limitation de la sainte viege, dans un abrégé de sa vie, de ses limitation de l a sainte vierge...

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1 L’Imitation de la Sainte Vierge, Dans un abrégé de sa Vie, de ses Vertus, et des Mystères que l’Église célèbre en son honneur Père Francisco Arias (1533-1605) S. J., trad. P. Joseph de Courbeville (1668-1715) Ed. 1767 L’IMITATION DE L A SAINTE VIERGE CHAPITRE PREMIER. De l’Humilité de la Sainte Vierge L’HUMILITE est si nécessaire dans la vie Chrétienne, que par elle il ne peut y avoir nulle vraie vertu. D'ailleurs il est difficile d'acquérir l'humilité, que l'on ne parvient à être sincèrement humble, dit Saint Grégoire, qu’après avoir dompté le plus opiniâtre ennemi de notre salut, qui est l'orgueil. Pour arriver donc à cette vertu dont Jésus- Christ qui en est le souverain modèle, nous a si souvent fait voir la nécessité, aidons nous des exemples que sa sainte Mère nous en a laissé ; méditons-les ces exemples, et essayons de les suivre autant qu'il est en nous avec la grâce de son Fils. L'esprit d’humilité, dit Ste Dorothée c'est de ne faire nul cas de soi, et de se regarder comme une chose vile et méprisable. Car l'homme humble, juge de soi par deux endroits ; par ce qu'il est de lui-même, c’est-à-dire, le néant où il serait encore, si Dieu ne l'en avait tiré ; parce qu’il est capable de faire ; c’est-à-dire, des péchés innombrables, si Dieu l'abandonne à sa faiblesse. L’humble de cœur, dit Saint Bernard, et après lui Albert le Grand, se méprise lui-même, et désire d'être méprisé de tous : il se méprise, non seulement par rapport à son état présent, mais par rapport aussi à ce qu'il deviendrait, si la main puissante de Dieu cessait ; ou de le protéger dans les périls continuels qui le menacent, ou de les écarter de lui : vias iniquitatis amove a me. Ce même esprit

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L’Imitation de la Sainte Vierge, Dans un abrégé de sa Vie, de ses

Vertus, et des Mystères que l’Église célèbre en son honneur

Père Francisco Arias (1533-1605) S. J., trad. P. Joseph de Courbeville

(1668-1715) – Ed. 1767

L’IMITATION DE L A SAINTE VIERGE

CHAPITRE PREMIER. De l’Humilité de la Sainte Vierge

L’HUMILITE est si nécessaire dans la vie Chrétienne, que par elle il ne

peut y avoir nulle vraie vertu. D'ailleurs il est difficile d'acquérir

l'humilité, que l'on ne parvient à être sincèrement humble, dit Saint

Grégoire, qu’après avoir dompté le plus opiniâtre ennemi de notre

salut, qui est l'orgueil. Pour arriver donc à cette vertu dont Jésus-

Christ qui en est le souverain modèle, nous a si souvent fait voir la

nécessité, aidons nous des exemples que sa sainte Mère nous en a

laissé ; méditons-les ces exemples, et essayons de les suivre autant

qu'il est en nous avec la grâce de son Fils. L'esprit d’humilité, dit Ste

Dorothée c'est de ne faire nul cas de soi, et de se regarder comme

une chose vile et méprisable. Car l'homme humble, juge de soi par

deux endroits ; par ce qu'il est de lui-même, c’est-à-dire, le néant où

il serait encore, si Dieu ne l'en avait tiré ; parce qu’il est capable de

faire ; c’est-à-dire, des péchés innombrables, si Dieu l'abandonne à sa

faiblesse. L’humble de cœur, dit Saint Bernard, et après lui Albert le

Grand, se méprise lui-même, et désire d'être méprisé de tous : il se

méprise, non seulement par rapport à son état présent, mais par

rapport aussi à ce qu'il deviendrait, si la main puissante de Dieu

cessait ; ou de le protéger dans les périls continuels qui le menacent,

ou de les écarter de lui : vias iniquitatis amove a me. Ce même esprit

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d'humilité, la sainte Vierge l’eut à un degré parfait. Ce n'est pas à

dire néanmoins qu'elle ne connût en elle les dons célestes ; car une

âme humble, bien loin de s'interdire les réflexions sur les faveurs

qu'elle a reçues du Seigneur, lui en rend sans cesse des actions de

grâces. Ce n'est pas à dire non plus que Marie s’humilia, se méprisa

ainsi que l'on fait plusieurs grandes Saintes, qui se regardaient

comme les plus grandes pécheresses ; elle savait que seule privilégiée

entre tous les enfants d'Adam, elle ne reçut ni la flétrissure de leur

origine, ni n’en contracta les suites. Elle se méprisait donc et

s'anéantissait devant Dieu à ces réflexions qui ne la quittaient point ;

à savoir que de toute éternité elle n'était rien ; que le Tout-puissant

l'avait tirée du néant préférablement à tant d’autres qui y resteront à

jamais, qu'il l'avait prévenue de ses bénédictions les plus singulières,

sans qu'elle les eût méritées , qu'elle n'était qu'une chétive créature,

issue d'un père criminel de lèse-majesté divine, que tout bien lui

venait de la bonté du Très-haut , et qu'elle était susceptible de tout

mal, s'il ne l'en avait préservée. Qu'un scélérat converti à Dieu, dit St

Bernard, et arrivé enfin par un enchaînement de grâces puissantes au

comble de la sainteté, ne présume jamais de soi, renvoie au Seigneur

toute la gloire des biens spirituels qu'il possède, et s'humilie en tout

généralement ; c'est une vertu très rare : mais que Marie aussi pure

que l'astre du jour, élevée au-dessus des Anges mêmes, ne pense à sa

haute dignité que pour s’abaisser davantage, c'est un prodige

d'humilité. Ces bas sentiments qu'elle avait d'elle se manifestèrent

lorsque l'Ange Gabriel lui apparut dans sa retraite : l'Envoyé du Ciel

lui annonce qu'elle est choisie pour être la Mère du Fils de Dieu,

qu'elle serait désormais l’Epouse du Saint Esprit et qu'elle et le Père

Eternel, auront le même Fils. A ces titres sublimes, que répond

Marie ? Elle se ravale jusqu'à l'état le plus méprisé dans le monde,

jusqu'à la condition de simple servante : Ecce ancilla. Étonnante

humilité s'écrie Saint Ambroise ! Humilité inouïe, digne de toute

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admiration : Marie distinguée par une prérogative si inespérée, si

inattendue, et qui la met si hors de pair avec toutes les autres

créatures, ne se regarde que comme une servante, laquelle est

obligée d'obéir aux ordres de son maître : Ecce ancilla. C'est dans les

mêmes sentiments qu'elle dit en son Cantique : Mon âme glorifie le

Seigneur, elle est transportée d'une sainte joie, en pensant à la bonté

de Dieu mon Sauveur. Car il a bien voulu arrêter les yeux sur la

bassesse de sa servante : c’est pour cela que dans tous les siècles à

venir on exaltera mon bonheur. Marie ne voit ici en elle que sa propre

bassesse sans aucun mérite : et en Dieu elle reconnaît que tout est

miséricorde, grâce, faveur, libéralité pour elle : Fecit mihi magna, qui

potens est.

II. Se refuser intérieurement aux louanges, c'est un effet de l'humilité

; comme au contraire les ambitionner est un effet de l'orgueil, dit

Saint Augustin. Les bons, ajoute St Grégoire, s'attristent de la gloire

qui leur vient des hommes ; et les méchants s'en applaudissent. La

Sainte Vierge fut un modèle accompli du caractère des premiers. Un

Ange la salue avec un respect profond, la nomme pleine de grâce,

remplie du Seigneur, bénite entre toutes les femmes ; et elle surprise

de ces éloges dont elle se juge tout à fait indigne, se trouble, rentre

en elle même, et ne s'occupe que de la pensée d'où lui peut venir

une ambassade qui ne saurait lui convenir. C'est une chose

remarquable que ce trouble qui ne diminue point sa présence

d'esprit, ni n'altère en aucune façon la paix de son cœur, qui n'a

d'autre fruit qu'un humble recueillement, durant lequel elle s’adresse

au Seigneur, pour connaître et exécuter les volontés sur elle :

humilité profondément enracinée, qui dans une occasion critique, de

quelque côté qu'elle la considère, pense d'abord à réclamer le

secours du Ciel.

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Un autre exercice intérieur de la vertu de l’humilité, et qui est le

principal de tous, c'est d'attribuer à Dieu tout bien ; de souhaiter et

de faire en sorte que la gloire lui en revienne aussi totalement qu'elle

lui est due. La Sainte Vierge exerça cet acte d'humilité avec une

grande pureté et avec une grande perfection. De tous les avantages,

soit de la nature, soit de la grâce dont elle était enrichie elle en faisait

une espèce de restitution à Dieu, à qui elle croyait avec sincérité en

être pleinement redevable : son cœur brûlait du désir et quiconque la

voyait, quiconque la connaissait, louât sans attention à elle, le

Seigneur qui l'avait remplie de ses dons. Et en effet, inspirée de

l'Esprit Saint, Elisabeth félicite Marie sa cousine, sur sa dignité de

Mère de Dieu : elle exalte l’efficace merveilleuse de sa parole, qui

s'est à peine fait entendre à elle de l'Enfant qu'elle porte dans son

sein en tressaille de joie ; elle admire la grandeur de sa foi, source de

son bonheur : Beata quæ credidisti, c’est-à-dire l’élève au-dessus de

toutes les autres femmes, parce que l’enfant qu’elle doit mettre au

monde sera le salut du genre humain, perdu par le péché du premier

homme. Eloges aussi vrais qu'ils sont magnifiques, auxquels Marie

réplique par un cantique de louange au Seigneur - magnificat anima

mea Dominum. C’est comme si elle disait : Vous m’exaltez, Elisabeth,

par les titres les plus augustes ; et moi j’adore le Seigneur à qui toute

la gloire appartient : vous êtes surprise que je vienne chez vous ; et

moi je suis étonnée que le Tout-puissant daigne opérer en moi des

merveilles incompréhensibles : Vous me félicitez, parce qu'au seul

son de ma voix, votre enfant tressaille d'allégresse ; et moi, je suis

ravie de joie dans la considération des miséricordes de Dieu mon

Sauveur : Vous me louez d'avoir crû, et vous me dites que pour cela

les divines promesses qui m'ont été faites s'accompliront en moi, et

moi je suis convaincue que toutes les générations m'appelleront

bienheureuse, parce que le Seigneur a jeté un regard de bonté sur la

moindre de ses servantes. On comble de louanges la Sainte Vierge,

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dit St Bernard ; mais ces mêmes louanges, elle les convertit en celles

du Seigneur de qui elle a tout reçu. Aussi l'humilité fut-elle la

première vertu à laquelle Marie s’appliqua : dès son enfance, dit

sainte Mechtilde l'une de ses plus parfaites imitatrices, elle avait de

si bas sentiments d'elle-même que sans qu'elle y réfléchit, ils

paraissaient dans toutes ses actions, dans toutes ses paroles, dans

toute sa personne. Mais cette vertu monta à son plus haut degré,

après qu'elle eut conçu et a mis au monde le Fils de Dieu : elle se

rappelait continuellement à l'esprit que l'Eternel qu'elle avait porté

neuf mois en son sein, était là dans le dernier état : l'humiliation ; elle

se rappelait tous les anéantissements de ce Dieu Sauveur, tous les

traitements ignominieux, qu'il avait soufferts, et dont elle avait été

témoin pendant trente trois ans ; l'exemple d'un tel Fils perfectionna

l'humilité de la Mère, au point qu'elle mérita d'être exaltée au-dessus

des chœurs des Anges, conformément à ces paroles de l'Evangile :

Qui se humiliat, exaltabítur.

III - Les actes extérieurs d’humilité naissent des intérieurs, comme

les effets de leurs causes, dans les personnes qui marchent en vérité

devant Dieu. Considérons donc attentivement ces mêmes actes

extérieurs, afin de connaître de plus en plus l'humilité de la Sainte

Vierge, et d'en imiter autant que cela se peut, la pratique. C’est le

caractère des hommes humbles, dit Albert le Grand, d'exercer

volontiers les plus abjectes fonctions de la vie, de les aimer, de les

rechercher ; de fuir le faste et la vanité, d'être simple, modeste et

pauvre, même en tout généralement. La Sainte Vierge, dès l'âge de

trois ans présentée au Temple où elle demeura jusqu'à treize ans,

employait à des ouvrages des mains, à filer du lin, de la laine, de la

soie pour l'ornement de l'Autel, et pour l'usage des Prêtre, employait,

dis-je, à ces œuvres manuelles tous les moments que ses longs

entretiens avec Dieu lui laissaient libres. Ensuite ayant épousé Saint

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Joseph, elle lui tenait lieu d'une simple domestique qui le servait

comme à gages, qui avait soin de la propreté de la maison, et de leur

nourriture la plus commune et la plus frugale. Il fallait encore que son

assiduité au travail propre de son sexe, égalât celle de son cher

époux, dont le métier ne suffisait pas pour les faire subsister l'un et

l'autre : car St Joseph pauvre par choix, était l'artisan le moins

intéressé pour le salaire de ses peines. Mais ce travail humiliant

augmenta beaucoup durant les sept années qu'ils demeurèrent

bannis en Egypte, où ils s'enfuirent dépourvus de tout : il leur en

coûta bien des sueurs pour s'établir là, sur le pied même qu'ils

étaient en leur propre pays. Saint Basile dans ses constitutions

monastiques parle de ce surcroit de misère que la Sainte Vierge et

Saint Joseph eurent à Souffrir, ainsi qu'il arrive à des pauvres qui sont

étrangers, et qui ne vivent que du travail de leurs mains. Et il ne faut

pas douter, ajoute ce même Père, que Jésus ne secondât alors ses

parents, autant que son âge tendre et faible le comportait. A l’égard

du vêtement, c’est tout dire, que la Sainte Vierge était vêtue d'une

manière conforme à son état de pauvreté extrême. Saint Epiphane

très ancien et très exact Ecrivain, en parle en ces termes : les habits

de la très Sacrée Vierge étaient sans aucun ornement, sans aucune

couleur étrangère, mais de la couleur naturelle de la laine ou de lin ;

et ceci cet Auteur le confirme par la simplicité du voile qu'elle portait

sur sa tête, et que de son temps l'on conservait comme une chose

très précieuse. D'ailleurs les vrais humbles, lorsqu'ils rendent service

au prochain, ce qu'ils font bien volontiers, n'ont point égard à la

personne : ils n’examinent point si c’est un homme de condition, ou

si c'est un homme de rien car ils se croient au-dessous de tous les

autres, comme l'exprime St Paul (Phil. 2, 4). En effet, la véritable

humilité qui règle l’homme par rapport à lui-même, lui apprend à se

regarder selon ce qu'il est en soi, et par cet endroit il se juge très

méprisable ; d'autre part la charité qui règle l'homme à l'égard du

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prochain, lui apprend à regarder dans le prochain ce qu'il tient de

Dieu ; et il l'estime en son cœur par cet endroit, comme étant fort au-

dessus de lui, quel qu'il soit. Car de même que Dieu ne demande pas

nous nous méprisions, par ce que nous avons reçu de lui, mais parce

que nous avons de nous ; de même il ne nous demande pas d’'aimer

nos frères d'un amour de charité, par ce qu'ils ont reçu d'eux mêmes,

mais par ce qu'ils ont reçu de lui. Quelque saint donc que soit

l'homme humble, il se méprise dans la vue du péché qui est de lui, et

dans la vue du néant dont il a passé à l’être qui est de Dieu. Ainsi l’on

estime et l’on aime le prochain pour la perfection de son Etre, pour

l'excellence de son âme créée à l'image de Dieu, quelque misérable,

quelque scélérat qu’il puisse être d'ailleurs.

Cette humilité dans le service du prochain, la Sainte Vierge la

pratiqua envers des personnes qui lui étaient fort inférieures. Sitôt

qu'elle eut appris de l'Ange Gabriel, qu'Elisabeth avait conçu, qu’elle

était dans son sixième mois, elle partit à pied de Nazareth, à travers

les montagnes de la Judée, fit en peu de jours quarante lieues de

chemin, et se rendit à la maison de Zacharie. Elle demeura longtemps

chez sa cousine, dit St Bernard, non point pour se délasser ni pour sa

propre satisfaction, mais pour avoir soin et du ménage et de la

personne d’Elisabeth : la charité, ajoute ce saint Docteur, brûlait dans

le cœur de Marie, et son humilité parfaite l'abaissait à servir ceux qui

étaient bien au-dessous d'elle. Humilité qui n'est pas concevable.

Quoique Mère du Fils de Dieu, et distinguée par son nouveau rang,

du reste des créatures, bien loin d’exiger, bien loin d’attendre

qu'Elisabeth la vienne voir la première, elle prévient sa cousine, elle

ne saurait être rendue chez elle assez tôt : et pourquoi cette sorte de

précipitation ? Ce n'est point uniquement pour honorer Elisabeth

d'une visite, qui opérera dans elle un miracle ; C’est encore pour la

servir dans sa grossesse déjà avancée, pour veiller à ses besoins, et

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pour lui procurer tous les secours nécessaires pendant l'espace de

trois mois. Aussi Elisabeth demeure d'abord comme interdite à

l'humble démarche de Marie ; après quoi son étonnement s'exprime

en ces termes : Vous êtes bénie entre toutes les femmes, et béni est

le fruit de votre ventre : d'où me vient ce bonheur que la Mère de

mon Seigneur vienne chez moi.

Vous, Vierge la gloire incomparable de tout notre sexe, vous qui avez

reçu seule plus de grâces et de bénédictions que toutes les autres

femmes ensemble, vous que toutes les nations et toutes les

générations doivent révérer comme leur Reine, vous qui avez conçu

et qui mettrez au jour le Fils du Très-haut, le Sauveur et le

Rédempteur d'Israël, vous venez vers moi, pauvre misérable

pécheresse : Ah ! C’était à moi d'aller avec empressement rendre

hommage en mon propre nom et au nom de tout Israël, à la Mère du

Créateur du Ciel et de la Terre : comment vous recevrai-je ?

Comment vous traiterai-je,-moi la Servante,-vous la Maîtresse ? Ainsi

Elisabeth témoignait son étonnement sur l'humilité de la Sainte

Vierge, qui l'avait prévenue, par une visite dont elle se jugeait très

indigne. En quels termes donc marqua-t-elle sa surprise de voir la

Mère de son Seigneur s'humilier jusqu'à la servir, dit Saint Bernard ?

Ô qu’elle eut bien plus lieu de s'étonner, qu'à l'exemple du Fils, la

Mère fut venue chez elle, non point pour être servie, mais pour servir.

