lutte suisse a un an de la fête fédérale, les romands ont ...€¦ · imposer un roi ro-mand...

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10 SEPTEMBRE 2015 3 L’événement LUTTE SUISSE A un an de la Fête fédérale, les Romands ont-ils des chances? I ls ne seront qu’une petite trentaine à entrer dans l’arène de la Fête fédé- rale de lutte le 27 août prochain, sur l’aérodrome de Payerne (VD). Même à domicile, les Romands se- ront comme d’habitude minoritaires, noyés au milieu des quelque 250 lut- teurs en provenance de toute la Suisse. Alors, à un an de «leur» Fédérale, la ques- tion est sur toutes les lèvres: après la dé- convenue de Berthoud en 2013, où ils étaient rentrés bredouilles, les Romands vont-ils décrocher des couronnes? Les Bernois et autres «Böse» des associations de Suisse centrale, orientale et nord-occi- dentale, leur laisseront-ils une part du gâ- teau d’Estavayer 2016? Imposer un roi ro- mand paraît illusoire tant le niveau fixé par les Sempach, Stucki, Wenger, Wicki et leurs comparses est élevé. Mais l’objectif de décrocher quelques lauriers au palmarès du Team Romandie n’est de loin pas une utopie, en témoignent les résultats de la saison 2015 pour nos lutteurs: quatre cou ronnes décrochées en Suisse alémanique, une à la fête alpestre du Lac-Noir. Les «Welsches» prennent confiance et com- mencent à se faire respecter, voire craindre. «Oui, les Romands auront leur chance. Leur niveau est monté d’un cran depuis la dernière Fédérale, reconnaît le président de l’Association romande de lutte suisse, Blaise Decrausat. Le bilan de la saison 2015 est satisfaisant et il se pourrait qu’on voie le bout du tunnel en termes de résultats.» Ce dernier se montre cependant très pru- dent. «Certes nos effectifs sont en hausse et les participations aux fêtes cantonales sont meilleures, mais le niveau moyen des lutteurs romands reste un cran en dessous des Alémaniques.» Fini le sport de loisir Le défi est donc de taille pour les lutteurs, et ces derniers le savent mieux que qui- conque. Ils sont d’ailleurs quelques-uns à avoir opté pour la voie de la professionnali- sation, à l’image des Alémaniques. Benja- min Gapany est l’un d’eux. A 20 ans, cet agriculteur de Marsens (FR) a diminué son temps de travail à 50% pour pouvoir se consacrer aux entraînements et surtout à la récupération. Pour boucler ses fins de mois, il a trouvé deux sponsors. «Il n’y a pas de miracle: pour rivaliser avec les Suisses alle- mands, il faut adopter les mêmes stratégies qu’eux», reconnaît le Fribourgeois. «S’en- traîner dur, y consacrer du temps, travailler son endurance, sa souplesse, sa rapidité, son explosivité, énumère celui qui se fait aider par un coach personnel. Ma prépara- tion pour Estavayer2016 va être planifiée au jour le jour, dès ces prochaines se- maines.» Marc Gottofrey marche dans les pas du lutteur gruérien. Le boucher né à Echallens (VD) a été approché par une en- treprise de stores et profite d’un véhicule mis à sa disposition. Un soutien bienvenu, car le lutteur vaudois aligne chaque jour des kilomètres pour aller s’entraîner, que ce soit à Lausanne, à Oron ou dans le canton de Berne. L’athlète, âgé de 20 ans, a décro- ché cinq couronnes cet été et a décidé de donner tout son temps libre à sa passion. Il envisage même, à moyen terme, d’adapter son temps de travail. Se frotter aux Suisses allemands Ce phénomène de professionnalisation dé- plaît à certains, notamment aux anciens lutteurs, qui estiment que ce sport national perd son âme à travers cette monétisation de ce sport. Pourtant, aux yeux de Blaise Decrausat, c’est une des clés de la réussite. «Cette tendance est globale dans le monde du sport et ne touche pas que la lutte», re- lativise-t-il. Mais vivre de son sport en Suisse romande n’est pas aussi aisé qu’outre-Sarine, où la lutte est bien plus populaire et démocrati- sée. A