madeleine parent - le devoir...madeleine parent g 2 le devoir, les samedi 31 mars et dimanche 1er av...

8
AMÉLIE DAOUST- BOISVERT D ouce et radicale, syndicaliste et fé- ministe engagée, Madeleine Parent a milité de l’aube au crépuscule de sa vie, jus- qu’au bout de ses forces. L’en- gagement d’une vie, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Sans compromis. Françoise David voudrait que Madeleine Parent marque la mémoire collective du Québec au même titre que des hommes connus et reconnus, les Bour- gault, Lévesque, Chartrand... Cette femme qui prenait le mi- cro d’une voix douce pour dire des choses très radicales, ra- conte Mme David, mérite qu’on se souvienne du rôle ma- jeur qu’elle a joué dans l’histoi- re du Québec. Elle ne se mettait pas en co- lère, dit l’historienne Denise Baillargeon. «En ce sens, c’était l’anti-Michel Chartrand; mais, tout comme lui, elle était animée par des convictions ab- solument inébranlables» , ex- plique-t-elle. Elle aura été une grande indignée jusqu’à la fin de sa vie, décédée dans les mois qui justement auront sui- vi le mouvement d’indignation mondial qui s’est répandu sur la planète. Une femme au destin hors normes Madeleine Parent naît en juin 1918. Elle grandit en face du parc Lafontaine, dans une fa- mille de la classe moyenne qui ne connaîtra pas les privations de la Grande Dépression. Ses parents l’envoient dans les meilleures écoles, dont le cou- vent Villa-Maria. C’est à cette époque qu’il faut chercher les racines du militan- tisme de Madeleine, qui était at- terrée en voyant l’injustice dont étaient victimes les domes- tiques au couvent. Peut-être pour échapper à ce milieu religieux, Madeleine choisit de poursuivre sa scola- risation à l’Université McGill en 1936, où elle étudie la so- ciologie. Parfaitement bi- lingue, elle s’engage dans les associations étudiantes. De cette époque jusque dans les années 2000, elle manifestera avec les étudiants, défendant l’accessibilité aux études pour les moins nantis. À l’université, elle fait la ren- contre marquante de Léa Ro- back. De quelques années son aînée, cette dernière œuvre déjà dans le monde syndical. Madeleine prend le chemin qui sera le sien: elle suivra les traces de son amie, une déci- sion culottée pour une femme issue de la petite bourgeoisie de l’époque. Des luttes difficiles Geste d’éclat: fraîchement di- plômée, Madeleine se trouve un premier emploi dans le monde syndical. Elle se marie une première fois en 1941. Mais cette union avec Val Bjar- nason est de courte durée. Le grand amour de Madeleine, son compagnon de vie et de lut- te, Kent Rowley, entre dans sa vie en 1943. À ses côtés, Madeleine défen- dra les ouvriers du textile — et les ouvrières, qui, pendant la Deuxième Guerre mondiale, en- trent dans les usines. Elle s’atti- re les foudres de Maurice Du- plessis. En 1946 et 1947, deux grèves marquantes des Ou- vriers unis des textiles d’Amé- rique (OUTA) lui valent la pri- son à quelques reprises. Duples- sis accuse le couple d’être de «dangereux communistes». Ma- deleine sera blanchie de toute accusation par la Cour d’appel. En 1952, une autre grève à Dominion Textile coûtera la tête d’OUTA à Madeleine et Kent. Ce dernier part pour l’Ontario, et les luttes du couple s’y poursuivent sans re- lâche pour bâtir des syndicats locaux indépendants, libérés du joug des Américains. Elle fi- gure parmi les membres fonda- teurs du Conseil des syndicats canadiens. Féministe, elle par- ticipe également à la création du Comité d’action pour le sta- tut de la femme. Kent meurt en 1978. En 1983, Madeleine revient défini- tivement au Québec. Retraitée, elle s’engage au sein de la Fé- dération des femmes du Qué- bec, à Alternatives, au Centre des travailleurs immigrants, à la Ligue des droits et des libertés et dans des associations ap- puyant les femmes autochtones et immigrantes. On la verra marcher au Sommet des Amé- riques, frêle et surprenante. Elle aura milité jusqu’au bout, sans relâche. «Les causes survivent aux per- sonnes qui les ont portées, croit Lorraine Pagé. Et il faut encore poursuivre la course à relais.» Le Devoir Hors des syndicats américains, le salut ! Page 3 Françoise, Madeleine et la cause des femmes Page 5 « Rouge » elle le fut Page 6 CAHIER G › LE DEVOIR, LES SAMEDI 31 MARS ET DIMANCHE 1 ER AVRIL 2012 Une femme douce... « Elle était par des absolument animée convictions inébranlables Quand Madeleine Parent épousait une cause, «on avait l’im- pression que c’était à jamais. Elle était tenace, combattante, loyale, fidèle», confie Lorraine Pagé dans nos pages célébrant la mémoire de cette grande dame qui s’est éteinte le 12 mars dernier à l’âge de 93 ans. ARCHIVES NATIONALES DU CANADA PA 178137 Madeleine Parent a été de tous les combats politiques pour faire reconnaître le droit des femmes au travail et à un salaire égal à celui des hommes. Dernier adieu Une commémoration publique aura lieu pour honorer la mémoire et la contribution inestimable de Madeleine Parent à la société québécoise et canadienne. Le dimanche 1 er avril, de 14 heures à 16 heures Centre funéraire Côte-des- Neiges, 4525, chemin de la Côte-des- Neiges, Montréal Métro Côte-des-Neiges, autobus 165 sud Stationnement sur place Les salles peuvent accueillir 350 personnes. » MADELEINE PARENT 1918-2012 « C’était l’anti- Michel Chartrand; mais, tout comme lui, elle était animée par des convictions absolument inébranlables »

Upload: others

Post on 06-Oct-2020

1 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: MADELEINE PARENT - Le Devoir...MADELEINE PARENT G 2 LE DEVOIR, LES SAMEDI 31 MARS ET DIMANCHE 1ER AV R I L 2 0 1 2 Syndicaliste et féministe, Madeleine Parent a prêté sa voix de

A M É L I E D A O U S T -B O I S V E R T

D ouce et radicale,syndicaliste et fé-ministe engagée,Madeleine Parenta milité de l’aube

au crépuscule de sa vie, jus-qu’au bout de ses forces. L’en-gagement d’une vie, 24 heuressur 24, 7 jours sur 7. Sanscompromis.

Françoise David voudrait queMadeleine Parent marque lamémoire collective du Québecau même titre que des hommesconnus et reconnus, les Bour-gault, Lévesque, Chartrand...Cette femme qui prenait le mi-cro d’une voix douce pour diredes choses très radicales, ra-conte Mme David, méritequ’on se souvienne du rôle ma-jeur qu’elle a joué dans l’histoi-re du Québec.

Elle ne se mettait pas en co-lère, dit l’historienne DeniseBaillargeon. «En ce sens,c’était l’anti-Michel Chartrand;mais, tout comme lui, elle étaitanimée par des convictions ab-solument inébranlables», ex-plique-t-elle. Elle aura été unegrande indignée jusqu’à la finde sa vie, décédée dans lesmois qui justement auront sui-vi le mouvement d’indignationmondial qui s’est répandu surla planète.

Une femme au destin hors normes

Madeleine Parent naît en juin1918. Elle grandit en face du

parc Lafontaine, dans une fa-mille de la classe moyenne quine connaîtra pas les privationsde la Grande Dépression. Sesparents l’envoient dans lesmeilleures écoles, dont le cou-vent Villa-Maria.

C’est à cette époque qu’il fautchercher les racines du militan-tisme de Madeleine, qui était at-terrée en voyant l’injustice dontétaient victimes les domes-tiques au couvent.

Peut-être pour échapper àce milieu religieux, Madeleinechoisit de poursuivre sa scola-risation à l’Université McGillen 1936, où elle étudie la so-ciologie. Par faitement bi-lingue, elle s’engage dans lesassociations étudiantes. Decette époque jusque dans lesannées 2000, elle manifesteraavec les étudiants, défendantl’accessibilité aux études pourles moins nantis.

À l’université, elle fait la ren-contre marquante de Léa Ro-back. De quelques années sonaînée, cette dernière œuvredéjà dans le monde syndical.Madeleine prend le chemin quisera le sien: elle suivra lestraces de son amie, une déci-sion culottée pour une femmeissue de la petite bourgeoisiede l’époque.

Des luttes difficilesGeste d’éclat: fraîchement di-

plômée, Madeleine se trouveun premier emploi dans lemonde syndical. Elle se marieune première fois en 1941.Mais cette union avec Val Bjar-

nason est de courte durée. Legrand amour de Madeleine,son compagnon de vie et de lut-te, Kent Rowley, entre dans savie en 1943.

À ses côtés, Madeleine défen-dra les ouvriers du textile — etles ouvrières, qui, pendant laDeuxième Guerre mondiale, en-trent dans les usines. Elle s’atti-re les foudres de Maurice Du-plessis. En 1946 et 1947, deuxgrèves marquantes des Ou-vriers unis des textiles d’Amé-rique (OUTA) lui valent la pri-son à quelques reprises. Duples-sis accuse le couple d’être de«dangereux communistes». Ma-deleine sera blanchie de touteaccusation par la Cour d’appel.

En 1952, une autre grève àDominion Textile coûtera latête d’OUTA à Madeleine etKent. Ce dernier par t pourl’Ontario, et les luttes ducouple s’y poursuivent sans re-lâche pour bâtir des syndicatslocaux indépendants, libérés

du joug des Américains. Elle fi-gure parmi les membres fonda-teurs du Conseil des syndicatscanadiens. Féministe, elle par-ticipe également à la créationdu Comité d’action pour le sta-tut de la femme.

Kent meur t en 1978. En1983, Madeleine revient défini-tivement au Québec. Retraitée,elle s’engage au sein de la Fé-dération des femmes du Qué-bec, à Alternatives, au Centredes travailleurs immigrants, à laLigue des droits et des libertéset dans des associations ap-puyant les femmes autochtoneset immigrantes. On la verramarcher au Sommet des Amé-riques, frêle et surprenante.Elle aura milité jusqu’au bout,sans relâche.

«Les causes survivent aux per-sonnes qui les ont portées, croitLorraine Pagé. Et il faut encorepoursuivre la course à relais.»

