terres arables, lessalaires non payés aux saisonniers [lesarriérés de salaires sont estimés entre12 et 40 milliards d’euros], ainsi queles cotisations et frais prélevés sansautorisation. Les questions rurales ne vont pas manquer de tenir les délé-gués de l’ANP occupés : ceux-ciauront en outre moins de temps queles années précédentes à consacreraux débats. En effet, le gouvernementa décidé de poursuivre la logique defrugalité que veulent actuellementimposer les hauts dirigeants et d’éco-nomiser de l’argent en écourtant ladurée de la session. Elle ne devraitdurer que dix jours, contrairementaux précédentes, qui pouvaients’étendre sur deux fois plus de temps.

Antoaneta Bezlova

COURRIER INTERNATIONAL N° 697 24 DU 11 AU 17 MARS 2004

ASIA TIMES ONLINEHong Kong

DE PÉKIN

L a session annuelle de l’As-semblée nationale populaire(ANP), qui s’est ouverte le5 mars dernier, va marquer

la disparition de l’une des caractéris-tiques du communisme : la Chine aen effet décidé d’inscrire le droit à lapropriété privée dans sa Constitution.Jamais le pays n’avait entrepris deréforme aussi importante depuis quetoutes les terres sont devenues la pro-priété de l’Etat, lors de la révolutioncommuniste de 1949. Les questionsrurales seront donc au centre des tra-vaux qui réunissent les 2 900 membresde l’Assemblée. Le mérite d’une telleréforme revient aussi au présidentJiang Zemin, qui avait préparé le ter-rain en intégrant les capitalistes au seindu Parti communiste chinois [depuisnovembre 2002, le PCC n’est plusexclusivement réservé à “l’avant-gardeprolétarienne et paysanne”]. Le nouveaugouvernement s’est donc empresséd’apposer son sceau sur le programmede travail de l’ANP.

Depuis leur arrivée au pouvoir, leprésident Hu Jintao et son Premierministre,Wen Jiabao, cherchent à don-ner une image de leaders plus prochesde la population et plus sensibles à sespréoccupations. Promettre d’allégerles charges qui pèsent sur les paysanset de résoudre les inégalités socialescroissantes est donc devenu une obli-gation. La priorité accordée aux ques-tions rurales dans cette session del’ANP est davantage qu’un simplegeste politique destiné à renforcer l’as-sise de la nouvelle équipe dirigeante.L’aggravation des problèmes dans lescampagnes risque en effet de freinerle dynamisme de l’économie chinoiseet de transformer les manifestationssporadiques de mécontentement enexplosions plus fréquentes et plusimportantes.

La stagnation des revenus rurauxa refroidi l’ardeur des agriculteurs,entraînant depuis cinq ans une baissede la production céréalière. La pers-pective d’une pénurie a provoqué l’inquiétude des responsables de laplanification. La Chine a récolté430,6 millions de tonnes de céréalesen 2003, soit 5,8 % de moins qu’en2002, ce qui ne suffit pas à couvrir lesbesoins du pays. Les paysans, dont le pouvoir d’achat a peu augmenté,n’ont pas pu contribuer à l’essor dela consommation intérieure, jugéessentiel par les économistes chinoispour alimenter la croissance. D’aprèsle Bureau national des statistiques, lerevenu rural moyen a augmenté l’an-née dernière de 4,3 %, soit cinq pointsde moins que celui des citadins. Les900 millions de paysans chinois repré-

asie ●

un du régime, décédé en 1997, ettous axés sur les questions rurales. En9 000 mots, le texte dévoile le plandu gouvernement pour transformerla campagne en nouveau moteur decroissance. Cela passe par une augmentation des dépensespubliques, une forte réduction de lacharge fiscale qui pèse sur les agricul-teurs et la formation des paysans à desemplois dans les secteurs des serviceset de l’industrie en milieu urbain.

ALLÉGER LES IMPÔTS ET METTRE FIN AUX INJUSTICES

Mais, surtout, le gouvernement envi-sage d’attribuer un nouveau budgetde 150 milliards de yuans [14 milliardsd’euros] aux campagnes, soit environ30 milliards de yuans de plus que l’an-née dernière. Si ce budget est adopté,affirme Chen Xiwen, les sommesdépensées pour répondre aux reven-dications des agriculteurs atteindrontun record dans l’histoire du gouver-nement communiste. Une importantepartie de cette enveloppe devrait êtreutilisée pour développer les industriessecondaires et tertiaires dans les cam-pagnes, afin de réduire la pauvreté etde créer des emplois pour les millionsd’ouvriers agricoles qui émigrent enmasse vers les villes. Pékin espèrequ’un allégement des impôts sur lescéréales d’environ 1 % (sur les 8,4 %actuels) et la mise en place de zones

■ Les réunions annuelles de l’As-semblée populaire nationale (ANP)et de la Conférence consultativepolitique du peuple chinois(CCPPC), qui ont lieu au printempsà Pékin, sont devenues un rituelpolitique de la Chine moderne.Les représentants de l’ANP et dela CCPPC viennent de tout le payset forment l’élite politique chi-noise. Parmi eux, il y a de nom-breux membres des par tis dé-mocratiques. Aujourd’hui, huit par-tis politiques et une associationde citoyens sont reconnus par lesautorités : la Ligue démocratiquede Chine, l’Association pour laconstruction démocratique de laChine, l’Association chinoise pourla démocratie, le Comité révolu-tionnaire du Kouomintang de Chi-ne, le Parti démocratique paysanet ouvrier de Chine, le Zhi GongDang de Chine, la Société Jiu San,la Ligue pour l’autonomie démo-cratique de Taïwan et l’Associa-tion de l’industrie et du commer-ce. Ces organes recrutent plutôt

leurs membres à la manière degroupes de réflexion. Par exemple,la Ligue démocratique concerneplutôt des intellectuels de haut ni-veau des universités et des ins-tituts de recherche, l’Associationpour la construction démocratiqueregroupe des gens des milieuxéconomiques et de l’entreprise,l’Association pour la démocratierecrute seulement parmi les en-seignants, le Comité révolution-naire est limité aux anciensmembres du Kouomintang et àleurs descendants. Les partis dé-mocratiques ont été associés augouvernement après 1949, et ilserait difficile aujourd’hui de re-trouver le même niveau de par-ticipation politique. Par exemple,dans le premier gouvernementcentral, parmi les quatre Premiersministres, deux ne faisaient paspartie du Parti communiste chi-nois (PCC). Aujourd’hui, le rôle po-litique des partis démocratiquess’est affaibli. Certains comparentles relations entre le PCC et les

partis démocratiques à une cho-rale. Les partis démocratiques se-raient les choristes et le PCC lemaître de chorale. Mais les huitpartis démocratiques représen-tent 600 000 personnes alorsque le PCC compte 67 millionsde membres. Il y a donc cent foisplus de maîtres de chorale quede choristes ! Au sein des partisdémocratiques, la nouvelle géné-ration est insatisfaite de son peude participation à la vie politiqueet commence à demander des ré-formes, pour exercer un contrô-le réel et un contre-pouvoir. Ils par-ticipent activement au gouverne-ment, procèdent à des contrôlesdémocratiques, et leur inquiétu-de augmente au sujet de la rigi-dité du système politique, de lacorruption des fonctionnaires oudu retard de l’enseignement. Leurrôle constructif ne peut être né-gligé. Mais la place et les capa-cités d’intervention dans la viepolitique des par tis démocra-tiques sont déterminées par le

PCC. Chen Xiqing, vice-directeurdu département du Front uni duComité central du PCC [en char-ge des relations avec les Chinoisd’outre-mer], explique que le sys-tème chinois des partis politiquen’est ni un système à un seul par-ti, ni un système à plusieurs par-tis, mais un système “à la chi-noise” de coopération et de né-gociation politique entre plusieurspartis, avec le PCC comme diri-geant. Selon lui, le PCC et les par-tis démocratiques sont indépen-dants et égaux, mais ces derniersacceptent de se soumettre à ladirection du PCC. Cette explica-tion, qui n’est pas sans contra-diction, montre bien le statut am-bigu des par tis démocratiqueschinois. Si leur combat pour ob-tenir un droit de contrôle et uneparticipation au pouvoir pouvaits’insinuer dans le PCC, cela se-rait d’une grande aide pour le dé-veloppement de la démocratie àl’intérieur du Parti.

Yi Ming, Lianhe Zaobao, Singapour

R É F O R M E

Les partis démocratiques veulent jouer un rôle

� Sur le meuble :Au service du peuple.Dessin de Wang Mi,Pékin.

697p24 8/03/04 18:45 Page 24

BANGKOK POSTBangkok

L’humilité et l’autocritiquene sont pas le fort de notrePremier ministre. Pourtant,le 6 mars, dans son émis-

sion de radio hebdomadaire Rencontreavec le peuple, Thaksin Shinawatra areconnu avoir fait preuve de précipi-tation dans le projet de privatisationde la Compagnie de production élec-trique de Thaïlande (EGAT) et il aannoncé sa décision de reporter l’in-troduction de la société en Bourse,initialement prévue pour le mois demai. [Pendant quinze jours, plusieursdizaines de milliers de personnesavaient manifesté leur hostilité au pro-jet gouvernemental.] Le chef du gou-vernement a déclaré qu’“il était revenusur le projet [la veille], après s’être plusamplement informé auprès des ministresconcernés”. Convaincu jusque-là quela privatisation recueillait un largesoutien, il s’était demandé quels mal-entendus avaient conduit le peuple às’y opposer. “J’ai eu tort de hâter laprocédure, mais je souhaite que la pri-vatisation se fasse dans les plus brefsdélais afin que nous ayons une comp-tabilité plus claire : les actifs d’un côté,le passif de l’autre. La dette publiquediminuera et l’entreprise se développera.La gestion sera plus transparente grâceaux contrôles et à la participation dupeuple.Telle est notre vision des choses”,a poursuivi Thaksin Shinawatra.

Thaksin Shinawatra a admis quecertains points du plan de privatisationappelaient des éclaircissements, enparticulier la méthode d’allocation desactions et la création d’un organe decontrôle chargé de superviser lesopérations de production d’électricité,ainsi que la tarification. Il a soulignéque le syndicat d’EGAT et l’opinionpublique avaient tort de croire que legouvernement permettrait aux inves-tisseurs étrangers d’acquérir jusqu’à25 % des actions. Mais il a ajouté qu’ilétait inutile de tenir d’autres audiencespubliques sur la privatisation, qui neferaient que retarder le projet.

Tout en reconnaissant ainsi sestorts, le chef du gouvernement a pré-cisé que sa décision de reporter l’in-troduction en Bourse d’EGAT neremettait pas en cause sa politique deprivatisation. “Je tiens à signaler que laquestion n’est pas de faire marche arrièreou non, mais d’éclaircir certains pointset de défendre les intérêts du pays et dupeuple, tout en prenant en considérationla situation des salariés”, a-t-il déclaré.

D’aucuns pourront voir ce retoursur la position extrêmement tranchéed’il y a quelques jours comme unedéfaite du Premier ministre et unevictoire du syndicat d’EGAT, mais,pour moi, il représente simplement letriomphe de la raison. Si Thaksin Shi-nawatra et le syndicat avaient campéfermement sur leurs positions respec-tives en ignorant l’opinion de l’autre,on aurait assisté à une confrontationqui n’aurait bénéficié à personne, ycompris le public.

Je ne sais si c’est la Makha Bucha[la fête bouddhique qui commémore,lors de chaque printemps, le jour où

1 250 moines se sont réunis pourentendre les enseignements de Boud-dha] qui a poussé le Premier ministreà faire son autocritique. Mais ce gested’humilité est le bienvenu, même s’ilest rarissime chez un homme connupour son assurance, sa déterminationet sa certitude d’avoir toujours raison.

L’INCAPACITÉ À ENRAYER LA VIOLENCE “INVISIBLE”

Il n’est pas toujours réaliste de vouloirrégler les choses du jour au lendemainou dans des délais trop courts. Il suf-fit de penser à tous ces pauvres genslicenciés parce qu’ils ne parviennentpas à régler une situation dans lesdélais impartis par des patrons impa-tients. C’est le cas, par exemple, dugénéral Pongsak Ekbannasingh, com-mandant de la IVe armée, chargé de lasécurité dans les provinces frontalièresdu Sud, qui risque d’être limogé parThaksin Shinawatra, de plus en plusirrité de voir cette région en proie àune violence sans fin. [Les troubles ontéclaté au début de l’année, où une opé-ration a été menée contre une base del’armée dans la province méridionalede Narathiwat. Plusieurs centainesd’armes ont été volées et quatre sol-

dats ont été tués. Le sud de la Thaï-lande est une région où vit une fortepopulation musulmane, qui a connudes violences séparatistes dans lesannées 70 et 80.]

Or le problème, dans le sud dupays, est complexe. Il ne peut êtrerésolu par un simple changement decommandement, décision capable toutau plus de satisfaire l’impatience duPremier ministre. C’est comme si leprésident Bush limogeait l’adminis-trateur civil en Irak, Paul Bremer, enraison de son incapacité à enrayer laviolence des guérillas “invisibles”.Gageons qu’en remettant en cause sonimpatience Thaksin Shinawatra seraamené à revoir ses projets sur le com-mandement des provinces méridio-nales et d’autres questions, comme ill’a fait pour son plan de privatisationd’EGAT. Veera Prateepchaikul

THAÏLANDE

Pour une fois, le Premier ministre fait montre d’humilitéConnu pour son arrogance, Thaksin Shinawatra a été contraint de revenir sur l’une de ses décisions face à l’opposition syndicale. Il a annoncé le report du projet de privatisation de la compagnie nationale d’électricité.

COURRIER INTERNATIONAL N° 697 25 DU 11 AU 17 MARS 2004

asie

P O L I T I Q U E

■ Milliardaire de la télécommunication et des médias, Thaksin Shinawatra asu rester populaire depuis sa victoire électorale, en 2001. Mais, depuis le débutde l’année, il est confronté à plusieurs difficultés : la crise de la grippe aviaire,longtemps cachée par les autorités ; la gestion hasardeuse des violences dansles provinces méridionales à forte population musulmane, qui ont connu desmouvements séparatistes par le passé ; et l’opposition syndicale et populaireau projet de privatisation d’EGAT (lire l’article ci-dessus). Avec les vagues desmanifestations qui, durant deux semaines, ont drainé plusieurs dizaines demilliers de Thaïlandais dans la rue, le Premier ministre a dû affronter non seu-lement l’opposition classique des démocrates, mais aussi celle des classespopulaires, qui formaient jusque-là son principal soutien. En outre, ses relationsavec la presse demeurent toujours tendues. Ne supportant pas la critique, lePremier ministre aurait récemment fait pression sur le Bangkok Post pour quesoit écarté l’un des responsables de la rédaction.

Premières difficultés pour Thaksin

� W W W . �Toute l’actualité internationale

au jour le jour sur courrierinternational.com

� Dessin de Springsparu dans le Financial Times,Londres.

697p25 8/03/04 20:30 Page 25

THE WEEKCochin

Le visage de Surajit DebBama, un ancien militantde la guérilla séparatistequi sévit dans l’Etat indien

du Tripura [entre le Bangladesh etle Myanmar], exprime un dégoûtévident. Aujourd’hui, ce ‘sergent-major’de 33 ans se lamente : “Noschefs vivaient dans les grandes villes etmenaient grand train, alors que nous,nous sacrifiions notre vie pour la cause.”Ecœuré par le mode de vie des diri-geants de la Force des Tigres du Tri-pura (ATTF), il a quitté le mouve-ment et a déposé son fusil devantl’armée régulière en avril dernier.Un autre ancien militant, Surajit, filsd’un agriculteur tribal, raconte. Il arejoint la milice de l’ATTF en 1997et, au cours des six années qui ontsuivi, il a participé à plusieurs assas-sinats et enlèvements. Mais il n’a pastardé à se rendre compte qu’il étaiten train de se faire rouler. Sanjit DebBarma, un autre extrémiste qui s’estrendu, résume cette lassitude :“Nous, on menait une vie spartiate. Etpendant ce temps les grands chefs, eux,s’amusaient.”

Comment ces dirigeants pou-vaient-ils vivre dans le luxe ? D’oùvient l’argent ? La réponse est simple :la guérilla est devenue un vrai com-merce dans le nord-est du pays. Unofficier du renseignement haut placéa indiqué à notre magazine que lesbandes armées qui sévissent au Tri-pura (dont l’ATTF et les deux fac-tions de la Force nationale de libéra-tion du Tripura) ont extorqué60 millions de roupies à la popula-tion ces trois dernières années. “Tantque ces milices feront régner la terreurà la campagne, elles ne seront jamais àcourt d’argent”, assure un haut fonc-tionnaire. Les enlèvements représen-tent l’activité la plus lucrative.Entre 1999 et 2003, les différentsgroupes extrémistes ont kidnappé1 377 personnes et en ont tué plu-sieurs, même après avoir touché larançon. “En tout, 864 otages ont étélibérés après le versement de sommesimportantes”, rapporte un policier. Ace jour, 380 autres habitants ont dis-paru sans laisser de traces. De plus,la plupart des travailleurs des envi-rons d’Agartala [la capitale du Tri-pura] sont régulièrement rackettés.“Les milices ont chacune leur chasse gar-dée”, poursuit le représentant desforces de l’ordre. “Un groupe nemarche pas sur le territoire d’un autre.D’ailleurs, les militants distribuent destracts détaillant les sommes à payer. Ilsdélivrent aussi des reçus.” L’ATTF amême un tarif forfaitaire annuel etles fonds sont généralement achemi-nés vers les cachettes des chefs auBangladesh. Une grande partie de

l’argent sert à l’achat d’armes, maispas la totalité. “Nos chefs détournentune grosse quantité d’argent”, accuseRamendra Deb Barma, un ancien“collecteur d’impôts” âgé de 29 ans.“La rébellion, ça paie”, résume un hautfonctionnaire. “N’importe qui peutgagner des centaines de milliers de rou-pies du moment qu’il est armé d’un fusil.”

DE BRILLANTES RECONVERSIONSDANS LES AFFAIRES

En 1979, alors que le mouvementinsurgé n’en était qu’à ses débuts auTripura, sept jeunes gens éduqués seréunirent dans l’Etat voisin d’Assam,dans la ville historique de Sibsagar,pour former le Front uni de libéra-tion de l’Assam (ULFA). AurobindaRajkhowa fut alors élu président dunouveau groupe, mais ce n’est qu’en1986 que l’ULFA est passé sur ledevant de la scène, avec l’arrivée aupouvoir du parti Asom GanaParishad [Associations des peuplesde l’Assam, parti régionaliste].Entre 1986 et 1991, l’ULFA a tué1 233 personnes – dont 910 civils et323 agents du maintien de la paix –et capturé 687 otages, dont 312 seu-lement ont pu acheter leur libération.On est toujours sans nouvelles desautres. “Depuis dix-sept ans, l’ULFAdoit avoir levé 2 milliards de roupiesd’‘impôts’et de rançons dans les cam-pagnes”, estime Tarun Gogoi, le Pre-mier ministre de l’Etat. Comme dansle cas du Tripura, l’argent sert engrande partie à acheter des armes,

mais un agent des renseignementsexplique qu’“il est aussi investi dansl’hôtellerie et l’immobilier au Bangla-desh, en Assam, à Calcutta et à Delhi”.Rajkhowa et un autre chef important,Paresh Barua, se trouvent d’ailleursactuellement à Dacca, où “ils viventdans des bungalows bien gardés”.

La désillusion envers les chefs,largement répandue chez les mili-tants, constitue du pain bénit pourle gouvernement. “Nous pourronscombattre la guérilla si nous arrivons àrégler simultanément les deux grandsproblèmes du sous-développement et duchômage, commente Tarun Gogoi.Nous sommes en train d’essayer de les

résoudre. Si nous réussissons, alorsl’ULFA appartiendra certainement aupassé.” Mais, à en juger par ce quis’est passé jusqu’ici, les chefs de larébellion n’en souffriront guère. Lesdirigeants de l’ULFA qui ont déposéles armes s’en tirent déjà fort bien.Sunil Nat, l’ancien secrétaire à la pro-pagande du mouvement, est copro-priétaire d’un journal. Un autreancien chef du mouvement, JugalKishore Mahant, réussit brillammentdans les affaires. Sallen Dutta Kon-war, qui a dirigé la branche armée,possède une florissante entreprise decharbon. Et Munim Nobis, qui aappartenu à la branche armée, estégalement devenu un homme d’af-faires prospère. “On se pose toujoursdes questions sur l’origine des capitauxinvestis par les anciens dirigeants del’ULFA”, souligne un journaliste deGuwahati [la capitale de l’Assam].“Il suffit à un jeune homme de seconvertir à l’extrémisme pour trouverbeaucoup d’argent au bout de son fusil.Il ne lui reste plus qu’à se rendre à lapolice après avoir fait suffisamment debénéfices et à se fondre dans la société.”A l’évidence, c’est le moment pourles Che Guevara locaux d’endosserle costume d’Henry Ford.

Tapash Ganguly

COURRIER INTERNATIONAL N° 697 26 DU 11 AU 17 MARS 2004

SRI LANKA

Tigres de Jaffnacontre Tigresde Batticaloa

L’est du pays est le théâtre d’undrame au sein des Tigres libé-rateurs de l’Eelam tamoul [les

LTTE, groupe séparatiste du nord-estdu pays]. En effet, les rebelles connais-sent une véritable scission depuis ladissidence puis le limogeage sans autreforme de procès du commandant dela région Est, le rétif colonel Karuna.Beaucoup redoutent un conflit entrela hiérarchie rebelle de l’Est et les loya-listes de Kilinochchi, la base du mou-vement dans le nord de l’île.

Ceux qui s’opposent à un accordde paix avec les séparatistes espérerontpeut-être que les moyens militaires etla capacité à marchander des Tigres ensortiront affaiblis. Les Tamouls de l’Est,peu satisfaits de ce qu’ils considèrentcomme la domination du Nord, sui-vent également de près l’évolution dela situation. Dans l’Est, les musulmansaussi craignent d’éventuelles réper-cussions, les affrontements intercom-munautaires fratricides que pourraitdéclencher l’effondrement de la rigideorganisation des LTTE dans la région.Les inquiétudes des musulmans del’Est sont légitimes, car ils ont déjà vécucette situation avant le cessez-le-feu de2002 et ont encore à l’esprit les vio-lences antimusulmanes perpétrées pardes foules d’émeutiers tamouls aprèsl’accord de cessez-le-feu. Ils n’ont pasoublié que le commandement régio-nal des LTTE à l’Est n’est parvenu nià mettre un terme à ces émeutes, nimême à empêcher certains de ses élé-ments de se joindre aux agressionscontre les musulmans.

En fait, la cassure politique actuelleentre le haut commandement desTigres et un commandement régionalest le reflet de la différence tradition-nelle entre les deux grandes compo-santes de la communauté nationaletamoule : entre les Tamouls du Nordet ceux de l’Est ou, pour être plus pré-cis sur le plan culturel et géographique,entre les Tamouls de Jaffna et ceux deBatticaloa. Dans le même temps, cettescission révèle les problèmes des LTTEdans les domaines de la parité et de laprise de décision. Finalement, l’initia-tive de Karuna ne constitue peut-êtreque les prémisses d’un processus plusgénéral d’autodétermination dans lenord-est du pays. Les disparités socialesdans cette partie de l’île sont telles queles habitants, lassés de l’homogénéitéet du consensus qui leur sont imposés,souhaitent davantage de pluralité etd’autonomie locale. Bien sûr, le gou-vernement et la présidence ont immé-diatement rappelé leur engagementenvers l’accord de cessez-le-feu entrela direction centrale des rebelles etColombo, écartant toute possibilité,pour une faction orientale des LTTE,de négocier une paix séparée. Mais,même si toutes les parties espèrent queces complications ne compromettrontpas l’ensemble du processus de paix,ce répit n’est peut-être que temporaire.

Sunday Observer, Colombo

asie

� Dessin de Rancisco Lança et Joana imaginárioparu dans Diario deNoticias, Portugal.

INDE

Pour faire fortune, passez par la guérillaDepuis des années, les milices du nord-est du pays rackettent et rançonnent la population. Certains chefs vivent confortablement au Bangladesh. D’autres ont misbas les armes et ont réinvesti leurs profits.

T I B E T

H i m a l a ya

S. SIKKIM.

S.

MEGHALAYA

MANIPUR

NAGALA

ND

ARUNACHAL PRADESH

MIZORAMBENGALE-

OCCIDENTAL

BHOUTAN

I N D E

I N D EMYANMAR

BANGLADESH

NÉPAL

CHINE

Tropiquedu Cancer

Golfedu Bengale

T R I P U R A

A S S A M

AgartalaAgartala

Dacca

Calcutta

Sibsagar

Guwahati

0 300 km

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Publicite 20/03/07 16:05 Page 56

JAPON – ÎLES MARSHALL

Les Marshallais ont-ils servi de cobayes ?Le 1er mars 1954, un essai nucléaire américain a irradié des habitants des Marshall, ainsi que des pêcheurs japonais. Un drame sur lequel la lumière est loin d’être faite.

� CommémorationLe 1er mars 2004,cinquante ans jourpour jour aprèsl’essai d’une bombeà hydrogèneaméricaine de grandepuissance,les îles Marshall ont demandé aux Etats-Unis de prendre leursresponsabilités et d’indemniser de manière plus substantielleles victimes de leursessais nucléaires.En effet,les autoritésmarshallaises,qui dénombrentprès de600 irradiés,estiment aujourd’huiinsuffisants les 270 millions de dollars de compensationque Washington a accordés auxhabitants del’archipel. Au mêmemoment au Japon,dans la petite villede Yaizu, le portd’attache du Fukuryûmaru V,dont l’équipage a été irradié,un défilé decommémoration a rassemblé2 000 personnes,avec la participationde John Anjain,chef du village de Rongelap lors de l’essai nucléairede 1954. Parmi les 23 membres de l’équipage,12 sont morts,pour la plupart du cancer.

ASAHI SHIMBUNTokyo

De 1946 à 1958, les Etats-Un i s on t p rocédé à67 essais nucléaires dansles îles Marshall. La puis-

sance totale de ces essais correspondà l’explosion de 7 000 bombes ato-miques du type de celle de Hiroshima,qui seraient larguées à raison de11 par semaine. L’essai thermonu-cléaire (connu sous le nom de “Bra-vo”) effectué le 1er mars 1954 surl’atoll de Bikini a été particulièrementpuissant, équivalant à l’explosion de1 000 bombes de type Hiroshima. Leshabitants de l’atoll de Rongelap, censéêtre situé en dehors de la zone dan-gereuse, ainsi que l’équipage dubateau japonais Fukuryûmaru V quipêchait le thon dans des eaux préten-dument sûres, ont été irradiés (six moisplus tard, l’opérateur radio AikichiKuboyama est décédé).

Un demi-siècle s’est écoulé de-puis la tragédie de Bikini. Depuis1947, les îles Marshall étaient soustutelle onusienne administrée par lesAméricains. Un an avant leur misesous tutelle, la marine américaine ademandé aux habitants l’autorisationd’effectuer des essais nucléaires surleur territoire. L’accord, censé êtretemporaire, s’est révélé permanent.Aujourd’hui, une importante basede défense antimissile américaine estétablie dans ce secteur. L’archipel arécemment accepté d’étendre lestermes du bail à 2006, car la locationdes terrains à l’armée représente unegrosse source de revenus.

LE JAPON N’EST PAS LE SEUL PAYS ATOMISÉ

Dans les années 80, les îles Marshallont signé des accords avec les Etats-Unis et sont devenues une républiquelibrement associée à ceux-ci en 1986.Depuis cette date,Washington versedes indemnités compensatoires auxhabitants des atolls de Bikini, de Ron-gelap, d’Enewetak et d’Utrik pourles dommages causés par les essaisnucléaires. Mais le gouvernementaméricain et les autochtones n’ont pasla même perception de la “vérité surBikini”. Pour les Américains, l’irra-diation des habitants de Rongelap, quine se trouvaient pas dans la zone dan-gereuse, est due à un changement dedirection des vents imprévu. Pour lesautochtones, les Etats-Unis savaientpertinemment que les vents allaienttourner mais ils ont omis d’évacuerles habitants, manquant ainsi à leurobligation de protéger les sujets pla-cés sous leur tutelle.

D’autre part, au dire des Améri-cains, c’est en toute bonne foi que lesEtats-Unis ont fourni des soins médi-caux aux victimes des radiations. Mais,si l’on en croit les Marshallais, ils l’ontfait dans le but de recueillir des don-nées scientifiques et militaires privilé-

giant la recherche plus que le traite-ment. Enfin, d’après la version amé-ricaine, seuls les habitants de Ronge-lap et d’Utrik ont été exposés à desdoses élevées de radiations lors de l’es-sai Bravo. Mais, selon les autochtones,l’aide médicale a été limitée à quatreatolls alors que des maladies dues àl’irradiation telles que le cancer sontapparues sur d’autres îles.

Après la guerre froide, l’admi-nistration Clinton a déclassifié unnombre important de documents offi-ciels relatifs à l’essai Bravo. On a alorsdécouvert : primo, que l’armée avaitbien prévu un changement de direc-tion des vents ; secundo qu’elle avaitinjecté ou fait ingérer des substancesradioactives aux habitants de Ronge-lap ; et que, tertio, les Etats-Unisavaient prévu la mise en œuvre du“Projet 4.1” pour étudier les effetsde l’irradiation sur les autochtones.Même s’il est impossible de dire quele programme américain a été conçuà des fins purement expérimentales,Washington a reconnu qu’une partiedes recherches avait été effectuée dansun but autre que le traitement.

J’ai appelé le ministre des Affairesétrangères des îles Marshall, GerardZackios, pour lui demander son avis.Selon lui, “il reste énormément de chosesà faire, notamment dans les domainesdes soins médicaux, de la décontamina-tion de l’environnement, de l’octroi d’in-demnités supplémentaires et de la réins-tallation des habitants.A l’occasion du50e anniversaire de l’essai Bravo, les îlesMarshall veulent que les Américainset les autres peuples du monde aientconnaissance des conséquences tragiquesde ces essais. Pour remédier à cet état dechoses, le gouvernement marshallaiscontinuera à faire pression pour que laquestion soit abordée durant les audiences

publiques du Congrès.” Les Marshal-lais, incapables de se débarrasser del’idée qu’ils ont été utilisés commecobayes, veulent une réponse caté-gorique des Etats-Unis. “Quelle qu’elleait pu être, nous tenons à connaîtrela nature de l’expérience réalisée le1er mars 1954, affirme M. Zackios.Certes Washington a rendu publics desdocuments officiels, mais certains para-graphes ont été masqués à l’encre noireet présentés comme des ‘informationsconfidentielles’. Nous voulons que toutela lumière soit faite sur ce projet.”

Le drame du bateau de pêchejaponais, qui s’est trouvé pris dansune pluie de cendres radioactives prèsde l’atoll de Bikini, a donné naissanceau mouvement antinucléaire nippon.Celui-ci s’est heurté à toutes sortesde problèmes, notamment les conflitsd’intérêts entre les courants socia-listes et communistes, l’exagérationde la “victimisation” et l’antiaméri-canisme propagés par certains de sesmembres, ainsi que la “ritualisation”de la colère et des prières [pour neplus voir une telle tragédie]. En mêmetemps, l’essai de Bikini nous a con-duits à porter un autre regard surHiroshima et Nagasaki.

Cependant, dans notre vision de latragédie de Bikini, nous avons eu ten-dance à nous concentrer sur la condi-tion de victimes des habitants de l’atollet à oublier la responsabilité du Japond’avant la Seconde Guerre mondialedans la militarisation et la colonisationdes îles Marshall [elles ont été occu-pées par les Japonais de 1918 à 1944].De surcroît, alors que ces Marshal-lais sont des victimes au même titreque nous, nous avons continué à nousconsidérer comme le seul pays à avoirété ravagé par un feu nucléaire.

Yoichi Funabashi

COURRIER INTERNATIONAL N° 697 28 DU 11 AU 17 MARS 2004

asie

“SHI NOHAI”

LES CENDRESDE LA MORT

Le 1er mars 1954 fut un jourfuneste pour les Japonais et

pour les habitants des îles Mar-shall : un essai nucléaire améri-cain effectué sur l’atoll de Bikinitourne à la catastrophe, contami-nant les populations locales, ainsique l’équipage d’un chalutier japo-nais, le Fukuryûmaru V. Neuf ansaprès Hiroshima et Nagasaki, unepluie de cendres radioactives – les“cendres de la mort” – s’abattaitde nouveau sur des civils. Onconçoit sans peine que ce tragiqueaccident renforça la pensée paci-fiste née de la défaite de 1945.Mais sans doute faut-il insisterégalement sur le fait que, bienavant Tchernobyl, les cendres dela mort signifièrent aux Japonaisl’entrée de l’archipel dans unemodernité confrontée à des ris-ques qu’elle-même a produits.Dans un Japon alors déchiré parl’opposition droite-gauche faisaitbrusquement irruption une inquié-tude indépendante des appar te-nances sociales. Celle-ci fut à l’ori-gine des premiers mouvements decitoyens, dont celui, légendaire,initié par une femme au foyer qui,en mai 1954, lança une pétition,recueillant en un an plus de 32 mil-lions de signatures, qui allaientconverger vers le fameux mani-feste Bertrand Russel-Albert Ein-stein de 1955 dénonçant la pro-duction d’armes nucléaires. Cesactions eurent tôt fait d’être récu-pérées par les politiques. Maisl’accident nucléaire de 1954 n’endemeura pas moins dans l’histoirejaponaise comme le momentd’une prise de conscience collec-tive, qui permit à chacun de pren-dre conscience précisément que“dans les situations de menace,c’est la conscience qui déterminel’être” (Ulrich Beck).

Kazuhiko YatabeCalligraphie de Michiyo Yamamoto

LE MOT DE LA SEMAINE

Ile Wake(É-U)

Minami-Tori(Japon)Iles Volcano

(Japon)

Iles Bonin(Japon)

Okinawa(Japon)

Ile de Guam (É-U)

Tokyo

Yaizu

Dalap-Uliga-Darrit

MARIANNESDU NORD

(É-U)

Tropiquedu Cancer

Equateur

JAPON

ÎLES MARSHALL(associées aux É-U)

Etats fédérés deMICRONÉSIE

(associés aux É-U)

PALAU(associé aux É-U)

KIRIBATI

C-N

C-S

CHINE RUSSIE

OCÉAN

PACIFIQUE

0 1 000 kmCourrier international

Enewetak

Atoll de Bikini

Utrik

Rongelap

Kwajalein0 300 km

165° Est

10° Nord

Bases américainesdans l’océanPacifique

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Publicite 20/03/07 16:05 Page 56

� Fait maisonLe Daily Times du Pakistan s’élève contre ceux qui accusent les Américainsd’avoir fomenté les attentats et rappelle qu’enjuillet 2003, déjà,une mosquée chiiteà Quetta avait étéprise pour cible(50 morts) et qu’en juin dernier12 recrues chiitesde la police étaient abattues par des terroristes.Auparavant,des pamphletsantichiites avaientété distribués dans la ville.“Il faut reconnaîtreque, dans ce pays,de plus en plus de gens adoptentdes attitudessectaires, conclut le quotidien deLahore. Il est tempsque nous nousattaquions à nospropres mythes,plutôt que d’accuser les étrangers.”

