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MAGAZINE société Le Quotidien Jurassien | Lundi 6 juillet 2015 | 13 sion sociale. A cela s’ajoute l’envie pour les fiers Perses de faire ressem- bler leur profil à l’Européen en ré- duisant la taille de leur nez, perçu comme «arabe». Les Iraniens ai- ment ainsi à rappeler qu’ils sont de culture indo-européenne et considè- rent leurs voisins comme des «bar- bares incultes». L’obligation pour les femmes de porter un foulard, fai- sant ainsi ressortir le nez comme un pic, n’arrange rien. Collagène et botox La rhinoplastie n’est souvent qu’une étape: un peu de botox efface les pré- misses de rides, le collagène fait gon- fler les lèvres, et injecté dans la peau, il réduit les cicatrices laissées par l’acné. Celles qui ont un regard «trop» asiati- que peuvent se faire agrandir les yeux, ou apposer sous leur cornée des lentil- les colorées afin de les rendre bleus. Et pour celles qui n’ont pas voulu respec- ter l’interdiction de coucher avant le mariage, il est même possible de se re- faire une virginité! Parmi les connaissances de Sepi- de, la majorité sont passées sur le bil- lard. «Je me rappelle avoir participé à un cours de massage. La professeure nous a demandé de nous masser les tempes en faisant bouger la peau du front. J’étais la seule à pouvoir le fai- re: toutes les autres avaient déjà fait des injections de botox qui empê- chaient ces mouvements!» CATHERINE CATTIN groupe d’amies à être célibataire. «Mes parents ne me disent rien, mais les filles de mon âge m’encou- ragent à fonder une famille. Rester seule n’est pas normal en Iran», ajoute-t-elle, déplorant cette pres- dû insister pour ne rien faire de plus, raconte Sepide. Il me disait: “Tu es mariée? Non? Alors laisse- moi te gonfler un peu tes lèvres ou agrandir tes yeux”». Car à 32 ans, elle est désormais la seule de son cial coûte encore très cher (entre 1000 et 2500 francs), il représente aussi un investissement pour trou- ver plus facilement un mari, fortuné de préférence. «Lorsque j’ai pris rendez-vous avec le chirurgien, j’ai D ans les rues de Téhéran, d’Ispahan ou de Chiraz, parmi la foule grouillante et jeune, les pansements qui recouvrent les nez de nombreu- ses filles et de certains garçons intri- guent. Est-ce le résultat de bastonna- des par la police iranienne? «Il ne s’agit que de chirurgie esthétique», répond en rigolant Keivan, le fils ca- det de la famille qui m’accueille à Té- héran, la capitale de 12 millions d’ha- bitants de cet immense pays. L’Iran fait partie de ceux qui y recourent le plus au monde. Selon l’Association nationale pour la chirurgie plastique, le nombre d’interventions a grimpé à 200 000 l’année passée. Rien que dans la capitale, 3600 chirurgiens exercent dans ce domaine. Cyrano pas à la mode En Iran, se faire une rhinoplastie est devenu aussi banal que mettre un appareil dentaire chez nous. N’en déplaise à Cyrano de Berge- rac, sous les coups de scalpel, la di- versité des appendices nasaux se ré- duit. Adieux nez arqués, imposants, bossus ou de travers. «La forme à la mode, c’est le nez “à la française”: pe- tit et légèrement retroussé», précise le photographe trentenaire. Le nom- bre de femmes croisées dans la rue arborant ce modèle est impression- nant. Sepide («Aurore» en persan), une jeune femme de 32 ans habitant Ispa- han, cheveux de jais courts et sourire discret, est passée sous l’habile scal- pel d’un chirurgien plastique il y a 6 semaines. Première de sa famille à y avoir recours, elle se fait un peu mo- quer par ses cousins. «Je ne l’ai pas fait parce que je n’aime pas la forme de mon nez, mais parce que je vou- lais le remettre droit après une chute il y a quelques années», se défend la traductrice, en sirotant le traditionnel thé noir, assise sur l’épais tapis per- san. Beau nez, riche mari Le phénomène, en s’amplifiant, s’est banalisé. Et si le remodelage fa- Cyrano n’aurait eu aucun succès en Iran V REPORTAGE L’Iran est un des pays où la chirurgie esthétique est la plus pratiquée au monde. Rien qu’à Téhéran, 3600 chirurgiens exercent dans ce domaine. La banalisation de cette pratique, la pression sociale pour trouver un mari et l’envie de se démarquer physiquement des voisins Arabes si méprisés expliquent cet engouement Le nez «à la française» est à la mode en ce moment. Au moins trois de ces étudiantes rencontrées à Téhéran se sont décidées pour ce modèle. PHOTOS CC A la découverte de la chaleureuse hospitalité iranienne et chaleureux. Que ce soit dans la rue, au bazar ou dans les jardins, je suis joyeuse- ment interpellée par des «Bienvenue en Iran!» Une salutation souvent suivie de nombreuses questions, toujours posées poliment, quant à mon origine, la maniè- re dont leur pays est perçu à l’étranger ou mon opinion sur le voile. Cette curiosité n’a cessé de m’étonner tout au long de mon voyage. De même que l’attitude gé- nérale des gens: cultivée, respectueuse et désintéressée. Voyageuse solitaire dans un pays musulman, pas une fois je ne me suis sentie en danger ni ne me suis fait importuner. Une Allemande rencontrée à Yazd, seule également, a confirmé ce sen- timent de sécurité. A Chiraz, abandonnée par un membre de Couchsurfing, j’ai été accueillie avec une simplicité touchante pendant cinq jours par une famille modeste. Passant outre mes protestations gênées, ils ont bousculé leur quotidien afin de me guider dans cette ville de 1,3 million d’habitants. Au-delà des mosquées si raffinées ou du pétrole si convoité, j’ai surtout découvert que la véritable richesse de l’Iran est ses habitants. CC Malgré le foulard et la tunique qui recouvre mon corps jusqu’à mi-cuisse – une tenue obliga- toire, même pour les étrangers – je ne passe pas inaperçue. Dans cette Perse où les touristes sont encore rares, l’accueil est d’autant plus volubile L’Iran, ce pays méconnu à la réputation fort mauvaise me fascinait depuis long- temps. Jurassienne d’origine (et ayant tendance à l’indépendance), journaliste de profession et curieuse par nature, l’en- vie de découvrir la réalité loin des clichés était trop forte. Quitte à m’y rendre seule! Après avoir appris quelques rudiments de persan, me voici embarquant pour un voyage de trois semaines à travers l’Iran. Des amis et la famille de ma professeure m’accueillent respectivement à Téhéran, la capitale, et Ispahan. Ensuite, cap sur l’aventure: dans les villes de Chiraz, Yazd et Kashan, j’étais censée dormir chez des jeunes membres de Couchsurfing, un ré- seau international qui permet de loger gratuitement chez l’habitant. Il n’en sera rien, ce qui me permettra de découvrir la généreuse hospitalité iranienne. Chaleureux accueil Moi qui craignais de me sentir trop seule, j’ai été continuellement accompagnée voire maternée par ces Iraniens si gentils et tellement étonnés de me voir ainsi, sans famille ni amis, dans un pays où vi- vre seul est rarissime. Sepide, une jeune traductrice de 32 ans, ici avec sa tante Zahra, a voulu corriger un nez de travers suite à une chute. La majorité de ses amies ont déjà eu recours au bistouri pour «améliorer» leur apparence.

