l’immunomodulation par voie orale dans la polyarthrite

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REVUE L’immunomodulation par voie orale dans la polyarthrite Olivier Meyer 1 1 Service de rhumatologie, hôpital Bichat, 46, rue Henri-Huchard, 75018 Paris, France (Reçu le 21 février 2000 ; accepté le 12 avril 2000) Résumé – La muqueuse digestive, par l’importance de la surface d’échange, constitue une porte d’entrée principale à de multiples antigènes exogènes. Les antigènes d’origine digestive pénètrent par deux voies principales : certains sont dégradés par les entérocytes qui peuvent présenter certains peptides via le récepteur CD1 aux lymphocytes T. D’autres passent à travers des cellules entérocytaires spécialisées en regard des plaques de Peyer, appelées cellules « M », sans être dégradés, et ce sont les cellules dendritiques classiques qui vont présenter les antigènes dégradés aux cellules T de la plaque de Peyer. L’afflux de multiples antigènes par la voie digestive aboutit habituellement à une tolérisation de ces antigènes. Cette propriété passe par deux types de tolérance : une tolérance de haute dose qui fait appel, soit à une délétion, soit à une anergie des lymphocytes T. Un autre type de tolérance à faible dose fait appel à une stimulation de lymphocytes Th2 ou Th3 produisant du TGF-. Cette cytokine est capable d’empêcher la prolifération lymphocytaire et la production d’anticorps vis-à-vis de l’antigène administré par voie digestive mais également des lymphocytes de voisinage présents dans l’organe où ont migré les lymphocytes Th3 d’origine digestive. Cette tolérance, de type « spectateur innocent » est mise à profit dans les tentatives thérapeutiques de tolérance orale. Ainsi plusieurs modèles de polyarthrites expérimentales, se sont avérés modulables par une administration orale préalable par du collagène II bovin. La sévérité des arthrites est très atténuée. Les premières tentatives menées chez l’homme dans la polyarthrite rhumatoïde ont donné des résultats encourageants. © 2000 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS arthrite juvénile / collagène II / polyarthrite rhumatoïde / Th3 / TGF- / tolérance / tolérance nasale / tolérance orale Summary – Oral immunomodulation therapy in rheumatoid arthritis. – Because the gastrointestinal mucosa is a vast interface between the body and the environment, it is the main entry site for many environmental antigens. Enterocytes can cleave environmental antigens into peptides, bind these peptides to their CD1 receptor, and present them to T cells. Intact antigens can penetrate through specialized Peyer patch enterocytes called “M cells”; they are then degraded and presented by dendritic cells to Peyer patch T cells. The influx of multiple antigens through the gastrointestinal mucosa usually results in tolerance. High-dose tolerance is due to T cell deletion or anergy, whereas low-dose tolerance involves activation of TGF-producing Th2 or Th3 cells. TGF inhibits lymphocyte proliferation and the production of antibodies to ingested antigens; in addition, it blocks the proliferation of lymphocytes in organs to which gastrointes- tinal Th3 lymphocytes migrate. This “innocent bystander” effect has been used to try to induce oral tolerance. For instance, pretreatment with oral bovine type II collagen has proved capable of modulating Rev Rhum [E ´ d Fr] 2000 ; 67 : 593-603 Oral immunomodulation therapy in rheumatoid arthritis – Joint Bone Spine 2000 ; 67 (in press) © 2000 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S116983300000020X/REV

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REVUE

L’immunomodulation par voie orale dans la polyarthrite

Olivier Meyer11Service de rhumatologie, hôpital Bichat, 46, rue Henri-Huchard, 75018 Paris, France

(Reçu le 21 février 2000 ; accepté le 12 avril 2000)

Résumé – La muqueuse digestive, par l’importance de la surface d’échange, constitue une porte d’entréeprincipale à de multiples antigènes exogènes. Les antigènes d’origine digestive pénètrent par deux voiesprincipales : certains sont dégradés par les entérocytes qui peuvent présenter certains peptides via lerécepteur CD1 aux lymphocytes T. D’autres passent à travers des cellules entérocytaires spécialisées enregard des plaques de Peyer, appelées cellules « M », sans être dégradés, et ce sont les cellulesdendritiques classiques qui vont présenter les antigènes dégradés aux cellules T de la plaque de Peyer.L’afflux de multiples antigènes par la voie digestive aboutit habituellement à une tolérisation de cesantigènes. Cette propriété passe par deux types de tolérance : une tolérance de haute dose qui fait appel, soità une délétion, soit à une anergie des lymphocytes T. Un autre type de tolérance à faible dose fait appel à unestimulation de lymphocytes Th2 ou Th3 produisant du TGF-�. Cette cytokine est capable d’empêcher laprolifération lymphocytaire et la production d’anticorps vis-à-vis de l’antigène administré par voie digestivemais également des lymphocytes de voisinage présents dans l’organe où ont migré les lymphocytes Th3d’origine digestive. Cette tolérance, de type « spectateur innocent » est mise à profit dans les tentativesthérapeutiques de tolérance orale. Ainsi plusieurs modèles de polyarthrites expérimentales, se sont avérésmodulables par une administration orale préalable par du collagène II bovin. La sévérité des arthrites est trèsatténuée. Les premières tentatives menées chez l’homme dans la polyarthrite rhumatoïde ont donné desrésultats encourageants. © 2000 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS

arthrite juvénile / collagène II / polyarthrite rhumatoïde / Th3 / TGF-� / tolérance / tolérance nasale /tolérance orale

