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LA VIE ET LES FORMES : QUELLES APPROCHES DU QUOTIDIEN ? Marielle Macé Editions de Minuit | Critique 2008/12 - n° 739 pages 1005 à 1017 ISSN 0011-1600 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-critique-2008-12-page-1005.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Macé Marielle, « La vie et les formes : quelles approches du quotidien ? », Critique, 2008/12 n° 739, p. 1005-1017. -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Editions de Minuit. © Editions de Minuit. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Laval - - 132.203.235.189 - 13/07/2013 06h35. © Editions de Minuit Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Laval - - 132.203.235.189 - 13/07/2013 06h35. © Editions de Minuit

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LA VIE ET LES FORMES : QUELLES APPROCHES DU QUOTIDIEN ? Marielle Macé Editions de Minuit | Critique 2008/12 - n° 739pages 1005 à 1017

ISSN 0011-1600

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-critique-2008-12-page-1005.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Macé Marielle, « La vie et les formes : quelles approches du quotidien ? »,

Critique, 2008/12 n° 739, p. 1005-1017.

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Distribution électronique Cairn.info pour Editions de Minuit.

© Editions de Minuit. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites desconditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votreétablissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière quece soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur enFrance. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

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La vie et les formes :quelles approches

du quotidien ?

Michael SheringhamEveryday Life :

Theories and Practicesfrom Surrealism

to the Present} Oxford,

Oxford University Press,2006, 437 p.

En 1968, Jean Grenier ouvrait ainsi La Vie quotidienne,un volume un peu oublié (il tenait son époque à grande dis-tance, et refusait de considérer le monde comme une ques-tion) consacré à la promenade, au tabac, au parfum... : « nousvoyageons, dormons, lisons, communiquons avec les autreshommes ou nous retranchons d’eux par la solitude, le silenceou le secret. Chacun de ces actes, de ces manières d’être aune signification qui déborde le but apparent dont nousavons conscience. Leur analyse révèle le passage insensiblequi mène de la vie courante au style de vie et même à l’œuvred’art 1 ». Ce « passage insensible » reste énigmatique, etnomme pour une grande partie de notre littérature le vif dusujet : comment la vie s’articule-t-elle aux formes ? Du mondedes œuvres aux manières d’être, où sont les intersectionspratiques ? Voilà un siècle que la littérature tourne autour dece passage comme de son foyer. L’ouvrage de Michael She-ringham, Everyday Life, ne cesse de le manifester, et proposesa réponse à l’énigme toujours réinvestie du vécu. Placeraujourd’hui le concept de quotidien au cœur du scénarioculturel, c’est valoriser une époque intellectuelle – les années1960 – et réinvestir les outils qu’elle s’était choisis ; car laquestion s’est déplacée, elle est ici regardée sous l’angle, poli-tique et énonciatif, de dispositifs conçus comme des condui-

1. J. Grenier, La Vie quotidienne, Paris, Gallimard, 1968, p. 7.

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tes réappropriables plutôt que comme des appels à l’œuvreproprement dite : loin de Merleau-Ponty, on ira vers des célé-brations de la performance – à chacun son sensible.

Michael Sheringham élabore une vaste synthèse histori-que et expose l’enchevêtrement théorique et artistique d’unenotion disparate dont il situe l’origine dans le surréalisme, etla transformation en concept dans la France d’après-guerre ;en mettant en lumière une véritable « tradition du quotidien »,il offre les conditions d’un regard, plutôt qu’une thèse à pro-prement parler ; car le quotidien suppose, pour être dit, desformes inédites de perception et d’écriture : le livre milite doncpour l’élaboration d’une forme attentionnelle et d’uneconduite. Dressant cette cartographie dans une position deretrait disciplinaire, Michael Sheringham conserve sa fluiditéà la notion et lui rend sa visibilité. Le projet n’est pas d’accen-tuer les différences en dressant les pensées les unes contreles autres, mais d’ouvrir un chantier – la réception du livre,déjà riche, en rend compte – et de manifester l’existence d’unchamp. L’auteur emprunte à la philosophie, à la sociologie,à la vulgarisation ethnographique, compile, accentue desreliefs significatifs et fait voir des concordances inaperçues ;cette position intellectuelle est typique des recherches litté-raires anglo-saxonnes, où l’éclectisme théorique n’est pasregardé d’un mauvais œil.