Le Devoir

Hors des syndicatsaméricains, le salut!Page 3

Françoise,Madeleine et lacause des femmesPage 5

«Rouge»elle le fut Page 6

C A H I E R G › L E D E V O I R , L E S S A M E D I 3 1 M A R S E T D I M A N C H E 1 E R A V R I L 2 0 1 2

Une femmedouce... «Elle était

par desabsolument

animéeconvictions

inébranlables

Quand Madeleine Parent épousait une cause, «on avait l’im-

pression que c’était à jamais. Elle était tenace, combattante,

loyale, fidèle», confie Lorraine Pagé dans nos pages célébrant

la mémoire de cette grande dame qui s’est éteinte le 12 mars

dernier à l’âge de 93 ans.

ARCHIVES NATIONALES DU CANADA PA 178137

Madeleine Parent a été de tous les combats politiques pour faire reconnaître le droit des femmes au travail et à un salaire égalà celui des hommes.

Dernier adieuUne commémoration publique aura lieu pour honorer la mémoire et la contribution inestimable de Madeleine Parentà la société québécoise et canadienne.

Le dimanche 1er avril, de 14 heures à 16 heuresCentre funéraire Côte-des-Neiges, 4525, chemin de la Côte-des-Neiges, Montréal

Métro Côte-des-Neiges, autobus 165 sudStationnement sur placeLes salles peuvent accueillir 350 personnes.

»

MADELEINE PARENT1918-2012

«C’était l’anti-Michel Chartrand;mais, tout commelui, elle était animéepar des convictionsabsolumentinébranlables»

Page 2: MADELEINE PARENT - Le Devoir...MADELEINE PARENT G 2 LE DEVOIR, LES SAMEDI 31 MARS ET DIMANCHE 1ER AV R I L 2 0 1 2 Syndicaliste et féministe, Madeleine Parent a prêté sa voix de

M A D E L E I N E PA R E N TG 2 L E D E V O I R , L E S S A M E D I 3 1 M A R S E T D I M A N C H E 1 E R A V R I L 2 0 1 2

Syndicaliste et féministe, Madeleine Parent aprêté sa voix de militante à de nombreusescauses tout au long de sa vie. L’héritagequ’elle laisse à la société québécoise et cana-dienne est multiple et considérable. Survolen compagnie d’Andrée Lévesque, qui a diri-gé sa biographie, dont le titre, Madeleine Pa-rent, militante, résume bien la carrière decette femme hors du commun.

P I E R R E V A L L É E

A ndrée Lévesque a connu Madeleine Parentbien avant de l’avoir rencontrée. «C’était au

début des années cinquante et je devais avoir envi-ron 12 ans. À l’école, la religieuse qui était monenseignante posa un geste que je considérais com-me injuste et que j’ai aussitôt dénoncé haut et fort.La religieuse m’a rétorqué: “Toi, tu es une futureMadeleine Parent”. Comme je ne connaissais pasMadeleine Parent, j’ai demandé à mon père ausouper de me dire qui elle était. Il m’a répondu:“Madeleine Parent, c’est juste une communiste”.J’ai compris par la suite que, à cette époque, traiterune jeune fille qui avait du caractère, comme moi,de Madeleine Parent était la pire insulte qu’onpouvait faire.»

C’est parce que, dans les années 40 et au dé-but des années 50, Madeleine Parent avaitbeaucoup dérangé et bousculé l’ordre établi.D’abord, son parcours scolaire fut singulier,puisqu’elle obtint son baccalauréat à l’Universi-té McGill, où elle a découvert le militantismeétudiant. «Elle y fait la rencontre de Léa Roback,qui devient son mentor et l’introduit dans lemonde syndical. Et, au lieu de choisir une profes-sion plus traditionnelle, Madeleine Parent de-vient conseiller syndical, un métier alors réservéaux hommes.»

C’est à titre de syndicaliste que Madeleine Pa-rent se retrouve au cœur des grèves qui se-couent alors l’industrie du textile. «Ces combatssyndicaux sont les premiers pas de ce qui deviendraplus tard la Révolution tranquille, et l’on peut direque Madeleine Parent fut aux premières loges desgrands changements sociaux du Québec.»

Le militantisme syndical de Madeleine Parentagace et irrite les autorités, au premier chef lepremier ministre de l’époque, Maurice Duples-sis, qui ira jusqu’à lui causer des démêlés juri-diques, ce qui n’ébranle en rien ses convictionsmilitantes. «C’est une femme forte qui sait tenirtête aux grands de ce monde. Elle fait aussi lapreuve qu’une femme peut faire bouger les choses.

En ce sens, Madeleine Parent a été un modèlepour beaucoup de femmes.»

Réformer le syndicalisme canadienC’est à cette époque aussi que Madeleine

Parent rencontre celui qui deviendra son com-pagnon de vie, le syndicaliste Kent Rowley.Mais les constants af frontements du coupleavec les autorités dérangent les patrons desgrands syndicats américains auxquels sont af-filiés les syndicats où militent Kent Rowley etMadeleine Parent. Au début des années 50, lecouple sera expulsé de ses fonctions syndi-cales au Québec, ce qui le contraint à s’exileren Ontario.

Mais le couple a déjà dans sa mire une nou-velle cause. Selon eux, les syndicats canadienssont trop inféodés aux grands syndicats améri-cains. «À cette époque, environ 80 % des syndi-cats canadiens étaient af filiés à de grands syn-dicats américains et seulement 20 % des syndi-cats canadiens étaient indépendants. Madeleine

Parent et Kent Rowley croyaient qu’il fallait re-canadianiser le syndicalisme canadien.»

Pour y arriver, le couple fonde, à la fin des an-nées 1960, le Conseil des syndicats canadiens.«Leurs efforts ont tellement porté fruit qu’aujour-d’hui c’est l’inverse que nous connaissons. Seule-ment 20 % des syndicats canadiens sont affiliés àdes syndicats américains. D’ailleurs, MadeleineParent s’est toujours méfiée de l’influence américai-ne au Québec et au Canada.»

Une retraite activeEn 1978, Kent Rowley décède subitement et

Madeleine Parent choisit de revenir s’installerau Québec. Elle prend aussi sa retraite du syn-dicalisme, mais elle n’abandonne pas pour au-tant son action de militante. Ce seront donc denouvelles causes qu’elle défendra et appuiera,dont notamment le féminisme. «Elle fut de lafondation du Conseil consultatif canadien de lasituation de la femme et y a longtemps siégécomme déléguée du Québec.»

Au fil des ans, elle milita aussi dans le mouve-ment souverainiste tout comme dans le mouve-ment pacifiste. Elle prêta aussi sa voix à descauses moins connues. «Elle fut l’une des pre-mières à s’intéresser au sort des femmes immi-grantes. Elle se fit l’avocate de la cause des femmesautochtones à une époque où leurs conditionsétaient passées sous silence. Au fond, son choix aété souvent de militer pour les causes des minoritésdes minorités.»

Madeleine Parent était aussi consciente desa notoriété et savait en user à bon escient.«Elle aimait bien se servir de sa renommée etde sa respectabilité pour faire avancer descauses. Elle savait que son nom apportait unelégitimité à une cause. Elle savait aussi qu’unelettre signée par elle ou un coup de téléphonequ’elle donnait obligeait son interlocuteur à luirépondre. Sa notoriété était telle qu’on ne pou-vait tout simplement pas faire fi de MadeleineParent.»

Mais, peu importe les luttes que MadeleineParent a menées et les victoires qu’elle a su ar-racher, elle est demeurée modeste. «Peu impor-te les florilèges et les félicitations, Madeleine Pa-rent disait toujours: “Ce que j’ai fait, je ne l’ai pasfait seule, je l’ai fait avec l’aide des autres”.» Cequi témoigne de la solidarité de cette exception-nelle militante.

«Madeleine Parent impressionne par l’étendueet l’éventail de son militantisme, mais c’est la pro-fondeur de son engagement, qui n’a jamais défailli,qui force le respect et l’admiration.»

Collaborateur du Devoir

Un legs

Son engagement force l’admiration«Elle fut aux premières loges des grands changements sociaux du Québec»

Quelques dates marquantes dans la vied’une syndicaliste de la première heure.

1918: Naissance à Montréal. La petiteMadeleine grandit au sein d’une famille dela classe moyenne et fréquente lesmeilleures écoles.1936-1940: Études de sociologie à l’Universi-té McGill. Elle rencontre Léa Roback, s’enga-ge dans plusieurs organisations étudiantes. 1941: Au sortir de l’université, Madeleinetrouve un premier emploi dans le milieusyndical.1943: Rencontre marquante: l’organisa-teur syndical Kent Rowley entre dans la viede Madeleine. Elle épousera en 1953 celuiavec qui elle forme un duo de choc, notam-ment au sein du syndicat des Ouvriersunis des textiles d’Amérique (OUTA).1946-1947: Défendant les ouvriers du tex-tile, Madeleine est arrêtée une premièrefois sous Maurice Duplessis, pendant lagrève de l’usine de Dominion Textile à Val-leyfield. L’année suivante, elle sera arrêtée àplusieurs reprises pendant la grève de La-chute. Accusée avec Rowley et AzéliusBeaucage de «conspiration séditieuse», elleest blanchie en Cour d’appel.1952: Autre grève marquante à Montréal etValleyfield chez Dominion Textile. Madelei-ne et Kent sont contraints de quitter la têted’OUTA. Kent quitte le Québec pour l’Onta-rio, et les luttes syndicales du couple s’ytransportent, bien que Madeleine garde unpied-à-terre à Montréal.1970: Au sein du Comité canadien d’ac-tion sur le statut de la femme, Madeleinereprésente le Québec à plusieurs reprisesdans les années 70.1978: Décès de Kent Rowley.1980: Elle se prononce pour le Oui au ré-férendum sur l’indépendance du Québec.1983: Au début des années 80, Madeleineprend sa retraite et revient vivre à Montréal.Il n’y a retraite qu’en apparence, puisquec’est à cette époque qu’elle s’engage plusétroitement pour la cause des femmes, desimmigrantes et des autochtones.2000: Pendant les années 2000, Madeleinesera présente à plusieurs tribunes et mani-festations. Elle reste engagée jusqu’au bout.En 2009, sa santé fragile la force à se retirer.12 mars 2012: À l’âge de 93 ans, MadeleineParent meurt des suites d’une longue maladie.

A. D.-B.

Biographie

Madeleine Parent 1918-2012

ARCHIVES NATIONALES DU CANADA PA 178136

C’est à titre de syndicaliste que MadeleineParent se retrouve au cœur des grèves quisecouent alors l’industrie du textile.

