louis baudin. la monnaie. ce que tout le monde devrait en savoir

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  • LA MONNAIE Ce que 10", le monde

    4ewoif en so"oir

  • DU M:eME AUTEUR

    L'Empire socialiste des Inka, Institut d'Ethnologie, Paris, 1928.

    La vie de Franois Pizarre, N.R.F. Gallimard, Paris. 1930. Le crdit, ditions Montaigne, Paris, 1934. La monnaie et la formation des prix, Librairie du Recueil

    Sirey, Paris, 1936 (ouvrage couronn par l'Institut). Les illusions du crdit, ditions Lvesque, Montral, 1936~ L'utopie sovitique, Libririe du Recueil Sirey, Paris, 1937. La monnaie, ce que tout le monde devrait en' savoir, Librairie

    de Mdicis, Paris, 1938. (Traduction espagnole, Librerla Hachette, Buenos-Aires, 1939; traduction portugaise, Libra-ria Martins, Sao-Paulo, 1940).

    La rforme du crdit, Librairie gnrale de Droit et de Juris-prudence,Paris, 1938. ,

    Le systme non rglement des relations conomiques interna-tionales, source de paix ou de guerre,? Institut international de Coopration intellectuelle, Paris, 1939.

    Le mcanisme des prix, Librairie gnrale de 'Droit et de Juris-prudence, Paris, 1940.

    Le corporatisme, Librairie gnrale de Droit et de Jurispru-dence, Paris, 1941. - Nouvelle dition, Paris, 1942.

    Prcis d'histoire des doctrines conomiques, ditions Domat-Montchrestien, 3" dition, Paris, 1943.

    L'conomie dirige la lumire de l'exprience, amricaine, Librairie gnrale de Droit et de Jurisprudence, Paris, 1941.

    Essais sur le socialisme : Les Incas du Prou, Librairie de Mdicis, 2" dition, PariS, 1944.

    La consommation dirige en France en mamre d'alimentation (en collaboration avec Mme Baudin), Librairie gnrale de Droit et de Jurisprudence, Paris, 1942.

    Le problme de. lites, ditions de l'Institut d'tudes corpora-tives et sociales, Paris, 1943.

    Manuel d'conomie politique, Librairie gnrale de Droit et de Jurisprudence, 2 vol., Paris, 1944.

  • LOUIS BAUDIN Professeur la Facult de Droit de Paris

    LA MONNAIE Ce que tout le monde

    devrait en savof,r

    NOUVELLE DITION REVUE ET AUGMENTE

    PARIS LIBRAIRIE DE Ml!:DICIS

    1947

  • Tous droits rservs.

  • LA MONN AIE

    CHAPITRE PREMIER

    LA MONNAIE SE FORME SPONTANMENT

    Comment un paysan franais ayant des lettres noterait ses observations sur son livre de raison si le franc Iranais, descendant la pente des inflations et des dvaluations, perdait presque compltement sa valeur, comme le fit le.,mark allemand en 1923 : '

    (( J'arrive sur la place de mon village, dj grouil-lante de monde, et je dpose mes pieds les produits de ma fenne : des paires de poulets, ficels par les pattes, et des paniers oildes mottes de beurre, enve-loppes dans des feuilles, 'reposent sur un fonc;t 'd'ufs frais et lisses. Je ne suis pas sans inquitude, car les billets de banque, dont nous avions coutume de nous servir dans le pays, sont refus~s par tout le monde depuis que le gouvernement les. a mis par tombe-reaux entiers. Il en faut dj ~ne pleine brouette pour payer le pain ou la viande du' mois. Nous sommes donc un. peuple sans monnaie. Comment les choses vont-elles se passer ? . . ,u Je me suis install pres du marchand de poteries, car je convoite quelques bols polychromes, aligns Bur un trteau de bois comme des soldats la revue. Un voisin du bas-bourg nous rejoint, portant sur son

  • 8 LA MONNAIE

    paule des chles et des foulards, parmi lesquels je compte bien choisir ce que la mnagre a prcisment dit de lui 8.cheter. La conversation s'engage. Nous .nous apercevons que chacun de nous dsire une partie de .ce que les autres possdent. Voil qui va bien. Or il se trouve qu'au bout d'un instant de discussion, nous sommes si bien embrouills dans les changes beurre-poteries, poulets-chles, chles-poteries, ch .. les-ufs ... , etc., que nous n'y comprenons plus . rien. Je propose alors de prendre pour unit un uf. Tout s'claire: nous tombons d'accord sur l'estimatoB de mon beurre, de mes poulets, de leurs chles et de leurs bols en tennes d'ufs. Nous discutons encore, parce qu'une affaire entre gens de bien ne se traite pas la va-vite, comme une mala

  • LA MONNAIE SE FORME SPONTANMENT 9

    d'instrument d'change. C'est bien de l'honneur pour eux.

    Une heure aprs, comme je quitte le caf du Commerce, o j'ai dignement termin la matine, je rencontre mon reboute~x. J'ai gard une dou-zaine de vos ufs, me dit-il, je me servirai d'eux pour acheter des ptes demain; l'picier est aujour-d'hui compltement dmuni. Il Mes ufs vont remplir une troisime fonction montaire, celle de rservoir de valel.l1'; d'instrument d'pargne. Ils sont une vri-table monnaie.

    Il Ne convient-il pas, puisqu'il en est ainsi, d'estimer mes ufs plus que je ne rai fait jusqu'ici? Ce choix Batteur dont ils viennent d'tre l'objet ne justifie-t-il pas de ma part ne hausse de leur prix? Ils ont acquis une valeur montaire qui s'ajoute leur valeur commerciale, et je m'ert rjouis. Mais, deux jours plus tard, un voisin qui vient me voir rpond sans le vouloir aux questions que je me suis poses; il m'apprend que le rebouteux, tout malin qu'il est, a but contre une pierre, qu'il est tomb, que son panier s'est renvers et que les ufs ont fait une omelette, la grande joie des gamins. J'en conclus que m~m raisonnement est exact dans le cas d'une bonne monnaie, mais que le.s ufs sont une mauvaise

    . monnaie, et toute leur gloire s'vanouit mes yeux ...

  • CHAPITRE II

    LA MONNAIE SE FORME GRADUELLEMENT:

    DES BLOCS DE SEL AUX CHIFFRES EN BANQUE

    Mesure de valeur ou dnominateur commun, moyen d'change, rservoir de valeur ou instrument d'pargne, telle$ sont les trois fonctions de la monnaie que nous venons de dgager la fois dans leur ordre historique et dans leur ordre logique. Mais notre exemple a abouti un chec. Quelles conditions sont donc ncessaires pour qu'une monnaie puisse circuler? Il n'yen a qu'une : elle doit tre accepte par les changistes (1).

    Pour tre accept comme dnominateur commun, l'oqjet devenu monnaie doit tre divisible, 'homogne, et prsenter une grande valeur sous nn faible volume: ' la circulation exige de telles commodits. Pour servir de moyen d'change, cet objet doit bnficier d'une demande gnrale. Pour jouer le rle de rser..; voir de valeur, il doit tre durable et de valeur cons-tante.

    Les premires conditions sont remplies par bien des marchandises, mais la ncessit d'tre demand

    (1) Pour tous les dtails relatifs aux origines et l'volution de la monnaie, voir notre ouvrage, La monnaie et la formation des prix, Section II, et les deux volumes de M. R. Gonnard, Histoire des doctrines montaires, Paris, 1935 et 36.

  • LA MONNAIE SE FORME GRADUELLEMENT 11

    lIDplique que l'objet choisi est d'usage courant, tels que les blocs de sel ou les parures. Quant la dernire condition, elle n'est jamais satisfaite : la monnaie est toujours instable, puisque la valeur consiste dans l'estime que les hommes ont d'une chose et puisque cette apprciation se modifie. Si, par exemple, cause de quelque dcouverte, l'or devient surabondant, il sera moins pris, il perdra de sa valeur.

    Parmi les marchandises, les mtaux prCieux ont t, ds les temps anciens, regards comme parti-culirement aptes servir de monnaie. ns rpondent aux exigences que nous,venons d'numrer, sauf la dernire. Encore leur-instabilit est-elle' moindre que celle des autres produits (1).

    Dans les socits primitives, circulent uniquement des monnaies-marchandises, capables d'tre, gardes pour tre transmis~ ou d'tre utilises immdiate-ment. Le circuit montaire peut tre tout' instant rompu par la consommation de son objet. L'or qui sert au paiement risque d'tre immobilis souS forme de collier ou de bracelet.

    Lorsque les .changes se multiplient, le caractre de marchandise s'efface et celui de inonnaie s'affirme. L'objet apte remplir les fonctions que nous avons nonces est de plus en plus frquemment utilis comme intermdiaire entre l'acheteur et le vendeur. Il tend alors s'adapter sa mission, il se simplifie, il lie stylise" sa forme ne rappelle plus que vaguement son origine. Ainsi le couteau, monnaie-marchandise dans la Chine ancienne" grand et incommode, se

    '(1) Le mtal jouit encore des proprits d'ordre psychique et d'ordre thrapeutique dont les anciens faisaient grand cas. n avait' frquemment un sens religieux. Voyez B. Laum, Beiligu Geld, Tllblngen, 1924.

  • 1~ LA MONNAIE

    rtrcit graduellement ;sa lame s'amenuise jusqu' disparatre et seul demeure le. manche, rduit une rondelle perce d'un trou: la premire pice,

    Les marchandises ou signes mo~taires, identiques les uns aux autres, peuvent tre compts : tant de coquilles pour tel objet. Mais le mtal prcieux se pse, puisque sa valeur est proportionnelle au poids. Pour le compter galement, l'ide vint de le monnayer, c'est--dire de le diviser en pices de dimension et de titre uniformes et d'appliquer sur chacune d'elles une empreinte destine certifier le poids, le titre ou les deux- la fois (1). Le droit de frappe consiste dans le droit d'apposer cette empreinte. Les pouvoirs publics l'ont partout monopolis Il leur profit : premire forme de l'intervention de l'~tat, suivie de beaucoup d'autres.

    On appelle brassage les taxes prleves lors de la frappe, titre de paiement des frais d'otillage et de main-d'uvre, et seigneuriage le supplment peru titre d'impt. On dit que la frappe estlibre,non pas quand chacun peut frapper sa monnaie, mais quand tout dtenteur de lingot pet faire convertir ce lingot en pices, la seule condition de payei' le brassage et le seigneuriage. Toute monnaie qui jouit de la frappe libre et d'un. pouvoir libratoire illimit, c'est--dire qui doit tre lgalement accepte en paiement de dettes d'un montant quelconque, se nomme talon.

    Le mtal est commode, mais prsente un incon-vnient : il peut tre perdu ou vol. C'est pourquoi ses possesseurs avaient pris l'habitude, au Moyen

    (1) Les premires pices frappes ne ressemblaient gure aux ntres, elles talent des sortes de pastilles poinonnes " faciles rogner (E. Babelon, Lei Origines de la monnaie, Paris, 1897).

  • LA MONNAIE SE FORME GRADUELLEMENT 13

    Age, de le dposer chez des commerants, notamment chez des orfvres, qui en dlivraient reu. La pra-tique s'tablit bientt de remettre en paiement ces reus au lieu de se servir du mtal. Le reu devint alors transmissible par endossement, c'est--dire que la mention du crancier au dos de ce p~piersuffit pour habiliter le bnficiaire retirer de dpt. Plus tard, les reus ont t rendus transmissibles de la main la main, sans autre formalit (au porteur) et ils ont cess de porter intrt (1). Enfin, les commerants, devenus banquiers, ont facilit leur circlation en inscrivant des sommes rondes : la monnaie de papier tait cre (2).

