l'open sky, la sécurité et la protection de l'environnement

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267 Les cieux maghrébins à l’épreuve des nouveaux défis: L’Open Sky, la sécurité et la protection de l’environnement Submitted By Prof. Abdalhafidh OSSOUKINE Faculté de droit, Université d’Oran Introduction I. Droit de Chicago et droits maghrébins - Aperçu sur le marché aérien euromaghrébin II. L’épreuve de l’Open Sky ; de l’euphorie aux questionnements - Au Maroc; la désillusion - En Tunisie; le temps des réticentes - En Algérie; le protectionniste III. Les aléas liés à l’insécurité - La sécurité des appareils - Le terrorisme IV. La protection de l’environnement

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Les cieux maghrébins à l’épreuve des nouveaux défis: L’Open Sky, la sécurité et la protection de

l’environnement

Submitted By

Prof. Abdalhafidh OSSOUKINE

Faculté de droit, Université d’Oran

Introduction

I. Droit de Chicago et droits maghrébins

- Aperçu sur le marché aérien euromaghrébin II. L’épreuve de l’Open Sky ; de l’euphorie aux

questionnements

- Au Maroc; la désillusion - En Tunisie; le temps des réticentes - En Algérie; le protectionniste

III. Les aléas liés à l’insécurité

- La sécurité des appareils - Le terrorisme

IV. La protection de l’environnement

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Présentation

Il aurait été souhaitable que nous utilisions les « cieux »

maghrébins au singulier au lieu du pluriel, tant la désintégration de l’Union du Maghreb Arabe (UMA) ne cesse de s’accentuer de jour

en jour au mépris des idéaux annoncés à Tanger(1). Il semble tellement chimérique aujourd’hui de parler d’un Maghreb comme un marché économique intégré alors que le transport aérien intermaghrébin est marqué par l’absence d’un Open sky régional ce

qui reviendrait à livrer le ciel aux compagnies européennes qui sont les seules à disposer de l’ensemble des destinations maghrébines.

La présente communication, en se focalisant de manière

exclusive sur l’une des zones de transit aérien les plus denses de la Méditerranée, à savoir le Maghreb, entend exposer une réflexion et

poser certaines questions par rapport aux nombreux défis qui se sont imposés depuis la libération des cieux à la lumière des accords de partenariat euro – maghrébins. Au cours du premier point nous

(1) L’idée de construire le Grand Maghreb remonte à l’époque coloniale lorsque le nationaliste marocain Allal el Fassi, convoqua à Tanger du 27 au 30 avril 1958 un congrès où avaient pris part des représentants des principales formations politiques des trois pays à savoir le parti du nouveau Doustour tunisien, l’Istiqlal marocain et le Front de libération nationale algérien. Le but affiché était d’asseoir une démarche commune en vue de l’édification d’une union qui devait prendre forme à l’indépendance de l’Algérie. Sur ce chapitre de l’histoire, cf., Michel BRONDINO, « Le Grand Maghreb ; Mythe et Réalité », coll. Alif, Tunis, 1990. Ahmed MALKI, « Les mouvements nationales et la colonisation au Maghreb », Centre des études de l’unité arabe, série thèses, Beyrouth 1993 (en arabe),

Mohamed EL MILI, « Le Maghreb arabe entre les sensibilités des Etats et les aspirations des peuples », éd. Dar el qalima li anâch’r, 2ème édition, Beyrouth 1983.

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situerons le droit maghrébin de l’aviation civile dans son contexte international, nous analyserons ensuite les conséquences des accords de l’Open Sky. Le dernier point se concentrera sur les défis

liés à l’insécurité. Enfin, la question du respect de l’environnement sera abordée en dernier lieu.

Introduction

Née officiellement à Marrakech le 17 février 1989 et

initialement prévu à Zéralda dans la banlieue algéroise quelques mois auparavant, l’Union Maghrébine constitue un vaste ensemble géographique, riche en ressources humaines avec 85 millions de

consommateurs, et naturelles (agriculture, énergie…). Le grand Maghreb constitue le bloc régional le moins intégré politiquement et économiquement. Contrairement aux pays du Conseil de coopération arabe (EAU, Kuweit, Arabie Saoudite, Bahreïn, Sultanat

D’Oman), les pays maghrébins n’entretiennent pas de rapports étroits entre eux. Le taux d’échange ne dépasse guère les 2 %. Les quelques acquis obtenus en terme d’intégration régionale l’ont été sous l’impulsion directe ou indirecte du facteur extérieur, en

l’occurrence l’Union européenne.(2) Cet état de « non-Maghreb »(3) dont le coût est inestimable en termes de manque à gagner va se répercuter sur le trafic aérien intra-maghrébin, qui pourtant devrait être boosté avec la fermeture des frontières terrestres entre les deux principaux pays du bloc, à savoir le Maroc et l’Algérie. Le gros

(2) Cf., Aomar BAGHZOUZ, « Apport et limites du facteur extérieur dans l’impulsion de la construction maghrébine : l’exemple de l’Union européenne, In Difficultés et perspectives de redynamisation de l’Union du Maghreb », Colloque international organisé par l’Université Mohamed 1. Oujda du 16 au 17 avril 2009. A ce propos, notons que les pays de l’Amérique latine ont un taux d’échange

avoisinant les 15 %, ceux de l’Association de Nations de l’Asie du Sud-Est 40 % , et 70% pour l’Union européenne. (3) Cf., Le coût du «non Maghreb» : Dossier de Jeune Afrique du 19 mai 2006.

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du trafic est dédié au transport des voyageurs(4), alors que le fret est pratiquement inexistant.

En plus des compagnies étrangères activant dans le ciel

maghrébin, trois sociétés nationales majors détiennent un

monopole de fait des airs nord-africains ; Air Algérie(5), Royal Air Maroc(6) et Tunisair(7).

(4) Les vols intra-Maghreb programmés par les compagnies aériennes nationales ne desservent que les capitales (Casablanca, Alger, Tunis), à l’exception du vol bihebdomadaire Oran-Casablanca, assurée par la compagnie algérienne Air Algérie en raison des relations familiales liant les habitants de l’Ouest algérien avec ceux de l’Est marocain et aussi en raison de la forte implantation de la communauté marocaine dans l’Oranie. (5) Air Algérie est une société par actions- S.P.A., elle transporte annuellement près de 3 millions de passagers sur ses lignes régulières. La flotte compte 33

appareils dont 31 sont exploités pour le passage et 2 pour le cargo. D’un âge moyen de 5 ans, la flotte passage est une des flottes les plus jeunes du secteur. Avec Khalifa Airways et Antinéa Airlines aujourd’hui disparues, l’Etat a créé en 1998 Tassili Airlines, qui se voulait une joint-venture entre Sonatrach (51%) et (Air Algérie 49%) ; mais en 2005 l’entreprise pétrolière a racheté la totalité des parts détenues par Air Algérie. (6) Née en 1957 de la fusion d’Air Atlas et Air Maroc, la RAM est propriété à 100 % de l’État marocain. Avec un parc de 41 appareils, le nombre de passagers de la RAM a atteint 6,3 millions en 2010. 37 pays et 66 aéroports étrangers sont desservis aujourd’hui par des vols réguliers à partir du Maroc. Les compagnies Low cost sont au nombre de trois ; Air Arabia, Atlas Bleue, Jet4you. (7) La Tunisie s'est dotée d'une compagnie aérienne nationale après la seconde guerre mondiale (1948) bien avant ses voisins du Maghreb, l'Algérie (juin 1953) et le Maroc (juin 1957). Le transport aérien est hautement stratégique en termes de transport de voyageurs avec 98 000 vols enregistrés en 2005, ayant permis le transport de 10,5 millions de passagers, dont 3,5 millions de touristes européens. Tunisair exploite une flotte de 30 appareils (dont l’âge moyen est de

sept ans), 19 en propriété et 11 en leasing. D’autres compagnies de moindre importance ; Sevenair (aujourd’hui Tunisair Express), Nouvelair Tunisie, Tuninter, Karthago Airlines, exploitent une partie du Ciel tunisien.

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Face à l’Union européennes, les Etats du Maghreb y sont allé

un par un. Il y’a eu d’abord l’adhésion au processus de l’association dont la libération des airs n’est qu’une de ces facettes puisque

l’ouverture commerciale avec l’Union européenne doit nécessairement se matérialiser par le démantèlement des barrières tarifaires et non tarifaires ce qui entrainera par conséquent la soumission des compagnies aériennes maghrébines à la

concurrence européenne.