AL HAYATLondres

Au cœur du Caire, le visiteurest choqué de lire des prisesde position qui s’apparen-tent à des armes de des-

truction massive – des déclarations pré-tendant exalter l’islam, alors qu’on nesaurait en imaginer de plus nuisibles.Un exemple parmi tant d’autres : l’uni-versitaire Muhammad Emara, que l’ondécrit comme un penseur musulmanéclairé, écrivait récemment dans lejournal [gouvernemental] Al Akhbarun article intitulé “Jérusalem attend unnouveau Saladin”. Les idées principalesen étaient les suivantes :– Saladin a mené une grande etlongue bataille idéologique et cultu-relle pour faire triompher le sunnismesur le chiisme afin d’“unir la commu-nauté musulmane sous la bannière dusunnisme, avant d’engager la batailledécisive pour la libération de Jérusalem”[des croisés en 1187].– Saladin a fait fermer la grande mos-quée université du Caire Al Azhar, quienseignait le credo chiite, jusqu’à cequ’elle adopte le sunnisme, et il a faitpasser l’Etat, le savoir religieux, la pen-sée, l’enseignement et le corps judi-ciaire au sunnisme.– Saladin “s’est employé à consolider unfront généralisé, consacrant toutes ses éner-gies et ses capacités, mobilisant toutes sesplaces fortes pour mener à bien sa straté-gie de libération et il a fait preuve d’uneextrême sévérité envers les idées et les phi-losophies contraires au sunnisme.Il a exter-miné les propagandistes du chiisme etordonné à son fils, gouverneur d’Alep, demettre à mort le philosophe iranien Suh-rawardi (1154-1191),en raison des doutesque faisaient surgir ses idées.En effet,Suh-rawardi brouillait les cartes entre les dif-férentes civilisations et cultures, plaçantPlaton et Zarathoustra [Zoroastre] auniveau du prophète de l’islam,mêlant aris-totélisme, inspiration chaldéenne et Coran,ce qui ne pouvait qu’affaiblir le front de

la pensée, alors que le conflit qui oppo-sait l’islam à l’ennemi extérieur deman-dait au contraire que les différences soientclairement exposées,afin que l’adversaireparaisse haïssable, condition sine qua nonde la mobilisation et de la victoire.”

Ce que veut donc dire notre bonPr Muhammad Emara à tous les res-ponsables du monde musulmanactuel, c’est que, s’ils veulent libérer

Jérusalem et triompher de l’ennemi,ils doivent commencer par fortifierle front intérieur en se débarrassantdes chiites et en exterminant leur pen-sée. Il aurait dû ajouter à la stratégiede Saladin les fosses dans lesquellesson héros fit jeter les livres chiites. Lebon Pr Emara aurait dû par ailleursrelier cette politique aux fosses com-munes en Irak, qui ont si puissamment

COURRIER INTERNATIONAL N° 697 30 DU 11 AU 17 MARS 2004

moyen-orient●

■ Cent cinquante-deux morts, près de six cents blessés : les attentats antichiites du 2 mars en Irak etau Pakistan ravivent les tensions entre les deux grandes branches de l’islam, chiite et sunnite. ■ Dans les pays du Golfe, où les chiites forment des minorités, on s’inquiète. ■ En Irak, ils veulent leurrevanche… ■ Des voix, comme celle du poète Adonis, appellent à la raison. Seront-elles entendues ?

ISLAM La nouvelle violence contre les chiitesDOSSIER

Adonis : “Gare à l’épuration confessionnelle !”

■ Implantation Les chiites ne représen-tent qu’un peu plus de 10 % des musul-mans. Dans certains pays, notammentdu Golfe, leur nombre est important. Ilssont majoritaires en Irak, en Azerbaïd-jan, à Bahreïn et en Iran. En Arabie Saou-dite, ils sont installés autour des champspétrolifères du nord-est du pays.■ Histoire Le chiisme remonte à 680, àla Fitna, la “Grande Discorde”, un trau-matisme qui reste profond. Elle déchirala communauté musulmane sur laquestion de la succession du Prophète.Cer tains considérèrent que seuls lesmembres de la famille du Prophète pou-vaient lui succéder. Ils voulaient donc voirAli, cousin, fils adoptif et gendre de Maho-met, devenir calife, mais il fallut attendrevingt-quatre ans et trois autres califesavant la désignation d’Ali. La commu-

nauté était divisée entre ses partisanset la majorité dont est issu le sunnisme.Ali fut battu par les armées omeyades,puis assassiné. Hussein, son fils, repritle flambeau, mais fut massacré avec sestroupes à Kerbala en 680. Puis leschiites considérèrent que la lignée d’Alise perpétuerait par des imams initiés (àne pas confondre avec l’imam sunnite,qui ne fait que conduire la prière). ■ Courants Les “duodécimains” consi-dèrent que le 12e imam s’est “occulté”en 873 et reste invisible jusqu’à sonretour, à la fin des temps, en tant quemahdi (messie). Ils représentent 90 %des chiites. L’autre groupe, appeléismaélien, ou “septimain”, ne reconnaîtque sept imams. De nombreuses sous-divisions se sont développées, mais leschiites eux-mêmes ne les reconnaissent

pas forcément. Pourchassés, ils se sontsouvent réfugiés dans les montagnes duMoyen-Orient, tels que les druzes et lesalaouites, ou encore les zaïdites. Bienque les alaouites soient considérés parles sunnites comme des apostats quiméritent la mort, la “dynastie républi-caine” qui règne en Syrie est alaouite.En Turquie, les alévis forment un impor-tant sous-groupe, très attaché à la laï-cité. Le seul pays où le chiisme a pus’épanouir est l’Iran, passé au chiismeau XVIe siècle et depuis principal foyer decette croyance. ■ Pratiques Les chiites se distinguentpar la vénération qu’ils vouent à Ali etqui est dénoncée par les sunnitescomme idolâtre. Par ailleurs, les chiites,contrairement aux sunnites, ont unclergé très hiérarchisé.

C L É S

Un schisme plus politique que religieux

� Dessin de Stephff,Thaïlande.

Dès juillet dernier, le poète syrien – qui est alaouite – mettait en garde contre les idéologues musulmans qui désignent les chiites comme les ennemis à abattre.

contribué à consolider le front inté-rieur de Saddam Hussein, qui aimaitse présenter comme le valeureux des-cendant de Saladin.

De telles prises de position ne sont-elles pas en réalité une insulte à l’in-telligence de cette majorité sunnite aunom de laquelle on s’exprime ? N’est-ce pas un appel à éliminer tous ceuxqui expriment une opinion différente,surtout si cela est présenté comme unecondition nécessaire pour que la“majorité” triomphe d’Israël et desEtats-Unis ? Comment combattrel’impérialisme venu de l’extérieur avecce type de mentalité, illustré par le bonPr Emara et qui représente le modèlele plus achevé de la pire forme d’im-périalisme intérieur, impérialisme dela vérité unique… Finalement, cetimpérialisme de l’intérieur demeure lemeilleur allié de celui de l’extérieur.

On pourrait écrire des volumes surles thèses que développe notre penseuréclairé. On pourrait les discuter sur lesplans politique, philosophique et social,y voir le symptôme d’un mal historico-culturel redoutable au cœur de l’islam,un mal mortel et insultant pour toutesles valeurs de raison, de liberté et dedignité humaine. Adonis

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Alévis

AlaouïtesDruzes

ZaïditesYÉMEN

TURQUIE

SYRIE

IRAK

IRAN

OMAN

ARABIE SAOUDITE

AFGHANISTAN

PAKISTAN

LIBAN

AZERB.TADJIKISTAN

KOWEÏT

BAHREÏN

É.A.U.

ÉGYPTE

JORD.

SOUDAN

ÉTHIOPIE

ÉRYT.

ISRAËL

ARM.

GÉORGIE

TURKMÉNISTAN

OUZBÉKISTAN

KIRGH.

CHINE

QATAR

INDE

KarbalaNadjaf

QomMechhed

85 %

5 %

55 %

1 %

70 %

30 %

2 % 16 %

18 % 1,5 %

15 %

1 %

60 %

12 %

70 % 25 %

35 %

Alévis

AlaouïtesDruzes

Zaïdites

LES CHIITESDANS

LE MONDE*

Courrier international

Principaux lieux saints du chiisme

Part des chiites

dans la population totale de chaque pays

Autres courantsissus du chiisme

Marron le plus foncé : plus de 70 %

Marron le plus clair : à partir de 1 %

Moins de 1%

x %

Présence de chiites septimaniens (ou ismaéliens),deuxième courant après celui, majoritaire, des “duodécimains”

500 km0

* Il existe par ailleurs des communautés

chiites émigrées aux Etats-Unis et en

Afrique orientale.

breuses tribus comptent dans leursrangs aussi bien des chiites que dessunnites. Ce mélange rend donc plusdifficiles des affrontements de typeconfessionnel. En outre, le lien natio-nal, ethnique ou politique prime sur lelien religieux. Ainsi, les Kurdes, quisont pourtant sunnites, se sentent plusproches aujourd’hui des chiites arabesque des Arabes sunnites. Enfin, sur unplan socio-économique, la pauvretén’est pas structurelle mais davantageliée à la crise politique actuelle qu’à unétat de pauvreté endémique. L’Irak esten effet un pays potentiellement riche.Une fois cette crise surmontée, il pour-rait rapidement changer et devenir l’undes Etats les plus riches du Moyen-Orient. Le niveau d’alphabétisation yest en plus comparable à celui des paysarabes les plus développés. Dans cesconditions, l’aspiration au changementet à la modernité devrait l’emportersur le traditionalisme.Avant d’être liésà un affrontement confessionnel inté-rieur, les attentats qui viennent d’avoirlieu en Irak sont le résultat de facteursextérieurs au pays. Ils sont donc trèscertainement le fait de groupes prochesd’Al Qaida qui ont décidé d’utiliserl’Irak comme le lieu d’affrontementidéal avec les Etats-Unis, au besoin entransformant le pays en un vastechamp de bataille interethnique etinterconfessionnel qui deviendrait unvéritable bourbier pour les Etats-Unis.

Mehran Karimi

SHARGHTéhéran

Les lieux saints du chiisme enIrak viennent d’être ensan-glantés par plusieurs atten-tats barbares. Le même jour,

le Pakistan était lui aussi le théâtre d’unattentat provoquant la mort de fidèlesen train de participer à la cérémoniede commémoration de l’imam Hus-sein. Malgré cela, le Pakistan et l’Iraksont en réalité très différents. L’extré-misme et les affrontements religieuxentre sunnites et chiites sont une réa-lité récurrente au Pakistan. Mais l’Irak,qui fut pourtant le lieu de la scissionayant donné naissance à ces deuxgrands courants de l’islam, a finale-ment été relativement épargné par l’af-frontement chiite-sunnite au cours dudernier siècle. Si Saddam Hussein aopprimé les chiites, il n’a pas pourautant permis à la religion sunnite des’épanouir. Il avait en effet des posi-tions généralement antireligieuses etce n’est qu’au cours de ces dernièresannées que le régime baasiste a teintéson discours de symboles religieux,allant ainsi jusqu’à faire inscrire “AllahAkbar” [Dieu est le plus grand] surle drapeau national, essentiellementdans le but de séduire l’opinion dansl’ensemble du monde arabe.

Ce qui se passe aujourd’hui en Irakn’est donc pas l’affrontement de deuxextrémismes, le sunnite et le chiite.

Certes, l’élément religieux sembledésormais omniprésent chez les chiitesd’Irak, mais il s’agit là avant tout d’uneréaction qui fait suite à trente-cinq ansde mise sous tutelle de la religion parle régime baasiste, tandis que chez lessunnites l’activisme religieux constitueune réponse à la présence militaireaméricaine dans le pays. D’ailleurs,l’islamisme politique radical en tantque tel n’est dominant ni chez leschiites ni chez les sunnites en Irak.

La différence du niveau de violenceconfessionnelle entre l’Irak et le Paki-stan est également une conséquence dela différence de niveau de vie.Avec unepopulation d’au moins 150 millionsd’habitants et une économie très faible,le Pakistan doit faire face à une pau-vreté chronique et il est constammenten butte à de nombreux problèmeséconomiques. Cette conjoncture diffi-cile conjuguée à une corruption omni-présente constitue un vivier idéal pourles mouvements fondamentalistes.

La situation est donc très différenteen Irak. Si la structure traditionnelleet tribale y est dominante, le fonda-mentalisme n’y est pas aussi fortementimplanté. Les sunnites irakiens appar-tiennent ainsi en majorité à la branchechafiite du sunnisme, qui parmi lesquatre grandes écoles juridiques dusunnisme constitue celle qui est la plusproche des chiites. Qui plus est, l’ap-partenance ethnique prime en Irak surl’appartenance religieuse, et de nom-

Jusqu’ici tout allait bienEn Irak l’imbrication confessionnelle était forte. Cette cohabitation est mise à rudeépreuve par ceux qui veulent transformer le pays en un bourbier pour les Etats-Unis.

COURRIER INTERNATIONAL N° 697 31 DU 11 AU 17 MARS 2004

moyen-orient

DOSSIER

En 680, Hussein, petit-fils de Mahomet, fut massacré par des musulmans à Kerbala. Depuis, ses adeptes se rendenten pèlerinage de pénitence dans cette ville. Quand donc les chiites dépasseront-ils le culte du deuil ? se demande le poète libanais Abbas Baydoun, lui-même chiite.

Que révèle le cortège des millions de chiites qui se dirigevers Kerbala ? Ces bannières noires [couleur du chiisme],

ces foules en sanglots, se lamentant et se frappant le visage,grattant le sol pour se couvrir de poussière ? Des pleurs enmémoire de l’imam Hussein, l’“Absent”, dans un monde oùtout est absence, des soupirs en regret de l’imam vénéré.Ils sont des millions sur le chemin de Kerbala, pas encore sor-tis du coma dans lequel l’Histoire les a plongés. Défiler parmillions, pleurer et gémir en communauté pour redevenir unpeuple. Mais… quel chemin emprunter ? Leur itinéraire n’estencore qu’une procession, célébrant leur imam regretté, péni-tents portant des cercueils jusqu’à son mausolée, confondusen excuses et en sanglots, répétant leurs rites de repentir.Puis voici qu’arrive tardivement – dans le repentir et l’expia-tion – la résurrection de la communauté chiite qui succède àune mort symbolique. L’effacement était équivalent de mort,le mutisme de trahison, la soumission de péché. Aujourd’hui,ils ont rendez-vous avec leur résurrection pour émerger enfinde la poussière de Kerbala. Environ 60 % des Irakiens seraientchiites. Difficile donc de les considérer comme une simple obé-dience religieuse ou une secte. Au cours de l’Histoire, ils

ont été tour à tour royalistes, communistes, baasistes et démo-crates et, en tant que communauté, ils ont bien sûr connu desdifférends. Mais leur vénération envers Ali [quatrième calife,gendre du Prophète] leur a permis de surmonter les doutes etde résister aux pressions. Ce que Saddam Hussein a faitaux chiites, il l’a fait à l’ensemble du peuple irakien, et c’estau prix de millions de morts et d’exilés que Saddam Hus-sein a gouverné. Ce qui se passe aujourd’hui pourrait êtrela résurrection de l’ensemble de l’Irak. Il est probable que cettesortie du tombeau, dans lequel le dictateur avait enterré vivantsplus particulièrement les chiites, fasse peur autour d’eux etles effraie eux-mêmes. Il se peut que les chiites ne comprennentpas pourquoi tout ce sang a été versé, mais ils ne se trom-peront pas sur le sens de cet augure : leur maître spirituelAli et son fils l’imam Hussein ont, eux aussi, été tués sur leseuil du lieu saint, leur sang en imprègne encore les portes.Abdelhamid al-Khoï [dignitaire chiite assassiné en avril 2003]et Mohammad Baqer al-Hakim [autre dignitaire chiite, assas-siné en août 2003], ainsi qu’une centaine de personnes priantavec lui aux portes du mausolée, étaient peut-être des vic-times expiatoires de plus ! Mais, cette fois-ci, les millions célé-brant le souvenir de l’imam Hussein finiront bien par trouverla bonne voie. Le temps n’est plus loin où les chiites n’aurontplus besoin de célébrer leur résurrection et redeviendront unpeuple. Une autre Histoire s’ouvre maintenant devant eux, uneHistoire où il sera question d’Etat, de politique et de rassem-blement national. Abbas Baydoun, An Nahar (extraits), Beyrouth

P E R S P E C T I V E S

Bientôt le temps de la résurrection

� BoucémissaireAccuser les Etats-Unis d’êtreresponsables des attentats contre les chiitesest commode,souligne Al Hayat.Vrai ou faux,peu importe.Car cela permet un consensus entresunnites et chiites.A l’inverse, désignerles sunnites comme responsablesrisquerait de précipiter le pays dans la guerre civile.

� Dessin de Schrank paru dansThe Independent,Londres.

697p30-31-32 8/03/04 20:53 Page 31

ASIA TIMES ONLINEBangkok

Le 2 mars, deux attentatspresque simultanés en Iraket au Pakistan ont visé lesfidèles chiites réunis à l’oc-

casion de la plus importante fête reli-gieuse chiite, l’Achoura. Rien neprouve qu’ils aient été coordonnés,mais leurs conséquences risquentd’être les mêmes : les forces de sécu-rité auront les mains libres pour inter-venir contre les mouvements de résis-tance irakien et afghan.

En Irak, les attentats suicides etles tirs de roquettes contre les chiitesdans la cité sainte de Kerbala et à Bag-dad ont fait 171 morts, tandis que41 personnes ont été tuées et plus de150 blessées à Quetta, au sud de laprovince pakistanaise de la Frontière-du-Nord-Ouest, quand des hommesarmés ont ouvert le feu sur une pro-cession de fidèles et ont lancé des gre-nades avant de se faire sauter.

Alors que le carnage irakien a étépour l’essentiel attribué à Al Qaida[qui a toutefois récusé toute respon-sabilité], on soupçonne le Lashkar-i-Jhangvi d’être responsable de l’at-tentat au Pakistan. En effet, cetteorganisation sunnite interdite se livrerégulièrement à des attaques contrela population chiite, qui représenteenviron 20 % des 145 millions dePakistanais. En revanche, en Irak, oùles chiites constituent 60 % de lapopulation, les violences sectairesentre ces deux branches de l’islamsont plutôt inhabituelles.

Dans le sous-continent et en Irak,les musulmans respectent la fête de

l’Achoura, qui commémore le martyrde Hussein, petit-fils du prophèteMahomet et fils du quatrième califeAli. C’est justement à Kerbala qu’ilfut assassiné par l’armée omeyyade,en 680, événement qui a consacré ladivision de l’islam entre chiites et sun-nites. Il faut noter que pour l’Achoura,en particulier en Irak, en Inde et auPakistan, les musulmans, tant sunnitesque chiites, prennent part à des pro-cessions, la différence étant que leschiites se flagellent et se mortifientpour marquer leur respect envers Hus-sein, tandis que les sunnites ne fontrien au cours de leurs processions.

Toutefois, dans les provinces duNord-Ouest et au Baloutchistan pakis-tanais, la population suit les préceptesd’un islam plus proche de la versionwahhabite et ne participe jamais auxrituels de deuil de l’Achoura. Par

ailleurs, le Pakistan est depuis desannées le théâtre d’affrontements entreles deux communautés, affrontementsqui ont fait des centaines de victimes.En juillet dernier, par exemple, auPakistan, quelque 50 chiites ont ététués lors d’un attentat suicide contreune mosquée à Quetta. L’enquête arévélé des complicités internes, maisn’a décelé aucune preuve d’une impli-cation des talibans.

Quelques semaines après les faits,nous nous sommes entretenus avecun membre de l’Assemblée nationaledu Baloutchistan, également chef dela Jamiat Ulema-i-Islami de Quetta,le maulana Noor Mohammed. Al’époque, le ministre de l’Intérieurpakistanais rejetait la faute sur les ser-vices de renseignements indiens etleurs homologues afghans. Mais NoorMohammed nous a affirmé que le

Lashkar-i-Jhangvi était impliqué. Il asoutenu que nombre des activistes dece groupe avaient été emprisonnés,puis relâchés dans le cadre desmanœuvres politiques entreprises parle président Musharraf pour obtenirla désignation de son poulain, MirZafarullah Khan Jamali, au poste dePremier ministre. “Nous avons offi-ciellement transmis des lettres aux minis-tères de l’Intérieur des gouvernementsfédéral et provincial en les prévenant quela libération de ces assassins entraîneraitdes violences sectaires, mais nos protes-tations sont restées sans effet face auxambitions politiques du gouvernementMusharraf”, nous a expliqué NoorMohammed.

A Quetta, les attentats ont eu lieuau moment où les deux côtés de lafrontière afghano-pakistanaise voientse dérouler des opérations militairespour éliminer les membres de la résis-tance afghane, des talibans et d’AlQaida. Les troupes pakistanaises sonten particulier déployées de façon opé-rationnelle dans les zones tribales à lafrontière nord-ouest, ce qui a eu pourrésultat de retourner la populationcontre l’armée. Mais les attentats anti-chiites fournissent désormais à lasécurité pakistanaise un prétexte sanséquivoque pour intervenir dans leszones sensibles, ce qui aurait, sinon,été difficile.

Syed Saleem Shahzad

L’antichiisme, une spécialité pakistanaise

COURRIER INTERNATIONAL N° 697 32 DU 11 AU 17 MARS 2004

moyen-orientDOSSIER

C’est au Pakistan que le sectarismeantichiite est le plus virulent. En Irak, les relations entre sunnites et chiitesétaient traditionnellement bonnes.

Certains redoutent la recrudescence destensions qui, entre 1994 et 1999, ont faitdes dizaines de morts lors du soulèvementchiite. Pour l’éviter, faut-il “conditionner”les réformes démocratiques ?

Un spectre resurgit sur la scène poli-tique de Bahreïn [où la dynastie sun-

nite des Al Khalifa règne sur une popula-tion à nette majorité chiite] : c’est celui del’agitation politique visant à un soulève-ment contre les institutions légitimes del’Etat. Cer tains en arrivent même à faireappel à des étrangers pour contester lalégitimité de ces institutions. [Le mois der-nier, le chef de la principale associationchiite du pays, le Wefaq, a invité des intel-lectuels koweïtiens à participer à un col-loque sur la réforme constitutionnelle àBahreïn. Les chiites sont depuis longtemps

suspectés de constituer une “cinquièmecolonne” inféodée à l’Iran.] Ces gens-làveulent créer une agitation afin d’entraînertoute la société dans un conflit politiqueartificiel, par le cercle vicieux de la violenceet de la haine. N’a-t-on pas entendu un poli-ticien clamer que “les signes d’une gravecrise à Bahreïn étaient de plus en plus évi-dents, en raison de l’absence de réformesvéritables et de la persistance de chan-gements uniquement formels” ?Nul doute que l’extrémisme du discours finirapar déclencher l’extrémisme des actes. Nuldoute qu’il favorisera grandement l’appari-tion de groupes fondamentalistes et debandes terroristes. Ainsi, certains prédica-teurs ne respectent plus les principes morauxdans leurs prêches du vendredi et s’adres-sent avant tout au petit groupe d’islamistesque l’on trouve dans chaque mosquée. Leurs

prêches sont volontairement politisés et dou-blés d’un contenu agressif. Qui plus est,on voit certaines personnalités religieusesreprendre aujourd’hui du service, sans hési-ter à utiliser les mêmes méthodes que cellesdont on a vu les résultats il y a quelquesannées. En prônant la haine et la violence,on cherche à détruire le tissu social bahreï-nien. D’autres agitateurs au parti pris confes-sionnel bien connu insistent inlassablementsur l’inefficacité des réformes et sur la cor-ruption, afin d’amener la population à dou-ter de la capacité des institutions de l’Etat àassurer l’intérêt des citoyens. Certains lea-ders religieux craignent de perdre leurs pri-vilèges et exploitent l’agitation pour préser-ver leurs propres intérêts : c’est un crimecontre la nation et une trahison.En conséquence, il faut agir dans deuxdirections. Premièrement, il faut renouveler

le discours religieux de sor te qu’il reflètefidèlement la concorde nationale, danstoutes ses dimensions d’appartenance reli-gieuse. En second lieu, il faut étendre lanotion de trouble à l’ordre public à l’apo-logie de la violence et de l’extrémisme. LesParlements de dif férents pays à travers lemonde renforcent actuellement leurs texteslégislatifs afin que l’incitation à la haine,au fanatisme religieux ou au racisme soittraitée avec la même sévérité que descrimes terroristes. [A Bahreïn aussi] laliberté d’opinion et d’expression doit êtreconditionnée par la responsabilité de ceuxqui veulent en jouir. L’esprit de respon-sabilité, c’est ce qui manque au discoursincitatif actuel. Ce dernier doit être tenuresponsable des actes de violence et dedésordre qu’il engendre.

Abdel Rahim al-Qalamani

B A H R E Ï N

La hantise d’une “Intifada chiite”

� “Danger !”C’est sous ce titrequ’Al Watan,du Koweït, exhorte à la prudence. “Cheznous, les sunnites et les chiites viventdans l’amour et la concorde. Il fautbien ancrer celadans la tête de nosjeunes, soumis à desdiscours dangereuxpour leur équilibrepsychologique etreligieux.” Pourtant,le site koweïtien<www.h-alali.net>affirme que la fêtechiite d’Achoura est “la plus grandemanifestationpaïenne et idolâtre”et accuse les chiites de vouloir “formerun axe du mal allantde Washington àBagdad, en passantpar Tel-Aviv”.

� W W W . �

Retrouvez nos analyses de la crise dans notre dossier

“Irak, la nouvelle donne”, sur

courrierinternational.com

�WMD : armes de destructionmassive. Sur laporte : Constitutionprovisoire. Sur lesbombes : terrorisme ;sectarisme ;guerre civile.Dessin de Cummingsparu dans le Financial Times,Londres.

697p30-31-32 8/03/04 20:54 Page 32

COURRIER INTERNATIONAL N° 697 33 DU 11 AU 17 MARS 2004

SOMALIE

Le peuple veut la paix, les dirigeants un peu moinsLes milices qui dévastent la Somalie depuis treize ans viennent de signer un accord de paix, le quatorzième du genre. Mais certaines ont déjà changé d’avis. Et le Somaliland n’est pas signataire.

OPENDEMOCRACYLondres

C’est à juste titre que l’onconsidère la Somaliecomme le pays le pluspauvre et le plus arriéré du

monde, la quintessence de l’“Etatdéstructuré”. Ce qui n’a rien d’éton-nant : depuis treize ans, ce paysd’Afrique de l’Est traverse l’une desplus longues périodes d’anarchie del’histoire moderne. La Somalie a dansle même temps connu autant d’accordsde paix. Le dernier en date, signé auKenya le 29 janvier, donnera peut-êtreà la population de ce pays martyr sameilleure chance depuis des années derenouer avec une existence plus sûre.Mais l’histoire de ces années de mal-heur permet de comprendre pourquoila majeure partie des Somaliens ac-cueille cet accord avec davantage deprudence que d’espoir.

Les origines des affrontementsremontent aux événements du 26 jan-vier 1991, quand, au bout de vingt etun ans de dictature, le président Moha-med Syad Barré a été renversé par desmouvements rebelles armés. La situa-tion a rapidement dégénéré, les fac-tions armées ne parvenant pas, aprèsl’effondrement du régime, à rétablirl’ordre. Des combats éclatèrent entreles groupes rebelles et plongèrent lepays dans le chaos et la catastrophehumanitaire, coûtant la vie à près de500 000 personnes.

Confrontés aux conséquences d’unefamine généralisée, le gouvernement

des Etats-Unis et les Nations uniesenvoyèrent plus de 22 000 hommes sur place en 1992, qui avaient pourmission de faire en sorte que lesconvois d’aide alimentaire parviennentaux affamés. Bien qu’elle ait réussi àmaintenir la population en vie, cetteforce n’est pas parvenue à convaincreles chefs des factions armées de fairetaire leurs armes, ni à mettre en placeun gouvernement fédérateur. Dans lesannées qui suivirent, les unités inter-nationales se retirèrent, humiliées, etles guerres intestines entre clans repri-rent. Depuis, plus d’une dizaine deconférences ont été organisées, sansaucun résultat décisif.

Les seigneurs de la guerre vien-nent de conclure leur quatorzième ac-cord de paix. Grâce à la médiationd’Etats voisins, 42 politiciens soma-liens, participant depuis un an à desnégociations à Nairobi, au Kenya, sesont engagés à former un nouveaugouvernement. Conformément auxrésultats de ces discussions, les anciensdes clans et les politiciens des diverses

factions devraient bientôt désignerles membres du nouveau Parle-ment, lequel élira ensuite un

président. Ce dernier, à sontour, nommera un Pre-mier ministre. Le gou-

vernement disposera d’une pé-riode de transition de cinq ans au

cours de laquelle il devra rétablirl’ordre et préparer des élections. Ladifférence fondamentale par rapport

aux accords précédents tient au faitque les antagonistes ont accepté de

coopérer dans le cadre d’un systèmefédéral, qui devrait se mettre en pla-ce d’ici deux ans. C’était là la princi-pale exigence du Puntland, région au-tonome du nord-est du pays, ainsi quedes politiciens en exil de la républiquedu Somaliland, dans le nord-ouest, quia proclamé unilatéralement son indé-pendance en 1991. Ces revendicationsterritoriales remontent en partie àl’époque coloniale. Le Puntland faitpartie du territoire somalien colonisépar l’Italie, tandis que le Somalilandest un ancien protectorat britannique.Ces deux régions voisines sont en outredivisées par un litige frontalier,“bom-be à retardement” parmi d’autres quetout gouvernement central futur se de-vra de désamorcer.

Les dirigeants du Somaliland ontvigoureusement dénoncé les pour-parlers de Nairobi et rappelé que leurindépendance était irréversible. Depuis

1991, ils n’ont toujours pas obtenu dereconnaissance internationale, bienqu’ils aient su s’attirer la sympathie denombreux observateurs étrangers.

D’autres problèmes se sont fait jourdans le sillage de l’accord de paix.Moins de deux semaines après la signa-ture, certains des grands groupes signa-taires revenaient déjà sur leur décision.Même si elles acceptent de se rassem-bler à nouveau, les factions politiquesen conflit doivent encore entrer dansla phase finale des négociations, cen-sée porter sur la question épineuse dupartage des pouvoirs. Il risque d’êtredifficile de parvenir à un compromispour des politiciens somaliens qui, aucours des cinquante dernières années,ont érigé en système le principe “legagnant empoche tout”.

Dans le même temps, le 18 février,des centaines de représentants de lasociété civile et de partisans de la paixdéfilaient dans les rues de Mogadisciopour manifester leur soutien aux dis-cussions. Dans leurs rangs, on recen-sait des lycéens, des groupes de défensedes droits de la femme, des groupesreligieux, des organisations de la jeu-nesse, des habitants des seize arron-dissements de la ville, des membres declubs sportifs et des groupes artistiquesnationaux. La plupart ont fait part deleur immense espoir de voir se formerun gouvernement d’unité nationalereprésentant tous les Somaliens. Cettemanifestation montre bien que, sur lesquestions essentielles, la populationsomalienne est en avance sur sesdirigeants. Harun Hassan

afr ique●

B U R K I N A F A S O

Et si on se passait des bailleurs de fonds ?L’aide au développement n’a pas produitles résultats escomptés. Il est grandtemps d’apprendre à vivre sans elle.

Après plus de quarante ans de rêve d’undéveloppement tributaire de la “manne

extérieure”, que peut-on encore attendredes bailleurs de fonds tapageusement ap-pelés aujourd’hui partenaires techniqueset financiers au développement ? Tout sepasse comme s’il suffisait de changer deconcept et de terminologie pour que notrepays sorte des ornières du non-dévelop-pement. La question mérite d’être poséeau moment où le gouvernement du BurkinaFaso rencontre ses partenaires techniqueset financiers au développement. Selon lescénario classique, cette réunion offre àl’équipe gouvernementale l’occasion de sou-mettre à ses interlocuteurs des projets etprogrammes de développement. En termesplus ordinaires, nos pouvoirs publics vontse livrer, une fois encore, à une cour assi-

due des bailleurs de fonds en vue de lesamener à bien vouloir financer le dévelop-pement de notre pays. Inutile de préciserque ces financements qui font tant courirne sont pas gratuits et sont généralementassortis de conditions pas toujours favo-rables aux secteurs sociaux, déjà mal lotisdans le budget de l’Etat.Curieusement, nos gouvernants ne sem-blent pas avoir d’autre initiative qu’unemendicité internationale qui a visiblementatteint ses limites. Ce n’est un secret pourpersonne que, tant que les Etats africainspersisteront dans la voie d’un endettementendémique, le véritable développementrestera une ligne d’horizon. En tout cas, cen’est pas avec un budget dépendant à plusde 50 % du bon vouloir des bailleurs defonds qu’un pays comme le Burkina Fasopourra briser le cercle vicieux de la pauvretéet du sous-développement. Les milliards defrancs CFA injectés annuellement par lesinstitutions financières internationales ne

se ressentent toujours pas dans le panierde la ménagère. Pis encore, le cercle despauvres s’élargit tandis que les fruits de la“croissance” sont inéquitablement parta-gés au Burkina Faso. Malgré la création destructures de lutte contre la corruption, lephénomène se généralise, au point de rui-ner tout le crédit d’une économie nationalemal lotie par la nature.En tout état de cause, si le Burkina ne changepas son fusil d’épaule, le réveil risque d’êtredifficile. Avec un fardeau de la dette quicontraint l’Etat à une économie qui ne secontente que d’assurer le salaire des fonc-tionnaires et de parer au plus pressé, il fautexplorer d’autres voies du développement oupérir. Il est plus que temps d’aller au-delàdes discours destinés à la consommationextérieure pour travailler sincèrement à l’émer-gence d’un secteur privé comme moteur dudéveloppement. On ne le dira jamais assez,le rêve du développement véritable ne peutse réaliser sur la “natte des autres”. On

devrait apprendre de plus en plus à comptersur nous-mêmes dans la mobilisation desressources. Dans une conjoncture interna-tionale où l’aide au développement se rétré-cit comme une peau de chagrin, on ne sau-rait toujours compter sur l’extérieur pour lefinancement d’un développement dont lapopulation a du mal à voir les fruits. Que larencontre du gouvernement avec les bailleursde fonds se fasse autour d’une table ronde,carrée ou convexe, elle ne peut pas produirede miracle. Les véritables ressources du déve-loppement ne viendront que de la volonté denos Etats d’assumer réellement leurs res-ponsabilités. Aussi les sociétés civiles doi-vent-elles s’organiser non seulement pourapporter leur pierre à l’édifice, mais aussipour exiger des pouvoirs publics une utili-sation conséquente de l’argent des institu-tions financières internationales. C’est ainsique l’on pourra rendre justice à nos peuplesque l’on plonge dans un désespoir qu’ilsne méritent pas. Le Pays, Ouagadougou

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* Etats autoproclamés.

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Frontièrecontroversée

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SOMALILAND*

SOMALILAND*

� CombatsAu moins12 personnes ont été tuées lors d’affrontementsentre milices de clans rivaux le 29 février dans le villaged’Herale.La Somalie estsoumise à la loi des chefs de guerrerivaux depuis la chute du régime de Syad Barré,en janvier 1991.

� “City Warrior” .Dessin de Vlahovicparu dans NIN,Belgrade.

697p33 8/03/04 18:04 Page 33

NRC HANDELSBLADRotterdam

C’est de la discrimination, soupire Andrzej.De la discrimination pure et simple. J’es-pérais que le gouvernement néerlandais nousautoriserait à travailler légalement aux Pays-Bas. Maintenant, on va devoir rester dansla clandestinité.” Andrzej est polonais et

travaille donc illégalement aux Pays-Bas.Assis àcôté de deux grands sacs en plastique sur un bancd’Amsterdam, il attend le bus qui doit le rame-ner à Grodkow, la ville où il habite, dans le sud-

ouest de la Pologne. Ce jour-là, le gouvernementnéerlandais venait de rendre publique une mesuredifficile. Pour les dix-huit prochains mois, la “librecirculation des travailleurs” issus des nouveauxpays membres de l’Union européenne, dont laPologne, a été limitée par le gouvernement néer-landais à 22 000 personnes. “J’espérais que lesPays-Bas seraient plus progressistes, dit Andrzej.Même dans le domaine de la drogue et du sexe,vousêtes plutôt en avance, non ?”