    Ce billet de banque n'est encore que reprsentatif~ Il est intgrale1Llent couvert par du mtal prcieux qui jouit d'une valeur marchande. Mais le banquier s'aperoit vite que la plus grande partie de cette rserve mtallique demeure inutilise. Les porteurs de billets ne demandent pas tous- la fois le rem-boursement en mtal, ils n'en ont que faire et pr-frent continuer se servir d'un papier plus lger et moins encombrant que des pices. C'est alors que commence le drame montaire. Le banquier met

    (1) TI est impossible de fixer par des dates les tapes de cette volution. Par exemple, la Banque d'Angleterre au dbut dU xvm. sicle mettait sept titres de paiement difirents consi-drs comme banknotes, dont un seul, lelettered note, tait voi-sin, par sa forme, de notre billet de banque actuel. Les autres taient desefiets endossables portant intrt et souvent n'taient pas mis en sommes rondes (V. Ch. de Lannoy, L'Evolution du billet de banque comme iDstrument montaire, Paris, 1935, p. 18).

    (2) .Le billet de banque a vu le jour en Chine ds le IX. sicle, sous le nom potique de monnaie volante >. Au temps de Marco Polo, quiconque le refusait t\tait passible de la peine de mort.

  • 14 LA MONNAIE

    des billets pour un montant suprieur celui de l'encaisse mtallique, le supplment circule sans diffi-cult et pourtant il n'est garanti que jusqu' con cUi'-rence d'une fraction de sa valeur (1). Le public ne se rend pas compte du changement. La confiance dans l'tablissement metteur n'est pas branle, parce qu'elle repose sur l'habitude jor elle a dj revtu une srie d'aspects de plus en plus alarmants : confiance dans la valeur du mtal lui-mme qui cependant est instable, comme nous l'avons dit, puis confiance dans l'honntet du dpositaire qui garde l'or, gage des billets, enfin confiance dans la capacit et la moralit. du banquier qui met du papier en quantit suprieure celle du mtal qui le garantit. Quelle tentation pour ce dernier personnage de raliser des bnfices en accroissant cette monnaie . fiduciaire n, cette circulation dcouvert Il, et quelle terrible responsabilit 1 Car nul n'est prophte et une panique peut survenir, par exemple lorsque se prcise une menace de guerre : alors les porteurs de billets se prcipitent tous ensemble aux guichets de la banque et celle-ci fait faillite, puisqu'elle est dans l'impossibilit de rembourser tout son papier.

    Ce n'est pourtant pas en gnral le banquier qui se rend coupable d'abus, c'est l'tat. En temps de guerre ou de crise, les pouvoirs publics, dsireux d'obtenir des ressources, mettent la main sur les richesses qui sont leur porte; notamment sur les encaisses mtalliques des banques. Ds lors, le billet n'est plus garanti j la .banque est menace de sombrer. L'tat lui vient en aide en dcrtant le cours forc, c'est--dire en la dispensant du rembour-

    (1) Le montant de l'encaisse mtallique qui gage tout ou partie de la circulation de papier se nomme la couverture.

  • L.A MONNAIE SE FORME GRADUELLEMENT 15

    sement. C'est l une suspension temporaire, mais aujourd'hui en matire montaire le temporme risque de devenir dfinitif. Les porteurs continuent de se servir des billets; leur cori fiance persiste d'abord parce qu'ils esprent un remboursement ultrieur en mtal, puis, lorsque cet espoir s'vanouit, parce qu'ils ont a.ccoutum de se serVir de ce papier dont rien apparemment n'a modifi la nature. Cette confiance est branle seulement le' jour o quelque vnement grave survient, tel qu'un excs d'mis-sion suivi d'une hausse des prix.

    Nous venons de voir comment le .papier-monnaie est n peu peu de la pratique du dpt. Une autre forme montaire a vu le jour l'poque contem-poraine, subrepticement elle aussi; les conomistes se sont penchs sur son berceau, alors qu'elle tait dj grand, et ils l'ont baptise monnaie scrip!urale.

    La monnaie scripturale est une revanche du ban-quier priv. L'tat tentaculaire a monopolis l'mis-

    ~on des billets, car il a jug qu'un tel pouvoir pouvait .entraner de la part des individus des abus regret-tables, c'est~-diI:e qu'il s'est rserv, lui seul, la facult de se livrer. ces abus. .

    C'est la technique moderne qui est venue en' aide au banquier. Lorsqu'un client dpose ses fonds en banque, il ne les ~ ..Itire pas en espces-ou en papier pour effectuer ses paiements, il. se borne donner un ordre de virement ou tirer un chque. Expli-quons ces deux derniers termes : il donne ordre de virer la somme convenue de son compte celui du crancier,. quanli ce dernier possde un compte dans le mme tablissement que lui. Sinon il remet un chque son crancier qui le prsente sa propre banque et celle-ci l'encaisse la banque du dbiteur. Dans le premier cas, il n'y a videmment aucun

  • 16 LA MONNAIE

    transfert d'espces, dans le deuxime,ce transfert . d'espces estrduit l'extrme: en effet, supposons que le dbiteur tire un chque sur l'tablissement de crdit A et le remette son crancier qui le dpose l'tablissement de crdit B. Celui-ci demandera le paiexnent du chque. A" mais comme en raison' de la multiplicit des oprations qui se droulent tout instant sur une place, il y aura un certain nombre de clients de A qui auront reJllis cette

    T1ftu:r .. ) 1 B,.rl, .1alra, DIIp&t 1 . lIaDqu8 A l,~( _______ D1 BaIlqae B

    banque des chques sur B, la banque A, elle aussi" . demandera des paiements de chques B. La com-pensation s'tablira entre le montant de ces effets; un institut spcial, groupant tous les chques tirs sur

    , les tablissements d'une place, contribuera faciliter cette opration. n n'y aura pl~s rgler en espceS qu'un solde que A versera B ou que B versera A (1).

    Ainsi, exception faite de ce. faible reliquat, toute l'opration se sera droule sans maniement de fonds, par simple passation d'criture. La monnaie scrip-turale a circul de compte en compte, elle n'a pas pris corps, elle n'a manifest qu'une ombre d'exis-

    (1) La question de savoir si les banques 1 crent. de la monnaie a t l'objet de controverses nombreuses et subtiles. Nous avons tent de la rsoudre en prcisant le sens du mot cration et n montrant comment le banquier pouvait ne pas

  • LA MONNAIE SE FORME GRADUELLEMENT 17

    tence, elle ne s'est rvle que par un reflet: le'chiffre' inscrit dans les livres. Le chque lui-mme n'entre en jeu qu'incidemment, il est un instrument phmre de transfert de cette monnaie subtile.

    La mon Raie scripturale, telle que nous venons de la dfinir, a pour contre-partie les dpts qui servent de provision aux chques et aux ordres de virement; elle est reprsentative, ainsi que l'tait jadis le billet de banque. Mais, comme ce billet, elle peut devenir fiduciaire. Le banquier n'a qu' consentir des avan:-ces pour un montant suprieur celui, de ses dispo-nibilits et le voici devenu crateur de monnaie. Le crdit dcouvert quivaut la circulation dcou-vert.

    Les risques sont galement de mme nature, mais non de mme degr : la monnaie scripturale, comme la monnaie de papier, est remboursable vue en mtal, mais la diffrence d 'habitude fait que la premire est plus expose que la deuxime. Il n'est point d'usage en France de payer avec des chques les salaires ni les achats des denres de consommation courante.

    On ne .saurait poursuivre le parallle entre ces deux. formes montaires, car la monnaie scripturale ne peut pas jouir du cours forc tant que les habi-tants d'un pays n'ont pas tous leur compte en banque.

    Les pouvoirs publics, toujours prts s'inquiter lorsque surgissent des initiatIves individuelles, ne

    ~ rendre compte lui-mme- de son pouvoir crateur (La Mon" naie et la formation des prix, pp. 259 et suiv., Paris, 1936}. Voyez aussi C. A. Phillips,. Bank Credit, New-York, 1931. -E. Mireaux, Les miracles du crdit, Paris, 1930. - E. Giscard' d'Estaing, La maladie du monde, Paris., 1933, - E. Lukas, Aufgaben des Geldes, Stuttgart et Berlin, 1937, p. 231. '-E. Hugo Vogel,l)as Buchgeld, Vienne, 1938:

  • 18 LA MONNAIE

    sont pas rests indiffrents en prsence de l'essor de cette concurrente de la monnaie officielle frappe ou mise par les instituts d'mission. Ayant dcrt le monopole de la cration des monnaies matrielles dans le but louable d'unifier la circulation et d'viter les fraudes, ils ont eu tendance regarder la nou~ velle monnaie COmme une aventurire quelque peu suspecte, et le banquier qui lui avait donn vie, comme un usurpateur. Ce sentiment semblait d'au~ tant plus justifi que la nouvelle venue prenait toute la place, dlogeant les monnaies anciennes avec un .sans-gne de mauvais goftt. Aux tats-Unis, le montantdes paiements faits par voie de chques et d'ordres de virement a parfois dpass 90 % du total des rglements montaires. D'o les attaques contre les banquiers responsables.

    Telle a t sommairement l'volution montaire. Les fomes anciennes n'ont pas disparu, mais de nouvelles formes se sont greffes sur elles. Du troc la monnaie scripturale, toUs les moyens d'change subsistent aujourd'hui. Comme les plus rcents sont les plus Iragiles, ils se brisent et tendent disparatre en . temp$. de crise conomique, de guerre ou de troubles sociaux. L'Allemagne, par exemple, est revenue au troc lors de la dbcle du mark aprs la guerre; la monnaie scripturale a connu une clipse aux tats-Unis, lorsqu'en 1929-1930 se sont multiplies les . faillites bancaires .

    . Cette fragilit croissante de la monnaie aU fur et mesure de son v.olution est la consquence de sa dmatrialisation progressive. Le moyen d' change s'loigne de plus en plus de son support mtallique dot d'une valeur commerciale en raisQn de ses qualits propres. Il perd en force ce qu'il gagne en commodit. Quand survient la tourmenttl., les formes

  • LA MONNAIE SE FORME GRADUELLEMENT 19

    modernes, complexes, mais thres, ne peuvent rsister; elles s'panouissent aux heures calmes des poques de prosprit.

    lIONNAlB DI PAPDB

    Schma d'Un systme montaire. : plus 16$ masses montaires suprieures sont grandes par rapport la base mtallique, moins l'quilibre est assur.

  • CHAPITRE III

    LE TEMPS EST UN LMENT DE LA MONNAIE

    Toute fonne montaire, comme nous venons de le voir, est la synthse d'un pass dont rien ne se perd. Chacune d'elles prolonge celle qui la prcde et lente-ment esquisse celle qui la suit; mais les dernires nes tendent se rtrcir et s'effacer quand l'atmo-sphre se trouble. L'agent de cette cra:tion continue est le temps.

    Non selement la monnaie est le produit du temps, mais elle en est imprgne, elle participe de son essence .. En s'interposant dans l'acte d'change, elle le dcompose en achat et en vente, c'est--dire en deux opratiC'T> '1 successiv.es. Qui dit succession, dit intervalle de temps. La monnaie est par l aussi crdit, car le crdit se dfinit par l'infiltration de l'l-ment temps dans une opration d'ch~nge (1).

    Or le temps nous chappe. Nous ignorons ce que vaudra demain la monnaie que nous recevons aujour-d'hui. Sa valeur, .nous le savons, est la fois intrin-sque ou commerciale et fiduciaire. Les variations de la valeur commerciale sont gnralement assez

    (1) Sur cette ide capitale, voyez notre volume: Les Il(usions du Crdit, Montral, 1936, Ih confrence.