Au long d’un parcours qui va du surréalisme à nos joursen passant par Lefebvre, Certeau, Perec, ou Barthes, MichaelSheringham repère d’abord des ressassements ou des héri-tages plus ou moins assumés. Globalement chronologique, lelivre suit ainsi une progression en spirale, car c’est dans leursretours qu’une série de concepts d’abord effleurés prennentforme : rythme, mémoire, localité... ; chacune des notionsproposées a sa vie propre au long de l’analyse, et se solidifiedans les comparaisons ; l’idée d’une tradition de pensée et depratiques y prouve, cumulativement, tout son intérêt. Lesexamens des premiers chapitres prennent sens dans leursréinvestissements, en particulier dans leur remobilisation ausein des lectures littéraires : Certeau permet de retraverserPerec, et Lefebvre, Barthes... Sans doute cela décevra-t-il lesattentes philosophiques ou sociologiques (M. Sheringhams’éloigne par exemple délibérément de Bourdieu, et atténueles enjeux idéologiques des positions marxistes ou révolu-

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tionnaires), dont il ne partage ni le vocabulaire, ni la méthode,ni la systématicité. Mais il s’agit de rendre les textes et lespositions appropriables, en manifestant activement commenton use d’une pensée et comment on fait parler les livres. Cetravail sur l’appropriation se construit comme un éloge del’usage : pensée des pratiques, activité de saisie, d’opportu-nité, de légèreté. Il y a là une conception de la généralité qu’ilfaut défendre : cette « social theory » n’existe ni comme corpusni comme geste dans l’espace intellectuel français.

L’ancrage du livre dans la littérature constitue un autrepoint de rupture. Les œuvres littéraires sont conçues commedes réservoirs de formes attentionnelles et de figures, c’est-à-dire comme une réponse pratique à l’énigme du quotidien ;à vrai dire, cela transforme à la fois les enjeux du quotidien etles enjeux de la littérature. Michael Sheringham s’est choisirécemment trois objets : la biographie, le quotidien, etl’archive 2, qui méritent d’être regardés ensemble et considéréscomme les nouvelles lignes de partage d’un espace esthétiqueéclaté ; on n’y examine plus l’histoire longue d’une forme àl’intérieur des frontières de la littérature, mais dans son rap-port avec les autres discours, avec des savoirs hétérogènesdont elle est le bord, avec les autres positions culturelles ; levoisinage pertinent d’une œuvre littéraire n’est plus une autreœuvre littéraire : on rapprochera volontiers Perec des ethno-graphes du proche, ou Pierre Michon d’Arlette Farge. Celaexplique la mise en avant de certaines formes de textualité,indissociables des genres factuels et d’un recul à l’égard du« faireœuvre » ; c’est la lignedecrêtedu livre,celledes tactiquesurbaines et des dispositifs qui en sont solidaires : listes, réper-toires, chroniques, perceptibles dans les performances de l’artcontemporain ou dans les expérimentations oulipiennes ; iltrouve ses racines affectives dans la lecture de Perec, commesi l’auteur d’Espèces d’espaces lui avait indiqué son atmo-

2. Voir par exemple Michael Sheringham, French Autobiography :Devices and Desires : Rousseau to Perec, Oxford, Clarendon Press,1993 ; « Memory and the Archive in Contemporary Life-Writing »,French Studies, vol. LIX, 1, 2005 ; « La figure de l’archive dans le récitautobiographique contemporain », Dominique Viart (dir.), Les Muta-tions esthétiques du roman français contemporain / Der zeitgenössis-che französische Roman, Lendemains, Études comparées sur la France,Tübingen, Stauffenberg Verlag, 2002, vol. 27, no 107-108.

