lmd110312

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Dimanche 11 - Lundi 12 mars 2012 - 68 e année - N˚20883 - 1,50 ¤ - France métropolitaine - www.lemonde.fr --- Fondateur : Hubert Beuve-Méry - Directeur: Erik Izraelewicz Algérie 150 DA, Allemagne 2,00 ¤, Antilles-Guyane 2,00 ¤, Autriche 2,40 ¤, Belgique 1,50 ¤, Cameroun 1 600 F CFA, Canada 4,25 $, Côte d’Ivoire 1 600 F CFA, Croatie 18,50 Kn, Danemark 28 KRD, Espagne 2,00 ¤, Finlande 2,80 ¤, Gabon 1 600 F CFA, Grande-Bretagne 1,50 £, Grèce 2,20 ¤, Hongrie 750 HUF, Irlande 2,00 ¤, Italie 2,20 ¤, Luxembourg 1,50 ¤, Malte 2,50 ¤, Maroc 12 DH, Norvège 28 KRN, Pays-Bas 2,20 ¤, Portugal cont. 2,00 ¤, Réunion 2,00 ¤, Sénégal 1 600 F CFA, Slovénie 2,20 ¤, Suède 35 KRS, Suisse 3,20 CHF, TOMAvion 380 XPF, Tunisie 2,00 DT, Turquie 6,50 TL, USA 3,95 $, Afrique CFA autres 1 600 F CFA, F ukushimaestdésormais l’undecesnomsdesinistre mémoirequihantentl’his- toire.Celuid’unecatastrophe nucléairequifrappal’unedes plusgrandespuissancesplanétai- res.En1986,quandlacentrale deTchernobylexplose,lemonde découvredes«liquidateurs»et despopulationscivilessacrifiées aupaysdessoviets. Vingt-cinqansplustard, c’estlepaysdel’innovationet desrobotsquiestmeurtri.Cette fois-ci,l’Occidenttétanisésevoit danslemiroir.Etprendpeur. Pourtant,aujourd’hui,les industrielsenseraientpresque àtournerlapage.Laplupartdes programmesnucléairesontété maintenus.Unecinquantaine depaysnedévientpasdeleurrou- teversl’atome.LaChine,l’Inde, leVietnam,laTurquie,l’Arabie saoudite,leBangladeshvont continuerdedéveloppercette sourced’énergie. Parinertieouparchoixpoliti- que,lenombredecentralesen chantierdépasseaujourd’hui celuidecellesquiontétéarrêtées, indique-t-onchezAreva,lecham- pionfrançaisdunucléaire. Maisfaireletotaldesplusou desmoinsnesuffitpas.Carlater- redunucléairetremble.Elletrem- bledepuisquel’Allemagne,la Suisseetl’Italieontannoncévou- loirdéfinitivementrenoncerà l’atome.Berlinarrêterason dernierréacteuren2022etveut promouvoirunnouveau modèleénergétique. EnFrance,oùlenucléairefai- sait,depuisledébutdesannées 1970,l’objetd’unlargeconsensus entredroiteetgauche,ledébat s’anime.Si,le6mai,François Hollandesortvainqueurde l’électionprésidentielle,lecandi- datsocialistes’estengagéàrédui- relapartdunucléairedansla productionfrançaised’électricité, de74%à50%d’icià2025. Lenucléaireestuneénergie «politique»quiabesoindu soutiendesgouvernementset despopulations.Sanscettedou- bleadhésion,l’avenirpeutvite s’assombrir. DepuisFukushima,leslangues aussisedélient.Longtempsla parolefutconfisquéepar«ceux quisavent»,lagrandefamilledu corpsdesMines,enl’occurrence. EnFrance,grâceaurapport delaCourdescomptesrendu publicle31janvier,onconnaît mieuxlecoûtréeldelafilière, mêmes’ilreste «denombreuses incertitudes». Fukushimaestl’artisande cettetransparencerecouvrée, quipermetaussiquelasûretédes centralessoitrenforcée.Les auditssemultiplient.Destravaux sontexigésparlesautoritésde contrôle.Débutdécembre2011,le coupdeforcedeGreenpeace,qui s’estintroduitdansdeuxcentra- les,aégalementmisenévidence quel’infaillibilitén’existaitpas. Toutcelaconduitàs’interroger aussisurleprixdel’électricité issuedel’atome.Quivaaugmen- ter,aucunexpertn’endouteplus. Maiscesquestionnementsen appellentd’autres:versquel modèlesediriger,puisqu’ilfaut àtoutprixréduirelapartdes énergiesfossiles,quichaquejour réchauffentunpeuplusnotre planètequin’enpeutplus? Lenucléairen’estplusunrêve devenuréalité.DepuisFukushima, lerêves’estdissipédansleréel. p CLIMAT L’intransigeance de la Pologne a empêché un accord des Vingt-Sept sur le dossier climatique. Les Etats européenspeinentaussiàs’entendresurlesOGM. P.7 SOCIÉTÉ Les cantines scolaires ne proposent pas demenuhalal,contrairementàcequiaétéavancé. Enrevanche,lesmenussansviandesedéveloppent. P.12 C ent cinquante ans après Les Misérables, Victor Hugo revient dans l’actualité. L’é- crivaine Annie Le Brun, conceptri- cedel’exposition«Lesarcs-en-ciel dunoir:VictorHugo»–c’estégale- ment le titre de son livre –, qui se déroule à Paris à la Maison de Vic- tor Hugo, souligne que, dans la campagneélectorale,ilest «ànou- veau pris en otage par les pour- voyeursd’élémentsdelangage». Pour Annie Le Brun, si Hugo affirme que «l’irrésistible est au fond des révolutions», il a été un des rares à prouver que «comme onfaitsonrêve,onfaitsavie». p LireDébatsenpage17etnotre hors-série«VictorHugo:l’éludu peuple»(7,90¤enkiosques) Editorial Lehalalàlacantine, enquêtesurunfantasme L’épreuve devérité deSarkozy L’Europetoujoursplusdivisée sursapolitiqueenvironnementale Japon, l’an I d’une difficile reconstruction tUnanaprèsletsunami, quatre pages de reportages, enquêtes et analyses Pages8à11 VictorHugo, lapolitiqueet laplacedurêve Montserrat Figueras 1942-2011 Undoublealbumhommage “...unefemmed’unenoblesseet d’uneélégancemoralesetartistiquesuniques.” RenaudMachart-LeMonde-23novembre2011 www.alia-vox.com TÉLÉVISIONS LesJTignorentlesfemmes Ellesnereprésententque18% des«experts»consultés SUPPLÉMENT GÉO & POLITIQUE Peut-onarrêterAl-Qaida auMaghreb? Enquête sur AQMI, lanébuleusequihanteleSahara L’armedel’eauenCisjordanie Les Palestiniens confrontés àunepénuried’eauorganisée par Israël SUPPLÉMENT Nucléaire : rien ne sera plus comme avant UK price £ 1,50 9 mars 2012, des policiers cherchent encore des victimes du tsunami à Rikuzentakata (Iwate). AP PHOTO/KOJI SASAHARA Leregardde Plantu tPlusde30000personnessontattendues dimancheaumeetingducandidatUMP,àVillepinte tRamaYadeau«Monde»:«Nousavonsle sentimentd’avoirlepistoletduFNsurlatempe» L e moment est décisif: devant 30000militants réunis à Villepinte, dimanche 11mars, Nicolas Sarkozy espèrerééditerlelancementdesacampa- gnevictorieusede2007.Avecl’objectifde remonterauniveaudeFrançoisHollande danslessondages.Lechefdel’Etatentend mettrefinauxcontestationssursonauto- rité et sur sa dérive droitière. Le ton devrait être au rassemblement, notam- mentvis-à-visdelafamillecentriste,heur- tée par les déclarations brutales sur l’im- migration.Danslemêmetemps,François Hollande continue de subir des camou- flets lors de ses déplacements en Europe. Après avoir été snobé par Angela Merkel, Mario Monti et David Cameron, le candi- datPSadûfairefaceaurefuspolidupre- mierministrepolonais,quin’apasdonné suiteàsademandederencontre. p présidentielle 2012 LIRE PAGES 2, 3 ET 4

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japon après

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Dimanche 11 - Lundi 12 mars 2012 - 68e année - N˚20883 - 1,50 ¤ - Francemétropolitaine - www.lemonde.fr --- Fondateur : Hubert Beuve-Méry - Directeur: Erik Izraelewicz

Algérie 150 DA,Allemagne 2,00 ¤,Antilles-Guyane 2,00 ¤,Autriche 2,40 ¤, Belgique 1,50 ¤, Cameroun 1 600 F CFA, Canada 4,25 $, Côte d’Ivoire 1 600 F CFA, Croatie 18,50 Kn, Danemark 28 KRD, Espagne 2,00 ¤, Finlande 2,80 ¤, Gabon 1 600 F CFA, Grande-Bretagne 1,50 £, Grèce 2,20 ¤,Hongrie 750 HUF, Irlande 2,00 ¤, Italie 2,20 ¤, Luxembourg 1,50 ¤,Malte 2,50 ¤,

Maroc 12 DH,Norvège 28 KRN, Pays-Bas 2,20 ¤, Portugal cont. 2,00 ¤, Réunion 2,00 ¤, Sénégal 1 600 F CFA, Slovénie 2,20 ¤, Suède 35 KRS,Suisse 3,20 CHF, TOMAvion 380 XPF, Tunisie 2,00 DT, Turquie 6,50 TL,USA 3,95 $, Afrique CFA autres 1 600 F CFA,

Fukushimaest désormaisl’unde cesnomsde sinistremémoirequihantent l’his-

toire. Celui d’une catastrophenucléairequi frappa l’unedesplus grandespuissancesplanétai-res. En 1986, quand la centraledeTchernobyl explose, lemondedécouvredes «liquidateurs» etdespopulations civiles sacrifiéesaupays des soviets.