En effet, le partenariat global (économique, politique et

social) euro-méditerranéen entre l’Union européenne et les pays du Sud de la Méditerranée a été lancé en 1995 par le processus dit de Barcelone(8). Avec la Tunisie l’accord entra en vigueur le 1er mars 1998, au Maroc le 1er mars 2000. Quelques temps après, ces deux

pays demandent séparément que l’Union leur accorde le statut « avancé » que l’Europe des 27 avait déjà octroyé à Israël, l’Ukraine, la Moldavie…

Très tardivement l’Algérie signe l’accord qui entra en vigueur

le 1er septembre 2005, mais demanda aussitôt sa révision du fait qu’il ne profite qu’à l’Europe. Les autorités avaient avancé que

l’Accord d’association, dans son volet démantèlement tarifaire, a induit des pertes substantielles en recettes douanières pour l’Algérie de l’ordre de 2,5 milliards de dollars au titre de la période

(8) Décision 2006/356/CE, décision 2005/690/CE, décision 2004/635/CE, décision 2002/357/CE, décision 2000/384/CE, décision 2000/204/CE, décision 98/238/CE, concernant la conclusion d'un accord euro-méditerranéen établissant une

association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d'une part, et, respectivement, le Liban, l’Algérie, l’Égypte, la Jordanie, Israël, le Maroc et la Tunisie.

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2005-2009 avec une projection pour 2010-2017 d’environ 8,5 milliards de dollars(9).

Mais la mise en œuvre des législations aériennes

maghrébines avec tous les défis qu’elles affrontent, tant par

l’interférence des accords commerciaux bilatéraux avec les européens, les changements climatiques (pollution) que par les bouleversements politiques (terrorisme - sécurité), ne va pas sans défaut. C’est que nous tenterons d’exposer dans les lignes qui

suivent. Mais avant, nous devons situer les droits maghrébins de l’aviation civile dans le contexte international incarné par la Convention de Chicago de 1944.

I. Droit de Chicago et droits maghrébins

Globalement le droit maghrébin régissant les services

aériens(10) entre indubitablement en interaction avec le droit international de la navigation civile d'où il tire sa source et

constitue de ce fait la transposition au plan interne des normes juridiques internationales. En effet, le Maghreb, bien que constituant des entités politiques autonomes, reconnaît néanmoins l'applicabilité des conventions internationales en ordre interne. La réception par le droit interne des normes internationales de la

navigation civile a des impacts non négligeables tant sur le plan normatif qu'institutionnel.

(9) Cf., Ali TITOUCHE, « Accord d’association avec l’Union européenne, L’Algérie perdante sur toute la ligne » El Watan 13 mai 2009. Ali MABROUKINE, « L’Algérie a-t-elle encore besoin de l’Europe? » L’Expression 15 Juin 2010. Béatrice HIBOU, « Les faces cachées du partenariat Euro-méditerranéen » Critique Internationale, n°18, 2003. (10) Nous utilisons l’expression « service aérien » dans le sens englobant à la fois le fait matériel de la circulation (la navigation aérienne) et le fait commercial (le transport aérien).

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Et pourtant en matière de réglementation de l’aviation civile,

nous pouvons avancer, qu’il existe un ensemble maghrébin intégré avec un ordre juridique rendu incontournable par l’adhésion des

pays du Maghreb à l’ensemble du dispositif international en la matière. En effet, le droit international du transport aérien civile, issu principalement de la Convention de Chicago(11), modifié depuis à plusieurs reprises, dont les pays du Maghreb sont signataires, a

une valeur supérieur puisqu’il est à l’origine des codes nationaux(12). Il n’existe dans aucun des pays du Maghreb de dispositions législatives ou réglementaires incompatibles avec les engagements internationaux. Cependant, bien qu’en s’inspirant

dans leur lettre et dans leur esprit des conventions internationales, les codes maghrébins, ne constituent pas moins ce qu’on pourrait appeler un droit communautaire du transport aérien, à l’image du droit communautaire européen. Nous ne sommes là, ni plus ni

moins que face à un phénomène d’acculturation juridique.

(11) La Convention de Chicago comporte 96 articles. Elle intervient en remplacement de la Convention portant réglementation de la navigation aérienne, signée à Paris le 13 octobre 1919 et la Convention relative à l'aviation commerciale, signée à La Havane le 20 février 1928. Dans le dispositif international Cf., également la Conférence internationale de Paris de 1925 qui a donné naissance à la première convention internationale de droit privé, le 12 octobre 1929 à Varsovie, relative à « l'unification de certaines règles relatives au transport aérien international » (Convention de Varsovie modifiée par le protocole de La Haye, adopté en 1955, entré en vigueur en 1963, et par l'accord de Montréal). (12) Cf., en Algérie loi n°98-06 du 27 juin 1998 fixant les règles générales relatives à l’aviation civile, JORA n°48 du 28/06/1998, En Tunisie, loi n°2004-57

du 12 juillet 2004, amendant et complétant certaines dispositions du code de l'aéronautique - civile promulguée en vertu de la loi n°99-58 du 29 juin 1999. Au Maroc c’est la loi 09-37 qui régit l’aviation civile.

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En matière de navigation civile, on peut avancer sans risque

de se tromper que le droit interne des pays du Maghreb et le droit international forment un ordre juridique homogène (monisme). Dès

qu’elles ont été approuvées par les instances parlementaires, les normes du droit international font partie intégrante de l’ordre juridique et tous les organes de l’Etat doivent les respecter et les appliquer. Cette primauté du droit international découle de

l’obligation d’exécuter les traités de bonne foi (Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités, article 26). Dans le cas de la Convention de Chicago, les législateurs maghrébins en « bons élèves », ont tout bonnement transposé le dispositif international

dans sa totalité, sans qu’il soit besoin de procéder à des réaménagements.

Agissant dans un « Ciel Unique » ou « ciel ouvert » (Open sky) formules en vogue dans le vocabulaire aérien(13), il y’a dans la navigation aérienne une dimension transfrontière(14) que les Etats ne peuvent y échapper. L’ensemble des dispositifs internationaux y

inhérent régit un secteur spécifique et contribuent à l'essor d'un droit international du transport aérien. Ce droit se présente comme un droit composite, constitué de sources très variées mais apparemment unifié. Il se définit comme l'ensemble des règles

juridiques internationales relatives à la navigation aérienne et en régit l’organisation dans toutes ses dimensions (aérodromes, routes aériennes, personnel de navigation). Il définit le statut juridique de

(13) Cf., L. GRARD, « Les accords ciel ouvert. Vers un ordre juridique aérien international 'post bermudien'. Bientôt un ordre juridique post-bilatéral », Colloque Transport aérien, Toulouse 2 avril 2004, RFDAS, n°2/2004. Cf., du même auteur, « Le droit de l'aviation civile après le 11 septembre 2001. Quelles mesures face à l’hyper terrorisme? » Études à la mémoire de C. LAPOYADE-DESCHAMPS, Presses Universitaires de Bordeaux, 2003, (14) DE LA PRADELLE., « Les frontières de l'air », RCADI, 1954 vol. II, T86, p.117.

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l’aéronef et les règles relatives à son milieu naturel, l’air. Enfin, il traite de la responsabilité des dommages causés aux tiers par les aéronefs(15). Toutefois, l'application du droit international du

transport aérien relève, en raison de la nature de ses règles, du régime d'application dans chaque Etat pour sa mise en œuvre. C’est d’ailleurs la préoccupation majeure de l’Organisation internationale de l’aviation civile(16).