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sphère esthétique et morale ; cette basse sourde oriente inti-mement l’idée du vécu qui sous-tend l’ouvrage, elle accentuel’importance des contraintes, de l’expérimentation et du jeu.

La banalisation du banal

Le projet est donc historique : il s’agit d’exposer desgénéalogies, de célébrer la richesse d’une tradition faite defaçons de faire, de penser, d’écrire. L’histoire proposée estfermement scandée : la période 1960-1980 est une phased’invention théorique active ; celle qui va de 1980 à 2000, unephase de pratique, de variation et de dissémination qui arra-che le quotidien à l’exploration conceptuelle pour en faire unecomposante centrale des arts. La focalisation sur cette idéede tradition et l’effort pour en manifester la cohérence suffi-sent à le démarquer des cultural studies.

L’ouvrage commence par accentuer une indéterminationépistémologique que la suite désamorcera ; le premier mot estpour Blanchot et son article de 1962, « La parole quotidienne »,qui souligne les ambivalences d’une notion supposée à la foisévidente et fuyante, omniprésente et indescriptible. Maisl’analyse échappe à l’impasse épistémologique : « Plutôtqu’ambigu, ou paradoxal, le quotidien manifeste notre rela-tion à l’indétermination fondamentale de la possibilitéhumaine » (p. 22, je traduis) ; ce n’est pas un objet élusif, maisun espace d’inventions ; dès le départ est posée la question dela résistance du quotidien à la forme, qui manifeste son ouver-ture à l’horizon de la réalisation existentielle. De ce point devue, le livre permet de distinguer entre la vie (courbe absorbéeet typifiée par le roman) et le vivre, plus fragile que fuyant,invitant à ne pas substituer au quotidien le vécu spectacula-risé du réalisme, du fait divers ou du déterminisme social ; ilfaut résister à la « transfiguration du banal 3 », et mettre envaleur les moments où la dimension de l’ordinaire est saisieen tant que telle. Un scénario en découle, celui d’une sorte debanalisationdubanal, qui suit le fil nonmystiqued’uneappré-hension créatrice du quotidien, et dont la reconnaissance offreà Michael Sheringham les conditions d’une histoire tout

3. A. Danto, The Transfiguration of the Commonplace, New York,Harvard University Press, 1981.

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entière sortie de l’œuf surréaliste. Le surréalisme a ouvert unlignage de valorisation et d’exploration du quotidien, matriceinfinie de possibles : reprise à nouveaux frais de la bifurcationmoderne et urbaine imprimée à la littérature par Baudelaire,anticipation des interrogations sur la culture de consomma-tion, le mouvement rassemble un paquet de figures décisives :la foule, le merveilleux, le vitalisme, l’« expectancy », des pra-tiques d’expérimentation qui ne sont pas confinées à l’activitéartistique ; la chaîne est lâche, mais c’est cela qu’il fautconstruire : des voisinages inaperçus, que notre vie concrètene se gêne pas, elle, pour embrasser.

Pour Breton, la surréalité était contenue dans la réalitémême ; c’est cette pensée de l’immanence qui va essaimer,reconnue dans une littérature d’indexation et d’autoperfor-mance du réel. L’analyse du pouvoir révélateur de la photo-graphie laisse percevoir, à ce point, une méfiance à l’égarddes formes ou de la médiation, comme si la merveille de larencontre, des objets ou du vécu, devait se présenter d’elle-même et s’évanouissait dans les configurations esthétiques.Michael Sheringham observe à cet égard quelques échecs dusurréalisme, par exemple ce passage sans souplesse, dansLe Paysan de Paris, entre l’art et la vie. Le scénario proposéépouse en partie cette méfiance, car il remplace les formespar des conduites, qui s’incarnent certes dans des dispositifsexpérimentaux, mais dont les textes apparaissent surtoutcomme la trace, le témoignage ou le logbook ; c’est la grandeleçon surréaliste : le divorce réclamé dans Nadja entre le livreet la vie rendait en effet difficile un jeu fluide entre le réel etles formes en tant que telles. Le chapitre consacré au surréa-lisme dissident et au couple sacré-profane accentue ceconflit ; de Bataille à Queneau, l’auteur observe les réactionssuscitées par l’idéalisme du surréalisme ; une comparaisonéclairante s’établit entre deux ensembles réalisés par unmême photographe, Jacques-André Boiffard : les clichés anti-descriptifs de Nadja et la série du « gros orteil » pour Bataille,où la pratique documentaire rompt avec l’expérience du sujethumain, intensifie la dimension expérimentale de l’art,l’oriente vers une épreuve de disproportion et de disjonction.C’est d’un tout autre quotidien qu’il est ici question, prisépour son altérité par Leiris, poussé par le Breton de L’Amourfou vers l’opacité des scripts intérieurs du désir.