  • LE TEMPS, LMENT DE LA MONNAIE 21

    faibles, car elles sont soumises la loi de l'offre et de la demande et il y a peu de chances qu'une crise brutale clate et fasse disparatre les ateliers de dorure, les laboratoires de photographie, les cabinets des chirur-giens-dentistes. Il est peu probable aussi que les dcouvertes de filons ou les inventions techniques modifient brusquement la masse dj considrable des mtaux existant de nos jours.

    L'or neuf, c'est--dire extrait des mines pendant l'anne courante, si importante que soit cette extrac-tion, reprsente une fraction d'~utant plus fa.ible du total de l'or stock que nous avanons dans le temps; l'influence exerce par la production annuelle dimi-nue donc au fur et mesure que se succdent les annes. Il n'en va pas de mme pour la monnaie de papier. Il suffit d'un ordre donn par des pouvoirs pU,blics embarrasss et peu scrupuleux pour multi-pUer res missions. La question de confiance se pose alors dans toute son ampleur.

    La confiance aune double origine : la sagesse au moins apparente des metteurs et l'habitude du pu-blic. Si une monnaie a bien rempli son rle, pourquoi ne continuerait-elle pas le bien remplir? Paresse de l'esprit, attachement la forme, tout contribue endormir le porteur de billet. Voil pourquoi les conomistes, plus verss en logique qu'en psychologie, ont t surpris de constater l'attachement naf des peuples leurs moyens d'change: on a vu les Russes, aprs la rforme de 1893, prfrer les billets qu'ils connaissaient aux pies d'or nouvellement mises qu'ils voyaient pour .la premire fois.

    L'histoire de la monnaie de papier est une longue exprience psychologique. Le billet reprsentatif est accept en raison du mtal qui le gage; cette garantie s'effrite peu peu, mais l'illusion persiste. Lorsqu'un

  • 22 LA MONNAIE

    dcret instituant le cours forc vient mettre un terme l'euphorie, la valeur du billet n'est pas brutalement dtache de son support mtallique, elle repose sur la promesse d'un remboursement ultrieur en mtal. Mais bien souvent, comme en France pendant la guerre, la date de ce remboursement s'loigne de plus en plus dans l'avenir et finit par disparatre l'horizon du. temps. Cependant le billet continue de circuler, sans garantie aucune, parce qu'il faut bien un instrument d'change et que 1'00 a coutume de se servir de lui. Si les missions se multiplient, il a ten-dance se dprcier, mais si le volume montaire reste peu prs constant par rapport la masse des produits dont il permet la circulation, la mon-naie garde tQute sa valeur; autrement dit, les mor-ceax de papier qui ne reprsentent plus aucun mtal prcieux, sont changs contre les mmes quantits de marchandises que par le pass, l'poque o ils taient remboursables en or ou en argent. Le fait s.'est produit en Autriche aprs 1879. La monnaie tire alors sa valeur de sa propre fonc-tion. montaire (1).

    Ce qui est miraculeux dans des cas de ce genre, ce n'est pas la persistance d'une valeur longuement chafaude sur une marchandise de chaix et demeu-rant stable d'une manire paradoxale aprs la dispa-rition de cette marchandise, c'est la sagesse du Gou-vernement. Le papier ne coftte rien,il est donc trs

    (1) Le fameu banquier Law avait parfaitement reconnu que la monnaie bnficie d'une valeur spciale, due sa qualit d'instrUment d'change,c'est--dire ce fait qu'elle fait l'objet d'une demande montaire. Cette valeur s'ajoute celle qu'elle

    . possde en tant que marchandise lorsque la monnaie est mtal-lique ou dans la mesure on le billet reprsente du mtal. V. les uvres compltes de Law, Paris, 1934 (dition Harsin).

  • LE TEMPS, LMENT DE LA MONNAIE 23

    avantageux pour une nation, il pennet d'conomiser un mtal cher, mais il est une source pennanente de tentation et l'histoire contemporaine nous prouve surabondamment que les Gouvernements succom-bent volontiers cette tentation (1).

    La longue gestation de la monnaie a servi, en s()mme, crer l'accoutumance et par suite la confiance. Il peut cependant y avoir fonnation brus-que de monnaie nouvelle, mais exceptionnellement lorsqu'un besoin imprieux de moyen d'change se fait sentir et lorsque les metteurs offrent toutes garanties. Pratiquement n'importe quelle matire, ayant ou non une valeur commerciale, peut alors servir de monnaie : lamelles de bois, paquetf> de tabacs, dents d'a~maux; Il est arriv, par exemple, que des cartes ')buer, portant un sceau officiel et un chiffre, ont circul au Canada franais, et elles y sont demeures en dpit des interdictions officielles pendant la premire moi~i du .xvme gicle; le gou-verneur rapporte mme qu'en 1741 plus des deux tiers du montant de ces monnaies taient thsauriss. Dans ce cas et dans d'autres cas analogues, la monnaie nouvelle emprunte sa valeur la monnaie ancienne ou ft la monnaie actuelle dfaillante. Elle imite, dans sa forme, le moyen d'change qui vient. manquer de manire entretenir une sorte- d'illusion dont per-sonne n'est dupe (2).

    L'homme, parfois si inconstant, est singulire-ment fidle dans ses affections montaires.

    (1) Dj Ricardo l'avait dit au dbut du sicle dernier (Principes d'conomie politique, chapitre XXVII).

    (2) On trouvera des reproductions de monnaies de cartes dans Ada!Il Shortt, DOcuments relatifs la monnaie, au change et aux finances du Ctfl1ada sous le rgime franais, 2 vol. Ottawa, 1925-26.

  • CHAPITRE IV

    L'TAT N'EST NI TOUT-PUISSANT, NI IMPUISSANT

    Cet attachement au pass n'est pas fait pour plaire aux rformateurs modernes, aptres ds res nou-velles. Dans leur passion de rationalisation, ils enten-dent crer la monnaie qui leur convient et non pas la subir. L'tat n'est-il pas tout-puissant?

    L'histoire montaire a apport l'tat une longue suite d'humiliations. Non pas que le rle de Lvia-than soit ngligeable, mais parce que les lois natu-relles, toujours ridiculises et toujours vivantes, dclenchent, lors de chaque tentative tmraire, une srie de consquences dsastreuses. Nous nous bor-nerons, pour l'instant, noter que l'tat n'est pas un crateur. Il est appel frapper la monnaie et peut croire qu'il choisit la matire dont elle est faite, alors qu'il consacre celle dont l'opinion publi-que a fait choix; il dcrte le cours lgal du billet, c'est--dire oblige les cranciers accepter son papier' en paiement et peut s'imaginer qu'il donne ainsi ce papier toute sa valeur, alors que cette valeur est fonction du respect de la tradition et du besoin montaire. .

    Sans doute, l'tat a raison de frapper les pices lui-mme, car il peut ainsi viter la complication

  • L'TAT, NI TOUT-PUISSANT, NI IMPUISSANT 25

    des changes et des peses incessantes, comme c'tait le casr,cemment encore en Chine. Il a raison gale-ment d'viter la diversit des billets qui seraient mis rar des tablissements d'ingale puissance et d'ingal prestige et dont la valeur varierait avec le degr de confiance que chacun d ces tablissements semble-rait mriter, ainsi qu'il advenait au dbut de notre sicle dans certaines rpubliques sud-amricaines.

    L'tat parvient mme accrotre la valeur de la monnaie en l'acceptant ses innombrables guichets. Un conomiste allemand devenu clbre, Knapp, en un ouvrage indigeste lard de nologismes, a cqncr-tis l'attitude traditionnellement dfrente de ses comP\ltriotes l'gard de l'idole hglienne: l'tat. Pour lui, le lgislateur seul donne vie la monnaie (1).

    En fait, cependant, le pouvoir de l'tat est plus limit. Un autre conomiste'allemand, un banquier, M. Lansburgh, a dit vrai lorsqu'il a plaisamment crit: Le Gouvernement n'est jamais que la sage-femme qui reoit le nouveau citoyen du monde et qui prpare sa venue; il ne peut tre, en aucun cas, la mre qui le conoit (2). )) La preuve en est que les pouvoirs publics ne sauraient imposer une monnaie dont les particuliers ne veulent pas et qu'inversement des monnaies circulent parfaitement en dehors de toute intervention de l'tat.

    Dans le Nouveau Monde, vaste laboratoire o se sont poursuivies les plus tranges expriences montaires, les refus de billets n'ont pas t rares. ,Rien de plus logique. Le Gouvernement ne peut ni engendrer la confiance par dcret, ni crer lgalement

    (1) F. Knapp, Slaatliche Theorie des Geldes. Munich, 3e dit., 1921.

    (2) Die Bank, 11 janvier 1921.

  • 26 LA MONNAIE

    l'habitude le pass lui chappe toujours. S'il me contraint accepter tel p~pier dont je fais peu de cas. je chercherai m'en dbarrasser immdiatement ou je procderai par troc, ou mme je renoncerai changer. S'il se content~ de multiplier les monnaies existantes. je continuerirl de les accepter. mais avec moins bonne grce, en leur refusant une partie de la confiance que je leur accordais. On dit alors que la monnaie se dprcie. C'est un ph~nomne sur lequel nous reviendrons ultrieurement (1).

    Quant aux monnaies libres, c'est--dire circulant grce l'acceptation des membres d'un groupe sans avoir reu cours lgal, nous en connaissonsaujour-d 'hui des exemples clbres, car les metteurs ont profit de leur libert pour dotr ces moyens d'change de caractres singuliers. Telles ont t les monnaies fondantes en Autriche et en Amrique du Nord. Mais en mme.temps qu'elles ont attest les limites des pouvoirs de l'Etat, elles' ont administr la preuve du danger qu'il y aurait tomber dans l'excs contraire. c'est--dire rejeter toute intervention dans ce domaine, sombrer dans. l'anarchie. Une monnaie libre peut natre dans un groupe restreint, en un temps o elle semble ncessaire, car chacun a confiance dans le voisin. qui s'est engag l'accepter et chacun peut exercer un contrle sur. les missions. mais elle ne peut gure tre admise par des millions d'hommes. Il ne faut donc accorder ces monnaies mancipes de la tutelle tatiste qu'un champ d'action troit, au moins dans nos conomies actuelles, et il est naturel que les banques centrales, jalouses de leur

    (1) Pour des exemples de refus de monnaie, voyez G. Suber-caseaux, Le papier-monnaie, Paris, 1920, 0.92.

  • L'TAT, NI TOUT-PUISSANT,. NI IMPUISSANT 27

    privilge d'missiol'., aient obtenu aisment la con-damnation de ces concurrentes dloyales.

    Que l'tat tienne donc son rang, qu'il ne pche ni par orgueil ni par faiblesse. Qu'il suive la voie du milieu li. tomme Confucius jadis l'invitait le faire.

  • CHAPITRE V

    LA NATURE DE LA MONNAIE N'A RIEN DE MYSTERIEUX

    C'est en vain qu'aujourd'hui en France l'tat est invit par un gra.nd nombre d'conomistes faire preuve de modration. Son ambition est immense et ses desseins sont innombrables. Il croit, dans son dlire, pouvoir crer quelque chose d'infiniment prcieux qu'il nomme le pouvoir d'achat. L'examen de ses prtentions nous permettra de mieux com-prendre quelle st la nature de la monnaie.

    Le premier acte normal qui dclenche une circula-tion montaire est un acte de production, car je ne peux esprer obtenir quoi que ce soit en nature ou en monnaie, si je ne fournis pas en change une utilit. J'accomplis une prestation qui ouvre m'on droit une contre-prestation . Donnant, donnant.