C'est encore le propre des personnes humbles de s'entretenir, et de

traiter volontiers avec des pauvres, avec des gens d'une basse

condition, ou avec d'autres, quelques mépris même qu'ils soient,

surtout si la charité le demande, dit Albert le Grand. L'Epoux et

l'Epouse de Cana en Galilée étaient des gens de peu de chose et mal

à leur aise, puisque le vin leur manqua dès le milieu du repas. La

Sainte Vierge néanmoins invitée à leur noce y alla, s'entretint avec

eux des choses de Dieu, les consola, les édifia par ses manières

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pleines de douceur et affabilité. Madeleine la pécheresse, quoique

tout à fait convertie par le Sauveur, portait encore dans l'esprit de

biens des gens, comme il arrive quelque flétrissure de son premier

état. Cependant la Mère de Jésus, Marie la pureté même ne dédaigna

pas la compagnie de Madeleine pénitente : elle se trouva même près

d'elle sur le Calvaire au pied de la Croix. Exemple qui condamnait

hautement l'orgueil Pharisaïque.

Un autre effet de l'humilité, c’est que dans les assemblées où l'on se

trouve, on laisse aux autres le premier rang, et l'on se met au dernier,

autant que cela est convenable, selon les paroles de Jésus-Christ :

lorsque vous serez invité à des noces, mettez-vous à la dernière

place. L'humble Marie observa cette règle, ainsi que nous

l’apprenons de l'Historien sacré, lequel rapporte l'ordre exact des

personnes qui composaient l'assemblée dans le Cénacle. 1°. Les

Apôtres. 2°. Les Saintes Femmes. 3°. La Mère de Jésus. Cette

circonstance ne fut ni du côté de la Vierge un hasard, ni un oubli du

côté des Apôtres et des saintes Femmes, dont elle était respectée et

révérée : ce fut un choix de la part de Marie, dit St Bernard : Etant la

première de toutes les femmes, par un souverain mépris d’elle-

même, elle se mettait à la dernière place : aussi ce n'est pas sans

raison que celle qui s'était abaissée au-dessous de toutes les femmes

veuves et pénitentes, a été élevée au-dessus des Anges mêmes.

L’humilité de la sainte Vierge parut encore dans le mystère de la

Purification ; elle assista pêle-mêle avec les femmes du commun, à

cette humiliante cérémonie, quoique les termes de la Loi l'en

dispensassent positivement ; mais voici, je crois, où l’héroïne de cette

vertu se montra davantage en Marie ; ce fut à entendre, sans

s’émouvoir, les injures énormes faites à Jésus dont on la nommait en

même temps la Mère : Ce Samaritain, cet homme possédé du démon,

cet artisan, ce fils de Marie, femme d'un Charpentier, etc.

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IV. De l’humilité de la Sainte Vierge, attentive à cacher aux yeux des

hommes les grâces et les dons de Dieu, dont elle était remplie.

De même que c'est un acte d'humilité que de recevoir avec joie les

mépris et les injures ; c'en est un aussi, de dérober à la connaissance

des hommes les choses qui nous attirent leur estime et leurs

louanges ; comme sont les faveurs célestes, les illustrations divines,

certaines grâces spéciales, certains dons singuliers. Cependant ces

richesses spirituelles, il faut les déclarer ainsi que nos misères, à un

Directeur, à un Confesseur ; parce que la connaissance de toute notre

âme lui est nécessaire, et nous est utile ; d'ailleurs il est des

rencontres où l'instruction de nos frères, et l'édification demandent

que la vertu se montre au dehors à la plus grande gloire de Dieu.

Mais en toute autre circonstance, un homme vraiment humble, doit

taire et cacher les dons de Dieu. Vos saintes pratiques, les vertus que

vous exercez en particulier, dit sainte Dorothée, il faut que tout le

monde les ignore, excepté celui en qui la direction de votre amour

est confiée. La sainte Vierge observa ces règles d'humilité avec un

soin extrême, et avec une grande prudence. Elle apprend par un

Ange envoyé de la part du Seigneur, les plus sublimes mystères, et

elle reçoit de lui des éloges qui ne furent jamais donnés à aucune

créature, ces faveurs ineffables demeurent inconnues, et comme

ensevelies en elle ; Marie n'en parle à qui que ce soit, ni à Zacharie

Prêtre et son parent, ni à Elisabeth sa cousine avec laquelle elle

s'entretenait si familièrement : quoi qu'Elisabeth par une révélation

particulière eût su le Mystère du Verbe incarné, et qu'elle en félicitât

Marie, circonstance capable de l’engager à s'expliquer avec sa

cousine sur les autres merveilles ; néanmoins elle les passa sous

silence, elle se contenta de célébrer en général les louanges du

Seigneur, et la grandeur de ses miséricordes envers elle. Marie ne

déclara pas à St Joseph même le Mystère de l’Incarnation dans une

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conjoncture très délicate ; c'est lorsque ce chaste Epoux la voyant

enceinte, fût sur le point de l'abandonner ; parce qu’il ignorait le

Mystère étonnant dont Dieu n'avait pas jugé à propos de lui donner

encore la connaissance. En un mot toutes les lumières que le Très

haut lui avait confiées, elle les garda dans son cœur jusqu’'à la venue

du St Esprit, qui était le temps que Dieu avait marqué pour la

conversion de l'Univers.

La sainte Vierge cachait avec la même attention le pouvoir et le crédit

qu'elle avait auprès de son Fils, évitant d'en faire montre dans les

occasions de s'employer pour le prochain. Aux noces de Cana où le

vin manqua tout à coup, elle ne dit point à son Fils d'un ton de Mère,

que c'était à lui de suppléer à ce défaut, puisqu’'il le pouvait : elle ne

fit que se présenter à lui avec ces paroles modestes dans la bouche :

Ils n'ont point de vin. Elle se trouva très souvent en des lieux où son

Fils prêchait, opérait des miracles, recevait mille bénédictions des

peuples sur sa doctrine, sur ses œuvres, sur ses merveilles, qui

surpassaient celles des plus grands Prophètes : en ces occurrences

flatteuses, où les mères s'applaudissent même ouvertement du

mérite de leur fils, la sainte Vierge ne donna pas le moindre indice

qu'elle fût la Mère de Jésus, ou qu'elle eût sur lui quelque pouvoir ;

mais dans un humble silence, elle en écoutait les oracles, comme une

personne qui ne lui était rien. Un jour le Sauveur environné d'un

grand monde, prêchait dans la maison d'un particulier, ainsi que le

rapporte St Marc. La sainte Vierge et quelques-uns de ses parents se

rendirent à cet endroit, où Marie ayant vu une prodigieuse foule

d'Auditeurs, elle se tint dehors, sans rien dire, quelque envie qu'elle

en eût d'entendre son Fils. Et St Bernard fait à ce propos ces

réflexions sur l'humilité de la sainte Vierge : « Elle attendait dehors,

dit-il, et elle se garda bien de se déclarer la Mère de Jésus, pour qu'on

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la fit entrer dans le lieu où prêchait son Fils, et qu'on l’y plaçât avec

distinction ».

Par le même principe d'humilité, Marie ne parlait jamais de ses dons

de sagesse, d'intelligence, de conseil, qui lui avaient été départis sans

mesure. Elle savait parfaitement les saintes Ecritures et les choses

divines, tant par la voie de la révélation, que par les fréquents

entretiens avec son Fils. Mais ces lumières, elle les conservait en son

cœur, ainsi que s'exprime sur cela l'Evangile : Conservabat omnia hæc

in corde suo. Cependant après l'Ascension de son Fils au Ciel, et la

venue du Saint Esprit, Marie, dit l'Abbé Ruppert, rompit le silence sur

ces Mystères, les dévoila, les communiqua aux Apôtres, et aux

Disciples de notre Seigneur ; parce que le temps était venu pour elle

de leur en faire part.

V. Comment nous devons imiter les exemples de l'humilité de la

sainte Vierge.

Nous nous sommes assez étendus sur l'humilité, parce que cette

vertu est la racine, le fondement et la garde de toutes les autres,

dont la sainte Vierge nous a donné tant d’exemples dans l'Evangile. Il

s’agit maintenant de les imiter ces exemples, afin d'imiter par-là

Jésus-Christ même, qui nous dit : Apprenez de moi que je suis doux et

humble de cœur. Le premier moyen que nous devons employer pour

parvenir à cette vertu, c'est de la demander instamment à notre

Seigneur ; vu qu'elle est un don de lui tout gratuit. Cependant, voici

quelques considérations dont il faut nous servir, afin de nous inspirer

le mépris intérieur de nous-mêmes, le quel est comme le premier pas

pour arriver à l'humilité. Nous ne sommes de notre fonds que néant

et que péché. Notre misère est de ne pouvoir rien faire de bien sans

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l'aide de Dieu, et de tomber dans une infinité de fautes, lors même

que nous en sommes secourus...

Que devient notre corps qui fait notre principale occupation? Que

deviennent les honneurs de ce monde à la mort ? Quel jugement

Dieu porte t-il de nous alors, comparé à sa Majesté, à sa grandeur, à

sa sainteté, à sa toute puissance ? C'est par ces considérations et par

quelques autres semblables, profondément et souvent méditées, que

l'on apprend à se mépriser en soi-même, et à estimer sincèrement

tout ce que le monde méprise. De ce mépris de notre propre

personne, et de cette estime pour les choses méprisables aux yeux

des mondains, il faut passer à des actes extérieurs : afin d'imiter

l'exemple de la sainte Vierge : comme elle, chacun peut vaquer à

certaines œuvres serviles chez soi et en son particulier, faisant par

choix ce que des nécessiteux et ce que des domestiques font par

état. C'est là un très bon moyen, dit St Basile, (In Reg. Brev.) pour

acquérir l'humilité et pour s'y perfectionner. Un autre moyen dont

nous avons l'exemple en Marie, c'est le service du prochain, le service

des pauvres, le service des malades. On s’abaisse au reste à ces

fonctions, non point par un esprit de dépendance, comme un

serviteur à l'égard de son maître, mais par un esprit de charité et de

miséricorde, mais par un ardent désir de devenir parfaitement

humble. Et pour vous encourager à ces actes humiliants, représentez-

vous dans le prochain, quel qu'il soit, la personne de notre Seigneur,

dit St Basile ; (Serm. de Abdic.) votre service relevé par ce motif lui

plaira infiniment, et sera récompensé à proportions.

Un troisième moyen de devenir ou de se maintenir humble par

l'imitation de la sainte Vierge, c'est la simplicité dans les habits,

autant qu'elle peut s'accommoder avec votre condition. Ste Dorothée

demande comment cette simplicité, laquelle est une chose extérieure

à l'homme, peut le porter à l'humilité de cœur ? Et il répond ainsi lui-

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même à sa demande : c'est que la disposition du corps influe sur

l'âme, de façon que l'âme se sent ou forte ou faible, ou courageuse

ou lâche, à mesure de la situation présente du corps : Un homme

assis sur le trône, ajoute t-il, ou monté sur un fier coursier, a de plus

hauts sentiments que lorsqu'il est à pied, ou monté sur un mauvais

cheval ; de même un homme superbement vêtu, pense autrement

que celui qui n'a que des haillons. Il est donc vrai, conclut-il, qu'en

humiliant le corps, ou par de vils vêtements, ou par des fonctions

basses, l'âme s'humilie ou du moins est penchée à le faire.

Un dernier moyen d'acquérir l'humilité, c'est l'obéissance à nos

supérieurs, selon l'état où l'ordre du Seigneur nous a placés : la sainte

Vierge nous a laissé des exemples de cette vertu dont nous parlerons

dans la suite. Quand des enfants obéissent à leur père et à leur mère,

des domestiques à leur maîtresse, une femme à son mari, des

inférieurs à leur supérieur dans une Communauté Religieuse, ils

obtiennent aisément de Dieu la vertu de l'humilité, si leur obéissance

part du cœur ; car le trône de l'orgueil, pour le dire ainsi, c'est la

volonté propre qui prétend se conduire en tout à sa guise, et ne faire

que ce qui lui plaît. Or c'est de cette volonté propre que l’homme

obéissant triomphe : Vir obediens loquetur victorias ; et cette victoire

si agréable au Seigneur est couronnée par le don insigne de

l'humilité. Trois choses établissent en notre cœur l'humilité, dit St

Basile, si elles y sont bien enracinées ; savoir la persuasion intime de

notre néant, la réflexion continuelle sur la conduite des gens de bien,

et qui sont plus parfaits que nous, et l'obéissance persévérante à

ceux auxquels nous devons être soumis.

Chapitre II. De la foi de la Sainte Vierge

15

L'Humilité est appelée le fondement de la perfection chrétienne,

parce que substituée à la place de l'orgueil qui en est le grand

obstacle, elle devient comme la première pierre sur laquelle porte

tout notre édifice spirituel. Il est certain qu'il ne peu y avoir

d'humilité véritable sans la foi ; mais il n'est pas moins certain, que

l'on ne peut croire, si l'on ne commence d'abord par s’humilier, en

soumettant sa raison à des vérités qui sont au-dessus de toutes ses

lumières. L'ordre donc demandait que nous parlassions en premier

lieu de l'humilité : après quoi nous traitons ici de la foi de la sainte

Vierge.

Croire une chose, comme parole de Dieu, comme loi de Dieu ou

comme une révélation de Dieu sans une juste raison, sans un motif

suffisant ; bien loin que ce soit une vertu, c'est une énorme iniquité

dans laquelle sont tombés tous les infidèles qui ont reçu de fausses

voix, et dans laquelle tombent tous ceux qui trompés par le démon

ajoutent foi à des révélations et à des apparitions mensongères. Mais

croire une chose comme loi de Dieu, ou comme révélation de Dieu

avec juste raison, et avec un motif suffisant ; c'est une vertu et une

grande vertu. Et plus les choses que nous croyons sont au-dessus (1

Cor. 10) de l'intelligence humaine, plus la vertu de la foi et notre

mérite croissent. Car l'homme alors humilie davantage sa raison, la

subjugue, la captive sous l'autorité de la parole de Dieu : don

admirable de la foi, s'écrie St Léon, que l'Esprit Saint nous

communique, qui nous éclaire l'esprit, et qui nous échauffe le cœur

pour croire et pour aimer des vérités à nous incompréhensibles.

Au reste, voici les raisons pourquoi il a été nécessaire dans l'ouvrage

du salut de l’homme, (Th. Contre gent. 10) qu'il crût des choses

surnaturelles. 1°. Pour la gloire de Dieu. Car Dieu étant une Majesté

infinie, il convient que la connaissance qu'en a l'homme soit digne

d'une telle majesté : pour cela il faut qu'il connaisse avec une

16

certitude inébranlable les choses divines, qui surpassent tout ce que

l'homme éclairé de la seule lumière naturelle, peut penser du

souverain Être, de sa grandeur, de sa puissance, de sa sagesse, de sa

sainteté, de sa bonté. Et c'est une grande gloire que l'homme rend à

Dieu, que de croire fermement, et d'adorer humblement des

attributs infinis, des attributs au-dessus de tout entendement créé.

2°. Il convient à la nature et à l'avantage de l'homme d'être conduit

par la lumière de la foi. Car l'homme (Th. ibid) étant doué d'un

amendement, et d'une volonté, qui sont les deux principales facultés

de son âme, de même qu'il doit servir Dieu et lu obéir par sa volonté,

il doit de même le servir et lui obéir par son entendement : le service

et l'obéissance de la volonté, c'est de renoncer à ses penchants pour

faire la volonté de Dieu ; le service et l'obéissance de l’entendement,

c'est de renoncer à ses lumières pour se soumettre à la suprême

intelligence de Dieu. Croire donc avec une foi vive ; quel avantage,

quel mérite (D. Th.2.2. q. 2.n 5) n'est-ce point pour l'homme !

3°. Il était encore nécessaire de croire des choses surnaturelles, parce

que l’homme a été crée pour une fin surnaturelle, qui est la claire

vision de Dieu ; et que le moyen que Dieu a choisi pour sauver

l’homme après son péché, est aussi surnaturel : ce moyen, c'est la

rédemption du genre humain opérée par le Fils de Dieu égal en tout à

son Père. Or l'homme ne pouvait croire avec certitude une fin

surnaturelle, et des moyens surnaturels que par la foi des choses

révélées de Dieu, lesquelles sont au-dessus de toute intelligence

créée.

Telles sont les raisons pour lesquelles il était si convenable, il était

nécessaire que Dieu nous commandât des choses incompréhensibles

à nos esprits. Et nous sommes obligés de croire fermement ces

mêmes choses comme des vérités révélées par la première vérité qui

est Dieu ; si nous les croyons de la sorte, une gloire éternelle devient

17

notre récompense, si nous refusons de les croire, une peine éternelle

devient notre châtiment. Celui qui croira (d'une foi animée par les

œuvres) sera sauvé et celui qui ne croira pas sera damné.

II. La sainte Vierge (Marc. uIt.) nous a donné des exemples de foi, qui

sont pleins d'instruction et de consolation pour tous. Elle crut le

Mystère ineffable de la très-sainte Trinité si caché dans la loi de

nature et si peu connu dans la loi écrite : les paroles de l'Ange le lui

annoncèrent ; elles lui désignèrent la personne du Père, dont il était

envoyé auprès d'elle ; la personne du Fils, en lui disant que celui

qu'elle concevrait en son sein était le Fils du Très-haut; la personne

du Saint-Esprit , en lui ajoutant que ce serait par son opération

miraculeuse qu'elle concevrait et qu'elle enfanterait : elle crut le

Mystère de l'Incarnation, qui jusqu’alors avait été caché sous des

figures et sous des ombres de la loi , et n'avait point encore été

annoncé au monde. Elle crut que le Verbe éternel, Fils de Dieu le

Père, et même Dieu, avec le Père et le Saint Esprit, devait prendre

une forme humaine en se faisant homme, semblable à nous. Elle crut

qu'elle-même était la Vierge choisie de Dieu en qui devait s'opérer ce

Mystère, ce miracle étonnant d'être Mère et de demeurer Vierge.

Lorsque dans une étable pauvre, déserte, abandonnée, il naquit

d'elle un enfant passible mortel, sujet aux misères de cette vie, elle

crut que ce même enfant était le Dieu éternel, le Créateur et le

Seigneur de toutes choses, le Rédempteur des hommes condamnés à

une mort éternelle pour le péché de leur Père, que cet enfant était le

Dieu , qui par sa beauté infinie, charme, ravit, transporte les esprits

célestes : Marie crut tout cela, avant que l'Evangile eût été annoncé

au monde, avant que d'avoir vu son Fils faire des miracles ; elle le

crut sans demander aucun signe comme Zacharie ou comme Gédéon

; elle le crut avec une certitude et avec une fermeté qui n'ont jamais

été semblables qu'à elle-même. Isaïe lui donne le nom de

18

Prophétesse, (Is. 1, 8) à cause de la profonde connaissance et de la

foi qu’elle avait des choses surnaturelles et divines. « La Prophétesse

dont parle Isaïe, dit l'Abbé Rupert (Rup. In Isa), c'est la très-sainte

Vierge : ce fut en son chaste sein que s’accomplirent toutes les

prédictions des Prophètes ; et elle eut une parfaite intelligence de ces

merveilles parce qu’il était juste que son âme connût celui qu'elle

avait conçu en sa chair ».