La convention de Chicago postule le caractère strictement

interétatique du droit international de l'aviation civile dont elle est la charte. Son article 1er affirme avec force la souveraineté des États(17) ou ce que M. John C. Cooper appelle la puissance aérienne de l’Etat sur son espace(18). Elle est complète et exclusive. Il s’agit

(15) Pour plus de détails cf., CARTOU L., « Droit Aérien », PUF 1963. CHAUVEAU P., « Droit Aérien », librairies techniques, juris-classeurs, Librairie de la cour de cassation 1951. DE JUGLART M., «Traité de droit Aérien », 2ème édition, LGDJ, Tome 1, 1989. FOLLIOT M., « Le transport aérien international : évolution et perspectives » LGDJ, 1977. LE GOFF M., « Manuel de Droit Aérien, droit public », Paris, Dalloz, 1954. BLANC-DANNERY Y., « La Convention de Varsovie et les règles du Transport aérien international », Pedone 1933. (16) Il s’agit d’une institution spécialisée des Nations Unies dédiée à l’aviation civile internationale (OACI). Elle a pour mission principale l’administration des principes énoncés dans la Convention de Chicago, notamment la standardisation, la création de standards internationaux, de pratiques recommandées et de procédures, couvrant les domaines techniques de l'aviation. (17) La notion de la « souveraineté » a été brillamment développé par PARK K-G., « La protection de la souveraineté aérienne », Pedone, 1991, coll. des publications de la RGDIP, n° 44 nouvelle série. Cf., également P. DUPONT O. « L’espace aérien entre souveraineté et liberté au seuil du XXIe siècle », RFDAS, janvier-mars 1992. (18) In. The Right to fly, New York, Benry Holt and Cy, 1947, 380 p. Cf., de cet auteur, « Le plan des Bermudes. Un modèle pour l'organisation mondiale du transport aérien », R.F.D.A., 1947, 139.

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là d’une émanation du droit coutumier international consacrée par la jurisprudence de la Cour Internationale de Justice.(19)

Comme nous le verrons plus loin avec l’Open Sky, la

souveraineté prônée par le droit de Chicago comme règle pleno jure gentum va s’effriter au profit de la mondialisation et l’ouverture des cieux. En principe « tout État est libre de limiter l’accès à son territoire en exigeant des aéronefs étrangers qu’ils demandent son autorisation préalable pour survoler son territoire et de réglementer certaines activités concomitantes au survol de son territoire (ainsi du transport des matières dangereuses ou de la prise de photos aériennes). L’État peut aussi désigner les itinéraires aériens et les altitudes que les aéronefs doivent respecter. Mieux, le droit international attribue aux États le pouvoir de créer des

zones au-dessus de leur territoire dans lesquelles le vol est restreint. Ceci étant, les Etats dans le cadre de négociations bilatérales peuvent s’affranchir du cadre global de la Convention de Chicago mais tout en se conformant aux fondamentaux du trafic

international, à savoir le respect des « cinq libertés de l’air » :

- droit de survol sans atterrissage (ni escale technique

ou commerciale) ; - droit d'escale technique (plein de carburant,

nettoyage, changement d'équipage, mais pas d'embarquement de passagers ou de fret) ;

- droit d'embarquement sur le territoire de tout Etat en direction de l'Etat de nationalité de l'avion ;

- droit d'embarquement sur le territoire de tout Etat en direction de tout Etat ;

(19) CIJ 1986, affaire des activités maritimes et paramilitaires au Nicaragua.

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- droit de débarquement sur le territoire de tout Etat.(20)

Il y va de soi que ces libertés, notamment les trois

dernières, contribuent à une concurrence totale des services

aériens commerciaux et profitent aux grands transporteurs aériens occidentaux, notamment européens et nord-américains et depuis peu ceux du Moyen-Orient (Saoudi Airlines, Qatar Airways, Emiratie).

Le droit de Chicago permet aux États postulant à l'Union internationale d'être sans l’être réellement dans le marché unique

mondial du transport aérien. Avant de devenir membres, le reste du Monde doit se soumettre « au dictat » et aux conditions posées par les rédacteurs de la convention internationale.

- Aperçu sur le marché aérien euromaghrébin

Le Maroc est le pays le plus visité du Maghreb, très

majoritairement par des voyageurs venant de France, mais aussi d’Espagne, de Belgique, d’Italie, et de Hollande. La Tunisie, plus à

l’est, est visitée aussi par les voyageurs des pays européens. Les échanges estivaux avec l’Algérie, dont une forte communauté réside en France, sont 3 fois moins nombreux qu’avec le Maroc. Enfin, les échanges de la Mauritanie et de la Libye avec l’Europe

restent assez peu nombreux (cf,. tableau 1et 2).

(20) Sur les libertés de l'air, cf., not. LEMOINE, « Traité de Droit aérien », nos 144 et ss. (7). Cf., Rapport final de la Commission chargée d'établir un accord multilatéral sur les droits commerciaux dans le transport aérien civil international,

R.F.D.A., 1948, 74. Egalement GARNAULT, « La première assemblée de l'O.A.C.I. et le projet d'accord multilatéral sur les« libertés commerciales » de l'air », R.F.D.A., 1947, 231.

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Le mode de transport aérien, plus rapide et plus confortable, en

fonction de la destination, peut être moins cher que le bateau. Il est le plus prisé pour les voyageurs d’Europe de l’Ouest souhaitant

se rendre au Maghreb puisqu’il est emprunté par 2/3 d’entre eux. 3,1 millions de voyageurs ont pris l’avion au cours de l’été 2008, ce chiffre est en hausse depuis 2002.

La France, pays dans lequel vit la majorité des résidents

européens d’origine maghrébine est logiquement le pays depuis

lequel s’effectue le plus grand nombre d’allers-retours par avion avec le Maghreb, loin devant l’Italie et l’Allemagne. Avec plus d’un million de voyageurs par avion, les deux pays du Maghreb les plus générateurs de trafic avec l’Europe sont, historiquement, la Tunisie et plus récemment le Maroc.

Ce mouvement vers le Maroc semble en grande partie tiré

par la libéralisation du transport aérien initiée avec l’ouverture du ciel marocain. Les usagers ont aussi bénéficié de la croissance exceptionnelle du trafic aérien international qu’enregistre le Maroc. Avec un peu plus de 5 millions de passagers en 2003, le trafic

marocain a plus que doublé en 4 ans, avec des hausses spectaculaires de 20%, en 2007. Même dans une conjoncture économique dégradée, le trafic se maintenait au mois de mars 2009 avec 967 000 passagers internationaux réguliers contre 948 000 le même mois un an plus tôt, soit une progression de 1,93 %.

Cette politique de libéralisation du secteur aérien, initiée en 2005, qu’a renforcé l’accord de « ciel ouvert », a permis l’introduction de compagnies à bas coût comme Easyjet et Ryanair, ou Atlas Blue, Jet4you et plus récemment, l’arrivée d’une 3ème compagnie

aérienne low-cost marocaine, Air Arabia Maroc, qui opèrent de nombreux vols entre le Maroc et l’Europe.

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Fréquentation estivale 2010 –Milliers de passagers (A/R)-

Tous Modes de transports

ALG

ERIE

LIB

YE

MARO

C

MAU

RIT

AN

IE

TU

NIS

IE

TO

TAL

France 541 10 730 6 780 2067

Espagne 130 <1 1438 4 48 1620

Italie 22 16 126 <1 305 469

Allemagne

14 8 79 <1 229 330

Belgique 5 3 113 <1 102 223

Pays-Bas <1 7 43 <1 36 86

Portugal <1 <1 5 <1 24 29

Malte 1 13 <1 <1 7 21

Total de ces 8

pays

713 57 2534 10 1531 4845

Source : Eurostat, MEEDDAT, ministère de l’intérieur espagnol, SNCM

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280

Evolution du trafic de passagers

Entre les pays européens et le Maghreb

Source Eurostat, MEEDDAT, ministère de l’Intérieur

espagnol, SNCM

C’est dans ce marché donc que va s’opérer la libéralisation

du ciel entre l’Europe et le Maghreb avec tous les défis que cela comporte.

II. L’épreuve de l’Open Sky: de l’euphorie aux

questionnements

L’Open Sky est d’essence américaine. Elle a été initialement adopté depuis 1992 par le Département d’Etat en charge du

tourisme en direction de l’Europe dans un premier temps et ensuite élargie au reste du Monde.

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L’adhésion à l’Open Sky implique l’engagement de respecter

scrupuleusement un certain nombre de libertés ; le survol, l’escale technique, l’escale commerciale, le droit d’opérer depuis et vers

l’Etat de nationalité de l’aéronef, le droit d’opérer également de façon progressive, depuis et vers tout autre Etat partie de l’accord. L’Open Sky prévoie généralement une coopération réglementaire (sûreté de l’aviation civile, gestion du trafic aérien, sécurité des

passagers, protection des consommateurs…). En les énumérant toutes, ces libertés consistent à :

- Autoriser toutes les compagnies aériennes à opérer librement

entre les différents aéroports,

- Permettre sans aucune entrave et limite toutes les fréquences sur

toutes les lignes,

- La liberté de mettre en place sans contrainte des stratégies de

hubs (aéroport pivot),

- La liberté d’opérer de tout point de chacun des pays sans restriction, avec la possibilité de desservir des points intermédiaires

et au-delà,

- La liberté d’exploiter un nombre illimité d’avions de moindre

capacité de/vers les points d’entrée internationaux.

