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La collection Espace Nord rassemble des titres du patrimoinelittéraire belge francophone. Elle offre un catalogue d’auteursremarquables et veille à la réédition d’œuvres devenuesindisponibles. Propriété de la FédérationWallonie-Bruxelles, lacollectionestgéréeparLesImpressionsNouvellesetCairn.info,quiontréaliséleprésentvolume.

www.espacenord.com

ISBN:978-2-87568-029-7

Droitsdetraductionetdereproductionréservéspourtouspays.Toutereproduction,mêmepartielle,decetouvrageeststrictementinterdite.

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André-MarcelAdamek

LeFusilàpétales

PostfacedeMartinePreumont

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àBernardGilson

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I

Laberlue

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Raspal me l’avait fait jurer, l’autre jour, un peu avant demourir:

—Tul’écriras,celivre,dis?J’ai fait le modeste, je lui ai dit que je n’avais pas belle

instruction,nileparlerdeceuxquifontleslivres.—Çanefaitrien,tul’écrirasàtamanière.—Personnenecroiracequejedirai...—Jesuistémoin!qu’ilacrié,Raspal.Il ne savait pas encore que la mort mangeait lentement ses

reins.C’était notre dernière rencontre.Un soir tout craquant delumière,à l’oréedejuillet.Destorrentsdesèvecrépitaientdanslesrameaux.Jedis:

—Demainmatin,j’iraiàBarnaville,acheterungroscahier.—Ceneserapasassez.—Mettonsdeuxgroscahiers.Alors, Raspal s’est redressé sur ses coussins. Il était blanc

comme un linge, mais ses yeux continuaient à vivre. Quand ilparlait,onvoyait remuerdans saboucheunmorceaude languebleue.

—Dèsquetuaurasfaitquelqueslignes,Clothaire,tuviendrasmeleslire,etonenparleraensemble.C’estimportant,cequetuvas écrire. Tout ce qu’on a raté, peut-être que les autres nel’essayerontplus...

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Ils’estarrêté,ilaregardéunmomentparlafenêtre.—...etdetoutesnosjoies,ondonneralesrecettes.—Jefaispas lepoids,Raspal,etpuis, jen’aipas lesensde

dire.Jevaism’égarer.—C’esttoiquidislemieuxd’entrenous.Je ne pouvais plus rien répondre. Il était là, Raspal, coincé

dans son fauteuil, les jambes allongées sur une chaise commedeuxballotsetsatêtedemortdéjàtoutefaite.

J’aidit:— C’est bon. Je commencerai dans la semaine. Je ferai du

mieuxdemesmoyens.EtRaspal deme faire un sourire très beau à travers toute sa

fièvre.

Ils’estpasséunpeudetemps,depuis.Après l’enterrement de Raspal, j’ai reporté de jour en jour

monvoyageàBarnaville.Nonpasque le trajetme fassepeur ;mesmolletsontencoreassezdepouvoirsurlespédalespourfaireavancer un vélo sur le plat chemin qui conduit à la cité. J’aisimplement pensé qu’une fois les cahiers ouverts devant moi,mon temps allait être tout entier attaché aux souvenirs. Maisremettresansarrêtaulendemain,cen’étaitpashonnête.Aussi,lemercredi sonnant, après boire le café, je m’en suis allé àBarnaville. Il n’était pas midi quand je suis revenu avec lescahiersficeléssurmonporte-bagages.

Aujourd’hui,jeudi,mevoicipleindebonnevolontédevantlesbelles pages glacées. Parce que c’est un grand jour que dememettre à parler dans un livre, j’ai enfilémon costume et jemesuisrasédeprès.Jeressembleàl’invitéd’unenoce.J’aienviederireetdepleurer.

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Bon.Vous dire que, dans ce pays, des choses exceptionnelles et

légendaires, des sortilèges et des maléfices, j’en ai tellementconnus que si je les racontais tous, il me faudrait bien trentecahiers,ceseraitunebonnechosepourcommencer.