De cette foi si parfaite, Marie en donne elle-même un témoignage

éclatant dans son Cantique : le Tout-puissant a fait en moi de grandes

choses. Et quelles sont ces grandes choses, si ce n'est que le Fils de

Dieu s'est fait Homme dans son sein virginal ? Si ce n'est que pour en

être la Mère, elle a été préférée à toutes les autres personnes de son

sexe ? Si ce n'est qu'elle a reçu de lui des grâces suréminentes, et

proportionnées à la maternité d'un tel Fils ? C'est pour cela que

toutes les générations la nommeront bienheureuse : Oracle qui s'est

accompli et qui se perpétue sans interruption. Elisabeth releva aussi

par son propre témoignage la grandeur de la foi de Marie sa cousine :

Beata quæ credidisti, etc.

Sur quoi St Augustin fait ce raisonnement qui parait hardi : « la Sainte

Vierge, dit-il, fut plus heureuse d'avoir conçu le Fils de Dieu dans son

âme par une foi la plus parfaite, que de l'avoir conçu corporellement

en son sein : car bien que la maternité divine soit la plus haute

dignité qui se puisse communiquer à une pure créature, et qu'elle

soit la racine et le fondement des grâces et des vertus qui lui furent

pour cela départies ; cependant cette dignité toute seule ne la faisait

pas sainte ni digne de la gloire ; c'était la grande foi animée de la plus

ardente charité qui la fit sainte, et la rendit digne d'être élevée dans

le Ciel au-dessus de tous les chœurs des Anges ». Quoi qu'il en soit,

c'est à cette vertu de la foi qu’appartient la profession, la confession

de cette même foi. Les Apôtres eurent la foi en Jésus-Christ, et le

19

reconnurent pour le sauveur et pour le Fils du Dieu vivant ; mais dans

la fuite, au temps de la tribulation, et de l’épreuve, au temps de

l’emprisonnement, de la Passion, et de la mort de Jésus-Christ,

infidèles à la confession de leur foi, ils la dissimulèrent, ils

disparurent, ils abandonnèrent leur Maître. Il n'en fut pas ainsi de la

sainte Vierge ; comme elle fut très-parfaite dans la foi, elle demeura

aussi très confiante dans la confession de cette même foi : quoique

son cœur fût devenu comme une mer de douleur, pleine de courage

elle ne quitte point le Sauveur durant sa passion, elle le suivit

jusqu’au Calvaire, lieu de son supplice : là debout au pied de la Croix,

instrument de la mort de son Fils, elle le reconnut hautement pour

son Rédempteur, dans l'attente certaine de la Résurrection, et de

l’accomplissement entier de tout ce qu'il avait dit.

III. Cette foi ferme dans ses principes, et soutenue dans toutes ses

épreuves, doit être le modèle de la nôtre, si faible pour l’ordinaire, et

si chancelante. La foi est en butte à des tentations que nous suscite

l'ennemi perpétuel de notre salut, pour nous troubler dans nos

exercices de Chrétiens, et pour nous faire douter des vérités révélées

qui sont les règles de notre conduite. Comme la foi nous a été

conférée dans le baptême sans que nous y contribuassions en rien de

notre part, sans qu'il nous en coûtât la moindre peine ; il est juste

que pour conserver cette vertu et pour nous y perfectionner, Dieu

permette que nous y ayons quelquefois des perplexités à combattre,

des difficultés à surmonter : mais forts dans la foi , fortes in fide,

résistons avec courage à ces obstacles dangereux, et le père du

mensonge, lequel en est ordinairement l'auteur, fuira loin de nous :

Resisiite diabolo, et fugiet à vobis : ou plutôt, sans daigner examiner

trop ces suggestions du démon, tenons-nous à cette réponse

générale et décisive : je crois, comme vérités infaillibles, tout ce que

la foi m'enseigne, tout ce que l'Eglise Catholique, Apostolique et

20

Romaine ne propose : je crois tout cela , parce que Dieu l'a révélé à

son Eglise, qu'il l'a confirmé par des témoignages les plus certains,

par la lumière surnaturelle qu'il répand en nos âmes pour le croire.

Que si la violence de la tentation (D. Th. 2. 2. q. 4. a. 8) nous fait

quelquefois soupçonner que contre notre volonté, notre

amendement hésite sur un article de foi, ne nous troublons point

pour cela : car de même que la foi ne saurait être parfaire en ceux qui

ont l'usage de raison, sans que la volonté soit de concert avec

l’entendement pour croire ; de même on ne peut perdre la foi reçue,

sans vouloir douter, en consentant par la volonté, au doute

l’hésitation de l'entendement. En ces circonstances, protestons au

Seigneur, témoin de notre embarras , que moyennant sa sainte grâce

qui ne nous manque jamais au besoin, nous voulons croire

fermement et sans exception tous les articles de notre créance :

désavouions en sa présence tout doute qui nous est venu dans

l'imagination, ou que le malin esprit y avait jeté, pour nous inquiéter

dans nos exercices de religion : par ce désaveu généreux et sincère, la

foi s'augmentera en nous, s'y fortifiera, et y deviendra désormais

comme un bouclier à l'épreuve de ces fortes attaques. Mais la foi de

la sainte Vierge nous donne encore une autre leçon, et c'est de faire

à son exemple une profession ouverte de la notre ; c’est-à-dire, qu'il

faut au péril de nos biens, de notre fortune, de notre honneur, de

notre vie même, persister hautement dans la foi de nos pères que

nous avons reçue au Baptême. Ce n'est qu'à ce prix que notre foi

méritera d'être couronnée : Qui confessus fuerit, etc.

CHAPITRE III. De l'espérance de la Sainte Vierge

21

L'Espérance est une vertu divine que Dieu répand en l'âme de

l'homme chrétien, par laquelle comptant sur le secours du Tout-

puissant, il espère moyennant les bonnes œuvres, acquérir la

béatitude éternelle. L'espérance ainsi définie est une vertu

Théologale, comme le sont la Foi et la charité, qui se terminent à

Dieu immédiatement. Car de même que par la foi l'âme s'unit à Dieu

comme au principe d'où lui vient la connaissance infaillible de la

suprême vérité, et que par la charité elle s'unit à Dieu, en l'aimant

pour ce qu'il est ; aussi par l'espérance elle s'unit à Dieu comme au

principe de son bonheur éternel, qui est la possession et la claire

vision de ce souverain Etre.

Au reste, il faut que l'espérance (D. Th. a. 2. 2. q- 5) pour être une

vertu telle que nous disons, soit ferme et inébranlable : il faut que

sans balancer nous espérions de la puissance et de la miséricorde de

Dieu, tous les secours qui nous sont nécessaires pour arriver au

bonheur éternel que sa bonté nous promet. Néanmoins cette

espérance n'exclut ni la crainte, ni l'incertitude sur notre salut : car

afin que le secours divin sur lequel est appuyé l'espérance chrétienne

ait son effet, il faut que l’homme veuille s'en servir et concourir de

son côté à opérer avec la grâce son salut éternel. Et comme pour

acquérir la béatitude, il faut que l'homme avec le secours de Dieu se

dispose à recevoir la grâce divine ; et qu'a près l'avoir reçue (D. Th.

Aug. Amb. Greg.) il en use bien, et y persévère avec l'exercice des

bonnes œuvres, il peut douter si de son côté il ne manquera à aucune

de ces choses nécessaires. Mais il est certain que plus l’espérance est

grande et parfaite, et plus le doute et la crainte diminuent : de ça nait

en nous une grande certitude morale que Dieu nous donnera tout

sans réserve, qu'il nous donnera d'user bien de sa grâce, et de

persévérer jusqu'à la fin dans son amour avec l'exercice des bonnes

œuvres. Cette assurance par un don de Dieu particulier, par une

22

faveur singulière, peut aller quelquefois jusqu'à bannir toute crainte

servile, toute crainte de la damnation éternelle, et à causer dans

l'âme une paix au-dessus de toute expression : Quæ exuperal

Omnem sensum. C'est cette certitude tranquille dit Saint Thomas, qui

est propre de la vertu de l'espérance : elle diffère de celle de la foi,

ajoute-t-il, en ce que celle-ci-ne saurait manquer, étant fondée sur la

vérité de DIEU ; au lieu que l'autre peut manquer, parce que

l'homme peut toujours en cette vie mettre obstacle à son bonheur

éternel.

Dans ceux qui vivent mal, l'espérance de leur salut est une vaine

présomption et une sécurité criminelle : mais dans les serviteurs de

Dieu, elle est une vertu solide, appuyée sur le témoignage de leur

conscience, de leurs bonnes œuvres, de leur pureté de mœurs

appuyée sur le sentiment intérieur de la bonté paternelle de Dieu,

qu'ils puisent dans la méditation de ses bienfaits, dans la lecture des

saintes Lettres, et dans les Livres de piété : cependant cette

espérance certaine nait surtout des lumières des inspirations que

Dieu donne à notre âme, des secours particuliers dont il la favorise,

de la protection marquée et en quelque sorte sensible ; ainsi que

l'expérience nous l'apprend, par l'exemple de tant de serviteurs de

Dieu, qui vivent et meurent contents dans la ferme espérance de leur

salut. Telle est la confiance qui nous est si recommandée dans

l'Ecriture, qui n'est point, (D. 2. 2. q.128.) dit l'Ange de l'école, une

vertu distincte de l'espérance ; mais qui y ajoute seulement une sorte

de fermeté, laquelle calme ou diminue les craintes et les doutes de la

faiblesse humaine. Car en même temps que l'on compte alors sur la

miséricorde et sur le secours de Dieu, la vie est accompagnée de

bonnes œuvres, de mérites, de grâces qui affermissent l'espérance.

Mais puisque c'est par la vivacité de la foi, par la pureté des mœurs,

par la pratique des bonnes œuvres, par la méditation des bienfaits de

23

Dieu et des Mystères de la Religion, et par les lumières célestes que

l'espérance croit jusqu’à la confiance ; quelle espérance, quelle

confiance ne dut point être celle de la sainte Vierge, dans la Fille du

Très-haut, la Mère de notre Sauveur, l'Épouse du St Esprit, pour

obtenir tout ce qu'elle demandait en son nom, ou en faveur des

hommes ?

Il. De quelques endroits de l'Evangile où reluit la confiance de la

Sainte Vierge.

La pureté de l'âme et du corps fut toujours une vertu infiniment

chère à la sainte Vierge, ainsi que nous l'avons dit. Par une inspiration

divine, elle fit vœu de rester Vierge toute sa vie ; et néanmoins par la

même inspiration toute jeune elle épousa St Joseph, demeura avec

lui dans la même maison, et l’accompagna dans ses voyages, sans

autre témoin que l'œil de Dieu. Pour cela il fallait qu'elle eût une

confiance héroïque en la protection du Seigneur qui ne devait jamais

l'abandonner dans un état de vie si extraordinaire. Cette confiance

nous apprend à compter sur la bonté de Dieu, qui nous soutiendra,

qui nous fortifiera dans les occasions les plus critiques ; s'il nous

inspire certaines résolutions, certains désirs de vertu parfaite,

quelque état que nous embrassions, ou que nous ayons déjà

embrassé.

La sainte Vierge vit Saint Joseph dans l'inquiétude et dans le dessein

de la quitter, lorsque ne sachant point le Mystère qui s'opérait en elle

par la vertu du Très haut, il s'aperçut de la grossesse. Marie alors

remplie de confiance au Seigneur, remit tout entre ses mains, sûre

que sa bonté infinie empêcherait tout soupçon injurieux à sa vertu,

délivrerait Saint Joseph de son embarras, ne permettrait point un

divorce dans un mariage dont il était l'Auteur, et que tout tournerait

à la plus grande gloire de sa divine Majesté, et à l'avantage de Saint

24

Joseph. Ce fut cette confiance généreuse et soumise à l'ordre d'en

haut, qui la fit se taire et se tranquilliser, sans dire à son chaste Epoux

un seul mot, attendant dans un silence profond le secours du Tout-

puissant, qui disposa des choses de la façon qu'elle l'avait fermement

espéré. Nous sommes avertis par cet exemple, quelque tribulation

qu'il nous arrive, qu'en quelque danger que nous nous trouvions, soit

pour nos biens, soit pour notre réputation, soit pour notre vie ; nous

devons espérer que le Seigneur nous sauvera de ces peines, ou les

convertira en des avantages éternels pour nous. Ainsi le disait et le

pensait le Prophète Roi. « Le salut des Justes (aussi bien du corps que

de l'âme) leur vient du Seigneur il est leur défenseur dans le temps

de la tribulation : il les soutiendra de peur qu'ils ne tombent : il les

tirera des dangers, et les arrachera des mains des pécheurs, enfin il

les sauvera ». Et pourquoi Dieu fera-t-il aux Justes de grandes

faveurs ? C'est, répond le Psalmiste, qu'ils ont espéré en lui et qu'ils

ont mis en lui toute leur confiance.

Marie, aux noces de Cana, touchée de la confusion qui menaçait les

nouveaux mariés par un subit manquement de vin, alla avec

confiance représenter leur besoin au Sauveur. Jésus n'avait point

encore fait de miracles qui manifestassent la puissance infinie de sa

divinité : Marie néanmoins par une inspiration céleste, n'hésite point

de recourir à son Fils ; et sans le presser, sans l'importuner par de

longs discours, elle lui expose simplement le fait. C'est le propre des

cœurs pleins de confiance en Dieu, que sans rien négliger de leur

part, ils remettent l'événement à la divine volonté, certains que Dieu

fera ce qui leur convient davantage et à sa propre gloire, qui est le

but de leur demande.

III. Bien que l'espérance et la confiance en Dieu soit nécessaire dans

tous les exercices de la vertu, pour nous y donner du courage et de la

force ; elle nous est surtout recommandée par les saintes Lettres

25

dans les exercices de la Prière et de l'Oraison, et tout ce que nous

demandons à Dieu comme il faut, sa bonté nous l'accordera. (cf. Jac.

1, 56). C'est ce qui fait dire à l'Apôtre S. Jacques : « S'il manque de la

sagesse à quelqu'un de vous, qu'il en demande à Dieu, qui sans faire

de reproche en donne à tous abondamment, et il lui en sera donné.

Mais qu'il demande avec foi (c'est-à-dire avec confiance) ne

chancelant point. Car celui qui se défie est semblable au flot de la

mer, qui est agité çà et là, par la violence du vent. Il ne faut donc pas

qu'il s’imagine qu'il obtiendra quelque chose du Seigneur ».

Par rapport à cette confiance avec laquelle il faut demander ; une

difficulté, un doute s'offre ici, qu'il est à propos d'expliquer ; c'est à

savoir, si pour demander avec la confiance requise, nous devons

croire et espérer avec une certitude particulière, que Dieu nous

octroiera notre demande. Cette certitude semble nécessaire : vu qu'il

est dit dans St. Mathieu et dans S. Marc : Ayez de la Foi, et croyez en

Dieu sans hésiter ; ces paroles sont suivies d'une proposition générale

qui n'excepte rien : je vous le dis en vérité, quoi que ce soit que vous

demandiez avec foi dans la prière, vous l'obtiendrez. De ce passage et

de plusieurs autres de l’Evangile, il paraît nécessaire de demander

avec cette l'assurance dont nous parlons. D'un autre côté, si cette

même assurance était nécessaire, peu de prières seraient exaucées ;

car peu de Chrétiens demandent ainsi, quelque nécessaires et

quelques utiles que soient pour le bien de leur âme les demandent

qu'ils font. Ordinairement même nous demandons avec quelque

doute, si Dieu ne nous refusera pas ; ou parce que nous ne sommes

point tels que nous devrions être, ou parce que nous ne demandons

point comme nous devrions le faire. La réponse à cette difficulté, à ce

doute, nous la trouvons dans les Livres sacrés et dans la Doctrine des

Saints. On demande à Dieu des choses extraordinaires, des miracles,

de guérir des maladies, de chasser les démons par la force de la

26

parole divine (ce qui était nécessaire et arrivait souvent dans la

primitive Eglise, afin d'établir et d'étendre la foi) : alors et aujourd'hui

encore, pour obtenir de Dieu ces merveilles, il faut dans le cours

ordinaire les demander avec une confiance certaine qu'elles seront

accordées : aussi en pareil cas, Dieu a coutume de prévenir l'homme

par une inspiration divine qui lui persuade certainement que Dieu ne

manquera pas de lui accorder le don d'opérer la grande chose qu'il

demande : et voilà ce que l'on nomme la foi pour faire des miracles.

C’est de cette foi, c'est de ce don que Jésus-Christ dit- : Si vous avez

un grain de foi, dites à cette montagne qu'elle s'ôte de sa place, et

elle s'en ôtera : Onmia possibili sunt credenti. Il est clair qu'il ne s'agit

pas ici d'une foi et d'une confiance qui soit une vertu commune à

tous les fidèles, mais d'une foi et d'une confiance qui sont un don

spécial de Dieu pour opérer des miracles. Mais cette foi et cette

confiance certaine n'est pas requise pour obtenir de Dieu dans la

prière les choses nécessaires et utiles à notre salut ; savoir, les vertus

de notre état, la victoire de nos passions, la persévérance dans la

pratique des bonnes œuvres, etc. C'est assez pour cela de croire en

général que Notre Seigneur peut nous octroyer ce que nous lui

demandons, et qu'il veut de son côté nous donner tout ce qui nous

convient ; c'est assez d'espérer que par sa bonté aucun secours

nécessaire à notre salut ne nous manquera. De cette sorte nous

espérons en la bonté de Dieu et en ses promesses, bien que d'un

autre côté nous doutions si nous serons exaucés, ou à cause de nos

fautes, à cause que nous prions mal, ou à cause que nous avons peut-

être en nous quelqu'autre obstacle qui déplaît à la bonté du

Seigneur. (D. Th. 2. 2. q. 2. 87). Ce doute au reste, qui n'a sa source

qu'en nous-mêmes, n'empêchera pas que Dieu n'écoute nos prières,

et ne suffit pas pour qu'il ne veuille point les écouter. En effet,

pourvu que concourent à notre prière ces conditions ; d'être dans la

grâce de Dieu, de demander des choses nécessaires à notre propre

27

salut, de les demander avec persévérance, et d'user de notre part des

moyens convenables, tout ce que nous demanderons nous sera

donné, conformément aux promesses du Seigneur, d'écouter la

prière des Justes : Voluntatem timentirtm se faciet, dit le Psalmiste ;

et après lui l'Apôtre St Jean : Si vous persévérez dans l'observation de

ma loi, je vous accorderai tout ce que vous me demanderez.

A l'égard du pécheur : Encore que sa prière n'ait pas toutes les

conditions de celle du juste ; néanmoins (D. Th. 2. 2. q. 83. a. 10) si

elle est accompagnée du désir de sortir de son péché, et du repentir

de l'avoir commis, il obtiendra de Dieu les choses nécessaires à son

salut : ce ne sera point par voie de justice, il est vrai, parce que rien

n’est dû au pécheur ; mais ce sera par miséricorde et par libéralité.