- La possibilité de fixer librement les tarifs,

- La liberté du fret en distinguant le tout-cargo du transport

combiné en permettant aux compagnies aériennes de déterminer librement le type d’appareil le mieux adapté à la demande ligne par ligne .

- La possibilité pour les transporteurs de convertir leurs revenus en devises fortes et de les rapatrier sans restriction. Cette mesure

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concerne les accords entre pays aux systèmes économiques différents, notamment lorsqu’il existe des contrôles de change.

Dans le cadre des accords signés avec les européens, toute

compagnie disposant des certificats techniques adéquats, peut

voler de tout point de l’Union ou vers tout point du pays contractant sans aucune limitation de fréquence ou de capacité et sans même avoir besoin d’être enregistrée par sa partie. Tout opérateur détenant une licence d’exploitation délivrée par une des

parties peut déposer directement son programme de vol à l’autorité aéronautique de l’autre partie. Dans une seconde phase, les compagnies locales se verront ouvrir le droit de transporter des passagers entre deux Etats membres, dès lors que le vol commence ou s’achève dans le pays adhérent à l’Open Sky. En

contrepartie, le pays signataire comme le Maroc ou la Tunisie doivent accorder aux compagnies européennes le droit de transporter des passagers entre ces pays et les pays du voisinage de l’Europe, à charge pour la Communauté d’obtenir l’accord de ces

pays tiers.

La plupart du temps les États organisent les relations de

leurs compagnies aériennes avec les autres compagnies à la base de l’égalité structurelle et de manière à éviter que la concurrence qu'ils pourraient se livrer ne leur soit préjudiciable. C'est pourquoi, les compagnies, dès le lendemain de la convention de Chicago, ont

créé Y International Air Transport Association (IATA) de manière à disposer d'une enceinte au sein de laquelle elles peuvent s'entendre sur les tarifs. Mais le marché bilatéral demeure un marché réservé et dirigé.

Au-delà du principe « Ciel ouvert » proprement dit, le

programme de libéralisation maghrébo-européen doit concerner le rapprochement et l’harmonisation des législations, le contrôle des

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marchés, l’encouragement des investissements dans le secteur du transport aérien, ainsi que l’assouplissement des procédures administratives et la coopération dans le domaine de la navigation

aérienne.

Dans une Union à cinq États membres, si la transposition

des règles de Chicago a été appliquée avec rigueur, ce qui donne à penser que le Maghreb a bien harmonisé ses normes internes, avec les accords de l’Open Sky en direction de l’Union européenne c’en

est autrement puisque chaque Etat y est allé de son côté, ce qui par conséquent, donne aux compagnies européennes, dans leur majorité plus performantes, toute latitude à desservir les villes maghrébines, sans restrictions, ni accord préalable. Il n’en est pas de même pour les compagnies maghrébines lorsqu’elles survolent

l’espace européen. Les maghrébins entre eux, s’ils manifestent une volonté politique unioniste(21), en pratique, la tendance individualiste est de rigueur. Car au fond, l’Algérie, le Maroc et la Tunisie craignent qu’un Open Sky maghrébin favorise un Etat au

détriment de l’autre. Cette appréhension s’explique aussi par la crainte de l’instauration de la formule du « Cabotage(22) », incontournable dans l’Open Sky.

(21) Lors de la 11e session ministérielle de l’Union du Maghreb arabe (Algérie, Maroc, Tunisie, Libye, Mauritanie), qui s’est tenue à Skhirat (Maroc), plusieurs conventions et projets de coopération régionale étaient examinés par les ministres, entre autre, le projet de libéralisation des transports aériens à l’orée de 2008 et, la fluidité des transports de marchandises par voie terrestre et maritime. M. Mohamed Maghlaoui, ministre algérien des transports a mis en exergue les bienfaits de la coopération intermaghrébine en estimant que "la libéralisation de l’espace aérien au Maghreb est une nécessité (à laquelle nous croyons), mais à laquelle il faut se préparer ". Liberté 19/11/2008 (22) Le cabotage formule évoluée de l’Open Skies est le fait de relier deux points dans un même pays par une compagnie étrangère. Cette opération est en

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Le cabotage fait aujourd’hui défaut à l’intégration juridique

et commerciale du Maghreb puisque il n’est pas permis à une compagnie nationale maghrébine de desservir deux points dans

l’autre État du Maghreb. Il s’agit là d’une mesure protectionniste qui prend sa source dans le premier principe fondamentale du Droit de Chicago. Le « ciel ouvert » maghrébin n’est pas encore à l’ordre du jour et les principes de liberté et flexibilité ne font pas l’objet

d’accords bilatéraux ou multilatéraux intermaghrébins. Il faut dire que cette liberté de desservir un point quelconque dans l’autre Etat est proportionnelle à la disponibilité des parcs nationaux. De plus, la loyauté de la concurrence dans l’espace maghrébin n’est pas

toujours certaine. Comme nous l’avons dit, plus haut à propos de la « désintégration » économique et politique maghrébine, un « ciel commun maghrébin » ne peut devenir réalité que si une volonté politique forte existe et que les asymétries disparaissent telles que

les disparités relatives aux règles de protection de la sécurité, à l'environnement, ou du travail... Sur toutes ces questions, qui représentent les fondamentaux de l’intégration du droit aérien, la Communauté maghrébine demeure en deçà de ce qui se pratique en Occident. Et au lieu de négocier en communauté avec leur

partenaire européen, les maghrébins préfèrent la démarche individuelle et c’est en cette qualité qu’ils ont intégré le Processus de Barcelone avec à la clé l’engagement dans des relations bilatérales originales.

En d'autres termes, par sa politique aérienne

méditerranéenne, la Communauté européenne met en œuvre une forme de conditionnalité sécuritaire dont on comprend aisément les enjeux. La clef de cette nouvelle relation se situera cependant dans

principe interdite par la Convention de Chicago en vertu de l’article de son article 7, mais les Etats peuvent la négocier entre eux.

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l'insertion de la clause de la nation la plus favorisée dans les accords euro-méditerranéens. Par cette dernière, l'engagement est pris d'offrir aux partenaires méditerranéens des droits commerciaux

équivalents. En raison du principe de réciprocité, l'ouverture corrélative du marché bilatéral devrait faire boule de neige et permettre la multilatéralisation de l'échange aérien euro-méditerranéen. Connue en droit du commerce international, la

formule est inédite pour le transport aérien et engendre sa multilatéralisation, sans nier son fondement bilatéral.

Mais la « dangerosité » de l’Open Sky pour les compagnies

maghrébines n’est pas une vue de l’esprit. Sous d’autres cieux, cette appréhension n’est pas démesurée, lorsqu’on s’aperçoit que même les « les États les plus grands de l'Union européenne demeuraient des nains aériens et donc incapables de défendre seul leur pavillon face à la politique américaine ».(23) Avec des accords bilatéraux les liants avec les néerlandais par exemple, les Etats-Unis, ont pu desservir plus d’un point avec leurs partenaires et

donc optimiser le remplissage de leurs aéronefs. Ce n'est pas le cas des compagnies européennes, puisque la symétrie n'est pas possible. Un avion d’Air France peut desservir n’importe quel aéroport américain, mais ne peut décoller que du territoire français.

Sur ce plan, les transporteurs américains sont plus flexibles dans le départ que dans l’arrivée. C’est en fait là, le prolongement de la clause de nationalité, véritable émanation du droit bilatéral, qui suppose que la relation aérienne unissant deux États soit

exclusivement réservée à leurs transporteurs. Le marché est donc protégé.

(23) Loïc GRARD, « L'Union européenne et le droit international de l'aviation civile », In: Annuaire français de droit international, volume 49, 2003. P. 492.