Vingt-cinqansplus tard,c’est le pays de l’innovationetdes robots qui estmeurtri. Cettefois-ci, l’Occident tétanisé se voitdans lemiroir. Et prendpeur.

Pourtant, aujourd’hui, lesindustriels en seraientpresqueà tourner la page. La plupart desprogrammesnucléaires ont étémaintenus.Une cinquantainedepaysnedévientpas de leur rou-te vers l’atome. LaChine, l’Inde,leVietnam, la Turquie, l’Arabiesaoudite, le Bangladeshvont

continuerdedévelopper cettesourced’énergie.

Par inertie oupar choix politi-que, le nombrede centrales enchantierdépasse aujourd’huicelui de celles qui ont été arrêtées,indique-t-onchezAreva, le cham-pion français dunucléaire.

Mais faire le total des plus oudesmoinsne suffit pas. Car la ter-re dunucléaire tremble. Elle trem-bledepuis que l’Allemagne, laSuisse et l’Italie ont annoncévou-loir définitivement renoncer à

l’atome.Berlin arrêtera sondernier réacteur en 2022 et veutpromouvoirunnouveaumodèle énergétique.

EnFrance, où le nucléaire fai-sait, depuis le début des années1970, l’objet d’un large consensus

entredroite et gauche, le débats’anime. Si, le 6mai, FrançoisHollandesort vainqueurdel’électionprésidentielle, le candi-dat socialiste s’est engagé à rédui-re la part dunucléairedans laproduction française d’électricité,de 74%à 50%d’ici à 2025.

Lenucléaire est une énergie«politique» qui a besoindusoutiendes gouvernementsetdespopulations. Sans cette dou-ble adhésion, l’avenir peut vites’assombrir.

Depuis Fukushima, les languesaussi se délient. Longtemps laparole fut confisquéepar «ceuxqui savent», la grande famille ducorpsdesMines, en l’occurrence.EnFrance, grâce au rapportde la Cour des comptes rendupublic le 31janvier, on connaîtmieux le coût réel de la filière,mêmes’il reste «de nombreusesincertitudes».

Fukushimaest l’artisandecette transparence recouvrée,qui permet aussi que la sûreté descentrales soit renforcée. Lesaudits semultiplient.Des travauxsont exigéspar les autorités decontrôle.Débutdécembre2011, lecoupde force deGreenpeace, quis’est introduit dans deux centra-les, a égalementmis en évidenceque l’infaillibilitén’existait pas.Tout cela conduit à s’interrogeraussi sur le prix de l’électricitéissuede l’atome.Qui va augmen-ter, aucunexpert n’endouteplus.

Mais ces questionnementsenappellentd’autres: vers quelmodèle se diriger, puisqu’il fautà tout prix réduire la part desénergies fossiles, qui chaque jourréchauffentunpeuplusnotreplanètequi n’enpeutplus?

Lenucléairen’estplusunrêvedevenuréalité.DepuisFukushima,le rêves’est dissipédans le réel.p

CLIMAT L’intransigeance de la Pologne a empêché unaccord des Vingt-Sept sur le dossier climatique. Les Etatseuropéens peinent aussi à s’entendre sur les OGM.P. 7

SOCIÉTÉ Les cantines scolaires ne proposent pasdemenuhalal, contrairement à ce qui a été avancé.En revanche, lesmenus sans viande sedéveloppent.P. 12

Cent cinquante ans après LesMisérables, Victor Hugorevient dans l’actualité. L’é-

crivaine Annie Le Brun, conceptri-ce de l’exposition «Les arcs-en-cieldunoir:VictorHugo»–c’estégale-ment le titre de son livre –, qui sedéroule à Paris à la Maison de Vic-tor Hugo, souligne que, dans lacampagneélectorale, il est «à nou-veau pris en otage par les pour-voyeursd’élémentsde langage».

Pour Annie Le Brun, si Hugoaffirme que « l’irrésistible est aufond des révolutions», il a été undes rares à prouver que «commeon fait son rêve, on fait sa vie».p

LireDébatsenpage17etnotrehors-série«VictorHugo: l’éludu

peuple»(7,90¤enkiosques)

Editorial

Lehalalàlacantine,enquêtesurunfantasme

L’épreuvedevéritédeSarkozy

L’Europetoujoursplusdiviséesursapolitiqueenvironnementale

Japon, l’anId’unedifficilereconstructiontUn an après le tsunami,quatre pages de reportages,enquêtes et analyses Pages 8 à 11

VictorHugo,lapolitiqueetlaplacedurêve

MontserratFigueras

1942-2011

Undouble albumhommage

“...une femme d’une noblesse etd’une élégance morales et artistiques uniques.”

RenaudMachart - LeMonde - 23 novembre 2011

www.alia-vox.com

TÉLÉVISIONSLesJT ignorent les femmesElles ne représentent que 18%

des «experts» consultés SUPPLÉMENT

GÉO&POLITIQUEPeut-onarrêterAl-QaidaauMaghreb?Enquête surAQMI,

la nébuleuse qui hante le Sahara

L’armede l’eauenCisjordanieLes Palestiniens confrontés

àune pénurie d’eau organisée

par IsraëlSUPPLÉMENT

Nucléaire: rienne seraplus commeavant

UKprice

£1,50

9mars 2012, des policiers cherchentencore des victimes du tsunami àRikuzentakata (Iwate). AP PHOTO/KOJI SASAHARA

LeregarddePlantu

tPlusde 30000personnes sont attenduesdimancheaumeetingducandidatUMP, àVillepintetRamaYadeau«Monde»: «Nousavons lesentimentd’avoir lepistolet duFNsur la tempe»

Le moment est décisif : devant30000militants réunis à Villepinte,dimanche 11mars, Nicolas Sarkozy

espère rééditer le lancementde sa campa-gne victorieusede 2007. Avec l’objectif deremonter au niveaude FrançoisHollandedans les sondages. Le chef de l’Etat entendmettrefinauxcontestationssursonauto-rité et sur sa dérive droitière. Le tondevrait être au rassemblement, notam-mentvis-à-visdelafamillecentriste,heur-

tée par les déclarations brutales sur l’im-migration.Dans lemême temps, FrançoisHollande continue de subir des camou-flets lors de ses déplacements en Europe.Après avoir été snobé par Angela Merkel,Mario Monti et David Cameron, le candi-dat PS a dû faire face au refus poli du pre-mierministrepolonais, qui n’a pas donnésuite à sa demandede rencontre.p

présidentielle 2012LIRE PAGES2, 3 ET4

planète

Reportage

Ishinomaki,Minamisoma

Envoyés spéciaux

Soudain, sans crier gare, toutbascule», se souvient TakikoTakeda.C’était il y aunan. Les

mains de ce «petit bout» de fem-me vigoureuse d’une soixantained’années tremblent encore lors-qu’elleévoquecequ’elleavécu.Ellehabitait le quartier de Minamiha-ma,situéenborddemerdanslavil-le portuaire d’Ishinomaki(160000habitants). Ici, le tsunamidu11mars2011a fait 3800mortsetdisparus.«Nousétionsaucrématoi-re,pourlesfunéraillesdemonbeau-frère.Onétaitentraindesortirlecer-cueil du corbillard quand le séismes’est produit. Puis, ce fut l’alerte autsunami. On ne comprenait pas cequisepassait.Affolés,noussommesremontés en voiture,mais la vaguearrivait. J’ai vu le cercueil emportéetpuiscefutletourdenotrevoiture.Portée par les flots, elle s’est encas-trée dans une maison qui flottaitelle aussi. Nous avons pu sortir etnoussommesrestéssurletoitàdéri-ver jusqu’à l’aube du lendemainavantd’être secourus.»

Aujourd’hui, elle vit avec son

mari, son fils, sa bru et leurs deuxenfantsdansunemaisonnettepré-fabriquée de 60 m² dans un quar-tier 2000 logements provisoires àIshinomaki.«Dansunanoùserons-nous?Personnene le sait», dit-elle.