Summary – Oral immunomodulation therapy in rheumatoid arthritis. – Because the gastrointestinalmucosa is a vast interface between the body and the environment, it is the main entry site for manyenvironmental antigens. Enterocytes can cleave environmental antigens into peptides, bind these peptidesto their CD1 receptor, and present them to T cells. Intact antigens can penetrate through specialized Peyerpatch enterocytes called “M cells”; they are then degraded and presented by dendritic cells to Peyer patchT cells. The influx of multiple antigens through the gastrointestinal mucosa usually results in tolerance.High-dose tolerance is due to T cell deletion or anergy, whereas low-dose tolerance involves activation ofTGF�-producing Th2 or Th3 cells. TGF� inhibits lymphocyte proliferation and the production of antibodiesto ingested antigens; in addition, it blocks the proliferation of lymphocytes in organs to which gastrointes-tinal Th3 lymphocytes migrate. This “innocent bystander” effect has been used to try to induce oraltolerance. For instance, pretreatment with oral bovine type II collagen has proved capable of modulating

Rev Rhum [Ed Fr] 2000 ; 67 : 593-603Oral immunomodulation therapy in rheumatoid arthritis – Joint Bone Spine 2000 ; 67 (in press)© 2000 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservésS116983300000020X/REV

several models of experimental polyarthritis. Arthritis severity was considerably reduced. Preliminaryattempts in humans with rheumatoid arthritis have yielded promising results. © 2000 Éditions scientifiqueset médicales Elsevier SAS

chronic juvenile arthritis / collagen II / nasal tolerance / oral tolerance / rheumatoid arthritis / TGF-� /Th3 / tolerance

Mithridate VII Eupator, dit le Grand, roi du Pont en63 avant notre ère, a peut-être été le premier à décrire latolérance orale à propos d’une auto-observation. Rap-pelons que ce souverain, craignant d’être empoisonnépar un membre de sa cour, s’était astreint à boire chaquejour une très faible quantité d’extrait de plantes véné-neuses afin de se prémunir en cas d’ingestion massivecriminelle. Après sa défaite face aux légions de Romemenée par Sylla, il tenta, sans succès, de s’empoisonner,et faute d’y parvenir, dû demander à un de ses esclavesde le passer au fil de l’épée pour éviter la honte de lacaptivité. Par cette pratique, et 20 siècles avant la décou-verte de la tolérance orale immunologique, cet infor-tuné souverain a montré qu’une substance, ingérée peros à petite dose, pouvait induire un état de non réponseà une stimulation plus massive.

Plus près de nous, Wells en 1911 avait induit unerésistance du cobaye à l’anaphylaxie en le nourrissantpréalablement avec des protéines d’œuf de canne. En1946, Chase étendait cette constatation à l’hypersensi-bilité retardée cutanée de contact au dinitrochloroben-zème (DNCB) en nourrissant le cobaye avec du DNCB[1, 2].

Les progrès de l’immunologie ont montré, depuis,qu’il existe deux types de tolérance immunologique :une tolérance à faible dose d’antigène qui induit unesuppression active de la réponse immune, ou tolérancemédiée par des cellules régulatrices, et une tolérance àhaute dose d’antigène qui favorise la tolérance par aner-gie ou par délétion clonale [3]. La voie muqueuse,digestive mais aussi nasale [4], s’est avérée une excel-lente voie pour induire la tolérance à faible dose d’anti-gène. Sa mise en application dans des modèlesexpérimentaux de polyarthrite a permis de comprendreses mécanismes essentiels. Son application à la poly-arthrite rhumatoïde fait l’objet de tentatives encorebalbutiantes.

LE SYSTÈME LYMPHOÏDE DES MUQUEUSES

Les organes lymphoïdes muqueux constituent unensemble cohérent appelé MALT (mucous associatedlymphoid tissue) et regroupant les formations lymphoï-des organisées dans la muqueuse digestive et respira-toire. Au niveau digestif, on distingue les plaques dePeyer, les lymphocytes de la lamina propria et les lym-phocytes intra-épithéliaux. Les voies de drainage s’effec-tuent vers les ganglions mésentériques, puis le canalthoracique. On regroupe l’ensemble des formationslymphoïdes digestives sous l’acronyme de GALT (gutassociated lymphoid tissue). Elles s’étendent tout au longdes 40 m2 de surface muqueuse (chez un adulte) quivoit transiter 1 tonne de nutriments chaque année …[1]. On conçoit, devant une telle quantité d’antigènespotentiels, que la réponse immune des muqueuses soitpréférentiellement une tolérance, et plus rarement uneréponse anticorps ou à médiation cellulaire.