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Lorsqu’il se tourne vers Henri Lefebvre et sa Critique dela vie quotidienne, cet éloge de l’autoperformance trouve sonterrain théorique privilégié : entre une merveille immanenteet la reconnaissance du banal pour lui-même, Michael She-ringham choisit explicitement la seconde. La contre-attaqueopposée par Lefebvre au surréalisme situe le nœud du scé-nario entre idéalisme vital et aliénation perceptible dans ledépôt médiocre des habitudes. La dialectique sera un outilmajeur, car elle permet, sans le défigurer en extraordinaire,de reconnaître le quotidien comme sphère de créativité ;Michael Sheringham insiste sur l’abandon progressif duconcept d’aliénation, la montée en puissance de celui de désir(sous l’influence de Lacan et des situationnistes), et le tour-nant vers une anthropologie concrète ; il montre aussicomment le quotidien est absorbé, in fine, dans un débat surla cité et l’urbanisme comme « glaciation de la vie » 4. La lec-ture de Barthes accentue cette créativité du quotidien ;Michael Sheringham choisit un Barthes contre un autre :celui des haïkus, des incidents ou des projets moralistescontre celui des Mythologies – qui, après être apparuescomme des instruments de critique sociale, se sont mises àfonctionner nostalgiquement comme des lieux de mémoire...Barthes montre la vie déchirée par le pli irrégulier du désir,et manifeste la façon dont notre discontinuité fondamentalepeut être fidèlement ressaisie dans celle de dispositifs toutaussi fragiles. Cette lecture constitue un climax du livre ;l’équation centrale – arts de vivre, formes attentionnelles, dis-positifs d’écriture – y est nettement mise en place, à distancedu roman et de la mimèsis réaliste. On suit la question dudétail qui engendre chez Barthes une sorte de reflux des for-mes sur la vie concrète ; on mesure la force de la pressionexistentielle qui, du dehors, a forcé la sémiotique à se trans-former. Michael Sheringham donne toute leur importanceaux derniers projets, et au choix des agencements nuancésauxquels ils ont abouti : chroniques, incidents, biographè-mes, moments romanesques, idiorythmies...

4. On songe, à ce propos, au bel article de Michel Deguy, « Ladestruction de Paris », dans Les Temps modernes no 642, février-mars2007, qui prolonge des réflexions formulées dans un article de Libé-ration en janvier 2007.