    Si nous laissons de ct pour l'instant l'action de l'tat, nous pouvons regarder le total de la monnaie mise comme reprsentant le total des utilits pro-duites (marchandises et services). Une double cir-culation se poursuit, en sens inverse l'une de l'autre, celle de la monnaie et celle des biens. L'une s'adapte l'autre, en est le support, l'auxiliaire. La monnaie qe j'ai reue parce que j'ai vendu un sac de pommes de terre est une reprsentation de la valeur de ce sac,

  • LA NATURE DE LA MONNAIE 29

    elle atteste la.fourniture que j'ai faite autrui et qui n'a pas t paye par une utilit. Puisque la monnaie ne peut m'tre d'aucun usage, je ne puis que la transmettre autrui. J'ai donc dans la main une crance. Mais l'originalit de cette crance consiste dans son indtermination. L est la vertu de la mon-naie, elle est remise en change d'un bien et fournit une multitude de possibilits. Elle est une crance, non pas sur le produit que mon co-changiste est susceptible de m'offrir et dont peut-tre je ne voudrais. pas, mais. sur la totalit des biens djsponibles de la socit dont les membres acceptent cette monnaie.

    QU3.nd mon choix. aura t effectu, j'achterai le bien convoit et la monnaie poursuivra son cours. Elle est donc un moyen d'changer le dtermin contre l'indtermin.

    O est le pouvoir d'achat dans ce circuit? La monnaie peut acheter, mais parce qu'elle a t pra-lablement mise en circulation par un acte de produc-tion. On ne peut pas sparer la contre-prestation de la prestation. Le pouvoir d'achat, c'est le sac de pommes de terre. Les pices ou billets ne font que reflter sa valeur et ne sont qu'un moyen d'attente avant que jeme sois dcid.

    L'tat, en frappant de nouvelles pices ou en multipliant du papier-monnaie sans autre raison que ses besoins, sans fourniture d'aucune marchandise ou service, ne cre donc aucun pouvoir d'achat (1).

    (1) Nous parlons seulement ici de la monnaie que l'tat injecte dans la circulation pour se procurer des ressources, et non de celle qu'il met en reprsentation d'oprations com-merciales. C'est par la voie de l'escompte que la banque d'mis-sion lance des billets dans le circuit montaire comme nous le verrons plus loin. :Rien n'est plus lgitime : ces billets repr-

  • 30 LA MONNAIE

    La monnaie qu'il introduit arbitrairement dans la circulation lui permet d'exercer des contre-prestations sans prestations pralables : . il achte sans avoir d'abord vendu.

    Ce qui permet cette dloyaut, c'est l'identit des monnaies, quelle que' soit leur origine. Toutes sont des crances sur l'actif social, elles viennent toutes

    Les deux circuits inverses: biens (a) et eonnaie (b)

    en concurrence, rien ne distingue celles d'entre elles qui ont t obtenues par une vente, c'est--dire par une production, par tin acte de travail et d'pargn,e, et celles qui ne reprsentent rien du tout, qui ont t surajoutes aux autres. Quand l'tat 'se Ilvre de telles missions injustifies, il capte seulement soli profit une partie du pouvoir d'achat er par les producteurs, il diminue d'autant le montant des sentent les marchandises dont les eftets de commerce sont les titres. Les billets reviendront il. la Banque lors de l'chance.

    Sur la correspondance du circuit des biens et de celui de la monnaie, voir G. GrQnlg, Le circuit conomique, trad. franc. de Ga!!1 Fain, pp. 40 et sulv.

  • LA NATURE DE LA MONNAIE 31

    utilits que ceux-ci pourront se procurer avec leur monnaie.

    Ces constatations sont la base des thories d'infla-tion et de pouvoir d'achat. L'tat peut dplacer ce pouvoir, le prendre aux uns pour se l'attrihuer et le passer ensuite d'autres, mais il ne l'accroit pas. Son impuissance dans ce domaine est radicale. Il

    "I"

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  • 32 LA MONNAIE

    des rfrmes prcipites et brutales. Ces dirigeants aboutissent donc diminuer la masse des utilits que la monnaie reprsente, c'est--dire rduire le pou-voir d'achat. En mme temps, ils distribuent la monnaie largement aux membres de certaines classes sociales, autrement dit ils oprent des transferts de pouvoir d'achat. Le rsultat est le suivant: d'une part, les classes privilgies voient leur pouvoir d'achat augmenter du fait des largesses consentie~ par l'tat, mais en mme temps' ce pouvoir d'achat diniinue, en raisoIi de la rduction de la production, d"o un m-contenter. nt dangereux puisqu'il mane des partis mmes qui dtiennent le pouvoir ~ d'autre part, les classes sacrifies sont doublement frappes : par la rduction gnrale, comme les classes prcdentes, et en outre par le retrait d'une partie de leur pouvoir d'achat. Prsent en ces termes, le problme devient insoluble. Les classes privilgies, accentuant leur pression, ruineront les autres, mais si elles s'acharnent diminuer en mme temps hi production, elles n'aug-menteront pas leur propre pouvoir d'achat, leur grande surprise.

    Le lecteur n'aura pas.de peine dcouvrir lui-mme des faits contemporains qui illustrent ce simple raisonnement. .

  • CHAPITRE VI

    LA SOUVERAINET MONTAIRE EST UNIQUE~ LA LOI DE GRESHAM

    Nous savons ce qu'est la monnaie et quelles formes elle revt. Une place part mrite d'tre faite aux mtaux considrs comme prcieux qui sont la base de tout systme.

    Avant la guerre, en ces temps o rgnait une tran-quillit dont on ne savait pas apprcier tout le prix; la primaut de l'or tait inconteste. Loin de demeurer cach aux yeux des adorateurs, ce mtal s'offrait tous, rel, prsent, multiforme, justifiant le nQm de souverain)) qu'il portait en Angleterre. .

    Ce n'tait pas qu'il ft arriv sans lutte cette haute situation. Longtemps l'argent lui avait disput la place. Les deux mtaux s'taient d'abord juxta-poss sous l'ancien rgime, l'un servant surtout aux changes internationaux, l'autre aux transactions

    intrieures~. A l'poque de la. Rvolution franaise, l'argent jouissait de la faveur du lgislateur, car il tait considr comme populaire, l'or tait regard comme aristocratique. .

    Cependant, en l'an XI, c'est une sorte de condo,: minium des deux mtaux qui il'est tabli en: France sous le nom de bimtallisme. Tous deux taient talons et, pour qu'on pftt sans crainte se servir indistincte-

  • .34 LA MONNAIE

    ment de l'un ou de l'autre, la loi les avait lis par un rapport fixe: un kilo d'or valait 15 kilos 1/2 d'ar-gent(1). Mais la souverainet ntontaire, comme l'ter-nit dont parle le pote, ne saurait tre deux. C'est l'effet d'une rgle que l'on nomme: loi de Gresham.

    Pas plus qu'Americ Vespuce n'a dcouvert l'Am-rique, Gresham n'a invent la fonnule qui porte son nom (2). I,.' erreur d'uQ conomiste anglais du XIX8 si-cle lui a valu une gloire qu'il eftt d'I;\illeurs mrite d'autres titres, car il fut un minent praticien du change. La loi se fonnule aiIisi : (i La mauvaise mon-naie chasse la bonne Il, ou plus scientifiquement : Lorsque deux monnaies lies par un rapport fixe d'change circulent concurremment dans un pays, celle qui est tenue pour la meilleure tend disparat-tre. Aristophane, qui avait dj not cette singula-rit, l'avait plaisamment tendue ses ~ompatriotes : les citoyens bien ns, modestes, probes, habiles aux exerciceS de la palestre, de la danse, de la musique Il sont outrags, tandis qu'on louange des infmes, des

    . trangers, des esclaves, des vauriens de mauvaise famille, des nouveaux venus Il (3). Cette loi s'impose nous comme .elle s'imposait aux anciens.

    La persistance de la rgle attribue . Gresham nous pennet de comprendre quelle est la nature d'une loi naturelle :. cette loi est d'ordre psychologique, d'o sa solidit, car la psychologie humaine ne change pas. Aujourd'hui comme autrefois, lorsque nous avons en poche une pice neuve et une pit:ce use, toutes

    (1) Ce rapport tait tabli indirectement par la loi, voyez sur ce point notre Manuel d'cono.mie politique, t. l, partie III, chap. V, 3.

    (2) Sir Thomas Gresham tait agent financier du roi d'An-. sleterre Anvers au milieu du XVIe sicle.

    (3) Lu Grenouilles. .

  • LA SOUVERAINET MONTAIRE 35

    deux d mme valeur, nous donnons volontairement ou instinctivement en paiement la deuxime et nous gardons la premire: simple manestationde notre iri'trt personnel.

    Quand donc deux monnaies sont choisies. pour talons et sont lies entre elles, comme il semble logique de le faire, bien loin de constituer un attelage homogne, elles cherchent se supplanter l'une l'autre. L'erreur initiale vient d'un divorce entre laloi et le fait. En effet; le cours de chaque monnaie sur les marchs libres mondiaux est dtermin par l'offre et la demande, comme celui de toute marchandise, autrement .dit il dpend des quantits disponibles et dii besoin que l'on a de ces monnaies. Si, par exemple, des dcouvertes de filons rendent l'argent beaucoup moins rare que l'or, le cours du premier de ces mtaux

    baisse~a relativement celui du second. Ainsi le rapport commercial est variable tout instant, alors que. le rapport lgal est fix pour un certain temps. Il peut donc y. avoir divergence entre ces deux rap-ports.

    Prenons pour exemple le cas de ce condominium biintalliste dont nous avons parl. Notre loi mon-taire uu 7 germinal an XI aynt tabli un rapport lgal de 1 15 1/2 entre l'or e.t l'argent, chacun de ces mtaux pouvait tre rhang contre l'autre ce taux ~t devait tre accept en paiement des dettes d'un montant quelconque .. Il arriva qu'aprs 1850 l'or devint plus abondant, son cours flchit donc sur les marchs comnierciaux. A cette poque, quiconque disposait de capitaux pouvait raliser des bnfices sans courii' de risques. Si, par exemple, le cours Londres, grand march de mtaux prcieux, tait de 1 15,2 le ~culateur envoyait en Angleterre 15 kg. 2 de pices d'argent prleves sur la circula-

  • 36 LA MONNAIE

    tion montaire fr2.naise, obteIiait en change 1 kg. d'or, puis rapatriait cet or Paris oil il1e faisait monnayer et l'echangeait alors contre 15 kg, 5 d'argent. Ce simple circuit avait donc pour cons-quence de fournir au spculateur un bnfice gal la valeur de 300 grammes d'argent, dduction faite des frais de transport et de monnayage. Rien ne l'empchait de renouveler l'opration. Mais l'argent s'enfuyait ainsi de notre pays o il tait remplac par l'or devenu mauvaise monnaie)J.

    Comme le rapport commercial diffre frquemment du rapport lgal, par suite des caprices de l'pfIre et de la demande, tantt un mtal, tantt l'autre tend disparatre de la circulation en. cas de biIIital~ lisme. Si l'or reste seul, les transactions courantes sont gnes, les pices de faible valeur manquent; si l'argent demeure, les gros paiements donnent lieu, un maniement de pices lourdes et incommOdes.

    On pourrait, il est vrai, prohiber les exportations de monnaies, mais une tlle mesure risque d'tltre inop-rante, d'abord parce que rien n'est plus difficile que d'viter l'coulement travers les frontires d'une marchandise aussi facile c~cher que des pic~s de mtal, ensuite parce que la bonne monnaie est thsau-rise. Dans les temps de troubles; on met de ct la monnaie que l'on juge la meilleure. C'est une vrit d'vidence.