La composition des lymphocytes du GALT chezl’homme est résumée dans le tableau I, mais il existe desvariations selon le type de formation lymphoïde. Ainsi,les plaques de Peyer fonctionnent comme un ganglionavec un dôme situé immédiatement sous l’épithélium etconstitué de lymphocytes B, un centre germinatif faitde lymphoblastes B (50 à 70 % des lymphocytes), descellules présentatrices d’antigène : macrophages, cellu-les folliculaires, cellules dendritiques, et enfin une cou-ronne de lymphocytes TCD4 (10 à 30 % deslymphocytes). Les plaques de Peyer sont recouvertesd’un épithélium digestif dont certaines cellules sontdifférenciées en cellules « M » (membraneuse) dépour-vues de microvillosités [1, 2]. Les cellules « M » ont uneactivité de pinocytose intense et transportent les macro-molécules vers les cellules présentatrices d’antigènes desplaques de Peyer sans les dégrader (figure 1). Les cellules

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« M » résultent de la différenciation des entérocytessous l’influence de l’interaction avec les cellules lym-phoïdes [5].

Les lymphocytes de la lamina propria sont faits sur-tout de lymphocytes B, 80 % de tous les immunocytesproduisant des immunoglobulines dont 75 à 90 %produisent des IgA. On en compte environ 1010 parmètre d’intestin produisant quotidiennement 40 mg/kgde poids d’IgA secrétoires dans la lumière intestinale.

Les lymphocytes intra-épithéliaux sont presque exclu-sivement des lymphocytes TCD8 (80 à 90 %). Chezl’homme, 10 % portent le récepteur clonotypique(TCR), non pas de type α�, mais de type γ/δ, alors quechez la souris cette proportion est de 90 %. Les TCRsont très peu diversifiés avec expression dominante decertains gènes V codant pour la partie variable deschaînes γ et δ du récepteur T clonotypique. Il s’agit deTCD8 activés (CD45 RO+) porteurs d’un récepteurd’adressage αE�7 (CD103) (anciennement appeléHML-1 human mucosal lymphocyte antigen-1), ou α4�7(CD49d) spécifique des lymphocytes des muqueusesreconnaissant les ligands présents sur les cellules endo-théliales des veinules des formations lymphoïdes duGALT appelés MAd CAM-1 (mucosal addressin celladhesion molecule 1) et E-cadherine [6, 7].

L’activité fonctionelle des lymphocytes TCD4 etCD8 du GALT peut être différenciée en trois sous typesselon la nature des cytokines produites : les Th1 pro-duisent de l’IL-2 et de l’IFN-γ et ont une fonctionhelper. Les Th2 produisent préférentiellement de l’IL-4,de l’IL-10 et accessoirement du TGF-�. Elles ont unefonction helper B. L’IL-4, facteur de croissance, induitla différenciation (commutation) vers la productiond’IgA par les plasmocytes. Enfin les Th3 produisent

Tableau I. Caractéristiques des lymphocytes T intra-épithéliaux del’intestin grêle chez l’homme.

CD3+ CD8+ 80–90 %CD3+ CD4+ 6–12 %CD3+ CD8- CD4- ∼ 6 %HML1+ (CD49d+) �7 intégrine ∼ 94 %CD3+ CD49d+ ∼ 88 %CD8+ CD49d+ ∼ 77 %CD4+ CD49d+ ∼ 9 %CD8+ CD7+ 70–80 %CD4+ CD7+ 8–12 %CD45 RO (cellule mémoire) ∼ 44 %CD45 RA (cellule naïve) 0TCR α/� ∼ 90 %TCR γ/δ ∼ 10 %

Figure 1. Les différents mécanismes de la tolérance orale. (GALT : formations des lymphoïdes digestives).

Voie orale et polyarthrite 595

une forte quantité de TGF-� et d’IL-4 toutes deuxinductrices de la production d’IgA [2].

MÉCANISMES DE LA TOLÉRANCE ORALE

Deux mécanismes principaux, dépendant de la dosed’antigène absorbé par voie orale, sont à l’origine del’institution d’une tolérance : à faible dose, on induitune suppression active ; à forte dose, on induit uneanergie, ou plus rarement une délétion par apoptosedans les plaques de Peyer (figure 2) [8]. Les celluleslymphoïdes responsables de ces deux types de tolérancesont les lymphocytes T dans le GALT, qui ensuitemigrent dans le reste de l’organisme [9]. La suppressionactive est médiée par les Th2 et les Th3 produisant duTGF-�, de l’IL-4 et de l’IL-10 après stimulation parl’antigène à faible dose [3]. Le TGF-� est produit par leslymphocytes T du GALT, qu’ils soient CD4+ ou CD8+[10]. Outre la capacité de supprimer les réponses cellu-laires T, le TGF-� est un puissant facteur de proliféra-tion et de différenciation des lymphocytes B en cellulesproduisant des IgA. L’IL-4, et parfois l’IL-10 et leTGF-� lui-même, agissent comme facteur de crois-sance des lymphocytes T produisant du TGF-� [3, 11].

Différents modèles expérimentaux murins ont per-mis d’isoler des clones TCD4+ spécifiques d’un anti-gène ayant servi à une immunisation orale : ces clonessont restreints par le complexe majeur d’histocompati-bilité, produisent du TGF-� ne produisant ni IFN-γ, niIL-2, ni IL-4, ni IL-10, et sont IL-4 dépendants. Cesmodèles font appel à des souris transgéniques pour unTCR spécifique d’un épitope, soit de l’ovalbumine, soitd’un peptide inducteur de tolérance vis-à-vis del’encéphalite aiguë expérimentale [11]. Ces lymphocy-tes Th3 CD4+ prolifèrent peu, mais sont susceptiblesde transférer la tolérance à des animaux naïfs. Cettetolérance est d’autant plus forte qu’on a traité les souristransgéniques par un anticorps neutralisant l’IL-12. Latolérance orale peut cependant être induite et mainte-nue chez la souris déficiente pour l’IL-4 ou ayant reçuun anti-IL-10.