Mont-sur-Rolle (VD), Pascal Pie- montesi a diminué son temps de travail de policier à 60% depuis plus d’un an et vit sur ses économies. Dégager du temps libre lui permet ainsi d’assurer une dizaine de séances d’entraînement par semaine tout l’hiver. «Ça commence à porter ses fruits», se réjouit-il. Le Vaudois a en effet décro- ché quatre couronnes cette année et, signe qui ne trompe pas, a battu un couronné fédéral lors de la Fête romande à Genève. «Mais il reste du boulot pour créer la sur- prise à Estavayer.» Car oui, inscrire plusieurs Romands au pal- marès des couronnés d’Estavayer2016 se- rait une belle surprise. «Il faut être réaliste. Même si on devient meilleurs, on court toujours après les Alémaniques», constate son collègue de club Michaël Matthey. Le lutteur de 25 ans en sait quelque chose, lui qui a réussi à remporter deux couronnes en terre alémanique cet été. «Les bons lutteurs sont trop peu nombreux chez nous. Si on veut des combats durs, il faut aller se frot- ter aux Suisses allemands.» Pour lui, comme pour le Fribourgeois William Häni, c’est un passage obligé que d’aller s’entraî- ner avec plus fort que soi, outre-Sarine. Toutes les semaines, ce lutteur du club de Fribourg & Environs s’organise avec d’autres Romands pour participer aux en- traînements des clubs de Berne ou de Schwarzenburg (BE). «C’est une des clés du succès», affirme William Häni, qui a, par ailleurs, choisi de repousser d’un an son master en biologie pour pouvoir se consa- crer à son sport. L’esprit d’équipe sera capital De la volonté, du talent, les lutteurs romands n’en manquent pas. Le dernier des ingré- dients qui pourrait les aider à conquérir le Graal se trouve peut-être bien dans leur tête. «Lutter à domicile, au milieu de 50 000 per- sonnes, en transcendera certains», espère Blaise Decrausat. D’autres comptent sur l’as- pect collectif pour faire la différence: «Il nous faut arriver à Estavayer2016 en une équipe soudée, conclut William Häni. On doit être une bande de potes et passer par-dessus les barrières des clubs ou des cantons pour être plus forts le 27 août prochain.» Claire Muller n Dans un an, la Suisse aura couronné son nouveau roi de la lutte. Les Romands mettent tout en œuvre pour briller dans la sciure d’Estavayer2016. Tour d’horizon des espoirs. Le Fribourgeois Benjamin Gapany compte briller à la prochaine Fête fédérale de lutte à Estavayer-le-Lac (FR). Pour mettre toutes les chances de son côté, l’agriculteur de Marsens a passé à un statut de semi-professionnel. © PHOTOS DR BON à SAVOIR Estavayer2016, des chiffres à donner le tournis Les fêtes fédérales de lutte sont organisées tous les trois ans, mais elles n’ont lieu que tous les quinze ans en Suisse romande. La dernière a eu lieu à Nyon (VD) en 2001 et avait alors couronné le Saint-Gallois Arnold Forrer. «C’est le plus gros événement sportif et populaire du pays», commente Martial Messeiller, chef de la communication d’Estavayer2016. Une arène de 52 000 per- sonnes, une place de fête pouvant accueillir 250 000 visiteurs, 60 000 places de parc et un budget de 25 millions de francs: les chiffres donnent le tournis. Si les sponsors sont bien présents pour soutenir l’événement, il faut encore convaincre les Romands, peu habitués à ce genre de manifestation: «Nous sommes à la recherche de 4000 bénévoles, qui seront rémunérés si la fête est bénéficiaire», précise Martial Messeiller. A noter que les billets sont avant tout réservés aux sponsors et aux clubs de lutte. Quelques centaines de places seront mises en vente au début de l’été 2016. «Le moyen le plus sûr d’avoir des places est de faire un don et de devenir Ami d’Estavayer2016.» + D’INFOS www.estavayer2016.ch

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10 septembre 20153L’événement

lutte suisse

A un an de la Fête fédérale, les Romands ont-ils des chances?