Andrzej (34 ans) et son ami Michal (36 ans)sont des ouvriers spécialisés du bâtiment. Cestrois dernières semaines, ils ont réaménagé ungrenier à Amsterdam. Ils travaillent de 7 heuresà 21 heures, six jours par semaine. Ils dormentla plupart du temps sur le chantier et gagnent5 euros de l’heure. Cela fait 420 euros lasemaine. Une coquette somme pour les deuxcompères, qui, à travail équivalent, gagneraient470 euros par mois en Pologne. “En troissemaines, je gagne plus d’un millier d’euros, coût du

voyage déduit. En Pologne, il faudrait que je tra-vaille deux mois et demi pour gagner autant”,explique Michal. C’est un ami, “un Néerlandaisqui a vécu longtemps en Pologne”, qui fait l’in-termédiaire. “Il prend les commandes pour les tra-vaux et il a un agenda rempli de numéros de télé-phone en Pologne.De temps en temps il appelle, puisnous repartons,avec d’autres hommes,pour Amster-dam, où nous retapons des logements.”

QUELQUES MILLIERS DE POLONAIS PAR AN TENTERONT L’AVENTURE

Cela fait sept fois qu’Andrzej et Michal fontl’aller-retour. “Le travail est dur, mais nous nevoulons pas décevoir notre ami.Pour nous, c’est unefaçon de gagner pas mal d’argent en peu de temps.”Il y a pourtant de gros risques, admettent-ils.S’ils tombent d’un échafaudage et se blessent,ils ne touchent pas un centime. “C’est vrai. Ily a six mois, je travaillais avec quatre hommes, etl’un d’eux est tombé malade. Il est resté couché tout

●en couverture

COURRIER INTERNATIONAL N° 697 34 DU 11 AU 17 MARS 2004

Le travail au noir pour unique hPour les dix-huit prochains mois, les Pays-Bas ont fixéà 22 000 le nombre d’Est-Européens qui auront accès àleur marché du travail, ce qui contraint des centainesde travailleurs à la clandestinité. Témoignage.

Aux portes de l’Europe riche

LES FORÇATSDE L’EST■ Le 1er mai prochain, huit pays d’Europe de l’Est entreront de

plein droit dans l’Union européenne. Doit-on redouter un afflux

de main-d’œuvre, attirée par les différences de salaire et nos systèmes

de protection sociale ? Pour répondre à ces peurs d’une partie de

l’opinion publique, la plupart des pays d’Europe de l’Ouest ont, ces

dernières semaines, multiplié les barrières empêchant le libre accès

à leur marché du travail. ■ La réalité est que 900 000 Est-Européens

travaillent déjà dans l’Union, souvent clandestinement et dans

des conditions effroyables. Reportages de l’Allemagne à l’Espagne,

en passant par l’Italie, les Pays-Bas ou la Pologne.

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� Des immigrés travaillant dans des serres à El Ejido, en Andalousie.

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FINANCIAL TIMESLondres

Le droit de travailler à l’Ouest était l’undes arguments mis en avant par les futursEtats membres de l’Union européenne(UE) pour convaincre leurs populationsd’adhérer au plus vite. C’est précisémentce droit que les quinze membres actuels

de l’UE viennent, les uns après les autres, derestreindre. Certains Etats, emmenés par l’Al-lemagne – un eldorado pour beaucoup de can-didats à l’émigration venus de l’Est –, avaientannoncé dès le début qu’ils continueraient delimiter l’accès à leur marché du travail ; maisd’autres pays, comme le Royaume-Uni, l’Ir-lande, les Pays-Bas et la Suède, s’étaient enga-gés à ouvrir leurs marchés de l’emploi aux dixEtats qui rejoindront l’Union le 1er mai pro-chain. Au lieu de cela, et depuis la fin du moisde janvier, les Pays-Bas et la Suède sont reve-nus sur leurs promesses ; la France, l’Espagne,l’Italie et d’autres, s’ils gardent le silence pourl’instant, devraient néanmoins suivre ce mou-vement restrictif.

A priori, seuls le Royaume-Uni et la répu-blique d’Irlande n’ont pas changé d’orientation– a priori seulement. En effet, harcelé par unecampagne de presse de droite, le gouvernementbritannique a annoncé, fin février, son inten-tion de limiter l’accès de ces immigrés venus del’Est à son système social ; l’Irlande s’estempressée d’assurer qu’elle ferait de même.

On se souvient qu’après l’effondrement ducommunisme les experts avaient mis en gardel’UE, qui, selon eux, devait se préparer au défer-lement de près de 25 millions de personnesvenues de l’ancien bloc de l’Est. Au bout ducompte, seuls 2,5 millions d’Européens del’Est ont émigré dans l’Union au cours desannées 90 ; et, pour l’essentiel, il s’agissait deréfugiés fuyant le conflit yougoslave, preuveque les déplacements importants de popula-tion ne se produisent que face à la terrifianteréalité de la guerre.

Dans leur ensemble, les spécialistes esti-ment que ce phénomène conservera son carac-tère temporaire. Une étude exhaustive, com-manditée en l’an 2000 par la Commissioneuropéenne, prévoyait qu’au cours de la pre-

mière décennie suivant l’élargissement quelque335 000 ressortissants des dix nouveaux Etatsmembres passeraient chaque année à l’Ouest.Un an plus tard, les auteurs de cette étude révi-saient leurs chiffres à la baisse, affirmant queles immigrés potentiels étaient dissuadés parl’ampleur du chômage au sein de l’UE. D’aprèseux, le flux annuel devait plutôt se situer auxalentours de 286 000 personnes et l’augmen-tation totale nette de population “déplacée” versl’Ouest atteindrait 3,7 millions au bout dequinze ans. Si tous ces gens s’installent de façonpermanente, ajoutaient nos experts, ils ne repré-senteront qu’une réduction de moins de 5 %de la population des nouveaux membres et unaccroissement d’environ 1 % de la populationdes Etats membres actuels.

Aujourd’hui, la Commission européennea encore révisé ces chiffres, chiffrant le dé-placement net de population autour de220 000 personnes par an et ne parlant plusque de 3 millions de nouveaux arrivants surles quinze prochaines années. En fait, toutdépend du développement économique del’UE élargie, en particulier de la rapidité aveclaquelle les nouveaux venus rattraperont lesquinze autres. Les plus grands des futurs Etatsmembres comptent sur une croissance del’ordre de 4 à 5 % par an, soit deux ou troispoints de plus que l’UE. Mais, étant donnéque le revenu dans les futurs Etats membresne représente que 43 % de la moyenne de l’UE(sur la base d’une parité du pouvoir d’achat),il faudra peut-être plus de vingt ans pour rat-traper ce retard.

Même si ces flux migratoires restent peusignificatifs en termes économiques et démo-graphiques, ils constituent néanmoins un défipolitique considérable. Partout ou presque, l’im-migration est sujette à controverse, même si lesEuropéens de l’Ouest font preuve de davantagede tolérance vis-à-vis des Européens de l’Est,blancs, que des immigrés venus d’Afrique oud’Asie. Certaines régions pourraient avoir lesentiment d’être submergées, en particulier l’Al-lemagne orientale et l’Autriche, où des immi-grés venus de l’Est peuvent venir travailler quo-tidiennement et repartir le soir de l’autre côtéde la frontière.

A long terme, l’économie de l’UE ne devraitpas souffrir des contrôles temporaires imposésau marché du travail. Sur le plan politique, enrevanche, l’impact envisageable est plus inquié-tant : si, en apaisant les angoisses de la popu-lation, les contrôles de l’immigration permet-tent aux Européens de l’Ouest de mieuxaccepter l’élargissement, alors, leur effet seraen partie bénéfique. Mais, s’ils font naître duressentiment à l’Est sans aucun résultat positifà l’Ouest, ils ne seront qu’un obstacle supplé-mentaire sur la voie déjà difficile de l’unifica-tion de l’Europe. Stefan Wagstyl

le temps du chantier.Nous avons réuni un peu d’ar-gent, sinon il serait rentré sans un euro chez lui. Lemaître d’ouvrage ne lui a pas versé un centime”,convient Andrzej.

D’après Andrzej et Michal, dans leur région– la Silésie – beaucoup envisagent de venir tra-vailler aux Pays-Bas une fois que les frontièresseront vraiment ouvertes. Néanmoins, les esti-mations officielles chiffrent tout au plus à unedizaine de milliers le nombre de Polonais etd’autres Européens de l’Est qui tenteraientchaque année l’aventure aux Pays-Bas. Michal,tout comme son ami, possède en Pologne unepetite ferme avec une dizaine de vaches. Safemme s’occupe du bétail lorsqu’il travaille àl’étranger. En dehors d’Amsterdam, les deuxhommes travaillent souvent à Berlin. Mais “là-bas, se plaignent-ils, on exploite au maximumles travailleurs au noir”. Alors, à tout prendre, ilspréfèrent les donneurs d’ordre néerlandais, “plussympathiques”. Cees Banning

COURRIER INTERNATIONAL N° 697 35 DU 11 AU 17 MARS 2004

e horizon

Dans un mois et demi, l’Unioneuropéenne s’élargit. Certainscraignent que des milliers – voiredes millions – d’Européens de l’Estse pressent à nos frontières. Un fantasme démenti par les faitset par l’Histoire.

Pas d’“invasionsbarbares” à redouter

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� A la frontière entre l’Ukraine et la Pologne,un policier contrôleun bus ukrainien.

697p34-35 8/03/04 19:22 Page 35

en couverture

STERN (extraits)Hambourg

Tout se passe bien. Le moteur ronronne,régulier. Avec son minibus Kia,Waclawa parcouru environ 500 000 kilomètrescette année. A 5 heures du matin, il faitla tournée des villages aux alentours deSzczecin, grande ville du nord-ouest

de la Pologne. Il embarque les passagers quil’attendent sur les trottoirs. Sans un mot, oupresque. On se connaît.Toujours les mêmes per-sonnes, le même itinéraire. Depuis des années.Waclaw accélère. Dans deux heures, il faut qu’ilssoient sur Alexanderplatz. A Berlin.

Le minibus Volkswagen d’Ivan, quant à lui,a probablement franchi la barre du million dekilomètres. Cette fois, il a six passagers à bord.Dans la grisaille du matin, ils sont partis des envi-rons de Lviv, grande ville du nord-ouest del’Ukraine. Si tout va bien, ils arriveront à desti-nation le soir même, à Varsovie.Waclaw conduitdes travailleurs clandestins polonais en Alle-magne. Ivan, des travailleurs clandestins ukrai-niens en Pologne. Les passagers de Waclaw récol-tent des pommes, construisent des maisons,s’occupent de personnes âgées, font le ménageou des travaux de rénovation et gardent desenfants. En Allemagne. Les passagers d’Ivanrécoltent des pommes, construisent des maisons,s’occupent de personnes âgées, font le ménageou des travaux de rénovation et gardent desenfants. En Pologne.

Comme les flux financiers courent après lestaux, les flux humains courent après l’emploi.La mondialisation du travail fait de la Pologneune terre d’émigration et d’immigration. Si, vued’Allemagne, la Pologne est à l’est, aux yeux desUkrainiens elle incarne le mirage doré de l’Oc-cident. En Allemagne, la main-d’œuvre bon mar-ché est polonaise. En Pologne, elle est ukrai-nienne.

Avant le changement,Waclaw, ingénieur destravaux publics, avait supervisé des grands chan-tiers dans toute la Pologne. Ivan aussi était ingé-nieur, constructeur mécanicien pour une sociétéd’exploitation minière près de Lviv. Au débutdes années 90, leurs employeurs ont fait faillite,destin des grandes entreprises européennes àl’est de Lübeck.Aujourd’hui,Waclaw fait chaquejour le trajet jusqu’à Berlin. Aller-retour. Le soir,à 7 heures, des passagers l’attendent à la “garedes Polonais”, un parking près d’Alexanderplatz,pour le voyage de retour. Ce sont la plupartdu temps des femmes soignées, vêtues detailleurs à la mode. Qui portent de gros sacs enbandoulière, lesquels contiennent leurs blousesde femmes de ménage. Un petit coup d’œil dansle miroir de la trousse à maquillage, puis elles

se glissent dans l’un des nombreux minibusornés de plaques d’immatriculation polonaises.A en croire Waclaw, “des centaines de chauffeurscomme [lui]” font la navette quotidiennementrien qu’entre Szczecin et Berlin.

Chaque passager verse 15 euros à Waclaw.Pour un parcours de 150 kilomètres. Ivantouche 20 euros, mais pour 600 kilomètres.Chez Waclaw, le kilomètre est trois fois plus cherque chez Ivan, telle est la différence entre laPologne et l’Ukraine. L’économie de la Pologne,bientôt membre de l’UE, a affiché une crois-sance vigoureuse depuis la fin du communisme.Le “mur de l’Est”, comme les Polonais sur-nomment la frontière ukrainienne, est la nou-velle ligne de démarcation de la pauvreté enEurope. Elle a reculé d’un pays. Ivan explique :“Chez moi, je fais partie des gens aisés. Les bonsmois, je peux gagner jusqu’à 500 euros.” Dix foisplus que les professeurs de ses enfants. Aprèsavoir perdu son emploi, Ivan a commencé àse rendre une fois par semaine sur les marchésukrainiens de Varsovie dans sa vieille Volga pleinede fruits et de légumes. Là, il vendait tout. Ily a trois ans, il s’est acheté son minibus Volks-wagen pour 7 000 euros. “Mon affaire marchesuper bien. Je pourrais bientôt être riche.” Il pour-rait… Son épouse souffre d’une affection rénaleet le traitement coûte 1 000 euros par an. Etl’assurance maladie ? “L’assurance ? s’esclaffeIvan. Dans mon monde, ça n’existe pas !”

Ceux qui, en quête de chance, partent versl’ouest deviennent invisibles dès qu’ils descen-dent des bus de Waclaw ou d’Ivan. Et ils nedisent plus rien, de peur que leur accent ne lestrahisse. Officiellement, ils sont là en touristes.Les Polonais peuvent en effet se rendre en Alle-magne et les Ukrainiens en Pologne.Tout leurest permis, sauf de travailler. Or c’est la seulechose qu’ils désirent. Aussi sont-ils des milliersà vivre ainsi à la lisière de la légalité. Situationéprouvante et surtout très compliquée. Seulsles malins, les courageux réussissent vraimentà gagner de l’argent à l’Ouest.

BERLIN, ALLEMAGNE“Au début, on ne gagne pratiquement rien”, recon-naît Edward, Polonais de Berlin. “On passe sontemps à se faire avoir, et on ne peut pas aller voir lapolice.” Aujourd’hui, Edward habite avec sonépouse Justina dans un petit F1 à Berlin-Wed-

ding, au rez-de-chaussée, dans l’arrière-cour.Tout l’immeuble est occupé par des Polonais.Dans la cour gisent des épaves de voitures. Dansl’escalier, les marches sont collantes. Sur lesportes, pas de noms. Les boîtes aux lettres ontdisparu. Ici, personne ne reçoit de courrier.

En Allemagne, les Polonais ont organisé leurexistence semi-légale. Ils disposent d’hommesde paille pour les contrats de location et de tra-vail. Et il y a de petits “bureaux d’affaires”. Ony bricole des cartes de transport pour le métro.Quand on est malade, on peut louer une carteà puce de l’assurance maladie pour 100 euros.Edward et sa femme ont tous les deux dépasséla cinquantaine. “Je suis déjà allé deux fois chezle médecin avec la carte d’un Allemand de 22 ans.Mais le médecin n’a rien dit. Il fait partie du busi-ness”, explique Edward. On trouve les coor-données de ce genre de médecin dans les jour-naux de petites annonces polonais qui sedistribuent maintenant à Berlin.

Le téléphone portable est un élémentessentiel à la survie. “Sans ça, on ne pourrait pasexister”, assure Justyna, la femme d’Edward.“Souvent, notre employeur ne connaît pas nosnoms, mais seulement notre numéro de portable.”Les affaires du couple vont mal. Auparavant,Edward travaillait souvent dans le bâtiment etrapportait jusqu’à 50 euros par jour. Mais enAllemagne on construit de moins en moins.Maintenant, Edward effectue souvent des tra-vaux de nettoyage avec sa femme. Des cagesd’escalier dans les barres d’immeubles. Deuxeuros la cage. “Actuellement, nous n’arrivons pasà mettre de l’argent de côté.Alors, on attend l’UE”,dit Edward. En mai, quand la Pologne inté-grera officiellement l’Union, il compte créerune société de prestation de services.Travauxen tout genre, seulement Justyna et lui. Il n’auraalors même pas besoin d’un emploi fixe avecun patron allemand puisque, à partir du moisde mai, il aura le droit de s’installer en tant quechef d’entreprise.

Pour les hommes, les temps sont durs. EnAllemagne, les Polonais peinent de plus en plusà trouver du travail, tout comme les Ukrainiensen Pologne. Les femmes, en revanche, sont trèsdemandées, et pas uniquement pour des travauxménagers. Le boom concerne surtout le secteurde l’assistance médicale, les aides-soignantespour les personnes âgées et les malades.

COURRIER INTERNATIONAL N° 697 36 DU 11 AU 17 MARS 2004

L’appel de l’OuestAvec l’entrée de pays d’Europe centrale et orientale dans l’Union européenne, les frontières de l’immigration se déplacent vers l’est. Histoires croisées de Polonais en Allemagne et d’Ukrainiens en Pologne, qui tous rêvent de prospérité.

� Des travailleurspolonais à Berlin.Clandestins, ils se cachent derrière leur passeport.

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■ BlousesblanchesA en croire les chiffres duBureau central destatistiques (KSH)de Budapest, lesHongrois seraientpeu enclins à chercher du travail à l’étranger… à l’exception d’une catégorieprofessionnelle : lesmédecins. Très malpayés en dépit de leur excellenteformation – aprèsplusieurs décenniesd’exercice, leursalaire mensueldépasse rarementles 1 000 euros –,ils seront lespremiers à plierbagage après le 1er mai, signaleMagyar Hírlap. D’oùune nouvelle vaguede migrants à prévoir, selon le quotidien libéral.La Hongrie accueilled’ores et déjà desmédecins venantdes pays voisins,notammentd’Ukraine et de Roumanie,qui serontprobablementrejoints pard’autres, issus des pays arabes,d’Afrique et d’Extrême-Orient.Mais tout cela ne suffira pas.D’après la chambre des médecins hongrois, seule une revalorisation du métier pourraremédier à la pénurie.

697p36-38 8/03/04 20:43 Page 36

SZCZECIN, POLOGNENina, 47 ans, est aussi petite et ronde que débor-dante d’énergie. Elle vient d’un village ukrainiendu nord de Lviv. Comme elle était la meilleurede son école, elle a pu faire des études de méde-cine à Moscou. C’était à l’époque soviétique. Elleétait devenue spécialiste de la rééducation dansun sanatorium de l’Armée rouge, en Crimée. En1991, l’institution a fermé. “Je me suis retrouvéesans travail.Et la banque a gardé tout mon argent.”Ses parents, ses sept frères et sœurs et leursconjoints, ainsi que son mari, tous ont perdu leuremploi, en l’espace de seize mois. La tribu s’estalors repliée sur le petit village près de Lviv eta vécu de ce qu’elle pouvait cultiver. “Je n’ai passupporté ça, cette attente, pour rien”, se souvientNina. Sa sœur, son beau-frère et elle ont vendudes ustensiles de ménage polonais de contre-bande sur le marché ukrainien et, en deuxsemaines, ont récolté assez d’argent pour le grandvoyage. Ils ont acheté des billets de train et sontpartis aussi loin vers l’ouest que le leur permet-tait leur passeport ukrainien : autrement dit, àSzczecin, à quelques mètres de la frontière alle-mande. Pour les Ukrainiens, c’est le terminus.Un après-midi de mai 1993, tous les trois se sontretrouvés sur le quai de la gare. “Nous avions trèsexactement 0 zloty en poche.”

Mais au moins étaient-ils là. Ils n’avaientaucune idée de ce qu’ils devaient faire. Nina s’estassise sur sa valise et s’est mise à pleurer. Sasœur, en inspectant les alentours, a aperçu uneéglise. Le seul endroit où ils pouvaient espérerde l’aide. Le prêtre leur a trouvé un toit et dutravail. Dans le bâtiment. Pendant trois ans,Nina, la doctoresse, a charrié des moellons,monté des murs, posé des carrelages et nettoyédes chantiers. Un jour, un contremaître est venula voir.Avec une grimace de douleur, il s’est pen-ché vers l’avant, l’air désemparé. “Eh, toi, j’aientendu dire que tu t’y connaissais.” Après plus decinq ans, c’était le premier patient de Nina. “J’aieu beaucoup de chance de pouvoir l’aider. Ç’a étémon premier beau jour en Pologne.”Les jours sui-vants, de plus en plus d’ouvriers sont venusla voir pour leurs bobos. Bientôt, ils lui ont amé-nagé un petit espace de quelques mètres carrésdans un entrepôt, et y ont installé un lit decamp. Son premier cabinet. Dès lors, plus decailloux à charrier. Elle était désormais là pourmasser le dos de ses collègues. “Pour la première

fois, de l’argent honnêtement gagné.” Ne ména-geant pas sa peine, elle a économisé et investiintelligemment. A l’été 2000, elle a louéun F1 dans le centre de Szczecin. Son deuxièmecabinet. “Entre-temps, presque tous les médecinsdes environs avaient appris à me connaître et ils sesont mis à m’envoyer leurs cas difficiles.”

Officiellement, ses services ne coûtent rien.En tant qu’Ukrainienne, elle n’a pas le droitd’exercer en Pologne. “Mais j’aide mes patients,et ils m’aident en retour.Où est le mal ?” Il y a peu,elle a pu s’acheter une Mazda d’occasion, quilui a été immédiatement volée. “Probablementdes Ukrainiens.Ce sont les pires, comme voleurs devoitures.” Aujourd’hui, elle a une petite Nissan.Et est propriétaire d’un appartement, depuis ledébut de l’année.Trois pièces, dans un quar-tier bien fréquenté. Elle y réside avec son époux,sa fille, son gendre et sa petite-fille.

Nina a réussi. Dix ans après avoir débarquésur un quai de gare avec seulement ses yeux pourpleurer, elle a pu rejoindre les rangs de la nou-velle classe moyenne polonaise. Un succès quene connaîtront peut-être jamais les PolonaisEdward et Justyna, à Berlin-Wedding. Nid’autres membres de sa famille qui habitentencore dans le logement qu’elle a quitté au débutde l’année. Deux pièces, 48 mètres carrés, enbanlieue de Szczecin. Le moindre centimètrecarré d’espace est occupé par des matelas,jusque dans l’entrée, la cuisine et la salle debains. Des valises s’entassent le long des mursjusqu’au plafond. Un foyer de vingt personnes,dont une dizaine qui y vivent en permanence,

les autres étant repartis en Ukraine faire renou-veler leur visa. Assises sur un lit, les trois sœurscadettes de Nina, Vera, Liouba et Nadejda,regardent des photos de famille récentes. Les70 ans de la mère. Toute la tribu s’était ras-semblée à Golovno, leur village, situé près deLviv. “Tous ceux qui sont sur les photos travaillenten Pologne, explique Liouba. A la maison, il n’ya plus que papa,maman et Andrioucha.”Andriou-cha, c’est une vieille rosse.

GOLOVNO, UKRAINEA quoi ressemble un pays d’où partent desfamilles entières ? Les routes sont longues,presque sans fin, et traversent ce qui fut autre-fois le grenier à blé de l’Europe. A 30 kilomètresde la frontière polonaise, un panneau indica-teur rouillé : Golovno, le village de Nina. Surles bas-côtés, on voit des dizaines de chevaux.Un marché aux chevaux ? Non, plutôt le par-king pour le marché de la semaine. Les carriolessont affublées de plaques d’immatriculationallemandes, clouées à l’arrière parce qu’ellesreflètent la lumière. Comme ça, on les voitmême dans l’obscurité. Le marché de Golovnose résume à un vieux camion sur lequel s’en-tassent des pommes de terre, des poivrons etdes tomates. Les paysans s’approvisionnent iciet paient en pommes de terre. Ici, personne n’ad’argent. Autour du camion ne se pressent quedes vieux. Les jeunes sont partis à l’étranger.

En avril 2003, la commission ukrainiennedes droits de l’homme a publié une étude selonlaquelle 7 millions d’Ukrainiens travaillent horsde leurs frontières, pour une population totalede 50 millions d’habitants. Soit plus de 20 % dela population active. Ces chiffres ne sont pas équi-tablement répartis dans tout le pays. En Ukraineoccidentale, il manque la moitié de la main-d’œuvre. “Sans les 100 euros que Nina nous envoietous les mois,nous ne pourrions pas survivre”, recon-naît Yakov, le père de Nina, âgé de 73 ans. Sonseul bien, ce sont les deux pièces de sa maison-nette. On fait la cuisine dans la cour et on tirel’eau du puits. Pour toute fortune, la famille pos-sède trois cochons, une dizaine de poules et lajument.“Oui, on vit comme vivaient mes grands-parents il y a cent ans.”“Mais du temps du com-munisme ça n’était pas mieux”, l’interrompt Olga,son épouse. “Nous n’avons jamais pu vivre aussibien que ce que connaît ma fille à l’Ouest mainte-nant.” Olga et Yakov sont extrêmement fiers deleur Nina. Parce qu’elle a réussi à l’Ouest. Parcequ’elle envoie plus d’argent que les enfants desvoisins. Parce que grâce à Nina, l’aînée, aucunede ses sœurs ne se prostitue, comme quelquesjeunes femmes de Golovno. Et parce qu’aucunde ses frères et sœurs n’est obligé de se rendreà Varsovie, lieu de tous les désespoirs pour lesUkrainiens clandestins.

VARSOVIE, POLOGNETous les Ukrainiens de la région de Lvivconnaissent cette rue, en banlieue sud de lacapitale polonaise : la rue Jean-Paul-II. Lecélèbre boulevard de l’emploi.Tous les jours,quelque deux cents Ukrainiens y font le piedde grue en attendant une embauche journa-lière. Les femmes d’un côté, les hommes del’autre. Leurs patrons sont des chefs de chan-tier, des agriculteurs et des Polonais aisés.

Lentement, une Golf longe le trottoir du côtédes hommes. Une femme est au volant. Elles’arrête devant une maison en ruines, d’oùsurgissent des silhouettes qui encerclent la

LES FORÇATS DE L’EST

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■ DissuasionPour dissuader les Européens de l’Est de venir“encombrer” sonmarché du travail, laGrande-Bretagne achoisi… la publicité.Les équipes du10 Downing Street,en effet, veulentlancer unecampagned’information dans quelques-unsdes pays de l’Est les plus sensibles(Pologne,République tchèque,Slovaquie) pour dissuader les candidats à l’émigration. Lemessage n’est pasencore tout à fait au point, mais Londres y travaille d’arrache-pied avec l’Organisationinternationale pour les migrations(OIM). Le premierpays concernédevrait être laRépublique tchèque,et les spots serontdiffusés à la radioet à la télévision.Les Britanniquesestiment à 13 000 par an le nombre de ressortissantsdes nouveaux paysmembres de l’UEsusceptibles de tenter leurchance en Grande-Bretagne.(D’après The Independent on Sunday, Londres)

� Des travailleursclandestins ukrainiensen Pologne.Troisgénérations de lamême famille secachent derrière leurpasseport à Szczecin.

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L’ESPRESSORome

Vous voyez cela ? Nous avons un travail,nous avons depuis plusieurs années un per-mis de séjour valable, mais nous sommesobligés de vivre ici, dans ces baraques, quiont poussé là où elles ont pu. Et noussommes nombreux.A Milan,nous sommes

au moins deux mille.”En regardant Misha, peintre en bâtiment à

la journée, qui fait cuire des boulettes sur unréchaud à 11 heures du matin, il est difficile dedire ce qui est le plus étonnant : le fait qu’ilse balade en plein hiver dehors en pantoufles,jean et chemise de flanelle comme s’il était aucamping, ou bien sa “maison” de 12 m2 privéede tout confort ; l’endroit invraisemblable oùelle a été installée ou le fait qu’il l’ait retrouvéeintacte après avoir passé trois mois dans sonUkraine natale ; la sérénité de sa femme Mir-jana, qui, depuis quatre ans, s’occupe demalades en phase terminale, ou leur bonnehumeur à tous les deux. A bien y réfléchir, leplus incroyable c’est que nous sommes à Milan.La ville tissée de fibres optiques, la capitalede la finance, de la mode, de la création. Desbidonvilles poussent dans ses interstices, habi-tés par des gens qui ne protestent pas et nedemandent rien, qui acceptent les travaux lesplus pénibles, les moins payés et les moins sécu-risés. Des maçons ou des peintres en bâtiment,des nurses et des baby-sitters, des manuten-tionnaires et des mécanos, des femmes deménage et des laveurs de voiture pour lesgrandes sociétés de parkings.Tout en astiquantsa baraque, pauvre mais propre et bien rangée,Mirjana fait ses comptes : “Quand ça va mal,on gagne de 300 à 400 euros par mois, quand çava bien jusqu’à 1 200. Mais on envoie une partie

de l’argent à nos enfants et à nos parents qui sontrestés au pays. Nous n’avons pas assez pour man-ger et en même temps payer un loyer plus les fac-tures.Ni ici, à Milan,ni même en province.Et nousne sommes certes pas prioritaires dans les attribu-tions de logements sociaux.On a reçu un permis deséjour, il y a trois ans, mais ce n’est qu’un bout depapier. On n’a ni droits ni dignité.”

Nous sommes dans le nord de Milan, àquelques dizaines de mètres d’un ensembled’immeubles qui comprend un hôtel et des res-taurants animés par un va-et-vient continuel.Une vingtaine de baraques sont réparties auhasard sur un espace de la taille de deux ter-rains de football, il y a même une vingtaine deruches installées un sur terre-plein. Les quatre-vingts personnes qui habitent ici n’ont ni élec-tricité, ni eau, ni gaz, ni tout-à-l’égout. Elles ontaménagé leur “intérieur” avec des vieux meublesrécupérés dans la rue. Dans un atelier aban-donné tout proche sont entreposés des tapis, desépaves de lit et des divans défoncés. “L’été, cent,deux cents personnes dorment dans ces refuges”,déclare Nicolaï, pelleteur, en souriant. Misha,Mirjana et Nicolaï font partie de ce flot de gensvenus des pays de l’Est qui ont débarqué là unvendredi d’un des cinquante bus qui viennentchaque semaine d’Ukraine et qui repartent deMilan le dimanche après-midi. Avec les Bul-gares, les Roumains, les Marocains et les Alba-nais, la vague la plus récente est celle des Mol-daves, des Russes et des Ukrainiens. Elle faitsuite à celle, mieux intégrée, des Chinois, desPhilippins, des Péruviens, des Equatoriens, desgens de l’ex-Yougoslavie.Aujourd’hui, tous sontmieux organisés et sont en mesure d’accueillirleurs compatriotes fraîchement arrivés sous untoit digne de ce nom et même parfois de leurtrouver un travail. Ceux de la dernière vague ontpour la plupart un permis de séjour et sedébrouillent comme ils peuvent dans des bidon-villes cachés dans la verdure ou derrière les mursà demi écroulés des usines abandonnées, prèsdes routes de la banlieue nord. Les plus chan-ceux s’abritent dans les cabanes des petits jar-dins potagers que les derniers habitants du coincultivent le long des Navigli [les canaux deMilan] et des fossés. Les autres, “ils se débrouillent,ils dorment dans des vieilles voitures d’occasion”,raconte Dora, qui est moldave et qui travaillecomme femme de ménage dans une entreprisegérée par des immigrés égyptiens.Tout au basde l’échelle, il y a des malheureux qui doiventse contenter de dormir dans des voitures des-tinées à la casse, entreposées chez les ferrailleurs.

Au moins quatre mille repas par jour sontservis à cette galaxie d’immigrés presque invi-sible, dans les dix centres de distribution ali-mentaire gérés par des religieux qui font par-tie du réseau Caritas. Des médecins volontairesqui s’occupent des immigrés soignent enmoyenne une centaine de patients par jour.L’une des maladies qui se répand le plus, ditl’un d’eux, est la gale. “C’est surtout la Ligue duNord qui veut que la situation ne bouge pas, parceque ça permet aux petits entrepreneurs d’exploi-ter pour pas cher les travailleurs immigrés”,dénonce une conseillère municipale des Verts.Bientôt, ils seront appelés sur les chantiers desgigantesques projets d’extension de la métro-pole. La partie immergée des entreprises et desofficines de sous-traitance n’attend que desbras jeunes et vigoureux qui s’activent sans tropfaire d’histoires. Giuseppe Nicotri

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Aux portes de la métropole italienne, les immigrésvenus de l’Est s’entassent dans des habitations de fortune. Ils possèdent un permis de séjour, mais leur salaire au noir ne leur permet pas de louerun logement.

voiture. La conductrice fait signe à deuxhommes d’âge mûr et ouvre la portière côté pas-sager. “J’ai besoin de gens pour peindre deux piècesdans mon cabinet de vétérinaire”, explique-t-elle.Elle ne veut pas entendre parler de ses compa-triotes. “Bien trop cher.Rien qu’en impôts et en assu-rance.En plus, les Ukrainiens travaillent bien. Ils nesont pas difficiles.” La rue Jean-Paul-II est l’éche-lon le plus bas du travail clandestin en Pologne.Une bande de gros bras exige 10 euros par moisde quiconque veut attendre ici, l’équivalent d’unejournée de petit boulot. La plupart sont embau-chés pour deux, parfois trois jours. Les femmesgagnent plus. Elles ont généralement plus de40 ans et cherchent des travaux de ménage. Lesjeunes, elles, offrent d’autres services, dansd’autres rues. En face, les hommes ne sont pasrasés, ils ont les cheveux sales et sentent mau-vais. Les femmes sont soigneusement habillées,voire pomponnées. Mais tous logent dans lesmêmes taudis. Non loin de là, des Polonais louentleurs maisons à des Ukrainiens. La plupart dutemps, ils sont à cinquante dans un mêmepavillon. Six hommes se pressent dans une piècede 8 mètres carrés.A cinquante, ils se partagentdeux robinets sans lavabo, et deux WC sanslunette. Il faut compter 1,20 euro par nuit. Lesoir, quand vient le froid, les habitants se ras-semblent et discutent. On ne parle pas d’avenir.Des rêves ? Des projets ? Drôles de questions.“Quand on vit comme nous, on ne fait plus de pro-jets”, lâche l’un d’eux.

SZCZECIN, POLOGNE“Quand on ne rêve plus de l’avenir, c’est qu’on estdéjà mort”, commente Nina. Elle a des rêves, etde grands projets. A commencer par la surprisequ’elle prépare pour ses parents. “J’ai toujoursvoulu offrir un tracteur à mon père. Le jour de sonanniversaire,arriver avec un tracteur devant la mai-son, ce serait génial”, s’enthousiasme-t-elle. Lekolkhoze “Russie”, près de son village, a faitfaillite au début des années 90. Depuis, d’im-menses étendues de terre fertile sont à l’aban-don.Tout Ukrainien a le droit de les exploiteret de garder les récoltes. Avec leurs chevaux, lespaysans ne peuvent labourer qu’une faible por-tion de ces champs. Mais celui qui a un tracteura automatiquement plus de terre. Et il peutmettre son tracteur en location.