Ces logementsdans lesquelsvitencore une bonne partie des330000sinistrésdevrontêtreéva-cués enmars2013. «Il ne reste riende notre maison. Nous avons reçuune indemnité de 1million de yens[10000 euros]. Là où nous habi-tions, c’est devenu trop dangereux,dit lamairie.Maisoùaller?»AIshi-nomaki, 28000 maisons ont étéenglouties. La vague, qui a atteint10m, a pénétré dans les terres sur7km. A Ogatsu, port à quelquesdizaines de kilomètres de là, 80%desbâtimentsontétédétruitset laville a été désertée par ses4000habitants. Plus au nord, àRikuzenTakata, ravagéepar le tsu-namiet les incendies (1800morts,soit près de 10%de lapopulation),une partie des habitants sont par-tis et ne reviendrontpas.

Un énorme travail de déblaie-ment a certes été fait dans les pré-fectures sinistrées (Fukushima,MiyagietIwate) : lesscènesdedéso-lation ont fait place à des rues quiontreprisunsemblantdenormali-té avec leurspublicités, leurs petitscommerceset, çàet là,desbéances:l’emplacement de maisons effon-drées. Ailleurs, ce sont à perte devue des terrains vagues, aplanis,entrecoupés parfois d’immensesmares où se croisent à angle droitdes routes refaites mais vides quinemènentnullepart.Mais les stig-mates restentdans les cœurs.

Au-delà des grands projets dereconstruction annoncés en fanfa-re – unemannepour les géants dugénie civil, qui écrasent au passageles petites entreprises locales – etdes slogans «Courage Japon» quiont fleuri depuis desmois se dessi-

neune réalitémoins florissante aufil des récits des sinistrés, qui serépètent comme une longue lita-nied’unlieuàunautre.Desviesbri-séesparlesdeuils, ladestruction,etdont l’avenir estbouché.

Un sentiment d’abandon querésume cette formule d’un sinis-tré: «Nous sommesdes prisonniersde geôles sans barreaux qui igno-rent combiende temps ils ont enco-reà tirer.» Il vitdans lemêmelotis-sementde logements provisoires

queMmeTakeda, bâti sur un terraindestiné à recevoir une zone indus-trielle, coupéde routes sur lesquel-les foncentdespoids lourds.

Il y a peu de travail, et le départdes jeunes aggrave le vieillisse-ment des régions affectées :41000personnesontquittélespré-fectures de Fukushima, Iwate etMiyagi. Cet exode prend unedimension particulière à Fukushi-ma, où la crise nucléaire a porté uncoupsupplémentaireauxvictimesdu tsunami – et à bien d’autres quivivaientpourtant loinde lacôte. Lamajorité (31000 personnes) deceuxquiontquittélesrégionssinis-tréesvivaitdans cettepréfecture.

A Minamisoma, dont la partiesud se trouve dans les zones des20kminterditsd’accèsautourdelacentrale, 43000 personnes sur51000sontparties,et7000person-nes vivent dans les logements pro-visoires: «Jusqu’à quand?, interro-geKyokoKumai. Jenesuisplusbienjeunepourattendreainsi.»Lesplus

âgésontpeurdese retrouver isolésdansdegrandsensembles:cefut lecas àKobé, après le séismede 1995.Le taux de suicides y fut élevé.Depuis le11mars, 1300victimesdutsunamise sontdonné lamort.

Lesraisonsdesdépartsneselimi-tent pas à la menace radioactive:lesperspectivesd’emploisontlimi-tées,saufdanslebâtiment,maislesactivités telles que l’agriculture etla pêche périclitent. A Ishinomaki,les pêcheurs peinent: les prises nedépassent pas le quart de ce qu’el-les étaientavant la catastrophe.

Le longde la côte, en remontantverslenord, lesroutesontétédéga-gées, et par endroits des tapis dedébris amoncelés barrent la vuesur plusieursmètres de hauteur etdescentainesdelongueur.Ailleurs,on tombe sur des entassementsdecarcasses de voitures ou des bâti-ments éventrés aux squelettiquescharpentes d’acier tordues devantlesquelsunpetitautelbouddhiquea été dressé avec des fleurs et quel-quesoffrandes.Certainesagglomé-rationsontdisparu:cenesontplusquedes«lieux-dits».

Aufonddesacrique,Shirahama,àunetrentainedekilomètresd’Ishi-nomaki, était une bourgade depêcheurs. C’est devenu un terre-pleinvidefaceàlamer,dansunpay-sage d’îlots rocheux et de pinèdestel qu’on en voit sur les estampes.Le village ne sera jamais recons-truit. Le lieuest tropdangereux.

Danslepetitportvoisind’Ozaki,une dizaine de familles depêcheursontreforméunecommu-nauté. Au fondde la baie, entouréedecollines, lapetiteagglomérationn’aeuqu’unmort.«Lesfamillesontfui sur les hauteurs, et nous, noussommespartisenmerpouréviter lavague : en dix minutes à pleinmoteur, on est assez loin, et lamoi-tiédesbateauxontétésauvés», rap-pelle Katsuya Sasaki. Un tiers des

familles sont restées. Les hommespêchent des algues (dont raffolentlesJaponais),quelesfemmesprépa-rent sur le quai avant de les fairebouillir dans des baquets chauffésà l’électricité. «On a nettoyé parnous-mêmes, et le départementnousafournideséquipements.»Là,la communautén’apas éclaté, et lavie a repris. Ailleurs, ce n’est pas lecas, et beaucoup de pêcheurs sontdevenusmanœuvres.

KatsuyaSasaki ade la chance: ilvit dans une maison neuve surune hauteur. Elle fait partie d’unprojet du département d’architec-ture de l’université Kogakuin àTokyo et d’une entreprise deconstruction locale qui, avec descharpentiers des environs, aconstruit onzemaisons de bois destyletraditionnel.Certes,unegout-ted’eau, compte tenudesbesoins:«Nous voulions montrer que, plu-tôtquedes logementsprovisoiresà5millions de yens l’unité destinés àêtredétruitsdeuxansaprès, il étaitpréférable de construire aussi vitedes habitations permanentes enutilisant des techniques tradition-nellespouruncoûtde9millionsdeyens», explique Shinichi Sekiya,de l’universitéKogakuin. Leprojeta été financépar des donations.

Des plans de reconstructionsont prêts, mais le gouvernementcentral ne prend pas de décision.«On ne peut rien faire, à cause desretards au niveau gouvernemen-tal», reconnaît-onàlamairied’Ishi-nomaki,aujourd’huiinstalléedansleslocauxd’unanciengrandmaga-sin.Dans la population, ces projetssuscitentplusdedoutesquedecer-titudes. Seiichi Nagashima, pro-priétaire de la pâtisserie Kasaya, àIshinomaki, aimeraitbien relancersonactivitéaumêmeendroit,mais«leprojetde reconstructionprévoitl’installation d’une digue de5mètresdehaut,dont le tracépassejustedevant lemagasin».

La reconstruction se concentresur les grandes villes, à commen-cer par Sendai (1million d’habi-tants) : le taux d’occupation deshôtels a augmenté de 10% aucours des derniers mois. Certes,affectéedanssapartieprochedelamer,Sendaineparaîtguèreunevil-le frappéeparundésastre,avecsesboutiques de luxe et ses restau-rantsquifontsallepleine.Uneani-mationqui contrasteavec la situa-tiondesvilles côtières demoindreimportance, qui se dépeuplent.p

PhilippeMesmer

etPhilippe Pons

L’après-Fukushima

Victimes Le séisme et le tsunami

ont fait 15846morts (bilan établi

au 7février 2012) et 6011 blessés,

3317 personnes restant portées

disparues. Selon les autorités

japonaises, aucundécès n’est

imputable aux radiations dues à

l’accident de la centrale nucléaire

de Fukushima-Daiichi. Six

employés sontmorts : deux tués

par le séisme et le tsunami, deux

autres victimes d’un arrêt cardia-

que et deux d’une leucémie aiguë

et d’un choc septique.

Réfugiés Le tremblementde ter-

re et la vaguegéante ontmis à la

rueplus de 340000 réfugiés,

pour lesquels 53000 logements

provisoires ont été construits.

DestructionsLa double catastro-

phea détruit totalement

130000bâtiments et partielle-

ment plus de900000 autres.

Dans les trois préfectures les plus

touchées (Fukushima, Iwate et

Miyagi), les décombres représen-

tent 22millions de tonnes.

LeJapon, l’annéed’aprèslavagueLavien’apasrepris soncoursdans les régionsmeurtriespar le tsunami.Desmilliersdepersonnesrestentdéplacées

«Noussommesdesprisonniersdegeôlessansbarreauxquiignorentcombien

ilsontencoreàtirer»Unsinistré

Prèsde20000morts et disparus

100 km

Rikuzentakata

Sendai

Tokyo

Fukushima

Epicentredu séisme

Merdu Japon

SOURCES : AFP ; USGS

Zone affectée

Tokyo

OCÉANPACIFIQUE

Unan après le tsunami, à Toni,dans la préfecture d’Iwate, les

éléments d’unmur de protectiondémantelé par la vague.