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Page 1: MA GAZINE soci t - WordPress.comCyrano pas la mode En Iran, se faire une rhinoplastie est devenu aussi banal que mettre un appareil dentaire chez nous. NÕen d plaise Cyrano de Berge-rac,

MAGAZINE société

Le Quotidien Jurassien | Lundi 6 juillet 2015 | 13

sion sociale. A cela s’ajoute l’enviepour les fiers Perses de faire ressem-bler leur profil à l’Européen en ré-duisant la taille de leur nez, perçucomme «arabe». Les Iraniens ai-ment ainsi à rappeler qu’ils sont deculture indo-européenne et considè-rent leurs voisins comme des «bar-bares incultes». L’obligation pourles femmes de porter un foulard, fai-sant ainsi ressortir le nez comme unpic, n’arrange rien.

Collagène et botoxLa rhinoplastie n’est souvent qu’une

étape: un peu de botox efface les pré-misses de rides, le collagène fait gon-fler les lèvres, et injecté dans la peau, ilréduit les cicatrices laissées par l’acné.Celles qui ont un regard «trop» asiati-que peuvent se faire agrandir les yeux,ou apposer sous leur cornée des lentil-les colorées afin de les rendre bleus. Etpour celles qui n’ont pas voulu respec-ter l’interdiction de coucher avant lemariage, il est même possible de se re-faire une virginité!

Parmi les connaissances de Sepi-de, la majorité sont passées sur le bil-lard. «Je me rappelle avoir participé àun cours de massage. La professeurenous a demandé de nous masser lestempes en faisant bouger la peau dufront. J’étais la seule à pouvoir le fai-re: toutes les autres avaient déjà faitdes injections de botox qui empê-chaient ces mouvements!»

CATHERINE CATTIN

groupe d’amies à être célibataire.«Mes parents ne me disent rien,mais les filles de mon âge m’encou-ragent à fonder une famille. Resterseule n’est pas normal en Iran»,ajoute-t-elle, déplorant cette pres-

dû insister pour ne rien faire deplus, raconte Sepide. Il me disait:“Tu es mariée? Non? Alors laisse-moi te gonfler un peu tes lèvres ouagrandir tes yeux”». Car à 32 ans,elle est désormais la seule de son

cial coûte encore très cher (entre1000 et 2500 francs), il représenteaussi un investissement pour trou-ver plus facilement un mari, fortunéde préférence. «Lorsque j’ai prisrendez-vous avec le chirurgien, j’ai

D ans les rues de Téhéran,d’Ispahan ou de Chiraz,parmi la foule grouillanteet jeune, les pansements

qui recouvrent les nez de nombreu-ses filles et de certains garçons intri-guent. Est-ce le résultat de bastonna-des par la police iranienne? «Il nes’agit que de chirurgie esthétique»,répond en rigolant Keivan, le fils ca-det de la famille qui m’accueille à Té-héran, la capitale de 12 millions d’ha-bitants de cet immense pays. L’Iranfait partie de ceux qui y recourent leplus au monde. Selon l’Associationnationale pour la chirurgie plastique,le nombre d’interventions a grimpé à200 000 l’année passée. Rien quedans la capitale, 3600 chirurgiensexercent dans ce domaine.