Diverses particularités, propres à l’organisation dusystème lymphoïde intestinal, pourraient rendre comptede la facilité d’induction d’une tolérance orale. Ainsi lescellules présentatrices d’antigène (CPA) joueraient unrôle déterminant : les entérocytes n’expriment que trèspeu les molécules de classe II du CMH. Elles ne possè-dent pas de molécules ICAM-1 ou B7-1 impliquéesdans le co-signal d’activation. Cette absence de cosignalconduirait à anergiser les TCD4+. La présentation

d’antigène par les entérocytes stimule préférentielle-ment les TCD8+ car la cellule épithéliale présenteraitl’antigène par le récepteur CD1, ligand du TCR desTCD8 [12, 13].

D’autres cellules présentatrices d’antigène plus classi-ques existent dans la paroi intestinale et contribuent àl’induction de la tolérance orale. C’est ainsi que l’admi-nistration, à des souris, du ligand de la tyrosine kinase-fms, appelée Flt3L, stimule la production des cellulesdendritiques de la muqueuse intestinale et augmente lasusceptibilité à l’induction de tolérance orale à l’oval-bumine [14]. Ces cellules dendritiques, recrutées avecle Flt3L, expriment très peu les molécules deco-activation B7-1 et CD40 [15].

On a également mis en évidence des cellules CD8+d’origine lymphoïde jouant le rôle de CPA dans cer-tains modèles. Mais dans d’autres modèles, telle l’uvéiteauto-immune expérimentale du rat, les TCD8+ n’inter-viennent pas dans l’induction de la tolérance à faibledose [16]. En revanche, les lymphocytes B ne jouentaucun rôle puisqu’il est possible d’induire une toléranceorale chez la souris déficiente pour les lymphocytes B.La figure 2 résume ainsi les voies de sensibilisationpouvant conduire à la tolérance orale.

Localement, dans la muqueuse intestinale, il existeune production élevée de MCP-1 (monocyte chemotacticprotein-1) qui neutralise l’expression de l’IL-12 (pro-duit par les lymphocytes B et les monocytes), et aug-mente celle en l’IL-4. Il en résulte une réponsepériphérique Th1 diminuée (baisse de la productiond’IFN-γ, augmentation de l’apoptose, donc de la délé-tion clonale) [17]. La tolérance orale n’est pas affectéepar une déplétion ou un déficit TCD8+. Enfin lesTγ/δ, abondants dans la muqueuse digestive, semblentégalement jouer un rôle dans l’induction de la toléranceorale, mais leur fonction varie selon les protocoles, ladéplétion en Tγ/δ par un anti-δ ou les souris renduesdéficientes en Tδ ne peuvent monter une toléranceorale à l’ovalbumine [18]. Les Tγ/δ CD8+ α homodi-mères (les lymphocytes murins intra-épithéliaux intes-tinaux n’expriment que la chaîne a du complexe CD8et non l’hétérodimère α/�) [19]. Contrairement auxCD8 α/� d’origine thymique, les CD8 α/α (sont d’ori-gine extrathymique chez la souris) inhibent au contrairela tolérance orale [20, 21] alors qu’ils seraient les effec-teurs de la tolérance induite par voie nasale [22]. Dansd’autres modèles, telle l’uvéite auto-immune expéri-mentale du rat Lewis, les Tγ/δ des animaux rendustolérants par voie orale sont protecteurs de la maladielorsqu’ils sont transférés à des rats naïfs [23].

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Tolérance orale et suppression de type « spectateurinnocent »

La suppression active par secrétion de TGF-� en péri-phérie a l’immense avantage d’agir, non seulement surles lymphocytes portant un TCR reconnaissant unépitope identique à celui ayant servi à l’induction de latolérance orale, mais aussi vis-à-vis de lymphocytesreconnaissant d’autres épitopes de la même molécule,voire des épitopes portés par des protéines du même

organe (ou tissu), mais sans parenté antigénique avecl’épitope ayant servi à induire la tolérance orale.

Cette propriété est une aubaine pour tenter de dimi-nuer une réaction auto-immune vis-à-vis d’un organeou un tissu dont on ne connaît pas l’antigène à l’originede l’auto-immunisation. Il suffit que les T producteursde TGF-� migrent dans le tissu enflammé pour que laproduction locale soit capable de freiner la réactioninflammatoire : tissu cérébral pour l’encéphalite aiguë

Figure 2. Immunorégulation après administration orale d’antigène.

Voie orale et polyarthrite 597

expérimentale, tissu synovial et collagène du cartilagepour les modèles d’arthrite aiguë expérimentale (arth-rite à adjuvant, arthrite à la BSA ou au pristane, etc.)diabète auto-immun (tableau III) [2]. Une fois induitepar voie orale, la tolérance se maintient même chez lesanimaux rendus déficients en Th1 et Th2 [24].