Nina a déjà acheté deux tracteurs, à3 500 euros pièce, en Suède. Comment a-t-ellefait, alors qu’aucun Ukrainien n’est en mesurede s’y rendre ? “Beaucoup de mes patients sont sué-dois. Ils viennent par le ferry et travaillent commecadres à Szczecin”, dit-elle. L’un d’entre eux aacheté les tracteurs pour elle. Un autre de sespatients, un Polonais, est le patron d’une entre-prise de fret. “Il transporte le tout jusqu’à la fron-tière.” De là, il n’y a plus que 30 kilomètres jus-qu’à Golovno. Le frère et le gendre de Nina lesrécupéreront à la frontière. “Cela leur permet derester à Golovno et de gagner leur vie”, assure Nina.Elle a demandé la nationalité polonaise et a debonnes chances de l’obtenir. Quand sa nouvellepatrie sera membre de l’UE, alors la prospéritésera plus proche que jamais. “En tant que Polo-naise, j’aurai le droit de m’installer pour travailler àHambourg ou à Munich.Et je pourrai gagner deuxou trois fois plus qu’ici.” Alors, elle pourra réaliserle plus grand rêve de toute sa vie : “J’aurai monpropre petit sanatorium,en Crimée.Vous verrez.” Siquelqu’un en est capable, c’est bien Nina, la fillede Golovno. Walter Wüllenwerber

A Milan : labeuret bidonville

en couverture

� Dessin de Maykparu dans SydsvenskaDagbladet, Malmö.

■ GrèceElles sont blondesau teint laiteux :pour les Grecs,ce sont les Natacha.Venues naïvementpour travailler, cesjeunes femmes del’Est rentrent trèsvite dans le cycleinfernal de laprostitution, sous la coupe de circuitsmafieux est-européens. Dans les grandes villes du pays, elles sontde plus en plusnombreuses et fontde l’ombre auxprostituées locales.Elles exercent dansdes hôtels ou desmaisons de passe(légales en Grèce),et la maire de la capitale a même demandéque la police les laisse travaillertranquillement… le temps des Jeuxolympiques.(D’après To Vima,Athènes)

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LES FORÇATS DE L’EST

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EL PAÍSMadrid

DE SÉVILLE

Monika, Roksana et Renata sont deretour depuis quelques heures dansles logements qu’elles avaient quit-tés en juin dernier, après plusieursmois de travail dans une exploita-tion d’orangers de Cartaya, dans la

province de Huelva [extrême sud-ouest de l’Es-pagne]. Avec une cinquantaine de leurs com-patriotes, elles ont fait l’épuisant voyage dedeux jours en car entre le sud de leur pays, laPologne, et la pointe occidentale de la provincede Huelva. Mais elles y trouvent leur compte,de même que les employeurs qui les ontembauchées.

L’ASAJA, la COAG et Freshuelva, les orga-nisations agricoles qui canalisent les offres d’em-ploi des producteurs de fruits et légumes dela province de Huelva, ont décidé de miser ànouveau cette année sur le recrutement de sai-sonniers dans leur pays d’origine. Lors de ladernière campagne de récolte, ce dispositif apermis d’embaucher 7 450 ouvriers agricoles– parmi lesquels une écrasante majorité defemmes – venus de Pologne, de Roumanie, duMaroc et de Colombie pour la récolte desfraises, des agrumes, des framboises et des myr-tilles. Cela fait trois ans que l’ASAJA a recoursà cette modalité d’embauche, qui limite le séjourdu travailleur à la durée de son contrat. Cetteannée, les agriculteurs de Huelva ont sollicité18 000 autorisations d’embauche, mais le gou-vernement en a limité le nombre à 12 000.

Les producteurs ont souhaité faire appelaux mêmes ouvrières que l’année dernière. Etpresque toutes ont accepté. Monika Gaj, 23 ans,donne une explication toute simple : “En Pologneil n’y a pas de travail.” Dans la localité de40 000 habitants où elle vit, les offres d’emploides exploitants agricoles de Huelva sont deve-nues un événement à ne pas manquer. Monikaest formelle : non seulement elle est prête àrecommencer, mais elle veut “vivre en Espagne”.

“[En Pologne] le salaire moyen tourne autourde 800 zlotys par mois, environ 165 euros”, pré-cise Camilo Oliva. Le calcul est facile à faire :huit jours de travail dans les champs de Huelvaéquivalent à un mois de salaire en Pologne.“Aujourd’hui, il est très difficile de trouver du tra-vail là-bas. Moi, je n’ai pas eu un emploi stabledepuis 1994”, poursuit Camilo dans un espa-gnol à la couleur tropicale. Il est le seul hommedu groupe, et le seul à être né à Cuba. La viel’a d’abord conduit de force en Angola, poury faire la guerre. Puis, comme d’autres Cubains,il est parti pour un pays de l’ancien bloc com-muniste, la Tchécoslovaquie, où il a rencon-

tré une Polonaise qui allait devenir son épousequelques années plus tard.

C’est sa maîtrise des deux langues – le polo-nais et l’espagnol – qui lui a valu d’être embau-ché à Huelva. “J’ai déjà 50 ans”, répond-il lors-qu’on lui demande si lui aussi veut s’installer enEspagne. “Je suis ici pour travailler et gagner del’argent, pour aider mon fils dans ses études dephotographe.” Camilo sert de traducteur, maisbon nombre de ses camarades de travail sedébrouillent déjà en espagnol et certaines, commeMonika ou Renata Drozdowska, le parlent cou-ramment. “Il faut absolument que je change de pays,cela fait cinq ans que je suis sans emploi”,expliqueRenata. Elle a deux enfants à charge, à qui elleenverra la quasi-totalité de l’argent qu’elle vagagner au cours des quatre prochains mois.

“Le travail n’est pas trop dur, on nous traitebien”, assure Roksana dans un anglais accep-table. Comme beaucoup de ses camarades quipartagent un logement équipé de façon som-maire, avec quatre lits superposés par chambre,Roksana a dû abandonner ses études et n’avait

jamais travaillé dans les champs. Elle aussi vou-drait rester en Espagne, mais en tant qu’em-ployée “dans un hôtel”. Elles ont toutes unecopine qui, l’année précédente, a réalisé ce rêveen se mariant avec un agriculteur de la région.La majorité espère que l’entrée prochaine de laPologne dans l’Union européenne (UE) accé-lérera les choses. “On nous a dit que si on fait troiscampagnes d’affilée on peut obtenir facilement unpermis de travail”, ajoute Camilo.

Sélectionner des ouvrières en Pologne et enRoumanie est “une expérience difficile”,avoue JoséLuis Marín, responsable provincial de l’ASAJA.“Les plus âgées fondent en larmes pour nous atten-drir et nous inciter à les embaucher.” Les patronsavancent l’argent du voyage et en retiennent lamoitié sur le salaire de leurs ouvrières, expliqueMarín. Ils sont également tenus de leur fournirun logement gratuit. “Le plus rentable pour nous,ce sont les saisonniers espagnols,mais il n’y en a pasassez”, poursuit le responsable de l’ASAJA, quiprécise que jusqu’à 100 000 travailleurs peuventêtre nécessaires pour les récoltes de printempsdans la région.“Dans les villages alentour, le niveaude vie a augmenté et ça n’intéresse plus personnede se déplacer pour travailler dans les champs.” Avant,“des villages entiers de la province de Cadix venaientfaire la récolte des fraises” et des cars étaient affré-tés quotidiennement pour faire venir des sai-sonniers du nord de la province de Huelva, deSéville et de Badajoz. Mais, aujourd’hui, les28,75 euros par jour qui satisfont les ouvrièrespolonaises ne suffisent pas aux Espagnols. Et JoséLuis Marín exclut la possibilité d’augmenter lessalaires pour attirer une main-d’œuvre nationale.“Nous ne pourrions pas en répercuter le coût. Lesprix agricoles sont fixés par l’Europe, nous n’avonspas de marge de manœuvre.”Selon lui, le recrute-ment des saisonniers dans leur pays d’origine“peut être la solution” pour alimenter en main-d’œuvre le “miracle” économique de la région.

Alejandro Bolaños

■ Tout a commencé par une lettre ano-nyme envoyée d’Espagne. Une inconnuey raconte son terrible destin : d’abord larécolte des oignons, des raisins et desolives, sa recherche d’un travail au noirune fois son contrat légal arrivé à expi-ration, et ensuite son enfermement dansun bordel contrôlé par la mafia ukrai-nienne dans la localité de Tarazona dela Mancha. Si Gazeta Wyborcza, le quo-tidien le plus sérieux de Pologne, a vouluremonter la piste pour retrouver cettefemme en détresse, c’est que plusieurscentaines de Polonaises ne reviennentjamais dans leur pays après l’expirationde leur contrat de saisonnières enEspagne. “Selon l’association Itaka, quis’occupe de personnes disparues, ellesseraient plusieurs centaines à dispa-raître dans la nature et à ne plus don-ner signe de vie à leurs familles restées

en Pologne”, explique Gazeta Wyborcza.Mais la vérité sur place est tout autre,comme l’a découvert le quotidien, quiest allé enquêter dans des petites villesde la Mancha et d’Andalousie, régionsoù les Polonaises sont les plus nom-breuses. Tout por te à croire que lagrande majorité de ces prétendues dis-parues se volatilisent volontairement ettentent de refaire leur vie en Espagne.Et tout porte à croire aussi que la lettrereçue par Gazeta Wyborcza aurait étéécrite par un mari abandonné…“Les plus jeunes ont une vingtaine d’an-nées, les plus âgées ont la cinquantaine.Le week-end, elles fréquentent des dis-cothèques. Les mères de famille y ren-contrent des Espagnols et des Arabes.Par fois, il s’agit pour elles d’une rela-tion temporaire, mais parfois elles veu-lent refaire leur vie”, racontent les béné-

voles d’Itaka. “Quand elles voient unhomme d’une autre couleur, elles per-dent immédiatement tous leurs repèresmoraux. Cela concerne la moitié d’entreelles”, confie Adam Szymczak, aumônierdes saisonniers polonais à Moguer, enAndalousie. A cause d’elles, regrette-t-il, le mot “Polaca” [Polonaise] estdevenu synonyme de “prostituée”. Plusd’une fois, des familles de Pologne l’ontsollicité pour retrouver leur mère et leurépouse. L’une de ces femmes retrou-vées lui a carrément répondu qu’elle nevoulait en aucun cas donner de nouvellesà ses proches : “Je suis libre et on neme forcera pas !” Bozena, qui habiteavec son nouveau compagnon espagnol,Paco, fossoyeur à Moguer, explique : “Jene connais aucune fille qui abandonneson mari parce qu’elle est trop heureuseavec lui.”

V U D E V A R S O V I E

Les “disparues” de la Mancha

Roksana rêve d’un mari espagnolTous les ans, plusieurs milliers de Polonaises viennent travailleren Andalousie commesaisonnières dans l’agriculture. Leur espoir : pouvoir s’installer définitivement.

� Dessin de Maykparu dans SydsvenskaDagbladet, Malmö.

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THE AUSTRALIANSydney

Lors des Aboriginal Arts Awards, en 2003, Manda-wuy Yunupingu et George Rrurrambu, héros dumonde du rock autochtone, sont montés sur unescène improvisée. Là, devant un parterre de notables

de Darwin et d’adolescents du bush, le tandem a atta-qué sa toute nouvelle chanson : guitare omniprésente,rythmes à la mode et concert d’applaudissements. Lesvétérans de l’industrie du disque réunis ce soir-là surle port de Darwin étaient aux anges : enfin, on renouaitavec la vieille magie ! Ensemble, les leaders de YothuYindi et du Wanumpi Band avaient concocté un hitgaranti, idéal pour les radios.

En dépit de sa contagieuse capacité à séduire, leurtube était en réalité fort différent : il s’agissait d’un chanttraditionnel, en yolngu matha, que leurs ancêtres enton-naient il y a longtemps. Sa réapparition aujourd’hui,sous des atours rock modernisés, est un acte de conser-vation musicale autant qu’un produit du secteur dudivertissement. Et son indéniable succès auprès desfoules met en lumière les paradoxes auxquels est désor-mais confronté le rock indigène, après des années delutte incessante ponctuées de réussites sporadiques. Oùva la musique aborigène, vers la grande consommationou vers un passé tribal plus pur ? A qui est-il destiné,au public des grandes villes ou aux générations perduesdans les communautés autochtones isolées ? Et quelest son message, un cri de colère et de révolte, appelhip-hop des nouveaux ghettos noirs, ou une invitationnuancée, intériorisée, à se prendre en main pour sau-ver la culture aborigène ?

Tout a commencé en 1991, quand Yothu Yindi, legroupe formé par Yunupingu, instituteur dans la régionde la Terre d’Arnhem [Territoire du Nord], a publiéson album Tribal Voice, et son célèbre hit, Treaty. Desmusiciens aborigènes avaient déjà connu le succès aupa-ravant, mais Yothu Yindi, lui, a ouvert la voie et donnél’exemple à des centaines d’autres groupes. Aujour-d’hui, les spécialistes du secteur reconnaissent que cefut à la fois une bénédiction et une malédiction. Denombreux musiciens autochtones se sont sentis obli-gés d’imiter leurs sonorités typiques, insaisissables,pleines des échos du didgeridoo [instrument à vent uti-lisé par les Aborigènes pour les cérémonies rituelleset pour les loisirs], tandis que dans le Sud le publicen venait à croire que la musique aborigène ne pouvaitêtre authentique que si elle semblait tribale, si ses chan-teurs et musiciens s’entouraient de danseurs et dejoueurs de didgeridoo au corps peinturluré.

Dans toute l’Australie, depuis des années, d’aucunss’efforcent de promouvoir et de financer une renais-sance de la musique autochtone, avec des résultats quilaissent perplexes. Les groupes ont tendance à appa-raître pour mieux disparaître, mais les tendances, elles,subsistent : les formations du Top End [extrémité norddu Territoire du Nord] reflètent l’influence religieusede l’époque des missions tandis que le centre du paysreste essentiellement sous la domination de la countryet du western, vibrant du souvenir des camps de pros-pecteurs. Les gens peuvent passer leur vie dans lamusique, des familles entières en vivent. Certainsgroupes n’ont qu’une notoriété locale, comme les WildBrumbys de Docker River, un ensemble qui chante en

pitjantjatjam et produit un mélange bariolé d’influencescountry et traditionnelles, ou encore Red 4 Danger, desrégions désertiques de l’Etat d’Australie-Occidentale,spécialisé dans des clips acides qui brocardent la société.On croise des personnalités indissociables de l’évolu-tion musicale du secteur, comme Geoffrey GurrumulYunupingu, homme-orchestre aveugle, autrefoismembre important de Yothu Yindi et aujourd’hui l’âmedu Saltwater Band, groupe populaire d’Elcho Island[Territoire du Nord]. Mais ils ont tous une chose encommun : malgré la promotion et les enregistrements,au sud, personne ne connaît vraiment leurs noms.

Ces temps-ci, les grandes maisons de disques onttendance à éviter les groupes aborigènes du bush, et cepour plusieurs raisons. D’une part, le produit n’est pastout à fait dans la mouvance du moment, qui enchaînedes styles fluctuants fabriqués en studio. D’autre part,l’expérience des tournées avec des groupes autochtoness’est révélée malaisée, même selon les normes du milieu.Les vétérans de la scène rock se souviennent avec hor-reur de la difficulté qu’il y avait à empêcher leurs starsnoires de boire. “Soyons francs, déclare l’un d’eux, engénéral, c’était une vaste beuverie à mort.”

L’arrière-pays australien est semble-t-il toujourshanté par le chaos et la tragédie, et carrières et tendancesfinissent par y sombrer. Les membres des groupes seretrouvent souvent en prison pour des incidentsabsurdes. Deux musiciens du Letterstick Band origi-naire de Maningrida, dans la Terre d’Arnhem, le groupeprobablement le plus en vue du Top End, se sont tuésil y a un an dans un accident de voiture. Mais, sur-tout, les artistes aborigènes et leurs managers ne suivent

pas le même cap. Pour beaucoup, cela les entraîne dansune nouvelle direction, loin de la poursuite effrénée dusuccès de masse. Une fois encore,Yothu Yindi nousen offre un exemple typique. Le groupe, en effet, estpassé de la formation en tournée au combo occasion-nel. Son leader, Mandawuy Yunupingu, et son managerde longue date,Alan James, se consacrent pour leur partau festival culturel de Garma, dans le nord-est de laTerre d’Arnhem. La musique rock n’est que l’un deséléments du vaste éventail de Garma, dont le but est depermettre aux Occidentaux de mieux comprendre l’uni-vers traditionnel des groupes tribaux yolngu.

Rrurrambu, du Warumpi Band, emprunte une voiesimilaire, quoique plus spectaculaire. En septembredernier, il a lancé un surprenant one-man-show inti-tulé Nerrpu, articulé autour de l’histoire de sa vie et deses origines. Rock star devenue ancien de son clan,Rrurrambu se présente sur scène le visage peint, genouxet coudes ornés de décorations traditionnelles. Ses ins-truments et son matériel se résument à une guitare, undidgeridoo et une lance. Il raconte l’histoire du premiercontact avec les Blancs et comment son grand-pèreéchappa aux balles tirées par un bateau britannique :il remonte aux jours de gloire des Warumpi, parle de sapropre déchéance, de son alcoolisme et de sa renais-sance. Il est à la fois lui-même et le metteur en scènede sa propre existence, musicien moderne et chanteurtribal. “Quand j’étais avec le Warumpi Band, explique-t-il, j’ai pensé à un one-man-show, un spectacle qui diraitla vérité sur ma culture, sur ma vie. C’est comme un filmen direct, un message que je transmets sur ce qui est cachédans mes os et dans mon passé, montré aux gens aujour-d’hui de façon occidentale.”

Les grandes stars de la génération passée reviennentdonc à la tradition. Mais, ce qui est plus frappant, c’estque ceux qui ne sont pas encore connus du grand publicaustralien suivent également leur propre chemin. Avecpour ambition de faire de la musique, même le rock occi-dental, un vecteur d’enseignement culturel, et de fairedes CD et des concerts le point de départ de carrièresartistiques durables. Les pionniers de cette approche sontles membres du groupe Nabarlek, le plus célèbre desgroupes actuels de la Terre d’Arnhem. Ils s’appuient surun label indépendant des plus inhabituels, Skinnyfish,création de deux idéalistes déterminés. Mark Grose, ini-tiateur de l’opération, a passé des années à travailler dansdes communautés aborigènes du Nord. C’est là qu’il aentendu Saltwater et son son nerveux, enthousiaste. Il acommencé à s’occuper d’eux et, en 1999, avec MichaelHohnen, musicien de formation classique, il a décidé decréer un portail pour d’autres groupes autochtones.

Skinnyfish a des objectifs et des rêves. Grose etHohnen ont longuement réfléchi à l’échec récurrentdes formations aborigènes, à leur incapacité à per-cer. “Il y a une incroyable réserve de talent, mais ça nese convertit jamais en quelque chose de durable, expliqueMark Grose. Jamais l’industrie du disque n’a vraimentaccepté d’enregistrer ces groupes comme ils l’entendaient.Ce qui devrait pourtant être possible.” Skinnyfish a par-couru les communautés du Top End, visitant des lieuxrudes, perdus, foyers d’intenses énergies musicales :des endroits comme Ngukurr, base du vieux groupede blues Yugul, et Numbulwar, qui a accouché du toutnouvel espoir de la scène,Yilila. “Musicalement, nousconsidérons ce travail comme la continuation de la cul-

enquête ●

COMMENT RÉUSSIR SANS TRAHIR SES RACINES ?

Après le succès du groupeYothu Yindi, il y a plus d’unedécennie, des dizaines deformations ont vu le jour.Malgré leur talent, cesmusiciens ont du mal à percer.

Les rockers aborigènes ont le blues

Uluru(Ayers Rock)

Golfe deCarpentarie

Mer de Timor

O U T B A C K

TERRED’ARNHEM

DarwinMan

ingrid

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Oenpel

li Elcho Island

Alice Springs

T E R R I T O I R E

D U N O R D QUEENSLAND

AUSTRALIE-MÉRIDIONALE

AUSTRALIE- OCCIDENTALE

DésertTanami

Numbulwar

Site du festivalde Garma

Docker River

Ngukurr

Le “Paysaborigène”

0

1 000 km

A U S T R A L I E

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ture traditionnelle. Ces groupes interprètent leurs chants,traditionnels, avec des accents rock, pour que les enfantsdécouvrent ce qu’ils ont à dire. Le contemporain revigorele traditionnel. Pour ces musiciens, ce n’est pas du toutcomme pour un groupe de rock des grandes villes, c’est plusprofond que ça : la plupart des chants s’inspirent de matièrescérémonielles et ancestrales, ce n’est pas de la pop culturejetable. De plus en plus, ces thèmes antiques finissent parpasser”, affirme, pour sa part, Michael Hohnen,

Mais, quand on fait de la musique comme on lesouhaite, pas question d’espérer une aide des fabricantsd’images des grandes sociétés internationales pour com-mercialiser vos œuvres. Skinnyfish veut contourner lastructure du pouvoir dans l’industrie de la musiqueet offrir à ses groupes de nouveaux moyens d’exister,de gagner de l’argent grâce à leur art et leurs chansons.“Nous nous efforçons de développer un programme de com-mercialisation pour Nabarlek et de créer des sources de reve-nus. Nous estimons que leur musique est assez bonne pourgénérer des revenus, sans subvention. Nous voulons don-ner aux groupes le soutien nécessaire pour qu’ils espèrentréussir. Personne n’a vraiment vu ce qui se passe ici, per-sonne dans le milieu n’a véritablement compris qu’il y a uneidentité, une expression culturelle qui est la plus grande forcede cette musique”, note Mark Grose. S’il y a un groupepour qui cette stratégie est susceptible de fonctionner,c’est bien Nabarlek, solide formation de la Terre d’Arn-

hem qui vit dans une outstation [les territoires ances-traux des Aborigènes], a effectué des tournées inter-nationales et dispose d’un public fervent chez lui. Sesmembres sont propriétaires de leurs albums et de leuréquipement, et ils viennent de se doter d’un systèmed’adresse publique. Leurs deux disques se sont vendusà 7 000 exemplaires chacun. En quatre ans, ils ont gagné80 000 dollars australiens [49 000 euros] avec leurmusique, une somme certes modeste, mais importantedans l’Australie aborigène. Ils rêvent de pouvoir un jourengranger 1 million de dollars australiens par an grâceà une grande variété de possibilités, la location d’équi-pement, les concerts, le multimédia, la sponsorisation.

Sur scène, Nabarlek assure, comme lors de la jour-née portes ouvertes à Oenpelli en septembre. Ils ont laréputation d’être excellents en concert, et ils ont le donde reproduire avec une grande exactitude les harmoniessubtiles et fluides de leurs enregistrements.Terrah Guy-mala, le chanteur, et son impressionnante équipe de musi-ciens ne bougent presque pas, le regard fixé sur leur publicsurexcité, tandis que les voix et les guitares se mêlent.Dans le Nord, tout est question de contexte. Nabarlekest une sorte de manifeste humain en faveur d’un modede vie particulier dans le bush. Ils ne boivent pas unegoutte d’alcool quand ils se produisent et parlent dansleurs chansons d’histoires liées au rêve, plutôt que d’ex-cès, de révolte et de sexe. Leur rock irrésistible tient plus

du Bach que du grunge : au lieu de rebelles, il faut voiren eux les ambassadeurs de la sérénité des traditions.

On retrouve cette atmosphère de défense culturelleun peu partout sur la scène musicale indépendante desAborigènes du Nord. Elle apparaît même dans les idéeset les projets d’Allen Murphy, qui produit aujourd’huide la musique autochtone à Alice Springs. Noir, né àNew York, Murphy était le batteur de Village People. Ila découvert l’outback [l’intérieur du pays] pour la pre-mière fois en 1980 avec le Warumpi Band ; il a égale-ment été batteur sur Treaty, avec Yothu Yindi. Il a jouéun rôle majeur dans le lancement d’une des premièresformations aborigènes, Blekbala Mujik. Pendant desannées, il a travaillé avec des groupes dans des com-munautés comme Wadeye et Maningrida, dans la Terred’Arnhem. “Les trésors sont là, mais ce qu’il faudrait àla scène musicale aborigène, c’est beaucoup plus de bat-tage médiatique, se lamente-t-il. Ce qui m’a complètementfasciné, au début, dans le bush, c’était de voir comment unecommunauté se connectait à la musique d’un nouveaugroupe. J’ai trouvé ça incroyable, et aujourd’hui encore, çam’impressionne, la force du phénomène, la musique quidevient une voix pour bien plus que le groupe lui-même.” Siseulement il était possible de saisir cette magie pour latransmettre. Mais Murphy explique ce qui selon lui estla source principale des problèmes qui bloquent lamusique aborigène : les labels indépendants spéciali-sés qui la diffusent sont à la fois des entreprises et desorganisations aborigènes, et leurs objectifs sont doncantinomiques. “D’un côté, la musique représente un lienavec les nombreux problèmes sociaux qui affectent la com-munauté, une façon de les confronter et de les comprendre.De l’autre, elle est centrée sur la communauté,et il lui manqueparfois ce qu’il faut pour fonctionner sur le plan commer-cial. Ces deux choses ne vont pas forcément de pair.”

Comment sortir de ce dilemme ? Faire la musiqueque les aborigènes des réserves veulent écouter, et lavendre au reste du monde, la rendre accessible au grandpublic ? “Je ne cesse d’y penser”, avoue Murphy. Unechose est sûre, les artistes qu’il admire dans le centre dupays et le Top End rivalisent de talent : comme FrankYamma, le “Pavarotti de l’outback”, et Warren Williams,chanteur de style country venu de Hermannsburg. Etdes stars montantes comme le rappeur d’Oenpelli, CyrilFreni, leader de Broken English ; Danny Thompson,qui a tout du héros rock classique et qui semble attendreson heure. Murphy voudrait que tous explosent enfinsur la scène nationale, il voudrait concrétiser l’ambitieuxslogan de l’Association des médias aborigènes d’Aus-tralie centrale : “De la musique aborigène pour le monde”.

Sa stratégie de développement n’est pas sans rap-peler celle qu’applique, à 1 500 kilomètres plus au nord,Skinnyfish, à Darwin. Pour lui, il n’y a pas assez de pro-motion de la musique du bush dans les grandes villesaustraliennes, et on est encore loin d’accepter le rockautochtone comme le souhaiteraient ses représentants.Il pense également que Yothu Yindi, par sa réussite, apoussé les groupes aborigènes à se couler dans un mouleparticulier. “Pour ces formations, ce que je recherche, c’estun autre moyen de se faire connaître, déclare Murphy. Lespubs, les clips,d’autres moyens de renforcer une identité,puisde l’attacher à tel ou tel groupe.On peut vraiment se deman-der pourquoi on a l’impression que les différents groupes abo-rigènes modernes n’ont pas de personnalité distinctive.” Unegénération après le premier triomphe de Yothu Yindi,on peut à vrai dire se poser nombre de questions surl’ensemble de la scène rock aborigène du Top End et ducentre. Dans le milieu, on commence à comprendre queles jeunes groupes sont structurellement voués à l’échecet que la seule solution réside dans de nouvellesapproches. Il faut cesser d’être obsédé par le

�Yothu Yindi lorsd’un concert àJohannesburg le30 octobre 1996.

■ SaltwaterBandOriginaire d’ElchoIsland, dans la Terred’Arnhem, il est le plus connu des groupes de lanouvelle vaguemusicale du nord de l’Australie.Dans son dernieralbum, Blue Flag,ou dans Djarri Djarri,les sonorités douceset lyriques dugroupe rappellentles paysages marins de la côte de la Terre d’Arnhem(www.skinnyfishmusic.com.au).

■ YugulPremier groupe de rock aborigène,constitué en 1969dans la ville deNgukurr, dans le Territoire du Nord,il s’est reformé il y aquelques années.Son dernier album,Manbalila – Acrossthe River, fortementimprégné de blues,bénéficie du timbreéraillé et passionnéde son leader,Danny Thompson(www.skinnyfishmusic.com.au).N

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“prochain hit”, pour revenir à une lente matura-tion de la magie secrète. Car toute cette musique estaffaire de mystères insolubles. A-t-elle pour vocationd’être une passerelle vers l’extérieur ou sert-elle seule-ment à tuer le temps dans les bidonvilles de la brousse ?

D’où la détermination de certaines jeunes forma-tions autochtones à se défaire du modèle dominant dedéveloppement culturel. Les principaux représentantsde cette tendance, dans le centre, sont les NoKTuRNL,un groupe de hard rock d’Alice Springs. Ses membresse considèrent d’abord comme des musiciens et ensuitecomme des Aborigènes. En fait, les deux fondateurs,Craig Tilmouth et Damien Armstrong, sont peut-êtred’origine arremte, mais leur musique, elle, donne l’im-pression d’être d’une autre planète. Pour leur auditoirerestreint, ils sont le groupe aborigène qu’attendait l’Aus-tralie : brutal, intransigeant, en colère. “Dans ce pays, ily a un peuple oublié par le temps, et pour la terre en ce temps-là, sur ce peuple on tira.Voulez-vous vous souvenir, préfé-rez-vous oublier ? Sont-ils morts rapidement, ou pourrirent-ils lentement ?” clament-ils.“Ici, il y a toujours une imagestéréotypée des musiciens aborigènes, lâche Craig Tilmouth.Si les paroles de nos chansons sont typiques des contes abo-rigènes, à cause de notre musique, nous sommes étrangersau marketing de la musique traditionnelle aborigène. Il y abeaucoup de préjugés sur la musique autochtone en Aus-tralie, les groupes comme nous ne sont pas censés sortir deleur réserve.”

“De toute façon, c’est quoi, la musique aborigène ? s’in-terroge Armstrong. Nous ne faisons pas la même chose quecertains de ces groupes traditionnels, qui veulent préserverla culture. La culture, ça doit changer. Les groupes ne peu-vent pas s’améliorer s’ils ne s’exposent pas constamment auxinfluences extérieures.” Comme tous les groupes dont nousavons parlé, comme tous les artistes aborigènes depuisque Yothu Yindi a atteint les sommets, il y a douze ans,les NoKTuRNL ont dû trouver leur place : dans quellemesure leur version de l’essence aborigène s’adapte aureste du monde, qu’y a-t-il de neuf, et qu’y a-t-il d’an-cien dans la musique autochtone d’aujourd’hui, quellepartie est héritée des ancêtres, quelle partie provientde Nashville, de la Jamaïque, de Sydney et de New York ?

L’image et la capacité commerciale occupent uneplace prépondérante.Tilmouth et Armstrong ont faitappel à Mike Gillam, grand photographe spécialiste despaysages australiens, pour la couverture de leur premierdisque, Time Flies.Le résultat est hypnotique : un Noir,un étui de guitare à la main, se tient en haut d’une pas-serelle mobile, sur une piste d’aérodrome déserte brû-lée par le soleil. Seul, il attend. Il attend, comme toute lascène musicale aborigène, que s’accomplisse un rêve.Il attend que vienne le moment où leur musique reten-tira dans toute l’Australie, le moment où l’on écouterales rythmes rock aborigènes pour ce qu’ils sont, où ilstrouveront enfin leur place. Nicolas Rothwell

■ LetterstickOriginaire deManingrida, dans la Terre d’Arnhem,le groupe a sorti l’an dernier sondeuxième album,Diyama, du nom de la conqueancestrale.Ce disqueextraordinaire a étéenregistré peu aprèsla mort de deuxmembres du groupe,tués dans unaccident de voiture.C’est à la fois un hommage aux disparus et un témoignage de la volonté des survivants de continuer et de faire avancerleur musique(www.caama.com.au).

■ NoKTuRNLLeur deuxièmealbum, Time Flies,distribué à partir de juillet dernier,délaisse le hard des précédentsenregistrements au profit d’uneversion pluscérébrale de leuranarchie sonore(www.fmrecords.com.au).

� Les membres deNoKTuRNL se présentent d’abordcomme des musiciens,ensuite comme des Aborigènes.

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SALON MAGAZINE (extraits)San Francisco

Mars 2003, Denver, Colorado. La policière en civils’est présentée aux militants de la Coalitioncontre la guerre en Irak sous le nom de ChrisHoffman, mais son véritable nom est Chris Hur-

ley. Elle s’est inscrite à une session de formation à lanon-violence. Il s’agissait de préparer les militants à unsit-in prévu pour le lendemain devant la base de la gardenationale de Buckley. Hurley déclara qu’elle souhaitaity participer. Elle affirma qu’elle était prête à se fairearrêter pour la cause de la paix. Et, de fait, elle fut arrê-tée. Mais elle ne fut pas inculpée. Chris Hurley est l’undes nombreux policiers qui, l’année dernière, ont infil-tré les mouvements antiguerre dans tout le pays.

A New York, des protestataires arrêtés lors de mani-festations pacifistes ont été interrogés minutieusementsur leurs relations politiques, et leurs réponses entréesdans des bases de données. Et, début février 2004,un procureur fédéral de Des Moines, dans l’Iowa, aexigé que l’université Drake lui transmette diversesinformations sur la section locale de la National LawyersGuild, une association d’avocats qui se bat pour leslibertés civiques, qui avait organisé le 15 novembre 2003une conférence antiguerre baptisée “Stop the occupa-tion ! Bring the Iowa Guard Home !” [Arrêtez l’occu-pation ! Faites revenir la garde de l’Iowa !]. Il a falluque des protestations viennent de tout le pays pour faireannuler l’assignation à comparaître de quatre militantsantiguerre dans le cadre de cette enquête.

A l’approche d’une nouvelle série de manifestations– dont la mobilisation mondiale contre la guerre pré-vue pour le 20 mars ou les importantes actions anti-Bush qui devraient accompagner la Convention répu-blicaine, du 30 août au 2 septembre 2004 –, lesspécialistes affirment que la surveillance policière vaprobablement se renforcer. “Le gouvernement adopte uneposition de plus en plus dure à l’égard des contestataires”,fait remarquer Michael Avery, actuel président de laNational Lawyers Guild. D’ici à la Convention répu-blicaine, assure-t-il, “le gouvernement va essayer de péné-trer certains groupes politiques. Il est possible qu’ils infiltrentdes agents provocateurs*. Il ne fait aucun doute qu’ils com-pilent des dossiers sur les militants.Nous devons nous oppo-ser à tout cela.”

Personne ne sait jusqu’où vont la surveillance etle profilage politique actuellement mis en œuvre contreles opposants à l’administration Bush et à la politiqueétrangère des Etats-Unis. C’est peut-être là l’aspect

le plus inquiétant du phénomène.Ce que l’on sait, en revanche, c’estque plusieurs des services de policeaccusés d’avoir espionné les pro-testataires – dont le Police Depart-ment d’Aurora, dans le Colorado,au sein duquel travaille Chris Hur-ley – font partie des Joint TerrorismTask Forces [JTTF, unités inter-services de lutte antiterroriste].

Cette appellation recouvre des programmes en vertudesquels les polices locales sont obligées de travailleravec le FBI et d’autres agents fédéraux “aux fins d’en-quête et de prévention d’actes terroristes”. Les JTTF exis-tent depuis 1980, mais leur nombre a presque dou-blé depuis le 11 septembre 2001 et il y en auraitaujourd’hui soixante-six.

Dans le Colorado, les militants qui ont suivi la ses-sion de formation à la non-violence en même tempsque Chris Hurley se souviennent d’elle comme d’unepersonne timide et réservée. Elle n’a éveillé aucun soup-çon ni pendant la session, au cours de laquelle les par-ticipants apprennent à garder leur calme même lors-qu’ils sont confrontés à des policiers agressifs, nipendant la manifestation du lendemain. Le 15 mars2003, sur les trois cents personnes environ qui ont mani-festé devant la base de Buckley, seules dix-neuf (y com-pris Hurley) ont adopté une attitude de désobéissancecivile en s’asseyant par terre et en bloquant l’accès à labase. L’action n’avait rien de secret – la Coalition duColorado contre la guerre avait averti la police de sesprojets. “Chaque fois qu’une action de désobéissance civile

est envisagée, nous entrons en contact avec la police afind’éviter toute violence”, insiste Terry Leichner, un mili-tant quinquagénaire qui a participé à l’action. Ayantété prévenus, les policiers sont arrivés rapidement devantla base de Buckley. Les manifestants, dont Hurley, ontété arrêtés sans incident et placés en garde à vue.

