lul les repercussions de la guerre d espagne en oranie koerner 1975

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Société d'histoire moderne et contemporaine (France). Revue d'histoire moderne et contemporaine (1954). 1975/07-1975/09. 1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numériques d'oeuvres tombées dans le domaine public provenant des collections de la BnF.Leur réutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n°78-753 du 17 juillet 1978 : *La réutilisation non commerciale de ces contenus est libre et gratuite dans le respect de la législation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source. *La réutilisation commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par réutilisation commerciale la revente de contenus sous forme de produits élaborés ou de fourniture de service. Cliquer ici pour accéder aux tarifs et à la licence 2/ Les contenus de Gallica sont la propriété de la BnF au sens de l'article L.2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques. 3/ Quelques contenus sont soumis à un régime de réutilisation particulier. Il s'agit : *des reproductions de documents protégés par un droit d'auteur appartenant à un tiers. Ces documents ne peuvent être réutilisés, sauf dans le cadre de la copie privée, sans l'autorisation préalable du titulaire des droits. *des reproductions de documents conservés dans les bibliothèques ou autres institutions partenaires. Ceux-ci sont signalés par la mention Source gallica.BnF.fr / Bibliothèque municipale de ... (ou autre partenaire). L'utilisateur est invité à s'informer auprès de ces bibliothèques de leurs conditions de réutilisation. 4/ Gallica constitue une base de données, dont la BnF est le producteur, protégée au sens des articles L341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle. 5/ Les présentes conditions d'utilisation des contenus de Gallica sont régies par la loi française. En cas de réutilisation prévue dans un autre pays, il appartient à chaque utilisateur de vérifier la conformité de son projet avec le droit de ce pays. 6/ L'utilisateur s'engage à respecter les présentes conditions d'utilisation ainsi que la législation en vigueur, notamment en matière de propriété intellectuelle. En cas de non respect de ces dispositions, il est notamment passible d'une amende prévue par la loi du 17 juillet 1978. 7/ Pour obtenir un document de Gallica en haute définition, contacter [email protected].

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Page 1: LUL Les Repercussions de La Guerre d Espagne en Oranie Koerner 1975

Société d'histoire moderne et contemporaine (France). Revue d'histoire moderne et contemporaine (1954). 1975/07-1975/09.

1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numériques d'oeuvres tombées dans le domaine public provenant des collections de laBnF.Leur réutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n°78-753 du 17 juillet 1978 :  *La réutilisation non commerciale de ces contenus est libre et gratuite dans le respect de la législation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source.  *La réutilisation commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par réutilisation commerciale la revente de contenus sous forme de produitsélaborés ou de fourniture de service. Cliquer ici pour accéder aux tarifs et à la licence 2/ Les contenus de Gallica sont la propriété de la BnF au sens de l'article L.2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques. 3/ Quelques contenus sont soumis à un régime de réutilisation particulier. Il s'agit :  *des reproductions de documents protégés par un droit d'auteur appartenant à un tiers. Ces documents ne peuvent être réutilisés, sauf dans le cadre de la copie privée, sansl'autorisation préalable du titulaire des droits.  *des reproductions de documents conservés dans les bibliothèques ou autres institutions partenaires. Ceux-ci sont signalés par la mention Source gallica.BnF.fr / Bibliothèquemunicipale de ... (ou autre partenaire). L'utilisateur est invité à s'informer auprès de ces bibliothèques de leurs conditions de réutilisation. 4/ Gallica constitue une base de données, dont la BnF est le producteur, protégée au sens des articles L341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle. 5/ Les présentes conditions d'utilisation des contenus de Gallica sont régies par la loi française. En cas de réutilisation prévue dans un autre pays, il appartient à chaque utilisateurde vérifier la conformité de son projet avec le droit de ce pays. 6/ L'utilisateur s'engage à respecter les présentes conditions d'utilisation ainsi que la législation en vigueur, notamment en matière de propriété intellectuelle. En cas de nonrespect de ces dispositions, il est notamment passible d'une amende prévue par la loi du 17 juillet 1978. 7/ Pour obtenir un document de Gallica en haute définition, contacter [email protected].

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LES RÉPERCUSSIONS DE LA GUERRE D'ESPAGNE

EN ORANIE (1936-1939)

Marqué par deux cent-soixante années de présence espagnole *, l'ancienpréside d'Oran redevient au xrx* siècle, par-delà la zone riffaine, le bastionavancé de la civilisation hispanique en Afrique du Nord. La conquêtefrançaise réalise le rêve de Charles-Quint, ouvre l'arrière-pays et appellel'immigration espagnole chassée par la misère et les révolutions intestines 2.Peu avant les lois de naturalisation, à la fin du xrx* siècle, l'Algérie compte114 320 Espagnols s. En 1886, l'élément espagnol représente 53% de lapopulation européenne d'Oran. Cette proportion n'a pas changé en 1936puisqu'on admet que 100 000 habitants sur les 200 000 que contient laville sont d'origine espagnole.

Socialement la colonisation espagnole a progressé dans le sillage de lacolonisation française vers une plus large stratification. Les descendantsdes équipes (squadra) de défricheurs et de coupeurs d'alfa ont fait soucheet se sont installés et dans les villes et dans les campagnes *. D'anciensouvriers agricoles ont acquis d'importants domaines de 400 à 1000 hasur la route de la Senia à Aïn-Temouchent 5 ; d'autres ont créé à Perregauxet Sidi-bel-Abbès des zones pionnières, riches de plantations d'orangers etde citronniers, prolongement naturel des provinces du Levant. Sur la côteOran, Beni-Saf, Arzew ont attiré pêcheurs et dockers. A Oran même, lesconditions très précaires des familles espagnoles, résidant en ville basseou dans les faubourgs, font d'elles un trait d'union entre les populationsd'origine française et arabe.