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L’ordinaire a en effet ses inventions propres, que révèlela lecture de Certeau qui dissocie le quotidien de la questionde la culture populaire ou de l’attitude du consommateur(encore une façon de prendre position contre le culturalisme).L’hypothèse de L’Invention du quotidien est que la consom-mation est active et productrice – réemploi, braconnages ;cette « logique de la pratique » s’est nourrie de travaux sur lamètis grecque qui offraient une porte de sortie au pouvoir-savoir de Foucault. On s’achemine vers le temps de l’usage,où l’on ne célèbre plus l’invention de formes, mais leur appro-priation et leur combinaison. Michael Sheringham soulignepar exemple la force d’une nouvelle conception de la mémoire,associée à l’occasion et au sens du moment opportun ; laproposition a la vertu, cardinale dans notre époque de pas-sions mémorielles, de défaire le lien entre mémoire et rétros-pection : celle-là est aussi dirigée vers l’ailleurs, l’avenir, ledifférent. C’est, si l’on se rappelle le beau film de Rohmer, lalogique de La Collectionneuse. C’est aussi l’occasion d’uneréévaluation efficace du modèle de l’énonciation ; marcher,parler, lire sont des pratiques énonciatives, associées par unemême capacité à intervenir et occuper des niches dans lesystème. Le texte urbain, le texte social : ces analogies étaienttypiques du moment linguistique de la pensée française, ellesnouaient l’art et la vie en deçà des œuvres proprement dites,alors que les écrivains d’aujourd’hui se sont éloignés d’unetelle sémiosis des phénomènes et de sa textualisation du réel.Si Michael Sheringham réévalue ce modèle énonciatif, c’estqu’il souhaite diminuer la part d’aliénation supposée inhé-rente aux pratiques quotidiennes. De là la faible place accor-dée à Bourdieu, à sa théorie de la reproduction et de la dis-tinction, et l’utilisation en sous-régime des pensées marxisteou situationniste, au profit d’un plaidoyer pour l’attention,conçue comme une modalité minimale de la création, une« formalité » commune à la profusion des pratiques quotidien-nes : il suffit pour inventer de regarder et d’habiter autrement.

L’œuvre des jours

À ce point de l’entreprise, les préférences théoriques sesont affirmées, et le banal l’a emporté sur la merveille. C’estalorsques’impose la lecturedePerec,cœurvivantde l’ouvrage,

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et occasion de penser explicitement avec la littérature. CettecentralitédePerec,desChosesauxtoutderniers textes, éclaireles stylisations qui sont ici visées : expérimentations, disposi-tifs, agencements, c’est un point de vue sur la littérature quise fait jour, où les textes sont de plus en plus conçus commedes registres, des comptes rendus d’expériences attentionnel-les, des stratagèmes pour faire advenir quelque chose dans lavie de qui les écrit et de qui les lit ; et de même que l’attentionest définie comme une pratique à situer en deçà du regard, demême les modalités d’écriture dont il sera ici majoritairementquestion – notation, inventaire, liste... – se situent en deçà duroman, du récit ou de la description. Tout tient au chemine-ment de Perec vers « l’infra-ordinaire » : abandon de l’autobio-graphie au profit de la mémoire culturelle, découverte du lieucommun au cours des séminaires de Barthes, rencontre avecl’enquête ethnographique, projets perceptifs associés à destrouvailles rhétoriques... Sensible à cette résurgence de la rhé-torique, l’analyse débouche sur la proposition essentielle dulivre,quibousculerasonscénario : lepropreduquotidien,c’estle générique ; ce que Pereca inventé, eneffet, ce sontdes cadra-ges contraints et ritualisés, engendrant des catégories typi-quement rhétoriques situées entre l’individuel et l’abstrait, lesoi et le commun, la mémoire et l’événement. Le parcours nes’arrête pas là, mais l’outil principal a été trouvé, car c’est àtravers quelques fenêtres généralisables qu’est approchée infine l’énigme du rapport entre le monde vécu et l’expression ;à mi-chemin du savoir scientifique et des singularités, il y ades récurrences qui forment notre conscience des choses : ils’agitalorsde « reculerdevant lemondeperçu, justeassezpourvoir génériquement – des patrons, des rythmes, des répéti-tions » (p. 128, je traduis). Le dernier chapitre, « Configuringthe everyday », ouvre un passionnant répertoire de figures quiaurait pu fournir sa colonne vertébrale à tout le livre, et qui enréembrasse très librement le parcours. États minimaux de laforme, ces figures sont à l’interface des choix esthétiques etdesmanièresd’être,à la foismodalitésd’expressionetpratiqueconcrète d’un sujet. Michael Sheringham fait ici œuvred’essayiste en proposant des conduites et des usages ; oncomprend mieux l’accentuation du modèle énonciatif, c’est-à-direde l’activitéd’appropriationetderemodelaged’undonnédans la parole.