Jusqu’à leur procès, aucun des membres du groupene comprit que Hurley était en réalité un policier. Entre-temps, un mois après le sit-in de Buckley, la Coali-tion du Colorado avait de nouveau été infiltrée, maiscette fois le groupe avait flairé quelque chose de louche.Le 14 avril, les activistes avaient décidé d’occuper lebureau du sénateur républicain Wayne Allard. A nou-veau, la Coalition du Colorado organisa une session deformation à la non-violence à l’intention de ceux quis’attendaient à être arrêtés. Nancy Peters était l’une desorganisatrices. Devant l’église où devait se tenir la ses-sion, elle remarqua un couple qui traîna un momentaux alentours avant de se décider à entrer. L’hommese présenta sous le nom de Chris Taylor et déclara quela fille qui l’accompagnait était sa fiancée. En réalitéil se nommait Darren Christensen et, tout comme LieslMcArthur, sa compagne, était officier de police. A ladifférence de Hurley, Christensen éveilla aussitôt laméfiance des militants. “L’homme ne cessait de poserdes questions, se souvient Peters. Il voulait savoir s’il n’exis-tait pas un groupe plus radical, comme le Black Bloc ou lesanarchistes”. Au moment de discuter du plan d’action,“Christensen a proposé que nous enfoncions le piquet de poli-ciers, poursuit Peters. Tout le monde fut interloqué. Per-sonne n’avait envie de prendre une balle dans la tête.Noussommes un groupe pacifique, non violent. Nous

Guerre aux antiguerre !

enquête ●

COURRIER INTERNATIONAL N° 697 43 DU 11 AU 17 MARS 2004

LES DÉRIVES ANTITERRORISTES DE WASHINGTON

Infiltrations, harcèlementjudiciaire, pertes d’emploi : les moyens utilisés parl’administration Bush pour faire obstacle auxmanifestations inquiètent les militants, car ils assimilent le pacifisme au terrorisme.

� Une militantepacifiste est arrêtée à San Francisco en mars 2003 alorsqu’elle manifestaitdevant le siège de Bechtel,une entreprise qui abénéficié de contratsen Irak.

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n’avions aucune intention de prendre d’assaut le bâti-ment.” Le lendemain, le groupe se retrouva une dernièrefois afin de mettre au point les ultimes détails avant l’ac-tion. Les six militants désignés entrèrent dans le bureaudu sénateur à 13 heures, et à 17 heures tous avaient étéarrêtés. “Je me suis aussitôt rendue à la prison”, se sou-vient Peters. Elle se trouvait dans l’entrée lorsqu’elle vitChristensen sortir par la grande porte. “Il a prétendu queson amie l’avait fait sortir, raconte-t-elle. Mais, quand jelui ai demandé de me montrer sa convocation au tribunal,il m’a dit qu’il n’en avait pas.” Peters fit part de ses doutesaux avocats de son groupe, qui ne tardèrent pas à consta-ter que, alors que six personnes avaient été arrêtées, cinqseulement avaient été inculpées. Ils comprirent alorsque le groupe avait été infiltré.

L’Amérique a déjà connu ce genre de chose. De1956 à 1971, le FBI, alors dirigé par John Edgar Hoo-ver, avait lancé le Counter Intelligence Program [COIN-TELPRO, Programme de contre-espionnage], un pro-gramme de surveillance et de sabotage dirigé contre lesdissidents politiques. Le COINTELPRO surveillait lesgroupes violents tels que le Ku Klux Klan et, par lasuite, le Weather Underground [un groupe qui se défi-

nissait comme une “Armée rouge américaine”] ou lesBlack Panthers. Mais il espionna et harcela égalementdes milliers d’innocents, dont Martin Luther King.

Les abus du COINTELPRO furent révélés en 1971,après qu’un groupe d’activistes baptisé Citizens Com-mission to Investigate the FBI [Commission d’enquêtecitoyenne sur le FBI] pénétra par effraction dans lesbureaux du FBI de Media, en Pennsylvanie, et y dérobaplusieurs centaines de pages de dossiers. Les révéla-tions désastreuses que cette opération mit au jour ausujet du COINTELPRO contraignirent le FBI à adop-ter des réformes permettant d’éviter la répétition desabus commis par Hoover. Le ministre de la JusticeEdward Levi édicta un certain nombre de règles concer-nant la surveillance des citoyens américains par le FBI.“Ce qu’on désigne sous le terme de ‘directives Levi’ éta-blissait clairement les critères requis avant d’ouvrir uneenquête,définissait ce qu’est un comportement criminel (lequelrepose sur une activité et non sur de simples idées ou écrits)”,souligne David Cunningham, l’auteur d’une histoiredu COINTELPRO. “Les directives stipulaient égalementque seules étaient acceptables certaines techniques d’enquête,ce qui rendait beaucoup plus difficile le recours à des méthodesd’investigation violant la vie privée.”

Contrairement à ce que prétendent les défenseursde la politique de l’administration Bush, les directivesLevi n’auraient pas entravé d’enquête sur Al Qaida.Comme le rappelle Cunningham, “les affaires dans les-quelles on soupçonne des liens avec des ‘puissances étran-gères’ n’étaient pas soumises à ces règles juridiques”. Cela

COURRIER INTERNATIONAL N° 697 44 DU 11 AU 17 MARS 2004

� Un “die-in”organisé auRockefeller Center,à New York,en mars 2003.

� La revendication,simple, de l’un des participants au “die-in” : liberté.

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n’a pas empêché le ministre de la Justice John Ashcroft,au lendemain du 11 septembre, d’édicter de nouvellesrègles vidant les “directives Levi” de leur substance.Grâce à Ashcroft, les agents du FBI sont désormaisautorisés à surveiller toute réunion publique même s’ilsn’ont aucune raison de soupçonner que des activitéscriminelles y sont commises ou planifiées.

Le 2 avril 2003, le California Anti-Terrorism Infor-mation Center (CATIC), qui relève du ministère dela Justice de l’Etat mais dont les forces régionales com-prennent des agents du FBI, publia à l’intention des ser-vices de police une note les mettant en garde contre depossibles violences au cours d’une manifestation anti-guerre prévue à Oakland. Or une enquête de l’OaklandTribune a révélé que le CATIC ne disposait que de trèspeu d’informations substantielles. La manifestation aen effet dégénéré, mais plusieurs bandes vidéo et trans-criptions de communications radio indiquent que la vio-lence fut en fait provoquée par la police, qui tira desballes en bois et des balles lestées sur les manifestants.Dans ces conditions, pourquoi le CATIC avait-il émisun bulletin d’alerte ? Dans une interview à l’OaklandTribune, Mike Van Winkle, son porte-parole, a fourniune définition étonnamment large du terrorisme : “Iln’est pas difficile de concevoir que, lorsqu’un groupe contes-tataire manifeste contre une guerre dont l’objectif est de lut-ter contre le terrorisme international,on est en droit de craindreque des actes terroristes soient commis pendant cette mani-festation. On pourrait presque soutenir que le simple fait demanifester contre cette guerre constitue un acte terroriste.”

L’énormité d’une telle déclaration, par laquelleun représentant de la loi prétend juger de la légiti-mité d’une protestation démocratique, semble confir-mer les pires craintes des défenseurs des libertés civiquesselon lesquels la “guerre contre le terrorisme” menéepar George W. Bush est en réalité une guerre contretoute forme de dissidence. Mais ce ne sont pas seule-ment des excès rhétoriques ou des pulsions fascistesqui amènent certains officiels à parler des manifestantscomme de terroristes. Il est possible qu’ils y soient inci-tés pour des raisons de carrière. “C’est là une bonne façonpour les policiers d’accumuler les points antiterroristes”,explique Timothy Edgar, conseiller juridique auprès del’American Civil Liberties Union (ACLU). “Ils doiventjustifier l’utilisation de l’argent qu’ils reçoivent de la part dugouvernement fédéral pour assurer la sécurité intérieure.Nous avons assisté à une inflation massive des statistiquessur le terrorisme.Tout Arabe détenteur d’un faux permis deconduire est désormais baptisé ‘terroriste’, ce qui permetde clamer qu’on a arrêté des milliers de terroristes.”

Le 25 mars 2003, deux jours après avoir défilé dansune manifestation autorisée contre la guerre, JenniferAlbright, 30 ans, qui était à l’époque adjointe au pro-cureur à Albuquerque (Nouveau-Mexique) et qui estaujourd’hui avocate, fut convoquée dans le bureau deson patron qui lui annonça sa mise en congé d’office.La raison ? Des policiers locaux avaient affirmé qu’elleavait identifié des agents en civil parmi la foule des pro-testataires, ce qu’elle nie.Trois jours après, Albrightétait renvoyée. Elle qualifie l’épisode de “chasse aux sor-cières”. Elle pense que les accusations dont elle a étél’objet ont été en partie déterminées par une hostilitépersonnelle. “Mon point de vue, dont j’ai essayé de dis-cuter avec mon patron, est que je suis victime de la vindictede la police, explique-t-elle. De nombreux officiers de policeont servi auparavant dans l’armée. En parlant avec cer-tains d’entre eux, j’ai senti qu’ils considéraient comme unaffront personnel le fait que quelqu’un soit opposé à la guerre.D’une manière ou d’une autre, ils s’identifient à l’armée.”

L’histoire d’Albright peut paraître exceptionnelle,mais à l’autre bout du pays, à Grand Rapids, dans leMichigan, Abby Puls a elle aussi failli perdre son tra-vail lorsque des policiers en civil l’ont accusée d’avoir

dévoilé leur identité. Traductrice hispanophone de24 ans travaillant sous contrat auprès du tribunal muni-cipal, Puls faisait partie de la People’s Alliance, ungroupe de militants antiguerre qui avait prévu de mani-fester devant le Federal Building [dans lequel siègentles administrations fédérales] le jour où la guerre seraitdéclenchée. Le 20 mars, alors que les bombes pleu-vaient sur Bagdad, Puls se rendit comme convenu àla manifestation, où elle aperçut deux personnes qu’elleconnaissait. Au tribunal, Puls avait fait la connaissancede quelques-uns des policiers en civil opérant dans desaffaires de trafic de drogue. Elle les considérait mêmecomme des amis. Pourtant, étonnée de les voir mani-fester contre la guerre en Irak, elle leur demanda cequ’ils faisaient là. “Oh, on traînait dans le coin, répon-dirent-ils. N’en parle à personne.” Elle affirme qu’ellen’en a pas soufflé mot, mais que d’autres manifestantsont compris qui ils étaient.

Le lendemain, Puls participa à un nouveau ras-semblement organisé devant le Federal Building. Aumoment où elle s’en éloignait, un homme assis sur lesiège passager d’une Ford marron l’interpella. Un autre

homme était installé au volant, tan-dis qu’une femme occupait la ban-quette arrière. Le passager luidemanda si elle était bien l’inter-prète qui travaillait au tribunal.“Oui, je m’appelle Abby”, répondit-elle en serrant la main que l’hommelui tendait. Il lui rendit sa poignéede main mais ne la lâcha pas. “Abbycomment ?” s’enquit-il. “Abby”,répéta-t-elle. L’homme réitéra saquestion, en serrant plus fort samain. Comme elle commençait àavoir mal, Abby lui donna sonpatronyme. Après quoi l’hommeassis au volant l’accusa d’avoirdévoilé l’identité d’un policier encivil lors du meeting de la veille, puisla menaça de l’arrêter pour refusd’obtempérer. “Si les juges venaientà apprendre que vous agissez contre lapolice, ils pourraient ne plus vouloir devous comme interprète, ajouta-t-il. Jene vous menace pas, je vous préviensjuste que, si vous dévoilez notre iden-tité, vous serez arrêtée.Vous avez de lachance de travailler pour le tribunal.”

Puls prit la menace au sérieux.Après que le journal local eut repro-duit des propos qu’elle avait tenuslors d’une manifestation contre laguerre, un juge conservateur du tri-bunal rapporta à son patron qu’ilavait vu son nom dans la presse,avant de suggérer qu’elle s’abstiennependant quelque temps de se pré-senter dans la salle où il siégeait, jus-qu’à ce que les choses “se calment”.

La police de Grand Rapids n’ap-partient à aucune Joint TerrorismTask Force, et il est probable quec’est de sa propre initiative qu’elle a

entrepris de surveiller les activistes antiguerre. Un telespionnage politique local n’est pas nouveau. De l’avisde Chris Pyle, ancien du renseignement militaire devenul’un des grands spécialistes américains de la surveillanceintérieure, si l’espionnage des citoyens est aujourd’huiplutôt moins développé qu’à l’apogée du mouvementcontre la guerre du Vietnam, c’est essentiellement queles manifestations de protestation sont moins nom-breuses qu’alors. Mais, ajoute-t-il, il est probable que lasurveillance menée aujourd’hui augmentera si les mou-vements antiguerre et anti-Bush prennent de l’ampleur.

“Nous assistons à quelque chose de beaucoup plus impor-tant et de beaucoup plus dangereux que tout ce qui a puse passer dans les années 50 ou 60, souligne Pyle. Cela estdû aux ordinateurs.Aujourd’hui, au lieu de travailler defaçon semi-isolée ou en collaboration ponctuelle, ces agencessont reliées entre elles par l’équivalent du grand pipelined’Alaska, où l’information circule dans les deux sens. Parailleurs, dans les années 50 ou 60, les agents du FBI, dela police ou de l’armée devaient faire le pied de grue ou frap-per aux portes pendant des semaines avant de recueillir desinformations personnelles sur les gens, le genre d’informa-tions dont vous avez besoin pour les placer sous surveillance.Aujourd’hui, on peut tout savoir en frappant quelques touchessur un clavier.Le potentiel de harcèlement est beaucoup plusgrand. Je n’ai jamais été aussi inquiet.Au moins, quandje figurais sur la liste des ennemis de Richard Nixon, ou aumoment où a été révélée l’affaire COINTELPRO, je medisais qu’on pourrait arrêter ce genre de truc.”

Michelle Goldberg* En français dans le texte.

COURRIER INTERNATIONAL N° 697 45 DU 11 AU 17 MARS 2004

La surveillance va serenforcer d’ici à la

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EL MUNDOMadrid

DE TARIJA (BOLIVIE)

Grecia, 12 ans, se trouve dansune chambre mal éclairée del’hôpital San Juan de Dios deTarija, dans le sud de la Boli-

vie. La jeune Guarani a la peau quipart en lambeaux. C’est un deseffets secondaires d’un médicament,le benzinadol, qu’on lui a prescritpour traiter la maladie de Chagas, contre laquelle iln’existe pas de vaccin et seulement deux médicamentssouvent très mal supportés par les patients.

Plus de 100 millions d’individus vivant dans les zonesles plus pauvres d’Amérique latine, depuis le sud du RíoBravo del Norte [ou Rio Grande] jusqu’à la Terre deFeu, sont exposés à la maladie de Chagas, et près de20 millions l’ont contractée. Comment ? En se faisantpiquer par une punaise, la vinchuca [en français, leréduve], qui transmet à l’homme un parasite, le Try-panosoma cruzi*. Le processus est simple. La vinchuca,très répandue en milieu rural, pond dans les murs fis-surés des maisons en torchis. Elle s’attaque à l’hommela nuit : elle le pique puis défèque sur sa peau. Quandla victime se gratte, les fèces de l’insecte pénètrent dansla plaie, accompagnées du parasite qu’elles hébergent.Elles peuvent également pénétrer dans les yeux quandon se les frotte avec les mains souillées.

La maladie de Chagas, qui porte le nom du méde-cin brésilien qui l’a découverte au début du XXe siècle,ne présente pas une symptomatologie immédiate,contrairement au paludisme, mais se développe chezun tiers des sujets infectés. Le Trypanosoma cruzi dété-riore lentement l’organisme, durant dix ou vingt ans,à mesure qu’il se reproduit dans les tissus, entraînantdes lésions du cœur, de l’œsophage, du côlon et du sys-tème nerveux. Rien qu’en Bolivie les autorités sanitairesestiment que la moitié de la population est exposée àla maladie et que 300 000 enfants de moins de 12 anssont déjà infectés. Selon les mêmes données, 13 % desdécès seraient imputables aux vinchucas. Mais ceschiffres ne sont que des estimations. “La maladie setransmet aussi par transfusion et de la mère à l’enfant jus-qu’à trois générations, si bien que le calcul est compliqué”,précise Francisco Román, coordinateur du projet deMédecins sans frontières (MSF) dans la province Bur-net O’Connor [département de Tarija], l’une des zonesles plus touchées de la planète. Son travail consiste àdiagnostiquer et à traiter 2 000 enfants de la région d’icitrois ans.

Or ce n’est pas une mince affaire, l’arsenal théra-peutique étant très réduit. Le Chagas, maladie depauvres, n’éveille que peu d’intérêt parmi les grandslaboratoires pharmaceutiques, si bien que les médecinsn’ont le choix qu’entre deux médicaments : le benzi-nadol, de Roche, et le nifurtimox, de Bayer. “Ce sont destraitements qui ont presque quarante ans. Le premier avaitété mis au point à des fins vétérinaires, le second a cessé d’êtreproduit, car il n’y a pas de demande, faute d’intérêt de la

part des gouvernements. Résultat : personne ne veut finan-cer la recherche sur de nouveaux médicaments qui auraientmoins d’effets secondaires, ou bien sur un vaccin,alors qu’onconnaît bien l’insecte vecteur et son habitat,ainsi que le dia-gnostic de la maladie et son tableau clinique”,assure SilviaMoriana, responsable de MSF en Bolivie.

De fait, Gonzalo Navarro, chargé de la surveillancede la maladie dans le département de Tarija, où le gou-vernement bolivien a mis en œuvre un plan nationalcontre le Chagas à titre d’expérience pilote, recon-naît qu’on “n’a pas encore lancé de traitements à l’échelleofficielle (comme le font les ONG) faute de moyens”. Etd’ajouter : “Il faut d’abord faire disparaître des maisons levecteur de la maladie, la vinchuca ; ensuite, on pourra pas-

ser au traitement.” Mais les brevets du benzinadol etdu nifurtimox ont beau être tombés dans le domainepublic, on ne fabrique pas de molécules génériques,ce qui ferait baisser les prix. De plus, on ne les trouvequ’en deux présentations : pastilles de 100 mg (benzi-nadol) et de 120 mg (nifurtimox), que les médecins doi-vent segmenter “à l’œil” pour administrer aux enfants.Or les enfants sont les patients les plus nombreux. Chezles malades adultes, qui sont pour la plupart atteints deformes chroniques, les médicaments ne sont guère effi-caces, à en croire les spécialistes. En outre, les traite-ments doivent être suivis pendant soixante jours, unedurée qui s’explique par le manque d’études sur ledosage et qui provoque de graves intoxications. On nesait pas non plus avec certitude dans quelle proportion

les enfants éliminent définitivementle parasite, ou s’ils s’infectent denouveau. “Il faudrait réaliser un suivià long terme”, commente FernandoParreño, un médecin de MSF.“Noussavons qu’au bout de cinq ans 60 % desmalades se rétablissent,mais on ne dis-pose d’aucune étude sur dix ans.”L’éli-mination de la vinchuca a fait l’objetde beaucoup d’efforts. Jusqu’à unedate récente, cet insecte était le bien-

venu dans les foyers “parce qu’il venait avec les récoltes”.Capable de pondre 600 œufs dans une maison, la punaiseest devenue maudite depuis les campagnes menées parle gouvernement et les ONG. Le programme nationalde lutte contre la maladie de Chagas consiste à désin-sectiser les foyers par fumigation. Suspendu pendant troisans par manque de financement, il n’a repris qu’au prin-temps, avec une vigueur renouvelée. Son objectif : désin-sectiser 700 000 logements d’ici à 2005. “D’abord, onrecense les maisons infestées, ensuite on les traite (tous lessix mois) de façon à ce qu’on retrouve des vinchucas dansmoins de 3 % des logements.On procède alors à des analysessur les enfants pour voir s’ils sont atteints de la maladie deChagas puis on les traite. Ce serait inutile de le faire plustôt car ils se réinfecteraient”, explique le responsable duprogramme de Tarija. Il faut en effet que les logementsaient été assainis, ce qui se révèle très compliqué dansl’une des régions les plus pauvres d’Amérique latine.L’ONG Pro Habitat se bat pour cela, fournissant auxfamilles les matériaux pour qu’elles remettent leurs loge-ments en état. Quelque 20 000 foyers boliviens qui étaientdes taudis ont été transformés.

Ensuite, pour contrôler la présence des punaises,on met en place des points d’information sur le vec-teur, ou, ce qui revient au même, des paysans pré-viennent les postes de santé lorsqu’ils détectent des vin-chucas dans leurs villages. Une fois la punaise devenuel’exception, on peut commencer le traitement, qui n’estpas toujours efficace. Le visage de Grecia, la petite filleguarani, qui, la peau couverte de croûtes, se languit àTarija, en est un exemple. “Mais,maintenant, je n’ai plusmal”, assure-t-elle. Rosa M. Tristan

* Agent de la maladie de Chagas, ou trypanosomiase américaine, maladiemortelle pour l’homme, qui sévit à l’état endémique en Amérique latineet pour laquelle il n’existe à ce jour aucune chimiothérapie adaptée.

enquête ●

AU SUD DU RIO GRANDE

Près de 20 millions de Latinos-Américains sont affectés par la maladiede Chagas. Cette parasitose est transmisepar une punaise, la vinchuca, qu’ilsuffirait d’éradiquer pour venir à bout de l’endémie. Reportage en Bolivie.

La maladie de Chagas et ses punaises maudites

� La vinchuca ou réduve, quitransmet à l’hommele parasite mortel.� Pour éradiquer la maladie, il fautdésinsectiser toutes les maisons infestées.Ici dans un village du Honduras.

MEXIQUE

GUATEMALA

HONDURAS

Zones endémiques

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NICARA

GUA

COSTA

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PANAM

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VENEZUELAGUYANA

SURINAMGUYANE (FR.)

BRÉSIL

ÉQUATEUR

PÉROU

COLOMBIE

BOLIVIEPARAGUAY

URUGUAYCHILI

ARGENTINESources : International Association for Medical Assistance to Travellers

<www.iamat.org>, The Travel Clinic <www.travelclinicoregon.com>

Tropiquedu Cancer

Tropique du Capricorne

Equateur

La maladie de Chagas en Amérique latineLa maladie de Chagas en Amérique latine

OCÉANPACIFIQUE

OCÉANATLANTIQUE

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D É P I S T A G E

Dans la bourgade d’Entre Ríos, une équipe de Médecins sans frontières recense les enfants infectés, les soigne et veille à ce que leur maison soit débarrassée de la punaise vecteur du trypanosome.

D’ENTRE RÍOS (BOLIVIE)

E coute, Jorge, tu avales un demi-comprimétrois fois par jour. N’oublie pas de le

prendre, c’est seulement comme ça quetu pourras guérir du mal de la vinchuca.”Nous sommes dans l’école primaire de lacommunauté de Buena Vista, dans la pro-vince Burnet O’Connor, en Bolivie. FernandoParreño, pédiatre de Médecins sans fron-tières (MSF), a devant lui une dizaine d’en-fants. Tous sont atteints de la maladie deChagas. Tous por tent des vêtements demarque : celle de la pauvreté.Il y a déjà un an que cette ONG a atterri dansle département de Tarija, avec un projet de pré-vention et de traitement de la maladie de Cha-gas, même si elle n’a pu commencer à travaillersur le terrain qu’il y a six mois. “Quand onest arrivés”, raconte Francisco Román, le res-ponsable du projet, “19 % des logementsétaient encore infestés de vinchucas, si bienqu’il était inutile de commencer le traitement.”

En juillet, ses deux confrères, Fernando et Víc-tor, sont arrivés. Ce trio, épaulé par une équipede professionnels, a déjà réalisé des tests surplus de 2 000 enfants de moins de 14 ans.Plus de 400 sont infectés. “Presque tous sontd’ici, d’Entre Ríos, explique Francisco. La pro-vince Burnet O’Connor compte 103 commu-nautés indiennes, et nous n’avons pu en visi-ter que quelques-unes. Ici, le travail est lent.Notre objectif est de soigner 2 000 enfantsen trois ans.”Entre Ríos. Quatre rues boueuses. Des com-merces où la viande grouille de moucheset où l’alcool à boire sert de désinfectant.Une bourgade située au milieu d’une forêtexubérante qui renferme les plus grandesréserves de gaz d’Amérique latine, lesquellesont causé un grand nombre de morts cetteannée en Bolivie. [Les manifestations de sep-tembre 2003, durement réprimées et qui ontentraîné la démission du président GonzaloSánchez de Lozada, avaient pour origine ladécision du gouvernement d’exporter le gazbolivien à partir d’un port chilien.]“La semaine prochaine, je te donne le res-tant des comprimés”, dit Fernando à l’en-fant en lui tendant une poignée de petitsmorceaux de comprimés. Jorge les met dans

sa poche, en faisant attention qu’ils ne pas-sent pas par les trous de son pantalon. Letravail de MSF commence en amont du trai-tement : ses entomologistes, Raúl et Félix,ont pour tâche de détecter les vinchucasdans les maisons pour s’assurer que ladésinsectisation a fonctionné.Aujourd’hui, au lever du jour, il pleuvait à tor-rents. Trempés, les deux vinchuqueros arri-vent chez Reinaldo Cayo, un paysan de SanSimón, et commencent à chercher despunaises dans le poulailler, dans la cuisine,sous le toit. “Ici, il y a des œufs, mais secs.Cette maison est propre. Elle a été traitéeil y a peu de temps”, assure Félix, une lampetorche à la main. S’il trouvait une punaisevivante, il l’emporterait au laboratoire dansune petite boîte. Quand Raúl et Félix ont finileur tournée, Jesús, un Guarani de puresouche, entre en scène. Sa mission : recen-ser les enfants de la maison qui sont sus-ceptibles d’être atteints de la maladie deChagas. Reinaldo est satisfait.“Auparavant,les gens mouraient jeunes, et on ne savaitpas pourquoi : on ne savait pas le mal quefaisaient les vinchucas. Mais, aujourd’hui,même les enfants les écrasent, et ils lesdonnent aux poules.”

Pour savoir si les enfants sont atteints, ce quiest très probable, les auxiliaires de MSFrecueillent quelques gouttes de leur sang surun papier réactif. Si le test est positif, on com-mence le traitement une semaine plus tard,en les soumettant à un contrôle hebdomadairedes médecins et des auxiliaires. Selon Fran-cisco, “c’est la seule façon de s’assurer qu’ilsprennent correctement leurs médicamentspendant deux mois. Et, malgré les contrôles,il en reste toujours 10 % qui ne vont pas jus-qu’au bout du traitement, soit qu’ils démé-nagent, soit qu’ils oublient de le prendre.”MSF prendra à sa charge les coûts pendantles deux mois : l’ONG importera les médi-caments d’Uruguay pour qu’ils reviennentmoins cher. En Bolivie, Reinaldo Cayo devraitdébourser l’équivalent de 50 euros pour trai-ter chacun de ses enfants, soit ce que lui rap-porte son petit champ de maïs chaque mois.“Dites”, lance Griselda, la mère de deux petitsmalades à l’un des entomologistes de MSF,“et moi, pourquoi on me soigne pas ? Moiaussi, j’ai peut-être le Chagas-chose.” Mieuxvaut qu’elle ne sache pas. “A son âge, on nepourrait sans doute pas la guérir”, se résigneFernando, alors qu’il ferme la consultationà Buena Vista. Rosa M. Tristan, El Mundo, Madrid

“Auparavant, les gens mouraient jeunes, et on ne savait pas pourquoi”

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IZVESTIAMoscou

Sur quoi peuvent bien se retrouver des com-munistes-patriotes, des libéraux, des pro-occidentaux et des défenseurs des droitsde l’homme pro-Tchétchènes ? Sur le nou-

veau credo de l’opposition radicale, porté parun slogan unique : “Pour une Russie sans Pou-tine !” Un slogan un peu utopique du point devue de ses perspectives concrètes, mais très clair,ne serait-ce que comme anti-utopie.

Qu’a donc fait le président pour provoquerune telle unanimité chez les radicaux ? La pre-mière évidence est qu’il les a tous évincés dela scène politique. Pourtant, son premier man-dat, qui s’achève, n’a consisté qu’à créer lesconditions nécessaires à la poursuite de sonobjectif : redresser et moderniser la Russie. Carc’est en cela que consiste la politique russeactuelle. Au début du mandat de Poutine, cesconditions n’étaient pas réunies, et il n’y avaitpas trace de cette politique. Qu’avions-nous audépart ? Des institutions en ruine, à la seuleexception de la présidence, qui se trouvait dansun piètre état. Il serait toutefois absurde de consi-dérer qu’Eltsine a été le pire des présidents. Lepays avait connu une catastrophe, conséquencede la crise du système soviétique. L’URSS avaitété détruite non par les démocrates réforma-teurs, mais par les communistes eux-mêmes. Etsur ce cadavre sont apparus mouches, rats ettout ce qui afflue généralement dans ces cas-là.Eltsine était plus adapté que notre élite “huma-niste”, en tout cas dans la vision qu’il avait de lasituation. Son rôle fut d’être le “président quiprécipita la chute”.Tant que le pays n’avait paspris conscience de la catastrophe, tant qu’il con-tinuait d’attendre les miracles humanitaro-économiques promis par le marché libre, tantqu’il n’avait pas touché le fond, il était impos-sible d’espérer quoi que ce soit, de compter surle moindre programme réel, positif.

Le premier mandat de Poutine a consisté enune réanimation lente, très prudente et pro-gressive de l’Etat russe, à partir des éléments debase sans lesquels il est impossible d’avancer. Etle premier de ces éléments, je le dis, quitte à cho-quer, c’est la force publique. On n’en est pasencore à lui demander d’être efficace, hélas, maissimplement disciplinée. Car il ne saurait y avoird’Etat si l’appareil répressif n’en fait qu’à sa tête,s’il est démantelé et manipulé par des clansfinanciers et criminels, russes aussi bien qu’étran-gers. Dans un système hiérarchique, un ordres’exécute et ne se discute pas. C’est la premièreétape de la restauration de l’Etat en tant qu’ac-teur sur la scène politique intérieure.

L’étape suivante est de s’occuper des inté-rêts vitaux du pays, en premier lieu dans les ter-ritoires voisins. Sans l’“étranger proche”, quereprésente l’espace postsoviétique, la Russie n’estpas un véritable Etat souverain. Même pas éco-nomiquement. Et elle est d’autant plus vulné-rable politiquement. Il s’agit donc de refairede l’Etat russe un acteur de la politique inter-nationale, de sauvegarder sa souveraineté. Dansle monde actuel, très peu d’Etats disposent d’uneréelle souveraineté. Soit ils n’ont aucune chanced’en avoir une, soit ils la délèguent plus ou moinsvolontairement à un “grand frère”. Si l’onexcepte les “Etats voyous”, seuls les Etats-Unis,la Chine, l’Inde et la Russie jouissent d’une vraiesouveraineté, ce qui n’est le cas ni de l’Alle-magne, ni du Royaume-Uni, ni du Japon.

Pour la Russie, conserver son statut n’est pasune simple question de civilisation ou de culture,mais de survie. La Russie n’est ni le Mexique,ni la République tchèque. Elle ne peut pas existeren tant qu’élément d’un projet intégré. Si elle perdsa souveraineté, elle sera démantelée économi-quement, politiquement et physiquement par lesnouveaux et les anciens joueurs de l’échiquiermondial qui sont en concurrence pour se parta-ger son espace. Imaginer que la Russie est un pays“comme les autres” et qu’elle pourrait occuperune petite place paisible parmi des satellites libé-raux en voie de développement placés sous latutelle de grandes puissances démocratiques, relèvesoit de la bêtise, soit de la propagande.

A l’échelle de l’Histoire, quatre années repré-sentent moins qu’un instant, et Moscou ne s’estpas fait en un jour. Ce qui a été réalisé durantcette période est quantitativement décevant, bieninférieur à ce qu’on aurait voulu, mais du moinsn’avons-nous commis aucune erreur fatale

– nous n’avons rien perdu et nous ne noussommes fâchés avec personne.Tout ce qui a étéfait jusqu’à présent pour redresser le pays a dûêtre accompli de manière quasi clandestine, maisle stade de réanimation atteint aujourd’hui per-met déjà d’œuvrer au grand jour dans certainsdomaines. Or c’est justement cela qui suscite lapanique et la colère au sein de notre “élite néede la catastrophe”, celle qui s’est engraissée surle corps d’un pays malade, à moitié détruit etqu’elle méprise par-dessus le marché. Elle s’enest nourrie, puis a vendu les restes de ladépouille. Alors comment ose-t-on lui parler deréanimation ! Puisque le docteur (de Washing-ton) a dit qu’il était mort, c’est qu’il est mort.

Premier scénario : l’anti-utopie des libéraux.C’est le scénario des anti-Poutine timides, et ils’apparente à une sorte de retour en arrière.Oublier Poutine comme on oublierait un cau-chemar, comme s’il n’avait jamais existé. Deprime abord, cela a un air de déjà-vu. La Rus-sie des derniers temps d’Eltsine… Les oligarquesqui entraient au Kremlin en ouvrant les portesà coups de pied… Bref, la restauration de cetteoligarchie florissante qui avait soudain vu le pou-voir lui échapper. Mais il y a une grosse diffé-rence : toute l’élite des années 90, qui en a mira-culeusement réchappé, aura désormais pour idéefixe : “Plus jamais ça !” Alors, comment atteindrecet objectif ?

Dans le meilleur des cas, cela ressemble à unretour à 1991, avec de plus grosses réserves endevises mais sans les ressources matérielles etl’infrastructure soviétiques, sans les illusionshumanistes et démocratiques, sans la légitimitéqui était fondée sur ces illusions, et avec, en face,un pays rendu plus féroce par l’appauvrissement.Les derniers sondages révèlent que, si Poutinene se représentait pas, 51 % des électeurs vote-raient “contre tous”. Un gros effort d’imagina-tion n’est pas nécessaire pour en déduire qu’ilsseraient 95 % à voter contre les oligarques.

La seule caution de ce “plus jamais ça !”serait l’étranger. Les oligarques reprendraientaussitôt ce qu’ils faisaient auparavant assez dis-crètement, progressivement et soigneusement(pour éviter de choquer l’opinion internatio-nale), à savoir transférer tout le contenu du payssous l’administration directe de Washington. Enpolitique extérieure, cela signifierait un retour àla diplomatie de Sergueï Kozyrev [ministre des

■ Le 14 mars, le président russe est assuré d’être réélu pour quatre ans. Sa figure domine à ce pointla vie politique que personne n’envisage une alternance avant 2008. Serait-il vraiment le seul à pouvoirconduire le pays ? ■ Le quotidien Izvestia a invité deux commentateurs de renom à donner leur pointde vue. Deux analyses contradictoires qui ont fait du bruit à Moscou.

débat●

EN ROUTE POUR UN SECOND MANDAT

Poutine sera-t-il le sauveur de toutes les Russies ?

COURRIER INTERNATIONAL N° 697 48 DU 11 AU 17 MARS 2004

Sans lui, ce serait le chaosLe président est le seul à pouvoir étancher la soif de revanche des Russes sans faire basculerle pays dans la terreur et le fascisme, assure le journaliste politique Mikhaïl Leontiev.

Suite page 50 �

■ L’auteurMikhaïl Leontiev a débuté sa carrièrede journaliste,au début des années 90,à la rédaction duquotidien Sevodnia,aujourd’hui disparu.A l’époque, il étaitun fervent partisandu libéralisme pro-occidental, commele journal qu’il avaitrejoint. Il metaujourd’hui tout sontalent et sa force de conviction à défendre l’idéed’une Russie forteet autoritaire.Il anime désormaischaque jour vers 20 heures,l’émission Odnako,sur la chaînepublique ORT,où il commentel’actualité.Ce qui n’empêchepas le prolifiqueobservateur de la vie politiquerusse de continuerd’écrire dans diversespublications.