Ainsi le succès de sa prière ne sera ni aussi certain, ni aussi ordinaire

que celui de la prière du juste, lequel ne manque point de la manière

que nous l'avons expliqué. Ce que les saintes Lettres disent donc des

pécheurs que Dieu n'écoute point leur prière, doit s'entendre des

pécheurs qui ne veulent pas quitter leur péché, (D. Th. 2. 2. q. 83. 26.

ad 2) parce qu'ils ne demandent pas avec une condition essentielle,

qui est le désir d'en sortir ; la douleur de s'y voir livrés, et le propos

de n'y plus retomber moyennant le secours du Ciel. De ce que nous

venons de dire à l'égard de la prière, soit du juste, ou soit du pécheur

qui veut sincèrement quitter son péché, il s'ensuit que Dieu les

exaucera ; bien que la certitude d'en être exaucés leur manque. Car,

quoique Dieu ait promis d'exaucer nos prières, qu'il ait la volonté de

nous faire du bien, et que sa miséricorde soit pour cela infinie ;

néanmoins afin que l'homme soit sur ce point sans aucun doute, il

faut des conditions qu'il ne saurait s'assurer d'avoir mises de sa part.

Il peut donc sans faire une faute, douter si Dieu l'exaucera ; et pour

une chose qui n'est pas dans l'homme une faute, Dieu de son côté ne

lui refusera pas ce qu'il lui demande. Ceci soit dit pour la consolation

28

et pour le repos de tant d'âmes chrétiennes, qui, lorsqu'elles prient,

n'éprouvent point en elle cette sorte de foi et de confiance qu’elles

obtiendront infailliblement à leurs demandes.

Au reste, le don de la confiance est d'un si grand prix et d'une si

grande efficace, qu'avec cette confiance, l'homme obtient de Dieu

tout sans exception. En effet, cette confiance étant une inspiration de

Dieu, chaque fois qu'il la donne, c’est un signe assuré, qu'il accordera

ce qui lui est demandé conséquemment à son inspiration. Mais il faut

ici de la prudence et du discernement, pour ne pas confondre ce qui

est un don de Dieu avec la présomption et l'illusion du pécheur, qui

sans renoncer au péché, s’imagine obtenir de Dieu son salut.

Travaillons donc à obtenir ce don admirable, à l'obtenir par tous les

moyens possibles, par de fréquentes prières, par des aumônes, par

des œuvres de pénitence ; par une grande pureté de mœurs. Dans la

considération de la bonté infinie de Dieu, de la miséricorde infinie

des bienfaits sans nombre que nous avons reçus de lui ; efforçons-

nous de prier avec la certitude et l'assurance que nous obtiendrons

tout de lui. Le Seigneur touché des efforts, quoique toujours faibles,

d'une âme, qui le cherche après tout avec sincérité, ne différera pas

longtemps à en exaucer les vœux.

IV. Qu'il faut, à l'exemple de la sainte Vierge, persévérer à espérer

dans les choses mêmes, qui semblent le plus contraire à l’espérance.

Toutes les vertus ont leurs épreuves ; l'espérance et la confiance en

Dieu a les siennes. C'est ce que l'on expérimente, lorsqu'il arrive des

circonstances qui semblent contraires aux choses que l'on espérait,

ou bien de grands obstacles à l'accomplissement de celles que l'on

avait demandées à Dieu. Abraham, selon la divine promesse, espérait

que de son fils lsaac naîtrait toutes les nations choisies, et que ses

descendants égaleraient le nombre des étoiles du Ciel. Dans cette

attente, Abraham reçoit de Dieu un ordre de sacrifier son fils Isaac.

29

Que pouvait-il arriver apparemment de plus contraire à la promesse

faite au saint Patriarche, que cet ordre du Seigneur ? Néanmoins

Abraham persévère dans son espérance, et croit fermement que par

des moyens à lui inconnus, Dieu effectuera sa parole. Voilà

l'espérance confiante que Dieu demande de nous, et à laquelle nous

invite et nous encourage l'exemple de la sainte Vierge. Elle espéra

toujours que son Fils sauverait le monde perdu, qu'il resterait le

vainqueur de tous ses ennemis, et qu'il régnerait sur la terre et dans

le Ciel. Elle voit ce Fils livré au pouvoir de ses persécuteurs

implacables, trainé en prison comme un criminel, garrotté avec des

cordes comme le dernier des misérables ; elle le voit abandonné de

tous ses Disciples, condamné à la mort par tout le peuple d'Israël ;

elle le voit attaché à la Croix, y expirer, méprisé, insulté, bafoué.

Quels événements, à juger selon toutes les apparences, pouvaient

être plus contraires aux merveilles que l'on attendait du Messie ?

Aussi firent-ils perdre, ou du moins affaiblirent-ils extrêmement

l'espérance qu’avaient en lui ses propres Disciples. Mais au milieu de

leurs craintes et de leurs alarmes, Marie sans éprouver le moindre

trouble, persévère à croire et à espérer fermement que Jésus qu'elle

voit mourir dans l’opprobre, ressuscitera, comme il l'a dit, couvert de

gloire, et soumettra le monde entier à son Evangile et à son Empire.

C'est pourquoi, après le crucifiement de son Fils dont elle avait été

spectatrice, elle n'alla point au sépulcre avec les saintes Femmes, et

se retira tranquille sur l'article de la résurrection de son Fils : Elle était

bien convaincue que le corps de Jésus n'avait pas besoin d'être

embaumé, que les saintes Femmes ne le trouveraient pas dans le

sépulcre mort, mais vivant, ressuscité et glorieux.

Cette espérance persévérante et généreuse est la règle que nous

devons nous proposer, quoique nous ne puissions jamais en

atteindre la perfection. Les choses nécessaires et utiles à notre salut,'

30

espérons les de Dieu à qui nous les demandons, et espérons-les

malgré tous les obstacles, malgré toutes les difficultés, malgré tous

les dangers qui s’offrent en foule à notre esprit alarmé, à notre

imagination effrayée : Comptons sans balancer que la bonté de Dieu

nous soutiendra au milieu de tout cela, nous en délivrera et le

tournera même en avantage pour nous. Mais nous ne méritons point

ces faveurs, parce que nous sommes des pêcheurs, des ingrats ;

parce que nous ne faisons point de notre côté, tout ce que nous

devrions, et tout ce que nous pourrions faire ? Notre réponse à cela,

c'est l'humble aveu de notre indignité ; ce n'est point la justice du

Seigneur que nous réclamons, parce que nos péchés nous rendent

indignes de toute grâce, nous implorons sa miséricorde infinie qui fait

du bien aux plus grands pécheurs, qui les convertit, qui en fait des

Saints : Notre état est bien différent de celui des vrais Justes, lesquels

étant dans la grâce méritent plus d'être exaucés ; pour nous, notre

unique ressource, et notre unique espérance, ce sont les seuls

mérites de Jésus-Christ Notre Seigneur, lesquels sont d'un prix infini :

Tout ce que vous demanderez à mon Père en mon Nom, je le ferai.

Que si après avoir commencé de servir Dieu avec dévotion, après

avoir gouté la douceur de son amour et de son entretien, l'on vient à

perdre ces sentiments de piété, à tomber dans la sécheresse, dans

l'amertume, dans la désolation à soupçonner que l'on cherche Dieu

sans le trouver, qu'on lui parle sans en être écouté, qu'il s'éloigne à

mesure que l'on veut se rapprocher de lui ; en ces temps d'orage, que

l'âme loin de plier et de se laisser abattre, se soutienne par

l'espérance, dont le fondement, qui est la bonté divine, subsiste

toujours pour elle ; qu'elle persévère dans la pratique des bonnes

œuvres, de la prière, de la pénitence, (ce n’est point une dévotion

tendre, c’est une vertu éprouvée qui gagne le cœur de Notre

Seigneur). Que l’on se résigne sans réserve à la volonté divine, sans

31

se plaindre des aridités, des dégoûts, des détresses inséparables de

l’humanité, sans douter que la miséricorde du Seigneur nous tirera

de ces angoisses, ou nous y protégera jusqu'à la fin pour la plus

grande gloire et pour le plus grand profit de notre âme. Ah ! quand

toutes les puissances de l'enfer, toutes les tempêtes intérieures et

extérieures, toutes les révoltes de la chair, tous les efforts du démon,

toutes les persécutions du monde se réuniraient, se ligueraient

contre moi, j’espérerai toujours dans le Seigneur : In hoc ergo

sperabo. Oui, quoique mille fantômes, mille imaginations me

représentent sans cesse à moi-même comme un objet d’abomination

aux yeux de Dieu, abandonné, livré à une réprobation éternelle, j'en

reviendrai toujours à la bonté de mon Créateur : j'espérerai toujours

en lui : In hoc ergo sperabo.

Dieu permet que l'on se trouve en ces terribles extrémités, pour faire

mieux connaître ce que peut une ferme confiance en lui, et pour

signaler l'amour paternel dont il aime ceux auxquels il a destiné un

haut rang dans le séjour de la gloire. Heureux dit le Sage ; celui qui ne

succombe point sous le poids de la tribulation ; parce que l'espérance

en Dieu est son appui. C'est cette espérance persévérante qui est la

ressource et qui devient le remède à tous nos maux. David après

avoir espéré en Dieu, et avoir invoqué son saint Nom, triomphe de

Goliath et de Saül. Manassés tout grand pécheur qu'il était, est

délivré d'une dure prison, et sort de l'abîme de ses iniquités, pour

avoir espéré en Dieu, et avoir invoqué son Nom : Parce que Susanne

au milieu des plus cruelles angoisses, et des plus fâcheux dangers,

élève son cœur à Dieu, et en réclame le secours, elle est attachée à

l'infamie et à la mort. Dieu en use de cette sorte à l'égard de tous

ceux qui mettent en lui leur confiance, et il fait qu'ils se convertissent

et se donnent à lui tout de bon. (Eccl. 2, 11). Le Sage appelle en

témoignage de cette vérité, le monde entier. Mes enfants, dit-il,

32

interrogez tous les hommes de l'Univers, demandez-leur à tous leur

sentiment, ils vous diront que jamais qui que ce soit n'a espéré à sa

confusion, dans le Seigneur : c’est-à-dire, l'espérance en Dieu n'a

jamais été vaine, et sans être suivie de son effet.

CHAPITRE IV. De la Charité de la Sainte Vierge ; quant au principal

acte de cette vertu, qui est l'amour de Dieu.

Quoique toutes les affections du cœur de Marie soient

inexprimables, et que celle de son amour pour Dieu le soit encore

plus qu'aucune autre ; essayons néanmoins de dire quel que chose

de ce même amour.

C'est selon la mesure de la grâce que se communique à l'âme la

charité infuse, vertu surnaturelle, par laquelle on aime Dieu. La sainte

Vierge dès sa Conception fut pleine de grâce : Elle fut donc remplie

de cette charité laquelle fait qu'on aime Dieu très-parfaitement. Et en

effet, la grâce que d’abord on lui prodigua croissait en elle à tous les

moments de sa vie ; sitôt qu'elle fut parvenue à l’âge d'user de sa

raison : Comme elle ne commit jamais de péché, et que toutes ses

actions étaient très saintes, chacune d'elles méritaient un nouvel

accroissement de grâce, et conséquemment Marie sans cesse

augmentait d'amour pour Dieu. Un ruisseau quelque petit qu'il soit

en sa source, devient comme une mer si plusieurs vastes torrents

joignent continuellement leurs eaux aux siennes dans son cours. Ô

quel fut l'amour divin dans le cœur de Marie parvenue à l'âge de

concevoir le fils de Dieu : Déjà si parfait, il croissait encore sans cesse

par des actes non interrompus, par de fréquentes visites d'en haut,

par une surabondance des dons célestes, auxquels elle répondalt

avec une ferveur plus ardente que celle de tous les Saints réunis.

Ajoutons à ces accroissements de sa charité, ceux qui se firent depuis

33

la naissance de Jésus jusqu’à sa mort, et depuis l'Ascension du Fils

jusqu'à l'Assomption de la Mère qui vécut environ soixante et dix ans.

Pénétrons encore, s'il se peut, dans le Sanctuaire de la charité de

Marie. Plus une âme connait Dieu, sa bonté, son amour, et plus elle

l’aime si elle est fidèle et loyale ; Plus une âme reçoit de bienfaits de

la main de Dieu et plus elle l'aime, si elle est reconnaissante. Or

personne sur la terre n'eut une plus plus parfaite connaissance de

Dieu que la Sainte Vierge ; personne ne reçut de Dieu plus de faveurs,

et personne n'eut plus de fidélité et de reconnaissance qu'elle envers

le Seigneur.

Quelle fut donc la mesure de son amour pour lui ? Ce fut de l'aimer

sans mesure. D'ailleurs plus une âme aime Dieu, et plus elle aime les

choses de Dieu ; c'est ce qu'opérait en Marie la charité surnaturelle :

non seulement elle aimait sans bornes son fils en tant que Dieu, mais

elle l’aimait encore en tant qu’homme, d'un amour surnaturel et

divin incomparablement plus qu'elle ne l'aimait d'un amour naturel

en tant que son Fils. Ô de quelle ardente charité l'esprit et le cœur

très pur de Marie étaient pénétrés ! Combien de lumières du divin

amour éclairaient l'un, et combien de flammes du même amour

embrasaient l'autre : Tous ses sens intérieurs étaient comme inondés

d'un torrent de déſices : Quelles aspirations tendres ! Quels

ravissements, quels transports, quelles extases, en pensant au seul

objet digne de son amour ? Et quand n'y pensait-elle pas ? Sans cesse

elle avait dans la bouche et dans le cœur ces paroles et ces

sentiments de l'Epouse (cant. 2) : Mon bien aimé est à moi, et je suis

à lui.

La Sainte Vierge fit paraître cet amour dans sa réponse à l’Ange

Gabriel : Voici la Servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon votre

parole. Comme elle montra son humilité en se nommant la Servante

34

du Seigneur, elle montra aussi sa charité parfaite par une obéissance

aveugle à la volonté, au bon plaisir de Dieu. Elle signala cet ardent

amour dans son divin Cantique : Mon âme glorifie le Seigneur, et elle

est transportée d’une sainte joie. Car ce que l'on aime, on l'estime,

on l'exalte, on se plaît à en faire des éloges, « Parce que Marie aima

Dieu souverainement, dit S. Bonaventurre, elle le glorifie et elle se

réjouit en lui : Exultavit spiritus meus ». De cet amour naissait la plus

ponctuelle observation, non seulement des préceptes, mais encore

des moindres conseils ; en sorte qu'elle ne commit jamais la plus

légère faute ; aussi plus l'amour est parfait, plus l'obéissance à la loi

de Dieu est parfaite, suivant l'oracle de Jésus-Christ : Qui diligit me

sermonem meum servabit. De cet amour naissait la perfection de

toutes les actions de la sainte Vierge : car ce qui donne la perfection

aux bonnes œuvres, c'est l'amour avec lequel elles se ſont ; c'est

l'amour qui fait que l'on a une intention pure de plaire à Dieu seul,

c'est l'amour qui fait que la volonté se porte toujours au bien avec

promptitude et avec ferveur. Qui pourrait exprimer à quel degré

d'excellence ces qualités se ressemblaient en Marie ? De cet amour

naissait la patience la plus confiante dans tous les genres d'épreuves

qu'elle eut à souffrir durant le cours de sa vie. Quand on aime, on

souffre volontiers pour l'objet de son amour : Marie qui aimait Dieu

sans borne, aimait à souffrir sans bornes pour lui : Les peines qui lui

venaient de sa part, elle les chérissait comme autant de bienfaits

qu'elle recevait. Enfin son âme était comme une foumaise, où le feu

par de continuels aliments, acquiert toujours de nouveaux degrés de

chaleur.

II. La principale chose que nous devons imiter dans la vie de la sainte

Vierge, c'est son amour pour Dieu. L’amour pratique de Dieu est le

plus noble exercice de toutes les vertus ; il en est la fin, il en est la

perfection. Tâchons donc de donner à Dieu tout notre cœur, sans

35

rien rechercher, et sans rien désirer que lui, ou que ce qui nous

conduit à lui : mettons toute notre volonté dans la sienne, de sorte

qu'elle s'accomplisse toujours en nous, et que nous ne fassions

jamais la nôtre. Pour que cet amour devienne le principe et le motif

dominant de notre conduite, demandons-le continuellement au

Seigneur ; représentons-nous souvent par les yeux de la foi, sa

majesté, sa beauté, sa bonté infinie, son amour éternel et immense

pour nous. In charitate perpetua dilexite. Rappellons-nous les

bienfaits innombrables dont il nous a personnellement comblés : à

ces souvenirs, entreprenons une bonne fois de mortifier en tout

notre amour propre, cet amour déréglé de nous-mêmes, lequel est le

grand obstacle à l'amour de Dieu, et son ennemi capital, aussi bien

que le nôtre. Exerçons-nous à cet amour par l'observation des divines

ordonnances, et d'abord par l'horreur et la fuite de toute offense

griève, dont une seule nous fait perdre la grâce, et avec elle la

charité. En second lieu interdisons-nous, autant qu'il se peut, les

fautes mêmes venielles, qui ne détruisent pas, il est vrai, la charité,

mais qui la diminuent indirectement et qui en occasionnent

insensiblement la perte. « Celui, dit St Grégoire, qui néglige de fuir et

de pleurer les fautes légères, il décheoira de l'état de grâce : il n'en

décheoira pas tout-à-coup, mais peu à peu. (D. Th. 2. 2. q. 14. art).

« L'Ange de l'Ecole apporte la raison de cette chute : C'est, dit-il, que

la négligence affectée et habituelle des petites ſautes, affaiblit l'âme

tellement que s'il survient quelque forte tentation, elle est dans un

péril comme évident de succomber, selon le cours ordinaire ».

Une autre preuve de cette vérité ; c'est que pour conserver la grâce

nous avons tous besoin de secours surnaturels. Or quand on commet

sans scrupule un grand nombre de péchés véniels, dont après cela

l'on ne songe guère à se repentir, on tombe assez aisément dans

quelque péché mortel et par-là se perd la charité. O quelle perte,

36

quel malheur ! Il est hors de doute que le principal motif pourquoi

nous devons éviter les péchés véniels, autant que notre fragilité le

peut c'est que se sont des offenses de Dieu. Cependant cette

considération qu'ils nous frayent le chemin au péché mortel et à la

perte de l'amitié de Dieu, nous doit fortement exciter à les fuir avec

grand soin, et à nous en corriger sans délai.