Politiquement la tension franco-espagnole du xix* siècle s'est maintenuejusqu'à la Première guerre mondiale, parfois jusqu'à la naissance de la

République espagnole en 1931 6. Mais les luttes confessionnelles ont es-

1 F. BRAUDEL,<Les Espagnolsen Afriquedu Nordde 1492à 1S77», in Revuealgérienne,1928.2. J. PEREZ,L'Espagnedu XVI' siècle,Paris,1973,et M. DEVEZE,L'Espagneet l'empireespagnol

sousPhilippeII, Paris, 1973.3. La populationeuropéenneen Algérie(1873-1881).Etudestatistique,par le Dr R. Riooox,Alger,

1883et R. LESPES,Oran,Etudesde géographieet d'histoireurbaine,Paris,1938.4 TémoignagesdansTAILLIART(Ch.),L'Algérieet la littératurefrançaise,Paris,1928.5. Le Livred'or de l'Oranie(sansdate),vraisemblablement1926.6 DECHAUD(E.),Lepeuplementespagnolen Oranie,Bull,de la Soc.d'Archéo.et de Géo.d'Oran,

1908,p. 64.

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REPERCUSSIONS DE LA GUERRE D'ESPAGNE EN ORANIE (1936-1939) 477

quissé, les intermariages aidant, un rapprochement entre Français et Espa-gnols. La recherche d'une nouvelle identité se fait au nom d'une civilisation

commune, d'un héritage de traditions méditerranéennes, de la latinité 7.Le signe de ce rapprochement à caractère antisémite, sont les « Unionslatines » de Sidi-Bel-Abbès, puis les « Amitiés latines » d'Oran.

Le jeu politique reste assez ouvert et l'intégration des Espagnols peutse faire au niveau des familles spirituelles. Quelques Espagnols réussissentleur admission dans la franc-maçonnerie 8, les plus nombreux se groupentautour de l'Église catholique et de ses oeuvres de bienfaisance 9.

Par la force des choses, le département d'Oran est donc fortement sen-sibilisé par le drame espagnol. Avant la contre-révolution, les Espagnolssont divisés en républicains et nationaux. La guerre suscite des dévoue-ments allant jusqu'au sacrifice suprême. Mais elle divise aussi les Français,très proches des réalités espagnoles. Le Front Populaire veille à la sécu-rité du port d'Oran et achemine des secours en hommes et matériel vers

l'Espagne. L'extrême-droite renseigne les Franquistes et mène une active

propagande pour la reconnaissance par la France du gouvernement natio-

naliste. L'acceptation enthousiaste du régime de Franco préfigure pourl'Oranie l'adhésion souvent fervente à la Révolution Nationale du maréchalPétain ">.

I. LA PRISKDE CONSCIENCEDU DRAMEESPAGNOL

Jusqu'aux élections législatives de juin 1936, les Espagnols ne partici-

pent pas à la vie politique nationale. Les abstentionnistes du premier tour

à Oran sont plus de 7 000 sur 35 000. Or leurs voix sont primordiales pour

départager les trois candidats, Gatuing (extrême-droite), abbé Lambert

(démocrate national) et Marius Dubois (socialiste)u.Pour s'attacher les Espagnols, l'extrême-droite lance l'offensive contre

Lambert. L'Écho d'Oran décrit la « terreur en Espagne » 12. A la suite de

Calvo Sotelo, le journal refait « le bilan des crimes en Espagne » : les

incendies d'Églises, de maisons particulières, les grèves générales, les émeu-

tes, les fusillades, les blessés et les morts :

Électeurs oranais, dites-nous, si vous aspirez à cette sorte de tranquillité ? Est-ce

que les candidats du Front populaire oseront vous déclarer que tout va bien dansla meilleure Espagne. Les promesses du Frente popular — c'est la terreur rouge 13.

7 P. CHAUNU,L'Espagnede CharlesQuint,t. 2, les statutsde puretéde sang,p. 469,permettentde comprendrele rapprochementau xix*siècle.

8. Cahiersde l'ordre,La Franc-maçonnerieà Oran,N" spécial,mars 1931.9. E. de BELEMa étudiédansun mémoirede maîtrisesoutenuà Toulouse,LesEspagnolsà Oran

1936-1940; mais il ne s'est appuyéque sur une partiedes journaux: Le Semeuret le PetitOranais.L'Echo d'Oran fournit bien plus de renseignementset Oran-Républicainconsacreraà partirde 1937une feuillespéciale,en espagnol,à la guerrecivile.

10.On trouverale détailde l'évolutionde la guerreciviledansM. GAIXO,Histoirede l'Espagnefranquiste,Paris,1969,et P. BROUÉet E. TEMIME,La révolutionet la guerred'Espagne,Paris,1961,ou L. URRUTIAet H. LAROSE,Introductionà l'Espagnecontemporaine,1971.

II. F. KOERNER,L'extrême-droiteen Oranie(1936-1940),Rev. d'Hist.mod. et cont., n" 4, 1973.12.Echod'Oran, 29 avril 1936.13.lbid., 30 avril 1936.

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478 BEVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

Le parti socialiste est indigné par cette vilenie tendant à représenter lesvrais républicains comme des brutes sanguinaires, prêts à tout incendier,à tout détruire.

Ces faux patriotes, écrit le Semeur, n'ont pas hésité à jeter le discrédit sur unenation amie et pour servir leur mauvaise cause ils ont osé insulter gravement les

républicains espagnols, les seuls qui dans la péninsule ibérique ont de tous tempstémoigné une vive et agissante sympathie à l'égard de notre pays 1*.