    La loi de Gresham joue non seulement entre les mtaux, mais encore entre les pices d'un mme mtal, entre le mtal et le papier, - d'o notamment la disparition' de l'or en France pendant la guerre de 1914 1918, lorsque le billet de banque, s'tant dpr-ci, a t considr comme mauvaise monnaie - et entre les papiers eux-mmes : le franc-papier a t regard comme meilleur que le mark-papier dans les

  • LA SOUVERAINET MONTAIRE 37

    rgions occupes par les Allemands en 1914-1918 et a dispru de la circulation.

    Ainsi, indpendamment de la volont des pouvoirs publics et mme contre leur volont, lorsque plusieurs monnaies sont appeles servir de moyens d'change, une concurrence nat entre elles et une seule monnaie tend tablir sa domination.

  • CHAPI.TRE VII

    L'ARGENT-MTAL, PARENT PAUVRE

    Depuis la fin du sicle dernier, il n'y a plus de concurrence entre l'or et l'argent. Le second de ces mtaux a t rejet de la plupart des systmes mon-taires, l'or seul ou le papier restant talon. C'est qu'en effet l'argent est devenu mauvaise monnaie aprs 1870, il a menac de chasser l'or et les pouvoirs publics ont dft le chasser son tour pour permettre l'or de se maintenir.

    Si l'argent a t regard comme indigne de monter sur le trne montaire des nations, il le doit . son origine. Il n'est qu'un sous""produit. Dans une pro-portion de 60 70 % du total, on le trouve conjoin-tement avec du cuivre, du plomb, du zinc, du nickel, du cobalt, de l'tain. Il chappe donc la loi des prix. Par exemple, il continue d'tre extrait des mines, alors qu'il est surabondant et que son cours baisse de plus en plus, ce qui serait contraire toute logique dans le cas d'une marchandise ordinaire, mais ce qui est invitable quand les mtaux communsl.8uxquels il

    . se trouve associ sont trs demands. 11 est gn par ses demi-frres qui obissent leurs propres lois d'offre et de demande. L'or au contral'eest un mtal d'lite, isol des minerais vulgaires.

  • L'ARGENT-MTAL, PARENT PAUVRE 39

    La fantaisie de la nature et le caprice des circon-stances ont fait que les pays producteurs d~argent sont pour la plupart situs en Amrique et les pays consom-mateurs en Asie. Le Prou arrivait jadis en tte des premiers (1), le Mexique, les tats-Unis et le Canada l'ont peu prs supplant. Parmi les seconds figurent surtout l'Inde et la Chine dont les habitants sont des thsaurisateurs de mtaux prcieux. La demande in-dustrielle est secondaire (argenterie, bijouterie, photo~ graphie). Quant la demande montaire, elle a flchi depuis que le mtal bianc a t abandonn par 'les grands tats europens. Il est arriv que l'argent a t dmontis, cause du flchissemf"".1t de sa valeur, et que cette dmontisation, en restreignant la demande, a aggrav encore la chute de cette valeur. Le pays responsable de cette" acclration de la baisse est l'Allemagne, qui, profitant de l'indemnit de guerre verse par la France, a dcid d'unifier sa monnaie et d'adopter l'taion d'or en 1873.

    Aux tats-Unis, la question de l'argent a oppos les habitants des' rgions industrielles de l'est ceux des contres agricoles de l'ouest. Les uns taient soucieux de stabilit et commeraient avec l'Europe talon d'or, les autres taient favorables une hausse des prix qui pouvait tre assure par une multiplica-tion des frappes montaires, ils faisaient grand trafic avec l'Extrme-Orient talon d'argent et parmi eux figuraient ,les producteurs de ce mtal. La lutte fut ardente sur le terrain politique, mais l aussi, ce fut l'or qui triompha en 1900 (2).

    (1) Le Prou du temps de la domination espagnole, c'est--dire la Bolivie comprise . . (2) V.le tome premier, de M. J.-L. Laughlin: A New E:x:posl-lion 01 MOlU!lI, Credit and Pricu, ChIcago, 1931.

  • 40 LA MONNAIE

    Au lendemajn de la guerre 1914-1918, on put croire que l'argent prendrait sa revanche. D'une part l'offre, accrue pendant la priode des hostilits grce la demande des mtaux communs ncessaires aux belli-grants, flchissait aprs l'armistice; d'autre part, la demande des Indes et de la Chine augmentait dmesurment.- 'Ces . deux pays, en effet, avaient largement approvisionn les allis qui dev~ient leur. fournir du mtal blanc en paiement. Aussi le cours de l'argent se mit-il monter en flche sur le march de Londres, de 23 11 /16 d. l'once de fin en moyenne pendant l'anne 1915 jusqu'au maximum de 89 1/2 atteint le 11 fvrier 1920 (1), . Cttesituation devait disparatre avec les causes qui l'avaient fait natre. Les dbouchs europens se fermrent et une violente crise ravagea l'Extrme-Orient en 1920-1921.' De cranciers, les pays con-sommateurs d'argent devinrent dbiteurs ; leur demande Londres disparut et les cours s'effon-drrent. En 1922, la moyenne anp-uelle tait retom-be 34 7/16.

    A cette poque, la monnaie d'argent semblait . condamne mourir de langueur. Les Indes anglaises elles-mmes rattachaient leur monnaie l'or et com-menaient de vendre leurs rserves d'argent.

    Rcemment cependant les producteurs amricains, politiquement trs puissants, oIit recommenc de s'agiter. Leurs reprsentants au Snat sont peu nom-

    (1) Moyenne annuelle: 61 7/16 en 1920. Les cours de l'argent Londres sont exprims en monnaie britannique; ils ne coner-nent donc le rapport or-argent qu'autant que la livre sterling est elle-mme une monnaie d'or. Nous donnons toutes les valeurs de l'argent en pence, mais il ne faut pas oublier que la livre est elle-mme dprcie depuis 1931 par rapport l'or.

  • L'ARGENT-MTAL, PARENT PAUVRE 41

    breux, mais hardis. Ils veulent, grce une action internationale, relever les cours tombs un minimum de 16 d. 1/2 l'once le 3 janvier 1933. A Londres, en juillet de la mme anne, ils parviennent persuader les cinq plus grands pays producteurs de rduire l'offre d'argent en prohibant les exportations et en achetant eux-mmes une partie de la production.; ils obtiennent en mme temps de la Chine l'engagement de ne pas cder de mtal blanc provenant des pices dmonti-ses, . et des Indes, celui de limiter les ventes. Les tats-Unis eux-mmes s'obligent acqurir l'argent

    . produit sur leur propre territoire un cours forfai-taire plus lev que le prix pratiqu sur le march libre et poursuivre ces achats jusqu'au moment o le stock d'argent sera gal au tiers du stock d'or. Comme ce dernier mtal affiue New-York par masses de plus en plus importantes, la politique amricaine risque de devenir dsastreuse pour les finances publiques.

    Les cours. ne tardent pas monter sur le march libre grce la rarfaction de l'offre ainsi artificielle-ment cre, ils atteignent un maximum de 37 d. 1/4 le 1 er mai 1935. Les GOl).vernements trangers qui utilisent enCore l'argent craignent de ne pouvoir arrter l'exode des pices dont la valeur commerciale dpasse la valeur lgale; ils dmontisent ces pices et leur substituent du papier-monnaie (1). Ainsi la . monnaie chinoise s'enfuit et les transactions sont gnes l'intrieur. En vain le Gouvernement de Nankin prohibe-t-il ces sorties, il ne parvient pas arrter le courant; il dcide en' novembre 1935 de renoncer frapper des pices d'argent, exige la livraison des stocks et remet des billets en change~ La politique amricaine de valorisation aboutit donc

    (1) Tel est le cas du Mexique.

  • 42 LA MONNAIE

    une situation dsastreuse pour l'avenir du mtal blanc qu'elle entendait .. assurf'r : elle amne les autres Etats et mme celui qui jusqu'alors tait le plus grand demandeur d'argent, passer au rgime du papier.

    On comprend que M. Roosevelt ait di! modifier son attitude. A Londres, les cours se tiennent entre 19 et 22 d. en janvier 1936. Quelques tentatives se poursui-vent: des accords sont conclus en vue d'ach~tsdirects au Mexique, au Canada, en Chine, des spculateurs poussent les cours par instants,. mais les politi-ques agressives setnblent abandonnes. En 1936, l'administration amricaine achte toujours l'argent extrait des mines nationales un prix surlev qui correspond peu prs-au double. du cours mondial. . .

    Cependant les attaques contre la politique de l'argent se mltiplient. Au dbut de 1938, le. prix d'achat du mtal produit aux tats-Unis est rduit et l'accord conclu avec le Mexique est dnonc. Le 1 er janvier 1939, le stock montaire amricain d'ar-gent s'lve 2 milliards 1/2 d'onces de fin contre moins d'un milliard en Chine. et un peu plus d'un demi-milliard aux Indes. En juillet une stisfaction est donne aux argentistes' par un lger relvement du prix pay aux nationaux, mais en revanche le prix d'achat du mtal tranger est abaiss. D'autre part; la production reste leve: 169 millions d'onces en 1933, 25

  • L'ARGENT-MTAL, PARENT PAUVRE 43

    Concluons avec l'auteur d'un livre rcent: Il est vain de vouloir recoller des u,fs (1).

    Toutes les grandes politiques de valorisation (caoutchouc, caf, sucre, bl, ete ... ) ont abouti des checs, celle de l'argent n'a pas mieux russi. Mais les leOns de l'histoire sont rarement comprises.

    (1) Dlckson H. Leavens, Silver Money, Bloomington, 1939, .p.350.

  • CHAPITRE VIII

    L'OR EST TOUJOURS ROI

    L'or est doublement favoris par la chance: non . seulement la nature ne lui a pas permis de se mler la masse des mtaux COPlmuns destructrie de toute autonomie, mais encore l'histoire lui a t parti-culirement favorable. C'est par hasard que la loi de Gresham a jou en Angleterre au XVIIIe sicle de manire l'attirer dans ce pays et l'y installer. Le fait est devenu droit en 1816 et, partir de cette date, le destin de l'or s'est trouv li celui de la Grande-Bretagne. La domination du mtal s'est tendue en mme temps que s'tablissait la suprmatie commer-ciale et financire de l'Angleterre.

    Mais il n'est pas sans pril pour un moyen d'change qui aspire il garder un caractre international de se fier un peuple opportuniste en matire conomique t soucieux avant tout de ~auvegarder ses intrts nationaux. En 1931, l'Angleterre a abandonn l'or et beaucoup ont cru que c'en tait fait de la souverainet du mtal jaune. Les thoriciens anglo-saxons ne man-qurent pas d'accabler alors le bon serviteur d'antan: La vritable monnaie internationale, dirent-ils, ce n'est pas l'or, c'est la livre sterling, puisque le ple montaire du monde est Londres. L'or tient sa valeur

  • L'OR EST TOUJOURS ROI 45

    de la livre et non la livre de l'or. Le fait historique est dpass. Nous ne sommes plus au temps de la mon-

    naie~marchandise. La livre n'a pas besoin d'un sup-port mtallique. Laissons ce ftiche devant lequel nous nous sommes courbs trop longtemps. Ce que nous voulons, c'est une monnaie dirige. Au lieu ct' tre livrs aux caprices de la nature, nous serons soumis la volont d'hommes raisonnables qui maintiendront la stabilit montaire conformment aux intrts britanniques.

    Ainsi s'exprimaient M. Keynes et ses disciples. Les Anglais allaient s'manciper enfin et prendre en main les leviers de commande montaires de l'conomie mondiale. Un grand nombre de Franais applaudis-saient ces paroles : CI L'homme esclave de l'or, beau thme de discours pour faire pendant 1'hbmme. esclave de la machine.