JAMESWHITLOW DELANO/COSMOS

8 0123Dimanche11 - Lundi 12mars 2012

planète

Entretien

L’historien Pierre-FrançoisSouyri dirige le départe-ment d’études est-asiati-

ques de l’université de Genève eta publié en 2010 La Nouvelle His-toire du Japon (Perrin). AprèsFukushima, il pointe le fosséentre les Japonais et la classe poli-tique, et le sentiment d’être« sacrifiés » que ressentent leshabitants des zones dévastées.Quelle place tiendra la catastro-

phe du 11mars 2011

dans l’histoire du Japon?

Un grand séisme est souventperçu comme révélateur des ten-sions politiques ou sociales. Lacatastrophe de 2011 survient dansun Japon confronté depuis vingtans au ralentissement de son éco-nomie,auretourdes inégalitésetàune montée de la précarité. Alorsque dans lemême temps, les paysvoisins,Chineen tête, sontenplei-ne expansion. Cette crisemajeuresouligne l’incapacité des politi-ciens qui gouvernent à Tokyo àindiquerun cap ferme.Comment expliquer la «digni-

té» avec laquelle les Japonais

font face aumalheur?

Au cours de leur histoire, lesJaponais ont développéune sensi-bilité particulière au caractèreéphémère de l’existence surlaquelle vient se greffer l’idéebouddhiste de l’impermanencedu monde. Cela n’est pas sansconséquences sur le comporte-ment face aux catastrophes natu-relles et sur la capacité à accepterle destin face à une nature violen-te.Maiscesraisonsd’ordrecultura-liste n’expliquent pas tout. Le tsu-nami a frappé des petits ports depêche où les habitants avaient tis-sédepuislongtempsdeslienscom-munautairesétroits.Cettesolidari-té explique sans doute davantageles réactions des populations.D’ailleurs,dansdessituationsana-logues, les Japonais n’ont pas tou-jours réagi ainsi.Avec l’accident nucléaire

de Fukushima, la responsabilité

humaine n’est-elle pas aussi

engagée?

L’accident nucléaire met enlumière les déficiences du systè-me et fait apparaître une série dedysfonctionnements: accumula-tiond’erreurshumaines, incapaci-té à anticiper, opacité des déci-sions, imprécision des informa-tions,rejetdela fauteinitialesur laviolence inattendue du séisme etdutsunami,faillitetotaledesorga-nismesdecontrôlegouvernemen-

taux… Tout cela ressemble fort àune forme de « trahison des éli-tes», sacrifiantdes pans entiersdela population à sa morgue et sonincompétence. Aussi, les gens deFukushima se sentent-ils non pascommedesvictimes,maiscommedes sacrifiés.Est-ce un phénomène nouveau

au Japon?

Cette idée est abordée dans unessai récent de l’historien TetsuyaTakahashi. Il y évoque le Japonmodernecommeunsystèmesacri-ficiel.Autrefois,desmillionsdesol-dats japonais tombèrent pour lagloire du Japon militariste, puisfurent transformés en héros invo-lontaires dont l’âme est vénéréeau sanctuaire Yasukuni. Ils furent« sacrifiés» pour la défense del’idéologie impériale. Plus tard,l’Etatdécidade«sacrifier»unepar-tie du territoire d’Okinawa pour yinstaller des bases militaires, aunomdesintérêtssupérieursdel’al-liancestratégiquenippo-américai-ne. Aujourd’hui, le pays prend lerisque de «sacrifier» des partiesdu territoire avec leur population,notamment des paysans, au nom

d’une stratégie énergétique déci-dée par les compagnies productri-cesd’électricité,qui gèrent les cen-trales nucléaires, avec la complici-té de l’Etat. En d’autres termes, cespopulationssont«sacrifiées» auxintérêts supérieurs d’une indus-trie devenuemortifère.

Ce fut déjà le cas à la fin duXIXe siècle quand les paysans dunord du Kanto durent se battrecontrelapollutiondesrivièrespro-voquée par l’exploitation desmines de cuivre d’Ashio. Ilsdisaientsebattrepourlaviecontreune industriequi donnait lamort.

Enautorisantleshabitantsàrési-der dans certaines zones contami-nées avec une radioactivité dix oucent fois supérieure à la normale,l’Etatnesacrifie-t-ilpasencoredéli-bérément une partie de la popula-tion à ses intérêts supérieurs ?Mais,serait-ontentéderétorqueràTetsuyaTakahashi, en irait-il diffé-remmentailleursqu’au Japon?p

Proposrecueillis par

Ph. P.

L’après-Fukushima

TokyoEnvoyé spécial

Cahin-caha, les statistiquesconfirment que le Japon serelèvedecetteterribleannée

qui a vu sonproduit intérieurbrut(PIB) reculerde0,7%.Car le Japonales moyens de rebondir, commel’exprimeGoroFukushima,chargéde relations publiques au Keidan-ren, la puissante organisationpatronale : «Nous avons investi2600milliardsd’eurosde capitauxà l’étranger, souligne-t-il. Noussommes capables de nous releverparnous-mêmes.»

L’Agence de reconstruction(Fukkocho), enfin installée le10 février pour coordonner lesefforts en faveur de la régionmar-tyriséeduTohoku, le concrétise, etle plan de bataille est récité tel unmantra dans les ministères com-me dans les communes: d’abordreconstruire, puis développer leszones ravagées.

« 190milliards d’euros serontdépensés dans les cinq ans, puisune quarantaine demilliards pouraccélérer le développement, expli-que Tomiyama Kazushige, direc-teur de la recherche à la directiondu budget duministère des finan-ces. Nous financerons cet effort enalourdissant les impôts des entre-prisesetdesparticuliers,ensuspen-dant la mise en gratuité des auto-routes et la hausse des allocationsfamiliales et en lançant unemprunt spécial de 115milliardsd’euros.Pouréviterd’aggraverain-si notre endettement et supprimernotre déficit primaire d’ici à 2020,il faudra que le Parlement porte la

taxe sur la consommation de 5% à10% avant 2015.» Son refus ouvri-rait une crise politique.

Au ministère de l’économie(METI),ontirelesleçonsdelacatas-trophe. «Nous devons cesser deconcentrer la fabrication d’un pro-duitdansuneseuleentreprise,énu-mère Sakai Yoshimasa, adjoint audirecteurdubureaudes industriesmanufacturières. Il faut arrêter defairedesproduitssurmesure,vulné-rables en cas d’interruption de lachaînelogistique.Nosusinesserontconstruitespourmieuxrésisterauxséismes, et à l’écart des côtes.»

Enfait, l’impressionnantemobi-lisation nippone ne peut dissimu-

ler les maux que le drame du11mars 2011 a exacerbés. Lamaîtri-se des déficits et de la dette ?« Impossible, si la taxe sur laconsommation n’est pas portée à15%», a dit le Fonds monétaireinternational (FMI). «Le gouverne-ment Noda n’a pas réussi à tenirl’ensemble de ses engagements demoyen terme des finances publi-quespourlebudget2012»,arenché-ri le service économique régionalde Tokyo, service extérieur de ladirectionduTrésor français.

Les littorauxmeurtris tireront-

ilspartide lamanneannoncée? Leprécédentde l’île d’Okushiri, rava-gée par un tsunami qui a fait200morts en 1993, rend scepti-que. Elle a été reconstruite commeune forteresse contre lamer,maisles jeunes sont partis parce qu’ilsne voulaient plus des rudesmétiersde lamer.

«L’effort de reconstruction seraexigeant, résume TomiyamaKazushige,maisnosgrandsproblè-mes sont à long terme.» A com-mencer par le vieillissement de lapopulationdû à l’espérancede viela plus élevée dumonde. Les Japo-nais de plus de 65ans représente-ront 40% de la population en2050, contre 23% aujourd’hui. Lespersonnes âgées épargnantmoins, qui achètera une dettepublique astronomique pesant230%duPIBen2013?DansleToho-kuvieillissant,pêcheursetagricul-teurs ne trouvaient déjà plus desuccesseurs. La vague risque deleur avoir porté le coupde grâce.

Elus et habitants pèsent le pouret le contre d’une reconstructionloin de l’océan et travaillent à desprojets d’avenir. Le maire d’Iwaki(préfecture de Fukushima), TakaoWatanabe, veut construire «deuxou trois barrages» successifs pourcasser un éventuel tsunami. Cesdigues permettraient la construc-tion d’un parc marin et d’un pôlecommercialsécuriséssurlelittoral,afin de faire revenir la moitié des10millions de touristes annuelsquiontdéserté la station.

Pour compenser la perte del’électricitédelacentralenucléairede Fukushima Daiichi, située à50km au nord, il caresse le projet

de faire de sa ville le cœur «d’unesociété sans nucléaire» et d’instal-ler «une ferme pilote d’éoliennesflottante,à40kmaularge,quipro-duirait autant qu’un réacteur etcréerait aumoins 1000emplois».