Page 3: MADELEINE PARENT - Le Devoir...MADELEINE PARENT G 2 LE DEVOIR, LES SAMEDI 31 MARS ET DIMANCHE 1ER AV R I L 2 0 1 2 Syndicaliste et féministe, Madeleine Parent a prêté sa voix de

M A D E L E I N E PA R E N TL E D E V O I R , L E S S A M E D I 3 1 M A R S E T D I M A N C H E 1 E R A V R I L 2 0 1 2 G 3

M A R T I N E L E T A R T E

«M adeleine a été une pion-nière. En raison de ce

qu’elle a fait, mais aussi ducontexte politique extrêmementrépressif dans lequel elle a agi.C’était l’époque du maccarthys-me aux États-Unis et du duples-sisme au Québec», indique Clau-dette Carbonneau,présidente de laConfédération dessyndicats nationaux(CSN) de 2002 à 2011.

«Madeleine a choisison camp et ne lui a ja-mais dérogé. Je croisque ce qui la décrit lemieux, c’est la conti-nuité», af firme Mo-nique Simard, qui aété première vice-pré-sidente de la CSN de1983 à 1991. Elle atrès bien connu Made-leine Parent dès lesannées 70.

Un syndicalismetrès dur

Née à Montréal en1918, Madeleine Pa-rent s’est mariée, puiselle a divorcé pour seremarier au syndica-liste Kent Rowley. Ellen’a pas eu d’enfant.

«Elle n’aurait pas eule temps! Elle était to-talement dévouée à la cause avecKent. C’était l’engagement d’unevie, 24 heures sur 24, 7 jours sur7. Cette sensibilité remontait àtrès tôt dans sa vie, lorsqu’ellevoyait les domestiques traitées in-justement par les religieuses aucouvent. C’était comme une mis-sion pour elle», af firme Mo-nique Simard, qui a participé àl’écriture de sa biographie, Ma-deleine Parent, militante.

Il fallait effectivement se sen-tir investi d’une mission, dansles années 1940 et 1950, pourêtre syndicaliste. «C’était honnià l’époque. Ce n’était pas la ma-jorité des gens qui étaient syndi-qués. Il n’y avait pas de cadre detravail. Il n’y avait pas de prélè-vements automatiques sur lessalaires pour les cotisations,donc les syndicats n’avaient pasd’argent. Il y avait de l’intimida-

tion patronale. Il n’y avait pasd’aide sociale, pas de filet socialdu tout. Les gens risquaient toutpour se syndiquer; ils pouvaientse faire congédier. Les organisa-teurs syndicaux avaient tout cepoids sur leurs épaules. C’étaitextrêmement lourd», expliqueMme Simard.

Le fait qu’elle était une fem-me syndicaliste étaitaussi atypique, à cetteépoque où le syndica-lisme était particuliè-rement dur. Très en-gagée dans les mou-vements de grèvesdans le domaine du textile durant lesannées 40 et 50, Madeleine Parent ad’ailleurs été jetée plu-sieurs fois en prison.

«Sorcière»?«Maurice Duplessis

en faisait une obses-sion. Il l’a poursuiviepour sédition! Il faut lefaire!», s’exclameMme Simard, aujour-d’hui directrice géné-rale du programmefrançais de l’Office na-tionale du film (ONF).

«On l’a traînée de-vant les tribunaux, onl’a accusée de tout.Son choix de vie en-traînait un engage-

ment et un prix personnel àpayer extrêmement importants.Le gouvernement Duplessis etune certaine frange de l’Églisese servaient de tout ce qu’elleavait de hors normes, comme lefait qu’elle était divorcée etqu’elle n’avait pas d’enfant,pour discréditer le genre de tra-vail qu’elle faisait. On en a faitnotre sorcière de Salem», affir-me Mme Carbonneau.

Autant d’années d’âpresluttes avaient inévitablementlaissé des marques. «MadeleineParent est restée paranoïaquetoute sa vie, mais c’était fondé,af firme Mme Simard. On fai-sait circuler toutes sortes de ru-meurs sur elle. On disait qu’elleétait débarquée d’un sous-marinrusse! On l’avait espionnée, em-prisonnée… Elle est toujours res-tée méfiante.»

Le volet ontarienSi on parlait de sous-marin

russe, c’est parce qu’à l’époquele syndicalisme était souvent liéau communisme.

«Lorsqu’elle était à McGill,Madeleine s’est engagée dansdes groupes syndicalistes, so-cialistes et communistes, ra-conte Mme Simard. Le Particommuniste était très for t àl’époque au Canada. Après laDeuxième Guerre mondiale,avec la chasse aux sorcières,les syndicats américains et ca-nadiens, qui étaient en majori-té des filiales de syndicats amé-ricains, ont voulu se débarras-ser des communistes.»

Madeleine Parent et ses amisfaisaient partie de ceux qu’onvoulait chasser. Son mari s’estdonc installé en Ontario et elleest allée le rejoindre. Ils y ontfondé, en 1969, la Confédéra-

tion des syndicats canadiens.«Pour eux, ça n’avait pas de

bon sens d’être dominé par lessyndicats américains. I l sn’auraient pas joint les rangsde la CSN non plus, qui s’estdéconfessionnalisée en 1960seulement. Il n’était pas ques-tion pour Madeleine et Kentd’aller chez les curés! Ils sontdonc repartis à zéro avec cetteorganisation de gens assez ra-dicaux, proche du Parti com-muniste. lls ont syndiqué no-tamment des travailleurs desmines du Nord de l’Ontario etdes gens des raf f ineries del’Est de Montréal», indiqueMme Simard.

«En se battant contre le syn-dicalisme d’obédience améri-caine, Madeleine et Kent ontvraiment travaillé à dévelop-per un syndicalisme canadien»,affirme Mme Carbonneau.

Pour une société justeDevenue veuve en 1978, Ma-

deleine Parent est revenuevivre à Montréal en 1983, lors-qu’elle a pris sa retraite. C’estalors qu’elle s’est beaucoup en-gagée dans le mouvement desfemmes.

C’est à ce moment-là queClaudette Carbonneau a connuMme Parent. Les deux femmessiégeaient à l’exécutif de Solida-rité populaire Québec, la pre-mière comme représentante dela CSN, la deuxième comme re-présentante du mouvement desfemmes.

«Madeleine a toujours eu lesouci de sor tir les femmes dela marginalité. Dans le milieusyndical, elle a beaucoup tra-vaillé auprès des femmes ou-vrières, qui étaient beaucoupmoins organisées que leshommes et beaucoup plus ex-

ploitées. Elle faisait un com-bat pour améliorer leursconditions de travail, maisc’était aussi un combat pourl’autonomie et la dignité. Lors-qu’elle s’est engagée dans lemouvement des femmes,c ’était pour que toutes lesfemmes des dif férentes couchesde la société, qu’elles soientpauvres, autochtones, immi-grantes ou handicapées, ytrouvent leur place. C’était untrait fondateur de Madeleine»,affirme Mme Carbonneau.

Monique Simard est dumême avis. «Pour elle, le droitsyndical, le droit du travail et lesdroits des femmes allaient depair. Elle avait une pensée assezcomplète et intégrée de ce que de-vait être une société juste, où onn’abuse pas des plus faibles.»

Collaboratrice du Devoir

Au temps du maccarthysme et du duplessisme

Hors des syndicats américains, le salut !«Droit syndical, droit du travail et droits des femmes [vont] de pair»Hors normes, Madeleine Parent a commencé sa carrière desyndicaliste à la fin des années 30. Ses actions ont inspiréune génération de femmes syndicalistes.

ALAIN CHAGNON

Congrès de la CSN en 1994. De gauche à droite: Madeleine Parent, Céline Lamontagne, Léopold Beaulieu, Claudette Carbonneau,Gérald Larose, Pierre Paquette, Nicole Cousineau et Roger Valois.

Très engagéedans lesmouvementsde grèvesdans ledomaine dutextile durantles années40 et 50,MadeleineParent ad’ailleurs été jetéeplusieursfois enprison

Page 4: MADELEINE PARENT - Le Devoir...MADELEINE PARENT G 2 LE DEVOIR, LES SAMEDI 31 MARS ET DIMANCHE 1ER AV R I L 2 0 1 2 Syndicaliste et féministe, Madeleine Parent a prêté sa voix de

C L A U D E L A F L E U R

Q uand Rick Salutin, écri-vain et journaliste, no-

tamment au Toronto Star, té-moigne, il rappelle que, aulendemain de la SecondeGuerre mondiale, les syndi-cats canadiens (et québécois)étaient pour la plupart des fi-l iales de syndicats améri-cains. Or Mme Parent et sonmari, Kent Rowley, considé-raient qu’il revenait aux tra-vailleurs canadiens de déci-der des luttes syndicalesqu’ils devaient mener. Dansles années 1950, ils ont doncentrepris d’affranchir le mou-vement syndical canadien.

«Le combat de Madeleine n’a

pas été facile», rapporte RickSalutin. D’abord, il a été extrê-mement dif ficile pour elle des’insérer dans le mouvementsyndical des années 1950…simplement parce qu’elle étaitune femme. Les dirigeantsd’alors «ne la considéraientque comme une secrétaire, dit-il. Il n’y en a eu qu’un, Kent,qui l ’a traitée comme sonégal.» Les deux se sontd’ailleurs mariés et ont formé«un duo époustouflant»!

M. Salutin a fort bien connuce duo au début des années1970, alors que celui-ci met-tait sur pied des syndicats dutextile à Toronto, à uneépoque for t dif férente de lanôtre.

Une rencontreOriginaire de Toronto, Rick

Salutin avait pour sa part passéles années 1960 comme jeuneétudiant contestataire auxÉtats-Unis. «J’étais alors un gau-chiste radical, dit-il. Je suis rentréau Canada le jour où Pierre El-liott Trudeau a imposé la loi desmesures de guerre!», lors de lafameuse crise d’Octobre 1970.Le jeune Salutin était alors unfervent militant ouvrier. «Monseul problème, dit-il, c’était que jen’avais jamais rencontré un seulouvrier!»

«C’est alors que j’ai eu lachance de faire la connaissan-ce de Madeleine et de Kent, àl’occasion d’une rencontre quenous avions organisée. Ils ve-naient nous présenter leur pro-jet de réunir les travailleurs dutextile et ils avaient besoin devolontaires pour les aider. Jeme suis donc joint à eux. J’ai

dès lors consacré presque toutmon temps à des activités syn-dicales. Je travaillais constam-ment avec Madeleine et Kent.»