Cette tolérance par suppression de type « spectateurinnocent » est à l’origine de tentatives d’immunorégu-lation par le collagène oral dans la polyarthrite rhuma-toïde [25-27].

Modulation de la tolérance orale (tableau II)

La tolérance orale entraîne une inhibition de la réponseTh1 dans un tissu périphérique, soit par l’usage defortes doses d’antigène induisant une anergie (ou unedélétion), soit par l’induction de cellules T régulatricesTh3 (ou Th2). Toute stimulation favorisant uneréponse Th1 est susceptible d’abolir la tolérance ainsiobtenue, qu’il s’agisse de l’IFN-γ ou de l’IL-12. Inver-sement, un anticorps anti-IL-12 augmente la toléranceorale à l’ovalbumine chez les souris transgéniques pourle TCR spécifique de l’ovalbumine. Cet anticorpsmonoclonal anti-IL-12 a pour conséquence la produc-tion augmentée de TGF-� et la stimulation de l’apop-tose des lymphocytes T [28]. L’IL-4 favorise la toléranceorale à faible dose vis-à-vis de la protéine basique de la

myéline (MBP) dans un modèle d’encéphalomyéliteallergique expérimentale (EAE) [29]. L’IFN-� et l’IL-10ont une action synergique pour augmenter la toléranceorale induite par la MBP.

La toxine cholérique utilisée per os abolit la toléranceorale, mais la sous unité B de cette toxine augmente latolérance en périphérie. Le mode d’action de la toxinecholérique est mal connu, mais elle pourrait agir sur lastimulation des Th1 dans la muqueuse digestive. Lesanimaux rendus déficients en IFN-γ ne peuvent mon-trer une tolérance orale. Les Tγαδ intestinaux favori-sent l’induction d’une tolérance orale. Les animauxdéficients en antigènes d’histocompatibilité de classe II,ou déficients en TCD4+, ne peuvent monter une tolé-rance orale, contrairement aux animaux déficients enTCD8+. Enfin, le traitement par un anti-B7-2 (CD86),ligand de CTLA4 (CD152) et de CD28 présent sur leslymphocytes T, bloque l’induction d’une tolérance oraleà faible dose, et à forte dose [30]. Le méthotrexate àdose suboptimale (25 % de la dose utilisée en thérapeu-tique de la PR) augmenterait la tolérance orale dans unmodèle d’encéphalomyélite allergique expérimentale durat [31].

Modèles animaux de polyarthrite et tolérance orale

Les principaux modèles d’arthrite expérimentale utili-sés pour induire une tolérance muqueuse sont l’arthriteau collagène II chez la souris et chez le rat. L’antigèneutilisé est le collagène II bovin ou humain. Ainsi Nagler-Anderson et al. [32] obtiennent une diminution del’incidence de l’arthrite en administrant aux souris mâlesDBA/1 Lac J 500 µg de collagène II bovin natif pen-dant six semaines. Ils constatent une tendance à labaisse de la réponse IgG2 anticollagène II. Le collagèneII dénaturé n’est pas efficace. L’administration deTGF-�1 ou de dimaprit (agoniste des récepteurs detype 2 de l’histamine) potentialise l’effet inducteur detolérance [33].

Thompson et Staines [34], chez le rat mâle WA/KIRgavé avec 2,5 à 25 µg/g de poids corporel de collagène IIbovin pendant cinq jours consécutifs, retardent l’appa-rition de l’arthrite au collagène, mais seulement avec ladose de 2,5 µg/g. Les arthrites sont moins sévères, maisle titre global d’anticorps anticollagène II n’est pasmodifié. Seul le taux d’IgG2b de rats rendus tolérantsest diminué.

On peut également utiliser un peptide du collagène IIpour induire une tolérance orale vis à vis de la moléculecomplète. Ainsi Khare et al. [35] ont utilisé le peptide

Tableau II. Caractéristiques des sous-types de lymphocytes T.

Th1 Th2 Th3

• Profil cytokiniqueIFN-γ ++++ - ±IL-4 - ++++ ±TGF-� ± ± ++++

• Facteurs de croissanceet différenciation

IL-2 IL-2/IL-4 IL-4

• FonctionAuxilliaire HSR*/IgG2a IgG1/IgE IgASuppression Th2 Th1 Th1/Th2

* Hypersensibilité retardée.

Tableau III. Modulation de la tolérance orale.

Augmente Diminue

IL-2 IFN-γIL-4/IL-10 IL-12Anti-IL-12 Toxine cholérique

Toxine B du choléra Anti-MCP-1Lipopolysaccharide Anti-γ/δ TCR

IFN-� Réaction GVH

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de collagène II humain 250–270 connu pour contenirl’épitope immunodominant pour induire une toléranceorale chez la souris. L’effet obtenu est à la fois préventif(0,1 mg/j x 20 jours) et curatif lorsque le peptide HuCII250–270 est administré après l’induction de l’arthrite(0,1 mg tous les deux jours de j23 à j41). Le peptideHuCII 361–333 est incapable d’induire cette toléranceorale. Outre l’effet clinique sur les arthrites, les auteursconstatent une abolition de la réponse anticorps vis-à-vis du collagène II humain et murin.