Enfait, lamenacedesdélocalisa-tions rôde. En mars2011, CarlosGhosn, patron de Renault-Nissan,était venu à Iwaki promettre quel’usinedemoteursneseraitpasfer-mée.Enavril, ShojiMuneoka,PDGde Nippon Steel, a fait de même àKamaishi (préfecture d’Iwate),pour rassurer sur la poursuite dela fabricationde treillagesmétalli-quespourpneus.

Iln’empêche:depuissantesfor-ces centrifuges sont à l’œuvre. Al’international, les entreprisesjaponaises ont investi 49,7mil-liards d’euros, en 2011, dans lesautres pays d’Asie, pour profiterde coûts salariaux réduits et com-penser la hausse du yen. «C’estune nécessité, justifie SugimotoKazuyuki, président de l’institutMizuho, mais nous conserveronsici la recherche et le contrôle.»

On sent lamontée en puissanced’un «Japon utile». Il ne faudraitpastroppousserShintaro Ishihara,maire de Tokyo, et Toru Hashimo-to, maire d’Osaka, pour qu’ilsdemandent de privilégier leursmégalopolesquigagnent, elles.

Séisme et tsunami mettent àrude épreuve la solidarité nippo-ne. Le traitement réservé auToho-ku et aux personnes âgées autantque les choixbudgétaires et finan-ciers diront, dans les dix ans, si leJapon relèvera les défis croisés delamondialisationetde lanature.p

AlainFaujas

HigashimatsushimaserêveenvillemodèledesénergiesrenouvelablesCettecitéde43000habitantsaétésélectionnéepar legouvernementpour fairepartiedes«sixvillesdufutur»

«Cettecrisemajeuresoulignel’incapacité

despoliticiensquigouvernent

àTokyoàindiqueruncapferme»

«LesgensdeFukushimasesententcommedessacrifiés»Pour l’historienPierre-François Souyri, le fosséentre lapopulationet lesélites s’est creusé

«Nosusinesserontconstruitespourmieuxrésisteraux

séismes,etàl’intérieurdescôtes»

Sakai Yoshimasa

ministère de l’économie

Unprêtre shinto sur le chantier de construction d’une usine, àKesennuma, dans la préfecture deMiyagi, en février. TOMOSHIRO OHSUMI/GETTY IMAGES

D’abordreconstruire,puisdévelopper190milliardsd’eurosserontdépensésdans lescinqanspour leszonessinistréesduTohoku

HigashimatsushimaEnvoyé spécial

Higashimatsushima, ville de43000habitants de la pré-fecture de Miyagi, était

connue pour sa base aérienne, sestraces d’occupation humaine de lapériode Jomon (14000-300 avantJ.-C.) et sa culture ostréicole. Ellepourrait bientôt s’afficher commeune municipalité à la pointe destechnologies environnementales.Telle est en tout cas son ambition,d’autant que le gouvernement l’asélectionnée comme l’une des six«villes du futur» de son projet dereconstructionpost-tsunami.

Dans cette municipalité bor-dant le littoral Pacifique, avec, au

sud, l’île de Miyato qui dessine lapartie orientale de la baie deMat-sushima, l’un des trois plus beauxpaysages du Japon, le tsunami adétruit ou endommagé14000maisons et fait plus de1000morts. La vague a recouvert60%du territoire de la commune.

Aujourd’hui, lavilleveutétablirune zone tampon entre l’océan etles premières habitations avecunetripleprotectionsurplusieurscentaines de mètres. En merseraient disposés des blocs debéton, puis il y aurait une premiè-re digue. Derrière, des arbres etune route surélevée formerontune deuxième digue. Un canalseraitcreuséenparallèleà laroute.Viendrait ensuite une vaste éten-

due de terres utilisées pour lescultures ou pour des installationsdeproductiond’électricitéd’origi-ne renouvelable. Enfin, une autreroute surélevée jouerait le rôle detroisième digue. Derrière ces pro-tections, lamairie veut construire1 700 maisons individuelles et800 appartements dans troiszones considérées commesûres.

CommeàCopenhaguePour cela, il faut complètement

revoir le plan d’occupation dessols. «Certaines terres appartien-nent à lamairiemais pour le reste,il va falloir contacter lespropriétai-res et les convaincre de vendre»,explique Shuuya Takahashi, char-gé du projet de la reconstruction,

qui a lui-même perdu sa maisonet, surtout, sa fille dans le drame.Complètement investi dans lareconstruction, il en évalue toutelacomplexité.Il faudraaussirache-ter les terrains des habitants deszonesdésormaisconsidéréescom-me inhabitables, négocierunnou-veau tracéde la ligne ferroviaireetconvaincre une population peuencline à accepter un relogementdansdes habitats collectifs.

Pour l’indépendance énergéti-que, Higashimatsushima a degrandes ambitions. Centralesdites méga-solaires, éoliennes etsurtout utilisation de la biomassepour le réseau d’eau chaude.«Notre modèle est Copenhague»,souligneM.Takahashi.

L’évocationdelacapitaledanoi-se n’a rien d’un hasard. Dans lespremiers jours qui ont suivi lacatastrophe, l’ambassadeur duDanemark,FranzMichaelMellbin,s’estrendudanslavilleavec15mil-lions de yens (139000 euros) enliquide, dons d’entreprises et departiculiersdesonpays.Lesvisitesofficielles ont suivi.

Acetengagementdanoiss’ajou-te celui de l’ancien premierminis-tre Naoto Kan. Convaincu depuisl’accidentdelacentraledeFukushi-ma de la nécessité de réduire ladépendance au nucléaire, il fait,depuis son départ du gouverne-mentenseptembre2011, lapromo-tion des énergies renouvelables etmultiplie les visites dans les pays

en pointe dans ce domaine, com-me l’Allemagne, l’Espagne et leDanemark. Ces soutiens laissentpenserqueleprojetdeHigashimat-sushima, dont le coût est estimé à300milliardsdeyens(2,8milliardsd’euros) et la réalisation devraitprendredix ans, peut aboutir.

Sa concrétisation se heurtepourtantauxlenteursadministra-tives. «Nous avons bouclé notredossier. Il a été accepté, mais l’ar-gent n’arrive pas, regretteM.Taka-hashi. Or il faut aller vite, sinon lesgensfinirontparpartir.»Unecrain-te souvent évoquée dans les zonesdévastées,oùledépartdespopula-tions est considéré comme la plusgrandemenacepour la région.p

Ph.Me.

90123Dimanche11 - Lundi 12mars 2012

Latentationdudépartpourcommenceruneautrevie

planète

L’après-Fukushima

TokyoCorrespondance

Iitate a été évacué. Mais cebourgde6000âmesdudépar-tement de Fukushima reste

trèsanimé.Desdizainesd’ouvrierss’activent aux manettes de gruespour retirer la surface de la terredes rizières. A Hirono, à 20km ausud de la centrale de Fukushima-Daiichi,d’autres lessivent lesmursaunettoyeurhautepressionetéla-guent les arbres.

Depuis l’entrée en vigueur, enjanvier,delaloisurladécontamina-tion, des centaines de travailleurssont engagés dans une tâche aussiardue que délicate: le nettoyagedes espaces pollués par les770000terabecquerelsdesubstan-ces radioactives rejetéespar la cen-tralenucléaireFukushima-Daiichi.

Le ministère de l’environne-mentaestiméà2400km² lasurfa-ce de territoire à décontaminer,sans compter des milliers de mai-sonset de bâtiments. Puis il faudrastocker les quelque 31millions demètres cubes de terre contaminée

accumulée. Pour l’instant, ils sontenfouis près des sites de travaux,dans des fosses couvertes debâches contenant de la bentonite,une argile empêchant la diffusiondes radiations.«C’est unepremièreétapede troisans, expliqueKazuyaSato,delamairiedeHirono.D’ici là,le gouvernement devra avoir trou-vé un site de stockage de longuedurée.»Aucunemunicipalitén’estenthousiaste à l’idée d’accueillircette énorme quantité de déchetsradioactifs.

Elevée au rang de priorité de lareconstruction, pour permettreune révision dès la fin mars dudécoupage des zones polluées etun retour rapide des évacués chezeux, la décontaminationmobilised’importants moyens, assuméspar l’Etat et les collectivités locales.Pourl’exercicefiscal2012, lapréfec-ture de Fukushima va y consacrer243,7milliards de yens (2,24mil-liards d’euros) et le gouvernement451,3milliards de yens. «Nous vou-lons revenir à un niveau d’exposi-tion inférieur à 1 millisievert (mSv)par an, la norme légale», explique

Tokio Hayama, responsable de ladécontamination de Minamiso-ma, ville dont la partieméridiona-le se trouvedans la zonedes20kmd’exclusion autour de la centrale.Lamoitié du territoire communalest contaminé à plus de 8,7 mSvparan.«C’estunobjectif à long ter-me»,précise-t-il,conscientdeladif-ficultéde l’opération.