Exerçons-nous encore à la charité en dirigeant toutes nos œuvres à la

pure intention de plaire à Dieu et de le contenter uniquement :

Faisons-les avec soin, avec exactitude, avec une affection pieuse et

humble de notre volonté : Car c'est là surtout ce que Dieu estime

dans nos œuvres, à savoir que l'affection du cœur les ordonne, les

accompagne et les termine. A chaque action nous devons apporter

autant de soin pour la bien faire que si tout notre bien spirituel en

dépendait : (D. Th. de Mort. divinis) « Nous devons nous y

affectionner comme si notre salut éternel y était attaché ; comme s’il

agissait de toute la gloire de Dieu, et de tout l'honneur de l'Eglise de

Jésus-Christ : comme si c'était la dernière de notre vie. Car si vaquant

à une bonne action, nous y mêlons la pensée et le soin d'une autre qui

la suivra, dès là nous nous attiédissons pour la première. Par exemple,

étant à l'oraison, si nous nous attachons à la pensée qu'après cela

nous avons à travailler, aussitôt l'affection pour la prière, se réfroidit,

languit, se perd. Je dis la même chose de toute autre bonne action

mêlée de quelque objet qui lui est étranger ». Certainement, c'est

avec beaucoup de raison que St Thomas d'Aquin, ce Docteur de

l'Eglise également pieux et éclairé parle de la sorte. Car une seule

bonne action bien faite est d'un plus grand prix et d'un plus grand

mérite sans comparaison que plusieurs autres dans la même espèce,

faites avec quelque négligence réfléchie. D'ailleurs, c'est un respect

dû au Souverain Etre, c'est un devoir du Chrétien que quand il lui

parle il oublie toute autre chose, et que son unique attention soit de

37

plaire à son Seigneur, et de le glorifier. Alors si la pensée ou plûtôt la

tentation nous vient, que nous oublions de faire un bien qui se

présente à notre esprit, sans nous distraire de l'action sainte qui nous

occupe actuellement, espérons de Dieu qu'il nous rappellera le

souvenir de ce même bien, s'il est pour sa gloire, et pour notre

avantage propre.

CHAPITRE V. De la piété de la Sainte Vierge

De la charité, naît comme de sa source, la piété, la dévotion ; c'est-à-

dire, la volonté prompte et fervente pour tout ce qui regarde le culte

et le service de Dieu ; pour tout ce qui appartient à l'excellente vertu

de la Religion.

D'abord, les parents de Marie, avant qu'elle fut conçue la vouérent

au Seigneur, lui promettant que il leur donnait un fruit de

bénédiction, ils le consacreraient à son service dans le temple. Dès

l’instant de sa Conception, Dieu répandit en son âme une grâce

surabondante par laquelle il se la réserva toute pour lui, et la pencha

à toutes les œuvres saintes. A l'âge de trois ans, Joachim son père et

Anne sa mère, la menérent avec joie au temple pour accomplir leur

promesse, l'offrirent au Seigneur dans la personne du Prêtre ; afin

qu'elle fut toute au service de l'Eternel, et aux choses de la religion.

Dans le temple était un lieu retiré, et fermé en forme de cloître, où

un grand mombre de Vierges s’occupaient à des ouvrages propres de

leur sexe, et à des pratiques de piété : tant que durait l'Office Divin,

elles de leur côté vaquaient dans une espèce de Chapelle, à la prière

et à l'oraison ; après quoi chacun se retirait, pour s’acquitter de la

fonction qui lui avait été assignée. Elles étaient entretenues de tout,

jusqu'à ce que le temps de les établir fût venu. Car alors le conseil de

virginité perpétuel n'avait point encore été déclaré ; Dieu l'avait

38

caché aux siécles précédents, afin que sa bienheureuse mère en fût

l'exemple et le modèle. Tout ceci nous le tenons d'Auteurs très

graves, de St Grégoire, de St Ambroise, de St Bonaventure, etc.

La Sainte Vierge demeura jusqu'à l'âge de douze ans ou environ dans

le temple suivant la commune opinion. Les exercices de son tendre

âge furent ceux-ci : Elle passait la plus grande partie de la nuit dans la

contemplation des choses divines, et une très petite partie elle

l'accordait au repos absolument nécessaire à la vie du corps. A l'aube

du jour la prière recommençait en particulier jusqu'à Tierce, qu'elle

assistait au Service divin, lequel se ſaisait dans le Temple : ensuite elle

travaillait pour l'usage du Temple à des ouvrages de lin, de laine et de

soie. Le soir elle vaquait à la lecture de la divine Loi, et des saintes

Lettres, et restait seule dans l'endroit séparé, où elle et les autres

Vierges avaient assisté à l'Office. Là elle adorait le Seigneur en esprit,

et en vérité, elle le louait et le glorifiait avec les sentiments de

respect les plus humbles ; elle contemplait en paix les perfections

infinies, elle témoignait en liberté l'amour dont son cœur brûlait pour

son unique et souverain bien (D. Ambr. 1 de Virg.). Ce n'etait pas

assez, le travail des mains n'interrompait point ses entretiens avec

Dieu, dont elle ne perdait jamais la présence : durant son sommeil

même, lequel était très court, elle se rappellait à l'esprit les choses de

Dieu qu'elle avait lues, elle s'en entretenait par de doux colloques

avec son Bien aimé.

C'était à ces exercices de piété que Marie employa les années qu'elle

demeura dans le Temple, où elle eut de fréquentes visites de Dieu,

des révélations, des consolations ínexprimables : aussi chaque jour,

chaque heure, chaque moment l'esprit de dévotion croissait en elle.

Toutes les occasions de parler, de converser avec ses compagnes

mêmes, elle les fuyait autant qu'il était en elle ; afin d'être toute à

Dieu, et de ne s'entretenir qu'avec lui ; et cela surtout depuis qu'une

39

lumière d'en haut lui eut découvert dans les saintes écritures, le

mystère de l’lncarnation du Verbe. Alors elle repassait

continuellement en elle-même, comment Dieu, Majesté infinie

qu'elle aimait souverainement, devait un jour s'abaisser au point de

se faire homme pour racheter le genre humain perdu par le péché : à

mesure qu'elle contemplait ce bienfait ineffable, et la charité

excessive dont il partait, elle augmentait d'amour et de piété pour

son bienfaiteur ; elle désirait de toute l'étendue de son cœur de voir

accomplir cette promesse, et de pouvoir être la Servante de cette

Vierge bienheureuse par dessus toutes les autres, laquelle devait

concevoir et mettre au monde le Sauveur.

II. Depuis l'lncarnation du Fils de Dieu, la piété de Marie acquit

encore de plus hauts degrés de perfection ; son recueillement devint

plus profond ; sa promptitude à exécuter la volonté de Dieu plus vive

; son oraison plus élevée ; les illuſtrations et les consolations célestes

furent plus sublimes. Aussi avait-elle pour lors la présence continuelle

de son Dieu qui était son Fils, du Verbe incarné dont elle admirait la

charité infinie qui le manifestait d'une manière si sensible : Elle était

extasiée de voir l'Etre : infini enfant, le Verbe éternel, qui ne parlait

point ; le Tout-puissant, faible ; l’Immortel sujet aux larmes, à la

douleur et destiné à la mort ; le Créateur de toutes choses, manquant

de tout, réduit à de pauvres langes pour vêtement, à une crêche avec

un peu de paille pour lit, et à une étable déserte pour palais : Quel

était son étonnement de se voir elle-même Vierge et Mère , allaiter

son Dieu, lui commander ! A ces réflexions Marie avait le cœur

pénétré de la dévotion la plus tendre et la plus vive, d'une estime

comme infini pour son Dieu, d'un désir le plus ardent de faire sans

réserve sa divine volonté. Que d'actions de grâces, que de sentiments

de reconnaissance transportaient comme hors d'elle-même cette

âme très pure, et la perdaient toute en Dieu !

40

Non seulement elle contemplait les mystères contenus aujourd'hui

dans l'Evangile ; mais elle en pesait chaque circonstance, chaque

événement, tout ce qu’elle en voyait de ses yeux, tout ce qu'elle

entendait dire, afin de nourrir de plus en plus sa piété et de

l'accroître. Souvent encore par le même esprit, elle demandait à son

fils avec une confiance respectueuse de l'instuire de sa propre

bouche sur des vérités qui la sanctifiaient : Et quelles instructions

n'en recevait-elle point ? Quels fonds de piété ne produisaient point

en elle ces instructions. (D. Ansel. in Medit. S. Bríg). Dieu a bien

daigné se révéler de la sorte à plusieurs saintes âmes ; et cette faveur

qu'il leur a faite, il ne l'a pas refusée à la personne du monde qu'il

aima le plus et qui mérita le plus d'être aimée.

III. Après l'Ascension de Jésus-Christ au Ciel, et la venue du Saint-

Esprit sur la terre, la dévotion de la Sainte Vierge déja si parfaite,

augmente extrêmement, par des surcrois de grâces, et par les dons

du Saint-Esprit qui lui furent plus prodigués qu'aux Apôtres mêmes ;

parce qu'elle y était plus disposée qu'eux tous ensemble. Alors Saint

Joseph étant déja mort, et Notre Seigneur étant dans le séjour de la

gloire, Marie épouse de l'un et Mère de l'autre, quoique toujours

Vierge, se trouva veuve pour servir d'exemples aux deux états ; c’est-

à-dire, pour apprendre aux Vierges combien elles doivent chérir la

virginité, et avec quels soins ils doivent conserver un trésor si

précieux ; aux femmes mariées, pour leur apprendre l'obéissance et

le respect qu'elles doivent à leur époux. Marie dans son état de

viduité était également un exemple et une leçon vivante pour toutes

les veuves. L’Evangile nous dit qu'Anne, fille de Phanuel, étant veuve,

ne sortait point du Temple, et y servait Dieu nuit et jour dans le jeûne

et dans la prière. Que dirons-nous de Marie veuve, ce Temple de Dieu

vivant, et animé ? Jamais son esprit ne pensa un moment à autre

chose qu'à Dieu, jamais son cœur n'aima un moment autre chose que

41

Dieu : sa vie fut une Oraison continuelle, une contemplation sans

distraction, les Mystères de la Vie et de la Passion du Sauveur son

Fils, demeuraient tellement gravés dans toutes les Facultés de son

âme, qu'elle en était occupée le jour et la nuit, qu'elle était toujours

pénétrée des plus vifs sentiments de compassion, de douleur et de

reconnaissance. Et afin que son corps eût aussi part à ses exercices

de piété, elle visitait souvent les saints lieux à Jérusalem, où son Fils

avait opéré les Mystères de notre Rédemption : elle visitait l'étable

de Bethléem, où elle avait mis au monde le Verbe incarné, où elle

l'avait emmailloté et alaité, où il avait été adoré par des Pasteurs et

par des Mages ; la vue de ces lieux, témoins de tant de Mystères

étonnants, la remplissait de dévotion et d'allégresse : elle allait à

Nazareth où elle avait élevé le Fils de Dieu et le sien avec tant de

satisfaction, et où l'Ange Gabriel lui avait annoncé la maternité divine

dont elle se jugeait si indigne : elle visitait les bords du Jourdain où le

Sauveur avait reçû de Jean-Baptiste le Baptême, et où le Père Eternel

l'avait déclaré son Fils bien-aimé, en qui il avait mis sa complaisance :

elle allait au Mont-Calvaire, consacré par la Croix et arrosé du sang de

son Fils, au Mont des Oliviers d'où il était monté au Ciel ; et où elle

Baisait avec la dévotion la plus affectueuse les vestiges marqués de

ses pieds.

Plusieurs graves Auteurs font mention de ces fréquentes visites de

Marie : c'était alors, ajoutent-ils, qu'elle s'attendrissait de

compassion, et qu'une abondance de larmes saintes coulaient de ses

yeux : c'était alors que son cœur était enflammé du plus vif amour

pour Dieu, et qu'elle multipliait ses jeûnes, déja si fréquents et si

austères : quoiqu'elle n'eût point de peché à expier, point de

mouvements de la chair qui se révolItassent contre l'esprit, point de

penchants pour le mal, et point d'obstacles au bien, comme en ont

tous les autres enfants d'Adam. Mais son désir insatiable de souffrir,

42

de s’immoler toute au Très haut, d'imiter son Fils crucifié, de croître

dans le divin amour par tous les moyens imaginables, la portait à se

mortifier sans relâche, selon que le Saint Eſprit l'inspirait pour la plus

grande gloire le Dieu. Ces circonstances, Marie les révéla, dit S.

Bonaventure, une sainte âme qui avait pour la Mère de Dieu une

grande dévotion. (Vita Chr.) « Ne pensez pas ma fille, que toutes les

grâces que vous reconnaissez en moi, je les ai reçues, sans qu'il m'en

ait jamais rien coûté : sachez qu’excepter la grâce qui me sanctifia

dans le sein de ma Mère, toutes les autres ne m'ont point été

données sans le moyen de la mortification, d'une oraison continuelle,

d'une effusion abondante de larmes, sans une extrême vivacité de

desirs pour la plus grande gloire de mon Dieu et de mon Bienfaiteur.

Tenez pour certain que nulle grace ne vient du Ciel dans l'âme des

serviteurs de Dieu que par la voie de la prière et de la mortification ».

La Sainte Vierge n'en dira pas davantage parce que tous les autres

moyens, l'intercession des Saints, la fréquentation des Sacrements,

se rapportant à ceux-là, c'était en ceux-là qu'elle mettait sa dévotion,

c’était par ceux-là qu’elle devenait à chaque instant plus agréable aux

yeux du Seigneur.

IV. Il faut imiter la dévotion, la piété de Ia Sainte Vierge dès sa

jeunesse, et dès le tendre âge.

Il est d'abord à remarquer que le fonds de la dévotion ne consiste

point à sentir dans l'âme certain contentement, certaine consolation,

ou certain goût, par rapport aux choses de Dieu : la dévotion

essentielle consiste dans une volonté déterminée au bien prompte à

faire les choses qu’appartiennent au service du Seigneur, fidéle à

pratiquer les vertus qui lui plaisent davantage, et dont nous avons

plus de besoin. C'est cette volonté qu'il faut essayer d'acquérir, et de

conserver toujours : tandis que nous l'aurons, nous avons la vraie

dévotion. Au reste, le principal moyen pour y parvenir, et ensuite

43

pour y persévérer ; c'est la méditation des choses de Dieu, l’attention

à les bien concevoir, afin d'y affectionner la volonté. Ne nous

relâchons point dans cet exercice ; autrement notre dévotion

diminuera peu à peu, se perdra même tout-à-fait, et peut être, hélas l

sans retour. Il faut, outre cela, lire certains Livres spirituels qui

portent à une piété solide, assister au saint Sacrifice de la Messe,

réciter l'Office divin, et d'autres prières propres à nous toucher

personnellement : mais le respect extérieur du corps, et le

recueillement intérieur de l'âme doivent toujours accompagner ces

pratiques ; car elles sont des actes de religion, elles sont des

communications de l'âme avec Dieu à qui nous parlons, et dont nous

écoutons au fond du cœur les réponses, pour nous conduire selon ses

vues dans le chemin du salut. Evitons aussi tout ce qui peut faire

obstacle à la dévotion, c’est à savoir les amusements mêmes qui sont

absolument inutiles, les attentions non nécessaires aux choses

terrestres, les délicatesses dans le boire et dans le manger, à plus

forte raison, les repas somptueux, les assemblées de jeu , les lectures

vaines, etc. Tout cela ne sert qu'à flatter et à corrompre les sens ;

lorsque l'on goûte les choses de la terre, dit S. Grégoire, (In Traitct. 6)

on se dégoûte de celles du Ciel ; et ce dégoût dispose l'âme à perdre

la charité. Un troisième moyen pour acquérir l'esprit de dévotion et

pour s'y perfectionner, c'est de joindre comme faisait la Sainte Vierge

la mortification à la prière. Il n'est point d'état dans le monde, où

quelque genre de mortification ne soit praticable ; tantôt on peut

refuser à ses yeux le regard d'une chose permise, mais curieuse ;

tantôt on peut refuser à son goût quelque mets qui le fatte

davantage, mais dont il est facile de se passer ; tantôt on peut

retrancher quelque chose de la quantité même des viandes, mais

sans préjudice de sa santé : car la bonté de Dieu agrée les moindres

sacrifices, lorsqu'ils partent du cœur, et que l'on ne saurait lui en

faire de plus considérables.

44

La dévotion de Marie doit être imitée, surtout en ce point qu'elle s'y

donna dès son tendre âge. Ô combien de personnes se sont perdues

pour n'avoir pas suivi cet exemple ! Combien en gémissent durant

tout le cours de leur vie ! mais quels avantages au contraire pour

ceux qui le suivront ce même exemple ? Quel contentement ne

causeront-ils point au Père céleste, dont ils seront par là les vrais

enſants, les enſants chéris ! Quelle assurance n’acquerront-ils point

avec les années pour le succès de leur salut ! Quelles augmentations

de grâces pour cette vie, et de gloire pour l'autre ne recevront-ils

point du Dieu de la pureté et de la sainteté ! Un Prince de la terre qui

aurait planté un arbrisseau avec complaisance, enchérirait par dessus

tous les premiers fruits ; et l'on ne pourrait les lui enlever sans lui

déplaire infinimen. L'âme est une plante que Dieu s'est plû à former

de ses mains, c'est son ouvrage qui lui a couté des peines, des sueurs,

son propre sang : n'est-il pas juste que les fruits lui en reviennent, et

d'abord ceux des premières années qui lui sont plus chers que tous

les autres ? Offrons-les lui donc ces fruits ; il en paye l'offrande

précieuse à ses yeux, par une infinité de bienfaits ; il nous fait goûter

la douceur, et nous procure la facilité d'une bonne vie ; il nous sauve

de mille dangers à nous inconnus, il nous délivre de mille retours

fâcheux, de mille remords qui sont les suites des pécchés passés : il

met en nous une force particuliere pour nous soutenir et pour

persévérer dans le bien, il y établit une vive espérance de la vie

éternelle, et de son secours spécial pour nous rassurer et nous

calmer à l'heure de notre mort.