L'appel aux passions modifie quelque peu les positions du premier tour.Le Front populaire triomphe dans la personne de l'instituteur Dubois. Ildoit sa victoire au renversement des alliances de l'électorat israélite d'Oranet à la détermination d'une partie de la population espagnole saluant dansl'avènement du Front populaire une ère de bonheur social 15.

L'hymne espagnol salue le départ du nouveau député pour le Palais

Bourbon, et, depuis l'Espagne, la fédération socialiste d'Alicante applauditau triomphe des socialistes en Oranie 16. Elle confirme sa participationaux fêtes d'Oran avec Vincente Martinez Sansano, président de la Fédé-ration socialiste régionale et Angel Martinez, de Yayuntiamento d'Alicante.

Depuis 1934, en effet, les liens entre l'Espagne et l'Oranie se sont res-serrés. Chaque année, les représentants de la ville d'Alicante assistent aux

journées commerciales d'Oran ; en retour les autorités d'Oran se rendentaux magnifiques fêtes des Fogueras 17. En 1936 pour éviter tout heurt àl'occasion des fêtes, le maire Lambert s'entretient avec Sportisse (C.G.T.)et Zannettacci (P.C.) pour que les rencontres restent placées sur le planexclusif de l'amitié entre deux nations.

Début juin, la délégation d'Alicante arrive sur le Sidi Bel Abbès en rade

d'Oran. Hymne de Riego et Marseillaise accueillent la délégation présidéepar Carbonel, alcade d'Alicante. Le tourbillon des apéritifs et des vinsd'honneur commence. Le préfet et Mme Rousselot ouvrent le bal franco-

espagnol où brillent les « reines > de la ville amie. Banquet à Canastel,fête taurine à Eckmuhl. La braderie se prolonge au milieu de l'exaltation

générale 18.Au moment du départ, le comité oranais du Front populaire prie tous

les camarades de manifester leur sympathie aux amis du Front populaireespagnol en les accompagnant au bateau. La manifestation a ses imprévus.Sur les quais, l'Internationale et la Marseillaise s'affrontent en accents dis-cordants. Des banderoles se déploient : « Les Soviets Partout ! », c Démis-sion Lambert ! >, « Vivent les Rouges ! ». Le maire fait donner la police.Première manifestation de désordre et « d'anarchie » post-électorale.

Ulcéré par les manifestations au départ des autorités d'Alicante, au

moment de la fête des sociétés de gymnastique et surtout à l'occasion des

14.Le Semeur,9 mai 1936.15.Les rapportsde forcede l'électoratd'Orans'établissentainsi: 16000Françaisd'origineespa-

gnole,7000israélite,6000métropolitaine.Touslesquartiersvotenten majoritépourDuboissaufKarguentah,fidèleà l'abbéLambert(cf. Le Semeur,9 mai 1936).

16.Lettrede la CommissionExecutiveSocialisted'Alicante,Le Semeur,13 juin 1936.17.Oran-Malin,17 avril1936; discoursde Lambertà la sectiondesAmitiésLambertd'Eckmubl.

Le lecteurtrouveraun recensementdes journauxd'Oraniedansla RevueMaghreb,n* 9, 1970.18.Echod'Oran,6 au 11juin 1936.

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REPERCUSSIONS DE LA GUERRE D'ESPAGNE EN ORANIE (1936-1939) 479

premières occupations d'usines, Gabriel Lambert crée alors le « Rassem-blement National d'Action Sociale », formation de combat contre le Front

populaire 19.

Ainsi, avant que n'éclate la contre-révolution espagnole du 18 juillet 1936,l'extrême droite et le centre catholique mettent en place les thèmes politi-

ques de leur propagande. Peignant sous les couleurs les plus noires, l'évolu-tion de la nation voisine, ils annoncent la guerre civile prochaine dans la

colonie et l'emprise du marxisme sur tout le bassin occidental de la Médi-terranée.

L'idée de violence, de lutte fraticide, d'extermination n'est plus un thème

électoral. Elle correspond à une conviction profonde chez l'extrême-droite

jusqu'à la grande manifestation du 14 juillet où éclate la cohésion de lasociété coloniale. Nous pensons que c'est durant ces quelques semaines

(juin-juillet) que naît la détermination de la colonisation de s'opposer à

toute libéralisation du régime politique en Algérie. L'extension du suffragepolitique aux Arabes ne pourrait que renforcer la vigueur de la gauche.Or, les promesses de la gauche, selon elle, sont doublement dangereusesen société coloniale *. Cela explique le glissement de tout le centre catho-

lique vers l'extrême-droite et des signes de plus en plus nets de réactionsociale.

La ville de la Légion, par ex., se couvre d'inscriptions « Viva EspanaNueva 1», « Vive le Général Franco ! », « Vive le Roi ! », < A bas les Juifs ! ».

Sous les auspices de Bellat, Roquefère, Fagan, on y organise des quêtes

pour le recrutement de Marocains dans les environs de Melilla. Le vice-

consul républicain Maillol échappe de peu à un enlèvement 21. Depuis la

guerre d'Espagne, « L'Oranie est devenue le champ d'action des fascistes

espagnols qui se croient tout permis » &.

Or maintenant c'est au tour du Front populaire de craindre la guerrecivile et la prise de pouvoir par l'extrême-droite française. On sait queFranco a déjà visité Sidi-Bel-Abbès. Il n'est bruit que de trafic d'armes.

Les ligues fascistes d'Oranie seraient bien capables d'imiter les générauxfactieux d'Espagne. D'où la motion socialiste :

Considérant l'activité illicite et dangereuse du Rassemblement dit National, eten particulier des Unions Latines de Sidi-Bel-Abbès, organismes calqués sur des

ligues dissoutes ayant d'ailleurs comme à Mostaganem par ex., fait des démons-trations en armes.