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Voyons maintenant le processus d’adhésion des pays du

Maghreb à la formule Open Sky et quelle ont été, dans un premier bilan, les conséquences sur leurs économies.

a- Au Maroc… la désillusion

Le Maroc est le premier pays maghrébin à avoir tenté

individuellement l’Open Sky. Dès décembre 2006(24), il signe des accords avec l’Union européenne tendant vers une libéralisation aérienne du trafic marocain à travers la suppression de la plupart des limitations (nationalité, fréquence ou capacité) et en échange de la reprise de l’acquis communautaire en la matière au Maroc

(droit d’établissement des compagnies aériennes marocaines et européennes au sein de l’espace commun)(25). L’objectif premier de cet accord, substitut des accords bilatéraux passés entre le Maroc et 15 Etats membres de l’UE, réside dans la volonté d’intégrer

totalement le Maroc dans l’espace aérien commun européen en appliquant l’ensemble des principes en vigueur sur les plans économique, commercial et réglementaire. Le Maroc aura, en cela, à se conformer à 28 règlements et directives en la matière.

Rappelons qu’en 2008, les marocains espéraient avec l’Open Sky renforcer davantage leur « légitimité » pour accéder à un

« statut avancé » dans la coopération avec l’Union européenne(26). Il s’attendait en fait à ce que l’accord permette au Maroc de jouer un rôle pionnier en matière de transport aérien commercial. L’idée

(24) Une première requête du Royaume Chérifien à été introduite en avril 1997, mais a été classée sans suite. (25) L’accord a été signé avec beaucoup de fracas le 12 décembre 2006. Il s’agit de la première fois depuis 1957 que l'Union signe avec un pays non européen. (26) Sur cette démarche, cf., les actes du colloque sur « l’impact de l’accord Open Sky sur les secteurs aériens et touristiques au Maroc », 2 juillet 2008, Casablanca, Maroc.

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est que l’Open Sky serait un catalyseur pour les compagnies Low Cost dans la vision «10 millions de touristes» à l’horizon 2010.

Aujourd’hui le nombre de compagnies charter opérant sur le

Maroc a certes été multiplié par deux pour atteindre le nombre de

compagnies charter desservant la Tunisie. La libéralisation du ciel marocain a certes provoqué une croissance à deux chiffres dans les arrivées aux aéroports mais le tout n’a pas généré d’augmentation dans les nuitées d’hôtel qui ont, au contraire, reculé de 3% en

2008 par rapport à 2007. Pire, l’Open Sky a eu des effets négatifs sur la compagnie nationale marocaine, obligée à demander l’aide de l’Etat pour survivre. Effets dont les tunisiens vont prendre en compte pour revoir de bout en bout leur accord signé avec l’Union européenne(27). De plus la réciprocité qu’implique tout accord Open Sky a desservi les marocains, puisque la RAM et les compagnies Low Cost nationales (Atlas-Bleue et Jet4you), ne peuvent pas exploiter des services aériens entre deux points à l’intérieur de la communauté européenne, ni investir majoritairement pour le

contrôle d’un transporteur aérien européen.

Le Maroc qui s’est précipitamment engagé dans cette voie,

se plaint aujourd’hui des retombées négatives sur son marché aérien. Les marocains estiment en effet qu’il n’y a pas eu d’effets de la libération du ciel; la part du marché de la RAM est passée de 62 % à 47 % entre 2003 et 2010. C’est du côté de l’Open Sky qu’il

faut chercher les causes. L'intensité concurrentielle française ajoutée aux profondes fluctuations du prix du carburant ont mis le Pavillon national marocain au bord de la faillite.

(27) Auparavant la Tunisie avait signé des accords aériens bilatéraux conclus avec 23 pays de l’Union européenne.

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b- En Tunisie, le temps des réticences

Au départ, La Tunisie a été choisie pour faire partie du projet

Bluemed, partie intégrante du projet « ciel ouvert » et visant la réalisation d’un espace aérien fonctionnel au-dessus de la zone

méditerranéenne. En 2010, elle emboîte le pas au Maroc et signe l’Open Sky avec l’Union européenne. Comme les marocains, les tunisiens vont espérer l’arrivée en masse des compagnies Low cost sur ses 19 aéroports, mais c’est sans compter sur la hausse des

hydrocarbures et l’avènement du « printemps arabe ». Finalement la Tunisie n’ouvrira pas son ciel en novembre 2011 comme cela à été convenu. Et comme effet immédiat, les nouvelles décisions post-révolution vont tomber au mépris des accords de l’Open Sky, car juste après le 14 janvier 2011, la compagnie luxembourgeoise,

Luxair, s’était vu refuser l’ouverture d’une liaison Vatry – Djerba. La nouvelle équipe gouvernementale avait alors expliqué qu’aucune compagnie étrangère n’avait le droit d’opérer un vol au départ de la France à destination de la Tunisie.

c- L’Algérie, le protectionnisme continu

L’Algérie, plus protectionniste et souverainiste que ses voisines, ne se tournant nullement vers le tourisme en provenance

de l’Europe, préfère faire de sa compagnie nationale un instrument beaucoup plus politique que commercial. Elle favorise la coopération bilatérale entre les pays que l’adhésion à un quelconque processus européen. Ses rapports avec les membres de

l’Union ont toujours été marqués de tension et de frilosité. Elle rejette fréquemment les décisions unilatérales prise par l'Union, notamment celles relatives aux restrictions d'émission de gaz à effet de serre dans le transport aérien(28). Contrairement au Maroc

(28) Par la voix de son ministre des transports, l’Algérie considère que le cadre privilégié pour discuter de cette problématique est l'Organisation internationale

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et à la Tunisie qui avaient espéré récolter des retombées positives suite aux accords Open Sky pour booster leur économie touristique, l’Algérie dont les entrées en devises dépendent à 98% des

hydrocarbures, provoque des attitudes hostiles chez ses partenaires européens, notamment français. Le non-alignement algérien lui vaut des sanctions à peines voilées. Il n’est pas rare en effet qu’Air Algérie paie le prix de la politique protectionniste affichée par le

gouvernement d’Alger. L’Organisation européenne de l’aviation civile (Commission de contrôle aérien SAFA) n’a-t-elle pas instruit Air Algérie pour immobiliser cinq avions de sa flotte (pourtant d’acquisition récente) et exigé leur maintenance en urgence avec la

menace de l’interdiction d’atterrissage dans les aéroports européens ? La même organisation n’avait-elle pas exigé en 2010 que cette même compagnie devait équiper ses avions d’appareils antibruit selon les normes internationales de maintenance au risque

de se voir inscrite sur une liste noire?(29) de l'aviation civile. En outre, le ministre a exprimé l'inquiétude de l'Algérie vis-à-vis de cette décision «prise de manière unilatérale», pendant que le protocole de Kyoto demeure une référence internationale dans le domaine de l'environnement, et ce dernier ne concerne que les pays développés et non pas ceux en voie de développement comme l'Algérie. Notons que cette mise au point algérienne est en application de la France de la taxe carbone a instituée par la directive européenne 2008/101/CE qui prévoit que chaque compagnie aérienne soit ‘‘rattachée'' à un Etat européen. Cette répartition se fait en fonction du trafic réalisé par chaque compagnie. En ce qui concerne Air Algérie, étant donné que le plus gros du trafic s'opère vers la France, c'est donc l'Etat français qui a été désigné par la Commission européenne comme étant l'Etat européen chargé de veiller à ce que les dispositions de cette directive soient respectées par Air Algérie. Cf., supra. p. 19. (29) Certains pays (Etats-Unis, France ou Grande-Bretagne) n’hésitent pas à publier des listes de compagnies qu’ils jugent indésirables. D’autres préfèrent

publier la liste de celles qui sont autorisées à emprunter leur ciel. Ces listes sont régulièrement publiées, elles pénalisent généralement des petites compagnies telles Air Koryo (Liberia), Ariana Afghan Airlines (Afghanistan), Butembo Airlines

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Cependant les autorités politiques du Pays finiront par

admettre l’irréversibilité de l’option de l’Open Sky. Avec les américains d’abord, et les européens ensuite. Mais les négociations

n’iront pas loin puisqu’elles seront interrompues en 2009 sous prétexte que la compagnie nationale Air Algérie n’était pas en mesure de concurrencer les compagnies étrangères.