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La première de ces figures est la « Journée » : « forme por-teuse de sens », comme le dit Starobinski à propos de Rous-seau 5, cadre d’un façonnage du sujet, de trouvailles tactiquesd’arts de vivre, elle oriente l’analyse vers les technologies desoi foucaldiennes, vers une esthétique de l’existence résolu-ment substituée à la merveille surréaliste ; on en perçoit vitela composante dialectique : entre la contrainte et la liberté, lesingulier et le collectif, le moment de vérité et l’ennui, le cha-pitre évoque quelques exemples littéraires de la journéecomme instrument de stylisation de soi. Si la figure de la jour-née est pensée dans le voisinage de Foucault, la deuxième,celle des « Noms de rue », l’est plutôt dans celui de Lefebvre, àpartir de qui tout un passé, de la ville baudelairienne à« l’intoxication » benjaminienne des noms, est reparcouru.C’est encore la question de la participation qui se trouve pri-vilégiée, interaction entre le sujet urbain et la puissance évo-catoire, et contraignante, du nom propre 6 ; Michael Shering-ham souligne à nouveau la force de ces dispositifs situés endeçà du récit et de la description qui ont sa préférence. Avecla troisième figure, moins topique, plus mystérieuse, celle des« Projets attentionnels », la filiation est clairement perec-quienne : performances et situations d’« expérimentationanti-sociologiques » permettent aux artistes de rouvrir le visi-ble, tel écrivain notant ce qu’il perçoit dans un trajet hebdo-madaire, tel autre se faisant l’ethnologue de sa ligne de RER...Rythme, vitesse, récurrence, les régularités temporelles sontau centre de ces catégories génériques où la répétition est unferment d’attention, car le quotidien est « dans le temps » – nondans le grand temps de la réparation ou de la concordancericœurienne, mais dans celui des pulsations pratiques : pas-sée au tamis des lieux communs, la grande matière de l’His-toire ou du roman se transforme en une pluralité de temposqui nous la rendent habitable.

Le statut littéraire de ces dispositifs attentionnels est eneffet très clair : ils occupent la place qui revenait au roman,

5. J. Starobinski, « L’ordre du jour », Le Temps de la réflexion,no 4, 1983.

6. Dans la littérature récente, voir à ce sujet : Paris, musée duXXIe siècle. Le dixième arrondissement, de Thomas Clerc, Paris, Galli-mard, coll. « L’Arbalète », 2007.

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au grand roman « mauvais conducteur de quotidienneté »,dont le reflux est indissociable (à la fois symptôme et condi-tion de possibilité) de la tradition théorique ici mise enlumière. Le livre a posé d’emblée le déclin du roman commecadre exploratoire, déclin accompagné par une montée enpuissance des petites formes de la littérature documentaire,et par un déplacement des frontières de la fiction ; les prin-cipes typifiants du réalisme mimétique faisaient du quotidienun spectacle à décrire ou à décoder, dans un arc critiqueallant du naturalisme à la sémiotique structurale qui en fai-sait son objet privilégié. De là les préférences affichées pourde petites formes où l’expérience est rendue à sa précarité età sa fluidité : notation, répertoires, récits qui n’ordonnent pasl’expérience mais la suscitent ou la traversent, qui n’accu-mulent pas les actions mais forment une mémoire mobileouverte à l’événementialité légère de l’occasion et une invita-tion à l’appropriation. C’est le choix, par exemple, du « roma-nesque » contre le roman chez Perec ou Barthes. Ce reflux duroman s’est accentué dans la littérature récente ; après Perec,les pratiques du quotidien se sont disséminées ; la reconnais-sance du quotidien est l’un des aspects d’un tournant pluslarge, qui a mené des systèmes aux performances. À vrai dire,dans les livres ici évalués sans complaisance, de Marc Augéà Annie Ernaux en passant par Philippe Delerm, on perd lesentiment de la créativité du quotidien ; on redescend de lacrête Perec vers un pseudo-regard ethnographique, où Fran-çois Maspero est portraituré en « nostalgic dealer in the exo-tic » (p. 320).