On rapprochera de ce modèle oral la tolérance induitepar une administration par voie nasale de peptides ducollagène II chez le rat ou la souris : ainsi le collagène IIintact de poulet, le fragment peptidique CB11 ou lepeptide synthétique CII 245–270 sont tous trois capa-bles de diminuer l’incidence et la gravité des arthriteschez la souris DBA/1 immunisées avec du collagène IIde poulet lorsqu’ils sont administrés préventivementpar voie nasale (200 µg à j–10, j–9, j–8 et j–5). Onassiste à une diminution des IgG2 anticollagène II et àla production de cytokines Th2 (IL-4 et IL-10) lorsqueles splénocytes sont stimulés in vitro [36].

Chez le rat WA/KIR/kcl, Staines et al. [37] utilisent lefragment peptidique CB11 ou le peptide immunodo-minant CII 184–198 de CB11 à la dose quotidienne de300 µg pour le collagène II et 50 µg pour le peptide. Lecollagène dénaturé s’est avéré aussi efficace que le colla-gène natif pour diminuer et retarder l’incidence desarthrites lorsqu’ils sont administrés quotidiennementjusqu’à la veille de l’induction de la maladie. La produc-tion d’IgG1 anticollagène est augmentée au détrimentdes IgG2b et la réponse proliférative T antipeptide184–198 est diminuée.

Le collagène II a également été utilisé pour induireune tolérance orale dans d’autres modèles d’arthrite.Citons l’arthrite à adjuvant de Freund du rat Lewis :3 µg de collagène II de poulet, aux jours j7, j5 et j2

avant l’induction des arthrites, diminuent significative-ment la gravité de la maladie. Le collagène I a le mêmeeffet, mais pas le collagène III. Cette tolérance esttransférable au rat naïf par injections de lymphocytes Td’animaux nourris au collagène II [38, 39]. De même,le collagène II, administré au rat Lewis femelle à la dosede 3 µg, 30 µg (mais pas 300 µg) cinq jours consécutifsprécédant l’immunisation avec de la serum albuminebovine méthylée (mBSA) diminue la gravité de l’arthriteà la mBSA, mais cet effet est inférieur à celui obtenuavec un gavage avec 10 mg de mBSA. Cette suppressionde type « spectateur innocent » sera mise à profit pourpasser d’un modèle animal à la polyarthrite rhumatoïdehumaine [40] (tableau IV).

Chez la souris mâle CBA, l’administration de 5,50 ou 500 µg/j de collagène II bovin, durant les cinqjours précédant la première injection de pristane, dimi-nue la sévérité des arthrites et la réponse proliférative Tau collagène II [41].

D’autres antigènes que le collagène II ont été utiliséspour induire une tolérance orale (ou nasale) dansd’autres modèles d’arthrite exprimentale : l’arthrite àadjuvant du rat Lewis mâle est améliorée sensiblementpar l’administration nasale du peptide T immunodo-minant 176–190 de HSP60 à la dose de 100 µg à j–15,j10 et j5 précédant l’induction de l’arthrite [42].

Le peptide contrôle 211–225 de HSP60 n’est pasefficace. Dans l’arthrite non microbienne induite parl’avridine, le peptide HSP60 176–190 s’est avéré égale-ment capable d’induire un état de tolérance suggérantun mécanisme de suppression active.

La HSP 65 kDa entière recombinante, donnée orale-ment aux souris DBA1 à la dose de 30 µg/j, avant (j–7,j–3 et j–2), l’immunisation, et avant le déclenchementd’une arthrite au collagène II bovin, est capable dediminuer, non pas la fréquence des arthrites mais leursévérité à j5 et j10 après le début de la maladie. Les

Tableau IV. Principaux modèles animaux démontrant la suppression de type « spectacteur innocent ».

Maladie expérimentale Antigène immunisant Antigène donné par oral Organe cible

EAE PLP MBP CerveauEAE Peptide 71–90 de MBP Peptide 21–40 de MBP CerveauEAE MBP OVA Ganglion réponses d’HSR

Polyarthrite SAB, mycobactérie HSP 65 Collagène type II ArticulationDiabète Virus LCM Insuline Ilôts � du pancréas

EAE : encéphalite allergique expérimentale, PLP : protéine du protéolipide, MBP : protéine basique de la myéline, HSR : hypersensibilitéretardée, virus LCM : virus de la chorioméningite lymphocytaire, SAB : serum albumine bovine, HSP65 : protéine de choc thermique de 65kD, OVA : ovalbumine.

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résultats ne sont significatifs que dans le protocole menéchez les animaux non immunisés. Le taux d’anticorpsIgG anticollagène II est diminué chez les souris traitéeavec HSP 65 kDa, mais le ratio IgG1/IgG2a resteinchangé [43].

Le complexe peptidoglycane–polysaccharide de laparoi de streptocoque A, administré quotidiennementoralement à forte dose (300 µg/j) ou à faible dose(3 µg/j) mais pas à dose intermédiaire (30 µg/j) à partirde j–5, chez le rat Lewis femelle, est capable d’inhiberles arthrites induites par l’injection intrapéritonéale dece même antigène streptococcique [44]. Les mesures decytokines circulantes chez les animaux traités montrentune augmentation du TGF-� et une baisse de TNF-α.Dans le tissu synovial il n’a été constaté aucune aug-mentation locale d’IL-4, d’IL-10 ou de TGF-� (mesu-rés en activité biologique ou en mRNA). Ainsi latolérance active paraît pouvoir s’exercer à distance dufoyer inflammatoire.