DR

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IZVESTIAMoscou

Les hymnes à la gloire du président Poutine etles propositions de recettes pour “redresserla grande puissance effondrée” se sont mul-tipliés ces derniers temps. Ce qui est remar-

quable dans l’article de Mikhaïl Leontiev, ce n’estpas qu’il chante les louanges du président, maisqu’il reflète l’état d’esprit d’une partie du mondepolitique russe, qui voudrait bien donner le tondu prochain mandat de Poutine. Comme s’il savaitdes choses que nous ignorons, l’auteur suggèrequ’après sa réélection le président n’aurait pasl’intention de mener la politique qu’il a annon-cée dans son allocution-programme du 12 février.

Je rappellerai que Poutine a lancé sa campagneen réaffirmant clairement son libéralisme : “Seulsdes citoyens libres sont susceptibles d’assurer la crois-sance de l’économie, la prospérité de l’Etat.C’est l’al-pha et l’oméga de la réussite économique et du déve-loppement.” La façon dont Leontiev parle du“redressement de l’Etat” montre qu’il propose uneautre voie à Poutine et qu’il escompte êtreentendu. Son idée de “revanche civilisée” est lanouvelle version d’une politique autoritaire. Lamanière dont s’est déroulé le premier mandatconfirme en tout cas une chose : entre le pro-gramme libéral exposé par Poutine et la réalitéactuelle, le contraste est énorme. Dès lors, onse demande si ce décalage traduit les tergiver-

sations du président ou une tentative de redres-ser la barre pour rassurer la minorité libérale deRussie et les Occidentaux inquiets.

La présidentielle du 14 mars est beaucoup plusqu’une simple reconduction automatique de Pou-tine dans ses fonctions. Elle représente l’achève-ment d’une étape historique, celle de l’expériencepostcommuniste. Poutine, après avoir consolidéson régime, doit maintenant cimenter le systèmeet peut encore doser son ciment de différentesmanières, en variant les proportions d’Etat, depatriotisme, de populisme et de libéralisme. Queva-t-il choisir en définitive ? Un retour à la périodeEltsine, avec les oligarques aux commandes, semblepeu probable, je suis d’accord. Mais un remake decette période marquée par le favoritisme et laconstitution d’une nouvelle “famille politique” nesont pas exclus. La probabilité du scénario degauche, populiste, n’est pas vraiment envisageableà court terme, je partage là aussi l’avis de Leon-tiev. Même dans les milieux patriotiques prochesdu Kremlin, on se rend compte du caractère néfasted’un antioccidentalisme frontal tel que le prati-quent Vladimir Jirinovski ou Dmitri Rogozine[coleader du bloc national-populiste Rodina, avecSergueï Glaziev]. Cependant, l’hypothèse libé-rale se trouve elle aussi discréditée, et ceux qui l’in-carnent sont trop démoralisés pour convaincrel’opinion. Dans ces conditions, il est bien diffi-cile de croire que Poutine choisira de mettre enpratique une idée portée par des vaincus.

Tout porte à croire que les milieux politiquesrusses sont aujourd’hui occupés à réaliser unesynthèse entre autoritarisme, réformes écono-miques et esprit de grande puissance, qui ne doittoutefois pas faire peur à l’Occident. Un nouveautraditionalisme est ainsi en train de voir le jour,débarrassé de sa défroque communiste. Quandje dis “traditionalisme”, je veux parler de l’accentmis sur un pouvoir personnifié et illimité du pré-sident sur la scène intérieure et du recours à laforce en politique extérieure.

Que proposent ces nouveaux traditionalisteset à quoi s’opposent-ils ? D’après Leontiev, ils se

réjouissent que Poutine ait évincé l’oppositionradicale. En réalité, avoir éliminé toutes les forcespolitiques – exceptée la bureaucratie – crée unterrain propice aux radicalismes de tout poil, libé-ral, de gauche, voire nationaliste. Le vide poli-tique est toujours dangereux, car il peut engen-drer des réactions imprévisibles. C’est pour celaque les démocraties occidentales cultivent le plu-ralisme et, bien sûr, l’opposition : il s’agit d’évi-ter des ennuis au pouvoir lui-même.

Quant au statut prépondérant de l’Etat et lavraie souveraineté à laquelle aspirent nos “cham-pions de la patrie”, ils n’existent plus depuis bellelurette, nulle part dans le monde. Pour un Etat,le fait même d’appartenir à une organisation inter-nationale revient à reconnaître les limites de sapropre souveraineté. Si la Russie veut devenir nonpas un “Etat-voyou”, mais un pays civilisé, sa sou-veraineté sera forcément encadrée. Elle devrasuivre les règles du jeu établies par la commu-nauté internationale.

On a en outre l’impression que les nouveauxappuis autoproclamés de Poutine considèrentla souveraineté comme un droit à employer laforce sans que la justice ait son mot à dire. Cettevision des choses pourrait passer pour une réponseà la politique des néoconservateurs américains,qui placent eux aussi la force au-dessus du droit.Or l’intervention armée des Etats-Unis en Irak anon seulement provoqué la plus grave crise inter-nationale de ces dix dernières années, scindant lemonde occidental en deux camps, mais a aussiréduit le soutien que la société américaine accor-dait jusqu’alors au Parti républicain au pouvoir.Si la Russie empruntait cette voie, son dialogueavec la communauté occidentale serait condamné.

Examinons à présent la grande thèse des néo-traditionalistes. Elle est très simple : le présidentPoutine, au cours de son premier mandat, a com-mencé à restaurer la primauté de l’Etat. Au coursde son deuxième mandat, il pourra utiliser cet Etatrénové afin de moderniser la Russie et de lui assu-rer la place qu’elle mérite dans le monde. Effec-tivement, la Russie a besoin d’un Etat fort, capablede protéger les droits sociaux de ses citoyens et deleur assurer des conditions de vie normales,humaines. Nous avons aussi besoin d’une bureau-cratie moderne, d’une armée respectée, de servicessecrets efficaces pour garantir la sécurité de la popu-lation. Mais un Etat ainsi fait ne va pas forcémentà l’encontre des principes du libéralisme, commele montrent les sociétés occidentales développées.Un projet libéral n’implique pas non plus que laRussie suive aveuglément toutes les recettes del’Occident. Nos expériences avec le FMI et laBanque mondiale prouvent que la Russie doit seméfier des conseils venus de l’extérieur. Notre payspeut très bien avoir – et il en a – des intérêts qui necoïncident pas avec ceux des grandes puissances.L’Occident lui-même est divisé, chaque Etat a sapropre vision du développement de la planète ;la crise irakienne l’a bien souligné.

Toute la question est de savoir ce que nousentendons par Etat “fort” : un Etat doté de règlesdu jeu précises auxquelles se soumettent aussi bienla société que le pouvoir, ou un Etat qui obéit aux“nécessités du moment”, contrôlé par une poignéed’individus arrivés par hasard dans les coulisses duKremlin ? Dans le premier cas, il s’agit d’un Etatoù les règles du jeu sont garanties par la loi et des

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En finir avec les hommesprovidentielsPour se redresser, la Russie a besoin d’un Etatmoderne et fiable et non d’un homme fort qui se substitue à la loi, rétorque la politologueLilia Chevtsova.

Suite page 51 �

■ L’auteurPolitologue et journaliste de renom, LiliaChevtsova enseigneà l’Institut desrelationsinternationales deMoscou (MGIMO) etdirige une unité derecherche à l’institutCarnegie pour lapaix internationale,également àMoscou. Elle estl’auteure ou lacoauteure denombreux ouvragessur le pouvoir russe,dont Putin’s Russia(2003) etGorbachev, Yeltsinand Putin : PoliticalLeadership inRussia’s Transition(2001).

� Dessin d’IngramPinn paru dans leFinancial Times,Londres.

DR

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Affaires étrangères pro-occidental sous Eltsine].L’équipe économique pourrait rester inchangée.Ce serait une très brève période de joyeux pillagemassif et de dépeçage du pays. Résultat prévi-sible : une tension accrue, des conflits et l’effon-drement des restes. Il n’existe aucune solutionextérieure, aucun soutien qui puisse permettreà cette élite de compradors [qui bradent, lesrichesses nationales pour son profit personnel]de tenir le pouvoir et de maintenir l’ordre et lecalme dans un pays tel que la Russie. Et iln’existe pas de force extérieure qui ait besoin decela. Ce serait la porte ouverte au démembre-ment de la Russie.

Si l’on met de côté les utopies abstraites etqu’on s’en tient à ce que peut réellement envi-sager l’opposition, on s’aperçoit que la seule cartepour faire chanceler la majorité dont disposePoutine est celle de la déstabilisation économiqueet politique. Parmi tous les facteurs interneset externes, le seul qui aurait un effet rapide seraitla Tchétchénie. Cela n’a rien à voir avec le sépa-ratisme, ni avec l’islam, ni même avec les Tché-tchènes, c’est juste un instrument pour conqué-rir le pouvoir en Russie. Tout cela donne aucombat de l’opposition “démocratique” incar-née par le slogan “Pour une Russie sans Poutine !”un parfum sanglant et barbare que l’on sent d’ici.

Curieusement, lorsqu’ils tentent de créer uneopposition démocratique radicale à Poutine, noslibéraux se marginalisent très vite. Prenons, parexemple, le Comité pour des élections équitablesen 2008, dirigé par un grand joueur d’échecs[Gari Kasparov]. On semble oublier que, mal-gré une incontestable habitude à échafauder destactiques, un joueur d’échecs est avant tout unsportif, ce qui le rapproche plus du footballeurque de l’intellectuel. En tout cas, le fameuxFomenko [historien fantaisiste qui développeune “théorie de la nouvelle chronologie”, affir-mant par exemple que Jésus-Christ aurait vécuil y a cinq cents ans] aura du mal à se faire pas-ser pour le futur sauveur de la Russie. Quant àl’apparition sur ce créneau d’Ivan Rybkine enclown de foire [totalement discrédité après samystérieuse “disparition” en pleine campagneélectorale, ce candidat libéral à la présidentielles’est retiré de la course le 5 mars], elle pour-rait arracher un sourire, n’était le sombrecontexte du terrorisme tchétchène auquel cettepersonne est organiquement liée [par l’inter-médiaire du milliardaire Boris Berezovski, émi-nence grise du Kremlin sous Eltsine, qui avaitbeaucoup d’intérêts en Tchétchénie].

Deuxième scénario : l’anti-utopie de lagauche. A première vue, elle est encore plus uto-pique que l’hypothèse libérale. Son idéal seraitun pouvoir converti au national-communismeorthodoxe qui prendrait enfin en compte les griefsde l’opposition populaire et patriotique à l’égardde la politique de Poutine, en combattant le libé-ralisme économique, en tenant tête aux Etats-Unis et en renonçant à s’intégrer à l’Occident.Du national-populisme pur, par ailleurs un phé-nomène difficile à décrire car, par nature, impré-visible. Une chose est sûre : abandonner la poli-tique que mène Poutine, cet équilibre sur le fildu rasoir avec nos partenaires occidentaux – amé-ricains surtout – mettrait un terme à tous nos

espoirs de conserver une réelle souveraineté.Notre pays est encore très affaibli, et cela rédui-rait à néant ses possibilités de mener une poli-tique indépendante qui sert ses intérêts. Si, dansle premier cas, on en revenait à Kozyrev, dans lesecond on n’hériterait même pas d’Evgueni Pri-makov [autre ministre des Affaires étrangèressous Eltsine, beaucoup moins pro-occidental queKozyrev], mais carrément de [l’ultranationaliste]Vladimir Jirinovski. La Russie se marginaliserait,ses relations avec le reste du monde se dégra-deraient à tel point qu’elle n’y survivrait pas.

Ce serait pareil à l’intérieur du pays. Un telparti est en fait celui de la revanche. Unerevanche rapide et magistrale. Et, avec un telprogramme, les nationaux-populistes ont unechance de gagner une certaine légitimité et lesoutien de la population. En réalité, nous serionsalors loin du communisme, plutôt en plein fas-cisme. La force publique, livrée à elle-même etagonisante, tomberait dans la vengeance et laterreur individuelles. Contrairement au com-munisme, le fascisme (comme le crime organisé)ne s’est jamais opposé à la propriété privée. Maisil s’oppose toujours à son inviolabilité. A la dif-

férence des modèles fascistes que nous connais-sons, ce système offrirait un rôle en or au mondedu crime. Ce serait un déchaînement de terreur.

Troisième scénario : la revanche civilisée. LaRussie exprime une forte attente de renaissance,elle veut retrouver son rôle, sa puissance, sa digniténationale. Elle a soif de revanche.Tous les socio-logues l’ont noté, malgré leurs divergences d’ana-lyse. Poutine, en tant que phénomène politique,est né de ce sentiment d’humiliation et de cettevolonté de revanche. Le but de son second man-dat sera de répondre à cette demande de revanche,et d’y répondre de manière civilisée, non “catas-trophique”. Il s’agira de remettre le pays sur piedet de le moderniser tout en entretenant des rela-tions normales, tactiquement et stratégiquementadaptées, avec le monde qui nous entoure, sur-tout avec les centres mondiaux du pouvoir. Mêmesi la renaissance de la Russie ne leur plaît pas. Agi-ter comme on le fait aujourd’hui la menace natio-nal-populiste est de la démagogie conjoncturelle.On ne comprend pas que, si la demande derevanche n’est pas satisfaite de façon civilisée,si nous laissons passer cette chance, il y aura detoute façon une tentative de revanche. Mais noncivilisée et de nature “catastrophique”.

Ainsi, le deuxième scénario [national-com-muniste] pourrait se réaliser, non comme résul-tat d’un jeu politique, mais dans le cas d’unéchec de la modernisation voulue par Poutine.Ou bien comme conséquence de la catastrophenationale qui résulterait de la réalisation du pre-mier scénario [libéral]. En résumé, d’abord unretour des oligarques, puis une réaction crimi-nalo-fasciste, puis l’effondrement, la dislocationet la disparition de la Russie. Tel est l’éventailcomplet des perspectives qu’offre la mise en

œuvre du slogan “Pour une Russie sans Poutine !”Préserver la Russie, c’est-à-dire redresser unepuissance en ruine alors que les plus grands paysdu monde n’ont pas intérêt à ce que cela marche,est extraordinairement difficile. Le président n’apas droit à l’erreur ; c’est ce qui explique cetteextrême prudence, qui pourrait sembler exces-sive. Mais cela a suffi à lui attirer le soutien d’uneimmense majorité, composée de Russes qui veu-lent vivre, et vivre en Russie. D’autre part, celaa aussi suffi pour cristalliser une opposition orga-nisée quoique marginale, qui attire des massespolitiquement immatures. Et il est tout à faitnaturel que la formation de cette opposition dis-parate se déroule hors de Russie.

Ce “front anti-Poutine” est né parce qu’ilexistait une demande très précise pour cela, etde l’argent à la clé. Malgré une incompatibilitéapparente, les membres de ce “front” n’ont pasde griefs les uns envers les autres. Ils en nour-rissent exclusivement à l’égard du présidentPoutine. En fait, la seule chose qu’ils lui repro-chent est justement d’être président. Commeil est difficile de formuler un reproche aussi glo-bal, nous assistons à une “rybkinisation” rapidede l’opposition radicale. Ce “front uni” évoque,par sa composition et ses méthodes, la fameuseunion de la carpe et du lapin. Tout cela seraitcomique si, pour arriver à ses fins, il ne récu-pérait pas la cause tchétchène, et s’il ne fondaitpas son action sur la certitude que l’étrangervolera au secours de la Russie dès que les condi-tions minimales seront réunies. Le spectre dela catastrophe plane encore. C’est pourquoinous n’avons pas droit à l’erreur. La moindreerreur nous serait fatale.

Mikhaïl Leontiev

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débat●

Poutine sera-t-il le sauveur de toutes les Russies ?

Sans lui, ce serait le chaos� Suite de la page 48

■ ConjecturesVladimir Poutine anommé son nouveauPremier ministre le 1er mars, deuxsemaines avant laprésidentielle. Aprèsavoir expliqué qu’ilsouhaitait présenterson nouveau chef de cabinet avant lescrutin afin que lesélecteurs puissentse faire une idée de la ligne qu’ilcomptait suivre,il a tenu en haleinele pays pendant une semaine, pourfinalement désignerun quasi-inconnu.Difficile en effet de se faire une idée sur Mikhaïl Fradkov,économiste“apolitique”qui a fait sa carrière au ministère duCommerce extérieur,actuel représentantde la Russie auprèsde l’Unioneuropéenne,et ancien patron de la police fiscale.Perplexes,les commentateurscontinuent donc de se perdre en conjectures.Une chose sembleacquise, Fradkov nesera qu’un fusible,Poutine tenanttoujours seul legouvernail. Certains,comme le quotidienlibéral Vedomosti,parient qu’il amorcera bel et bien, commeannoncé, son“tournant décisif”vers plus delibéralisme… Dumoins en économie.

Répondre à lademande de revanche

de façon civilisée

� La Russie face à ses choix :capitalisme,communisme,nationalisme.Dessin deZlatkovsky, Russie.

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institutions indépendantes. Dans le second cas,l’Etat ne peut offrir qu’une seule chose : l’arbitraire.

Durant son premier mandat, le président Pou-tine a bel et bien réussi à sortir la Russie du chaos.Mais l’Etat tel qu’il est aujourd’hui continue,comme sous Eltsine, à ignorer la loi. Certes, sousEltsine, l’Etat, qui se conformait “aux nécessitésdu moment”, était désorganisé ; Poutine y a remisde l’ordre. Mais à quel prix ? Aujourd’hui, il estcontraint de compenser en personne l’absence delois ou l’incapacité du pouvoir à les faire appliquer.Ainsi, il rencontre les oligarques dans sa datcha etleur fixe les “règles d’équidistance” [euphémismepour signifier que Poutine remet les oligarques àleur place, qui n’est pas le Kremlin]. Il garantit per-sonnellement aux dirigeants et aux hommes d’af-faires occidentaux la sécurité des investissementsen Russie. Dans une société démocratique nor-male, il est impensable que le chef de l’Etat sup-plée la loi ; en Russie, cela ne peut fonctionner quede cette manière. Poutine doit aussi se substituerà la loi parce qu’il ne croit pas lui-même à l’exis-tence de règles et comprend que son engagementpersonnel et sa caution de président sont le moyenle plus simple de faire avancer les choses.

A chaque fois qu’il se substitue à la loi ou à unebranche du pouvoir (autre que l’exécutif), on peutcroire que ce n’est que ponctuel, que très bientôtdes règles seront instaurées. Mais cela n’a pas étéle cas et ne le sera pas tant que la classe politiqueconférera au président le rôle d’arbitre dégagé descontingences de la société. Car un arbitre peut

se tromper, et son poste n’est pas éternel. LorsquePoutine quittera le Kremlin, rien ne garantit queson successeur restera dans ses rails. Cette pratiquequi consiste à se passer de règles et de principesengendre une succession d’hommes providentielsqui passent leur temps à faire table rase du passé.Ainsi, Eltsine a supprimé Gorbatchev et l’Etat ;Poutine a effacé Eltsine et son régime. Que feracelui qui viendra après ? Sans aucun doute, il abro-gera lui aussi beaucoup de choses, ne serait-ce queparce que c’est la seule façon d’asseoir son pou-voir dans un pareil contexte.

Un tel Etat, sans règles et tenu par la volontéd’un seul homme, peut-il développer une éco-nomie qui marche ? Peut-il garantir le bien-êtrede ses citoyens et la stabilité du pays ? La réponseest clairement non.Ainsi, lorsque Leontiev affirmeque la Russie dispose déjà des bases nécessaires àsa modernisation, il prend ses désirs pour des réa-lités. Le système actuel est un système d’auto-conservation et de statu quo, mais pas de déve-loppement. Si Poutine veut vraiment, comme ledit Leontiev, renforcer ce type d’Etat, cela ne pro-met à la Russie dans un avenir proche qu’une seuleperspective, la stagnation. Et un système bâti surle principe de la “courroie de transmission” n’estpas adapté aux situations de crise. En cas de pro-blème, tout s’effondrera comme un château decartes. D’ailleurs, nous sommes nombreux à avoirdéjà connu cela avec l’URSS, qui offrait pourtantun niveau de garantie bien supérieur. Mais si Pou-tine a malgré tout l’intention de poursuivre dansla voie libérale, quoique de manière plus réguléeet systématisée, on se demande comment il comptes’y prendre, avec un Etat pareil et une classe poli-tique qui le pousse à se substituer aux lois.

Mikhaïl Leontiev s’empresse de nous propo-ser, ainsi qu’au président, des ennemis tout prêts :l’opposition démocratique, qui tenterait d’élimi-ner Poutine. Mais où sont donc ces audacieux Ter-minator qui menacent notre chef ? Serait-ce [lechampion d’échecs] Gari Kasparov et son forumde discussion ? Soyons sérieux : ce qui menacevraiment Poutine, c’est le système né sous Eltsineet qui s’est développé sous son mandat, ainsi queceux qui en font l’apologie. Dans le cadre durégime politique qu’il a lui-même édifié, il est pluslimité et vulnérable que ne l’était Eltsine en sontemps. Il existe un vieil adage qui dit : “Plus undirigeant a de pouvoir, plus il est contraint de le par-tager avec son entourage, et plus il lui en cède, plus ils’affaiblit.” L’impuissance de la toute-puissance !

Poutine doit faire profiter de sa popularitéquantité de parasites très encombrants logés ausein du pouvoir exécutif ou qui ont trouvé asiledans Russie unie [le parti du président] et dansde nombreuses autres organisations croupionscréées par le Kremlin.Tous ces avatars émanantd’en haut n’élargissent pas la base du présidentmais, au contraire, l’affaiblissent en se nourrissantde sa popularité. La nature de ce pouvoir est telleque le président, malgré sa puissance théorique,n’a pas la capacité de soumettre cette machinepoids lourd, qui sert d’abord ses propres inté-rêts au lieu d’accomplir les missions fixées parle dirigeant. On voit déjà comment le président estobligé de satisfaire les besoins de son régime audétriment de sa charge. Prenons, par exemple, l’or-ganisation de la campagne actuelle, dans laquellele Kremlin a exclu l’éventualité d’opposants véri-tables. De quoi a-t-on donc peur, en haut lieu ?D’un “phénomène Lebed” ? [Le général Lebed,

décédé en 2002 dans un accident d’hélicoptère,fut un temps considéré comme le possible hommeprovidentiel à poigne qui redresserait la Russie.]Mais qui tiendrait ce rôle ? Irina Khakamada, Ser-gueï Glaziev, Nikolaï Kharitonov [trois candidatsà la présidentielle du 14 mars] ? A moins que Pou-tine estime humiliant de se mesurer à eux. Dansce cas, pourquoi son équipe s’est-elle ainsi achar-née à déblayer le terrain ? En fauchant tout sur sonpassage, le Kremlin a dévalorisé par avance la vic-toire présidentielle de Poutine.

On peut approuver chaleureusement les effortsdu président pour redresser la Russie, mais aucunelouange ne l’aidera à trouver une réponse auxdéfis qui se dressent déjà devant lui. Le premier,évident, est de conquérir une véritable légitimité,ayant été mis en place par son prédécesseur Elt-sine. Si l’on exclut le recours à la force, il n’y aque l’élection qui puisse remplir ce rôle. Maismanipuler la procédure électorale peut saper à lafois la nouvelle présidence de Poutine et les basesmêmes de l’Etat.

Deuxième défi : la responsabilisation. EnRussie, personne ne répond jamais de rien. Mal-gré la concentration de tous les pouvoirs, le pré-

sident n’endosse aucune responsabilité pour ledéveloppement du pays, sa politique, son gou-vernement, la force publique ou l’administration.Il est hors d’atteinte de la critique. Et les autresn’ont pas assez de pouvoir pour assumerer desresponsabilités. Dans ces conditions, une moder-nisation du pays est impossible.

Troisième défi : éviter la détérioration des rela-tions avec l’Occident. Poutine a confirmé qu’ilétait fondamentalement pro-occidental, mais l’in-tégration de la Russie dans la communauté desdémocraties développées est restée un vœu pieux,et on en est aujourd’hui réduit à se demander com-ment ne pas retomber dans le syndrome de laguerre froide. Pourquoi notre lune de miel a-t-elleété si courte ? Principalement pour deux raisons :la Russie n’a pas réussi à se rapprocher de la démo-cratie libérale, ni su l’imiter de façon convaincante.Par ailleurs, la communauté occidentale, plongéedans ses problèmes internes, n’a pu intégrer laRussie dans son orbite et, pour l’instant, ne paraîtpas avoir conscience que cette intégration est l’unedes priorités mondiales, aussi importante que lalutte contre le terrorisme ou la non-prolifération.

J’avoue ne pas être sûre que le second man-dat de Poutine servira à moderniser la Russie.Son programme électoral libéral, à la lumièrede ce qu’a été le pouvoir ces dernières années,ressemble plus à une sorte d’“opération spéciale”visant à apaiser les libéraux russes mécontents etles milieux occidentaux soudain inquiets du sortde la démocratie russe. Mais si le président songesérieusement à mener, lors de son second man-dat, une politique conforme au ton libéral adopté,il convient de se demander sur qui il va s’appuyeret comment une politique libérale menée par desnon-libéraux pourra fonctionner. Lilia Chevtsova

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En finir avec les hommesprovidentiels� Suite de la page 49

Seule perspectivepour le pays : la stagnation

■ EvénementPubliés le 25 févrierpar le quotidienmoscovite lesIzvestia, les articlesde Mikhaïl Leontievet de Lilia Chevtsovaont déclenché ungrand débat dansles médias. Dès lelendemain de leurparution, les Izvestiamettaient en ligneles réactions deslecteurs, et, toute lasemaine qui a suivi,de nombreuxjournaux– LiteratournaïaGazeta,Argoumenty i Fakty,les Izvestia – y sontallés de leurscommentaires. Maisle moment le plusintense a étél’émission Libertéde parole,sur la chaînenationale NTV,dimanche 29 février.Diffusée en primetime et animée parSavik Chouster (unancien du serviceRussie de RadioFree Europe), elleavait pour invitésLilia Chevtsova et Mikhaïl Leontiev,qui ont défendud’arrache-pied leur point de vue.

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FAR EASTERN ECONOMIC REVIEW(extraits)Hong Kong

DE PÉKIN ET BRUXELLES

P our la Chine, 2004 pourrait bienêtre l’année de l’Europe. L’am-pleur du déficit commercial desEtats-Unis vis-à-vis de la Chine

et la croissance de l’économie chi-noise ont éclipsé l’annonce d’une pré-vision dont les répercussions seronténormes pour les entreprises si ellese réalise : après avoir dépassé lesEtats-Unis en 2004, l’Union euro-péenne deviendra l’an prochain lepremier partenaire commercial de laChine, devant le Japon.

Forte d’un taux de croissance de9,1 % en 2003, la Chine poursuit sonidylle avec l’Europe par pragmatismeéconomique, alors que ses relationsavec le Japon sont entravées par unerivalité historique et celles avec lesEtats-Unis par le rôle de protecteur deTaïwan joué par ce pays. “Nous avonsnoué de bonnes relations,qui sont mutuel-lement bénéfiques et connaissent unecroissance exponentielle”,se félicite ChrisPatten, commissaire européen auxRelations extérieures. M. Patten s’étaitattiré les foudres de Pékin à l’époqueoù il était le dernier gouverneur del’ancienne colonie britannique deHong Kong et cherchait à y consoli-der la démocratie, avant la rétroces-sion de celle-ci à la Chine, en 1997.“Des problèmes demeurent, notammentles droits de l’homme et l’immigrationclandestine, dont il faut s’occuper plusvigoureusement, mais dans l’ensemble jepense que nos relations n’ont jamais étéaussi bonnes depuis des années.L’Europeest aussi importante pour la Chine que laChine l’est pour l’Europe.”

DES INDUSTRIELS EUROPÉENSDÉJÀ BIEN IMPLANTÉS

Les fonctionnaires européens relèventun intérêt sans précédent de la Chinepour l’Europe, nourri avant tout parsa soif de marchés d’exportation,qu’elle considère comme un facteuressentiel de sa croissance économique.Selon eux, une autre raison tient au faitque Pékin se cherche de nouveauxalliés pour appuyer sa conception d’unmonde multipolaire, afin d’en finir avecla domination américaine.

En outre, les Chinois souhaitentrenforcer leur collaboration dans lesdomaines scientifiques, technologiqueset éducatifs avec les Européens, ceux-ci rechignant moins, semble-t-il, queles Américains à partager des techno-logies sensibles, surtout depuis les

attentats terroristes du 11 septembre2001. “La Chine a compris qu’il vautmieux ne pas mettre tous ses œufs dansle même panier, à savoir le marché amé-ricain, pour des raisons politiques et afind’assurer une certaine diversité”, com-mente Leon Brittan, vice-président dela banque d’affaires UBS, qui, lorsqu’ilétait commissaire européen au Com-merce, dans les années 90, a joué unrôle capital dans le resserrement desliens entre l’UE et la Chine.

D’après les statistiques de l’UE, leséchanges sino-européens ont atteint115 milliards d’euros en 2002, ce quifait de l’Union le deuxième partenairecommercial de la Chine après les Etats-Unis. Mais, si le déficit commercial del’UE avec la Chine a dépassé 47 mil-liards d’euros en 2002, rares sont lesEuropéens qui s’en inquiètent vrai-ment.A Bruxelles, certains notent quece déséquilibre est compensé par desexcédents avec d’autres pays. Surtout,l’UE voit plus loin, convaincue quela pression en faveur des réformeséconomiques et l’émergence d’uneclasse moyenne en Chine finiront paraccroître l’appétit du pays pour lesbiens étrangers.

Avec un déficit commercial vis-à-vis de la Chine qui est moitié moindrede celui enregistré par les Etats-Unis(99,73 milliards d’euros en 2003),l’Union européenne a moins à seplaindre. Les Etats-Unis et l’UE ontchacune investi environ 4 milliards dedollars en Chine, mais les Européensy dominent plusieurs secteurs en fortecroissance. Par exemple, trois grandsprojets de l’industrie pétrochimique– se chiffrant à des milliards de dollarschacun – devraient entrer en servicedans un an ou deux.Tous trois ont étéconstruits par des entreprises euro-péennes (la société allemande BASF,les britanniques BP et Royal DutchPetroleum). Les poids lourds de l’in-dustrie européenne occupent égale-ment une place de choix dans l’énormeprogramme d’urbanisation et d’infra-structure. Des groupes comme l’alle-mand Siemens et l’helvético-suédoisABB fournissent des turbines, dumatériel ferroviaire et des équipementsde centrales électriques, tandis que lefrançais Veolia et le britannique ThamesWater bâtissent des usines de traite-ment de l’eau pour les villes. “A mesure

que la Chine devient le centre industrieldu monde, elle a besoin de machines”,explique Joerg Wuttke, président de lachambre de commerce allemande enChine, qui compte 800 membres. Laproduction de voitures a augmenté de80 % en 2003 par rapport à 2002 – cequi en fait sans doute le secteur le plusporteur de l’économie chinoise – et lesmarques européennes, menées parVolkswagen, se sont adjugé quelque40 % des nouvelles immatriculationsen 2003, contre 10 % pour lesconstructeurs américains. L’investis-sement devrait encore progresser, lesentreprises européennes profitant del’euro fort.

Fin janvier, Jacques Chirac ainauguré l’Année de la Chine enFrance. Un accueil enthousiaste a étéréservé au président Hu Jintao, dontla visite était largement consacrée auxrelations économiques. Une foule deses compatriotes devraient à leur tourvenir en Europe. La signature àPékin, le 12 février, de l’accord sur le“statut de destination autorisée”(SDA) permet en effet aux groupesde touristes chinois de se rendre plusfacilement dans la plupart des Etatsmembres de l’UE. “Nous nous prépa-rons à une grande invasion”,commenteun fonctionnaire européen. Les Etats-Unis, eux, ne prévoient de conclureaucun accord de ce type qui leurferait profiter du développement dutourisme chinois. Bien au contraire,le renforcement des contrôles à leursfrontières pour des raisons de sécu-rité entraîne une baisse du nombredes visiteurs chinois, dont pâtissentles entreprises américaines.

D’un autre côté, l’UE et les Etats-Unis nourrissent encore de nombreuxgriefs communs à l’encontre de laChine. Le peu d’empressement dePékin à respecter les engagements àl’égard de l’Organisation mondiale ducommerce (OMC) en matière d’ou-verture des frontières aux investisseursétrangers, l’absence de démocratie etles atteintes aux droits de l’homme,la répression politique et religieuse auTibet font l’objet de nombreuses cri-tiques en Occident. A l’instar de leurshomologues américains, les industrielseuropéens s’insurgent contre un yuansous-évalué qui rend les exportationschinoises moins chères et les biensoccidentaux plus coûteux en Chine.L’Organisation européenne du textileet de l’habillement (Euratex) met lapression sur l’UE pour qu’ellecombatte les produits textiles chinoisbon marché. Mais l’équipe du com-missaire au Commerce, Pascal Lamy,a choisi la prudence. “Chaque plainteantidumping est traitée avec une grandeouverture d’esprit”, explique AranchaGonza lez , la por te-paro le deM. Lamy. Selon les industriels, laCommission européenne, peu dési-reuse de se lancer dans une querellecommerciale avec Pékin, est particu-lièrement indulgente. Mais il est vrai,comme le souligne un spécialiste ducommerce de l’UE, que la croissancechinoise est susceptible de stimulerl’activité en Europe.

David Murphy et Shada Islam

COMMERCE ■ L’Unioneuropéenne devraitdevenir l’an prochainle premier partenaireéconomique de Pékin.Ce qui pourraitsoutenir la croissancedu Vieux Continent.

La Chine, un marché prometteur pour l’Europe

� Dessin de Maykparu dansSydsvenskaDagbladet, Malmö.

■ TouristesA l’horizon 2020,100 millions deChinois passerontchaque année desvacances hors de leur pays, estimel’Organisationmondiale dutourisme. L’Unioneuropéenne comptebien en profiter.Car douze de sesmembres viennentde se voir accorderpar Pékin le “statutde destinationautorisée”, quifacilite l’accès à cespays des groupes de touristes.L’expérience de l’Australie, qui a signé un accordsimilaire en 1999,est encourageante :depuis cette date,le nombre devacanciers chinoisprogresse de 20 à 25 % par an.Une aubaine pource pays, d’autantqu’un Chinoisdépense enmoyenne deux foisplus (1 200 dollars)que n’importe quelautre touriste. “Ilsaiment acheter descadeaux pour leursproches”, expliquela Far EasternEconomic Review.

inte

llig

en

ce

séconomie

■ multimédiaKim Jong-il,dictateur et patron depresse à sesheures p. 55

■ sciencesLes Américainspréparent la premièregreffe devisage p. 56

Un cristalcreux commeréservoir du futur p. 57

Un vaccin desynthèsecubain pourles enfantsdes payspauvres p. 57

COURRIER INTERNATIONAL N° 697 52 DU 11 AU 17 MARS 2004

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WIRTSCHAFTSWOCHE (extraits)Düsseldorf

V endredi matin, 10 heures. Labataille des prix débute sur Inter-net. MG Technologies recherchedes intérimaires pour occuper des

postes de secrétaires, d’assistantes dedirection, d’employés de bureau, dedessinateurs techniques et d’ingénieursdu bâtiment. Pour remporter le mar-ché, il faut baisser les prix jusqu’à cequ’aucune entreprise concurrente nefasse une proposition à moins cher.