On semble perdre, surtout, la centralité et la densité duvivre qui étaient en jeu chez Breton ou chez Barthes ; c’est lerisque, ludique, de l’humus oulipien. Si j’ai emprunté à PierrePachet le titre du beau livre qu’il a publié en 1999, L’Œuvredes jours 7, alors que Michael Sheringham fait un éloge desagencements, c’est afin de tourner le regard vers d’autresvoies offertes par la littérature (depuis Proust) pour explorerl’espace commun entre les conduites et les formes. L’œuvrede Pachet, qui recharge constamment la réflexion par l’expé-rience, sensible, pensive et énigmatique, aurait ici sa placepour combler le reflux du roman et la confiance nouvelle pla-

7. P. Pachet, L’Œuvre des jours, Paris, Éd. Circé, 1999.

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cée en l’essai, pour rendre compte de la possibilité d’un pas-sage fluide entre l’existence et la parole. L’auteur de La Forcede dormir, du Grand âge, de Un à un, montrerait combien (etavec lui Jean-Christophe Bailly, ou François Bon, effective-ment cité) la création contemporaine peut échapper à l’empiredu simulacre, aux jeux de rôles et de contraintes dans les-quels on a parfois le sentiment de tomber avec des œuvresqui simulent l’altérité et dont Jean Jamin a signalé le risqued’autopastiche 8.

Les occasions dialectiques

Le phénomène essentiel ici mis en lumière est la rééva-luation de la rhétorique, dont l’histoire est encore à retracerdans notre culture récente. L’événement est rappelé dans lespages consacrées à Barthes et à Perec – même s’il encourageune vision formaliste à l’excès de la rhétorique ; il vaudraitmieux se tourner vers Paulhan pour dire la portée des lieuxcommuns et le contenu existentiel des formes partagées ;l’auteur des Fleurs de Tarbes et du Clair et l’obscur aide àconcevoir la rhétorique comme l’instrument d’une traverséede l’expérience et d’une traversée vers l’expérience, car la vieet les formes (non le texte et le réel) sont en lui constammentarticulées, jamais dans la simulation, mais dans l’énigme oule conflit, c’est-à-dire dans la dialectique.

La réflexion de Michael Sheringham sur le quotidiencomme domaine du générique invite d’ailleurs à s’interrogernon sur ce à quoi le quotidien s’oppose (l’événement, l’extraor-dinaire), non sur ce en quoi il est susceptible de se retourner(une idéalisation de l’ordinaire, une transfiguration du banal),mais sur le type de dialectique dont il est le lieu. Le livre offreà ce titre quelques oppositions constitutives et plusieurs pro-positions de pratiques. Un dialogue pourra s’établir ici avec lasomme récente du phénoménologue Bruce Bégout 9 ; pour luiaussi le quotidien n’est pas le lieu d’un paradoxe, mais d’une

8. J. Jamin, « Le texte ethnographique : argument », Études rura-les, no 97-98, janvier-juin 1985.

9. B. Bégout, La Découverte du quotidien, Paris, Allia, 2005. Voir,à propos d’un ensemble de travaux de Bruce Bégout, Philippe Sabot :« La fabrique du quotidien », Critique, no 701, octobre 2005.