    Donc l'or semblait dtrn. Les hommes d'tat se sentaient flatts d'ouvrir une re nouvelle. Un hymne d'orgueil s'levait de toutes parts.

    Bientt cependant on constata que plus les Gouver-nements s'loignaient de l'or, plus les peuples reve-naient lui. Les icinoclastes n'taient pas suivis. Les pouvoirs publics britanniques ayant, au lende-main de l'abandon de l'or, rtabli l'quilibre budg-taire grce des mesures orthodoxes fort louables, le mtal condamn, fuyant l'Europe trouble, a affiu sur la place de Londres, l mine o sa puissance avait t mise en chec. Les Anglais ont bien t contraints de cesser leurs attaques contre un mtal qui leur tait si fidlement attach.

    N'est-ce point l une nouvelle et clatante preuve de l'impuissance de l'tat et de la force de la tradi-tion ? L'or ne doit pas son prestige la loi. Au con-traire, lorsque les pouvoirs publics le rejettent, adop-

  • 46 LA MONNAIE

    tent le papier-monnaie pour talon et clament leur mpris des vieilles idoles, les pargnants s'inquitent, thsaurisent ou exportent l'or. On l'a vu en France pendant les annes qui ont prcd 1939. Ds- que leur pargne est en jeu, les individus les plus rvolution-nalres deviennent traditionalistes et timors. Rien, de plus lgitime: ils ne livrent pas de gaiet de cur le fruit de leur travail et de leurs sacrifices des diri-geants qui non seulement ne leur manifesteront pas la moindre reconnaissance, mais encore continueront de les regarder comme des exploiteurs. L'or, c'est la nature et le pass; le papier, c'est la volont d'un gouvernement. Si nous examinons les deux termes de cette alternative, nous serons obligs de conclure que l'hsitation n'est pas possible.

    Sans doute la nature 'est aveugle. Elle rpartit le mtal, prcieux dans l'espac'e et le fournit dans le temps de la manire la plus ingale.

    Dans l'espace, elle avantage inconsidrment cer-tains peuples l'exclusion des autres. Le plus grand chaIPP d'or, depuis la fin du sicle dernier, est le Transvaal. Les mines se pressent en un large demi~ cercle le long de la formation gologique du Rand. Leurs noms sont bien connus de tous 'ceux qui par-courent la cote dela Bourse. Groupes en trusts, elles sont relies entre elles par un organisme suprieur commun: la Chambre des Mines (1).

    Aprs le Transvaal viennent sur la mme ligne avant 1939 les tats-Unis, la Russie et le Canada.

    Le sous-sol d'un grand nombre de pays renferme de petites quantits d'or, mme celui de la France.

    (1) Citons parmi les trusts le Johannesburg Consolidated Investment, la Central Mining and Investment Corporation, la GeneraI Mining and Finance Corporation, la Rand Mine.

  • L'OR EST TOUJOURS ROI 47

    L'Empire britannique est bien partag puisqu'il compte non seulement les exploitations du Transvaal et du Canada, mais encore celles de l'Australie, des Indes anglaises, de la Rhodsie, de la Guyane et des colonies occidentales d'Afrique.

    Dans le "temps, la production s'est poursuivie par brusques saccades. Les dcouvertes ont donn des coups de fouet rconomie mondiale: au XVIe sicle en Amrique espagnole, au milieu du XI Xe sicle en Californie et en Australie, la fin du mme sicle, en Afrique du Sud. Le mouvement semble se rgulariser, car les dcouvertes de riches filons sont assez rares dans un monde dont les rgions les plus accessibles sont dj explores, alors que les inventions techni-ques se poursuivent sur un rythme presque continu, et sauf quelques exceptions, donnent lieu surtout des amliorations de peu d'importance, maismulti-pIes et progressives. Enfin, comme nous l'avons dj remarqu dans un prcdent chapitre, le stock d'or total tant de plus en plus lev, puisqu'il est inal-trable et que les pertes dfinitives sont minimes (1), la rpercussion exerce 'Sur l'conomie mondiale par les apports du mtal neuf tend tre de plus en plus faible. Cependant, il y a encore des -coups dans la production et parfois des inquitudes se .sont mani-festes : on craint tantt une disette d'or et tantt une surabondance.

    a) La dlgation de l'or du Comit financier de la Socit des Nations a jet un cri d'alarme en 1930 (2): elle a dresse cette date des courbes de la production future qui s'inflchissaient d'une manire catastro-

    (1) Trsors enterrs et non re1:.rouvs, naufrages. (2) Premier rapport provisoire. Dans ie rapport dfinitif en

    1932, la dlgation est revenue sur ses affirmations.

  • 48 LA .110NNAIE

    phique. Les faits lui ont inflig un dmenti brutal. M. Kurselllui-mme, spcialiste qualifi consult par la dlgation, estimait que la production mondiale tomberait 15 millions d'onces vers 1940 (1), alors' que les chiffres obtenus sont les suivants (en millions d'onces de fin) : .

    1930 .... 20,72 1936 .... 33,1 1931. ... 22,37 1937 .... 34,8 1932 ..... 24,23 1938 .... 37 1933 .... ~5,38 1939 .... 39 1934 .... 27,11 1940 .... 41 (2) 1935 .... 30,50

    Les experts n'avaient pas tout prvu: l'Angleterre a abandonn l'or et des rajustements naturels se sont produits.

    Le cours de l'or sur le march de Londres, exprim en monnaie britannique, tait jadis. de 84 sh. 9,81 d. l'once de fin (prix pay par la Banque d'Angleterre). Aprs l'abandon de l'or par la Grande-Bretagne, la fin de 1931, il est mont 127 sh., la fin de 1937 il a atteint 139 sh. 6 d., la fin de 1938 il est voisin de 150 sh., le 30 aot 1939 il dpasse 158 sh. et en dcem~ bre 168 sh.

    A l'exemple de l'Angleterre, un grand nombre de pays ont dvalu leur monnaie. Dans 23 pays produc-teurs d'or, non compris la Russie, le cours du mtal jaune en 1936 a t en moyenne supneur de 73 % celui de 1929. Ce pourcentage correspond approxi-

    (1) Annexe VIII au rapport provisoire, Genve 1930. (2) La production a diminu

  • L'OR EST TOUJOURS ROI 49

    mativement celui de la dprciation des monnaies de ces pays (1).

    Pour comprendre les rajustements, il faut raison-ner pour l'or Com.iI1e pour une marchandise quelcon-que: ce que l'on craignait, c'tait que le volume de l'or n'augmentt pas aussi rapidement que' celui des transactions, l'or se serait rarfi par rapport aux marchandises, son cours aurait mont. Dire que le cours de l'or s'lve, c'est dire que le prix des marc han-dises baisse, car ce sont les deux termes d'un mme rapport. Nous avons 'accoutum de fixer nos yeux sur les marchandises et de dclarer que leur prix varie en monnaie; nous pouvons aussi bien arrter nos regards sur la monnaie et prtendre que son prix. change en marchandises. Hausse du prix de l'or, baisse du prix des marchandises, c'et t la dpres-sion redoute.

    Mais il existe dans le mcanisme de la loi de l'offre et de ta: demande une tendance l'quilibre. Lorsque le prix d'un objet monte, les chefs d'entreprise s'empressent de fabriquer cet objet afin de s'assurer des bnfices abondants. En mme temps, la hausse dcourage les' consommateurs et la demande se res-treint .. Ce double mouvement d'augmentation de l'offre et de diminution de la demande ramne le prix vers son niveau antrieur. Il va de soi que ce mca-nisme suppose un march libre et aussi une offre et une demande lastiques, c'est--dire ragissant aux mouvements des prix. .

    Il en va de mme pour l'or. Son enchrissement stimule la production, les recherches et les inventions se multiplient, et surtout des quantits de minerai

    (1) Monnaies et banques, t. J. Aperu de la situation mon-taire, Socit des Nations, Genve, 1938, p. 10.

  • 50 LA MONNAIE

    jusque-l inutilises sont traites: ce sont les minerais dits basse teneur qui n'taient pas payants, parce que. leur coftt de production tait suprieur ou gal au prix de vente. Leur extraction commence tre profitable lorsque ce dernier prix. hausse. Comme les mouvements de la mare couvrent et dcouvrent des plages, ceux du cours de .l'or font apparattre ou. disparattre des masses de minerai exploitable.

    A ces variations d'extraction du mtal neuf s'ajou-tept celles du mtal en stock. Comme pour l'argent, les peuples thsauriseurs d'Extrme-Orient dversept l'or sur les marchs europens quand les cours du mtal jaune haussent dans des proportions suffisantes pour servir d'appts. En 1931, aprs la chute de la livre, c'est--dire au moment de l'ascension des cours de l'or exprims en livres, les Hindous ont vendu une fraction de leur stock pour obtenir le papier~monnaie anglais des conditions inespres; ils ont dthsauris l'or (qu'on excuse cet affreux nologisme employ dans le jargon technique). Un flot mtallique, venu des tresors' accumuls depuis des gnrations, a dferl sur la place de Londres et a permis la reconstitution de l'encaisse britannique. En 1938, l'or sorti d'Ex-trme-Orient est encore estim 57 millions de dollars.

    De leur ct, les demandes d'or se ralentissent~ mais ce mouvement est beaucoup moins marqu que pour la plupart des marchandises, en raison de l'estime .particulire en laquelle les hommes tiennent le mtal jaune. Cependant les Gouvernements s'efforcent d'viter les achats d'un moyen d'change devenu onreux: le systme d'talon de change, dont nous parlerons plus loin, est n~ du dsir d'conomiser l'or.

    La demande d'or pour des fins industrielles est

  • L'OR EST TOUJOURS ROI 51

    faible relativement la demande totale; en 1938, elle est lgrement iirieure au montant des sommes venues d'Extrme-Orient; par suite, l'or disponible pour les usages montaires correspond approxima-tivement au total de la production mondiale (1).

    C'est donc surtout l'offre d'or qui a vari. La pro-duction a t doublement stimule dans l'ordre des dcouvertes de gisements et dans celui des inventions ou amliorations techniques (2). De nouvelles mtho-des' (lnt t mises. en uvre avec succs dans le courani de ceS dernires-annes. L'avion a permis de transporter le matriel et la main-d'uvre en des sites inaccessibles de la Nouvelle-Guine et du Nord-Canadi~n; On dtecte les filons mtalliques en em- . ployant deS proc~ds magntiques, lectriques, sis-miques. La' technique de l'exploitation des filons a trpove par 'le systme de Phily qui permet la rcupration d'infimes particules, celle de l'exploi-tation des placers a t amliore par l'emploj d'une .usine flottante dmontable et transportable (dood-lebug). Dans les champs d'or anciens, des. mines spuisent, d'autres surgissent. Le Rand s'est tendu assez rapidement vers l'extrme est (Far East) aprs 1925, maintenant il gagne l'ouest. Les mines profondes (d.eep) se multiplient. . . . . L'es procds d'extraction s'amliorent constam-

    . ment : abatage, tayage, ventilation. Des inventions permettent parfois de diminuer fortement le CQ"t de production : tel a: t le cas pour une perforatrice. air comprim' utilise vers 1920 et plus rcemment

    (1) Rapport de la Banque des :R~glements Internationaux, Ble,. 1939, p,72.

    (2) Pout tout ce qui concerne la production de l'or, voyez' notre rapport au Congrh international des sciences conomiques et sociales, tenu Paris en juillet 1937.

  • 52 LA MONNAIE

    par un disque arte de diamant tournant grande vitesse et coupant le minerai comme du beurre sans mme faire de poussire.