Estime qu'une lutte de tous les instants doit être menée contre le fascisme...Demande en outre avec insistance au gouvernement du Front populaire afin

de parer au danger de sédition possible, d'envisager sans le moindre délai, lacollaboration des comités du Front populaire et de l'administration en vue de pré-parer l'armement des masses populaires pour le jour du déclenchement éventueldu Coup d'État fasciste 23.

19.Ibtd., 10 juillet 1936.Discoursde Lambertà Aïn-Temouchent.20.Gatuing,durantsa campagneélectorale,a déjà utiliséces craintes: «Le front dit Populaire

mèneà la Révolutionsanglante,le Front RépublicainNationalconduità la réconciliationdesFrançaiset à la Sécuritéde la Patrie(Echod'Oran,19 avril1936).

21.G. ESQUER,8 novembre1942,Paris,avril1946,p. 40 et ss.22.Le Semeur,du 22 août 1936.23.LeSemeur,22 août 1936.Lesmêmesthèmessontdéveloppéspar MarcelRégis,députéS.F.I.O.

Alger,à la Casade Espana.

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480 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

Puis la stupeur initiale s'estompe au fil des jours 2*. Des lettres d'Alicanteet de Murcie disent la détermination du peuple espagnol de barrer laroute au fascisme 25, Paul Quilici, rédacteur à Marseille-Socialiste, donne la

primeur de son reportage au journal socialiste d'Oran. Il y exprime lacertitude que Franco sera vaincu 2*.

Mais, à la fin de 1936, il faut déchanter. La guerre d'Espagne sera dureet longue. La Tribune des femmes socialistes mobilise le groupe sur lethème « de l'aide à nos soeurs espagnoles ». Peu avant Noël, une réuniond'information se tient salle Jaurès en présence de Gomariz de la Torre,consul général d'Oran et de Miaja, fils du général défenseur de Madrid.De jeunes miliciens sont de retour du combat. Léo Palacio, secrétaire des

Jeunesses socialistes, fait le récit des combats autour de Madrid. L'émotion

étreint Jeanne Coulon, secrétaire fédérale adjointe, qui exprime en publicses doutes sur la politique de non-intervention de la France. Ces doutes se

renforceront au cours de 193727.

II. LE FRONTPOPULAIREET LA GUERRED'ESPAGNE

Le port d'Oran déploie durant toute la guerre d'Espagne une neutralité

très positive à l'égard de la République espagnole. Matériel, homme? et

dons sont acheminés vers la Catalogne et les provinces du Levant. Plus

qu'ailleurs aussi les formations de gauche, socialistes compris, sont sensi-

bles à l'impuissance de la politique française.Durant le Front populaire et, aussi, au temps des accords de Nyons

et de Londres, Oran sert de port de transit aux armes, matériel et muni-

tions destinés à l'Espagne républicaine. Situé à 300 km d'Alicante et de

Carthagène, Oran permet aux bateaux de faire la traversée en une nuit.

Les cargos russes venant d'Odessa sont assurés par des Compagnies

anglaises. En cas de danger, une clause du contrat leur ordonne de rejoin-dre « de préférence un port algérien et Oran en particulier > 28.

En cas d'insécurité, les transbordements ont lieu durant la nuit «air trois

ou quatre navires français. Les caisses d'armes et de munitions sont entre-

posées dans les soutes et recouvertes de charbon. Les départs sont échelon-

nés pour tromper les commissaires du comité de non-intervention.Les Compagnies locales tirent profit de ce commerce de guerre. Une

tonne de matériel en direction de l'Espagne est payée 250 frs contre 50 frs

en temps normal. Le travail à quai est réalisé par des équipes spécialesformées de dockers sûrs. Jusque vers la fin de 1937 rien ne transpire sur le

trafic. Après le Front populaire les dockers deviennent plus loquaces et ne

font aucune difficulté devant le reporter de VÊcho iïOran,

L'arrivée dans les ports espagnols est organisée avec beaucoup de minu-

tie comme le prouvent les acheminements de camions-citernes russes,

24.Les Oranaisavaientd'aborddemandél'évacuationde tous leurs parentsde la régiond'Ali-cante.Le SidiBachirfut dépêchésur les lieuxpar la CompagniedesTransportsMaritimes.

25.Lettresd'EspagnolsdansLe Semeurdes 15août 1936et 3 octobre1936,en particulierPenalva.commissairegénéraldes arméesde la Républiqueen Basse-Murcie.

26.Le Semeur,3 et 10octobre1936.Ce que j'ai vu en Espagne....27.Le Semeur,19décembre1936.28.L'Echod'Oran,13et 14août 1938.Enquêtesde F. Ellul.

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REPERCUSSIONS DE LA GUERRE D'ESPAGNE EN ORANIE (1936-1939) 481

arrivés le 28 juillet 1938 par le vapeur anglais StmhàU et réembarquéssur trois cargos quelques jours plus tard.

Accostage en zone neutre, échange de conducteurs, le plein d'essence,le survol par avion, tout est prévu jusqu'à l'arrivée à Barcelone.

Mais quelle a été l'ampleur du trafic ? Une notation partielle montre une

augmentation de 250% par rapport au temps de paix.

Nombre de bateaux

Juillet 1935 Arrivées d'Espagne 5 Départ vers l'Espagne 9

Juillet 1938 « « 19 < 17

On ne saurait conclure de là à une ampleur extraordinaire. A la fin de

1937, la propagande électorale veut que le port soit en plein marasme.

Peut-être ne s'agit-il que d'un effort momentané de la flotte russe.