Rick Salutin est ainsi devenuun intime du couple. «Ilsétaient for t dif férents l’un del’autre», confie-t-il. D’origineanglo-irlandaise et parlant par-faitement le français, M. Row-ley était du type plutôtbouillant. «C’est l’un des ora-teurs les plus brillants que j’aientendus», rapporte le journa-liste. De son côté, issue de labourgeoisie québécoise, MmeParent n’était pas la seulebourgeoise de son temps àpor ter des idées de gauche.Toutefois, elle a été la premiè-re à défendre les ouvriers surle terrain. «Madeleine avait unfini [que n’avait pas Kent], re-late M. Salutin. C’était une véri-table dame, mais une dame defer en même temps! Lorsqu’ellenégociait, jamais elle ne bron-chait, elle était dure, mais touten étant extrêmement douce.Elle donnait l’impression de ser-vir le thé… tout en ne reculantjamais sur ses principes. Ellerendait fous les négociateurs pa-tronaux en y allant toujourstout en douceur… Elle et Kentse complétaient à merveille!»

Souveraineté canadienneCe qui frustrait avant tout ces

deux militants syndicaux,c’était le fait que les grandescentrales syndicales améri-caines contrôlaient la destinéedes travailleurs canadiens. «LesAméricains dictaient tout cequ’on devait faire ici auCanada, rapporte Rick Salutin,alors que Madeleine et Kentconsidéraient que c’était aux tra-vailleurs de décider ce qu’ils de-vaient faire. Et c’est au coursd’une grève qu’ils ont été mis à laporte par leur employeur… c’est-à-dire les dirigeants syndicaux deWashington, qui venaient des’entendre avec l’entreprise!»

Qu’à cela ne tienne, ils créentleur propre organisation: leConseil canadien du textile. Ce-pendant, peu de syndicats y ad-hèrent. «On était alors en pleineguerre froide [entre les États-Unis et l’Union soviétique] et lesgens étaient frileux», souligneRick Salutin.

Le duo se «sépare»: M. Row-ley migre à Toronto afin d’or-ganiser le mouvement syndi-cal, alors que son épouse de-meure au Québec pour fairede même. «Ils passeront ainsiune quinzaine d’années éloignésl’un de l’autre, note le journalis-te, se voyant le plus fréquem-ment possible.» Cet éloigne-ment et leur militantisme fonten sorte que jamais le couplen’aura d’enfant. «On y pensaitbien, disait Mme Parent, mais,au lieu d’avoir des enfants, on aeu des grèves!»

Ils fondent entre autres leConseil des syndicats canadiens,«une organisation qui ne deviendrajamais grosse — rassemblant envi-ron 100 000 membres — mais quiconstituera un important irritantpour les syndicats américains, rap-porte Rick Salutin. À preuve, ceux-ci dépenseront beaucoup d’argentpour la détruire!»

Finalement, à partir des an-nées 1960, le mouvement syndi-cal canadien s’affranchit de ladomination américaine. «C’estlà la grande victoire de Madelei-ne et de Kent», lance avec satis-faction l’ami du couple.

Pour lui, Madeleine Parentet Kent Rowley sont, à n’enpoint douter, des nationalistescanadiens. Dans les années1970, ils sont très proches duParti québécois, particulière-ment de Gérald Godin. «Ilsétaient aussi bien nationalistescanadiens que québécois, dit-il.Ils n’éprouvaient aucun problè-me envers la souveraineté duQuébec. “Pas de problème, di-saient-ils, de toute façon, nouscontinuerons de travailler tousensemble”.»

«Ce que je retiens le plus d’eux,laisse filer Rick Salutin, c’est queles grands personnages de ce mon-de sont ceux qui mènent leur viecomme ils l’entendent; ils ne de-viennent pas nécessairementriches et célèbres, mais ils ont uneinfluence marquée sur la société.Madeleine et Kent sont de ceux-là! Et ils eurent beaucoup de plai-sir à vivre leur vie, ils ont tou-jours eu bonne conscience… et ilsont eu un impact déterminant!»

Collaborateur du Devoir

Vue de Toronto

Une séparatiste… canadienne!«Aux travailleurs de décider ce qu’ils devaient faire»

M A D E L E I N E PA R E N TL E D E V O I R , L E S S A M E D I 3 1 M A R S E T D I M A N C H E 1 E R A V R I L 2 0 1 2G 4

É T I E N N E P L A M O N D O N É M O N D

D urant ses études à l’Univer-sité McGill, de 1937 à 1940,

Madeleine Parent a milité pourque des bourses d’études soientaccordées aux jeunes issues defamilles défavorisées pour leurdonner un meilleur accès àl’université. En 2005, LorrainePagé raconte qu’«elle était à côtédes étudiants pour manifester»,lorsque le gouvernement venaitde couper 103 millions dans lerégime d’aide financière auxétudes. Pour l’ancienne prési-dente de la Centrale de l’ensei-gnement du Québec (CEQ), ils’agit de l’une des preuves, par-mi tant d’autres, que MadeleineParent «était une personne pourqui les choses s’inscrivaient dansla continuité».

«Quand elle épousait unecause, on avait l’impressionque c’était à jamais. Elle n’endéviait jamais, évoque Lorrai-ne Pagé. Elle était tenace,combattante, loyale, fidèle.» Ceportrait qu’elle brosse, «nonseulement c’était l’image qu’el-le pouvait projeter et les leçonsqu’on pouvait tirer des luttesqu’elle avait menées, maisc’était aussi, quand on la cô-toyait de près, cette Madeleine-là avec laquelle on était encontact» , assure Lor rainePagé. Une constance et unepersévérance toutes aussi pré-sentes dans ses relations per-sonnelles et intimes, commele démontre son amitié indé-fectible avec Léa Roback.

Lorraine Pagé, en tant queféministe et syndicaliste, ad’abord fait la connaissance deMadeleine Parent par le biaisde l’histoire syndicale, puis enla rencontrant dans diversesmanifestations. Mais c’est ausein de la Fondation Léa-Ro-back, dont Madeleine Parentétait membre fondatrice, qu’el-le a tissé un lien plus étroit etprivilégié avec la militante.«Quand elle par ticipait auxtravaux de la Fondation Léa-Roback, Madeleine disait:“C’est ma façon d’être encorel’amie de Léa”», raconte cellequi est aujourd’hui présidentedu conseil d’administration dela fondation.

Une rencontre en 1939En 1939, Madeleine Parent

a fait la rencontre détermi-nante de Léa Roback, plusvieille qu’elle de 15 ans, alorsorganisatrice syndicale. Lesdeux femmes ont ensuite par-tagé les mêmes luttes, tout ense distinguant dans leursépiques batailles syndicalesrespectives. Madeleine Pa-rent demeure toujours asso-ciée aux conflits de travail àDominion Textile et Léa Ro-back à son action, à la mêmeépoque, face à la direction deRCA Victor. Lorsque Madelei-ne Parent est revenue au Qué-bec après son long engage-ment syndical en Ontario, ellea aussitôt renoué avec Léa Ro-back, qu’elle a côtoyée deprès jusqu’à la mort de cetteder nière, le 28 août 2000.«C’étaient des amies de cœuret d’engagement» , souligneLor raine Pagé. D’ailleurs,elles sont unies depuis 1997dans le nom de la Maison Pa-rent-Roback, un bâtiment quiabrite plusieurs organismespoursuivant l’objectif d’amé-liorer la situation desfemmes. «Léa et Madeleineétaient amies, compagnes delutte, et, maintenant décédées,elles demeurent unies.»

Au début de son engagementdans la fondation, LorrainePagé rapporte que les réunionsdu conseil d’administration s’ef-fectuaient chez Madeleine Pa-rent, autour de sa table de lasalle à manger. C’est entreautres à cet endroit qu’étaientdéterminés les noms des réci-piendaires des bourses de la

fondation accordées en soutienà des femmes militantes et éco-nomiquement défavorisées.

Lorraine Pagé se rappelleplus particulièrement un mo-ment intime qu’elle a partagéavec Madeleine Parent, justeavant que cette dernièren’entre dans un centre d’héber-gement et ne vende sesmeubles à l’encan pour re-mettre les fonds amassés à laFondation Léa-Roback. «Ellem’a fait venir à son appar te-ment, qui était presque complète-ment vidé de ses meubles. Elleétait toute frêle, enveloppée dansses couvertures, étendue dans sachaise longue, et elle avait de-mandé à me rencontrer.» Made-leine Parent lui a alors retournéune œuvre d’art que la CEQ luiavait offerte en hommage. «Onétait seules. Elle me tenait lesmains et me parlait de Léa, de lafondation, de l’action syndicale,des causes à défendre... Elle étaitdans le dépouillement qu’appor-te la fin de la vie, lorsqu’on estmalade et qu’on baisse finale-ment les bras parce que les forcesphysiques n’y sont plus. Il y avaitcette fragilité, mais, en mêmetemps, une force intérieure quiétait sûrement la sienne quandelle menait les dures luttes contreDuplessis et qui était encore lasienne à ce moment.»

Toujours présenteSi, dans les derniers mois,

voire la dernière année, la mala-die avait pris le dessus, Made-leine Parent est demeurée long-temps alerte à propos des luttesà poursuivre. «Il y a des gens,quand ils vieillissent, qui se re-croquevillent sur eux-mêmes, quivivent dans leur petit monde, quine sont plus branchés sur le mon-de actuel. Ce n’était pas du toutle cas de Madeleine, dit LorrainePagé. Madeleine avait de grosproblème de santé, mais elle aété lucide très très très longtemps.Elle lisait ses journaux. Quandelle n’était plus capable de leslire, elle se les faisait lire. Elles’informait de ce qui arrivait àla fondation. Elle restait bran-chée sur la réalité.»

À cet égard, Lorraine Pagése souvient de l’allocutionqu’avait prononcée MadeleineParent au cégep Marie-Victo-rin, lorsque cet établissementcollégial a organisé une céré-monie, le 1er mars 2006, pourbaptiser son aile des tech-niques humaines du nom deLéa Roback. «Elle est arrivée làavec sa canne, toute frêle, et leura fait un discours, sur le contextepolitique et économique, aussi àjour que celui qu’aurait pu faireun chef syndical à ce moment-là.Elle faisait une analyse rigou-reuse de la conjoncture desforces en présence et des causes àdéfendre. Les gens présentsétaient impressionnés de voir cepetit bout de femme aussi alerteintellectuellement et aussi droitedans la réaf firmation de sesconvictions.»