    Il subsiste cependant une inconnue en Afrique du Sud: l'attitude des pouvoirs publics. Ceux-ci ont pris l'habitude de considrer les mines d'or comme leur principale source de travail et de revenus. En rser-vant les emplois qualifis aux ouvriers blancs et en laissant les ngres s'organiser, ils ont contribu maintenir entre les races une dangereuse hostilit (1). D'autre part, dans le courant de ces dernires annes, ils ont augment les charges fiscales des industries minires, afin de s'emparer d'une grande partie du bnfice dft la hausse du prix du mtal jaune, mais ils ont fini par s'apercevoir qu'ils allaient trop loin et qu'ils risquaient de tuer la poule aux ufs d'or (2).

    De leur ct, les compagnies aurifres sud-africaines profitent de l'lvation du prix de l'or pour pratiquer une remarquable politiqUe de prvoyance. Au lieu de chercher obtenir un maximum de revenu, .elles extraient des quantits de plus en plus importantes de minerai basse teneur, afin de prolonger la dure des mines. C'est pourquoi la prpduction du Transvaal augmente peu depuis la premire guerre mondiale et atteint seulement le tiers de la production mondiale en 1938, alors qu'elle dpassait la moiti en 1919.

    b) La surabondance dont on parle en 1937 est plutt question de rpartition que de production. C'est le. phnomne dit de (c maldstribution de l'or qui s'est accentu sans cesse depuis 1929. Les tats-

    (1) Les ouvriers blancs jouissent de vritables privilges et forment une aristocratie ferme. Le. Labour Party s'oppose violemment au proltariat indigne.

    (2) Voyez les discours des prsidents des compagnies mini-res>lors des assembles gnrales des actionnaires.

  • L'OR EST TOUJOURS ROI 53

    Unis craignent une inflation d'or, c'est--dire redou-tent que l'augmentation de la masse de mtal ne fasse trop monter les prix, ne provoque un tat d'opti-misme analogue celui qui existait avant 1929, n'incite aux spculations et ne ddenche une nouvelle crise. Aussi a-t-on parl parfois d'abaissement du prix de l'or, c'est--dire de rvaluation du dollar. En fait, le Gouvernement amricain s'est born augmenter les rserves minima des banques affilies au systme de rserve. Il existe d'ailleurs un remde trs simple cette situation : il suffit de mettre l'or en circulation en remplaant des billets par des pices. Mais songeons que six ans avant, le Prsident Roosevelt allait jusqu' menacer de prison quiconque dtenait du mtal.

    En 1939, l'or continue se dverser sur l'Am-rique : deux milliards de dollars sont venus s'jouter pendant le premier semestre. aux 14 milliards1 /2 de stock existant la fin de 1938. Vers le milieu de l'anne 1939, la veille de la guerre, les tats-Unis dtien-nent plus de 64 % de l'or du monde entier.

    Quelles sont les causes de cet affiux de mtal jaune aux tats-Unis? Il existe cette poque un grand nombre de pays isols, comme l'Allemagne, vers lesquels l'or ne se dirige plus ; de leur ct, les tats-Unis attirent le mtal parce qu'ils restent les grand's fournisseurs du monde, ayant une industrie puissante. qui travaille des cots modrs, et parce qu'ils demeurent une grande place de refuge, loin de l'Eu-rope de nouveau dangereusement menace.

    Ces masses de mtal jaune sont venues principale-ment de France, d'Angleterre et de Russie.

    Les causes de la sortie de l'or hors de nos frontires de 1936 1938 sont trop connues pour que nous insistions sur leur gravit. Mais ce n'est pas de gaiet

  • 54 LA MONNAIE

    de cur qu'il a quitt notre pays o il aurait pu fconder le commerce et l'industrie : il a t oblig de le faire pour payer aux trangers la masse des marchandises que nous avons t contraints de leur acheter lorsque les rformes sociales de 1936 ont lev nos cots de production au del de toute mesure. Chacun connat les proportions catastrophiques qu'a prises le dficit de notre balance commerciale depuis les lections de 1936 et malgr "la dvaluation du franc. La saigne de mtal s'est arrte lors de la chute du Gouvernement direction socialiste. L'chec de la grve rvolutionnaire du 30 novembre 1938 et les mesures prises par le Gouvernement Daladier ont provoqu le retour en France des capitaux expatris.

    Les raisons de l'affiux d'orrusse dans'les pays anglo-saxons demeurent mystrieuses. Le Gouvernement sovitique cherche voiler la ralit; sa propagande l'tranger est fonde sur un perptuel mensonge qu'ont dnonc les socialistes de bonne foi, tels que MM. Walter Citrine, Andrew Smith, Klber Legay, Yvon, Boris Brutzkus (1). Aussi ne pO}lvons-nous paf; faire fond sur les dclarations des matres de Moscou. D'aprs eux, la production aurait augment dans des proportions remarquables. Cette augmentation est possible, sans doute, car les pouvoirs publics ont le dsir et le moyen de l'obtenir: le dsir d'abord, parce qu'ils veulent constituer un trsor de guerre et un fonds de propagande; le moyen ensuite, puisqu'ils pratiquent dans ce domaine les mthodes capita-listes, s'adressant des orpailleurs - ou prospecteurs - indpendants qui jouissent de privilges fiscaux et reoivent des primes progressives ; mais ces cons-tatations n'expliquent ni la brusque avalanche de

    (1) Voyez notre brochure: L'Utopie sovitique, Paris, 1937.

  • L'OR EST TOUJOURS ROI 55

    masses mtalliques Londres en mai-juin 1937 (1), ni la diminution singulire de l'encaisse-or de la banque

    . centrale russe (Gosbank) que l'on observe entre la fin de 1935 et le dbut de 1937 (2). Il semble donc qu'il y ait dans l'action des Soviets soit une maladresse insigne, soit une volont d'apporter le trouble sur les plus importantes places montaires du monde, dans des buts probablement extra-conomiques. Ils y rus-sissent, d'ailleurs, car l'branlement du march de l'or et les bruits concernant l'abaissement du prix de ce mtal donnent naissance l'inquitude et provo-quent la mise en vente de stocks "thsauriSs qui viennent encore accrotre l'offre de la manire la plus inopportune.

    A la fin de 1937 et au dbut de 1938, le mouvement de thsaurisation a repris Londres. En juin 1938, puis la fin de juillet et au dbut d'aot.t, une rue vers l'or s'est produite. De tels mouvements ne peu-. vent pas tre interprts d'une manire favorable: en juin, ils ont t dus la crainte d'une dvaluation montaire gnrale, en juillet-aot.t celle d'une guerre europenne. Dans les deux cas, le capitaliste a fui devant certaines monnaies nationales, comme en 1937 il fuyait devant l'or. Ces paniques attestent la nervo-sit du public (3).

    Nous voici donc ramens l'individu aprs avoir voulu tudier l'action exerce par la nature.

    (1) Ce march a reu 412 barres valant 1.200.000 livres dans la seule journe du 31 inai 1937.

    (2) Cette perte reprsente environ 400 tonnes d'or. (3) Sur 1" .langer qu' la longue de telles secousses psycho-

    logiques risquent de prsenter et sur les posslbUlts pour l'homme de s'Installer dans le dsordre, voyez notre rapport la Coilfrence Internationale des Instituts de, .conjoncture (Revue d'conomie politique, septembre 1938, pp. 1342. et 1373).

  • 56 LA MONNAIE

    Ne dplaons pas les responsabilits; ce ne sont pas les choses qui sont cQupables : ce sont les hommes.

    Nous verrons plus tard ce q\1'.il faut penser des directions conomiques, mais point n'est besoin de procder de subtiles analyses pour admettre la supriorit de l'or sur le papier, c'est--dire de la nature sur l'homme. Oui, la nature est aveugle, mais elle est impartiale. Mieux vaut l'aveuglement que la passion partisane. C'est parce que l'or s'oppose aux expriences inconsidres, aux plans arbitraires, aux tentatives voiles d'expropriation, que les dicta-teurs, les meneurs et les rformateurs sans scrupules' veulent le dtrner. La thsaurisation et l'exportation de l'or sont les seuls moyens de dfense des victimes apeures.

    L'or est aussi Un frein salutaire pour les chefs d 'entreprise et les banquiers ; la ncessit de ne pas lui superposer une masse excessive de crdits impose la prudence en temps de prosprit.

    Conclu.ons: l'erreur des adversaires de l'or est clatante et la politique qui drive de cette erreUr est dangereuse. La puissance du mtal, clament-ils, repose sur une croyance, sur une routine; n'importe quel objet peut servir de monnaie, nous pouvons nous passer d'or. Telle est l'ternelle illusion dans laquelle se dbattent les rationalistes impnitents. Mais c'est prcisment parce que le mtal a pour fondement. des facteurs psychologiques, consolids par la coutume, que sa puissance dfie les attaques de la raison pure. Puril est le mpris des croyances, car l'homme es~ un

    . tre croyant. Dangereux est l'oubli de la tradition, car l'volution de l'humanit est un processus continu. Les .partisans des politiques fondes sur le papier perdent'pied dans l'abstrait: ils construisent la socit, puis' ils veulent modeler l'me l'image de cette

  • L'OR EST TOUJOURS ROI 57

    socit. Soyons plus ralistes .: l'organisation sponta-ne de la socit a ses raisons que la raison ne con-nat pas.

    Un grand banquier de Londres, qui longtemps avait combattu l'or, avouait au moment o l'Angle-terre revenait ce mtal en 1925 : Aussi longtemps que neuf honimes sur dix dans tous les pays penseront que l'or est Je meilleur talon, l'or le sera effective:-ment. Telle est la vrit. Les Gouvernements ne peuvent rien contre elle, et, dans leur propre intrt, il est heureux qu'il en soit ainsi. Dans les pays o fleurissent les fausses doctrines, la thsaurisation .et l'exportation de tor sont un hommage rendu au mtal, et elles constituent aussi un avertissement solennel donn aux puissants du jor par les pargnants tra-qus et tremblants.

    L'or reste et mrite de rester roi (1).

    (1) Nous verrons dans un chapitre ultrieur quel a' t le rle de l'or pendantla rcente guerre et quelles sont ses actuel-les perspectives d~avenir.

  • CHAPITRE IX

    COMMENT LES MONNAIES SONT HIRARCHISES ET LANCES

    DANS LA CIRCULATION

    Une seule forme de monnaie ne suffit pas permet-tre un rglement ais de toutes les transactions. Pour verser un million de francs en argent, il aurait fallu, avant guerre, charrier des sacs de lourdes pices de cent sous, et si l'acheteur d'un journal avait t oblig de payer en monnaie d'or, il aurait d avoir sa disposition des pices si petites qu'il aurait eu de la peine les dcouvrir au fond de son porte-monnaie. De toute ncessit, une fois l'talon fix, des mon-naies subsidiaires doivent venir s'engrener sur lui, de manire constituer un systme. Leur hira,rchie est fixe par l'tat suivant les coutumes et les circon-stances. Nous avons dispos et disposons encore en France, par exemple, de monnaies qui s'chelonnent de dix centimes cinq mille francs. Notre talon a chang depuis le dbut du XIXe sicle, mais l'arti-culation du systme n'a point vari.

    En fait les pices d'or ne circulent nulle part, nos beaux louis ll, n~tamment, ne sont plus qu'un souvenir. Les changes intrieurs se font l'aide de monnaies scripturales, de billets de banque et de pices divisionnaires de mtal.

  • 60 LA MONNAIE

    La. valeur nomimlle des b.illets est gnralement assez leve, car le papier .n'est pas propre servir de petits et multiples paiements, il se salit et se dtriore. .