Mais comme la piété de l'âge tendre dépend beaucoup des parents,

leur vigilance et leurs soins sur cet article sont des devoirs, des

obligations indispensables pour eux. Ils doivent employer à cette

première éducation tous les moyens possibles, instructions, avis,

châtiments ; offrir à Dieu des prières, multiplier les aumônes, faire

45

dire souvent des Messes, ne rien omettre ; en un mot, ne rien

épargner pour le succès d'une chose à laquelle le bonheur ou le

malheur éternel des enfants est si ordinairement attaché. Ces soins

des Pères et des Mères sont encore d’une plus étroite obligation

pour leurs filles, que l'lmitation de la Sainte Vierge regarde davantage

par rapport à leur sexe. St Jerôme écrivait ainsi à une mère sur

l'éducation de sa fille (Ad. gaud. de Instit. Infantulæ). « Ayez soin

qu'elle n’entende ni ne dise que des choses qui la conservent dans la

crainte de Dieu, qu’on ne lui apprenne point des chansons trop

mondaines, que l'on ne joue point devant elle des air de musique

capables d'amolir le cœur ; qu'elle ne converse point avec de jeunes

gens légers, badins, familiers, qu’elle n'aille point aux spectacles, aux

bals, à ces assemblées où règnent la dissipation et les rires ; qu'elle

n'ait point de ces habits magnifiques propres à lui attirer des regards

; qu'elle ne se montre point comme Dina, pour être vue et pour

passer le temps dont les moments sont si précieux ; qu’elle vaque à la

prière, à la lecture des livres de piété, au travail des mains, comme

faisait la femme forte qui filait, et qui cousait, et que les saintes

Lettres ont si louée pour cela même ». Ainsi pensait S. Jérôme, ce

Docteur de l'Eglise, si éclairé. Une mère est donc très étroitement

obligée d'éloigner sa fille de toutes les occasions, et de tous les

dangers de pécher ; de la porter et de l'exhorter à des oeuvres de

piété, telles que sont la prière, la lecture spirituelle, entendre la

parole de Dieu, approcher des Sacrements, afin de se maintenir dans

la crainte du Seigneur , et de conserver l'esprit de dévotion, sans quoi

l'innocence des mœurs ne dure pas longtemps. Au reste, ces

attentions des parents sont très méritoires aux yeux du Seigneur, qui

les en récompense par de puissants secours pour opérer leur propre

salut ; et si leurs enfants meurent avant eux en état de grâce, quelles

instances ne font-ils point auprès de Jésus-Christ pour la

sanctification de ceux qui les ont élevés dans la piété ? Ce sont ici des

46

motifs pressants pour les pères et les mères, d'apporter tous leurs

soins à l'éducation de leur famille.

CHAPITRE VI : De la charité de la Sainte Vierge pour tous les

hommes

A mesure que l’on a de l’amour pour Dieu, on en a pour le prochain.

1. L’habitude de la charité que Dieu met en nos âmes, afin que nous

l'aimions, est la même que celle qui fait que nous aimons le prochain

: de façon qu'autant que le premier amour est grand par rapport à

Dieu, autant est grand le second amour, par rapport au prochain. 2.

Le vrai amour du prochain, c'est quand on l'aime pour Dieu comme

sa créature formée à son image qu'il nous ordonne d'aimer. Plus

donc on aime Dieu, plus l'on désire de lui plaire, et de suivre sa sainte

volonté, plus aussi on aime le prochain ; on souhaite de lui faire du

bien, et on lui en fait. Saint Paul dit (Rom. 13, 11), que celui qui aime

le prochain garde toute la Loi, et que l'amour du prochain est la

perfection de la Loi : Comment cela ? C'est qu'en aimant le prochain

pour Dieu, l'on aime Dieu, et qu'en aimant Dieu, on accomplit toute

la Loi. Cette vérité devient sensible par l'exemple des grands Saints

dont l’amour extrême pour Dieu fut toujours accompagné d'un

amour extrême pour le prochain : Ce second amour, combien d'entre

eux le signalèrent au prix de leur repos, de leurs biens, de leur vie ? Et

combien n'ont-ils point eu après eux d’imitateurs, de successeurs de

leur charité généreuse ? En effet, quoique les hommes d'une haute

sainteté donnent des marques de leur amour pour Dieu, telles que

sont la prière continuelle, les mortifications de la chair, les

abstinences, les jeûnes, la haine d'eux-mêmes ; néanmoins la solide

preuve, et la seule vraie de leur amour pour Dieu, c'est leur amour

47

constant et général pour le prochain ; ce dernier amour naît de la

même racine que le premier, et il en est absolument inséparable.

Aussi l’Apôtre St Jean dit : Que celui qui aime Dieu, aime le prochain,

c'est comme s'il disait, que celui qui aime Dieu, donne le témoignage

de cet amour qu'il l'aime en aimant le prochain.

De ce principe incontestable, on peut conclure quelle fut la charité de

la Sainte Vierge pour tous les hommes ; elle n'eut point de bornes,

puisque son amour pour Dieu n'en connut point. Cependant

aujourd'hui qu’uelle jouit de la claire vision de son bien-aimé, quels

accroissemens n'a point reçu son amour pour lui, et conséquement

sa charité pour nous ? Elle l’exerça cette charité, tant qu'elle vécut

ici-bas, et elle en commença l'exercice, dès qu'elle eut l'âge de raison.

Comme elle sut qu'un Dieu Sauveur devait descendre sur la terre

pour racheter le genre humain, elle joignait ses humbles vœux et ses

désirs ardents, à ceux des saints Patriarches qui ne cessaient

d'implorer le Ciel, afin d'obtenir la vue de leur libérateur. Rorate Cæli

desuper et nube pluant justum (In S. D. q. 1. 2. Oper. Spir). Sur quoi

Saint Bonaventure, l'Abbé Rupert et plusieurs autres grands Auteurs

font cette réflexion : S'il est très probable que Dieu eut égard aux

instantes prières des Patriarches pour avancer la venue d'un Dieu

Redempteur, on ne peut pas douter que Marie n'ait plus contribué

qu’eux tous ensemble, à cet effet vu qu'elle les surpassait en charité,

qu'elle priait avec plus de mérite qu'eux tous réunis. Elle montra

aussi sa charité universelle en consentant à être la Mère du Sauveur :

elle participa ainsi, autant qu’il était en elle, au rachat de tous les

hommes : Ecce ancilla Domini.

Entre les vertus que pratiqua la sainte Vierge tout le temps qu'elle fut

dans le Temple, sa charité envers ses compagnes fut admirable, dit

Saint Bonaventure (De vita Christi). Ces jeunes vierges n'étaient pas

sans quelques petits défauts de leur âge : Marie par un zéle sage et

48

éclairé pour la gloire de Dieu et pour la perfection de ses Servantes

les avertissait avec une circonspection, et avec une douceur qui les

corrigeait sans les fâcher ; mais son exemple qui les charmait donnait

une grande efficace à ses paroles, et ses ferventes prières pour elles

achevaient ce que ses conseils ni son exemple n'avaient pas fait.

Dans la visite que Marie rendit à sa cousine Elisabeth, elle fit encore

voir sa charité, aussi bien que son humilité ; celle-ci en prevenant son

inférieure, et celle-là en lui rendant tous les services. Non seulement

elle aidait et servait Elisabeth dans les incommodités de sa grossesse

; mais elle lui porta dans son sein le Sauveur qui devait sanctifier

l'enfant et remplir la mère du Saint Esprit. La charité de la Sainte

Vierge lui fit pour lors quitter sa retraite chérie et entreprendre un

voyage pénible en l'état où elle-même se trouvait lui facilita un

chemin très rude lui applanit, pour le dire ainsi les montagnes ;

l’arrêta trois mois entiers dans la maison d'autrui comme une

servante pour les plus bas ministéres : l'occupa plus que jamais à la

prière et à la mortification, pour obtenir les dons céIestes à Elisabeth

et à Jean-Baptiste. Ah! si la première vue de Marie causa la

sanctification de Jean Baptiste, s'écrie St Ambroise, quels Fruits

salutaires n’opéra pas en lui, un séjour de trois mois.

II. quelques uns se flattent d'avoir la vertu de la charité pour le

prochain, dès-là que loin de lui vouloir du mal, ils ne lui souhaitent

que du bien. L'exemple de la Vierge leur apprend que la charité

demande des marques extérieures ; tantôt des paroles, tantôt des

effets selon les diverses occurrences ; paroles de consolation pour les

affligés, ou de conjouissance pour les heureux, secours nécessaires,

bons offices pour ceux qui sont dans le besoin. D'autres donnent des

marques de charité, mais c’est quand il n'en est plus temps et que

l'occasion pressante en est passée, ou bien c'est de mauvaise grâce,

c'est comme par manière d’acquit, c'est qu'il ne leur en coûte guère,

49

ou rien du tout. La charité de la Vierge n'eut aucun de ces défauts, et

eut toutes les perfections contraires. A peine elle apprend de l'Ange

la grossesse d'Elisabeth, qu'elle part de chez elle, et qu'elle traverse

avec hâte les montagnes de la Judée. Et pourquoi tant de hâte,

demande Saint Bonaventure ; c'est, répond ce saint Docteur, que la

charité extrême de Marie ignorait les moindres délais. Malheur,

ajoûte-t-il, à ceux qui sont lents aux œuvres de charité pour le

prochain, ou qui n'y sont prompts que lorsqu'elles sont aisées, et qui

les abandonnent lorsqu'elles sont difficiles. A ces derniers, Marie leur

apprend qu'ils doivent exercer la charité envers le prochain au prix de

ce qui leur est le plus cher, au prix de leur honneur même. Que

pouvait-il y avoir de plus humiliant pour la sainte Vierge, comme

nous l'avons déja remarqué, que la cérémonie de la Purification ?

Cependant pour ne point offenser les femmes immondes et

pécheresses, la charité généreuse sacrifie un privilège d'honneur à

elle seule réservé. Cette même vertu parut encore d'une manière

spéciale aux nôces de Cana, où elle sauva un grand afſront aux

nouveaux mariés à qui le vin avait tout-à-coup manqué au milieu du

repas : elle représente à son Fils cet accident, et Jésus touché de la

charité compatissante de sa Mère, fait un miracle par lequel il cache

aux convives l'indigence de leur hôte. Ceci nous est une leçon pour

avoir égard aux besoins du prochain comme aux notres propres ;

pour ne nous en pas tenir à une compassion stérile, si nous ne

pouvons par nous mêmes subvenir à ses besoins, mais pour les

procurer par nos soins auprès de ceux qui sont en état de le faire :

ceci nous est une leçon pour recourir à notre Seigneur par la prière -

lui demandant le remède aux maux du prochain, qu'il n'est pas en

notre pouvoir de soulager.

III. De la charité de la Sainte Vierge pour ses ennemis

50

La grande preuve de la charité, c'est de faire du bien à ceux qui nous

haïssent et nous veulent du mal (Hom. 2 in Matth.). C'est pour cela

que St Chrysostome dit que rien ne nous rend plus semblables à Dieu

que d'aimer ceux qui nous ont fait du mal, et que de pardonner à

ceux qui nous en veulent (In parad. anim.). Ce degré de charité est

quelque chose de si sublime, ajoute Albert le Grand, que quiconque y

est parvenu, il est parvenu à la souveraine perfection du Chrétien.

Marie nous a donné l'exemple de cette charité héroïque. Il ne peut y

avoir de plus grands ennemis pour une mère que ceux qui ont fait

mourir son fils unique qu'elle aimait sans comparaison plus que sa

vie. La multitude de ses ennemis était innombrable, tous les pêcheurs

en général en étaient, et plus en particuler le peuple de Jerusalem, et

les troupes des Gentils qui étaient dans la ville avec le Président de la

Judée. Tous exécutèrent la Sentence inique de la mort ignomineuse

de la croix contre Jésus Fils de Marie ; les uns par le glaive de la

langue ; Gladio linguæ ; les autres, par leurs conseils sacrilèges, les

autres en trempant leurs mains dans son sang. Or ces ennemis cruels,

Marie se conformant aux dispositions au Sauveur du monde, les

aimait au point qu'elle eût aussi donné pour eux sa vie, si le sacrifice

en eût été nécessaire à leur rédemption : Témoin de leurs calomnies

les plus noires, de leurs insultes les plus outrageantes, de leurs

mépris les plus insolents, de tous les coups terribles, et de toutes les

plaies énormes des instruments du supplice de Jésus , elle avait

compassion et de ses juges furieux, et de ses bourreaux impitoyables

; elle priait pour eux le Père Eternel, et elle le priait avec les désirs les

plus sincères et les plus ardent d'en obtenir leur pardon : Son cœur

était uni de sentiment avec celui de son Fils lequel aimait ses

ennemis jusqu'à s'être lui-même offert pour leur salut : Oblatus est

quia ipse voluit : elle entendit les premières paroles de Jésus attaché

à la croix, lesquelles furent une prière touchante adressée à son Père

en faveur de ses bourreaux moins indignes de pardon parce qu’ils ne

51

savaient ce qu'ils faisaient : Ignosce illis, nesciunt quia faciunt :

Pénétrée de la plus vive douleur au spectacle de son Fils déchiré,

percé de coups, épuisé de sang qui ruisselait de tout son corps, loin

de se laisser abattre le courage, elle demeura ferme inébranlable au

pied de la croix même, toujours soutenue par sa charité envers les

ennemis de son Fils, et ses siens ; charité plus forte que la mort, et

dont le poids l'emporta sur le poids de ses peines propres : Amor

meus, pondus meum.

Hélas ! Nous avons tant de répugnance à pardonner la plus légère

offense qui nous a été faite, et souvent n'est qu'un vain soupçon,

n'est que l'effet de notre imagination : nous portons partout le

souvenir de cette chimère, ou de cette bagatelle, il faut presque

toujours que ce soit le temps seul qui l'efface, et que l'oubli nous

tienne lieu de charité. Vierge incomparable, que n'ai-je une étincelle

de votre amour pour Dieu : j'en aurais à proportion pour mon

prochain, et j'en userais à son égard comme vous fites à l'égard de

vos plus implacables ennemis.

Mais la charité de Marie s'accrut encore par le mystère admirable qui

s'opéra dans le temps qu'elle était au pied de la Croix, où elle joígnait

aux prières de son fils les siennes aussi pour le pardon de tous les

pêcheurs, leurs communs ennemis. Alors Jésus-Christ l’établit la

Mère des Croyants, et les lui recommanda tous d'une manière

autentique dans la personne du Disciple bien-aimé, qui la regarda

désormais comme sa Mère : Et ex illa hora accepit ille in fua. Ô que

cette adoption doit affectionner tous les Chrétiens au service de

Marie ; les Justes qui sont amis de Dieu, afin que sa protection les

conserve dans la grâce, les pécheurs qui sont ennemis de Dieu, afin

que son intercession leur obtienne les moyens efficaces pour en

regagner l'amitié. Marie contracta au pied de la Croix une obligation

étroite de s’intéresser à notre salut, ainsi qu'une mère s'intéresse aux

52

biens de ses enfants ; elle y pria pour les ennemis, pour les bourreaux

de son Fils, elle ne refusera pas aujourd'hui ses prières à ceux qui

implorent son secours pour redevenir ses enfants adoptifs et les

frères de Jésus son Fils.

CHAPITRE VII. De l’obéissance de la Sainte Vierge

Lorsque nous avons parlé de l’amour de Dieu dans le cœur de Marie

était embrasé et d'où naissait sa conformité parfaite à la volonté

divine, nous avons fait entendre en même temps à quel degré de

perfection elle portait l'obéissance dûe à son Créateur. Néanmoins,

comme l'obéissance ne se fait pas seulement connaître en obéissant

à Dieu immédiatement, mais en obéissant encore aux hommes pour

l’amour de lui ; il faut traiter ici de ce second genre d'obéissance que

la Sainte Vierge pratiqua toute sa vie, et que nous devons pratiquer à

son exemple.

Quand l'âme chrétienne obéit à Dieu immédiatement, elle le fait

d'ordinaire sans beaucoup de peine, mais s'agit-il d'obéir à l'homme

pour Dieu, ce n'est plus tout-à-fait cela : la volonté propre se trouve

humiliée, répugne à l'ordre, chicane, se défend. Aussi cette

obéissance, quand elle est prompte et sans réserve, est la preuve la

moins équivoque d'un cœur totalement soumis à la volonté divine.

Venons au plus parfait modèle cette vertu, après Jésus-Christ. La

Sainte Vierge dès sa plus tendre enfance se montrait obéissante à

toutes les volontés de Saint Joachim son père et de Sainte Anne sa

mère. (Livre 7 de Arca.). ll fut révelé à Sainte Mechtilde l'une de ses

plus grandes imitatrices en cette vertu ; qu'il ne lui échappa jamais la

moindre chose qui fût contre le gré de ses parents, et qu'elle était

sans cesse attentive à leurs paroles, à leurs regards pour y obéir

ponctuellement. Retirée dans le Temple, elle observait avec la

53

derniere exactitude tout ce qui lui était ordonné par le Grand Prêtre

qui en avait la direction. (De vita Christi). Aussi Saint Bonaventure dit,

qu’entre les choses qu'elle demandait à Dieu chaque jour, c'était de

lui donner l'esprit d’obéissance aux ordres du Grand Pontife. Depuis

son mariage avec Saint Joseph, encore que sa dignité la mît fort au-

dessus de ce saint Patriarche, elle lui était entièrement soumise

parce qu'elle savait que c'était l'ordre établi de Dieu, que la femme

obéit au mari. La Reine du Ciel et la Mère de Dieu se rendit

obéissante à un simple artisan, et cela non point durant quelques

jours, mais pendant l'espace de trente années. Il est dit de la

vertueuse Sara, que soumise en tout à Abraham son mari, elle

l’accompagnait dans ses voyages, et partageait ses travaux ; qu'elle

lui parlait toujours avec un profond respect, et l'appellait son

Seigneur. Marie en usait d'une manière encore plus parfaite à l’égard

de Saint Joseph dans ces circonstances, le suivant à Nazareth où elle

resta avec lui, l’accompagnant à Bethléem pour y payer le tribut à

César, allant avec lui en Egypte, quoique ce voyage fût long, quoique

ce fut dans un pays étranger, quoique ce fût durant la nuit : Là elle fut

sept ans sous son obéissance, (In Math.) dit St Anselme ; et bien

qu'elle souffrit dans cette terre idolâtre de grandes incommodités,

ainsi que nous l'avons dit, jamais elle ne s'en plaignit à Joseph, jamais

ne lui parla des choses nécessaires qui presque toutes lui manquaient

: Elle se conformait en tout à la volonté de son chaste Epoux, bien

convaincue que lui obéir, c'était obéir à Dieu qui le lui avait donné,

pour être le gardien de l'Enfant Jésus et de sa virginité.

II. Sans doute que c'est une vertu que d’obéir à des Supérieurs qui

sont des hommes de mérite, des hommes sages, modérés, ver'tueux ,

et qui commandent avec douceur. Mais c'est un bien plus haut degré

d'obéissance, dit S. Bonaventure (L. de Grad. Vit.), d'obéir à des

Supérieurs impérieux, bizarres, durs, qui sans aucune raison

54

commandent des choses très pénibles. C'est de cette obéissance que

parle l'Apôtre Saint Pierre (I. Ep. C. 2.) : Serviteurs soyez soumis à vos

maîtres avec toute sorte de révérence, non seulement à ceux qui sont

bons et doux, mais à ceux qui sont rudes et fâcheux. Comme il faut

alors beaucoup de vertu et beaucoup d'amour de Dieu pour se

soumettre de cœur, aussi acquiert-on beaucoup de mérite en le

faisant. La Sainte Vierge obéit de cette sorte à l'Edit d'Auguste,

Empereur et Tyran qui succéda à Jules César, lequel avait usurpé

l'Empire : elle lui obéit en une chose injuste à l'égard du peuple de

Dieu, dont il exigeait un tribut à son ambition, et qu'il forçait à un

voyage pénible pour s'aller faire inscrire sur le régistre. Ainsi Marie

quitta sa demeure de Nazareth, et sur le point d'accoucher, se rendit

avec beaucoup de fatigue à Béthléem. Exemple de l’obéissance dûe

aux Souverains, quels qu’ils soient, de respect et de soumission à

leurs ordres.