Lorraine Pagé se dit mar-quée par cette femme qui, àtout âge, demeurait «très cour-toise et très digne, sans jamaiscommettre d’excès de langage oude débordement intempestif,mais avec une ténacité dans lapoursuite et l’atteinte des objectifsqu’elle s’était fixés».

Si Lorraine Pagé, lorsqu’ellea pris la tête de la CEQ en1988, a pu être la premièrefemme à accéder à la présiden-ce d’une centrale syndicale auQuébec, elle reconnaît quec’est en grande par tie grâceaux luttes conduites aupara-vant par des femmes de latrempe de Léa Roback et Ma-deleine Parent. Le décès decette dernière vient nous rap-peler «que les causes surviventaux personnes qui les ont por-tées et qu’il faut encore pour-suivre la course à relais» ,illustre Lorraine Pagé.

Collaborateur du Devoir

Léa Roback, la Fondation et les causes

«Les causes surviventaux personnes qui les ont portées»Léa Roback et Madeleine Parentont partagé les mêmes luttes

Si Madeleine Parent est bien connue au Québec pour son mi-litantisme en faveur des ouvriers et des femmes, elle a autantœuvré, sinon même davantage, pour libérer les syndicats ca-nadiens du joug américain.

Lorraine Pagé, présidente du conseil d’administration de laFondation Léa-Roback, a côtoyé Madeleine Parent de prèsdurant les dernières années. L’ancienne chef de la CEQ té-moigne que la militante n’a jamais abandonné ses luttes oudévié de ses objectifs, même au crépuscule de sa vie.

Page 5: MADELEINE PARENT - Le Devoir...MADELEINE PARENT G 2 LE DEVOIR, LES SAMEDI 31 MARS ET DIMANCHE 1ER AV R I L 2 0 1 2 Syndicaliste et féministe, Madeleine Parent a prêté sa voix de

Françoise David a tiré de grandes leçons deMadeleine Parent. Le mouvement des femmesau Québec aussi.

É T I E N N E P L A M O N D O N É M O N D

F rançoise David ne pouvait rien refuser à Ma-deleine Parent. Elle l’avait écrit dans Hom-

mage à une vieille dame indigne, paru à l’intérieurdu collectif Madeleine Parent, militante, dirigépar Andrée Lévesque et publié en 2003. Françoi-se David le confirme au Devoir.

Alors qu’elle était présidente de la Fédérationdes femmes du Québec, Madeleine Parent lui té-léphonait à maintes reprises pour lui demander,«de sa charmante et gentille petite voix», son aide,son appui ou son action en faveur de femmes malprises. «Je ne pouvais pas la lui refuser parce que,premièrement, ce qu’elle demandait était toujoursjuste et pertinent. Deuxièmement, elle avait des ar-guments d’une grande humanité. […] Et troisiè-mement, et non le moindre, Madeleine argumen-tait jusqu’à ce qu’elle gagne!»

Admirative devant la «ténacité incroyable» deMadeleine Parent, François David évoque lelong parcours de la militante. «Madeleine étaitd’une patience, d’une détermination et d’une persé-vérance infinies», insiste Françoise David. La por-te-parole de Québec solidaire suppose que, àl’époque de son action syndicale, soit avant qu’el-le ne la connaisse, «il y en a qui ont dû la trouvertannante, parce que, avant de faire changer d’idéeMadeleine, il fallait vraiment se lever tôt.»

«Moi, je suis pas mal persévérante dans la vie.Mais elle était encore plus tenace que moi. J’ai ap-pris d’elle aussi à ce niveau-là», ajoute FrançoiseDavid.

Un grand apport au mouvementféministe du Québec

Françoise David a commencé à collaboreravec Madeleine Parent au tournant des décen-nies 80 et 90, alors qu’elle était coordonnatricedu Regroupement des Centres des femmes.Toutes deux engagées dans le Comité canadiend’action sur le statut de la femme, elles se sontrapprochées à un moment où l’Accord du lacMeech divisait profondément les membres qué-bécoises et canadiennes. «Elle avait un grandsouci des intérêts du Québec et elle s’est battue à

nos côtés», confirme Françoise David. Tout demême, elle précise que Madeleine Parent de-meure celle qui l’a initiée au mouvement féminis-te canadien. «Madeleine a beaucoup plaidé —avec succès — pour une solidarité qui dépassait lesfrontières du Québec», précise-t-elle.

Une solidarité, aussi, entre les femmes issuesde différentes réalités à l’intérieur même du Qué-bec. «Dans les années 90, je trouvais qu’elle nousavait vraiment fait prendre conscience de la diver-sité, de la pluralité du mouvement des femmes auQuébec.» Madeleine Parent bâtissait des pontsentre le mouvement des femmes québécoisesfrancophones et les groupes de femmes anglo-phones ou immigrantes. Des groupes «avec les-quels, à l’époque, la FFQ et le mouvement desfemmes au Québec avaient peu de liens. Madelei-ne, et c’est ce qui m’a le plus marquée chez elle etdont j’ai beaucoup appris, nous a aidées à comblerles deux solitudes.»

«Je pense que le mouvement des femmes du Qué-bec à cette époque-là n’avait pas complètement in-tégré toutes les problématiques particulières que vi-vent les femmes immigrantes au Québec, qui sont

des femmes qui vivent la même chose que lesfemmes québécoises, mais qui sont aussi immi-grantes, avec tout ce que ça veut dire commeautres discriminations, ajoute-t-elle. Et Madeleinenous en a vraiment fait prendre conscience. Moi,j’ai trouvé que c’était l’apport le plus formidablequ’elle avait eu dans le mouvement des femmes duQuébec: cette prise de conscience du fait que lesfemmes du Québec ne vivent pas toutes les mêmesréalités.»

D’abord celles qui sont le plus mal prises

D’ailleurs, Françoise David croit que Madelei-ne Parent a incité le mouvement des femmes àétablir certaines priorités dans son champ d’ac-tion. «Madeleine Parent a toujours apporté lepoint de vue que, bien sûr, il faut s’occuper detoutes les femmes, mais qu’il faut, tout de même,penser d’abord à celles qui sont le plus mal prises.»

D’ailleurs, cette philosophie est devenue le«leitmotiv» de la présidence de Françoise David àla FFQ, de 1994 à 2001. «Madeleine avait été syn-dicaliste avec des ouvrières du textile. Donc, elle

avait vraiment ce souci de la femme ordinaire, quipeut être extraordinaire, mais la femme dont onn’entend pas parler, la femme un peu invisible.Moi, je trouve qu’elle a apporté beaucoup ça dansle mouvement des femmes, qu’il soit québécois oucanadien. Et là-dessus, elle et moi, on était complè-tement sur la même longueur d’onde. Peut-êtreparce qu’elle venait du syndicalisme et moi aussi.»

Une préoccupation pour ces «différences» quidemeure présente à l’heure actuelle. «Ç’a com-mencé sous ma présidence, mais je trouve que laFFQ aujourd’hui est rendue encore plus loin. Ma-deleine n’est pas la seule, bien sûr, à être respon-sable de cette orientation du mouvement desfemmes du Québec, mais elle y a joué un rôle quimarque encore ce mouvement aujourd’hui.»

Un personnage historiqueMadeleine Parent a fait avancer le Québec et le

Canada, tant dans les revendications syndicalesque féministes dont elle s’est fait la porte-éten-dard. «Ce que je trouve dommage aujourd’hui,c’est que j’ai l’impression que les jeunes n’ont aucu-ne idée de qui est Madeleine Parent, se désoleFrançoise David. Pourtant, avec les Bourgault,Lévesque, Chartrand et compagnie, c’est un per-sonnage important de notre histoire. Mais ça, c’estaussi un peu l’histoire des femmes, qui, souvent,étaient peut-être un peu moins flamboyantes, maisqui ont eu des rôles tellement majeurs dans l’histoi-re du Québec.»

Discrimination de la femme, bien sûr, mais aus-si une allusion au ton de la voix de Madeleine Pa-rent, que Françoise David n’a jamais entendus’élever. «Vous savez, il y a les Michel Chartrand dece monde et il y a les Madeleine Parent de ce mondequi n’en disent pas moins, qui ne le font peut-êtrepas avec le panache d’un tribun, mais il fallait vrai-ment entendre Madeleine Parent dénoncer le néoli-béralisme, dénoncer toutes les idées patriarcales, dé-noncer, et vraiment avec verdeur, les gouvernementsqui oppriment les minorités, etc. […] Elle avait unepetite voix très douce — ça prenait un bon micropour Madeleine — et elle disait des choses très radi-cales. Ça m’a toujours impressionnée.»

Françoise David insiste: «Une femme commeMadeleine Parent, elle a quelque chose à apporteraujourd’hui à tout le monde, y compris les jeunes.Ne serait-ce que sa persévérance.»

Collaborateur du Devoir

M A D E L E I N E PA R E N TL E D E V O I R , L E S S A M E D I 3 1 M A R S E T D I M A N C H E 1 E R A V R I L 2 0 1 2 G 5

Françoise David et la lutte des femmes

Celle par qui l’histoire se fait«Madeleine a beaucoup plaidé, avec succès, pour une solidarité qui dépassait les frontières du Québec»

JACQUES NADEAU LE DEVOIR

Françoise David croit que Madeleine Parent a incité le mouvement des femmes à établir certainespriorités dans son champ d’action.

Page 6: MADELEINE PARENT - Le Devoir...MADELEINE PARENT G 2 LE DEVOIR, LES SAMEDI 31 MARS ET DIMANCHE 1ER AV R I L 2 0 1 2 Syndicaliste et féministe, Madeleine Parent a prêté sa voix de

Le décès récent de MadeleineParent, une femme exception-nelle et courageuse qui militaavec beaucoup de combativitédans le mouvement syndical etle mouvement féministe, nousa rappelé qu’elle fut longtempsune marginale dans le Québecd’une autre époque, une mili-tante de gauche et même d’ex-trême gauche qui fut la com-pagne de route du Parti com-muniste au début de la guerrefroide.

L O U I S F O U R N I E R

M adeleine Parent et sonmari, Kent Rowley, fai-

saient partie de ceux qu’on appe-lait les «compagnons de route»du parti, c’est-à-dire des per-sonnes qui sont proches du Particommuniste sans en être officiel-lement membres. Leur étroiteproximité avec les «rouges»,comme on les surnommait alors,m’a été racontée par un de mesvieux amis qui fut professeur enrelations industrielles à l’Univer-sité de Montréal, le regretté LéoRoback, qui était lui-mêmemembre du parti à l’époque. Sasœur, Léa Roback, syndicaliste etféministe bien connue, fut elleaussi membre du parti et, de sur-croît, une grande amie de Made-leine Parent. Celle-ci a notam-ment écrit dans l’organe officieldu parti, Combat, qui la présen-tait comme une membre de soncomité de rédaction.