En.tout cas ce trafic est jugé assez important pour que l'extrême-droite

le surveille de très près. En novembre 1937, une sixième perquisition a

lieu chez un chirurgien-dentiste d'Oran, Berge, un des chefs PSF, soup-

çonné d'intelligence avec l'armée de Franco *. Sa femme, arrêtée sur la

frontière algéro-marocaine est en possession de documents destinés aux

nationalistes de Melilla. Ils contiennent le détail du mouvement des ba-

teaux français, anglais, russes, espagnols et le croquis des silhouettes des

navires. Cette découverte au moment de l'affaire de la Cagoule ferait-elle

partie d'un plan de subversion plus général? Nous ne saurions le dire,bien que les Archives Marocaines laissent entendre la peur d'un putschen 1937. En tout cas, l'intervention de l'aviation franquiste a dû y gagneren efficacité 30. Elle ne saurait pourtant arrêter le passage des hommes.

Le recrutement des volontaires tant espagnols que français s'opère dès

le 22 juillet 1936 au Centra Cultural d'Oran. Le Front populaire n'y est

pas étranger ; ses membres se chargent de conduire les intéressés jusqu'aubureau de recrutement. Les citoyens espagnols ne perçoivent pas d'indem-

nité, les Français recevraient 25 pesetas par jour. Trois bateaux sont en

partance à Oran et Arzew 31.

Le mouvement devient régulier à partir du mois de septembre 1936

grâce aux appels de fonds pour l'envoi d'hommes en Espagne 32 : des

départs isolés sur le Jaime 11, un contingent pour Alicante sur la Ciudad

di Ibiza, une centaine de volontaires français sur YEl Kantara en direction

de Port-Vendres s3.

L'activité du Centro Cultural est doublée, malgré ses difficultés finan-

cières, par celle du Consulat Espagnol. Parmi tous les volontaires se dégagela personnalité du Commandant Pasquet. Né à Oran, il s'engage dans les

Brigades Internationales et devient l'agent de recrutement au Maroc fran-

çais et en Algérie3*.

29.29.L'Echod'Oran, 19 novembre1937.30.Ibid., 19mai 1937,cas d'attaquesaériennessur descargoset un chalutierd'Ane*.31.L'Echod'Oran,23 juillet1936.32.Ibid.,2 septembre1936.33.Ibid.,4 septembre,S octobre,20 novembreet 18décembre1936.34.E. DEBBLEM,mémoirecité.

31

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482 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

Le Maroc fournit avec Oran les contingents les plus importants. Volon-taires de Casablanca et républicains de la zone espagnole transitent parOujda et Oran. En sens inverse, les Espagnols nationalistes d'Algérie ga-gnent le Maroc espagnol.

L'Espagne républicaine tente aussi de recruter des indigènes algériensqui feraient pièce aux Marocains de l'armée de Franco. Les journaux fontétat de ces isolés qui se retournent parfois contre le Front populaire. L'ex-trême-droite les manipule, en réalité, à leur retour, pour dresser un tableaudes horreurs de la guerre « communiste ».

Engagé par le parti communiste qui m'a odieusement trompé, je suis parti clan-destinement sur le Jaime II caché dans la cale, afin de me battre pour ce quiétaient alors mes idées.

Le 3 janvier [1937] j'arrive à Alicante d'où je partis le même jour pour Albacete.On m'a habillé et pendant sept jours, moi qui n'avais jamais subi d'instructionmilitaire, l'on m'a fait faire quelques vagues exercices, et, là, on m'a envoyé àQuatro Caminos, dans le secteur d'Arache. J'ai été incorporé dans la 2e BrigadeInternationale. Ma vie était intenable. Les Musulmans étaient seuls en premièreligne, commandés par une majorité d'officiers russes.

Quant à ma solde, on m'avait promis 10 pesetas par jour, je n'ai jamais rien reçu.J'ai réussi à fuir cet enfer grâce à mes parents qui ont porté plainte. Et j'ai

dû déclarer que ma mère était gravement malade. Quand j'ai dit cela à Marty,notre chef instructeur, il m'a injurié et m'a dit : «Tu n'es pas digne d'être unrévolutionnaire »36.

On ne saurait démêler ici la part de vérité et de propagande. De même,il est très difficile d'estimer le nombre de personnes enrôlées dans les années

républicaines. L'extrême-droite fait état de 6 000 engagement dès septem-bre 1936. C'est une exagération évidente d'autant plus que engagementne signifie pas toujours départ**.

Le recrutement de volontaires est officiellement interdit en février 1937 37.Les nouvelles se font dès lors plus discrètes. On ne relève plus que desarrivées de cars du Maroc et les volontaires seraient conduits en barqueà la sortie du port.

Beni-Saf, port côtier à peuplement presque uniquement espagnol, està la pointe de la solidarité envers l'Espagne républicaine. Dès septembre1936 il s'y forme une commission de solidarité qui lance un appel à desfonds et des vaccins. L'argent est envoyé sur Paris 38.

Au fur et à mesure de l'extension des combats, la coordination de l'aidese fait sentir. En mai 1937, naît le Comité algérien d'aide au peuple espa-gnol. Il réunit le comité Francisco Ferrer, le Secours Populaire, le Comitéanti-fasciste espagnol et italien, le comité franco-espagnol, etc... 39. L'effortle plus net est réalisé à Oran par les groupes Jules Guesde et Jean Jaurès

35.L'Echod'Oran,21 février1937.Une réunionF.S.F.à Tlemcen.36.Le Petit Oranals,21 septembre1936.37.L'Echod'Oran, 19 février1937.38.Le Semeur,5 septembre1936.PrésidentJeanTuso.J9. PrésidentDalaillon; parmi les membresse trouvele nom d'AlbertCamusavecla mention

Maisonde Culture.(Le Semeur,22mai 1937.)