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dialectique au jour le jour, une dialectique sans le savoir quirègle l’impasse épistémologique, une « infra-dialectique » quenousmettonsenœuvreenpermanence.Ledésaccordporteraitsans doute sur ce que le quotidien dialectise : Bruce Bégoutremplace le couple ordinaire-extraordinaire, qui risque desacraliser le lieu commun, en jeu du familier et de l’étranger,de lapeuretde l’habitude.L’habitude(cette « activitéobscure »,comme le disait Ravaisson) marque les limites de la libertéhumaine, ce fatum de la vie quotidienne qui fait que toute exis-tence, même la plus aventureuse, est toujours aussi quoti-dienne. Ils’agitd’observer la fabriqueninaturelle,niculturelle,mais anthropologique, d’un monde familier, c’est-à-dire habi-table, où puisse se dérouler l’aventure humaine. Les textesmobilisés par Michael Sheringham seraient une belle illustra-tion de ce que Bruce Bégout nomme une « volonté de forme »,ce désir de se donner une certaine figure spatiale, temporelle,causale. L’espace épistémologique deBruce Bégout est précis :un renouveau de la pensée husserlienne, la possibilité d’unephénoménologie du monde de la vie. Michael Sheringham sesitue dans un domaine plus indécis, il projette une continua-tiondusurréalismepard’autresmoyens.Certes, l’unet l’autrepartagent une vision intensive du quotidien, fondée sur l’idéed’habitat et les modalités du vivable, et se rencontrent surl’analogie des pratiques quotidiennes avec la parole – MichaelSheringham accentue le modèle de l’énonciation, là où BruceBégout décèle dans le quotidien une « grammaire » de la viehumaine, règle immanente, forme commune et partagée. Ilspartagent aussi la conviction d’une vitalité du quotidien, de labanalité comme réserve d’indétermination ; mais cette fécon-ditéestdiversementorientée :MichaelSheringhammetaujourune tradition théorique avec laquelle Bruce Bégout veut rom-pre, lui qui considère que la pensée française a euphorisél’inventivité spontanée du quotidien, et débouché sur le bien-être fade du postmodern way of life ; aux attentions portées àl’infra-ordinaire, épuisées dans sa surface et son immanence,il oppose la révélation permanente d’une énigme des phéno-mènes,oùlanormalisationde l’existenceest toujourssollicitéepar l’étrangeté du monde. La vie, soulignait aussi Paulhan, estpleine de choses redoutables ; le projet phénoménologiquesouhaite que la forme sache les domestiquer, mais ne lesdéchire pas à son tour.

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La possibilité de ce dialogue entre une entreprise litté-raire et un projet de phénoménologie pure nomme le point vifdu débat : le statut des formes. C’est bien l’énigme à pour-suivre : les formes révèlent-elles le monde de la vie, ou lerejettent-elles ? Les livres donnent-ils forme à une existencesans eux pâteuse et insensée, ou infiniment inventive ? Cettequestion s’est récemment accentuée, diversifiée, mais aussiarrachée à ses anciens ancrages idéologiques ; les ouvragesde Jean-Marie Schaeffer explorent la porosité de nos condui-tes devant les choses et devant les œuvres ; la question del’exemplarité de la littérature, de sa capacité à susciter desprogrammes d’action et de pensée, est souvent opposée à laperplexité devant l’instabilité des normes et la diversité dessituations – Stanley Cavell ou Martha Nussbaum la regardentcomme une casuistique morale prise dans le détail descontextes de fiction ; les réflexions récentes sur le style pro-posent de réarticuler l’ordre poétique et le milieu supposéamorphe de la vie : à toute échelle, des techniques de soi seconçoivent en miroir des œuvres et à l’occasion de celles-ci.On n’osait plus le croire, mais les spécialistes de littératuresont particulièrement bien armés pour se saisir de ces ques-tions qui engagent nos désirs et nos conduites. Le livre deMichael Sheringham célèbre une telle formalité, car ledomaine du « générique » y articule étroitement des styles per-ceptifs et des styles esthétiques ; mais contre toute attente,le fil des performances défait brusquement le scénariod’abord envisagé, celui d’un déploiement du surréalismedans sa révolte contre la pauvreté de l’expérience – comme sil’enquête avait forcé l’enquêteur à revenir sur l’avertissementde Breton : « Tant va la croyance à la vie, à ce que la vie a deplus précaire, la vie réelle s’entend... ».

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