C’est en raison, entre autres,de leurs positions procommu-nistes que Madeleine Parent etKent Rowley furent limogés, en1952, de la direction locale dusyndicat nord-américain des Ou-vriers unis du textile d’Amérique,affilié à la Fédération provincialedu travail du Québec (la FPTQ,aujourd’hui la FTQ). Ce limogea-ge fut accueilli sans guère de pro-testations dans presque tout lemouvement syndical, engagédans une lutte anticommunisteintense au Québec et partout enAmérique du Nord, autant à laFPTQ qu’à la Confédération destravailleurs catholiques du Cana-da (CTCC) — ancêtre de la CSN— qui a même réclamé la misehors-la-loi du parti!

La bataille de la Dominion Textile

Imbue d’idées radicales au

sortir de ses études en sociolo-gie à l’Université McGill, Made-leine Parent, une intellectuelleraffinée, fait ses débuts dans lemouvement syndical à l’âge de24 ans, en 1942. Et ce, à la suited’une rencontre avec Léa Ro-back qui fut «déterminante»dans sa vie, a-t-elle raconté.

Elle travaille d’abord au comi-té d’organisation du Conseildes métiers et du travail deMontréal, un affilié de la FPTQqui coordonnait les efforts desyndicalisation dans les indus-tries de guerre. C’est là qu’ellefait la connaissance de son futurmari, Kent Rowley. Celui-ci l’in-vite à participer à la syndicalisa-tion des filatures de DominionTextile à Montréal et Valley-field, un des hauts lieux de l’ex-ploitation ouvrière. La longuecampagne menée par les Ou-vriers unis du textile d’Amé-rique (OUTA) finit par porterses fruits. La reconnaissancesyndicale est arrachée à la suited’une dure grève de cent jours,à l’été 1946. Le syndicat signeun premier contrat pourquelque 6000 travailleuses ettravailleurs de six filatures.

Rowley et Parent sont arrê-tés durant le conflit sur l’ordredu procureur général du Qué-bec, le premier ministre Mau-rice Duplessis, dont l’antisyn-dicalisme et l’anticommunismeétaient d’une virulence rare.Rowley est condamné à sixmois de prison, qu’il purgera àBordeaux, pour «conspirationséditieuse» reliée à une «émeu-te» survenue durant la grève.

Parent sera finalement acquit-tée du même chef d’accusa-tion. Pour aider à régler leconflit, le président de laFPTQ, Elphège Beaudoin, et lesecrétaire général des OUTA,Lloyd Klevert, ont dû partici-per aux négociations.

La ligne du partiParent et Rowley sont de

nouveau arrêtés en 1947 lorsd’une autre grève, violente etillégale cette fois, à la firme detextile Ayers à Lachute, quisera perdue au bout de cinqmois, hélas!

Par la suite, leurs relationsavec le mouvement syndicalvont s’envenimer, en raison deleurs positions favorables à laligne du Parti communiste et àl’URSS sur plusieurs questionsmajeures, comme le plan Mar-shall et l’«impérialisme améri-cain». À l’occasion de la guerrefroide, la lutte contre les«rouges» est à l’ordre du jourdans l’ensemble du mouvementsyndical au Québec et en Amé-rique du Nord. Le professeurLéo Roback écrit à ce sujet, dansle premier tome de l’Histoire dela FTQ: «Du côté syndical, saufquelques exceptions notoires, il nes’agissait pas, à proprement par-ler, d’une croisade contre les com-munistes comme tels, mais sur-tout d’une bataille pour purger lessyndicats des éléments qui privilé-giaient avant tout la “ligne” duparti dans leur action syndicale.»Les plus fervents adversairesdes communistes étaientd’ailleurs d’autres militants de

gauche, des sociaux-démocratesdu CCF, qui deviendra le NPD.

Le limogeageLe limogeage de Parent et

Rowley de la direction du syndi-cat du textile survient en mars1952, au beau milieu d’une nou-velle grève houleuse dans les fi-latures de Dominion Textile àMontréal et Valleyfield. Les deuxsyndicalistes sont congédiés, ex-plique la haute direction desOUTA, «à cause de leur conduiteirresponsable et désastreuse de lagrève du textile», qui en était à sadixième semaine. Ils sont rem-placés, à la direction québécoisedu syndicat, par le président dela FPTQ, Roger Provost, ex-se-crétaire du CCF au Québec. Pro-vost réussit à négocier un règle-ment qui sera largement approu-vé par les membres, après troismois de conflit.

Un monde meilleurMis au ban du mouvement

syndical chez nous, Parent etRowley vont s’expatrier en On-tario, où ils ont gardé l’appui dequelques syndicats du textilelocaux. Ils mettent sur pied unepetite organisation, le Conseilcanadien des syndicats du texti-le, et luttent dès lors pour unsyndicalisme purement cana-dien. Après avoir recruté desmembres dans d’autres indus-tries au fil des années, ils fon-dent en 1969, à Toronto, leConseil des syndicats cana-diens, un organisme aujour-d’hui disparu. Rowley meurt en1978. Madeleine Parent prendsa retraite syndicale en 1983 etrevient militer au Québec.

Cette femme brillante et dé-terminée, aux idées toujours ra-dicales, a notamment appuyé lacause de l’indépendance duQuébec. Elle a même adhéréau Parti québécois, qu’elle qua-lifiera plus tard de «parti bour-geois» (sic). Elle a milité dansdes groupes de gauche et desgroupes féministes. Comme sagrande amie, Léa Roback, décé-dée en l’an 2000, elle a continuéde lutter avec persévérancepour un monde meilleur. Ellerestera dans notre mémoirecomme l’une des grandes fi-gures du syndicalisme et du fé-minisme au Québec.

Journaliste et syndicaliste à la retraite, Louis Fournier

a écrit plusieurs ouvragessur l’histoire du mouvement

ouvrier au Québec.

R É G I N A L D H A R V E Y

D ès son plus jeune âge, Ma-deleine Parent quitte le cou-

vent qu’elle fréquente, parcequ’elle n’arrive pas à supporterles traitements réservés aux pluspauvres par les bonnes sœurs.Étudiante à McGill, elle milite enfaveur de l’accès à l’universitépour les enfants des familles dé-munies. Plus tard, elle joint lesrangs du mouvement syndical,au sein duquel elle mène desluttes épiques en faveur de la jus-tice sociale. Et, plus tard encore,elle n’a de cesse, au terme de sacarrière de syndicaliste, de dé-fendre inlassablement plusieurscauses, dont bon nombre por-tent sur la condition féminine.

Professeure titulaire au Dépar-tement d’histoire de l’Universitéde Montréal, Denise Baillargeoncaresse, vers la fin des années1970, le projet de préparer un mé-moire de maîtrise sur les Ouvriersunis du textile d’Amérique, unsyndicat qu’a dirigé MadeleineParent au début de sa carrière,entre les années 1940 et 1950. Àcette fin, elle fixe un rendez-vousà la militante syndicale, dont ellegarde ce souvenir sur le plan per-sonnel: «Madeleine surprenaitvraiment quand on la rencontraitpour la première fois, parce quec’était une femme menue, trèsdigne, extrêmement bien mise etbien coiffée; on aurait facilementpu l’associer à quelqu’un de la bour-geoisie. Elle ne projetait pas du toutl’image d’une personne qui étaitune rebelle et une revendicatrice.»

Le comportement étaitconforme à l’image projetée:«Même quand elle parlait, elleavait une voix toute douce; ellepouvait se montrer fervente maissans jamais monter le ton. Cen’était pas une femme qui se met-tait en colère et, dans ce sens-là,c’était complètement l’anti-MichelChartrand et un modèle complè-tement à l’opposé; mais, tout com-me lui, elle était animée par desconvictions absolument inébran-lables; c’était une femme qui étaitextrêmement déterminée.»

Une activiste prend placeen milieu antisyndical

Dès le secondaire, MadeleineParent a choisi d’épouser la causedes moins bien nantis, toutes ca-tégories confondues: «À McGill,elle va militer dans des groupes quisont progressistes, auprès de gensqui tout au long de leur vie ontcombattu pour davantage de justi-ce sociale. Sa grande cause, c’étaitde constater qu’il y avait des gensqui étaient bien moins favorisésque d’autres, ce que d’emblée elletrouvait inacceptable», ce dont té-moigne la professeure.

Elle s’engage dans le syndica-lisme à sa sortie de l’université:«Elle se dirige vers le Conseil desmétiers du travail de Montréal. Enfait, elle a côtoyé Léa Roback du-rant son séjour à McGill.» Elle sou-ligne le contraste entre ces deuxpersonnalités: «Léa est une gueu-larde très expressive, une extraver-tie que j’ai connue chez MadeleineParent; cette dernière, de nature ré-servée, la regardait parfois avec unpetit sourire moqueur.»

Elle rencontre par la suite KentRowley, un syndicaliste qui de-viendra son mari: «Celui-ci a déci-dé de syndicaliser les ouvriers dutextile à Valleyfield, et c’est là qu’ilva se rendre compte qu’il y a beau-coup d’ouvrières dans ce secteur; ilfait donc venir Madeleine à cet en-droit. C’est à ce moment ques’amorce pour les deux une carrièredans la syndicalisation des ouvriersdu textile au Québec: ils vont menerdes luttes féroces, parce qu’ilsavaient notamment affaire à Do-

minion Textile, une entreprise abso-lument intransigeante par rapportaux syndicats. Ils auront à vivre lesgrèves de 1946-1947 à Lachute etde 1952 à Louiseville; ce furentvraiment des luttes épiques.»

Denise Baillargeon continuede les suivre dans leur parcoursprofessionnel: «Le syndicat améri-cain pour lequel ils travaillaientleur montre finalement la porte desortie. Ils tentent alors de bâtir uneorganisation syndicale canadien-ne indépendante des centralesaméricaines, d’abord dans le texti-le. Vers la fin des années 1960, ilsproposent la création d’une centra-le syndicale canadienne, qui n’ajamais eu une très grande enver-gure mais qui a connu une certai-ne résonance; le tout s’inscrit dansla montée d’un certain nationalis-me canadien face à l’emprise desÉtats-Unis.» Ils ont fondé, à partirde l’Ontario où ils se sont en par-tie établis, la Confédération dessyndicats canadiens.