III. Ce n'est pas sans mérite qu'un inférieur obéit à un Supérieur dans

les choses qui sont d'obligation ; mais lui obéir dans celles qui ne le

sont pas, c'est une action d'un très grand prix aux yeux de Dieu. Car

alors l’inférieur a de justes raisons qui excuseraient sa répugnance ;

néanmoins par esprit d’obéissance, il veut bien s’asservir à quoi il

n'est pas obligé. C'est à ce sujet que Saint Bernard dit : (Dif. De

pracept.) « La parfaite obéissance ne se borne point à ce que la Loi

commande ; elle s'étend à tout ce que demande la charité, c'est-à-

dire, à tout ce qui plaît davantage à Dieu, et qui édiſie plus le

prochain ; tout cela elle le fait avec courage, avec joie, sans

exception, sans reſtriction ». Le mystère de la Purification de la Vierge

nous offre un exemple de cette obéissance, aussi bien que son

humilité, comme nous l'avons vu, Les termes même de la Loi

exceptaient Marie de l'obligation commune à toutes les femmes de

venir au Temple pour y être purifiées : mais ce privilège elle le

55

convertit en un devoir d'édification pour nous apprendre à respecter

les usages, les coutumes, les cérémonies de l'Eglise. Cet exemple

nous apprend encore à obéir aux Ministres du Seigneur pour la

purification spirituelle de nos âmes, à suivre leurs conseils dans les

choses même de surérogation, afin de nous sanctifier de plus en plus.

Purifiez vos âmes, (1 Petr.) dit l’Apôtre Saint Pierre, par l'obéissance

qui naît, non point de la seule nécessité, mais de la volonté et du

désir de ſaire une chose agréable à Dieu.

Mais comme la Vie de la Sainte Vierge fut une obéissance continuelle

aux ordres du Ciel, et que notre dessein n'est pas de le suivre dans

toutes ses circonstances ; nous passons à l'Acte le plus héroïque de

cette vertu qu'elle exerça au sujet de la Passion et de la Mort de son

Fils. Aucune langue ne peut exprimer combien l'une et l'autre

répugnaient à l'inclination naturelle de Marie mère de Jésus : on peut

encore moins exprimer la douleur qu'elle en ressentit ! Comme son

amour pour un tel Fils fut sans bornes, sa douleur le fut aussi.

Cependant ne doutant point que c'était la volonté du Père éternel

que leur commun Fils souffrît et mourût pour le salut du monde

perdu, elle obéit, et elle mit toute sa volonté dans celle du Très-haut,

imitant en cela le Sauveur : (L. I. de Sens.) Non mea valuntas fiat, sed

tua. Saint Bonaventure dit qu'elle fut si touchée de la Passion et de la

Mort de Notre Seigneur, qne pour lui épargner l'une et l'autre, elle

eût voulu être victime à sa place, si la chose avait été possible. Mais

elle mérita plus alors par sa résignation que par sa disposition à tout

endurer, ajoute ce saint Docteur.

IV. Comment nous devons imiter l’obéissance de la Sainte Vierge

56

Les enfants doivent obéir à leur père et à leur mère, l'épouse à son

mari, le serviteur à son maître, le sujet à son Prince, chaque

particulier à celui qu'il a pris pour guide dans la joie de son salut, le

Religieux à son Supérieur auquel il s’est lié par vœu. De même que

l'on ne peut aimer Dieu sans aimer pour lui le prochain, comme nous

l'avons expliqué, de même on ne peut pratiquer l'obéissance dûe à

Dieu sans obéir à ses Supérieurs, car cette obéïssance est au nombre

des préceptes dont le Seigneur nous a ordonné l'observation. (D. Th.

2. 2. Q. 104). Ces deux obligations, dit S. Thomas, sont tellement

unies l'une à l'autre, que la même habitude qui nous fait obéir à Dieu,

doit aussi nous faire obéir pour Dieu à nos Supérieurs. S. Paul, après

nous avoir avertis d'obéír à nos Supérieurs, nous apporte la raison de

cette obéïssance ; c'est que le pouvoir qu'ils ont de nous commander,

ils le tiennent de Dieu dont ils occupent la place : et par conséquent

leur obéir, c’est obéir à Dieu même. Ensuite l'Apôtre nomme dans le

détail ceux que regarde le précepte de l'obéissance ; les enfants à

l'égard de leur père, les serviteurs à l'égard de leur maître ; la femme

à l'égard du mari : car le mari est le chef de la femme, comme Jésus-

Christ est le chef de l'Eglise ; et de même que l'Eglise est soumise à

Jésus-Christ, aussi la femme doit être soumise au mari en tout ce qui

est licite. S. Paul conclut que désobéir aux Supérieurs, c'est résister à

l’ordre de Dieu, et s'attirer la damnation éternelle.

Au reste tout le bien de l'homme chrétien consiste à connaître la

volonté de Dieu et à l'accomplir. Et il est certain que tout ce

qu'ordonne un Supérieur, quand ce serait le plus méchant des

hommes, et qu'il aurait la plus mauvaise intention du monde, c'et

faire la volonté de Dieu que de lui obéir, dès que la chose qu'il

ordonne n'est point illicite. Or quel plus grand bien pour notre salut

éternel pouvons-nous désirer que celui-là ? Incertains en mille

circonstances, si c'est la volonté divine ou la notre, que nous faisons,

57

nous sommes fixés par la volonté d'un Supérieur, laquelle nous

marque celle de Dieu et assure le mérite de notre action. Quelle

consolation pour nous ! C’est là être conduits, être gouvernés selon

les vues que le Dieu des miséricordes a sur nous, puisque c'est être

conduits et gouvernés par ceux qui tiennent ici -bas sa place. Jésus-

Christ parlant aux Maîtres de la Loi, leur dit (Luc 8) : Celui qui vous

écoute, il m’écoute ; de sorte que ceux au contraire qui refusent

d'obéir aux ordres de leurs Supérieurs, refusent d'obéir à Jésus-

Christ. Lorsque le peuple d'Israël ne voulut pas se laisser gouverner

par Samuël, le Seigneur dit à ce Prophète (I R. 8) : ce n'est pas à vous,

c'est à moi-même qu'ils ne veulent pas obéir.

V. L’obéissance a encore d'autres avantages que de garantir des

illusions de l'amour propre, des erreurs dont l'esprit humain est

toujours capable, et des pièges que le démon ne cesse point de

tendre à la piété. Un homme qui obéit mérite beaucoup en faisant

peu, et plus que s'il faisait beaucoup. On souhaite avec ardeur de

pratiquer de grands actes de vertu par exemple, de servir les malades

les plus dégoûtants dans les Hôpitaux, d'aller à pied en plein hiver, de

parcourir les chaumines de la campagne pour consoler les pauvres

qui les habitent, de mater son corps par les plus rudes macérations :

ces désirs sincères, on les communique à un Supérieur, à un

Confesseur, à un Père spirituel qui ne jugent pas à propos qu'on les

mette en exécution. Alors l'inférieur ou le pénitent soumis méritent

plus par leur obéissance que par toutes les fatigues et toutes les

austérités qui seraient de leur choix : pourquoi cela ? — Parce que

leur obéissance part d'une abnégation parfaite d'eux-mêmes, et est

l’holocauste le plus agréable à Dieu, vu qu'il est celui de la volonré

propre. C'est ainsi qu'en faisant peu, ou même en ne faisant rien

selon les apparences, l'homme obéissant remporte une victoire

complète sur lui-même. Vir obediens loquitur victoriam. Le savant

58

Gerson s'exprime en ces termes, sur ce point si délicat et si essentiel :

Que le Religieux, dit-il, fasse bien attention que Dieu n'a pas besoin

de nos biens, bonorum meorum non egest, et par conséquent, qu'il se

propose cette règle générale de conduite ; c'est à savoir que l'action

ou l'occupation pour lui la meilleure, la plus relevée, la plus utile est

celle qui lui est déterminée par l'obéissance, quelle qu'elle soit

d'ailleurs, pourvu qu'elle ne soit pas un péché. Ce que Gerson dit de

l'état Religieux, doit s'entendre aussi de toute condition, de tout état

dans le monde où l'on a un Supérieur, parce que tout Supérieur

représente la personne de Jésus-Christ. Cette vérité si certaine dans

les règles de la Théologie, fut connue par rêvélation à sainte Brigitte :

elle se livrait à toutes les rigueurs de la pénitence, ainsi qu'à toutes

les autres pratiques de piété. Son Directeur lui défendit pendant un

certain temps une partie de ses pénitences, parce qu’il jugea ce

retranchement nécessaire pour sa santé : la Sainte eu beaucoup de

répugnance à obéir craignant que la santé de son âme n'en souffrit.

Dans cette perplexité la Vierge lui apparut, et lui dit : Si deux

personnes veulent jeûner par dévotion, et que l'une qui ne dépend

que d’elle-même jeûne en effet, elle mérite à proportion de son

jeûne ; et si l'autre, qui est sous l'obéissance, ne jeûne point, parce

que son Supérieur le veut ainsi, elle reçoit une double récompense ;

l'une, parce qu'elle a sincèrement désiré de jeûner, l'autre, parce

qu'elle a renoncé à sa volonté pour obéir. Ce double mérite vient de

ce qu'en obéissant, on fait la volonté de Dieu, et le sacrifice de la

sienne propre.

VI. De l'obéissance parfaite naissent la paix et la tranquillité de l’âme

; la volonté propre étant la source de tout trouble et de toute

inquiétude (D. Ber. 3. De Resur.). Au reste lorsque l'on aime à faire les

choses que l'on sait que Dieu veut, parce qu'elles servent à sa gloire,

et au bien du prochain, et que l'on s'y affectionne par ces motifs, on

59

n'est pas censé faire sa volonté propre, mais celle de Dieu : car alors

la volonté de l’homme n'est qu'une avec celle de Dieu. Mais quand

on fait les choses que l’on doit faire parce qu'elles plaisent et que l'on

y trouve sa satisfaction, on est censé faire sa volonté ; parce que la

volonté de l'homme n'est plus une avec celle de Dieu. C'est cette

volonté propre, continue saint Bernard, qui est la cause de tous nos

troubles et de toutes nos guerres intestines : Qu'il n'y ait point de

volonté propre, ajoute-t-il, et il n'y aura point d'enfer. Or c'est

l’obéissance qui remédie à ce mal si universel de la volonté propre,

qui la mortifie, qui la dompte, qui l’asservit à la volonté d'un

Supérieur, d'un Confesseur, d'un Directeur, et par conséquent à celle

de Dieu. Et l'obéissance est aux yeux de Dieu d'un si grand mérite,

qu'il égale en quelque façon le mérite des Martyrs, selon la pensée

de Thomas à Kempis. Quiconque, dit-il (Kemp. de fid. Disp. Lib. 3. C.

2.), obéit volontiers pour Dieu, à ses Supérieurs, il fait l'action

héroïque d'un brave Soldat de Jésus-Christ : car en obéissant, il

combat contre soi-même ; et avec le glaive de la crainte du Seigneur,

il s'oppose à tous les efforts de la volonté propre, notre plus opiniâtre

ennemie ; il les repousse ; il les surmonte. Il recevra donc avec les

Martyrs de Jésus-Christ la palme d'une gloire immortelle. Mais, outre

cette couronne si glorieuse que l'homme obéissant acquiert pour le

Ciel, la paix du coeur, ce trésor si précieux, est ici-bas son partage,

ainsi que nous en assure le Saint-Esprit (Prov. 1. 30).

Cassien, parlant de ces anciens Moines, dont la haute sainteté,

donnait un si grand lustre à l'Eglise, dit : ”Ils préféraient l’obéissance

à l'Oraison même, à la retraite, au repos de leur cellule, à toutes les

vertus qui n'étaient point de précepte, ni naturel, ni divin, ni de

l'Eglise ; en tout autre chose, ils se soumettaient à quelque perte que

ce fût ; pour ne pécher en quoi que ce soit contre l'obéissance, et

pour que l'avantage leur en restât en son entier. Ainsi, dès que le

60

signal de l'obéissance se faisait entendre à eux, soit pour l'oraison,

soit pour le travail des mains, ou pour quelqu’autre exercice, ils

sortaient de leurs cellules à l'instant, se rendaient à l’endroit où

l'obéissance les appellait ; et cela si ponctuellement, que le premier

son de la cloche leur faisait laisser imparfaite la lettre qu'ils avaient

commencé. Mais encore que ceci regarde particulièrement les

Religieux, il convient aussi aux séculiers qui sont sous l'obéissance

d'autrui, selon leur état, comme nous l'avons expliqué. Car en

obéissant pour Dieu à quelque Supérieur que ce soit, tous les

avantages attachés à l'obéissance, le séculier les a aussi bien que les

Religieux.

CHAPITRE VIII. De la pureté de la Sainte Vierge

Qu'est-ce qui porta Marie à faire vœu de virginité dans des temps

grossiers et charnels,l où cette vertu était inconnue ? Ce fut le désir

de faire en tout ce qui pouvait plaire davantage au Seigneur. Ce désir

généreux fut l'ouvrage de l'inspiration céleste à quoi elle demeura

fidèle, afin que Dieu seul eût toujours la possession de son cœur.

Marie, dit St Anselme (De Excell. B. V. M.), issue de la race illustre de

David, tourna ses pensées dès son bas âge, et ses sentiments à

consacrer au Seigneur son corps et son âme par une virginité

perpétuelle. Pourquoi cela ? Parce qu'elle comprenait que plus cette

vertu serait parfaite en elle, plus elle ressemblerait à son Dieu, qui est

la pureté par exellence. Un surcroît d'étonnement dans le vœu de

Marie, c’est l'estime qu'elle fit de la virginité, malgré les

circonstances où elle se trouvait. Alors les femmes mariées, sans

enfants, et stériles, étaient regardées du peuple avec le dernier

mépris, parce que la stérilité passait pour une malédiction de Dieu ;

et Marie comptait pour rien l’opprobre attaché à l'état dont elle

61

faisait choix. Aussi lorsque l'Ange lui annonça qu’elle serait la Mère

du Très-Haut, elle n'accepta point cette dignité suprême, qu'on ne

l'eût auparant assurée que la maternité divine ne donnerait aucune

atteinte à son vœu. Quelle constance dans le sacrifice qu'elle avait

offert au Seigneur ! Aimer mieux n'être point Reine du Ciel,

Souveraine du monde, Mère de l'Eternel, que d'être infidèle à la

promesse qu'elle lui a jurée, pour lui plaire par le sujet même qui lui

attire le mépris de son siècle! Ô cœur magnanime, s'écrie Saint

Bernard étonné (Serm. 3 De B. V.), cœur plus fiable que la terre, plus

élevé que le Ciel ; C'est un prodige que la constance de la Vierge à

suivre l'inspiration divine pour son vœu de virginité, et à y persister,

malgré l'opprobre qu'elle se prépare aux yeux de sa nation ; pourvu

qu'elle soit agréable à ceux de son Dieu. Mais afin que tous les siècles

sachent combien Dieu est fidèle à récompenser ceux qui le servent,

et qui recherchent sa plus grande gloire, il disposera tellement les

choses, que l'ignominie réservée à Marie à cause de son état de

Vierge, se changera en un honneur infini pour elle. Marie sera Vierge

et féconde tout ensemble ; la malédiction des hommes charnels

qu'elle a genéreusement méprisé, se convertira pour elle en

bénédiction : Elle sera bénie entre les femmes et béni sera à jamais le

fruit de son chaste sein.

II. Dieu se proposa deux choses, en inspirant à Marie de faire un vœu

extraordinaire et inouï dans les temps d'ignorance, de chair, et de

sang où elle vivait. 1. Il voulut que la Vierge le servît avec toute la

perfection possible à une créature qu’il choisissait pour la plus haute

dignité qui fût, et qui sera jamais. 2. Dieu voulut que sa Mère fut un

jour à toute son Eglise un modèle le plus accompli de la pureté, de la

virginité. Dieu régla, disent les saints Docteurs, que Marie serait la

première qui préférerait à tout état celui de la virginité ; afin qu'après

la publication du conseil évangélique dela continence, les Fidéles

62

l'embrassassent à son exemple, et se consacrassent tout à lui, les uns

par le vœu de chasteté, les autres par le vœu de virginité perpétuelle.

La chose est ainsi arrivée : l'Eglise de Jésus-Christ, répandue par tout

le monde, se vit bientôt parée des vertus de la continence et de la

virginité. Tous les saints Docteurs font foi de cette vérité, qu'ils ont

transmis aux siècles futurs.

Saint Athanase, parlant des effets surnaturels que produisit bientôt la

prédication de l'Evangile, dit (L. de Humil. Verb) : « Quel homme au

monde persuada jamais à un autre la vertu de la Virginité ? Au

contraire, tous étaient persuadés qu'il était impossible d'être vierge,

et de corps et d'esprit. Mais c'est notre Sauveur qui a apporté cette

vertu aux hommes, et qui leur en a facilité la pratique : ces hommes,

tels que nous sommes aujourd'hui l'ont observée en toute rigueur

dès leur plus vive jeunesse ; ils en ont fait une profession ouverte ; ils

ont persévéré dans cette vertu, toujours vainqueurs, des révoltes de

la chair, des efforts, du malin esprit, toujours endurant, avec courage

toute sorte de travaux et de peines pour conserver leur première

innocence ». Saint Chrysostome, Saint Ambroise, St Augustin etc.

nous font des peintures charmantes de toutes les parties du monde

où régnait la chasteté et la virginité. En Asie, en Afrique, en Europe,

les villes et les deserts étaient remplis de Fidéles, qui se présentaient

sur la terre, par une pureté sans tâche, la vie des Bienheureux dans le

Ciel. Aussi parmi les autres témoignages innombrables de la vérité de

notre Religion, c'en est un merveilleux, que l'Eglise seule de Jésus-

Christ ait toujours eû tant de personnes de deux sexes, et de tout

âge, qui ont vêcu dans unegrande pureté de corps et d’esprit, et dans

l'état de virginité perpétuelle. Car il est certain qu’il n'y eut qu’il n’y

aura jamais sans la grâce, sans ce secours surnaturel de Dieu, aucune

vertu parfaite, et bien moins encore que toute autre, celle d'une

parfaite pureté jugée même impossible dans tous les siècles qui ont

63

précédé la prédication de l'Evangile. Que si avant nos heureux temps,

quelques uns ont pratiqué en partie cette vertu, le nombre en fut

très petit et le secours pour cela nécessaire, ils le reçurent par la foi

en Jésus-Christ, qu’ils croyaient fermement devoir venir un jour

convertir et sauver les hommes, au prix de son propre sang et de sa

vie. « Entre les dons singuliers dont Jésus-Christ favorisa son Eglise,

dit Saint Athanase (In Apol. ad Imperat.) écrivant à l'Empereur

Constance, l'un fut celui de la virginité, laquelle est une image vivante

de la pureté des esprits célestes ; et les personnes qui vivent dans cet

état, sont appellées les épouses de Jésus-Christ. Les Gentils sont

frappés d'étonnement lorsqu'ils voyent reluire parmi nous cette

vertu ; parce que ce conseil évangélique ne s'est jamais observé par

aucune nation de l'univers, ni sous aucune autre Loi que celle de

l'Evangile. Grande preuve qu'où se trouve la pureté de cœur, là se

trouve la vraie Religion ». Saint Chrysostome dit à peu près les

mêmes choses (In Paul ad Rom.) : « Il s'est trouvé des hommes, mais

en plus petit nombre que l'on ne dit, qu'un esprit de philosophie a

élevé jusqu'au mépris des richesses : mais nul n'est parvenu à la vertu

de la virginité. C’est par cette vertu que le Chrétien paraît une

merveille, un prodige aux yeux des Gentils ». Or de cette merveille,

de ce prodige, après Dieu, nous en sommes redevables à Marie, qui

la première des créatures donna l'exemple au monde, d'une virginité

perpétuelle, d'une vertu qui fait la gloire et l'ornement de l'Eglise de

Jésus-Christ, qui équivaut au martyre, qui est une sorte de martyre

elle-même.