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REPERCUSSIONS DE LA GUERRE D'ESPAGNE EN ORANIE (1936-1939) 483

(Marine et Hôtel de Ville). Les dons sont centralisés au bar Jeannot. Aplusieurs reprises le consul Gomariz remercie ses amis oranais *>.

Ces appels à la générosité maintiennent en éveil la population oranaisesensible au sort des victimes de la guerre. Elle vole au secours des enfants

d'Espagne, des enfants de Bilbao 41. Le mouvement de solidarité culminelors de la « Journée Nationale de Secours à l'Espagne >, le 25 décembre1938. Partout, jusque dans les bleds les plus reculés, à Aïn el Arba, à

Mecheria, à Bou Hanifia, des comités locaux sont mis sur pieda.Mais la générosité seule ne saurait suffire ; aussi le parti dominant du

Front populaire est-il fortement secoué par l'évolution de la guerre d'Espa-gne. Le drame des Asturies, la proposition d'action commune du Particommuniste et les articles de l'Humanité ont un grand impact en Oranie.La conférence du Parti Socialiste, à Bastrana, en décembre 1937, est hou-leuse. La plupart des assistants sont favorables à l'ouverture des frontièreset les explications du député Dubois sur la vente des armes et le maintiende la Grande-Bretagne dans l'axe démocratique paraissent bien spécieuses **.

La victoire républicaine de Teruel calme un moment les impatiences.Au printemps de 1938, les socialistes d'Oran demandent la reprise des rela-tions commerciales avec l'Espagne, la surveillance étroite de la frontièremenant en zone riffaine et l'interdiction absolue du recrutement en zone

française au Maroc **.Cest que le parti socialiste est alors doublement menacé et dans son

recrutement et dans son unité. A la base, les Jeunesses Socialistes ne ces-sent de demander l'unité d'action avec le parti communiste. Le dangerfasciste les renforce dans leur résolution* 5. Chez les aînés, l'exclusion dela Fédération de la Seine — Marceau Pivert — crée des remous. La librediscussion ne saurait constituer un cas d'indiscipline et au Congrès de

Royan trois mandats d'Oran vont à la gauche révolutionnaire 46.

Par ailleurs les communistes ne se formalisent plus pour lancer des atta-

ques contre les socialistes. Zannettacci stigmatise les faiblesses du Front

populaire *7 et à la fin de la guerre mondiale les Espagnols créeront leur

propre parti socialiste en Oranie.

III. LE COMBATFRANQUISTEDE L'EXTRÊME-DROITEEN ORANIE

L'extrême-droite d'Oranie naît au lendemain des élections législativesde 1936 par défi au Front populaire. Elle se lance dans l'action clandes-tine au profit de l'Espagne franquiste. Sa propagande aidée par les natio-

40.Les donssont modesteset la gestiondes fondsest à l'occasionde querellesentresocialisteset communistesà moinsque ce ne soit un prétexte.

41.Févrieret juillet1937.L'Echod'Oran du 14 juin 1938signale,entre autres,l'arrivéede 82orphelinssur le paquebotEl Mansouret reçuspar la C.G.T.

42.Bilansde collectes.Le Semeur,29 octobre1938.43.Le Semeur,6 novembre1937.Articlede L'Humanitédu 25 octobre1937.Propositiond'action44.Oran-Socialiste,26 mars 1938.

commune.45. Ibid.,12novembre1938.46. Ibid.,18juin 1938.Départ du parti socialistede Jacquiau,Krihiff,Zemor,Obadia,Ruftt

(cf. n* du 5 novembre1938).47.Oran-Socialisle,31décembre1938: • LeFrontPopulaire.Sesfaiblesses•. VoiraussiJ.P. Rioux,

Révolutionnairesdu Front Populaire,Paris, 1973.

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484 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

naux espagnols a un triple but. Sur le plan local elle cherche à regrou-per les immigrés espagnols dans le combat antimarxiste. Sur le plan algé-rien elle espère renouer, sinon accroître, les relations avec l'Espagne Nou-velle. Sur le plan national, elle vise à détruire la politique neutraliste duFront populaire au profit d'une reconnaissance de Franco, des fascismesméditerranéens et éventuellement de ceux d'Europe centrale.

Plusieurs courants plus ou moins autonomes fusionnent au sein del'extrême-droite oranaise : patriotique, royaliste, colonialiste, promussoli-nien et surtout antisémite. L'antisémitisme est en effet une constante de lavie politique oranaise. Il remonte aux âpres disputes autour des terres decolonisation (vers 1870-1875), culmine lors de la crise de 1898 et se per-pétue après la première guerre mondiale dans les « Unions Latines » desmaires Molle et Menudier à Oran (1921-1934) et du maire Bellat à Sidi-Bel-Abbès (1929-1936). En 1934, la liste antisémite d'Union latine d'Orandemande l'interdiction de toutes les carrières d'État aux Juifs.