Ils ne seront qu’une petite trentaine à entrer dans l’arène de la Fête fédé-rale de lutte le 27 août prochain,

sur l’aérodrome de Payerne (VD). Même à domicile, les Romands se-ront comme d’habitude minoritaires, noyés au milieu des quelque 250 lut-teurs en provenance de toute la Suisse. Alors, à un an de «leur» Fédérale, la ques-tion est sur toutes les lèvres: après la dé-convenue de Berthoud en 2013, où ils étaient rentrés bredouilles, les Romands vont-ils décrocher des couronnes? Les Bernois et autres «Böse» des associations de Suisse centrale, orientale et nord-occi-dentale, leur laisseront-ils une part du gâ-teau d’Estavayer 2016? Imposer un roi ro-mand paraît illusoire tant le niveau fixé par les Sempach, Stucki, Wenger, Wicki et leurs comparses est élevé. Mais l’objectif de décrocher quelques lauriers au palmarès du Team Romandie n’est de loin pas une utopie, en témoignent les résultats de la saison 2015 pour nos lutteurs: quatre cou ronnes décrochées en Suisse alémanique, une à la fête alpestre du Lac-Noir. Les «Welsches» prennent confiance et com-mencent à se faire respecter, voire craindre. «Oui, les Romands auront leur chance. Leur niveau est monté d’un cran depuis la dernière Fédérale, reconnaît le président de l’Association romande de lutte suisse, Blaise Decrausat. Le bilan de la saison 2015 est satisfaisant et il se pourrait qu’on voie le bout du tunnel en termes de résultats.» Ce dernier se montre cependant très pru-dent. «Certes nos effectifs sont en hausse et les participations aux fêtes cantonales sont meilleures, mais le niveau moyen des lutteurs romands reste un cran en dessous des Alémaniques.»

Fini le sport de loisirLe défi est donc de taille pour les lutteurs, et ces derniers le savent mieux que qui-conque. Ils sont d’ailleurs quelques-uns à

avoir opté pour la voie de la professionnali-sation, à l’image des Alémaniques. Benja-min Gapany est l’un d’eux. A 20 ans, cet agriculteur de Marsens (FR) a diminué son temps de travail à 50% pour pouvoir se consacrer aux entraînements et surtout à la récupération. Pour boucler ses fins de mois, il a trouvé deux sponsors. «Il n’y a pas de miracle: pour rivaliser avec les Suisses alle-mands, il faut adopter les mêmes stratégies qu’eux», reconnaît le Fribourgeois. «S’en-traîner dur, y consacrer du temps, travailler son endurance, sa souplesse, sa rapidité, son explosivité, énumère celui qui se fait aider par un coach personnel. Ma prépara-tion pour Estavayer2016 va être planifiée au jour le jour, dès ces prochaines se-

maines.» Marc Gottofrey marche dans les pas du lutteur gruérien. Le boucher né à Echallens (VD) a été approché par une en-treprise de stores et profite d’un véhicule mis à sa disposition. Un soutien bienvenu, car le lutteur vaudois aligne chaque jour des kilomètres pour aller s’entraîner, que ce soit à Lausanne, à Oron ou dans le canton de Berne. L’athlète, âgé de 20 ans, a décro-ché cinq couronnes cet été et a décidé de donner tout son temps libre à sa passion. Il envisage même, à moyen terme, d’adapter son temps de travail.