    On peut considrer que la monnaie scripturale est utilise surtout pour les rglements d'oprations importa'ltes, les pices de mtal polir ceux des trans-actions journalires minimes et ql!e le billet tient une place intermdiaire entre ces deu:x formes montaires.

    Il y a cependant des exeptions. Ainsi, pendant la guerre de 1914-18, les Chambres de Commerce fran-aises ont mis .des petites coupures de papier pour faire face un manque de monnaies divisionnaires.

    Lorsque ces monnaies divisionnaires sont mtal-liques, elles ont un pouvoir libratoire limit, car elles ne selnt pas talon. Pour la mme raison, elles ne jouissent pas de la frappe libre et les pouvoirs

    . publics en profitent 'pour leur donner un caractre fiduciaire e.n leur attribuant une valeur lgale trs suprieure leur valeur commerciale, c'est--dire la vrueur du mtal qu'elles contiennent. Ils ralisent ainsi un bnfice. Par exemple, dans un pays talon d'or, des pices divisionnaires d'argent qui valent nominalement l'unit montaire contiendront un poids de mtal valant les deux tiers de cette unit sur les marchs commerciaux. L'tat moderne ne nglige aucune source de revenu.

    Comment ces monnaies sont-elles frappes ou mises?

    D'une part, les pices mtalliques sont frappes par les htels des Monnaies conformment aux pres-criptions lgales. Elles doivent avoir un poids et un titre dtermins, sous rserve d'une lgre tolrance.

    En France, les frappes sont effectues par l'htel

  • LES MONNAIES SONT HIRARCHISES 61

    des Monnaies de Paris qui travaille galement par-fois pour le compte de certains tats trangers. Elles sont contrles par une commission qui est compose de membres du Parlement et de dlgus de quelques grands corps de l'tat et qui adresse un rapport annuel au Prsident de la Rpublique.

    D'autre part, les billets sont mis par des banques qui jouissent d'un monopole (1). Jadis, il existait dans la plupart des pays un grand nombre de ces tablissements, mais il est malais de disposer de billets qui revtent des formes diverses, comme nous l'avons dj indiqu. Quelquefois certains de ces papiers n'taient accepts que dans une partie du territoire national et donnaient lieu des problmes de change intrieur fort gnants pour le commerce. L'nification est ncessaire dans ce domaine et impose la centralisation. . Les Amricains du Nord ux-mmes l'ont admis

    aprs avoir favoris la dissmination bancaire par crainte de voir natre un trust montaire : ce pays de la rationalisation a pendant longtemps souffert du rgime montaire et bancaire le moins "rationel qui se puisse imaginer. A deux reprises, en,l791 et en 1816, d'minents hommes d'tat ont cr un Institut central, mais ils ont d renoncer . le maintenir en raison des campagnes politiques menes contre lui par les dmocrates. Il a fallu attendre l'anne 1913 pour mettre fin l'anarchie dans ce domaine.

    Tous les pays sont aujourd'hui dots d'un orga-nisme central. Les derniers instituts crs sont ceux du Canada, des Indes anglaises, de la Nouvelle-Zlande et de l'Argentine.

    (1) Pour le mcanisme bancaire, dont nous n'avons pas parler ici, voir notre ouvrage Le crdit, Paris, 1934.

  • 62 LA MONNAIE

    Parmi ces tablissements, la Banque de France a toujours tenu une place minente. Cre en 1800, elle a conserv ses statuts intacts jusqu'en 1936 et, durant ce long intervalle de temps, elle a magnifi-quement rempli le rle que le Premier Consul lui avait assign. Sa gestion a t la fois' si adroite et si pru-dente que des spcialistes trangers l'ont frquemment prise pour modle: Revtant la forme de socit pri-ve, ella pu demeurer l'abri des ingrences exces-

    siv~ de l'Etat tout en lui apportant un concours prcieux aux heures difficiles. Elle a su concilier l'esprit d'initiative qui constitue une des caractris-tiques des chefs d'entrep:rises individuelles avec le souci de l'intrt gnral dont doivent faire preuve les dirigeants des grandes institutions nationales.

    Comme banque des banques, notre Institut d'mis-sion. assure la solidit de notre march montaire. C'est lui qu'ont recours les tablissements de crdit lorsqu'ils ont besoin de fonds, il est le sommet d'une pyramide d'institutions qui agissent avec confiance et hardiesse parce qu'elles savent qu'au-dessus d'elles rgne un organisme puissant et secourable. Le ciment qui unit les tages de cette pyramide est form par le rescompte. Par exemple, l'individu qui dsire mobiliser une crance, c'est--dire obtenir immdiate-ment des fonds correspondants une vente dont le montant doit tre rgl seulement dans trois mois suivant les usages du commerce, tirera une lettre de change sur son dbiteur et la remettra une banque locale. Celle-ci lui versera" le montant de l'effet sous dduction d'une rmunration nomme escompte. Si elle-mme se trouve ensuite gne, elle emploiera le mme procd en rescomptant la traite un grand tablissement de crdit et celui-ci son tour en fera autant la Banque de France. Ce mcanisme clas-

  • LES MONNAIES SONT HIRARCHISES 63

    sique fait aujourd'hui place, il est vrai, dans une certaine mesure, un systme d'avances, c'est--dire de simples prts consentis aux intresss. Les avances sont moins coteuses que l'escompte, mais sont souvent moins bien granties puisqu'elles ne s'appliqu.ent pas forcment des oprations com-merciales.

    La Banque de France, la difTre)ice de la plupart des autres Instituts centraux, prsente cette parti-cularit d'tre non seulement banque des banques, mais aussi banque des particuliers (1). S,on activit, cet gard, a t limite par des rgles strictes: les oprations long terme, impliquant une immobilis!l-tion des fonds, sont interdites; les dposants ne peu-vent recevoir aucun intrt; le papier pris l'escompte doit tre revtu de trois signatures, la troisime pouvant tre remplace par une garantie relle (valeur mobilire ou warrant) (2).

    Notre Institut central a longtemps maintenu un taux d'escompte et d'avance la fois faible et stable dont notre industrie et notre commerce ont grande-ment profit. C'est une date rcente que cette sup-riorit de notre march a disparu en raison de circon-stances d'ordre extra-conomique.

    Un Institut d'mission doit jouer un rle non seu-lement dans le domaine intrieur, mais encore dans le domaine international. La Banque de France n'a point failli cette tche. Elle a su dfendre notre

    (1) Cette particularit cre entre la Banque de' France et les tablissements de crdit un tat de concurrence qui empche parfois les. seconds de recourir la premire, (;Omme ils de-vraient le faire.

    (2) Ces rgles ont t assouplies de plus en plus. Ainsi certains effets 90 jours prsents au rescompte peuvent tre renouvels deux fois ..

  • 64 LA MONNAIE

    mon"naie chaque fois que les pouvoirs publics n'ont' pas entrav son action. C'est elle, ~n effet, qui dtient la rserve mtallique servant de garantie la monnaie nationale. Or, lorsque les dettes et les crances d'un pays vis--vis de l'tranger ne se compensent pas exactement, le solde doit tre pay soit en reportant le rglement une date ultrieure, soit en exportant du mtal. Dans le premier cas, la banque d'mission lve le taux d son escompte et attire ainsi des capitaux trangers qui viennent .momentanment s'offrir aux emprunteurs afin de profiter de cet accroissement de revenu qui leur est attribu. Dans le deuxime cas, le gage de la monnaie s'effrite et si la rserve menace de s'puiser, le pays considr se voit oblig d'abandonner l'talon mtalliq1,le et de laisser la monnaie nationale se dprcier par rapport aUx monnaies trangres. La politique d'escompte est don une polit[ue de dfense d'encaisse, mais elle doit tre conduite avec habilet, car tout ench:-rissment de l'argent aggrave les charges imposes aux entreprises industrielles et commerciales et risque de nuire au dveloppement de l'activitnatio-nale.

    Vis--vis de l'tat, la Banque de France s'est comporte toujours de la manire la plus loyale. En contre-partie du monopole de l'mission dont elle jouit sur tout le territoire (mais Mn aux colonies), elle opre gratuitement les recouvrements pour le compte de l'tat, elle fait celui-ci des prts sans intrt remboursables l'expiration de son privilge d'mission et elle verse au budget une part de ses bnfices. Le montant des avances consenties l'tat qui figurent au . bilan du 27 juillet 1944 atteint 503 milliards de francs.' Considre juste titre comme notre trsor de guerre et notre plus grande

  • LES MONNAIES SONT HIRARCHISES 65

    ressource en cas de crise, elle n'a point dmrit. La Banque de France prsente un caractre dmo-

    cratique, puisque le nombre des possesseurs d'une ou de deux actions forme environ 65 % du total des actionnaires. Jusqu'en 1936, elle a t dirige par un gouverneur et deux sous-gouverneurs, nomms par dcret, et par un conseil form de 15 rgents et de 3 censeurs lus par l'assemble gnrale. Celle-ci comprenait les 200 plus forts actionnaires, chacun disposant d'une seule voix (1).

    La loi du 24 juillet 1936 a remplac cette assemble restreinte par la masse des 40.000 actionnaires qui, d'ailleurs, peu de pouvoirs ont t donns, puisqu'ils dsignent seulement trois censeurs ayant voix consul-tative et deux conseillers. Le conseil de rgence a fait place un groupement de 26 membres, dans lequel les fonctionnaires ont la majorit (2). En un mot, les pouvoirs des pargnants ont t amoindris et ceux de l'tat accrus (3).

    C'est par l'intermdiaire de l'Institut central que les billets sont lancs normalement dans la cirula-tion, soit contre des dpts d'or lorsque le rgime montaire l'exige, soit dans tous les cas par la voie des escomptes et des avances : ils reviennent leur point de dpart, lors du recouvrement des traites l'chance ou lors du remboursement des prts. Ds

    (1) Parmi ces prtendues 200 ramilles". il Y avait les compagnies de chemin de fer. l'Assistance publique. la Caisse des dpts et consignations. la Cit Universitaire, l'Acadmie des Sciences. des socits de secours mutuels. des municipa-lits .... etc.

    (2) La minorit est forme en majeure partie par des gr~mds consommateurs de crdit (agriculture, industrie, commerce). Le capital est sacrifi.

    (3) Une loi du 24 novembre 1940 a limit "le nombre des conseillers tout en maintenant l'emprise de l'tat.

  • 66 LA MONNAIE

    vont par contre grossir le volume montaire, sans grand espoir de retour, lorsqu'ils sont mis pour fire face des dpenses c:J.e l'Etat que celui-ci n'arrive pas couvrir par des iri:tpts. Malheure1:lse~ent, depuis 1918, la fonction de banquier des banques ut devenue secondaire par rapport la fonction de ban-. quiet deTEtat dans 'a plupart des pays.

    La Banque d~mission assure donc, dans la mesure o elle demeure indpendllnte des interVentions des pouvoirs publics, ce que l'on nomme.l'lQ8ticit mon-taire. Quand ene estime que,. S011,S l'empire d'un mou-vement gnral d~optimisme ... leS producteurs et, ls commerants exagrent leur activit, qu'un boom par consquent risque de se produire, gnrateur de crise ultrieure, elle augmente le taux de ses escomp-tes .et de ses avances; .les.emprunteurs sont .alors dcourags et ralentissent leurs oprations. La banque peu,t tre mme oblige d'agir ainsi dans le cas.O unecouvertur mtallique du papier est exige par les lois, puisque l'augmentation des' prtsacroit le volume des billets en circulation et que ce volume risque de devenir trop important par rapport la quantit de. mtal qui le gage.

    L'lasticit tait si parfaitement assure en France autrefois qu'un spcialiste en.Ia matire, M. Aupetit, voyait en elle III caractristique de notre ma