Donc,lepaysoùonest,lebasdeBarnaville,ChompesetlesHameaux,commetouteslesbellesetfortesterres,estunlieuoùunesortedemagieestpartout,prêteàsurprendrelesplantes,lesbêtes,quelquefoisleshommes.

Nous, habitués qu’on est depuis toujours au voisinage dessorciers, on ne s’étonne plus de rien. Certains passants, venusd’autres pays, et qui ont mis le pied dans nos forêts, en sontressortis avec des yeux comme des phares, tout transis etgrelottants.

La nuit, surtout, nos chemins ne sont pas bons à fréquenter.Moi,parexemple,unefoislesoleilcouché,ilfaudraitlefeupourmepousserdehors.Jesaisdequoijeparle.

Du temps où je braconnais dans les Cribes, qui sontd’admirablesmarécagesoù labécasseet lehéronpullulent, j’aibien failli rester là-bas, planté dans la terre comme un arbre,assomméparlapeur.

C’était jenesaisplusàquelmoisd’automne.Sur lesmaraislaquésremuaientdoucementlesfeuillesdejoncs.Toutlepaysageétaitenfarinédelune.L’eauressemblaitàunenappedelaitetlesfeuillagesbruissaientdansunepoussièreblanche.

D’habitude, lesCribes, c’est remplidevolaille. Iln’yaqu’àtirer à l’aveuglette, droit devant, et on est certain de trouer desplumes. Mais ce soir-là, rien. Même les moustiques avaientdisparu.Lesilenceétaitpesantcommeunepierre.

Dépriméetsurpris,jepoussailamarchejusqu’àunerangéedesaules,àlalimitedesmarais.Toujoursrien.Jemesuisdit:

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“Attendons!”Alors, le dos contre un troncde saule, le fusil pointé sur les

reflets de la lune, j’ai épié lemoindremouvement.Mais ça nefrémissaitguèredanslesjoncs.Lepaysagedevantmoi,onauraitdit une photographie. Tout figé, muet, glacé. A ce moment,j’avaisdéjàdespicotementsdansledosetungrandfroiddanslescheveux.Mêmelesrayonsdelunerestaientsuspendusdansl’air,alignésenrubansparallèles.

Et tout à coup, sans prévenir, à deux pas demoi, un hibous’estmis à crier commeun écorché. Jem’y attendais tellementpeuquej’aifaitunbondenavant,enpleindansuneflaque.

Toutéclaboussé,jemesuisretournéverslehibouquiperchaitsurunsaule.

—Va-t-en,volatile!quejecriai,furieux.—Hou.Sonhululementcontenaitunesortedepitié.Ilavaitl’airdeme

dire,l’oiseau:“Restepasici,malheureux,tuestristeàregarderavectavieillepétoireettesbottesquiprennentl’eau...”

Lesglobulesjaunesdesesyeuxmefixaientenclignotant.—HOUclicclicclic...HOUclicclicclic...Écœuré, j’ai cherché une pierre, un bout de bois, n’importe

quoipourluilanceràlafigure.Maisiln’yavaitrienparterrequede la boue et de l’eau.Alors, j’ai épaulémon fusil. J’avais sonbeccrochuaumilieuduviseur.

—Va-t-en,sacàplumes!—Hou.—Tuvast’enaller,dis,fumier!Comme iln’arrêtaitpasdemenarguer, je luiaienvoyémes

deuxcartouchesde8danslafaçade,coupsurcoup.D’ordinaire,cen’estpasmongenred’ouvrirlefeusurlesoiseauxdenuit.Jerespecte aussi bien le petit duc qui fait des ravages dans les

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mulotsquel’effraieavecsoncriterroriste.Maiscehibou-là,quis’en prenait à moi-même avec des yeux comme des vessiessouffléesàl’huile,cehibou-làquisemoquaitdemadéconfitureenpleinenuit,jepouvaispaslesupporter.