Cyrano pas à la modeEn Iran, se faire une rhinoplastie

est devenu aussi banal que mettre unappareil dentaire chez nous.

N’en déplaise à Cyrano de Berge-rac, sous les coups de scalpel, la di-versité des appendices nasaux se ré-duit. Adieux nez arqués, imposants,bossus ou de travers. «La forme à lamode, c’est le nez “à la française”: pe-tit et légèrement retroussé», précisele photographe trentenaire. Le nom-bre de femmes croisées dans la ruearborant ce modèle est impression-nant.

Sepide («Aurore» en persan), unejeune femme de 32 ans habitant Ispa-han, cheveux de jais courts et sourirediscret, est passée sous l’habile scal-pel d’un chirurgien plastique il y a 6semaines. Première de sa famille à yavoir recours, elle se fait un peu mo-quer par ses cousins. «Je ne l’ai pasfait parce que je n’aime pas la formede mon nez, mais parce que je vou-lais le remettre droit après une chuteil y a quelques années», se défend latraductrice, en sirotant le traditionnelthé noir, assise sur l’épais tapis per-san.

Beau nez, riche mariLe phénomène, en s’amplifiant,

s’est banalisé. Et si le remodelage fa-

Cyrano n’aurait eu aucun succès en IranV REPORTAGE L’Iran est un des pays où la chirurgie esthétique est la plus pratiquée au monde. Rien qu’à Téhéran,3600 chirurgiens exercent dans ce domaine. La banalisation de cette pratique, la pression sociale pour trouver un mariet l’envie de se démarquer physiquement des voisins Arabes si méprisés expliquent cet engouement

Le nez «à la française» est à la mode en ce moment. Au moins trois de ces étudiantes rencontrées à Téhéran se sont décidées pour ce modèle. PHOTOS CC

A la découverte de la chaleureuse hospitalité iranienneet chaleureux. Que ce soit dans la rue, aubazar ou dans les jardins, je suis joyeuse-ment interpellée par des «Bienvenue enIran!» Une salutation souvent suivie denombreuses questions, toujours poséespoliment, quant à mon origine, la maniè-re dont leur pays est perçu à l’étranger oumon opinion sur le voile. Cette curiositén’a cessé de m’étonner tout au long demon voyage. De même que l’attitude gé-nérale des gens: cultivée, respectueuse etdésintéressée. Voyageuse solitaire dansun pays musulman, pas une fois je ne mesuis sentie en danger ni ne me suis faitimportuner. Une Allemande rencontrée àYazd, seule également, a confirmé ce sen-timent de sécurité.

A Chiraz, abandonnée par un membrede Couchsurfing, j’ai été accueillie avecune simplicité touchante pendant cinqjours par une famille modeste. Passantoutre mes protestations gênées, ils ont

bousculé leur quotidien afin de me guider danscette ville de 1,3 million d’habitants. Au-delà desmosquées si raffinées ou du pétrole si convoité,j’ai surtout découvert que la véritable richesse del’Iran est ses habitants. CC

Malgré le foulard et la tunique qui recouvremon corps jusqu’à mi-cuisse – une tenue obliga-toire, même pour les étrangers – je ne passe pasinaperçue. Dans cette Perse où les touristes sontencore rares, l’accueil est d’autant plus volubile

L’Iran, ce pays méconnu à la réputationfort mauvaise me fascinait depuis long-temps. Jurassienne d’origine (et ayanttendance à l’indépendance), journalistede profession et curieuse par nature, l’en-vie de découvrir la réalité loin des clichésétait trop forte. Quitte à m’y rendre seule!

Après avoir appris quelques rudimentsde persan, me voici embarquant pour unvoyage de trois semaines à travers l’Iran.Des amis et la famille de ma professeurem’accueillent respectivement à Téhéran,la capitale, et Ispahan. Ensuite, cap surl’aventure: dans les villes de Chiraz, Yazdet Kashan, j’étais censée dormir chez desjeunes membres de Couchsurfing, un ré-seau international qui permet de logergratuitement chez l’habitant. Il n’en serarien, ce qui me permettra de découvrir lagénéreuse hospitalité iranienne.

Chaleureux accueilMoi qui craignais de me sentir trop seule, j’ai été

continuellement accompagnée voire maternée parces Iraniens si gentils et tellement étonnés de mevoir ainsi, sans famille ni amis, dans un pays où vi-vre seul est rarissime.

Sepide, une jeune traductrice de 32 ans, ici avec sa tante Zahra, a voulu corriger unnez de travers suite à une chute. La majorité de ses amies ont déjà eu recours aubistouri pour «améliorer» leur apparence.