Se frotter aux Suisses allemandsCe phénomène de professionnalisation dé-plaît à certains, notamment aux anciens lutteurs, qui estiment que ce sport national perd son âme à travers cette monétisation de ce sport. Pourtant, aux yeux de Blaise Decrausat, c’est une des clés de la réussite. «Cette tendance est globale dans le monde du sport et ne touche pas que la lutte», re-lativise-t-il.Mais vivre de son sport en Suisse romande n’est pas aussi aisé qu’outre-Sarine, où la lutte est bien plus populaire et démocrati-sée. A Mont-sur-Rolle (VD), Pascal Pie-montesi a diminué son temps de travail de policier à 60% depuis plus d’un an et vit sur ses économies. Dégager du temps libre lui permet ainsi d’assurer une dizaine de séances d’entraînement par semaine tout l’hiver. «Ça commence à porter ses fruits», se réjouit-il. Le Vaudois a en effet décro-ché quatre couronnes cette année et, signe qui ne trompe pas, a battu un couronné fédéral lors de la Fête romande à Genève. «Mais il reste du boulot pour créer la sur-prise à Estavayer.»

Car oui, inscrire plusieurs Romands au pal-marès des couronnés d’Estavayer2016 se-rait une belle surprise. «Il faut être réaliste. Même si on devient meilleurs, on court toujours après les Alémaniques», constate son collègue de club Michaël Matthey. Le lutteur de 25 ans en sait quelque chose, lui qui a réussi à remporter deux couronnes en terre alémanique cet été. «Les bons lutteurs sont trop peu nombreux chez nous. Si on veut des combats durs, il faut aller se frot-ter aux Suisses allemands.» Pour lui, comme pour le Fribourgeois William Häni, c’est un passage obligé que d’aller s’entraî-ner avec plus fort que soi, outre-Sarine. Toutes les semaines, ce lutteur du club de Fribourg & Environs s’organise avec d’autres Romands pour participer aux en-traînements des clubs de Berne ou de Schwarzenburg (BE). «C’est une des clés du succès», affirme William Häni, qui a, par ailleurs, choisi de repousser d’un an son master en biologie pour pouvoir se consa-crer à son sport.

L’esprit d’équipe sera capitalDe la volonté, du talent, les lutteurs romands n’en manquent pas. Le dernier des ingré-dients qui pourrait les aider à conquérir le Graal se trouve peut-être bien dans leur tête. «Lutter à domicile, au milieu de 50 000 per-sonnes, en transcendera certains», espère Blaise Decrausat. D’autres comptent sur l’as-pect collectif pour faire la différence: «Il nous faut arriver à Estavayer2016 en une équipe soudée, conclut William Häni. On doit être une bande de potes et passer par-dessus les barrières des clubs ou des cantons pour être plus forts le 27 août prochain.»

Claire Muller n

Dans un an, la Suisse aura couronné son nouveau roi de la lutte. Les Romands mettent tout en œuvre pour briller dans la sciure d’Estavayer2016. Tour d’horizon des espoirs.

Le Fribourgeois Benjamin Gapany compte briller à la prochaine Fête fédérale de lutte à Estavayer-le-Lac (FR). Pour mettre toutes les chances de son côté, l’agriculteur de Marsens a passé à un statut de semi-professionnel.

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Bon à savoir

estavayer2016, des chiffres à donner le tournis Les fêtes fédérales de lutte sont organisées tous les trois ans, mais elles n’ont lieu que tous les quinze ans en suisse romande. La dernière a eu lieu à Nyon (VD) en 2001 et avait alors couronné le saint-Gallois Arnold Forrer. «C’est le plus gros événement sportif et populaire du pays», commente Martial Messeiller, chef de la communication d’Estavayer2016. Une arène de 52 000 per-sonnes, une place de fête pouvant accueillir 250 000 visiteurs, 60 000 places de parc et un budget de 25 millions de francs: les chiffres donnent le tournis. si les sponsors sont bien présents pour soutenir l’événement, il faut encore convaincre les Romands, peu habitués à ce genre de manifestation: «Nous sommes à la recherche de 4000 bénévoles, qui seront rémunérés si la fête est

bénéficiaire», précise Martial Messeiller. A noter que les billets sont avant tout réservés aux sponsors et aux clubs de lutte. Quelques centaines de places seront mises en vente au début de l’été 2016. «Le moyen le plus sûr d’avoir des places est de faire un don et de devenir Ami d’Estavayer2016.» + d’infos www.estavayer2016.ch