Quand la fumées’estdissipée, j’ai regardépar terre,aupieddusaule.Jem’attendaisàyvoirmonhibouhachémenu,àmoitiéengloutidanslaboue.Ehbiennon,rien!Plusriensurlabranche,plusriennullepart.Desiprès,c’étaitpascroyabledel’avoirraté.Jememisàparlertoutseul:

—S’il s’était envolé, je l’auraisvu, toutdemême.Peut-êtrebienquej’aitirédetropprèsetquel’oiseauaéclaté...

Jen’étaispasconvaincu.Quand soudain, sur un autre saule, à vingt pas de moi,

j’aperçus lamêmesilhouette, l’œil clignotant, lumineuxcommeuneampoule.

—Hou.Je n’ai même pas essayé de comprendre. J’ai rechargé ma

pétoire sans réfléchir. Deux coups encore, partis tout droit engerbes rouges.Lamêmecomédie, l’oiseauvolatilisé,mêmepasune plume qui tombe, rien, le vide absolu, l’espace. Je pensaisbiendevenirfou.Degrossesgouttesdesueurmecoulaientdanslemilieududos.

Et puis, le cauchemar s’est mis en marche. Des grappes dehiboux se sont allumées à toutes les branches. En quelquessecondes, il y en avait partout. Les hululements montaient enchorale de tous les arbres dispersés. Et quand les branchescraquaient sous leur poids, les hiboux descendaient par terre,pataugeaient dans la mare, dansaient dans les roseaux. Jem’enfuisencriantcommeundamné,tirantdessalvesauxquatrehorizons.C’étaitunepétaradeinfernale.

Lecielpâleétaittraverséd’escadrillesentièresdehibouxqui

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tournoyaientlentement.Jenesavaisplusoùdonnerdelatête.Acourtdecartouches, j’ai jetémonfusildanslamarepourcourirplus vite. Je redoutais lemoment où le premier hibou allaitmefondresur lesépaules.Un tourbillondeplumesmesuivaitdansmacourse,avecsesspiralesdecoton,sesnœudsdepattesetsesguirlandesdeglobesclignotants.

Jamaisjen’avaiscouruaussi longtemps,avecunetelleforcedésespérée dans les jambes. Des mares de trois mètres, je lespassaisd’unbondaérien.J’étaismontésurressorts.

Enfindecompte,jenesaisplusexactementoùleshibouxontcesséleurpoursuite.

DeuxkilomètrespassélesCribes,àquelquespasdechezmoi,unpointdecôtém’apliéendeuxsurlechemin.J’étaistombéàgenoux,lapoitrineprêteàéclater,desbraisespleinleventre,etjecourbaislanuqueavecunerésignationd’extrêmelimite.Commeilne sepassait rien,doucement, j’ai relevé la tête.Et j’aivu lecieltransparent,lesarbresnus,l’herbetranquille.C’étaitfini.

Onnem’auraplusjamaisauxCribes,mêmependantlejour.Des fois qu’on me prendrait pour un hypocrite, on peut

toujours demander à Fivet, le gros qui fait commerce desaucissons, juste en face de l’église. Il lui est survenu lamêmeaventure,unsoirqu’ilallaitpêcherdesgrenouilles.

Si j’ai dit l’histoire des hiboux, c’est pour bien montrercombienlepaysd’iciesttoutremuantdemystèresnocturnes.

Mais ce n’est pas mon propos et je vais tâcher maintenantd’expliquer sans détours l’histoire de Reine, de Tristan, desBerluet et du petitmonde qui s’était dessiné dans un passé pasbienlointain,entièrementdisparuaujourd’hui.

Notrehistoire.Et si ce n’est pas une histoire d’amour, je veux bien être

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étendusurl’heure...

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C’estparunmatindemaiqueTristanestarrivéàChompes.Ilavaitdescheveux longs,couleurépi,qui lui tombaientsur

les épaules. Il s’est arrêtédevant lepuitsdesBerluet, etdu sacqu’ilportaitsurlecôté,unsacdejuteattachépardesficelles,ilasortiuneécuelleenterrecuite.

Alphonse Berluet, dans la cour de sa ferme, ne l’avait pasremarqué, tout affairé qu’il était à peindre le Chompionnier enjaune.