III. Les aléas liés à l’insécurité

Conformément à l’article 28 de la Convention relative à

l’aviation Civile Internationale, chaque Etat est responsable d’assurer la sécurité, la régularité et l’efficacité des opérations

aériennes aux aérodromes de sa juridiction(30). En septembre 2010, la conférence diplomatique de l’OACI avait adopté deux textes, l’un (convention) concernant la répression des actes illicite dirigés contre l’aviation civile internationale et l’autre (protocole

complémentaire) sur la répression de la capture illicite d’aéronefs(31). Nous abordons dans les deux paragraphes qui suivent, les deux principaux aléas liés à la sécurité de la navigation aérienne ; le terrorisme et la sécurité des aéronefs.

(RDC)… Ces transporteurs aériens connaissent malheureusement un taux assez élevé de catastrophes aériennes. (30) Vol. I De l’annexe 14 paragraphe 1 et 2, (31) Les projets de ces deux textes ont été élaborés le 30 octobre lors de la 188e session du Conseil de l’OACI. Ces deux instruments entreront en vigueur après 22 ratifications.

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a- L’insécurité liée au terrorisme et aux

bouleversements politiques

Par sa fragilité et sa symbolique(32), L’avion a toujours

constitué une cible privilégiée des terroristes(33). L’aéroport est

aussi un point sensible. Beaucoup de personnes y circulent. Cela présente des cibles potentielles pour le terrorisme et autres formes de criminalité à cause du nombre de personnes situées dans une petite zone. De même, la forte concentration de personnes sur les

grands avions de ligne, le taux de décès… constituent un potentiel élevé d'attaques contre les aéronefs. De plus, un avion détourné, c’est une arme meurtrière et séduisante pour le terrorisme. Le 11 septembre l’a si magistralement démontré(34).

(32) L’Avion est aussi une « carte de visite » de tout Etat qui cherche une certaine

respectabilité internationale. Il incarne à la fois la modernité et la souveraineté. (33) Cf., sur l’évolution du terrorisme aérien BRETON J-M., « Piraterie aérienne et droit international », RGDIP 1971, p.392-445. DAVID E., « Les détournements d'avions et le droit international », RBDI 1970, p.246-264. GARNAULT A., « Les détournements d'aéronefs et les autres atteintes à la sûreté de l'aviation civile », RFDA 1979, p.143-149. HAECH L., « Le droit international et le détournement d'aéronef », RFDA, 1986, p.336-356. De WATTERVILLE J., « La piraterie aérienne étude ; de droit international et de droit suisse », Lausanne 1978. Sur le terrorisme cf., également BRIBOSIA E., WETEMBERGH A., « lutte contre le terrorisme et droit fondamentaux » Bruylant 2002. GOZZI M.H, « Le terrorisme », Ellipses 2003. GUBERT R., « Le terrorisme international : la guerre des temps modernes », Milan 2005. GUIDERE M., « Al-Qaida à la conquête du Maghreb : le terrorisme aux portes de l'Europe » : Enquête, Rocher 2007. cf , P. DUPONT-ELLERAY P., « Le terrorisme aérien : de l’évolution de la menace à la riposte du droit à la piraterie aérienne », Revue française de droit aérien et spatial, octobre-décembre 2001, vol. 220, n° 4, p. 392-400. 21. (34) Cf., GRARD L., « Le droit de l’aviation civile après le 11 septembre 2001, Quelles mesures face à l’hyperterrorisme? », Études à la mémoire de Christian Lapoyade-Deschamps, éd. Presses universitaires de Bordeaux, Pessac, 2003, p. 606.

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Le terrorisme et récemment les révolutions arabes ont eu

des conséquences directs sur le trafic aérien. Au Maroc, les attentats de l’Argana à Marrakech, et avant lui celui ceux de

Casablanca et de Djerba en Tunisie ont fait baisser à chaque fois le trafic de manière sensible. Dans ce même pays les derniers bouleversements politiques ont été catastrophiques sur le chiffre d’affaire induit par l’activité touristique, première ressource en

devise pour le pays. Mais il n’y a pas que cela.

L’Algérie a subi une décennie noire (1990/2000) qui n’a pas

été sans conséquences sur son trafic aérien. Et la France premier partenaire économique de l’Algérie multiplie les manœuvres vexatoires pour discrétiser le pavillon national. En sus des mesures européennes signalées plus haut, initiées par Paris, la France,

procède unilatéralement au renforcement des mesures de sécurité à l’endroit des ressortissants algériens à leur arrivé dans les aéroports de l’hexagone. Elle va jusqu’à décider l’accompagnement des passagers voyageant sur des aéronefs d’Air France par des

agents armés du RAID et du GIGN(35). Rappelons-nous, pendant près de dix ans, entre 1994 et 2003, suite au détournement de l’avion d’Air France par des terroristes djihadistes algériens, le Ciel algérien va subir un boycotte international déclaré et symbolisé par

l’attitude de Paris entrainant le départ de toutes les compagnies aériennes européennes. Il aura fallu le retour courageux de la

(35) Le Raid (groupe d’élite d’intervention de la police nationale française) et le Gign (groupe d’intervention de la gendarmerie nationale) sont des forces spéciales d’intervention. Leur présence à l’intérieur des aéronefs commerciaux est en violation des règles de l’Organisation de l’aviation civile notamment de l’article premier de la Convention de Chicago décrétant le principe de souveraineté. Depuis l1 septembre, les pilotes américains sont même autorisés à

porter une arme. Sur certains vols, des « shérifs du ciel » surveillent l’accès de la cabine. Rompus aux techniques d’arts martiaux, ils sont chargés de neutraliser d’éventuels agresseurs.

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compagnie italienne « Alitalia » pour qu’Air France réinvestisse le créneau avec en sus des conditions jugées inacceptables par Alger, comme par exemple la supervision des contrôles de douanes et de

police effectués sur les passagers.

Autre fait marquant ; l’attentat de l’aéroport international

d’Alger Houari Boumediene le 26 août 1992. Ce jour-là, le hall central de la structure fut pulvérisé faisant 9 morts et 128 blessés.

L’Algérie est le seul pays maghrébin, et aussi arabe, à

« encaisser » les remontrances américaines et européennes notamment françaises. En effet, la décision américaine de renforcer

le contrôle des passagers suivant une liste d’Etats « à risque » où figure l’Algérie a amener ce pays à réagir énergiquement ce qui a conduit à la révision de cette liste, voire son annulation(36). En effet, les nouvelles mesures américaines de sécurité aérienne vont,

depuis la protestation algérienne, toucher tous les pays. « L’administration (américaine) de la sécurité des transports (TSA) a entamé la mise en application des mesures de sécurité révisées pour toutes les compagnies aériennes desservant les Etats-Unis…

Ces mesures s’appliquent, ainsi, à tous les voyageurs se rendant aux USA, quelle que soit leur nationalité … la liste sur laquelle figurait un certain nombre de pays, élaborée récemment, est désormais caduque ». (37)

(36) Selon le ministre des affaires étrangères de l’Algérie « Les Etats-Unis et la France doivent apporter des explications ». L’Algérie a jugé « inappropriée » la décision des Etats Unis de l’inscrire parmi les 14 pays dont les ressortissants pourront être sujets à des contrôles spécifiques dans les aéroports américains et demande à être exclue de cette liste. La mesure dénote « une politique de deux poids deux mesures », a-t-il dit. L’Algérie « rejette énergiquement et des éclaircissements auraient dû être apportés par les Etats-Unis et par la France également qui a pris une décision similaire». (37) Communiqué de l’Ambassade des Etats-Unis à Alger du 31/02/2009.

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D’autre part, la France classa l’Algérie à l’image de 29 autres

pays dans la liste des zones à risque. Cela se traduira sur le terrain par des contrôles très stricts au niveau des aéroports. Suprême

humiliation ; les aéronefs d’Air Algérie sont systématiquement escortés par des engins militaires dès leurs atterrissage jusqu’à l’arrêt des moteurs et le débarquement des passagers.

Aujourd’hui, les aéroports algériens sont sécurisés. Avant

l’embarquement, le passager subit pas mois de sept contrôles.

Remarquable avancée qui ne ressort malheureusement pas dans les enquêtes internationales puisque c’est la Royal Air Maroc et Tunisair qui s’affichent dans les palmarès(38).