Techniques rudimentairesCar les techniques restent rudi-

mentaires.Les tentativesdephyto-remédiation – la décontaminationparlesplantescommeletournesol,l’amarante et le colza – n’ont pasdonné les résultats escomptés.Toutcommeledrainagedessolsaumoyend’uneeauenrichieenzéoli-the, unminéral capabled’absorberdu césium. « Il n’existe pas deméthodeefficace, trancheRyo Ichi-ji,del’ONGOnTheRoadetmembredu secrétariat gouvernementalpour la reconstruction. Dans lesespaces nettoyés, la contaminationrevient dans les semaines qui sui-vent.» Le vent et la pluie déplacentles dépôts radioactifs des forêts et

desmontagnes,desespacesimpos-sibles à traiter. Et la centrale conti-nue de rejeter du césium, à 70mil-lionsdebecquerelsparheure.

L’organisationmêmedel’opéra-tion est critiquée. «Je n’y connais-sais rien», admet M.Hayama, quitravaillait à la réformeadministra-tive deMinamisoma. Leministèrede l’environnementet les entrepri-ses de construction pas beaucoupplus. Et aucune cartographiepréci-se des points les plus contaminésn’aété réalisée.

Laperspectived’unedécontami-nation réelle reste hypothétique.Certains n’hésitent pas à évoquerun gaspillage des deniers publics…Tout cela ne contribue pas àconvaincre les personnesévacuéesde rentrer chez elles. Rencontréedans un logement provisoire,MegumiKubota, une habitanteduvillage de Kawauchi, qui pourraitêtre le premier ouvert au retour,hésite.«Lemaireveut rentrer,maismoi, j’hésite. J’ai demandé s’il yaurait un suivimédical toute la vie.Jen’ai paseude réponse.»p

PhilippeMesmer

UnedécontaminationchaotiqueAuboutdequelquessemaines, la radioactivité réapparaîtdans leszones«nettoyées»

LesJaponaissesontconvertisauxéconomiesd’énergie

Lamenace radioactivepous-se certains à chercher refugehorsdu Japon.Unpasteur

de la préfecturede Fukushima,NagatoTsuboi, se serait renduenCoréeduSudavecpourobjectif,selondes responsables locauxcitéspar l’AFP, de «trouverdes ter-res similaires à celles dudéparte-ment de Fukushima». Il aimeraitles acheter et y installer plusieursdizainesd’habitantsdes zonescontaminéesdésireuxde vivredansune régionsûre, où lesenfantspourraient grandir sansla crainte des radiations.

Sespérégrinations l’auraientconduitdans le comtéde Jangsu,dans laprovince ruralede Jeolla-Nord, connuepour laqualitédeses rizières, et sur l’île de Jeju. Il yaurait trouvédequoi satisfaireunepopulationd’agriculteursquis’est vu interdirede cultiverdurizen2011 et en 2012et quine saitpas si ellepourra reprendreunjoursonactivité.

Quelquepeuextrême, ladémarchereflètepourtantunsen-timent largementpartagédans lapopulationdeFukushima.Pourleshabitantsde cette régionrelati-vementpauvre, l’avenir semblebiensombreetporteurd’unris-quesanitaireque leskilomètrespourraientsinonsupprimer,dumoinsatténuer.

HiroshiTamura,de la chambrede commerceetd’industriedeHaranomachi, explique:«Parcraintedes radiations, j’ai envoyémafemmeetmesdeux enfantshabiterà Sendai [à 70kmaunord]. »LamunicipalitédeSendaiprendencharge le loyerdes réfu-giés jusqu’enmai2013.

Beaucoupd’habitantsde lapré-fecturede Fukushimafontdemême,ou souhaiteraientpouvoirle faire.«J’aimeraisbienpartir,maisà causedemoncommerce jesuis coincée», regretteune jeunefemmequi tientunhôteldans lavilledeFukushima.D’autresn’enontsimplementpas lesmoyens

oune trouventpasde logementdans les villes voisines, aujour-d’hui saturées.

Ainsi cettemèrede famillehabitant les logementsprovisoi-resdeMinamisoma, inquiètepour l’avenirde sesenfants:«Mafille est collégienne. J’espèrequ’ellene subirapasdediscriminationscommece fut le caspour les irra-diésd’Hiroshima,qu’elle pourra semarierun jour et qu’elle auradesenfants.»Satoru Iioka, consulhonorairedeFranceà Sendai etdirigeantd’uneécole, noteque«beaucoupd’étudiantsdeFukushi-masouhaitentvenir à Sendai».

Pour tenter de limiter cetexode,NorioKanno,maireduvil-laged’Iitate, évacué car il se trou-vait sur la routedunuage radioac-tif dégagépar la centraledans les

premiers jours de la crise, a toutfait pour que les6000habitantsne s’éloignentpas à plusd’uneheuredevoiturepourpouvoirrevenir de temps en temps. «Laplupartdes personnesâgées sontprêtes à revenir, reconnaît-il,maisles jeunes, eux, veulentpartir.»

Beaucouprefont leur vie àTokyoou, plusprès, dans lespré-fecturesvoisinesde YamagataoudeMiyagi. Et plus le tempspasseet plus Fukushimase vide, inexo-rablement.Depuismars2011, acalculé le gouvernement, larégionadéjàperdu43600de sesquelquedeuxmillionshabi-tants.p

Ph.Me. (Tokyo,

Correspondance)

SOURCES : IRSN ; LE MONDE INFOGRAPHIE LE MONDE PBq : pétabecquerel : un million de millards de becquerels

Tokyo

Fukushima

Iwaki

oyaoto

Sendai

Océan

Pacifique

250km

Les gaz raresPeu persistants, ils ne se déposentpas au sol et contribuent peuà l’exposition aux radionucléidesRejets : 6 550 PBq,autant qu’à Tchernobyl.

Les iodes sont, avec les tellures, les plus dangereuxlors de la dispersion du panache radioactifRejets : 408 PBq, dix fois moins qu’à Tchernobyl.

Les telluresRejets : 145 PBq,dix fois moins qu’à Tchernobyl.

Réacteur 4 (14 mars 2011)Incendies et explosion dansle bâtiment de la piscined’entreposagede combustible usé.

Réacteur 1 (12 mars 2011)Fusion totale du cœur etpercée de la cuve, avecécoulement du corium aufond de l’enceinte deconfinement.

Réacteur 3 (14 mars 2011)Fusion partielle du cœur,avec possible écoulementde corium (cœur fondu)dans le fond de l’enceintede confinement.

Réacteur 2 (15 mars 2011)Fusion partielle du cœuravec possible écoulementde corium dans le fondde l’enceinte de confinement.

Les césiumsLe césium 137,très persistant, estle principal responsablede la contamination du sol

Rejets : 58 PBq, trois fois moinsqu’à Tchernobyl.

H

H

100 000 personnes déplacées

Suivi médical pendant trente anspour 2 millions d’habitants de la préfecture de Fukushima

H Bilan thyroïdien pour 360 000 enfants et adolescents

HSuivi génétique des enfants de 20 000 femmes ayantdéclaré une grossesse entre le 1er août et le 31 juillet 2011

Les rejets radioactifs

Les explosionsdans les réacteurs

Les impacts sanitaires

L’accident nucléaire le plus grave depuis Tchernobyl

Contamination de l’océan

Dépôts au sol de césium 137 en milliers de Bq/m2

Supérieur à 3 000

1 000 à 3 000

100 à 1 000

10 à 100

Moins de 10

Près de 24 000 km2

ont reçu des dépôts

de césium 137 supérieurs

à 10000becquerels parm2.

La plus forte pollution

radioactive dumilieumarin jamaissurvenue, en grande partie disperséepar les courants.

«La situation reste fragile», a reconnuledirecteur de la centrale de Fukushima,Takeshi Takahashi,mardi 6mars; un anpresque jourpour jour après la catastro-phedu 11mars 2011, la plus gravede l’his-

toire de l’atomecivil après celle de Tcher-nobyl, classée commeelle auniveaumaximalde 7 sur l’échelle des événe-mentsnucléaires. Fin 2011, le gouverne-ment japonais a annoncé «l’état d’arrêt à

froid»des réacteurs accidentés.Mais ilfaudra aumoinsdix ans pour les vider deleur combustible enpartie ou en totalitéfondu. Et quarante anspour démantelercomplètement les installations.