LeChompionnier était un enginqueBerluet construisait lui-même depuis des années, une machine de quatorze mètres delong,moitiéenbois,moitiéen fer,unesorted’avionmonté surdesrouesdetracteur,avecneufhélices,sixpairesd’ailesetjenesaispluscombiendemoteurs.

Deboutdevantlepuits,sonécuelleàlamain,TristanregardaitBerluettravailleràsonénormemachine.

—Hô,l’homme!Berluetalevélatête.IlavuTristanprèsdesonpuits.—C’estpourquoi?—Jevoulaisvousdemander,aditTristan,sijepeuxmeservir

uneécuelledevotreeau,quial’airpropreetbiendouce.Berluetadéposésonpotdecouleurets’estapproché.— C’est tout simple, qu’il a répondu, comme eau, c’est la

meilleuredupays.Goûtez-la,vousverrezbien.

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— Vous êtes bien aimable, a dit Tristan en actionnant lachaîne.

—Pasdequoi,aréponduBerluet.Celuiquirefusesoneauestunmoinsquerien.

Tristanadéposéleseausurlamargelleetplongésonécuelledans le profondmilieu. Il fallait le voir boire, les yeux clos, àpetitesgouléesgourmandes.Sapommed’Adamvibraitàchaquegorgéeetquelquesfinesgouttelettesdansaientsoussonmenton.

Berluet était fier de voir qu’un homme d’allure aussi noblebuvaitl’eaudesonpuitsavecautantdeplaisir.

—Vousn’êtespasdelarégion?qu’illuiademandé.—Non,jepasse.—Etvousallezoù,decebonpasquevousavez?Tristanadétournéleregard.Voyantl’engin,ilaenchaînétout

desuite:—Qu’est-cequec’estquevotremachine,là-bas?LevisagedeBerluetestdevenuradieux.—Devinezunpeu,pourvoir,cequec’estquemamachine.—Unemoissonneuse-batteuse?—Non.—Cen’estpasunemachineàtraire...—Nonplus.—Alors,jenevoispas.—Ehbien,ditBerluet,tenez-vousbien,cequevousvoyezlà-

bas, et que j’ai construit tout seul demesmains et dema tête,c’estunavion.

—Ah?—Parfaitement ! J’achèvede lepeindreet après-demain,du

momentqueletempssemaintient,ceserasonpremiervol.Tristanamesuréaveceffroilevolumedelamachine.Iladit:—Illuifaudrabeaucoupdeplatpourprendrel’air.

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Berluetétaitauseptièmeciel.—Ah !Ah ! Je vois que vous êtes un fin connaisseur, tant

pour l’eau que pour la navigation aérienne... voilà que noussommes tous les deux dans la même intelligence. Un hommecomme vous, ça ne court pas les bois. Tenez, je vous invite àrester ici jusqu’à après-demain.Vous n’avez pas l’air tellementpressé.Etpuis,celavousferadubiendefairehalte.Nemefaitespaslechagrindemedirenon.Attendez!

Ilamissesmainsenporte-voixets’esttournéverslaportedelaferme.

—Nounouche!qu’ilacrié.Aussitôt,NathalieBerluetestapparueausoleil,avecsongros

chignondecheveuxnoirstouthérisséd’épingles,sessocquettesdelainerougeetsontablierdecotonoùétaitimpriméeunescènedechassepleinedecuivresetderousseurs.

— Je vous présentemamoitié, Nathalie Berluet.Moi, c’estAlphonse.Etvous?

—Tristan.—Ondirait,ditNathalieens’approchant,queMonsieurn’est

pasdecetteépoque.Regardez-moiunpeucescheveuxdefemmeetceshabitsspéciaux...

—Veux-tubien,grondaAlphonse,êtrepolieavecMonsieur,qui est expert en aviation, etmettre un couvert de plus pour lasoupe.

—Cequej’endisais,protestaNathalie,cen’étaitpaspourenfairereproche.Lapreuve,c’estquejevaismettreuncoqaufourensonhonneur,etouvrirunebonnebouteilled’Arbois.