(38) Comme chaque année, Air Valid® diffuse le classement des compagnies aériennes régulières au départ de l’Europe jugées les plus rassurantes (sentiment de sécurité en vol). Ce classement repose sur les avis et notes certifiés de la part des voyageurs sur le sentiment de sécurité durant un vol au départ de l’Europe concernant les items suivants : le contrôle d’accès à l’avion - le type d’avion - l’aspect extérieur de l’avion – l’aspect intérieur de l’avion - attitude du commandant de bord et copilote - l’attitude des hôtesses et stewards. Dans ce classement la RAM a décroché la 4ème place. Par ailleurs, Tunisair a été classée, par l’observatoire de la sécurité aérienne et du tourisme, basé à Genève, dans la catégorie des compagnies les plus sûres au monde. Le transporteur tunisien figure dans la catégorie ”A” aux côtés de prestigieux transporteurs comme Lufthansa, Qatar airways, Singapore Airlines, United Airlines (États-Unis). Ainsi Tunisair fait mieux que d’autres grandes compagnies comme Air France, Royal Air Maroc, Air India, China Airlines, Air Europa (Espagne) classées dans la catégorie ”B”. Par ailleurs, le site spécialisé dans la sécurité aérienne securevol.fr estime que la compagnie

Tunisair offre le niveau de sécurité le plus élevé au Maghreb.

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b- La sécurité des appareils

De part leurs vulnérabilités, les aéronefs et autres aéroports

sont continuellement soumis à des audits pour leurs certifications. La conformité aux normes internationales de l’aviation civile est

admise par l’obtention de la certification PART 145 (maintenance avionique), qui correspond à l’adoption des normes européennes JAR OPS 1 pour les opérations aériennes, sol, cargo et formation du personnel en relation avec l’exploitation des avions. La

certification ISO 9001 Version 2000 est obtenue pour l’ensemble du périmètre opérationnel.

Au plan national, ce sont des agences spécialisées à qui les

Gouvernements ont confié la mission de contrôle. Au Maroc, c’est la Direction de l’aviation civile (ONDA), dépendant du ministère du Transport qui veille à l’application des lois et réglementations

nationales et internationales. Elle a la charge de s’assurer de la navigabilité des appareils et du respect des normes de sécurité techniques. En effet, les inspecteurs de l’ONDA sont habilités à effectuer des visites de contrôle régulières de tout appareil, quelle

qu’en soit la compagnie. Ces contrôles sont régulièrement entrepris pour ceux de la RAM, d’Atlas Blue et de Régional Aires Lines, et, depuis peu, la tendance est de s’intéresser aussi à des avions de flottes étrangères. La direction de l’aviation civile gère aussi les licences de pilotage, car il va de soi que l’élément humain constitue

au même titre que l’élément technique un volet fondamental pour la sécurité des vols. En Algérie, l’Aviation Civile est régie par la loi 98-06 du 27 Juin 1998, modifiée et complétée par l’ordonnance N°03-10 du 13 Août 2003, fixant les règles générales relatives à

l’aviation civile. Sous la tutelle du ministère des transports un organisme (la Direction de l’Aviation Civile et de la Météorologie « D.A.C.M ») est crée. Ses prérogatives sont les mêmes que l’office marocain, mais d’autres organismes gravitent autour des

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opérations aériennes tels que l’établissement national de la navigation aérienne « E.N.N.A », l’office national de la météorologie «O.N.M » et les entreprises de gestion des aéroports « E.G.S.A/s».

En Tunisie, enfin, l'autorité responsable de l'aéronautique civile est la Direction Générale de l'Aviation Civile qui relève également du Ministère du Transport. Mais c’est l’Office de l'Aviation Civile et des Aéroports qui est chargé de l’'exploitation, l'aménagement et le

développement des aéroports ainsi que l'accomplissement de toutes les opérations et services nécessaires aux voyageurs, au public, aux aéronefs, au fret et au courrier aérien dans les aéroports. Il est aussi le contrôleur régional et local de la

navigation aérienne et participe à l'exécution des plans de recherches et de sauvetage. L’organisme a aussi mission de délivrer tous les documents requis pour le personnel aéronautique, les aéronefs et la navigation aérienne y compris l'octroi des

autorisations des vols commerciaux et non commerciaux.

Au plan européen, le programme de contrôle des avions

étrangers SAFA Safety Assessment Foreign Aircraft, en vigueur depuis 1996, a été établi par la Conférence européenne de l’aviation civile (CEAC) qui comprend 42 États. Ces contrôles consistent à des inspections lors de la courte période des escales

pour identifier des irrégularités techniques ou administratives concernant des compagnies et des appareils de passage sur le territoire des États membres. Ces inspections peuvent déboucher sur l’interdiction d’exploitation dans le cas ou les normes de

sécurité de l'aéronef font défaut. Mieux, si une inspection révèle que l'aéronef pose un problème de sécurité immédiat, celui-ci est immobilisé au sol jusqu'à ce que le problème soit résolu. Le programme SAFA se veut aussi un outil d'échange d'informations sur la sécurité à travers l’harmonisation des procédures des

inspections et la mise en place d’une base de données centrale

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297

collectant les informations relatives à ces inspections (les écarts par rapport aux normes) afin qu'elles soient partagées par tous les Etats participants.

Le programme SAFA est placé sous la responsabilité de

l'Agence européenne pour la sécurité aérienne (AESA), appelée à jouer un rôle de régulateur de l'ensemble du domaine de la sécurité de l'aviation civile dans le cadre de la construction du ciel unique européen. Ainsi, les aéronefs étrangers utilisant des aéroports de la

communauté européenne peuvent faire l'objet d'inspections au sol si on soupçonne qu'ils ne sont pas conformes aux normes de sécurité internationales figurant dans les annexes de L’Organisation de l'aviation civile internationale (OACI).

C’est à ce titre, et sans doute en réaction aux mises en

gardes adressées par les européens à la compagnie Air Algérie, que

les autorités algériennes (directive du ministère du transport) ont réciproquement instruit les compagnies étrangères que des inspections SAFA seront effectuées sur leurs appareils que ce soit à l’embarquement qu’au débarquement(39).

(39) «Conformément aux dispositions réglementaires en vigueur, et dans le cadre du lancement d'un programme de surveillance de sécurité et d'activités des compagnies aériennes étrangères (SAFA), au niveau de la plateforme aéroportuaire d'Alger dans un premier temps, et éventuellement par la suite étendu aux autres plateformes ouvertes à la CAP d'Algérie, j'ai honneur de vous demander de bien vouloir informer vos représentants aux différentes escales concernées, que ces inspections SAFAA (sic) seront menées sur leurs aéronefs par des inspecteurs de VERITAL, parfois assistés d'inspecteurs de l'aviation civile algérienne (…) seront effectuées entre les phases de débarquement et d'embarquement des passagers». Directive du de la Direction générale de l’aviation civile et de la météorologie, Ministère du transport, 31 octobre 2010.

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La compagnie algérienne a connu deux terribles crashs en moins

de trois ans, l’un en 2003 sur un vol commercial de ligne intérieure (Tamanrasset-Alger), l’autre en 2006 sur un vol cargo dans le nord

de l’Italie. Deux accidents qui non seulement vont peser lourd sur la crédibilité du pavillon national, mais vont amener les aéroports européens à durcir le ton avec la Compagnie nationale.

IV. L’écueil environnementale ; un nouveau défi

Les profonds bouleversements climatiques et leurs

évolutions incertaines, caractérisés par une raréfaction des ressourcées (notamment le l’eau et le pétrole), ajouté à la

résurgence de pays émergents notamment en Asie, animés par l’envie d’acquérir une partie des cieux font maintenant l’objet d’une prise de consciences qui se manifestent ça et là dont le transport aérien est l’un de ses préoccupations.(40) En effet, ce secteur

d’activité humaine a des conséquences certaines sur le développement durable, ce qui nécessite un moratoire pour mesurer les évolutions et parer aux conséquences néfastes. Les études les plus alarmistes, comme en témoignent les nombreuses

conférences, sont là pour que la sonnette d’alarme soit enfin tirée.

Personne ne peut contester aujourd’hui les interactions

réciproques du développement durable avec l’aviation en général, qu’elle soit civile ou militaire(41). Il est alors question, de repenser les modes de vie dans une perspective d’après pétrole, ce qui aura des répercussions inévitables sur le transport aérien, d’où la

(40) Cf, Abdelhafid OSSOUKINE, « Environnement et investissement : la difficile équation », In, Colloque international sur les investissements, Université d’Abu Dhabi, avril 2011. Cf., également L’impact du trafic aérien sur l’atmosphère. (Dossier 24 de l’ANAE, 2004). (41) La Convention de Chicago (article 3) distingue les aéronefs civils et les aéronefs d’Etat (les aéronefs militaires ou de police).