Tout va très vite. En permanence,l’une ou l’autre des agences de travailtemporaire lance une nouvelle offre,plus intéressante que la précédente,qui vient s’afficher à l’écran. Seul MGTechnologies sait d’où émanent cespropositions. Les participants auxenchères ne peuvent qu’émettre dessuppositions sur le nom du concurrentqui va jusqu’à réduire de 12,17 eurosson offre moyenne pour une heure detravail. La partie de poker va se ter-miner à 51,30 euros, soit 40 euros demoins que l’offre de lancement la plusélevée. Le recrutement par Internet

avec enchères à la baisse est en trainde mettre sérieusement sous pressionles agences d’intérim. Qu’il s’agisse deMG Technologies, de Siemens ou deGeneral Electric, les grands groupesindustriels découvrent que les tran-sactions opérées sur le Net réduisentmassivement non seulement le coûtdes biens de consommation tels l’élec-tricité, les matières premières ou lesboulons, mais aussi celui de la plus déli-cate de toutes les marchandises : lamain-d’œuvre.

“Nous n’y voyons aucun problème”,explique le groupe Siemens, qui apassé un accord-cadre avec plusieursagences d’intérim sélectionnées parses soins. Selon le groupe bavarois,qui, pour certains projets, achète ainsisa main-d’œuvre électroniquement etaux enchères, “c’est un instrument toutà fait normal de l’économie de marché”.

Le fouet de la concurrence élec-tronique frappe les sociétés de loca-tion de main-d’œuvre à un mauvaismoment. Car celles-ci sont tributairesde secteurs qui souffrent tout parti-culièrement de la conjoncture : aucours des trois années qui viennentde s’écouler, dès que les entreprisesont dû licencier, elles se sont généra-lement d’abord délestées des salariéstemporaires. Conséquence : en 2002,Randstad, Adecco, Manpower et lesautres grands groupes d’intérim n’ontplacé que 756 000 personnes en Alle-magne. Soit un recul de 4 % parrapport à 2001 et une baisse du chiffred’affaires de la branche de 1 milliardd’euros, soit environ 15 %. Leschiffres 2003 ne sont pas encore dis-ponibles, mais la Fédération alle-mande des agences de travail intéri-maire (BZA), qui représente les plusgros du secteur, s’attend, au mieux, àune stagnation des affaires.

A cela s’ajoutent les nouvelles dis-positions qui pèsent sur les margesbénéficiaires de ces entreprises. Carles conventions collectives que laFédération et deux grands acteurs del’intérim ont signées en 2003 avec lessyndicats viennent d’entrer en vigueur[en 2004]. Conformément à cesaccords, la rémunération ne peut pas-ser au-dessous d’un certain seuil : lesalaire minimum horaire varie de 7,20à 8,70 euros selon les syndicats [chré-tiens d’un côté, membres de la puis-sante centrale DGB de l’autre] pourune secrétaire dans l’ouest de l’Alle-magne, ce qui représente un surcoûtnet de 5 à 15 % d’après les estima-tions des professionnels.

Dans ce contexte, les représentantsdes grandes entreprises d’intérim res-tent circonspects : non seulement ilscraignent que les enchères électro-niques ne détériorent leur situationéconomique, mais de surcroît ils redou-

tent que leur réputation ne se dégrade,alors qu’ils avaient mis si longtempsà la redorer. La pression sur les prixqui passent par les écrans d’ordinateurrisque de provoquer des dégâts, meten garde Dieter Scheiff, directeur dela société DIS de Düsseldorf, numérocinq du secteur, qui essaie de se démar-quer de ses concurrents en se concen-trant sur le marché de la main-d’œuvrehautement qualifiée. “Ce qui est en trainde se passer va encore nous valoir lereproche de pratiquer une forme moderned’esclavagisme”, regrette-t-il.

De fait, le jeu de la concurrencepar clic de souris réduit tout parti-culièrement le prix de la main-d’œuvre peu qualifiée – qui est à lafois la plus abondante et celle quirapporte le moins aux agences d’in-térim. Ainsi, General Electric arécemment réussi à obtenir un rabaisrecord de 20 % pour l’embauched’employés de bureau, passant de24,42 à 19,39 euros de l’heure. Mais,pour s’y retrouver financièrement,les agences d’intérim doivent passerles marchés pour un montantreprésentant 2,5 fois la rémunérationdu travai l leur temporaire. Or19,39 euros pour un(e) employé(e)représentent un salaire horaire de7,76 euros – soit 1 euro de moinsque ce que prévoit l’accord avec leDGB. La plupart des grands groupesd’intérim restent donc sceptiques surles effets secondaires de ces ventesaux enchères. Certains demandent àleurs collaborateurs de faire uneoffre, mais de ne pas participer à pro-prement parler aux enchères. “A s’as-socier à ce dumping salarial”, met engarde M. Scheiff, le directeur deDIS, “on risque fort de se mettre à dosceux qui critiquent le travail intérimaireet d’empêcher l’instauration en Alle-magne de formes de travail modernes.”

Reinhold Böhmer

SOCIAL ■ Pourembaucher à moindrecoût des intérimaires,les entreprisesallemandes lancent des enchères sur Internet. C’est l’agence de travail temporaire la moins chère quiemporte le marché.

La main-d’œuvre ne vaut pas cher sur Internet

COURRIER INTERNATIONAL N° 697 53 DU 11 AU 17 MARS 2004

LA VIE EN BOÎTE

Si vous soupçonnez votre patron d’êtreun maniaque du contrôle, sadique et

enclin à la violence, ou si vous craignezque le chef comptable ne soit un désé-quilibré qui risque de filer avec la caisse,vous n’êtes pas désarmé. Un éminentexpert publiera prochainement un guidepermettant d’identifier les “psychopathesen entreprise”. Le B-scan (Businessscan), un questionnaire en 107 points,permet aux entreprises de détecter lescadres susceptibles de commettre desactes de violence ou une escroquerie.L’auteur du questionnaire, Robert Hare,professeur à l’université de Colombie-Britannique [province de l’ouest du Canada]et consultant pour le FBI, estime à 1 % dela population d’Amérique du Nord lenombre de psychopathes. Jusqu’à présent,M. Hare s’est consacré essentiellement àl’élaboration de tests permettant d’iden-tifier les délinquants déjà condamnés etqui présentent ce type de pathologie men-tale. Mais, selon lui, grâce à leur capacité

à manipuler les autres sans remords,conjuguée à des dehors charmeurs, cer-taines personnalités de psychopathes peu-vent également réussir brillamment dansde nombreux domaines, y compris enaffaires.Aussi M. Hare et son collègue Paul Babiakont-ils imaginé un système de détectiondes indésirables dans le monde desaffaires. Dans le cadre du B-scan, les col-lègues et le supérieur hiérarchique de lapersonne testée remplissent un ques-tionnaire qui évalue quatre aspects de sapersonnalité : les tendances antisociales,la maturité organisationnelle, les relationsinterpersonnelles et le style personnel. Une série de questions vise à dévoilercertains traits de la personnalité, notam-ment le fait d’être peu sincère, arrogant,manipulateur, impitoyable, impatient, fan-tasque, peu fiable, autoritaire ou enclinà dramatiser. Quiconque présente plusd’un quart des traits en question a peut-être un problème, tandis qu’un total supé-

rieur aux trois quarts place le sujet dansla catégorie dangereuse.Comme exemple d’homme d’affaires pros-père qui aurait pu être psychopathe, lePr Hare cite Robert Maxwell, l’ancien pro-priétaire du journal Daily Mirror, qui avaitdétourné les fonds du plan de retraite dupersonnel afin de renflouer son empire endifficulté, avant de se noyer en tombantde son yacht.“Les délinquants psychopathes présen-tent de nombreux traits de personnalitécommuns que l’on retrouve dans tous lesmilieux, explique Robert Hare. Nous netraquons pas nécessairement les psy-chopathes dans les entreprises, maisrepérons les indices montrant que cer-tains individus partagent quelques traitscommuns avec eux. Le but n’est pas demettre quelqu’un à la porte. Les entre-prises peuvent au contraire valoriser cer-tains de ces traits, comme la capacitéà se montrer implacable.” Jason Bennetto,

The Independent (extraits), Londres

Votre patron est peut-être psychopathe

� Dessin d’IngramPinn paru dans leFinancial Times,Londres.

LE TESTSi vous répondez oui à au moins trois ques-tions, vous avez peut-être un patron psy-chopathe :

Cette personne fait-elle de superbes pré-sentations qui sont trop belles pour êtrevraies ? oui ❑ non ❑A-t-elle des objectifs de carrière ambitieuxmais irréalistes ? oui ❑ non ❑A-t-elle d’elle-même une image surfaite,presque grandiose ? oui ❑ non ❑Est-elle assoiffée de pouvoir, d’argent etde prestige ? oui ❑ non ❑Ne sait-elle pas vraiment ce qu’elle veut dans la vie ? oui ❑ non ❑S’attribue-t-elle le mérite du travail desautres ? oui ❑ non ❑Emprunte-t-elle des fournitures en pro-mettant de les rendre sans jamais lefaire ? oui ❑ non ❑Pique-t-elle des colères, vite calmées, fai-sant ensuite comme si de rien n’était ?

oui ❑ non ❑Semble-t-elle aimer les sensations fortes ?

oui ❑ non ❑

697p52_53 5/03/04 20:17 Page 53

COURRIER INTERNATIONAL N° 697 54 DU 11 AU 17 MARS 2004

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ci n°697 5/03/04 20:00 Page 2

THE WALL STREET JOURNALNew York

DE SÉOUL

E n Corée du Nord, la nouvellevient de tomber : 2003 a été une“illustre année de victoires” pourle pays dans son épreuve de force

avec les Etats-Unis, et ce grâce à lasagesse de son dirigeant suprême,Kim Jong-il, et à la “puissance” deson armée. Selon d’autres articles dela presse nord-coréenne, le ministrede la Défense, Donald Rumsfeld, estun “rebut de l’humanité” et un “nainpolitique”, tandis que “la clique deBush nourrit toujours le dessein dedéclencher à tout prix une nouvelleguerre sur la péninsule Coréenne”.

Avec toutes ses références à lalutte des classes et au combat entrerévolutionnaires et réactionnaires, lecontenu de la presse officielle nord-coréenne n’est pas sans rappeler lapropagande de la guerre froide. “Siles impérialistes américains et leurslaquais déclenchent une nouvelle guerre,notre armée et notre peuple leur infli-geront une défaite écrasante”, se van-tait fin 2003 l’Agence centrale depresse coréenne (KCNA). Malgréses fanfaronnades d’un autre âge etson style fondé sur le culte de la per-sonnalité, cette presse d’Etat consti-tue pour Pyongyang l’un des plusimportants outils de communicationavec le monde extérieur. Pour lesétrangers, c’est aussi l’une des plusgrandes vitrines sur la vie en Coréedu Nord, pays qui compte relative-ment peu de missions diplomatiquesoutre-mer et aucun représentant offi-ciel à Séoul, Tokyo et Washington.

C’est par la presse officielle, parexemple, que Pyongyang a réponduà la proposition de garantie écrite desécurité faite par le président Bushen contrepartie de l’abandon de sonprogramme nucléaire. Après unepremière dépêche de la KCNA qua-lifiant l’offre américaine de “ridicule”,l’agence a cité un porte-parole duministère des Affaires étrangèresdisant que la Corée du Nord allaitétudier la proposition.

Aux Etats-Unis et en Asie, lesservices de renseignements et lesexperts analysent méticuleusementchaque phrase des dépêches nord-coréennes. Ils recherchent des in-dices susceptibles de les éclairer surun large éventail de questions, de lasanté de l’économie du pays à ladynamique du pouvoir au sein del’élite dirigeante, et ils sont toujoursà l’affût de subtils messages destinésà d’autres pays. A Séoul, le minis-tère de la Défense et les services de

renseignements suivent les médiasnord-coréens vingt-quatre heures survingt-quatre. “La Corée du Nordayant été et demeurant un pays extrê-mement fermé, tout ce qui apparaît dansses médias fait l’objet d’une étude rigou-reuse”, explique Larry A. Niksch,analyste au service des affaires étran-gères, de la défense et du commercedu département de la recherche duCongrès américain.

Les nouvelles envoyées par laKCNA sont diffusées dans le mondepar l’intermédiaire du Korea NewsService, une organisation qui a sonsiège à Tokyo et qui est dirigée pardes Coréens favorables au régime dePyongyang. Cette agence reçoit lesnouvelles de la KCNA par satellitepuis les envoie par courriel à desmédias comme CNN, AssociatedPress ou Bloomberg News. Elle aégalement mis en place un siteInternet sur lequel elle publie les

dépêches de la KCNA en anglais, encoréen et en espagnol, cette dernièreédition étant apparemment destinéeau marché cubain.

Li Yang-su, directeur commer-cial de l’agence, nous a reçus dansune salle de conférences miteuse,décorée de portraits de Kim Jong-ilet de son père, Kim Il-sung, dans descadres dorés, et meublée de chaisesbeiges protégées par des têtièresblanches d’une propreté douteuse.“Notre mission”, nous a-t-il dit, “estde transmettre les opinions de la Coréedu Nord avec la plus grande précisionpossible.” Cet homme de 62 ans, vêtud’une veste de velours bleu marine,d’un pantalon en serge et d’une che-mise bleus, avec une cravate noire,a vingt et un ans d’ancienneté dansl’agence. D’origine coréenne, il estné au Japon et se présente commeun vieil amateur des classiques ducinéma américain. Un de ses favoris

est Citizen Kane, le film d’OrsonWelles sur la vie du magnat de lapresse William Randolph Hearst.

“Les nouvelles en provenance despays occidentaux et du Japon sonttoutes les mêmes et elles sont parfoisdéformées, se plaint-il. Notre objectifest de rétablir la vérité.” Interrogé surle rôle de la KCNA dans la propa-gation de l’idéologie socialiste et dujuche, la doctrine quasi religieused’autonomie de la Corée du Nord,Li Yang-su reconnaît que “la promo-tion du socialisme est très importante”pour la presse nord-coréenne. Maisil s’empresse d’ajouter : “Changeonsde sujet. Pratiquez-vous un sport ?”Jang Hae-song, un ancien journa-liste nord-coréen qui a quitté sonpays pour s’installer en Corée duSud en 1996, raconte que Kim Jong-il lui-même suit de près les infor-mations fournies par les médiasofficiels, émettant des directivesmensuelles sur les sujets à couvrir etordonnant aux journalistes de sefaire plus ou moins critiques à l’en-contre des gouvernements étrangers.

La presse nord-coréenne attri-bue au leader suprême des pouvoirspresque surnaturels à la mesure deson statut quasi divin. Un article de1999, intitulé “Prodiges de la nature”,indiquait que la présence de KimJong-il avait dissipé les nuages etramené le soleil. Si l’on en croit desOccidentaux qui ont résidé en Coréedu Nord, les journalistes locaux ontle sentiment d’agir comme leurshomologues étrangers. “De leur pointde vue, tout le monde fait de la propa-gande”, explique Andrew Jardine, quia travaillé pendant plus de un ancomme correcteur pour PyongyangTimes, un hebdomadaire en anglais,et pour d’autres publications offi-cielles. “Pour eux, les médias nord-coréens ne diffèrent en rien de ceux del’Occident.” Gordon Fairclough

PROPAGANDE ■ Faute de disposerd’informations directes, les Occidentaux analysent en détail les médias officiels nord-coréens.Un bon moyen de savoir ce que pensent les dirigeants de la Corée du Nord.

A l’affût des subtils messages du dictateur Kim Jong-il

COURRIER INTERNATIONAL N° 697 55 DU 11 AU 17 MARS 2004

mult imédia●

i n t e l l i g e n c e s

I N T E R N E T

■ Il y a des gens tout en rondeur, tantsur le plan physique que moral. Dedoctes parleurs à la poignée de mainconvaincante et qui ont des relationspartout, qui ne seront jamais seuls aubar et à qui n’importe quelle associationconfierait sa caisse. Jan Holtermannest de ceux-là. “Un homme d’affairesà demi sérieux”, comme il se dépeintlui-même. Il faut quand même bien êtreun peu sérieux pour aller jusqu’au boutde ce qu’il vient d’accomplir : il acontribué à connecter la Corée du Nordau réseau Internet en guise de cadeaupour l’anniversaire de son dirigeant KimJong-il, le 16 février dernier. Il s’agit d’unréseau pour quelques privilégiés, maisqui se met en place dans une dictaturetotalement coupée du monde. Un paysoù radios et télévisions ne reçoiventque les chaînes d’Etat, et où leshabitants doivent obtenir uneautorisation of ficielle pour pouvoirtéléphoner à l’étranger.

Charmeur et obstiné, cet ancien ban-quier et consultant s’est souvent dé-brouillé pour être en contact avec lesbonnes personnes. “Dans ce pays, ily a 6 000 programmeurs de talent”,explique-t-il. Et, grâce à lui, ils aurontla possibilité de travailler pour l’Occi-dent par le biais d’Internet. Son offre :les 6 000 meilleurs informaticiens dupays. Age moyen : 27 ans. Pour pascher. Ils pourraient travailler pour depetites entreprises. “Elles ont lechoix. Soit elles embauchent un dé-veloppeur ici, qui coûte jusqu’à1 000 euros par jour. Soit un Indien,pour 1 000 euros par semaine. Nous,nous proposons 1 000 euros parmois”, lâche-t-il. Holtermann est ravide récupérer une petite par t du gâ-teau qu’il a lui-même mis au four.L’emplacement du centre névralgiqueen Corée du Nord est tenu secret.Car, pour Pyongyang, rien n’a plus devaleur que la sécurité. Elle compte

encore plus que ce qui apparaîtra surses écrans. “Pour m’amuser, quandj’étais là-bas, je suis allé consulter lesite de la CIA, dit Holtermann. Ça n’adéclenché que l’hilarité. En revanche,la pornographie, ça, ils n’en veulentpas.” Les Nord-Coréens ne surveillentpas tant la Toile que ses utilisateurspotentiels.Malgré tout, pour beaucoup, Internetest une bénédiction. Surtout pour lesorganisations étrangères, qui jusqu’àmaintenant devaient payer une com-munication vers la Chine pour seconnecter. Quand on lui demande si lefait de travailler avec une dictature nel’empêche pas de dormir, Holtermannrépond avec assurance : “Je ne connaispas d’Etat qui ne cherche pas à fairepression sur Internet. L’ennui, c’estque je ne peux pas envoyer de techni-cien là-bas avec sa burette d’huile aumoindre petit problème.”

Sven Stillich, Stern, Hambourg

Pyongyang s’offre le haut débit

� “C’est ça !Prosternez-vousdevant votre GrandDirigeant !”“En fait, ils mangentde l’herbe, monsieur.”Sur le panneau :Corée du Nord.Dessin paru dans Newsweek,New York.

■ Sur la ToileLa présenceofficielle de laCorée du Nord sur leNet se résumeaujourd’hui au site<www.korea-dpr.com>, dont leserveur se trouve enEspagne. Proposéen plusieurslangues, dont lesuisse (sic), cetespace virtuel seprésente avant toutcomme un moyen dedéfendre le paysface aux dangers del’impérialismeaméricain. Accueillipar les visages du“grand leader” KimIl-sung et du “cher”leader Kim Jong-il,le visiteur pourranotammentdécouvrir l’hymnedédié à la défensenationale en versionkaraoké.

697p55 5/03/04 19:43 Page 55

LOS ANGELES TIMESLos Angeles

P our ce qui est de la technique chi-rurgicale, une greffe de la faceaurait pu être réalisée il y a dixans”, assure le Dr John Barker,

directeur de recherche au sein del’équipe de chirurgiens de Louisville[Kentucky]. “Aujourd’hui, d’après lesrésultats préliminaires de nos réflexionssur les questions d’éthique, nous pensonsque le moment est venu.”

Des médecins de l’université deLouisville espèrent bientôt sélec-tionner un candidat à l’opération,peut-être avant la fin de l’année. Cettemême équipe a réalisé, en 1999, lapremière greffe de main aux Etats-Unis (la première mondiale étantfrançaise). Des chirurgiens d’autrespays cherchent aussi à effectuer desgreffes de la face.Tous s’accordent àdire que la première transplantationmondiale de la face est pour bientôt.

LA MICROCHIRURGIE DEVENUEMONNAIE COURANTE

En effet, on dispose depuis longtempsdes compétences techniques néces-saires à une telle intervention. Leschirurgiens greffent couramment desorganes d’un sujet à un autre, et cer-taines greffes de membres ont mêmeréussi. Ces interventions, naguèreremarquables, sont devenues pourainsi dire monnaie courante. Mais,avec le visage, bien plus encorequ’avec une main, on touche à l’iden-

tité même du sujet, reconnaissent leschirurgiens de Louisville.

C’est à travers notre visage que lesautres nous reconnaissent et que nousnous percevons tels que noussommes. La possibilité de toucher àcette identité – un procédé cher auxauteurs de science-fiction – pourraithorrifier l’opinion, privant ces opéra-tions d’un soutien indispensable.

Au Royaume-Uni, les réservesémises par le milieu médical ontretardé les projets de greffe de la face.Conscients du caractère délicat d’unetelle chirurgie, les médecins du Ken-tucky ne tiennent pas à précipiter leschoses. L’équipe passe en revue lesarguments éthiques en faveur et àl’encontre de l’intervention, effec-tuant des enquêtes pour évaluer laréaction probable de l’opinion. Parailleurs, les effets psychologiquesd’une telle métamorphose sontimprévisibles. “Les visages”, expliqueun rapport établi d’après uneenquête britannique, “nous aident àcomprendre qui nous sommes et d’oùnous venons.”

Une greffe de la face ferait appelà la microchirurgie, technique consis-tant à suturer de très petits nerfs etvaisseaux sanguins. Au cours despremières tentatives, les praticiensprélèveraient sans doute une couchedu tissu du donneur comportant lapeau, des muscles, des nerfs, des ten-dons et des vaisseaux. Le visage dupatient défiguré serait dénudé jus-qu’à l’os, et les chirurgiens insére-raient le greffon sur ce supportosseux avant de l’y fixer.

Il en résulterait un visage hybride,empruntant des traits à la fois audonneur et au receveur, au dire duDr Barker. L’équipe a essayé d’anti-ciper le résultat esthétique en faisantdes expériences sur des cadavres. Ilsont obtenu des visages qui ressem-blent à la fois à celui du donneur etdu receveur, ou peut-être à celui d’unparent de l’un ou de l’autre.

“On est étonné de voir à quel pointles receveurs ne ressemblent pas aux don-neurs, précise le Dr Barker. Si l’ontransplantait toute la structure osseuse,

en revanche, ils auraient exactement lemême visage que le donneur.” (Ce quin’est pas possible dans l’état actuel dela technique.)

Les premiers jalons d’une greffede la face ont été posés il y a environcinq ans, lorsque des chirurgiens fran-çais ont transplanté une main préle-vée sur un cadavre. Depuis lors, plusde vingt greffes de main ont été réa-lisées dans le monde.

En outre, les chirurgiens ontacquis une grande habileté quant à laréimplantation de mains, de cuirs che-velus ou de grands lambeaux de visagearrachés au cours d’accidents. Dans laplupart des cas, les tissus ainsi réim-plantés sont mutilés et salis, ce quidemande aux chirurgiens un travailconsidérable, dans un contexte d’ur-gence. De la même façon, les spécia-listes de la chirurgie reconstructriceprélèvent couramment des tissus surd’autres parties du corps avant deremodeler et de fixer ces greffons surles visages d’accidentés.

“Ce que font les chirurgiens quireconstruisent un visage est sans douteplus difficile techniquement que de trans-planter un visage, assure le Dr Barker.Avec une greffe intégrale, le donneur estparfaitement conservé.Tout est planifié.On prélève tout le tissu dont on a besoinsur le donneur, voire davantage. Et onpeut enlever l’excédent.”

Comme les gens qui se font grefferun cœur ou un autre organe, les rece-veurs d’une greffe de la face devrontsuivre un traitement jusqu’à la fin deleurs jours pour éviter que leur orga-nisme ne regrette le greffon.

Les risques à long terme de cesmédicaments – outre les consé-quences psychologiques imprévisiblesque pourra entraîner le fait de porterle visage d’un autre – ont été évoquéspar le Collège royal des chirurgiens(Royaume-Uni) pour justifier unmoratoire sur de telles interventions.

Un chirurgien reconstructeur, leDr Peter Butler, du Royal Free Hos-pital, à Londres, avait suscité un débatnational au Royaume-Uni en décla-rant qu’il voulait greffer un visage.

L’idée “mérite réflexion”, conclutle Collège royal des chirurgiens dansle rapport qu’il a publié en novembredernier sur ce thème, mais “tant qu’iln’y aura pas davantage d’études etqu’on ne pourra pas mieux prévenir lescomplications, il serait déraisonnable depratiquer des greffes de visage humain.”

Aux Etats-Unis, une telle instanceofficielle ne sera pas consultée. Leschirurgiens de Louisville doiventobtenir l’accord de la commissiond’étude institutionnelle de leur hôpi-tal pour pouvoir pratiquer cette inter-vention. (Ces commissions ont pourbut [aux Etats-Unis] de superviser larecherche médicale dans certains éta-blissements ou centres de recherche.)

Toutefois, les chirurgiens recons-tructeurs américains ont les mêmesinquiétudes que les praticiens Bri-tanniques.

“Même s’il nous arrive d’accomplirdes prouesses techniques,nous devons nousdemander si nous serons capables d’assu-rer le suivi dans d’autres domaines,commela compatibilité des tissus, les phénomènesde rejet, les problèmes sociaux. Pouvons-nous surmonter tous les autres problèmes ?”s’interroge le Dr James Wells, un chi-rurgien plasticien de Long Beach [enCalifornie] et ancien président de laSociété américaine des chirurgiensplasticiens. “Ces chirurgiens n’ont pasrépondu à toutes les questions”, affirme-t-il à propos de l’équipe de Louisville.

QUE FAIRE EN CAS DE REJET DE LA GREFFE ?

L’utilisation des médicaments antire-jet, notamment, n’est pas sans danger.Destinés à empêcher le système immu-nitaire du receveur de rejeter les tissusdu donneur, ces médicaments peuvent,à long terme, induire une hyperten-sion, un diabète, une toxicité rénale oufavoriser les infections.

“Il est peut-être temps d’envisager lesgreffes de la face pour les gens affreuse-ment défigurés. C’est sans doute ce quiproduirait les meilleurs résultats d’un pointde vue fonctionnel et esthétique”, recon-naît le Dr Rod Rohrich, président dela Société américaine des chirurgiensplasticiens et chirurgien au South-western Medical Center de l’Univer-sité du Texas à Dallas. “Ce sont surtoutles médicaments qui posent un problème.Si nous pouvions le résoudre, les greffes dela face se banaliseraient. Mais à longterme ces médicaments peuvent être dan-gereux. Le jeu n’en vaut peut-être pasla chandelle”, ajoute-t-il.

Par ailleurs, il est possible que letraitement soit inefficace et quel’organisme du receveur rejette le nou-veau visage. Le Dr Barker précise qu’enpareil cas il faudrait tenter unedeuxième transplantation.

Un candidat pour une greffe de laface devrait bien mesurer les consé-quences d’un échec, à en croire EricTrump, spécialiste de l’éthique au Has-tings Center, un institut de recherchesur la bioéthique installé à Garrison(Etat de New York). “Le rejet d’unvisage, ce serait une véritable horreur. Il yaurait un gonflement,une décoloration…Alors qu’est-ce qu’on ferait ?”

Shari Roan

CHIRURGIE ■ Aux Etats-Unis la premièretransplantation de visage estimminente . Si lesproblèmes éthiquessont loin d’être résolus, les médecins pensentposséder les techniquesnécessaires.

Les Américains préparent la première greffe de visage

COURRIER INTERNATIONAL N° 697 56 DU 11 AU 17 MARS 2004

sciences●

i n t e l l i g e n c e s

� Dessin de ToñoBenavides paru dansEl Mundo, Madrid.

■ EthiqueEn France, le Comitéconsultatif nationald’éthique (CCNE)s’est dit opposé auxgreffes totales de la face le 2 mars dernier.Cela étant, lePr Laurent Lantieri,chef du service de chirurgieplastiquereconstructrice de l’hôpital Henri-Mondor de Créteil,jugeant cet avis trèsrestrictif, a annoncéqu’il continuait à envisager une transplantationpartielle du “triangle bouche-nez”.

Un horssérie trèspeopleet trèspolitique

697p56 5/03/04 20:40 Page 56

THE NEW YORK TIMESNew York

A première vue, on croit avoiraffaire à du diamant. Mais cecristal incolore est la légèretémême. Un cube de 2,5 cm de

côté de ce matériau pèse environ1,5 g. A l’œil nu il apparaît compact,mais au microscope on découvre unvéritable gruyère. Les molécules dece cristal sont empilées de manièretelle que 95 % du volume est consti-tué d’espace vide. “C’est pour cetteraison que nous pensons qu’il va être trèsutile”, assure Omar Yaghi, professeurde chimie à l’université du Michigan.

Un cristal presque vide peut ser-vir à stocker différentes substances,et en particulier de l’hydrogène. Eneffet, l’un des obstacles au passageà l’“économie de l’hydrogène”, quiviendrait remplacer les carburantsfossiles, tient au fait que l’hydrogène,gazeux à température ambiante,prend beaucoup de place. Résultat :pour faire tenir une quantité suffi-sante d’hydrogène dans un réservoirde taille normale, il faut soit le com-primer à des pressions très élevées,ce qui représente un risque en cas dechoc, soit le refroidir à des tempé-ratures très basses, ce qui n’est nicommode ni rentable. (Le carburantdevrait être congelé y compris lorsquela voiture serait en stationnement.)

Au lieu de cela, Omar Yaghi penseque les cristaux éphémères pourraientjouer le rôle d’éponges à hydrogène,stockant le gaz à températureambiante et à la pression atmosphé-rique, ou quasiment. Si un cube de2,5 cm de côté pouvait être démontéet déployé, il couvrirait une surfaceéquivalant aux deux tiers d’un terrainde football. [Il possède une surfacede 4 500 mètres carrés par gramme !]

L’hydrogène et les autres molé-cules s’agglutinent sur les surfaces.Ainsi, créer un cristal d’une plusgrande superficie permet d’y logerdavantage de molécules. “On peut dèslors accumuler ces molécules sans appli-quer une grande pression”, expliquele Dr Yaghi. Ce dernier et ses colla-borateurs de l’université du Michi-gan et de l’université d’Etat de l’Ari-zona viennent de publier les résultatsde leurs travaux dans la revue Nature.Ils présentent les propriétés d’uncomposé qui porte le nom de Metal-

Organic Framework n° 177, ouMOF-177. (Tout a commencé avecle MOF-1, qui a été amélioré jusqu’àdonner le MOF-177.) Celui-ci, oul’un de ses successeurs, pourrait deve-nir le réservoir de demain.

DES PROPRIÉTÉS AMÉLIORÉES RÉGULIÈREMENT

Le MOF-177 ressemble à un Mec-cano : une molécule d’oxyde de zincy joue le rôle d’un moyeu central àpartir duquel rayonnent des tigesrigides à base de carbone. “Je cher-chais à fabriquer des structures à partirde briques moléculaires”, commente leDr Yaghi. A l’arrivée, on obtient untreillage tridimensionnel, rappelantun flocon de neige, avec beaucoupd’espace vide. Du fait que les molé-cules sont rigides, le cristal ne s’ef-fondre pas comme un ballon quandon le vide de l’air qu’il contient. Dansl’article de Nature, les chercheursexpliquent qu’ils ont rempli un cris-

tal MOF-177 d’azote et de fullerènes(des molécules de carbone en formede ballon de football). Ils sont par-venus à faire tenir 36 grammesd’azote dans 28 grammes de cristalMOF-177 [1 gramme de gaz occupenormalement un volume d’environ1 litre ; il a donc été condensé plusde 100 fois.] “Cela n’a pas été très dif-ficile”, assure le Dr Adam Matzger,professeur de chimie de l’universitédu Michigan et coauteur de l’articleparu dans Nature. Les chercheurs ontégalement montré que de grandesmolécules, telles celles utiliséescomme teintures, pouvaient se glis-ser dans les trous et teindre le cristalen rouge, en orange et en vert.

L’année dernière, dans la revueScience, les chercheurs dirigés par leDrYaghi avaient rapporté qu’un com-posé plus ancien, le MOF-5, pouvaitconcentrer 1 % de son poids enhydrogène à température ambianteet supporter une pression de20 atmosphères. [Comme les gaz sontbeaucoup plus légers que les solides,même si le pourcentage en massesemble faible, en fait la quantité degaz est importante.] Le MOF-177 couvre une surface 50 % moinsimportante, et le DrYaghi pense pou-voir accroître encore la surface et lacapacité de ce cristal en plaçant degrosses molécules dans les vides.

“Ces cristaux sont intéressants,i l s sont novateurs”, reconnaît leDr Michael D. Ward, directeur duMaterials Research Science and Engi-neering Center de l’université duMinnesota. “Reste à savoir s’ils s’inté-greront à une économie de l’hydrogène.”Le ministère de l’Energie estime que,pour être viable économiquement, lestockage de l’hydrogène demanderades concentrations d’au moins 6,5 %.

Kenneth Chang

CHIMIE ■ Des spécialistesont créé un cristal léger et stable qui peut stocker plus de cent fois son volume en hydrogène.

Un cristal creux comme réservoir du futur

● sciences

i n t e l l i g e n c e s

COURRIER INTERNATIONAL N° 697 57 DU 11 AU 17 MARS 2004

LA SANTÉ VUE D’AILLEURS

Une équipe de chercheurs cubainset canadiens vient de mettre au

point un vaccin de synthèse contreune bactérie qui tue un demi-mil-lion d’enfants par an. L’Haemo-philus influenzae de type B (HIB)fait en effet des ravages parmiles enfants de moins de 5 ans,si l’on en croit Vicente Verez,directeur du Centre des anti-gènes de synthèse de l’univer-sité de La Havane, une institu-tion unique en son genre fondéeil y a vingt ans. Jusqu’au milieudes années 80, il n’existait pasde remède contre cette bacté-rie particulièrement dangereuse,qui se loge dans la cavité buc-cale des moins de 5 ans, un âgeoù l’organisme est incapable de la détec-ter pour la combattre. Selon la voiequ’emprunte cet agent infectieux, il peut

provoquer une pneumonie, une sinu-site, une méningite ou une septicé-mie (infection généralisée du sang).L’enfant peut soit en mourir, soit gar-

der des séquelles graves, commeune surdité ou un retard mental.Vers la fin des années 80, raconteVerez, les chercheurs ont fini parobtenir un vaccin. “Ce fut unedécouver te formidable”, assureVerez. On a commencé à produireles premiers vaccins de ce typeen Europe et au Japon, ce qui aeu d’importantes répercussionssur les systèmes de santé deces pays. Initialement le vaccincoûtait 30 dollars la dose, “cequi était impensable en dehorsdu monde développé”. Depuislors, les prix ont baissé, ils varient

aujourd’hui entre 3 et 10 dollars, et lesvaccins commencent à arriver dansd’autres pays. Pourtant, mondialement,la vaccination contre l’Haemophilus

influenzae reste très insuf fisante. LeFonds des Nations unies pour l’enfance(UNICEF) affirme que seulement 2 % dela population mondiale est vaccinée.Lorsque le premier vaccin est apparu, plu-sieurs institutions dans le monde ontpensé à une autre stratégie : synthétiserl’antigène. Au moins dix laboratoires sesont lancés dans ce projet, mais l’équipecubaine est la seule à avoir réussi. Jus-qu’à présent, aucun vaccin n’avait étépréparé à par tir d’un antigène de syn-thèse. La technologie a été brevetéeen commun par l’université de La Havaneet celle d’Ottawa, qui a par ticipé auxrecherches.Verez reconnaît que ce vaccin, fabriqué àCuba et commercialisé par le laboratoi-re Heber-Biotec sous la marque Quimi-Hib,est encore trop cher pour se présentercomme solution pour les pays pauvres.Mais à terme, il devrait rejoindre les prixles plus bas du vaccin classique. Il rap-pelle aussi qu’en treize ans les grands la-

boratoires européens et américains n’ontpas produit plus de 100 millions de dosesde vaccin contre l’Haemophilus influen-zae. Or, d’ici à deux ou trois ans, Heber-Biotec devrait avoir produit quelque 50 mil-lions de doses.Verez pense qu’à l’avenir la productionde synthèse coexistera avec la voie clas-sique. “C’est une technologie de plus,une autre possibilité”, assure-t-il. L’un deses avantages tient au fait qu’elle n’uti-lise pas de micro-organismes, tout se faitchimiquement. Résultat : il n’y a aucunrisque de retrouver un résidu toxique duvirus dans le vaccin, ce qui peut arriveravec les vaccins classiques. “C’est unetechnologie plus propre, plus sûre”,explique-t-il. L’équipe de Verez entendmaintenant passer à l’étape supérieureen produisant le vaccin contre le pneu-mocoque, une bactérie responsablenotamment de méningites et de pneu-monies. Gerardo Arreola,

La Jornada, Mexico

Un vaccin de synthèse cubain pour les enfants des pays pauvres

� Dessin de Silvia Alcoba paru dans El Periódico de Catalunya, Barcelone.