—Ilnefautpas,ditTristan.—Abelhomme,bellenourriture,aditNathalieenriant.Etellearegagnésacuisine,ensautillantd’unemanièreunpeu

ridicule.

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—Vous lui avez tapé dans l’œil, ditAlphonse. Si ! Si ! Etpuis,avecleprintempstoutneuf...nefaitespasattention.

C’estdoncainsiqueTristanfutretenuàChompespourdeuxjours. Tout de suite, il avait gagné l’amitié des Berluet qui letraitèrentcommeunfils.

Le vol du Chompionnier avait été fixé au dimanche, demanièreàpermettreàtousd’assisteràcettegrandeexpérience.

Lesamedi,jepassaidirebonjourauxBerluet,etjerencontraiTristan pour la première fois. C’était vraiment un beau diabled’homme. Il parlait peu, mais avec une grande vérité dans sesparoles...Moi,questiondevoir sic’étaitungarsàprincipes, jeluicontail’histoiredeshiboux.Ilm’aécoutéjusqu’auboutavecunegrandeattentionetjesentaisqu’ilvivaitl’aventureavecmoi.Sonregardvertmetraversaitcommeunsabre.Pourfinir,iladitsimplement:

— C’est une belle histoire que celle de l’oiseau fusillé quirenaîtmillefois.

Dans le milieu de l’après-midi, la chaleur était tellequ’Alphonse,inquiet,parlaitd’unmonstrueuxorage.

—Ilmefautpourdemainuneterrebiensècheetunairlégercommeunemoussedelait,dit-il.

Tout lemondeestallés’asseoirprèsdelamareauxcanards,endessousdumarronnierquifaisaitsespremièresfeuilles.

Nathalieavaitservi,surlatablederaphiaàlanièresrougesetbleues,quatregrandsverresdecidredoré.

A troiscentsmètresdenous,onapercevait leChompionnierquel’onavaitremorquéàgrand-peineausommetd’unvastepréen pente. Le soleil coulait dessus des torrents de lumière et lamachine resplendissait dans les herbes.On aurait dit un insecte

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d’apocalypsesortitoutdroitdesgouffresdelaterre,etquiallaitfaire un bond formidable à la face du soleil, l’engloutirsauvagement,l’éteindreàjamais.

Alphonse, ému, contemplait son chef-d’œuvre qui découpaitsurl’infinisasilhouetteahurissante.

— C’est d’une belle race, dit-il, ça pèse ses trois tonnes etdemie,c’esthuilédepartout, justecommeça ledemande,c’estprécis comme un réveille-matin, et puis c’est assemblé aussipuissantetrigoureuxqu’unmonumentauxmorts.

Jemegardaidelecontredire.Jevisqu’unmorceaudecieltournaitaubleupassionné,avec

desnervuresviolettesetdesnuagespoisseuxplaquéscommedesmainssalessurlefonddujour.

La chaleur devenait à peine supportable. Les canardsenfouissaient leur tête dans l’eau verte et la ressortaient toutepelucheuse, sansmêmesecouer leurbec.De longscraquementsparcouraientlesécorces.Nousbuvionstouslesquatreensilence.

Chacunauraitvouluqu’unepetitepluielavelecieleteffacelamenace de cet orage puissant dont les premiers flambeauxs’allumaientàl’ouest.

—C’esttoujoursainsi,ditAlphonse,amer.Delachance,moi,jen’enaijamais.Maintenantquetoutestprêtpourlevol,voilàqu’il va tonner comme à l’enfer. La terre va ressembler à uneéponge.

Je resterai collé dessus et je ne pourrai jamais prendre de lahauteur.Sanscompterque,perchécommeil l’estsur lehautdupré,monengin,s’ilattrapeunéclair,jeseraibonpourlerefaire.Sixansdetravail,àcaused’unorage...Vousvousrendezcompte?

Ilavaitcommeunebouledenerfsaufonddelagorgeetsespaupièresétaientrouges.