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nécessité de trouver des solutions préservant à la fois l’environnement et le destin du Transport aérien, non pas forcément au profit de sa croissance commerciale, mais en raison

de son utilité.

Toutes les législations maghrébines sur la protection de

l’environnement adoptent les normes OACI. Encore une fois le droit international apparaît comme une source matérielle de droit des pays du Maghreb Arabe. Dans cette ensemble, c’est la Convention

cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) et le protocole de Kyoto qui constituent le cadre juridique qui prend en compte le problème du changement climatique. Ce protocole arrête des objectifs bien définies et fait appel à des outils pour les atteindre, appelés « mécanismes de flexibilité » pour la réduction des émissions de gaz à effets de serre (GES) à l’horizon 2008-2012, uniquement pour les pays développés.

Le protocole met aussi en œuvre trois mécanismes

complémentaires :

- échange de quotas d’émission entre les parties signataires,

- mécanismes de développement propre (MDP) entre pays

industrialisés d’une part et pays en voie de développement d’autre

part, visant un transfert des technologies les plus efficaces en matière d’émission de GES, dans la perspective d’un développement durable.

Le transport aérien malgré sa démocratisation reste un

vecteur de dangerosité. Il y’a ce qu’on voit (les nuisances sonores) et ce qu’on ne voit pas (la pollution dans le Nomen’s Land des

hautes altitudes sur lesquelles ne s’exerce aucune souveraineté). Il

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est « énergivore »(42). Il consomme la moitié du pétrole. Pollueur par excellence, ses rejets en gaz à effet de serre (GES : CO2 et NOx) sont énormes.

Les principales contraintes à surmonter sont de nature

énergétique, mais les nuisances sonores, vraies ou fausses, sont loin d’être à considérer pour négligeables, elles interdisent pratiquement (dans plusieurs pays) le trafic aérien de nuit.

En matière d'environnement, la coopération régionale revêt une

importance cruciale, compte tenu du fait que les enjeux environnementaux dépassent les frontières d'un seul pays.

Les pays du Maghreb ont très tôt développé une politique

juridique(43) et institutionnelle(44) globale dans le domaine de l’environnement et du développement durable qui considère l’adéquation entre développement économique d’une part et protection de l’environnement d’autre part comme un préalable au

processus de développement intégré. Cependant sur la question des émissions des gaz à effet de serre et sur les nuisances sonores induites par les acticités aéroportuaires beaucoup d’efforts restent

(42) La durée de vie d’un avion est de quarante ans environs, auquel il faudra lui assurer du kérosène dont le prix ne cesse d’augmenter. Le renouvellement des parcs s’effectuent tous les 10 à 15 ans. (43) Cf., pour l’Algérie, loi 01/19 relative à la gestion, au contrôle et à l’élimination des déchets, loi 03/10 du 19 juillet 2003 relative à la protection de l’environnement. Au Maroc, la loi 00/03 sur la protection de l’environnement. En Tunisie, le décret 2005/1991 relatif à l’étude d’impact sur l’environnement… (44) Cf., pour l’Algérie ; l’Observatoire national et du développement durable, le Haut conseil de l’environnement et du développement durable. Au Maroc ; l’Observatoire national de l’environnement, le Laboratoire national de

l’environnement, le Conseil national pour l’environnement. En Tunisie ; l’Agence nationale de protection de l’environnement, la Commission nationale du développement durable.

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à faire et le principe de précaution(45) doit être pris en compte sérieusement, ceci malgré l’adhésion de l’Algérie, du Maroc et de la Tunisie à la réglementation universelle portant spécifiquement sur

les normes et pratiques en matière de respect et de protection de l'environnement et de la santé des riverains des aéroports contre les pollutions sonores édictée par l'Organisation de l'aviation civile Internationale. Mais sur le plan du droit interne de ces trois pays, le

vide juridique demeure. Les pollutions sonores en général sont considérées comme des nuisances diverses, et nulle part il n'est fait cas de celles aéroportuaires.

(45) Sur les diverses manifestations du principe de précaution en droit international de l’environnement, voir notamment : M. BOUTONNET et A. GUÉGAN, « Annexe 1 – Historique du principe de précaution », dans Philippe

KOURILSKY et Geneviève VINEY, « Le principe de précaution », Paris, Éditions Odile Jacob, 2000, p. 253, aux pages 253-259. Voir aussi : Nicolas DE SADELEER, « Les principes du pollueur-payeur, de prévention et de précaution », Bruxelles, Bruylant, 1999, pp. 139-151; James CAMERON et Juli ABOUCHAR, « The Precautionary Principle : A Fundamental Principle of Law and Policy for the Protection of the Global Environment », (1991) 14 « Boston College International & Comparative Law Review 1; James CAMERON, « Future Directions in International Environmental Law : Precaution, Integration and Non-state Actors », (1996) 19 Dalhousie Law Journal 122; Ellen HEY, « The Precautionary Concept in Environmental Policy and Law : Institutionalizing Caution », (1992) 4 The Georgetown Int’l Envtl. Law Review 303; James E. HICKEY et Vern R. WALKER, « Refining the Precautionary Principle in Environmental Law », (1995) 14 Virginia Environmental Law Journal 423; Owen McINTYRE et Thomas MOSEDALE, « The Precautionary Principle as a Norm of Customary International Law » (1997) 9 Journal of Environmental Law 221; David VANDERZWAAG, « The Precautionary Principle in Environmental Law and Policy : Elusive Rhetoric and First Embraces », (1998) 8 J.E.L.P. 354; David FREESTONE et Ellen HEY (dir.)

«The Precautionary Principle and International Law. The Challenge of Implementation», La Haye, Londres, Boston, Kluwer International Law, 1996, 268 p.

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L’Algérie, accusé à tort ou à raison de violation de la

convention de Kyoto, alors que les mécanismes de flexibilité ne concernent que les pays développés, a fait soumettre avec succès

sa compagnie aérienne à un audit de vérification de ses rapports annuels de 2010 relatifs à ses émissions de gaz carbonique (CO2) et à ses chargements tonnes-kilométriques, qui serviront de base à l’allocation par l’Union européenne (UE) des quotas d’émissions non

soumis à taxation pour la période allant de 2012 à 2020. Selon un communiqué de la compagnie nationale, l’audit « conclu par un avis d’assurance sans réserve", a été réalisé par ’’Lloyd’s Register Qualité Assurance’’, un organisme de renommée internationale. ’Air

Algérie est la seule et première entreprise maghrébine à être soumise à ce type de réglementation visant la restriction des émissions de gaz à effet de serre dans un cadre régional. Air Algérie, qui assure avoir respecté l’échéance fixé par l’UE pour la

transmission de ces rapports avant le 31 mars 2011, souligne qu’elle « continue à l’instar de nombreuses compagnies aériennes et association de transporteurs aériens, de contester la prise de décision unilatérale de l’UE, de mettre en place un dispositif de taxation des émissions de CO2 dans l’industrie du transport aérien »(46). Ce dispositif, estime Air Algérie, est "contraire au droit international et vient s’ajouter à d’autres taxes environnementales déjà en vigueur dans certains pays européens »(47).

En effet, la directive européenne instituant la taxe carbone

exige une comptabilisation des émissions de CO2 de l'aéroport de

départ à l'aéroport d'arrivée(48), ce qui lui confère un effet

(46) Communiqué d’Air Algérie, 12/05/2010 publié in. Liberté 23/05/2010 (47) Ibid. (48) Ces émissions sont quantifiées en fonction de la quantité du kérosène consommé qui est multipliée par un facteur d'émission qui est 3,15 (chaque

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extraterritorial qui porte atteinte à la Convention de Chicago très attachée à la notion de souveraineté.

Les pays du Maghreb, en plus de tous les écueils évoqués

plus haut, auront à affronter demain la problématique de

l’acquisition de droits de polluer (quota d'émission) qui seront soumis aux enchères à partir de 2012. Lesquelles enchères seront organisées par les Etats membres de l'Union européenne et qui ne profiteront qu’à eux.

tonne de kérosène produit 3,15 tonnes de CO2), même si une grande partie de ces émissions sont déversées sur l’espace national de départ.