Or la nouvelle municipalité d'Oran, née en 1934, d'une réconciliationentre l'électorat de tendance catholique et antisémite, ne résiste pas à lasecousse de 1936. Le maire Lambert, opportuniste dévoré d'ambition ne

pardonne pas le lâchage des Israélites en faveur du Front populaire. Favo-rable au fascisme italien, puis espagnol, il se rend en Espagne dans l'été

1937, rencontre des chefs militaires en Andalousie et est reçu par Francoà Burgos. A son retour, il transforme ses comités électoraux, « les AmitiésLambert », en « Amitiés latines ». Convaincu de la victoire de Franco, ils'efforce de souder le bloc franco-espagnol d'Oran au moyen de ce « parti-mouvement », plus ouvert à la population espagnole immigrée que le P.S.F.ou le P.P.F. Contre le Front populaire, il précise après les élections canto-nales de 1937 le rôle des Amitiés Latines :

Pourquoi les Amitiés Latines ?Seuls les Latins français, d'origine métropolitaine, d'origine espagnole ou d'ori-

gine italienne (comme d'ailleurs les Musulmans (sic) peuvent s'entendre et secomprendre, parce que seuls ils possèdent politiquement parlant une conscienceindividuelle. En face de ces consciences individuelles se dresse un bloc racialattaché uniquement aux principes de l'Internationale, faisant abstraction de touteconsidération d'esprit critique, de jugement, de bon sens pour voter race et voterinternational afin de pouvoir dominer demain en profitant de la division desLatins *8.

Le Manifeste signé par les conseillers municipaux d'Oran est débattudevant le public par Calderon, le Docteur Maraval et Lambert. Au prin-temps le nouveau parti inaugure son siège central. Il comprend sept sec-tions et 5 000 adhérents à Oran. Les Jeunesses latines sont dirigées parSauveur Lopez et Camille Botella. Les Amitiés Latines féminines assistentà des matinées récréatives et des Musulmans font partie de sections « indi-

gènes » ou « de sections de Français d'origine musulmane » <•.

41.L'Echod'Oran,14novembre1937.49 Ibid., 3 avril 1939.Ces sectionssont dirigéespar Kadderet Benabou.Quantaux matinées

récréatives,il s'agit d'abord de projectionsde films privés sur la journéedu 14 juillet1936.

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REPERCUSSIONS DE LA GUERRE D'ESPAGNE EN ORANIE (1936-1939) 485

Sur le plan algérien, l'attaque est menée aux Délégations Financières

par Paul Bellat, président de l'Union Latine de Sidi-Bel-Abbès. Celui-ciincite la colonisation à reprendre ses relations commerciales avec l'Espagnefranquiste. Faisant abstraction de l'ancienne concurrence sur le marché duvin métropolitain, le délégué financier voit dans le marché espagnol undébouché pour le blé, le tabac, et le minerai de fer. Inversement l'Espagnefournirait à l'Algérie de la laine, des peaux brutes et des pyrites 51.

Mais les intérêts de la colonisation algérienne dépendent de la politiquefrançaise. Aussi l'extrême-droite combat-elle pour la reconnaissance des

régimes fascistes. Elle prône l'union des trois peuples latins, France-Italie-

Espagne. Elle loue Franco et voit en lui l'homme providentiel qui a « surétablir l'ordre et la discipline, le respect de la propriété privée et da. la

personne humaine au milieu du désordre et de l'avachissement des intel-

ligences >.Au-delà des intérêts purement matériels, tous les élus nationaux deman-

dent, à l'instar du Manifeste des Intellectuels français (Claudel-Goyau,Madelin) la reprise des relations avec l'Espagne franquiste.

Au moment où la victoire de Franco s'avère de plus en plus évidente, confor-mément d'ailleurs à nos désirs, il serait utile que tous les intellectuels de l'Afriquedu Nord demandent à leur tour la reconnaissance du généralissime Franco poursauvegarder les intérêts français matériels et moraux et pour affirmer une fois de

plus les liens étroits de civilisation, d'amitié et de sang qui unissent ces deux

grands peuples latins 52.

La motion est signée ultérieurement par les hommes du barreau, des

médecins, des notaires, les maires du bled et le groupe du journal L'Oranie

populaire M. Cest un texte qui révèle l'esprit de classe, de caste colonialeoù manque la note prolétarienne, les ouvriers refusant de signer par< crainte de représailles ».

Tous ces thèmes locaux, nationaux, internationaux sont rassemblés dans

l'interview de Franco à Burgos. C'est l'exposé le plus complet de la doc-trine fasciste espagnole dans ses rapports avec les puissances occidentales.

Nous ne donnons que quelques extraits par suite de sa longueur :

Franco : Avec la France, nous unissent des liens que nous ne voulons pas rom-

pre et ce que Cervantes appelait « la force du sang » ne nous per-mettrait pas d'oublier. Je désire sincèrement un rapprochementavec le pays voisin. J'aspire à ce que notre amitié soit fraternelleet j'oublie sans effort le grand et continuel préjudice que nous fontvos gouvernements actuels.

Demande : Comment concevez-vous l'Espagne de demain au point de vue social ?Franco : L'Espagne sera un État national-syndicaliste avec les primordiales ar-

mes de Patrie, Hiérarchie, Fraternité : Tous égaux dans une Espa-gne grande et libre ; le droit au travail pour tous ; l'aide au frère,l'intangibilité de l'unité nationale, l'interprétation de l'idée chré-

51.L'Echod'Oran,28novembre1937.Compte-rendude la séancedesnon-colonsd'Algérie.52. Ibid., 12 décembre1937.Compte-rendude la réunionau CasinoBastrana.53.L'Echod'Oran. Listesd'adhérentsle 5 et 7 janvier1938.Nousn'avonspu trouveraucun

exemplairedu journaldu P.P.F. à Oran.

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486 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

tienne dans les relations sociales, suppression absolue de l'idée delutte dans les conventions du travail ; obéissance et respect des

décrets, des lois et des hommes qui représentent l'État... 54.

L'intervention directe de Franco dans la vie politique française ne man-

que pas de créer des dévouements, à la fois chez les Français et les Espa-

gnols : action au grand jour dans le cadre des Unions Latines de Sidi-Bel-

Abbès et de la Croix Rouge espagnole. Celle-ci alimente au moyen de collec-

tes de fonds et de kermesses les hôpitaux espagnols avec la participation des

phalangistes de Melilla. L'action clandestine semble plus importante encore.Elle est patronnée par la Caméra oficial de Commercio, puis YAsoncncion

Hispano-Francesa de Assistencia Social appelé aussi El Socorro Blanco.