La protéine du cartilage humain gp39 constitue unautre antigène potentiel dans la polyarthrite rhuma-toïde. Son administration par voie nasale aux sourisBalb/c femelles est capable d’induire une diminution dela réaction d’hypersensibilité retardée mesurée par intra-dermoréaction au niveau d’une patte postérieure. Lescellules lymphoïdes, rendues tolérantes à gp39, résidentdans les ganglions cervicaux qui drainent les fossesnasales comme l’attestent les expérience d’adénectomiecervicale qui abolit la tolérance et de greffe de ganglioncervical qui rétablit cette tolérance nasale à gp39 alorsque la greffe de ganglion poplité est incapable de réta-blir cette tolérance [45].

ESSAIS CLINIQUES DE TOLÉRANCE ORALE DANSLA POLYARTHRITE RHUMATOÏDE ET LESARTHRITES JUVÉNILES

L’efficacité de la tolérance orale pour limiter les modèlesanimaux de polyarthrite a incité à développer des étudesde tolérance orale chez l’homme atteint de polyarthrite.À ce jour trois études contrôlées ont été publiées dans lapolyarthrite rhumatoïde [46-48] et une étude ouvertedans des polyarthrites juvéniles [50]. Les protocoles(origine animale du collagène, posologie et rythmed’administration, critères principaux de jugement d’effi-cacité, durée moyenne d’évolution de la PR, temps dewash-out des traitements de fond) ont varié d’une étudeà l’autre, rendant la comparaison des résultats aléatoire(tableau V).

Le travail pilote en ouvert de Trentham [25], sur dixcas avec du collagène de poulet, rapportait une amélio-ration de 50 %, ou plus, du nombre d’articulationsgonflées et du nombre d’articulations douloureuses,ainsi que de deux des paramètres suivants : raideurmatinale, temps de marche de 15 mètres, force depréhension, VS, opinion globale du médecin ou dupatient, persistant au moins deux mois après la périodede traitement chez six patients sur dix et une rémissioncomplète dans un cas persistant 26 mois après le proto-cole de tolérance orale. Quatre patients de cette étudepilote ont rechuté trois mois après l’arrêt et ont bénéfi-cié d’une reprise thérapeutique avec succès.

L’étude contrôlée contre placebo de ces mêmesauteurs [46] montre une diminution significative dunombre d’articulations gonflées ou douloureuses (sauf à

Tableau V. Essais de tolérance orale dans la polyarthrite rhumatoïde et les arthrites chroniques juvéniles.

Auteurs Réf. Nbre demalades

Antigène Dose journalière Durée dutraitement

Double insu Indication(ancienneté)

Trentham et al. 1993 [46] 60 Collagène II natifpoulet

100 µg puis 500µg ou placebo

1 mois + 2 mois Oui PR (10 ans)

Sieper et al. 1996 [48] 90 Collagène II natifbœuf

1000 µg ou10000 µg ou

placebo

12 semaines Oui PR (< 3 ans)

Barnett et al. 1998 [47] 274 Collagène II natifpoulet (Colloralt)

20 µg ou 100 µgou 500 µg ou2500 µg ou

placebo

24 semaines Oui PR (10 ans)

Barnett et al. 1996 [50] 10 Collagène II natifpoulet (Colloralt)

100 µg puis 500µg

1 mois + 2 mois Non ACJ (4,3 ans)

PR : polyarthrite rhumatoïde, ACJ : arthrite chronique juvénile.

600 O. Meyer

deux mois) des index articulaires de douleur et degonflement, du temps de marche de 15 mètres et del’opinion du patient à un, deux et trois mois par rapportau début du traitement. Quatre patients (14 %) ont euune rémission complète. Dans le groupe placebo oncompte 13 % de patients ayant eu une améliorationsubstantielle. Une aggravation de l’état clinique (de30 % ou plus) a été observée chez 7 % des maladestraités contre 35 % dans le groupe placebo. La consom-mation d’analgésiques non anti-inflammatoires a étésignificativement moindre dans le groupe traité (14 %contre 39 %). La classe fonctionnelle tendait à êtremeilleure à trois mois dans le groupe traité, mais ladifférence n’était pas significative. La tolérance a étéjugée excellente.

La seconde étude, menée par la même équipe, tou-jours avec le collagène de poulet, s’adressait à unepopulation de PR évoluant en moyenne depuis dix ans,90 % des malades ayant déjà reçu au moins un traite-ment de fond [47]. Cette étude a comparé quatre dosesde collagène II (20 µg/j ; 100 µg/j, 500 µg/j, et 2 500 µg/j). D’autres critères de jugement ont été retenus : leHAQ, une échelle de gravité en quatre points a étéajoutée pour la douleur à la pression et le gonflementarticulaire, critères de Paulus, critères de l’ACR 20 %,critères 30 % ou plus d’amélioration à la fois du comptedes articulations gonflées et du compte des articulationsdouloureuses. Seul le groupe recevant 20 µg/j de colla-gène II a globalement une amélioration significative duscore de Paulus (38,9 % contre 19,3 %), des critèresACR 20 % (24,9 % contre 17,5 %) et du critère ≥ 30 %(46,3 % contre 31,6 %) par rapport au groupe placebo.Il semble qu’un effet favorable du collagène oral depoulet soit d’autant plus souvent observé que les sujetsont, dès l’entrée dans l’étude, des anticorps circulantsIgA ou IgG anticollagène : comparé au placebo, onobserve 39,4 % de sujets améliorés contre 13,8 % dansle groupe avec IgA anticollagène II, et 45,5 % contre13,3 % dans le groupe avec IgG anticollagène II. Aprèstraitement, les anticorps anticollagène demeurentinchangés, suggérant qu’il ne s’est pas produit unesensibilisation humorale vis-à-vis du collagène II.