La régionde Fukushima, elle, va restercontaminéependantdes décennies. Leterritoire souillé par le césium137, qui nedevraitdisparaîtrequ’au bout de 300ans, est beaucoup moins étendu

qu’autourde Tchernobyl mais, parendroits, la radioactivitéy est aussi éle-vée. Plus de 2millionsde Japonais vontdevoir faire l’objet d’un suivimédical pen-dant trente ans.p

TokyoCorrespondance

Leministrede l’industrie,YukioEdano, l’a rappelé jeudi8mars:«Le redémarragedes réacteursnucléairesà l’arrêtne se ferapassans l’accorddesautorités locales.»«Laprioritédoit êtreaccordéeà lasûreté, etnonauxbesoinsen éner-gie», a-t-il ajouté, témoignantde laprudencedugouvernementalorsqueseulsdeuxdes 54réacteursduJaponfonctionnentencore. Lesautressont soit endommagés, soità l’arrêt, la loi obligeant lesopéra-teursà les stopperpour inspectionaprès treizemoisd’utilisation.

Après l’accidentde Fukushima,le 11 mars 2011, le gouvernementa

imposédes tests de résistancepourobtenir une autorisation deredémarrage. Si aucun réacteurn’obtient ce feu vert, le dernierpourrait s’arrêter fin avril.

De quoi mécontenter les com-pagnies d’électricitéqui doiventpour compenser faire tournerdescentrales thermiques au gaz ouau pétrole. Tepco s’attend cetteannéeà voir grimper sa factureliée aux énergies fossiles de 30%par rapport à celle de 2010. L’en-treprisepourrait la répercuter surses clients en augmentant sestarifs de 10% pour les particulierset 17% pour les entreprises. Cetteperspective suscite de vives criti-ques, y compris au sein du gouver-nementnippon.

Les compagniesd’électricitébrandissent la menace de pénu-rie. Elles l’ont fait avant l’été 2011et avant cet hiver.Mais il n’y a paseu deproblème et, a même décla-ré fin janvier M.Edano, «il y a debonnes chances que nouspuis-sionspasser l’été 2012 sans avoir àpromulguerune loi imposant desrestrictions», commece fut le casà l’été 2011.

Car les Japonais se sont adap-tés. A commencer par les entrepri-ses. Contraintes de réduire de 15%leur consommationde juillet àseptembre2011, beaucoup d’entreelles ont décidé de poursuivreleurs efforts en modifiant, parexemple, durablement les horai-res de travail. Dans le métro de

Tokyo, l’installationd’éclairagesàdiode électroluminescenteper-metde réduire la consommationde40%. Les ménagesutilisent aus-si davantagede produits écono-mes en énergie.

Beaucoup d’industriels voientune aubaine dans la situationactuelle et l’entrée en vigueur, enjuillet2012, de la loi sur la promo-tion des énergies renouvelables.Sharp et Softbank ont annoncé laconstruction de centrales solai-res de grande taille. Cette évolu-tion des mentalités amène à s’in-terroger sur l’urgence de redé-marrer les réacteurs à l’arrêt, voi-re sur la nécessité de maintenir lafilière nucléaire.p

Ph.Me.

«Laplupartdespersonnesâgéessontprêtesàrevenir,mais lesjeunes,eux,

veulentpartir»NorioKanno

maire du village d’Iitate

10 0123Dimanche11 - Lundi 12 mars 2012

planète

L’après-Fukushima

Un an après le désastre deFukushima, le monde del’atomecivilguette tous les

signes positifs. Il en a reçu un, le9février, quand laNuclearRegula-tory Commission (NRC), le «gen-darme» américain du nucléaire, adonné son feu vert à la construc-tion de deux nouveaux réacteursdans l’Etat deGéorgie. C’est la pre-mière autorisation depuis l’acci-dent de la centrale de Three MileIsland(1979), s’est félicitéArisCan-dris, patron de Westinghouse, quifourniradeuxAP1000. Et il attenddeux commandes supplémentai-res enCarolineduSud.

La « renaissance» aux Etats-Unis s’arrêtera probablement là.Sans triomphalisme mais sanscomplexe, les industriels sontpourtant unanimes: la catastro-phe de Fukushima a euun impactlimité sur leur activité, même sielle les a poussés à revoir de fonden comble la sûreté des centralesnucléaires, ce qui pèsera assez peusur le coût finalde l’électricitépro-duite. Quelques pays (Allemagne,Suisse, Italie) ont définitivement

tourné la page, note le Conseilmondial de l’énergie (CME), maisla plupart ont décidé de poursui-vre leur programme. Et les paysémergents affichent toujours leurvolonté de développer cette sour-ce de production d’électricité(Chine, Inde, Vietnam, Afrique duSud,Turquie,Arabiesaoudite,Bré-sil, Bangladesh…).

«Environ 50 pays exploitent,construisent ou envisagent deconstruire des centrales, dont lamoitié sont des “nouveauxvenus”», a calculé le CME dans lebilan post-Fukushima qu’il vientdepublier.Sur437réacteursenser-vice dans lemonde, 8 ont été défi-nitivement fermés en Allemagneet 54mis temporairementà l’arrêtau Japon. Mais 4 viennent d’êtremis en service et 61 sont enconstruction. Chez Areva, on veutcroire que seule une quinzaine deréacteursnipponsserafinalementmise au rancart.

Le numérodeux du groupenucléaireafaitlecompte.«Lenom-bre de centrales en chantier dépas-se celui des centrales arrêtées»,

explique Philippe Knoche. Enoutre, le carnet de commandes aaugmenté entre2010 et 2011 pouratteindre 45milliards d’euros. Legroupetable surunecroissancedeson activité nucléaire de 2% à 3%parandans lesprochainesannées.«Le risque, reconnaît M.Knoche,c’est que le Japonne redémarrepasses 54 réacteurs. » Ce serait alorsprès de 15% de la puissance instal-léedans lemondequiseraiteffacé.

«Malgré Fukushima, l’industrie

nucléairecontinue», résumelepré-sident de laWANO, l’Organisationmondiale des opérateurs nucléai-res. Laurent Stricker souligne queles exigences de sûreté doiventêtre renforcées et que « la WANOvamettre l’accent sur les réacteursen construction, car on s’est renducompte que les accidents survien-nent dans les premiers mois ou lespremières années d’exploitation,quand les opérateurs sont plus oumoins expérimentés». L’associa-tion va renforcer ses liens avecl’Agence internationale de l’éner-gie atomique (AIEA).

FrancisSorin,responsabledel’in-formation à la Société françaised’énergie nucléaire (SFEN), rappel-le que l’Agence internationale del’énergie (AIE) n’a revuqu’à lamar-ge ses prévisions pour 2035. De379 gigawatts (GW) installés en

2011 (1 GW =1000 mégawatts), lacapacité installée passerait à630 GW en 2035 (+60%), soit20 GW de moins que prévu avantFukushima. Ce qui n’augmenterapassapartdanslaproductionmon-diale d’électricité (13%). Largementdominée par le charbon et le gaz,cettepartdevraitmêmese réduire.

Les industriels connaissent ladimension très politique dunucléaire: sans soutien dugouver-nement, il ne peut se développer.Dès qu’il lui est retiré, comme enAllemagne, il disparaît. Une hypo-thèque politique qui met cetteindustrie très capitalistique dansune situation périlleuse, les nou-veaux réacteurs ayant vocation àfonctionnerprèsde centans.

Leschiffresdenouvellescentra-les sont des projections qui doi-vent être prises avec prudence.Rien ne dit, par exemple, que laChineatteindrasonobjectifdepas-ser de 10 GW à 80 GW en 2020.Avantl’accidentdeFukushima,lescoûts du nucléaire ne cessaientdéjàdegrimper, réduisantsa com-pétitivité par rapport à d’autressourcesd’énergie.Avecles réticen-ces, voire l’hostilité de l’opinion,c’estl’unedesprincipaleshypothè-ques pesant sur l’avenir du sec-teur. Ce n’est pas un hasard si lefrançaisEDFestréticentàpromou-voir l’EPR d’Areva, qui coûte envi-ron 6milliards d’euros, et que sesdirigeants ne cachent plus leurvolonté de construire aussi àl’étranger un réacteur de troisiè-me génération développé avecsonpartenaire chinois CGNPC.p

Jean-MichelBezat

Séismes 10000 secousses en un anDepuis le 11mars 2011, le Japon a subi 10000 secoussesperceptibles,selon l’Agencedemétéorologie; 70% seraientdes répliques au tremble-mentde terredemagnitude9qui a secoué l’archipel le 11mars 2011. Surce total, il y a eu97 séismesdemagnitude supérieureouégale à 6, dont7demagnitude 7. L’intensité des secousses est cinq fois supérieure auxmoyennesobservéesdepuis que l’agence assure ce suivi.