La structure du cristal-réservoir

Dans un cristal classique, les molécules de gaz se fixent sur les faces et les arêtes, ce qui permet de n'en stocker qu'un petit nombre.

Les molécules de gaz se lient aux nouvelles surfaces, ce qui augmente considérablement la capacité de stockage du cristal.

(Les formes sont simplifiées)

Sour

ces

: A.J.

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, U M

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et N

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La structure interne du cristal-réservoir, appelé MOF-177, contient une multitude de petites structures qui accroissent sa surface.

697p57 5/03/04 20:42 Page 57

LA REPUBBLICARome

La musique explose dans l’air brûlant commeune onde de choc. “Mi cuerpo quiere salsa”[Mon corps veut de la salsa], hurle à la radioune voix puissante, troublant un court instant

le vol des pélicans, qui planent, silencieux, dans leciel couleur de lait de Livingston, au Guatemala.

Les notes s’échappent vers le panteón voisin, lecimetière, enchevêtrement de croix et de tombesqui, jour après jour, luttent pour leur survie faceaux écheveaux des racines du grand kapok.Toutle monde ici le dit : “Si cet arbre meurt, Livingstonmourra !”Mais pour le moment personne ne s’in-quiète, pas même les pin-up défraîchies, couleurchocolat, qui clignent de l’œil sur quelques postersattaqués par le temps, à l’ombre du Piel Canela,“Peau couleur cannelle”, sans doute celle de lajeune fille qui, dans un lointain passé, inspira lenom du café.

Autour d’elles les souvenirs, les rêves et lesfantasmes errent en roue libre, alimentés par lestorrents de rhum qu’engloutissent des clients prêtsà vous raconter leur vie pour un verre.Tel Petro-nillo, dit Pelé, que tout le monde appelle “ElMúsico” [le Musicien] et qui rêve de jouer à Cubaavant de mourir… “J’irais là-bas, même sur unradeau, jouer une note et rien de plus.” En attendant,pour une bière glacée, il vous offre les fragmentsd’une existence passée à se balader et à jouer à tra-vers tout le continent, des histoires de cuites phé-noménales aux Etats-Unis, transformés par samémoire en un mythique gringolandia, et des sou-venirs épiques de cantinas [bars] perdues au finfond de l’Amérique centrale. “La pire était celle d’ElProgreso,du côté de Cuilapa,au Guatemala.Un soir,un type arrive et me prend par le col. ‘Eh, le nègre !Si tu ne me joues pas El Rey, je te tue comme unchien’, et il commence à tirer comme un forcené.Pan,pan,pan… ! Heureusement, je connaissais la chanson,et elle m’a même permis de me trouver une fiancée.”

Cela n’a pas dû être trop difficile, vu sa solideréputation de coureur de jupons impénitent, qui luia valu cet autre surnom (très convoité) de “Unidadcentroamericana”(“Unité de l’Amérique centrale”),allusion à toutes les créatures qu’il aurait, selon larumeur publique, semées le long de l’Isthme.

C’est un monde de rêves envolés que ce

Macondo noir [du nom du village improbable oùse passe le célèbre roman de Gabriel García Mar-quez Cent Ans de solitude] perdu au beau milieud’un univers aussi rude qu’étrange, fait d’eau etde mangroves, de villages de pêcheurs aux nomsfabuleux, comme Vuelvemujer, “Femmereviens”,ou encore Monte de Oro [Mont d’or]. Des vil-lages qui s’égrènent le long d’un fleuve au nomde rêve, le Río Dulce, qui traîne lourdement sesgros méandres où les dauphins sautent tran-quillement jusqu’à une dernière paroi rocheuse,où la muraille verte de la forêt s’ouvre sur la baied’Amatique et sur une poignée de maisons bigar-rées. C’est Livingston, agrippée à deux embar-cadères et habitée par les Garifunas [voir chan-delle ci-contre] et où, aujourd’hui encore, on nepeut accéder qu’en bateau.

“Les esprits des ancêtres sont mécontents.” PourGreg, émigré à Manhattan et apprenti prêtre dusyncrétisme garifuna, cela ne fait aucun doute.“A trois reprises, ils ont essayé de construire un pont ;à trois reprises, il s’est effondré. Il ne nous sert à rien,ce pont, nous nous portons très bien comme ça !” Et,face à mon regard perplexe, il surenchérit avecun sourire sarcastique : “Une fois, ils avaient pro-jeté de construire un port, en utilisant même de ladynamite.Mais,après avoir tué une vingtaine de per-sonnes, ils ont dû s’avouer vaincus.On ne blague pasavec Livingston, c’est un lieu sacré.” Il n’y a pas dequoi rire, en effet, même pas avec notre cynismeoccidental : les cyclones meurtriers des Caraïbesne sont jamais parvenus jusqu’ici, laissant pan-tois (et sans explications à fournir) les météoro-logues du monde entier. Alors, le doute vousassaille : et si tout cela était vrai, si, dans ces lieux,Chango, Oshun et Obatala, les dieux ancestrauxdes Garifunas, régnaient encore en maîtres, aunez et à la barbe de l’inéluctable mondialisation ?

Ces dieux sont probablement arrivés ici enmême temps que le fondateur de Livingston, Mar-cos Sánchez Díaz, un jour lointain de 1802. Cepetit paradis perdu a dû beaucoup lui plaire, car,depuis lors, afin d’y demeurer, Marcos n’a jamaiscessé de se réincarner en des personnes diffé-

rentes. “Tu vois”, me susurre Luis, coupe rasta etdents en or, en me montrant une femme gras-souillette aux airs d’ange, “maintenant, l’âme dufondateur s’est réincarnée en elle, c’est-à-dire en unepersonne respectable.Auparavant, elle avait essayéavec un jeune homme, mais il n’était pas fiable.”

Néanmoins, pour se matérialiser, Marcospatiente jusqu’à la fête de San Isidro,Yurumeinpour les Garifunas, lorsqu’au cours de longues pro-cessions ceux-ci promènent son portrait un peuterni à travers les rues, tout emplies du rythmeinfernal des grands tambours qui font trembler lesmurs fragiles des maisons tamales.Celles-ci, tradi-tionnelles, sont ainsi dénommées parce qu’ellessont recouvertes de feuilles de bananiers et quela viande, c’est-à-dire les hommes, est à l’intérieur,justement comme dans les tamales [préparation deviande ou de poisson enrobée par des feuilles debananier et cuite à la vapeur].

Mais aujourd’hui les gens sont tous dehorspour revendiquer une identité longtemps niée, endansant sur les notes syncopées du punta rock,la musique garifuna qui ensorcelle, depuis le Belizejusqu’au Honduras. De misérables drapeaux àdamiers flottent dans la pénombre d’un sentierde campagne, illuminés par un soleil couleur sangqui fend les nuages comme une lame, tandis quel’air se charge d’encens. C’est le Dugù, la plussecrète des cérémonies, quand les Garifunas serassemblent loin des regards extérieurs pour invo-quer les esprits des ancêtres.

C’est un autre monde, dominé par des forcesobscures dont les prêtres traditionnels profiteraientbien souvent pour exercer un contrôle occulte surl’ensemble de la communauté. Ce sont des chosesqui se murmurent mais ne se disent pas, commetout ce qui, à Livingston, couve en coulisse der-rière le spectacle du paradis tropical, donné pourla plus grande joie des touristes de passage, théâtrede l’absurde où tous jouent un rôle, qui est parailleurs celui de leur survie physique.

Il y a de la place pour tout le monde, pour lescommerçants chinois, pour les silencieux MayasKekchi, éternellement chargés d’énormes ballots,et pour cette serveuse qui m’a cloué du regard endisant : “Emmène-moi en Italie avec toi !” Puis,consciente qu’elle exagérait peut-être un peu, elleest passée à : “Offre-moi une bière”, pour enfinse contenter d’un : “T’as 5 quetzals ?”

LOIN DES RUINES MAYAS

A Livingston, dans le Guatemala noir

voyage ●

COURRIER INTERNATIONAL N° 697 58 DU 11 AU 17 MARS 2004

C’est une cité perdue dans un monded’eau et de mangroves. Peuplée de descendants d’esclaves mystiques,Livingston n’est accessible qu’en bateau,le long d’un fleuve au nom de rêve : le Río Dulce, le doux fleuve.

Dépt

du HAUTVERAPAZ

Départementdu PETÉN

Départementd’IZABAL

Vers Tikal

BELIZE

HONDURASG U A T E M A L A

16°Nord

89°Ouest

Lacd’Izabal

RíoDulce

PuertoBarrios

Lívingston

GOLFE DU

HONDURAS

Baie d’ Amatique

0 50 km

Guatemala

Cuilapa

Tikal

MEXIQUE

BE

LIZ

E

GUATEMALA

SALVADOR

HOND.

0 200 km

■ GarifunasCes “NoirsCaraïbes”, que l’onretrouve aussi surles côtes du Belizeet du Honduras, sontles descendantsd’esclaves africainset d’IndiensCaraïbes.Au XVIe siècle,les esclaves fuyantles plantations des Antilles seréfugièrent sur l’îlede Saint-Vincent,alors territoireneutre aux mainsdes IndiensCaraïbes, ainsi quecertains survivantsdes naufrages denégriers espagnols.Là, ils semétissèrent auxIndiens Caraïbes,Arawaks et Kalipunas,dont ils adoptèrentla culture,le mode de vie.

697p58-59 5/03/04 20:03 Page 58

Ainsi va la vie, ainsi passent les jours à Living-ston, tandis que d’astucieux rastas bonimententde jeunes Européens alternatifs en quête du para-dis ultime, qui les regardent extasiés, comme s’ilsétaient le Christ réincarné. Ce doit être cetteatmosphère de parfums et d’émotions qui trans-forme les hommes et les pousse à se raconter. Aévoquer les jours de gloire, quand le consul duKaiser attendait sur le quai le vapeur Magda-lena (qui n’existe plus que sur une vieille affichepublique rongée) pour y charger le café des plan-tations allemandes de l’Alta Verapaz. Ou cesCaraïbes qu’a connues don Julio Lee, le présidentde la coopérative des pêcheurs. “Quand c’étaitencore une mer d’aventures, où l’on croisait des gensde toutes les races, une mer de ports et de tavernesoù les bagarres finissaient rapidement et où tout lemonde était de nouveau ami le lendemain,pas commemaintenant, où pour un rien on sort tout de suite lesmitraillettes et les pistolets. Une mer où un jour onpêchait des requins dans les cayos du Belize, le moisd’après des langoustes géantes, et puis où on pou-vait tout perdre au cours d’une tempête. Cela m’estarrivé aussi” – et, pendant qu’il parle, ses yeux semouillent presque – “sur le récif de Quitasueño.Onl’appelle comme ça,‘Chasse-sommeil’, parce que c’estune barrière de corail meurtrière, un cimetière debateaux face à l’île colombienne de San Andrés.”

Dans le golfe du Honduras, la mer est trom-peuse, plate comme la main, mais capable de sedéchaîner tout à coup et de soulever des muraillesd’eau qui pourraient couler un paquebot trans-

atlantique. Seul quelqu’un comme Morokoy, levisage séché par le soleil et des histoires effrayantesde naufrages derrière lui, peut faire voler sa lan-cha [canot à moteur], en naviguant à vue, sur cetteinquiétante immensité bleue dépourvue de pointsde repères. Quand on prononce le mot “bous-sole”, Morokoy se tord de rire. “A quoi ça sert ? Ily a le soleil !”, même si tout le monde dans le coina en mémoire l’histoire de Peralta “El Loco”, leFou, qui, à cause des nuages, s’était perdu avecun groupe de touristes pour finalement échouer,après une nuit apocalyptique, au Honduras,poussé par la tempête.

Mais, aujourd’hui, le golfe est de bonnehumeur, et, après deux bonnes heures de navi-gation, nous apercevons quelques cocotiers quivacillent à l’horizon. Ils indiquent les cayos Sapo-dillos, qui, politiquement, appartiendraient àl’ex-Honduras britannique, le Belize, même sila chose ne semble pas intéresser grand monde,pas même la paire de policiers vautrés sur unepetite jetée, écaillant lentement des poissons, leregard perdu dans le vide, comme ceux quisavent bien que le temps n’a pas de valeur. Lachaloupe glisse parmi de petites plages de sableblanc, où l’on bute sur des coquillages roses,grands comme des pierres, et de gros coraux àfleur d’eau, dans un labyrinthe cristallin peupléde poissons couverts de rayures, de losanges oude cercles jaunes et violets, qui semblent toutdroit sortis du rêve qui sommeille dans l’imagi-naire de chacun de nous.

Le soir venu, alors que le soleil s’évanouit etque les enfants dévalent à vélo, comme des fous,la seule rue qui mène au port, une lune aussigrande qu’une assiette se glisse parmi les nuagesbleus poussés par le vent et illumine les petitsclubs de reggae où l’on danse pieds nus sur laplage. Plus loin, hormis le clapotis des vagues, onn’entend plus que le bruit, sourd et doux à la fois,de quelques noix de coco qui tombent sur le sable.On dit aussi qu’ici, à Livingston, la seule acti-vité est de s’asseoir par terre et d’attendre quetombe une noix de coco : si elle ne tombe pasaujourd’hui, elle tombera mañana, demain. Peut-être est-ce vrai ou peut-être n’est-ce qu’un rêve ;mais, d’ailleurs, où les rêves sont-ils possibles,sinon à Macondo ?

Enrico Martino

Y ALLER ■ Il n’existe pas de vols directs entreParis et Guatemala. Il faut compter au moinsune escale, en général à Miami ou à Mexico. Ibe-ria propose un AR promotionnel avec change-ment à Madrid et à Miami pour 655 euros.Ensuite, il faut aller jusqu’à Puerto Barrios enbus (à 295 km de Ciudad de Guatemala, cinqheures de route) ou en avion. La route s’arrêteà Puerto Barrios, et Livingston est uniquementaccessible par bateau : il y a de fréquentes na-vettes collectives ou individuelles, les premières,plus économiques, partant une fois qu’elles sontremplies. Deux fois par jour, il existe un bateauplus grand, mais ses horaires sont assez “élas-tiques”. Une solution, nettement plus specta-culaire, est d’arriver par le Río Dulce. Certainsbateaux partent aussi du Honduras ou du Belize.

SE LOGER ■ L’hôtel Tukan Dugù (tél. : 502 [0]948-1572) est l’hôtel chic de Livingston, situédans la verdure d’un jardin tropical. En plus dubâtiment central, il possède quelques bunga-lows avec une vue magnifique sur la baie d’Ama-tique. Les chambres doubles coûtent environ84 dollars. A Livingston, les nuits peuvent durerjusqu’aux aurores, il suffit pour cela de faire letour des clubs de reggae, le long de la plage.Il est difficile de dire lequel est le meilleur, tantla musique est bonne partout.

SE RESTAURER ■ La spécialité locale est letapado, un délicieux ragoût à base de poisson,de crabe, d’écrevisse et de divers crustacés,avec des bananes et des noix de coco, le toutassaisonné de coriandre. Le restaurant le pluspopulaire parmi les touristes est le Bahia Azul,dans la rue principale, qui fait aussi office devéritable centre d’information, indispensablepour trouver un passage vers le Belize ou versle Honduras, faire une “écocroisière” sur le RíoDulce ou simplement pour savoir ce qui se passeen ville. Une alternative “historique” est pro-posée par le Margot, spécialiste des cevicheset des écrevisses, face à l’église évangéliquedu Nazareño. Le long du Río Dulce, on peut faireune halte chez El Viajero (tél. : 902-7059), à vingtminutes en barque de Livingston.

SE DÉPLACER ■ Pour se rendre aux cayos Sapo-dillos, il faut choisir les lancheros qui donnentdes garanties, car le golfe du Honduras n’estpas une plaisanterie. Morokoy est digne deconfiance : tout le monde pourra vous indiquersa maisonnette, à quelques mètres du port. Ilfaut compter au moins 350 ou 400 dollars pourune barque ; mais cela en vaut vraiment la peine.

À NE PAS MANQUER ■ Même si vous êtes spé-cialement venus rêver sur cette côte Caraïbe peuconnue, il est dommage de repartir du Guate-mala sans avoir visité Tikal, l’un des plus beauxsites mayas de la région, situé au cœur de lajungle du Petén. Ses temples sont si hauts queTikal a souvent été baptisé la “New York maya”.Il est facile de s’y rendre par avion ou par buset, de toute façon, les distances sont courtesdans ce petit pays.

L’ensemble des informations pratiques sur la région, enrichi de liens, peut être consultésur le site de Courrier international :

courrierinternational.com

c a r n e t d e r o u t e

COURRIER INTERNATIONAL N° 697 59 DU 11 AU 17 MARS 2004

Enric

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artin

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Enric

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Enric

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� On a essayé troisfois de construire un pont pour relierLivingston à la terreferme. Sans succès.Car les esprit sont mécontents…

� Isabel Araña est la dernière femmede Livingston à connaître les secretsde la médecinetraditionnellegarifuna.

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Publicite 20/03/07 16:05 Page 56

LE PÉRIPLE DE DEUX DESSINATEURS SUÉDOIS

en plus de place dans la BD. Finalement, nous avonsété obligés d’en faire une marionnette. Je me demandeparfois si ce n’est pas lui qui nous a fait faire l’album.Il en est définitivement la vedette.”

Une douille de revolver, un journal de guerretenu par un personnage nommé Skledar et le chienaplati de Bosnie sont autant d’éléments qui figu-rent dans l’album et que les auteurs ont ensuitefabriqués pour l’exposition qu’ils ont organiséeautour de leur livre et qui a voyagé en 2003 dansl’ex-Yougoslavie. “C’était curieux.Nous avons décou-vert que les gens qui venaient voir notre exposition seposaient les mêmes questions que nous sur la guerre. Ilsnous ont demandé quelles étaient les raisons de sondéclenchement, ce qui est absurde.Nous n’habitons paslà-bas.Nous leur avons retourné la question”, raconteMax Andersson.

Bosnian flat dog est leur premier projet en duoet leur histoire la plus clairement politique. “Certes,nous avons essayé de raconter une histoire politique.Mais, en fait, ce n’est pas l’histoire elle-même qui estpolitique,c’est plutôt le glossaire à la fin,qui donne l’ex-plication de la plupart des mots de l’album, de l’héli-coptère Apache aux munitions à l’uranium.Mais nousne voulons pas dire aux gens ce qu’il faut penser.Nousdonnons des pistes, et c’est au lecteur de réfléchir.”

Et le chien dans tout ça ? Eh bien, le chienaplati de Bosnie est une nouvelle race canine quia muté et s’est adaptée à des conditions de cir-culation extrêmes. Le chien étant aplati dès sa nais-sance, il ne craint pas de se faire écraser par leslourds et larges véhicules qui se déplacent dans leszones de guerre. Le chien est apparu en rêve à MaxAndersson pour la première fois en 1995 et il vivaitalors dans une vitrine.Andersson dit qu’il lui rap-pelle son moi intime.

A propos de rêve et de réalité, il y a, à la finde l’album, deux histoires indépendantes, l’unesignée Andersson, l’autre Sjunnesson. Dans cettedernière, Farbror Skledar Kräkfilmen [Le Film ger-bant de l’oncle Skledar], un chat vomit brutale-ment sur le personnage principal. Et, juste avantque nous ne prenions congé des deux auteurs, levéritable chat de Lars, Errol, montre la même apti-tude. Le monde imaginaire de Lars Sjunnesson etde Max Andersson n’est finalement pas si éloignéde la réalité. Paulina Bylén* Ed. Kartago, Stockholm, 2004. (La traduction françaiseparaîtra au second semestre 2004 aux éditions L’Association.)

SVENSKA DAGBLADET (extraits)Stockholm

Fiction ou réalité ? Les deux sont intimementmêlées dans l’album de Max Andersson etLars Sjunnesson Bosnian flat dog* [Le chienaplati de Bosnie], qui vient de paraître en

Suède.Tout a commencé au printemps 1999. Lesdeux auteurs de bande dessinée se trouvaient dansla capitale slovéne, Ljubljana, pour une série deconférences.A la suite d’un appel téléphonique, ilsse retrouvèrent embarqués dans un périple en voi-ture à travers l’ex-Yougoslavie, au moment où lesavions de l’OTAN bombardaient la Serbie voisine[lors de la guerre du Kosovo, de mars à juin 1999].

Le sujet de l’album, c’est précisément cevoyage, dont les deux auteurs racontent les péri-péties plus ou moins véridiques. Sur la route, ilscroisent des marchandes de glace, des veuves trau-matisées de Srebrenica, une chanteuse suédoiseayant remporté un concours de l’Eurovision et lanouvelle race de chien aplati de Bosnie, sur laquellenous reviendrons. “J’ai honte, mais je dois avouerque j’ai eu peur,même si je n’avais aucune raison.Nousétions, en effet, en dehors des zones de guerre”, avoueMax Andersson. Lars Sjunnesson acquiesce, étouffeun rire et explique que, comme dans le livre, ilsétaient partis avec quelques paquets de cigarettespour soudoyer les paramilitaires qui risquaientde les arrêter. En fait, ça n’est jamais arrivé.

Nous sommes à Berlin, dans l’appartement deLars Sjunnesson, qui a servi de lieu de travail auxdeux compères au cours des trois dernières années.Sur une chaise, dans un coin du séjour, est affaléun Tito en papier mâché, revêtu d’un uniformecouvert de vieilles médailles de la RDA. L’ancienchef de l’Etat yougoslave est l’une des figures clésde Bosnian flat dog et, selon Lars Sjunnesson, lavéritable raison d’être du livre. “Tito a pris de plus

le l ivre ●

Un chien aplati, le maréchal Titoressuscité, des veuves traumatisées : ce sont quelques-uns des ingrédients de Bosnian flat dog, l’album écrit à quatremains par Max Andersson et Lars Sjunnesson.

é p i c e s & s a v e u r s

PORTUGAL ■ Le vin qui aattendu cinq siècles

Howard Abarbanel, négociant juif new-yorkais,est un homme impatient. Mais que sontquelques jours de plus lorsque lui et les

siens attendent depuis cinq cent vingt et unans ? Voilà en effet plus de cinq siècles queses ancêtres, les Abravanel, ont quitté le Por-tugal, expulsés par le roi Manuel I, en 1496.Ce fut ensuite l’Espagne, Naples, la Turquie,puis la Pologne et, enfin, au XVIIIe siècle, lesEtats-Unis, où leur nom a subi une légère alté-ration pour devenir Abarbanel. De l’autre côtéde l’Atlantique aussi, côté portugais, l’effer-vescence est de mise, car le moment esthistorique : dans quelques jours partiront pourNew York 10 000 bouteilles de vin de Terras deBelmonte, le premier vin casher produit auPortugal depuis… cinq siècles justement.L’histoire de ce vin commence il y a quelquesannées à peine, à New York, lors d’une opé-ration de séduction des autorités portugaisesauprès de la communauté juive américaine.Lisbonne s’est en effet souvenu que quelques-unes des plus anciennes familles juives amé-ricaines étaient d’origine portugaise. La pre-mière synagogue new-yorkaise n’avait-elle pasété fondée par 23 juifs séfarades, tous origi-naires de la péninsule Ibérique ? L’idée de pro-duire un vin por tugais casher de qualité estensuite venue très rapidement. Howard Abar-banel s’est tout d’abord rendu au Portugal avectoute sa famille. Il a été accueilli sur place parun sonore “Cela fait cinq cents ans que nousvous attendions”. Une phrase d’autant plusémouvante qu’elle était prononcée par DuarteNuno de Bragança, descendant de Dom Afonso[Alphonse Ier], premier duc de Bragance etprotecteur de son ancêtre Abravanel. La suiten’a été qu’une formalité, mais chargée de sym-boles. Les deux hommes ont choisi d’abordsoigneusement choisi un terroir. Les terresentourant le village de Belmonte se sont immé-diatement imposées, car Belmonte, pour tousles séfarades du monde, est un véritable sym-bole de résistance.C’est dans ce village du nord du pays, non loinde Por to, que l’on a découver t, en pleinXXe siècle, une poignée de villageois qui, depuisplus de quatre siècles, pratiquaient en secretle judaïsme. Le rabbin de la petite communautéjuive de Belmonte s’est ensuite chargé de sur-veiller le processus, extrêmement codifié, defabrication d’un vin casher. Première exigence :il fallait un cépage local et, surtout, une récolteissue de pieds de vigne déjà anciens. Enfin, lerabbin de Belmonte a tout vérifié : de l’impec-cable propreté du pressage à la vinification, enpassant par l’obturation des ouvertures descuves avec des films plastique couverts d’ins-criptions en hébreu. Au final, Howard Abarba-nel a réussi son pari : celui d’“offrir à la com-munauté juive séfarade new-yorkaise l’occasionde noyer sa nostalgie du Portugal dans un vindu cru”. Catarina Carvalho, Expresso, Lisbonne

■ Les auteursMax Andersson et Lars Sjunnessonont en commund’être nés en 1962,en Suède, et d’avoirélu domicile à Berlin. D’abordréalisateur de courts-métragesd’animation,Max Andersson se met à la BD à la fin desannées 80. Il se faitconnaître dans le monde entiergrâce à son premieralbum, Pixy(éd. L’Association,1997), qui estdevenu un classiquede la BDunderground.Moins connu que son compère,Lars Sjunnessontravaille commeillustrateur. Il estl’auteur de troisalbums, dont ÅkeJävel et Tjocke Bo,qui n’ont pas ététraduits en français.

Road-movie balkanique

� “Personnellement, j’ai eu de la chance. Mon appartement n’a pas été touché de toute la guerre. Il n’y a que la salle de bains.”��“Mais c’est pas embêtant de prendre son bain à la vue de tous ?” Vignettes extraites de Bosnian flat dog.

COURRIER INTERNATIONAL N° 697 61 DU 11 AU 17 MARS 2004

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PUBLICITÉ

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tendance ●

Une vache à lait au paysdes vaches sacrées

Les publicitaires en ont rêvé, leMadhya Pradesh l’a fait : réunirpendant plusieurs jours sur un

seul et même site plus de 30 mil-lions de consommateurs animéspar un zèle mystique et très vulné-rables au pouvoir de la suggestion.Ce rêve commence en effet à pren-dre corps par les voies les plus inat-tendues qui soient : en avril pro-chain, après l’intermède de rigueurde douze années, la ville d’Ujjain,dans le Madhya Pradesh, accueillerala fête de Simhasta, plus connuesous le nom de Kumbha Mela – ungigantesque rassemblement reli-gieux où des millions de fidèles semêleront aux sages drapés de togesjaune safran et aux sadhus errantdans le plus simple appareil. Au-delà de sa dimension religieuse, laKumbha Mela de cette année sedistinguera de ses éditions précé-dentes en ceci que l’Etat du MadhyaPradesh a choisi d’en faire une gran-de manifestation commerciale.Qu’un gouvernement dirigé parune sadhvi [l’équivalent féminin dusadhu] à la tête rasée arborant larobe jaune entreprenne de propagerla bonne parole du marketing jusquedans cette manifestation religieusea certes de quoi surprendre, maisl’idée d’exploiter l’événement pourempocher des sommes farami-neuses a visiblement été trop ten-tante pour que le gouvernement deMme Uma Bharti puisse y résister.La Kumbha sera donc commercia-lisée auprès de fabricants de limo-nade et de produits de consom-mation courante, de chaînes detélévision, d’exposants et de qui-conque a quelque chose à vendreaux 30 millions de fidèles qui pro-mettent d’envahir Ujjain en avril. Desbassins rituels aux stands d’expo-

sition, des ronds-points aux pas-sages à niveau et jusqu’au cield’Ujjain, tous les espaces possibleset imaginables seront exploités parl’intermédiaire de la société Linter-land, filiale de Lintas qui a signé unaccord avec le gouvernement duMadhya Pradesh pour “promouvoiret commercialiser la Kumbha Mela”.“En 1992, la Kumbha n’a généréque quelque 3,2 millions de roupies[64 000 euros], mais cette fois-ci,avec l’aide de professionnels dumarketing, nous espérons dégagerau moins 105 millions de roupies[2,1 millions d’euros]”, expliqueSatyaprakash, directeur généralde Madhya Pradesh Madhyam,l’agence de relations publiques del’Etat qui a signé avec Linterland.L’idée de remplir les caisses del’Etat, qui ont bien besoin d’être ren-flouées, est, certes, excellente, maiselle n’est pas nécessairement pourplaire aux acteurs locaux qui sontau cœur de manifestations commela Kumbha (les sadhus, l’adminis-tration municipale et les agences depublicité concurrentes). Les sadhusn’admettent pas que l’on vende unrassemblement religieux comme unvulgaire concert de rock, et d’autress’interrogent sur les modalités d’at-tribution du marché public. Au débutde l’année 2003, Lintas a été choisipour conseiller Madhyam, qui, sousla houlette de son précédent direc-teur du marketing, Ajita Bajpai Pan-dey, s’était mis en tête de com-mercialiser le grand rendez-vous despèlerins. Un appel d’offres a étélancé en 2003, invitant les entre-prises de publicité et de promotionculturelle à soumissionner pour lesdroits. Contre toute attente, le cabi-net-conseil s’est porté soumission-naire et a remporté le marché, en

promettant des recettes de 87 mil-lions de roupies [1,6 million d’eu-ros]. Mais une commission officiellea contesté sa participation, souli-gnant qu’un cabinet-conseil ne pou-vait être partie prenante du projet,et somma Madhyam de lancer unnouvel appel d’offres dans unemeilleure transparence.Les nouvelles conditions d’accèsau marché, publiées en novem-bre 2003, n’ont pas changé grand-chose : Linterland a de nouveau rem-porté le morceau, projetant cettefois-ci des revenus de 105 millionsde roupies. La société a donc main-tenant toute latitude pour installerdes panneaux, des arches d’accueil,des calicots, des affiches, des gad-gets gonflables et des parapluiesestampillés à son logo sur tous lesbassins rituels, ronds-points, etmême passages à niveau de la ville.Elle a par ailleurs raflé des droitsd’exploitation exclusifs sur quelque310 000 mètres carrés d’espacesd’exposition à l’intérieur du com-plexe sur lequel se déroulera lagrande fête, et sur 131 500 mètres

carrés d’espaces publicitaires. Pourses services de commercialisationde la manifestation, Linterland tou-chera une commission de 7 %.Inutile de préciser que l’agencedéploie toutes les techniques demarketing du monde et a bien l’in-tention de placarder jusqu’au der-nier centimètre carré. “Nous som-mes également en train de négocieravec une société de consigne debagages pour faire de la publicitédans un quartier où les pèlerins lais-sent leurs affaires”, explique sondirecteur, Ashish Bhasin.Si, en théorie, il peut paraître judi-cieux de confier la commercialisa-tion d’un pareil événement à desprofessionnels, la charge religieusede la Kumbha s’avère en fait êtreà double tranchant. Au regard des

2,4 milliards de roupies [43 mil-lions d’euros] que le gouvernementconsacre à cette grand-messe, lesrecettes escomptées n’ont rien defaramineux. De plus, la Kumbha nejustifierait pas véritablement unestratégie de marketing dans lamesure où il ne s’agit pas d’un ren-dez-vous annuel. Elle n’a lieu quetous les douze ans, et en ceci lecontrat avec Linterland jette uneombre sur la fête avant mêmequ’elle n’ait commencé.La controverse pourrait bien s’en-venimer quand le projet de vendreles droits télévisés exclusifs seramis à exécution. Pour une fois queles médias s’en mêlent, ils risquentde provoquer un scandale bien terreà terre. Neejra Mishra,

India Today, New Delhi

Des supermarchés pour seniorsFini la bousculade et les étiquettes illisibles. Voici les premiers

supermarchés spécialement conçus pour les plus de 50 ans. ChezAdeg Aktiv Markt 50 +, dans la banlieue de Salzbourg et à Vienne,les prix sont écrits en grand, la lumière ar tificielle est spéciale-ment conçue pour réduire les reflets et des loupes sont disponiblesaux rayons crémerie et épicerie. Pas besoin de se hisser sur la pointedes pieds : les produits sont aisément accessibles. Les allées sontlarges et le sol est équipé d’un revêtement antidérapant. Un petitcoup de pompe ? Les coins repos abondent. Certains Caddie s’ac-crochent aux chaises roulantes, et d’autres font également office desiège – les roues se verrouillent dès que l’on s’assied pour évitertout problème. Un quart de la population autrichienne et un tiersde la population allemande devraient avoir plus de 60 ans en 2015.Rien d’étonnant, donc, à ce qu’Adeg, filiale du groupe allemand Edeka,chouchoute sa clientèle de seniors. Mais ces supermarchés ont beaucibler les plus de 50 ans, les rayons ne sont pas seulement bourrésde couches pour les incontinents, note l’International Herald Tribune.La formule séduit aussi les jeunes – à la grande surprise de la chaîne,ceux-ci constituent la moitié de la clientèle.

� La Kumbha Mela, le plus vaste rassemblement religieux du monde, se tient par rotation tous les trois ans dans quatre villes saintes indiennes.Cette année, les pèlerins sont attendus à Ujjain, dans le Madhya Pradesh. Le marketing aussi sera au rendez-vous.

Prenez de minuscules crustacés. Exposez-les aux 4 000 à6 000 produits chimiques contenus dans la fumée decigarette. Les bestioles meurent illico. Renouvelez l’ex-périence devant une classe d’adolescents : les voilàconvaincus à jamais des effets délétères du tabac. Plu-sieurs écoles flamandes ont déjà expérimenté avec suc-cès l’“anti-smoking toxkit” inventé par le toxicologuebelge Guido Persoone. Le but de ce coffret pédagogiqueest “de confronter les jeunes de visu avec la mort depetits organismes vivants (des crustacés aquatiques) à lasuite de leur exposition aux produits chimiques extraitsdu filtre d’une cigarette fumée”. Les films utilisés habi-tuellement dans le cadre d’actions de prévention ont

beau être convaincants, leur impact psychologique estlimité, note le site de la société MicroBio Test, qui com-mercialise ce produit : regarder un accident de voitureà la télévision ou au cinéma, c’est sans communemesure avec le fait de voir des morts ou des blesséssur le terrain. Mais quid des crustacés, qui n’ont pasdemandé à participer à la lutte antitabac ? Si BrigitteBardot monte au créneau, Guido Persoone ne devra pass’étonner, écrit La Libre Belgique. Le toxicologue dit “com-prendre les critiques émises par les organisations dedéfense des animaux”, mais souligne que “chaque jourdes milliards de créatures vivantes sont détruites en rai-son des mégots qui traînent dans la nature”.

Fumer tue : la preuve…

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