Cette opinion n’est pas partagée par l’équipe alle-mande de Sieper et al., il est vrai avec du collagènebovin [48]. Pour ces auteurs la chute du titre desanticollagène II bovin natif mais aussi dénaturé n’estobservé que chez les sujets répondant favorablement autraitement [51]. Le travail de Sieper et al. a comparédeux doses de collagène II de bœuf au placebo chez desPR récentes (< 3 ans) [48]. Plus des deux tiers n’avaient

reçu aucun traitement de fond. Les critères de jugementont été le compte articulaire de douleurs à la pression(28 articles), de gonflement (28 articles), l’échellevisuelle de douleur, le questionnaire d’invalidité inti-tulé : Funktionsfragebogen Hannove questionnaire [49],l’opinion globale du malade sur l’activité de sa PR,l’opinion globale du médecin sur le changement d’acti-vité, la VS, et accessoirement le score de Ritchie, ladurée de la raideur matinale, la force de préhension, letaux de facteurs rhumatoïdes, et la CRP. Globalementcette étude a donné des résultats décevants en terme deréponse au traitement statistiquement significative. Uneprévalence plus élevée de répondeurs a été observéedans les groupes traités : 7/30 sous 10 mg/j et 6/30 sous1 mg/j contre 4/30 dans le groupe placebo (score ACR20 %). Une très bonne réponse est observée respective-ment chez 3, 1 et 0 patients des trois groupes (scoreACR 40 %). Quatorze patients sur 50 sont sortis d’essai,également répartis dans les trois groupes, pour ineffica-cité (n = 12) ou nausées (n = 2). Ainsi, seule une mino-rité de patients a semblé répondre au collagène II bovinadministré selon ce protocole.

L’étude menée dans les arthrites chroniques juvénilesa porté sur un très petit nombre d’individus (n = 10)atteints de diverses formes de polyarthrite juvénile(pauci [n = 3], polyarticulaire [n = 4] et systémique[n = 4]), selon le même protocole d’administration quedans l’étude de Trentham et al. de 1993 [46]. Il s’agitd’une étude ouverte sans groupe placebo [50]. Lesrésultats ont été jugés favorables dans huit cas avecdiminution du nombre des articulations gonflées et dunombre d’articulations douloureuses : en moyennebaisse de 69 % et de 54 % par rapport au compteeffectué à l’entrée de l’étude. Six patients ont eu plus de33 % de réduction de ces deux index après trois mois.

De tels résultats suggèrent une tendance à l’améliora-tion clinique, mais pour l’heure il n’est pas démontréformellement que le collagène II, administré orale-ment, puisse modifier le cours de la polyarthrite rhu-matoïde.

PERSPECTIVES

La complexité des mécanismes à l’origine de l’inductiond’une tolérance orale, bien mise en évidence par lesprotocoles expérimentaux, souligne les difficultés ren-contrées lors des tentatives thérapeutiques actuelles.

Il est trop tôt pour connaître l’avenir de cette voiethérapeutique. Pour progresser, il faut certainementétudier diverses doses de collagène II. Il et possible que

Voie orale et polyarthrite 601

le collagène II humain recombinant soit plus efficaceque le collagène de poulet. Le collagène bovin ne sem-ble pas devoir être utilisé sans compter sur les problèmesde sécurité sanitaire liés aux prions. Des peptides decollagène II (humain ou non) seront peut-être plus àmême d’induire une tolérance de meilleure qualité.

Des progrès restent à faire dans la pharmacocinétiquedu collagène II, ou de ses peptides, administrés par voieorale.

La voie nasale, très prometteuse dans les modèlesanimaux, mérite également d’être essayée.

À côté du collagène II, d’autres antigènes articulairesmériteront peut être d’être testés, telle que la glycopro-téine humaine gp-39 de cartilage qui semble avoir uneactivité non seulement préventive, mais également cura-tive lorsqu’elle est administrée par voie nasale chez lasouris DBA1 après immunisation par le collagène II[53].

CONCLUSION

Les phénomènes de tolérance orale font appel à desmécanismes complexes de mieux en mieux disséquéspar les immunologistes. Les applications thérapeuti-ques en matière de maladies autoimmunes ne se limi-tent pas à la polyarthrite rhumatoïde. Elles touchentégalement la sclérose en plaques, les uvéites, voire lediabète sucré [52]. D’autres champs d’application sontenvisageables, notamment dans l’allergie à IgE. Lesrésultats actuels, encore préliminaires, ne sauraient ter-nir les espoirs immenses nés de ce passionnant concept.

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