Cinéma Le «Japon en une journée»Le cinéaste britanniqueRidley Scott (photo), réalisateurdeBladeRun-ner etAlien,vaparticiper à unprojetdedocumentaire, produit par FujiTV, qui racontera le premier anniver-saire du séismedu 11mars 2011.La chaînenipponea choisi le réalisa-teur en raisonde son travail sur «Lifein a day», undocumentaire réalisé àpartir d’unkaléidoscopede vidéosémanantde 80000personnes origi-naires de 192pays.Les promoteursde «Japon enunejournée» souhaitent des contribu-tionsde quiconquevivant ounon surl’archipel sur sa journéedu 11mars 2012. Le filmdoit être terminé d’ici àl’automnepourunediffusionmondiale. Les bénéfices iront auxvicti-mesde la catastrophe. – (AFP.) PHOTO: AFP

Société

Desjournauxmurauxpourmaintenirlelienauseind’unecommunautéLorsque Internet ou les téléphonesmobiles sont coupés, il resteunmoyendemaintenirun lien au seind’une communauté: une feuille depapier sur laquelle sont tracés à lamaindes caractères.C’est ce que fit pendantune semaine après la catastrophe le quotidiend’Ishinomaki, ville portuaire ravagéepar le tsunami. Les rotativesd’Ishi-nomakiHibi shimbun étaient noyées.Pourpermettre à la populationd’avoir accès à des informationsdebase, ses journalistesont rédigé à lamaindes journauxmurauxplacar-dés chaquematindans les centres d’évacuation. Cette initiative alimen-te au Japonundébat sur lesmédias lorsque les supports numériquessont inopérants.Les journauxmurauxd’IshimonakiHibi shimbun sont exposés aumuséedesArts asiatiquesGuimet, à Paris, jusqu’au 15avril, accompa-gnésdephotographiesd’Eric Rechsteiner sur les destructionsde villeaprès le passagede la vague. L’expositionest organiséeparZoom Japon,mensuel français gratuit en ligne.p PhilippePons

France Une chaîne humaine contre le nucléaireDesmilliersde personnes sont attenduesdimanche 11mars, entre LyonetAvignon, pour former «une chaînehumainepour sortir dunucléai-re»de 235 kilomètres.Quelque60points de rassemblement sontmisenplace sur des parkings. Les organisateurs– Réseau Sortir dunucléai-re, avec le soutiendeGreenpeace, Les Amis de la Terre, EuropeEcologie-LesVerts, le Parti de gauche, desONGallemandes, belges, suisses, etc. –ont choisi la vallée duRhône car avec ses 14 réacteurs, «c’est la région laplusnucléariséed’Europe», a soulignéChristineHasse, de l’associationRéactionen chaînehumaine, qui a vu le jour après l’accidentdans lacentralede Fukushima.«C’est en descendantdans la rue, en semobili-santpar dizaines demilliers, que les Allemands ont obtenuunedécisionde sortie dunucléaired’ici 2022, alorsmêmeque leur chancelière est favo-rable à l’atome», soulignent les organisateurs. – (AFP.)

n Sur Lemonde.fr :

-Un dossier comprenant un port-folio sur le tsunami photographié et commenté par

des adolescents japonais et une vidéo sur «Le Japon, un an après, est toujours à la

recherche de ses disparus».

- «Les esprits des morts planent sur les régions dévastées»,

récit de Philippe Pons.

Seuls 13%des Français se

disent«opposés» à l’énergie

nucléaire (20%en juillet2011),

révèle un sondage IFOPpublié,

vendredi 9mars, par le site d’in-

formationAtlantico.fr. Réalisé

du6 au9mars auprès de992per-

sonnes, il indique que 37%d’en-

tre elles y sont favorables et

36%hésitantes. 71%des sym-

pathisantsUMP sont plutôt

«pro-atome». Ceux du PS sont

plus hésitants (47%), 31%

étant favorables et 15%oppo-

sés. Ceux d’Europe Ecologie-Les

Verts sont plutôt antinucléaires

(45%, contre 34%d’hésitants

et 18%de favorables).

Les Français sont peu (47%) ou

pas du tout (11%) inquiets des

centrales d’EDF (34%assez

inquiets et 8% très inquiets).

J’ai envisagé le scénariodupire si nousperdionsle contrôle de la centrale.

(...) Cela aurait alors nécessité l’éva-cuationdemillionsde personnes,y compris les habitants de Tokyo.”NaotoKan, ex-premierministre du Japon

«Après Fukushima, quelles énergies pour demain?»Dans un recueilde 85 dessins desmeilleurs caricaturistesmondiaux, parus dans«Courrier international », la fondationGoodplanet fait vivre avechumour le débat pro et antinucléaire. (LaMartinière, 200p., 15,90 ¤.)

Lenombredescentralesenchantierdépasseceluidescentralesarrêtées

L’hostilité au nucléaire recule un peu en France

Agauche, la rue principale deNamie, à 8kmde la centrale de Fukushima ; à droite, lamaison du photographe ToshiyaWatanabe. Troismoisaprès le séisme, ce dernier est retourné dans la zone interdite. Son travail, «Fukushimarch», est actuellement exposé à Tokyo. TOSHIYA WATANABE

L’industrienucléairecroitensonavenirSeulsquelquespays, commel’Allemagne, laSuisseet l’Italie, ontdéfinitivement tourné lapage

Les travaux post-Fukushimasont prévus dans les dix ans àvenir », a déclaré, jeudi

8mars,DominiqueMinière,direc-teur de la production nucléaired’EDF. Dix longues années pourmettre les 58 réacteurs français enconformité avec les exigences for-mulées par l’Autorité de sûreténucléaire (ASN), à l’issue des« stress tests » décidés après lacatastrophe japonaise.

Dans son rapport, remis débutjanvier au gouvernement, lepatron de l’ASN, André-ClaudeLacoste, affirmait pourtant qu’il yavait urgence à rendre le parc ato-mique français plus sûr. L’autoritéde contrôle, tout en estimant que« les installations examinées pré-sentent un niveau de sûreté suffi-sant pour ne pas demander l’arrêtimmédiat d’aucune d’entre elles»,soulignait que « la poursuite deleur exploitation nécessite d’aug-menter dans les meilleurs délais,au-delà des marges de sûreté dontelles disposent déjà, leur robustesse

face à des situations extrêmes».C’est-à-direfaceàdesséismes,tem-pêtesouinondationsd’uneviolen-ce supérieure à celle jusqu’icipriseencompte.Etàuneperted’alimen-tation en électricité ou en eau derefroidissement, susceptible deconduire – comme à Fukushima –àunaccidentmajeur.

De fait, l’Institut de radioprotec-tion et de sûreté nucléaire (IRSN) adiagnostiqué de sérieuses faillesdans la fiabilité des centrales fran-çaises. «Sur certains sites, juge-t-il,les référentielsde sûreténe sontpasenconcordanceaveclesconnaissan-ces actuelles sur les risques natu-rels.»Autrementdit, lesnormesderésistanceauxséismesouauxinon-dations sont parfois obsolètes et ilfaut les«faire évoluer sans tarder».

Pour chaque centrale, l’autoritéde sûreté a doncprescrit à l’exploi-tant la constructiond’un centre decrise«bunkerisé»,ainsiquel’instal-lation de groupes électrogènes etd’une alimentation en eau d’«ulti-mesecours».Lacréationd’une«for-

ced’action rapidenucléaire», capa-bled’intervenirenmoinsde24heu-res sur tout site sinistré, a aussi étéexigée.Desmesuresdontl’ASNesti-me qu’elles nécessitent «un inves-tissement massif», chiffré par lePDGd’EDF,HenriProglio,à«moinsde 10milliards d’euros», dont«unepartie déjà comprise dans les inves-tissements de 40milliards d’eurosdécidés [pour la prolongation duparc]avant Fukushima».

Souveraineté nationaleLa France n’est pas la seule à

avoir réexaminé la robustesse deses centrales à la lumière de l’acci-dentauJapon.L’Europeaelleaussidemandéuncontrôlede la totalitéde ses 143 réacteurs. Ses conclu-sions ne sont pas encore connues.Mais, entoutétatdecause,Bruxel-lesnepeutpascontraindreunEtatmembre à effectuer quelque tra-vaux que ce soit sur un réacteur –ni, a fortiori, à l’arrêter –, l’atomerelevant de la souveraineté natio-nale. Ce qui limite singulièrement

la portéede cette revuede sûreté.Aux Etats-Unis, en Russie et

dans beaucoupd’autres pays, desstress testsontégalementété réa-lisés. Mais l’absence de pouvoirdécisionnel à l’échelle de l’Euro-pe est encore plus criante àl’échelle de la planète. L’Agenceinternationalede l’énergieatomi-que (AIEA) a ainsi échoué à impo-ser des règles contraignantes auxpays nucléarisés.

Son directeur, le JaponaisYukiyaAmano,proposait,àdéfautdelacréationd’uneautoritésupra-nationale, que des experts del’Agence puissentmener, partout,desévaluationspériodiques.Mais,malgré l’appui de la Russie, de laFrance et du Royaume-Uni, degrandes puissances comme laChine, l’Inde, le Brésil ou les Etats-Unis y ont fait obstacle.

Dans ces conditions, il n’est passûr qu’en matière de sûreténucléaire, toutes les leçons deFukushimasoient tirées.p

Pierre LeHir

Uneexigencedesûretéaccrue,maissanscoordinationL’Agence internationalede l’énergieatomiquen’apaspuimposerdecontrôles indépendants

110123Dimanche11 - Lundi 12mars 2012