Une femme engagée en terre québécoise

La militante prend finalementsa retraite de la vie syndicale etelle revient au Québec en 1983;son mari, Kent Rowley, était décé-dé en 1978.

Denise Baillargeon s’intéresseà cette période de sa vie: «On serend compte, avec le recul, qu’il yavait des causes qu’elle avait déjàembrassées depuis un cer taintemps. Madeleine a été une fémi-niste très tôt; elle l’a été sans vrai-ment le savoir, parce que la condi-tion des ouvrières l’a toujours pré-occupée. D’ailleurs, elle était trèsconsciente qu’il fallait passer parles femmes pour rejoindre mêmeles hommes syndiqués; quand elledonnait des conférences dans dessyndicats alliés ou amis, elle par-lait souvent de l’importance d’inté-grer les femmes à la lutte.»

Elle rapporte un autre fait:«Quand le Comité canadien d’ac-tion pour le statut de la femme aété créée en 1972, elle va se re-trouver au sein de cet organisme.Et là, c’est la cause des droits desfemmes autochtones qui va l’occu-per; elle trouve absolument inad-missible qu’une femme autochtonequi marie un blanc perde son sta-tut; encore une fois, c’est une ques-tion de justice sociale qui entre enligne de compte, et elle va menercette bataille en leur compagniedurant de très longues années.»

Après s’être portée égalementà la défense des femmes immi-grantes, elle s’active toujours:«Elle sera de plusieurs manifesta-tions, dont celle pour le droit àl’avortement. Bien sûr, elle sera àla Marche du pain et des roses et,en 2001, elle a marché à Québecà la manif contre le Sommet desAmériques, à l’âge de 83 ans.»

De tout cet engagement dé-coule cette conclusion: «Ce quicaractérise sa vie, c’est véritable-ment le militantisme; c’est une fem-me qui a toujours été militante; ellene poussait pas pour qu’il y ait dela violence, loin de là, mais elleétait déterminée, elle ne lâchait passon point de vue et ne dérogeait pasà ses idées. Michel Chartrand a étéun grand indigné jusqu’à la fin desa vie; je pense que Madeleine en aaussi été une. Finalement, la dou-ceur aura été l’une de ses forces,précisément parce qu’elle parais-sait si douce, qu’elle avait l’aird’une petite bourgeoise, d’une fem-me tellement tranquille, d’unedame éminemment respectable.Mais, tout à coup, on se rendaitcompte qu’elle était toujours plutôtà gauche dans ses idées et révoltéepar rapport à toute la situation destravailleurs ou des femmes.»

Collaborateur du Devoir

M A D E L E I N E PA R E N TL E D E V O I R , L E S S A M E D I 3 1 M A R S E T D I M A N C H E 1 E R A V R I L 2 0 1 2G 6

Les syndicats et la lutte anticommuniste

«Rouge», elle le futMadeleine et Kent sont limogés en 1952 de la direction d’un syndicat du textile

Une militante

«La douceur aura étél’une de ses forces»Une douce et opiniâtre rebelle en lutteconstante contre les injustices

ARCHIVES NATIONALES DU CANADA

Madeleine Parent a milité ardemment dans des groupes degauche et des groupes féministes.

Page 7: MADELEINE PARENT - Le Devoir...MADELEINE PARENT G 2 LE DEVOIR, LES SAMEDI 31 MARS ET DIMANCHE 1ER AV R I L 2 0 1 2 Syndicaliste et féministe, Madeleine Parent a prêté sa voix de

A S S I A K E T T A N I

N ée à Montréal en 1918, Ma-deleine Parent a fait ses

études à une époque où lesfemmes étaient absentes ducorps professoral et reléguéesaux postes d’assistanat, maiselle a vu évoluer la conditiondes femmes: du droit de vote ac-quis en 1940 au droit à l’avorte-ment, en passant par la capacitéjuridique de la femme mariée.

Elle a été de tous les combats.Équité salariale, droit à l’avorte-ment, congé de maternité, ser-vices de garde, pensions, défensedes droits des femmes immi-grantes et autochtones: sa lutte atraversé le siècle et a accompa-gné la cause féministe dans touteson évolution. «Elle avait uneperspective globale, locale, mon-diale, et toujours remplie de sages-se», avance Alexa Conradi, prési-dente de la Fédération desfemmes du Québec (FFQ). Etc’est justement cette faculté devoir l’universel dans l’injusticehumaine qui l’a toujours menée àl’avant-garde des revendications.

Elle s’engageSon engagement prend for-

me pendant la Seconde Guerremondiale au moment où, avecl’essor du mouvement ouvrier,le nombre des femmes sur lemarché du travail quintuple.Alors qu’elle était organisatricesyndicale, Madeleine Parent aété sensibilisée aux problèmesdes travailleuses, souvent vic-times d’un double type d’injusti-ce: parce qu’elles étaient ou-vrières et parce qu’elles étaientfemmes. Depuis, elle s’est bat-tue sans relâche pour l’amélio-

ration des conditions de travaildes ouvrières et fut l’apôtre dudroit des femmes à la Confédé-ration des syndicats canadiens(CSC), qu’elle avait fondée avecKent Rowley, veillant à apporterÀ tous les débats le point devue des travailleuses.

«Elle comprenait les exigencesdes femmes», soutient FranceDutilly, coordonnatrice du col-lectif régional Madeleine-Pa-rent de la Montérégie, de 1998à 2011. «Pour elle, les femmes de-vaient trouver leur place dans lasociété et devaient s’instruire.»

Elle est une pionnièreAprès sa retraite de la CSC,

c’est notamment en participantau Comité canadien d’actionsur le statut de la femme(CCASF) qu’elle a influencé lemouvement des femmes au Ca-nada. Si elle a toujours réponduà l’appel, c’est avant tout en cou-lisses qu’elle a exercé son in-fluence, rappelle Lynn McDo-nald, professeure de sociologieà l’Université de Guelph et an-cienne présidente du CCASF:«Sans jamais avoir dirigé leCCASF, elle a probablement faitplus que toute autre pour déter-miner les orientations des poli-tiques de l’organisation.»

Son action a porté autant surdes questions législatives quesur des programmes d’aide gou-vernementaux, ou encore surdes engagements ponctuelscontre des situations de discrimi-nation, comme la mobilisationcontre l’expulsion d’une réfugiéeou la défense d’une mère nigé-riane condamnée à la lapidation.«Elle a beaucoup travaillé sur lesquestions économiques, précise

Lynn McDonald. Elle était réelle-ment une pionnière sur la ques-tion de l’équité salariale», qui fut,dans les années 70, l’un de sesplus grands combats. «La notionde salaire égal pour un travail devaleur égale était inscrite dansune résolution de l’ONU, peu ap-pliquée et peu connue, qu’elles’était attachée à faire passer dansla législation. Elle était toujourstrès informée et très respectée.»

Et si ses efforts se sont massi-vement tournés vers les femmesimmigrantes et autochtones, c’estaussi dans le souci de s’ouvrir auxplus faibles, aux doublement dis-criminées. Elle a par exemple dé-fendu l’accès des femmes immi-grantes à une aide financièrepour suivre des cours de langueet pour ne pas être confinées àdes emplois de second ordre.

Elle rassembleMadeleine Parent est deve-

nue membre de la FFQ en 1983.L’une de ses plus grandesforces, selon France Dutilly, futsa faculté de rassembler et decréer des ponts entre les diffé-rentes communautés. En facili-tant les rencontres du FFQ avecles minorités visibles et enpoussant à y inclure les revendi-cations des femmes immi-grantes, c’est bien une vision duféminisme qu’elle a défendue.

«Elle a contribué au rapproche-ment de personnes qui avaient descauses communes, elle a aidé lesfemmes à travailler entre elles»,souligne France Dutilly. Pour ladéfense des droits des femmesautochtones, elle avait apporté,aux côtés du CCASF, son soutienà Mary Pitawanakwat, discrimi-née dans la fonction publique, età Mary Two-Axe Early, représen-tante du groupe Droits égauxpour femmes indiennes, opposéà la Loi sur les Indiens, qui privaitles femmes de leur statut d’In-dienne dès lors qu’elles épou-saient un non-Indien. «Elle nous abeaucoup aidées pour la créationd’un protocole de solidarité entrela FFQ et Femmes autochtones duQuébec, poursuit France Dutilly.

Elle comprenait très bien les en-jeux, nous a conseillées et nous aenseigné à nous rapprocher deleurs réalités, dans le respect etl’humilité.»

Elle est un exempleDans son combat, elle fut une

pionnière. Elle est aujourd’huiun exemple. «Le type de luttemené aujourd’hui par la FFQ estinspiré de la façon dont Madelei-ne a contribué au mouvement.L’idée selon laquelle les femmesne sont pas toutes pareilles maisqu’elles peuvent toutes vivre dansla dignité, par exemple, est une vi-sion de Madeleine Parent», sou-ligne Alexa Conradi. Pour cellesqui ont combattu avec elle, Ma-deleine Parent a donné au mou-vement féministe l’expériencede ses luttes menées aux côtésdes ouvriers et des ouvrières.Elle est, selon Alexa Conradi,«une figure de proue et de sagesse,animée d’un sens de la justice.Elle est une leçon d’histoire.»

Par ses qualités d’éloquence etd’organisation, l’héritage laissépar Madeleine Parent recouvreaussi bien les gains sociaux pourlesquels elle s’est battue que

l’exemple du combat. Au-delàdes progrès acquis, elle a assuréla relève et mené, auprès desnouvelles générations de mili-tantes, un travail didactique d’en-seignement du contexte poli-tique, des tactiques de lobbyinget des stratégies d’organisation.«Elle était un exemple de rigueur,toujours très bien documentée, élo-quente. Elle avait une grande sim-plicité et une grande douceur,mais elle était convaincue, rappel-le France Dutilly. Elle avait énor-

mément d’expérience pour monteret préparer un dossier. Avantchaque intervention, elle lisait tousles documents. Pour elle, il n’yavait jamais de limites à l’appren-tissage. Elle était une travailleuseacharnée, curieuse, toujours entrain de lire et d’apprendre.»

Leçon apprise, donc, et c’estmaintenant sans elle, mais fortede sa mémoire, que se poursui-vra la marche.