C'est YAssistencia Social qui sert de couverture à la délégation franquiste

dirigée par Baeza Dois, ancien président de la Chambre de Commerce 55.

A partir de la chute du Front populaire, la propagande d'extrême-droite

s'exerce sans retenue. L. Bellat exalte à Radio-Séville l'oeuvre réalisée parFranco et son hôte, le général Queipo de Llano. Aux Amitiés Latines,Raoul Follereau propose des voyages organisés depuis Paris en zone fran-

quiste et ouvre une collecte nationale pour la reconstruction des églises.Les victoires franquistes de 1939 déchaînent l'enthousiasme, un enthou-

siasme d'autant plus indécent qu'Oran accueille chaque jour davantage les

malheureuses victimes du ressac révolutionnaire des provinces du Levant M.

Fête de l'amitié franco-espagnole à Tiaret ; banquet pour la prise de Barce-

lone à Sidi-Bel-Abbès 5T, liesse générale à la nouvelle de la démission du

président de la République Azana et de la reconnaissance du gouverne-ment de Franco. Et tout cela aux sons de l'hymne des phalanges et aux

acclamations des amis de l'Oranie Queipo de Llano, Beigbeder, le marquisde Valdicanes et du colonel Bermejo. Des télégrammes de félicitations

vont au général Franco depuis Mascara et Perregaux.Pendant ce temps, les nouvelles autorités prennent possession de leurs

consulats. Marfyl, ancien maire de Melilla, s'installe à Sidi-Bel-Abbès, Casa

Ponce de Léon devient consul général à Alger et l'ancien agent de liaison

du général Pétain, F. Laminana occupe le poste d'Oran. La ville pavoiseaux couleurs sangre et oro. Dépôt de fleurs aux monuments aux morts, ré-

ception à l'Hôtel de ville5».A tant de haine déguisée, correspond réditorial désabusé d'Oran-Répu-

blicain qui clôt ce premier chapitre d'affrontement entre les populations

algériennes :

Journée de victoire pour le fascisme, écrit Rougé. Les gouvernements démocrati-

ques de France et de Grande-Bretagne reconnaissent de jure le gouvernement du

54. Ibid.,13décembre1937.Sur la réalisationde ce programmevoirJ. GEOKOEL,Le Franquisme.Histoireet bilan,1939-1969,Paris,1970,ou G. HEKMET,La Politiquedansl'Espagnefranquiste,Paris. 1973.

55.E. DEBELEM,mémoirecité.56.Nousn'insisteronspas sur ce chapitredu passagedes Républicainsà Oran (La Pasionarla,

p. ex.)ou de leur internementdam lescampsalgériens.L'arrivéedes bateauxde réfugiésestbienrecenséepar E. de Belem,mémoirecité.

37.Oran-Matin.20 février1939.58.Oran-Matin,V et 2 mars 1939.

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REPERCUSSIONS DE LA GUERRE D'ESPAGNE EN ORANIE (1936-1939) 487

général rebelle, avant même que celui-ci ait définitivement triomphé du régimelégal de son pays.

Pour les 200 familles, la victoire de Franco est aussi leur victoire ; leur patrien'est pas la France, mais l'Internationale fasciste, leur adversaire possible n'est

pas l'étranger, mais la classe ouvrière de leur peuple 68.

CONCLUSION

Plus que la métropole, plus que le reste de l'Algérie, l'Oranie s'est sentieconcernée par la guerre d'Espagne. Celle-ci a creusé un fossé immenseentre les formations politiques, elle a renforcé l'extrême-gauche et fortifiél'extrême-droite. Fascisme et antifascisme se livrent une guerre larvée dont

le véritable enjeu est le régime politique en Méditerranée occidentale.

Au moment de la victoire de Franco, les fascistes de souche espagnoleexultent. Une minorité d'entre eux, au nom des droits historiques, s'éveilleau vieux rêve impérial et aimerait voir l'annexion de l'Oranie à l'Espagnefranquiste. Une mise en garde sévère de l'évêché d'Oran met une sourdine

à pareille propagande 60.

Parmi les Français, la division des esprits est encore plus forte. Cestla consécration des maires Lambert et Bellat dans le clan fasciste. En

revanche, les partisans du Front populaire ressentent une double défaite

après l'échec de l'expérience Blum et la chute de la République Espagnole.Mais il n'y aura pas de trêve. L'extrême-droite française fournira des recruesà la Légion anti-bolchevique et ses partisans P.P.F. demeurés sur placeobtiendront la plupart du temps leur amnistie en se faisant enrôler dansl'armée de Libération. D'un autre côté, les anciens tenants du Front Popu-laire formeront le tissu vivant de la Résistance qui prendra sa revanche au

moment de l'installation du Comité Français de Libération Nationale 61.

Francis KOERNEB,Université de Clermont-Ferrand.

39. Oran-RipubUcain,28 février1939.60. MaxGALLO,Histoirede l'Espagnefranquiste,op. cit., p. 110,et La Guerreen Méditerranée,

1939-1945,Paris,1971,p. 711— princip.télégrammede l'ambassadeuren Espagne,Stohrer.Lettrepastoralede MonseigneurL. Durand,dans la Semainereligieusedu diocèsed'Oran,n* 47 du 23 novembre1940.

61.Sur la rivalitéde Gaulle- Giraudet ses implicationsalgériennes,voir J.B. DUKOSELUetA. KASPI,«Considérationsur la politiqueet la stratégieen Méditerranée», in La Guerreen Médlterrannée,op. cit., p. 373.