Collaboratrice du Devoir

M A D E L E I N E PA R E N TL E D E V O I R , L E S S A M E D I 3 1 M A R S E T D I M A N C H E 1 E R A V R I L 2 0 1 2 G 7

Pour la cause des femmes

Elle a été de tous les combats«Une travailleuse acharnée, curieuse, toujours en train de lire et d’apprendre»Figure quasi mythique du mouvement syndical au Québec,Madeleine Parent s’est lancée dans la cause des femmes avecla même passion qui l’avait amenée, jeune diplômée deMcGill issue de la classe moyenne, à se lancer dans l’organi-sation syndicale. Après sept décennies de lutte pour la justicesociale, elle a non seulement changé le cours de l’histoiresyndicale au Québec, mais elle a aussi joué un rôle capitaldans l’orientation du mouvement des femmes au Canada.

UNIVERSITÉ DE GUELPH

Lynn McDonald est professeure émérite au Département de sociologieet d’anthropologie de l’Université de Guelph et a été présidente duComité canadien d’action sur le statut de la femme de 1979 à 1981.

Page 8: MADELEINE PARENT - Le Devoir...MADELEINE PARENT G 2 LE DEVOIR, LES SAMEDI 31 MARS ET DIMANCHE 1ER AV R I L 2 0 1 2 Syndicaliste et féministe, Madeleine Parent a prêté sa voix de

M A D E L E I N E PA R E N TL E D E V O I R , L E S S A M E D I 3 1 M A R S E T D I M A N C H E 1 E R A V R I L 2 0 1 2G 8

A M É L I ED A O U S T - B O I S V E R T

«C haque année, Madeleineparticipait aux manifesta-

tions, aux assemblées générales,jusqu’aux derniers moments oùelle pouvait se déplacer», raconteau Devoir Michèle Audette, ac-tuelle présidente de Femmes au-tochtones du Québec.

C’est après sa «retraite», audébut des années quatre-vingt,que Madeleine Parent s’engageplus étroitement auprès desfemmes des Premières Nationset immigrantes.

Les femmes autochtones lut-taient alors pour que soit abro-gée la Loi sur les Indiens. Dis-criminatoire, la loi retirait leurstatut à celles qui épousaient unnon-Indien, alors que leshommes dans la même situa-tion conservaient le leur. Aprèsavoir gagné leur cause, elles du-rent encore faire des pieds etdes mains pour que leurs en-fants soient réinscrits.

Grande alliée au fil de cescombats, «Madeleine est deve-nue une amie», raconte MichèleRouleau, présidente de l’asso-ciation Femmes autochtonesdu Québec de 1987 à 1992. «Il ya peu de femmes non autoch-tones qui ont fait preuve d’au-tant de solidarité à l’égard de lacause des femmes indiennes. Ellene se [contentait] pas de nousdonner son appui sur le bout deslèvres. Son soutien [était] réel,elle a travaillé à nos côtés», ajou-te-t-elle dans le livre MadeleineParent, militante.

«Elle était toujours là. Elleprenait l’autobus avec nouspour aller manifester», se sou-vient Madeleine Montour, unemilitante de Kanesatake. «Elle

nous a ouvert bien des portes»,ajoute-t-elle. En effet, grâce àtoute une vie de militantisme,Madeleine Parent savait àquelles portes cogner pour ai-der ses amies. Elle sèmeraentre autres les graines de lacollaboration entre la Fédéra-tion des femmes du Québec etl’association Femmes autoch-tones du Québec.

«Si fragile»Michèle Audette a 18 ans la

première fois que son chemincroise celui de Madeleine, alorsde plusieurs décennies son aî-née, au milieu des années 90.«Elle m’a inspirée à faire le sauten politique, dit-elle. Elle voyaiten moi une énergie pour pour-suivre la lutte de nos mères et denos grands-mères.» De fil en ai-guille, une amitié naît. «J’allaisprendre le thé avec elle et nousnous promenions dans son quar-tier. Elle me parlait des luttes dupassé, de Mary Two-Axe Early,de la guerre, des femmes qui ontremplacé les hommes dans lesusines. Je lui disais “nukum”,ma grand-maman québécoise.»

Elle garde comme souvenirune photographie de Madelei-ne et elle à la Marche mondialedes femmes, en l’an 2000. «Ellesemblait si fragile. Je me disais:“c’est trop, les manifestations”.Mais quand elle se levait, elleétait si impressionnante!»

La Loi sur les Indiens qui ex-cluait les femmes mariées à desnon-Indiens fait encore mal au-jourd’hui, entre autres aux en-fants issus de ces unions.«Comme métis, on se sent rejetépar sa propre communauté. ÀMontréal, j’étais exotique aussi»,dit Michèle Audette. C’est fina-lement en s’engageant, encou-

ragée par Madeleine, que lajeune femme trouve sa place.

«La situation s’est améliorée,mais il y a encore du travail àfaire», ajoute Madeleine Mon-tour, qui a elle-même épousé unnon-Indien. La discriminationperdure. J’ai dû me battre pourque ma fille accède aux boursesd’études supérieures [auxquellesles Indiens inscrits ont droit].»

Inclure et appuyer les femmes immigrantes

Madeleine Parent a égale-ment appuyé étroitement leCentre communautaire desfemmes sud-asiatiques. «Jeconsidère Madeleine commemon amie, mon mentor et moninspiration», écrit sa fondatrice,Shree Mulay, dans le livre Ma-deleine Parent, militante.

Madeleine Parent souhaitaitque les groupes de femmes detoutes origines se rapprochentet travaillent ensemble. «Nousdevons les accueillir dans nosrangs», plaidait-elle en 1989,lors d’une longue entrevue pu-bliée dans le périodique Studiesin Political Economy. «Nous de-vons apprendre des injusticesqu’elles vivent.» En débarquant

au Canada, souvent l’hommetrouve un travail, les enfantsvont à l’école. Ils apprennent lefrançais et l’anglais, pendantque la femme reçoit peu de sou-tien, travaille à la maison ou oc-cupe un emploi très précaire,déplorait la grande syndicaliste.Elle soulignait que certainessont si isolées qu’elles peuventà peine se rendre au centre-villeseules, faute de parler suffisam-ment le français ou l’anglais.Elle croyait fermement que«c’est à nous d’aller vers elles, deles écouter et de découvrir quelssont leurs besoins, comment nouspouvons les appuyer».

«Nous devons les encourager àreprésenter leurs communautésdans nos organisations, estimaitcette femme d’action. Ce n’estpas facile. Les femmes habituéesà exercer le leadership dans lesmouvements féministes doiventapprendre qu’elles doivent le par-tager avec des femmes qui ontdes besoins encore plus grands.Cela renforcera le mouvement.»

Des femmes et des amies detous les horizons qui lui disent:«Merci, Madeleine.»

Le Devoir

Migwetch – merci, MadeleineUn appui donné aux femmes autochtones et immigrantes dans leurs luttes pour l’égalité

J’ ai fait la connaissan-ce de Madeleine Pa-rent au milieu des

années 80, lors d’une assembléegénérale de Femmes autoch-tones du Québec. Elle y était ve-nue à titre de représentante duComité canadien d’action sur lestatut de la femme, et j’avais étésurprise d’entendre cette femmeà l’allure frêle s’emporter, dansun discours sur le droit à l’égalitépour les femmes autochtones,avec autant de détermination.

À cette époque, Femmes au-tochtones du Québec menait unebataille pour éliminer la discrimi-nation envers les femmes quecontenait la Loi sur les Indiens.La Charte canadienne des droitset libertés venait d’entrer en vi-gueur et le gouvernement du Ca-nada se trouvait dans l’obligationde modifier la Loi sur les Indiens.Cette loi, qui faisait perdre sonstatut indien à une femme quiépousait un non-Indien, fut doncmodifiée en avril 1985.

Cette Loi sur les Indiens, da-tant de 1876, a fait d’énormes ra-vages chez les Premières Na-tions; en plus d’avoir contribué àleur acculturation et de les avoirplacés en situation de dépendan-ce, elle a aussi semé la discordeentre autochtones. Les femmesqui avaient épousé des non-In-diens étaient souvent rejetéespar leur propre famille et ostraci-sées par leur communauté.

La lutte des femmes indiennespour faire changer cette loi auraété longue et ardue. Et, bien queles femmes aient obtenu gain decause, la bataille était loin d’êtregagnée. Certains problèmes liésau statut indien persistaient etl’amorce de discussions sur l’au-tonomie gouvernementale ne fai-sait qu’accroître les inquiétudesdes groupes de femmes autoch-tones qui craignaient un reculquant au droit à l’égalité.

Amie et alliéeDans leur démarche, les

groupes de femmes autochtonesont reçu l’appui du plus impor-tant regroupement d’associa-tions de femmes au Canada: leComité canadien d’action sur lestatut de la femme (CCA), et ce,grâce à Madeleine Parent.

Madeleine était très active ausein du CCA et elle était très en-gagée dans le comité d’appuiaux femmes autochtones. Cecomité comptait une majoritéde femmes autochtones, dontMary Two-Axe Early, une Mo-hawk de Kahnawake, une gran-de militante pour la cause desfemmes autochtones.

Je me suis jointe à ce comitéen tant que présidente deFemmes autochtones du Qué-bec en 1987. Madeleine, de parsa ténacité et ses convictions,nous encourageait à continuernos actions. Elle nous apportaitson soutien et son aide par ses ju-dicieux conseils et ses nombreuxcontacts partout au Canada.

Madeleine a toujours soutenules efforts de Femmes autoch-tones du Québec, et nous laconsidérions comme une alliée.Pour plusieurs d’entres nous, elleest devenue une amie. Elle étaittoujours invitée à nos assembléeset elle se faisait un devoir d’y être.

Ce que je retiens de Madelei-ne Parent, c’est sa grande hu-manité, sa conviction et son in-tégrité. Son désir d’une plusgrande justice sociale transcen-dait les frontières et les races,et peu de femmes non-autoch-tones ont fait preuve d’autantde solidarité à l’égard de la cau-se des femmes autochtones.Madeleine nous a apporté sonsoutien avec une grande sincé-rité et, surtout, un grand res-pect, elle aura été une alliée vé-ritable, une grande amie.

Je lui dis respectueusement«migwetch», merci, Madeleine.

Michèle RouleauPrésidente de Femmes autochtones

du Québec de 1987 à 1992

TÉMOIGNAGE

Une grande amie

Alliée, mentor, inspiration, compagne de toutes les manifes-tations, disent d’elle les femmes autochtones et immigrantesqui ont côtoyé Madeleine Parent. Mais surtout une amie, au-delà des dif férences et des générations.

CLAIRMONT BERGERON

Avec le décès de Madeleine Parent, les femmes autochtonesont perdu une grande amie