III. Dieu nous dit d'être saints comme il est saint : nous devons donc

travailler à nous faire des saints, quoique toute la sainteté que nous

pouvons acquérir avec la grâce, ne soit rien comparée à celle de Dieu,

laquelle est infinie. De même à proportion, quoique la pureté de

Marie soit si parfaite et si ineffable, il ſaut que fidèles et enfants dans

64

la nouvelle alliance, nous essayions de l'imiter selon la mesure de la

grâce qui nous est préparée à chacun dans notre état. On l’imitera

par une attention extrême à se défendre de tout ce qui peut au

dehors blesser cette vertu par une résistance et prompte et

généreuse à toute pensée, à tout désir qui lui est contraire, par une

grande estime et par un grand amour pour une vertu qui nous rend si

semblables à Dieu, et à sa sainte Mère.

Dans l'âge ou dans la situation libre de choisir un état de vie, si Dieu

vous inspire le dessein d'observer, soit dans le cloître, soit dans le

monde, une chasteté perpétuelle, ne rejettez point cette inspiration ;

et ne vous hâtez pas non plus de faire un vœu sur le champ. D’abord

remerciez Dieu de la bonne pensée qu'il vous donne ; priez-le chaque

jour de vous déclarer davantage, sa très sainte volonté, et de vous

mettre dans la voie où vous le pouvez mieux servir. Mais encore que

vous consultiez le Seigneur, prenez aussi conseil d'un Confesseur,

d'un Directeur habile, sage, homme de bien, désintéressé. Si l’effet

de l'inspiration subsiste, et que le conseil du Directeur s'y trouve

conforme, alors on peut embrasser sans crainte l'état dont le choix

paraît inspiré, et faire vœu de chasteté. Cependant on doit ici

mûrement examiner, peser de sens toutes choses ; de peur que l'on

ne prenne et que l'on ne donne à un Directeur pour inspiration, ce

qui ne l'est pas et de peur que l'on ne s'engage dans un état de

perfection sans y être appellé, et qu'après avoir mis la main à la

charrue, on ne regarde derrière soi, et l'on n’abandonne tout à fait

l'ouvrage commencé.

Ceux qui suivant l'attrait de la grâce vivent dans l'état de chasteté

perpétuelle, doivent spécialement imiter l'exemple de la sainte

Vierge. Il faut qu'ils évitent comme un monstre affreux tout ce qui

peut en quelque sorte souiller leur âme, toute occasion de pensée,

de désir, de sentiment contre l'honnêteté : il faut qu'ils

65

s'entretiennent dans l'exercice de la prière, de la méditation, de la

mortification des sens. Mais comme c'est une obligation générale

d'être chaste selon tout état de vie, que l'on s'applique à comprendre

combien il est indigne d'un Chrétien, et quelle injure on fait à la

Majesté divine de transgresser la Loi qu'elle nous a imposée à cet

égard ; alors au mépris de tous les attributs de Dieu, et surtout de

celui d'être un pur esprit, on lui préfére l'appétit brutal d'une masse

de corruption, qui est le corps, pâture destinée aux vers ; on la

contente, cette chair, à la honte de l'âme immortelle qu'en rehausse

la bassesse, au préjudice d'une éternité bienheureuse de l'une et de

l'autre : on foule aux pied l'ordre de Dieu pour obéir à son ennemi

capital et le nôtre, qui est le démon qui ne cherche qu'à nous voir

dans des flammes dévorantes sous sa tyrannie : et d'une autre part,

Dieu, bonté infinie qui nous a aimés d'un amour éternel, qui nous

prépare une gloire immortelle, nous avertit de résister avec son

secours au tyran de nos âmes, lequel nous hait, ne pense et ne veille

qu'à notre damnation. Ah ! Nous savons que notre consentement

donné au péché bannit aussitôt Dieu de notre âme, et y introduit à sa

place le démon : que la grâce est la vie de notre âme, et le péché la

mort ; que l'héritage céleste nous est ravi, et que l'enfer devient

notre partage.

Mais l'énormité de ce même péché croît à l'infini, depuis que le Fils

de Dieu s'est fait homme et est né d'une Vierge ; que par là il a

honoré la nature humaine, qu'il l'a élevée au-dessus de toutes les

choses créées, et nous a communiqué la dignité ineffable d'être ses

frères ; qu'il est comme notre chef, et que nous sommes comme ses

membres ; de cette dignité, de ce haut rang nous tombons, ainfi que

s'exprime Saint Paul, dans la bassesse la plus ignominieuse, d'être les

membres d'une prqſlituée. Ô quelle iniquité quelle horreur ! Quelle

abomina tion! Quelle désolation ! Fuyez-la conclut l'Apôtre, détestez-

66

la ; que son nom même ne soit pas prononcé parmi vous : Nec

nominetu in vubis.

Quoi ! Mon corps, cet amas de corruption est ennobli jusqu'à ce

point, que Dieu dans le sein d'une Vierge se soit fait homme comme

moi ? se soit fait homme pour moi ? Il m'a uni à lui par la foi, par la

grâce, par la charité ; il veut que mon âme soit son temple, sa

demeure où il habite avec complaisance ; c’est pour cela qu'il a traité

si durement son sacré Corps, qu'il l'a livré aux plus grands travaux,

aux plus cruels suplices, à la mort la plus ignominieuse. Ah ! Loin de

moi tous les bas et honteux plaisirs de la chair, toutes les vaines joies

du siécle : que mon corps se conserve sans tâche, et mon âme se

conserve pure. Que mon cœur devienne un sanctuaire de votre saint

amour, ô mon Dieu ! Voilà mon unique désir ; voilà ce que je vous

demanderai sons cesse sous la protection de votre sainte Mère, que

vous nous permettez d'appeler aussi la nôtre : Cor mundum crea in

me, Deus ; créez en moi un cœur pur, ô mon Dieu.

CHAPITRE IX. De l'amour de la Sainte Vierge pour la retraite.

Que nous servirait d'estimer la chasteté, si nous n'étions pas en

même temps résolus d'user de tous les moyens nécessaires pour

l'acquérir et pour la conserver ? Bien qu'une grâce surabondante et

une assistance singulière de Dieu missent la Sainte Vierge à l'abri de

tous les écueils de cette vertu, elle menait néanmoins une vie très

retirée, et ne paraissait en public que dans une nécessité absolue ;

que pour la plus grande gloire de Dieu, que pour le service du

prochain : ensuite, fuyant le commerce contagieux du monde, elle se

rendait à sa solitude qui lui était toujours chère. C’est ce que signifie

le Prophète Isaïe, lorsqu'il dit : Une Vierge concevra ; il s'exprime ici

par un terme hébraïque, lequel, selon Saint Jerôme (In Is.), ne

67

marque pas simplement une Vierge, mais une Vierge retirée, une

Vierge qui aime la retraite. Aussi lorsque l'Ange salue Marie, il la

trouve seule, dans un réduit écarté, et en oraison. Saint Luc dit, que

lorsque Marie alla visiter sa cousine Elisabeth, elle y alla en grande

hâte. Quoique cette diligence fût une marque de sa charité vive pour

le prochain, ainsi que nous l'avons dit, elle fut la marque aussi du

désir de regagner promptement sa solitude, que la nécessité seule lui

faisait quitter. C'est la réfléxion de Saint Ambroise sur ces paroles :

Abiit cum festinatione. L’Evangeliste Saint Luc nous indique assez le

vrai amour de Marie pour la retraite et son éloignement du monde.

La Vierge, dit-il, alla visiter sa cousine Elisabeth, grosse de dix mois ;

et environ trois mois après, Elisabeth étant prête d'accoucher, Marie

s'en retourna à Nazareth. C'est là nous faire entendre pourquoi elle

n’attendit pas le temps de l'accouchement de sa cousine. La raison en

effet de son départ anticipé, ce fut que les voisins et les parents

d’Elisabeth devaient se trouver en grand nombre à la naissance de

Jean-Baptiste, cet enfant de miracle. Afin d'éviter ce concours

tumultueux, elle précipita ſon retour, suivant son attrait pour la

retraite : Abiit cum festinatione.

Tout le temps que la Vierge passa dans le Temple, dit sainte Brigitte

dans ses Révélations, elle se refusa à tout objet terrestre, quelque

permis qu'il fût, à tout entretien avec les personnes de sa

connaissance, avec son père et avec sa mère, autant que les lois de la

bienséance pouvaient autoriser cette retenue austère. Après avoir

épousé Saint Joseph, elle garda la même conduite, selon les régles du

nouvel état où elle se trouvait. Cette fuite du monde fut une des

raisons pourquoi elle se troubla à la vue de l'Ange Gabriel, avant

qu'elle sût que c'était un envoyé du Ciel. Car bien que les Anges lui

rendissent de fréquentes visites, ils ne lui apparaissaient pas sous une

figure humaine, et ils ne lui avaient pas tenu de pareils discours.

68

Craignant donc que l’Envoyé visible du Seigneur ne fût un homme

ordinaire, objet étranger à ses yeux et dans sa solitude, elle éprouva

une surprise qui naissait d'une pureté plus qu’angélique. Saint

Jerôme écrivant à la Vierge Eustochium, dit : Représentez-vous Marie

lorsque l'Ange Gabrel lui apparut sous la figure d'un homme ; elle

s'étonna, elle se troubla ; pourquoi ? Parce que jamais homme ne

l'avoir saluée. St Bernard dit de ce même trouble de Marie (Homil. 3

in B. Virg) : C'est la coutume des Vierges qui sont véritablement

Vierges, de sentir en ces rencontres une sainte alarme, et de ne se

pas calmer si aisément ; elles craignent même où il n'y a rien à

craindre ; ainsi, lorsqu'il arrive quelque chose de nouveau, quelque

chose d'inopiné , elles y appréhendent quelque illusion contraire à la

pudeur : de cette sorte , Marie ressentit une impression de crainte ;

mais d'un crainte accompagnée d'une force d'une confiance

inébranlable dans son devoir.

II. L'esprit de retraite que nous devons admirer dans Marie, est

nécessaire à tout Chrétien selon son état, pour conserver le précieux

trésor de la chasteté. Mais il convient spécialement aux personnes du

sexe, et plus encore aux Vierges de ne point paraître dans le monde,

sans une nécessité réelle, sans quelque fin honnête. Les saintes

Lettres autorisent un aussi sage avis lorsqu’elles rapportent le grand

mal qui s'ensuivit de la curiosité de Dina, fille de Jacob, laquelle sortit

le sa maison pour voir les femmes de la Ville de Sichem. Cette sortie

fut l'occasion de son deshonneur, du crime de ses frères, et des

habitans de Sichem. Mais l’avertissement que nous donnons ici aux

personnes du sexe, ne leur est pas tellement propre, qu'il ne regarcle

point aussi les hommes : ils ne doivent pas se répandre tant au

dehors, et encore moins se livrer à des amusemens frivoles, à de

vaines curiosités. Sans doute que l'on ne peut se dispenser d’un

commerce fréquent avec les hommes, pour des raisons légitimes,

69

nécessaires même ; mais en ces circonstances, bien que le corps soit

en quelque façon dissipé, il ſaut que l'esprit soit recueilli, qu'il veille à

la garde des sens, surtout à celle des yeux, par où la mort entre dans

l'âme, lorsqu'on leur laisse la liberté des regards sur les objets qui se

présentent ? De là les mauvaises pensées, les désirs défendus, et

enfin la perte de la-vertu, qui fait la gloire de la loi nouvelle. Cette

vigilance continnuelle, les saintes Lettres nous la recommandent en

mille endroits. Prétendez-vous qu'il n'y a point pour vous de danger à

craindre en cette matière ? Ce serait prétendre être formé d'un autre

limon que le reste des hommes ; ce serait prétendre en savoir plus

quela Sagesse éternelle, qui menace d'une chûte certaine, quiconque

ne fuit pas le péril. Pour confondre ici notre présomption ou notre

imprudence, l’Ecriture nous fournit deux exemples des plus grands

Saints de leur temps ; l'un est celui de David, qu'un seul regard

précipite dans un double crime d’adultère et d’homicide ; l'autre

exemple est celui du saint homme Job, lequel avait fait un pacte

inviolable avec ses yeux, pour ne regarder jamais une personne du

sexe : Pepigi fœdus cum ocudis meis etc. il en usait de la sorte, dit

saint Chrysostome sur ce passage ; parce qu'il savait que celui qui par

curiosité regarde une personne du sexe, il est rare, et peut-être

impossible, que son cœur n'en reçoive aucune atteinte. Ensuite ce St

Docteur pour rendre sa proposition plus sensible, fait cette

comparaison : s’il vient à un malade une envie de manger quelque

chose de nuisible, et qu'il surmonte cette envie, il empêche le mal

que lui eût causé cette viande préjudiciable, et guérit plûtôt sa

maladie : mais si pour un peu de plaisir, il mange d'une chose

nuisible, sa maladie augmente, il en meurt peut-être, ou bien il met

un grand obstacle au retour de sa santé ; au lieu qu'il en aurait été

quitte au prix d'une légère peine qu'il lui en eût coûté à réprimer son

envie de manger : de même s'il vient quelque envie de regarder une

personne, et que l'on réprime d’abord cette envie, on se délivre de la

70

peine de la tentation que ce regard aurait causée, et du grand mal

qui pourrait en arriver : au contraire, en se permettant ce regard, il

en coûte pour cette légère satisfaction, une violence extrême à

surmonter l'effort de l'attrait , s'il n'en coûte pas la vie de l'âme.

Saint Chrysostome conclut, qu'étant bien plus facile et plus sûr de

s’interdire d'abord un regard, nous devons user d'un remède si

important, et que Dieu nous a enseigné. Mais comme célèbre

Orateur chrétien prêchait cette morale à une grande affluence de

peuple, il se fait une objection, à laquelle il répond : Quelques-uns

me diront, qu'ils n’éprouvent point de danger à regarder des

personnes du sexe ; je prétens, moi, que cela n'est pas croyable. Saint

Paul, après avoir été ravi au troisième Ciel, sentait la guerre intestine

de la chair, et châtiait son corps pour le soumettre à l'esprit ; tous les

autres Saints éclairés de Dieu ont fait la même chose pour n’être pas

vaincus par les sollicitations de la cupidité ; ils passaient les nuits en

oraison, ils macéraient leurs corps par des jeûnes, par le cilice, par

toutes sortes de rigueurs ; et avec tout cela ils triomphent encore à

peine des assauts de la cupidité. Comment donc serait-il posible

qu'un homme qui se nourrit délicatement, qui a toutes ses aises, qui

mêne une vie oisive, qui ne pense qu'à goûter les divers amusements

du siécle, qui voit sans cesse les personnes du sexe, qui joue, qui

raille, qui plaisante avec elles, à qui l’oraison et la mortification sont

des noms barbares, des termes de cloître ; un homme ainsi désarmé,

comment se défendrait-il contre les désirs déréglés de la chair ? ll est

accoûtumé à s'y abandonner sans retour sur soi, et par conséquent

sans effort : il ne sent plus la guerre intestine de l'homme charnel

entre l’homme spirituel. Telle est la peinture que St Chrysostome fait

de tant de coupables mondains, qui ne reconnaissent point de

regards dangereux, et qui se vantent de n'en recevoir aucune

atteinte. Insensés à qui l'habitude au crime, le fait trouver innocent.

Les personnes du sexe sont en core plus obligées à la garde des yeux

71

parrapport aux hommes, vu que l'honnêteté et la pudeur sont

comme leur appanage. Veillez sur vos yeux leur dit Saint Augustin, et

prenez garde de ne les fixer jamais de propos délibéré sur aucun

homme : ce n’est pas assez d’avoir le cœur pur, il faut aussi que les

yeux soient chastes ; c'est un signe que le cœur ne l'est guère,

lorsqu'on leur laisse trop de liberté. Mais d'ailleurs, c'est un grand

acte de vertu que de retenir ses yeux, lors même qu'il n'y aurait nul

péril : l’inclination naturelle nous porte à la liberté de voir les objets

qui se présentent à nous ; et alors leur refuser nos regards pour

plaire à Dieu, c'est un sacrifice qui lui est bien agréable et d'un grand

mérite pour nous ; c'est une victoire qui sert infiniment à la

conservation et à l'accroissement de la vertu, et qui nous fortifie dans

les occasions imprévues dont nous sommes à tout moment menacés.

III. C'est encore dans ce que l'on nomme le commerce du monde, que

l'amour de Marie pour la retraite, nous est une importante leçon.

Ceux qui aiment une pureté sans tâche, comprendront bien la

conséquence des avertissements que nous leur proposons, et la

conformité qu'ils ont avec les sentimens de leur propre cœur ; les

autres qui n’aspirent pas à la souveraine perfection de cette vertu,

seront peut-être touchés du désir de profiter avec la grâce, de ces

mêmes avertissements.

Il convient également à l'un et à l’autre sexe, de s'interdire avec

courage, toutes conversations, tous commerces, tous usages vains,

inutiles, frivoles et que le monde appelle amusements, sociétés,

compagnies, rendez-vous. Alors le danger est bien plus prochain de

perdre la pureté du cœur, dit St Cyprien (Lib. I Ep.) ; car à la vue des

objets qui en peuvent occasionner la perte, on ajoute une familiarité

à laquelle on prête le nom de politesse, et l'on ôte celui de cajolerie

pour ne point effaroucher. Le risque est ici semblable, continue ce

Père de l'Eglise, à celui d'un vaisseau battu par les vents contraires, et

72

environné d'écueils : le vaisseau se brise ou est submergé, s'il

demeure exposé à l'orage. De même, le salut del'âme est très

hasardé par des atteintes que des discours et des usages tout

mondains lui portent de toutes parts. Dans les occasions, dans les

affaires attachées à l'état ou à l'emploi, disent les Saints, en se

comportant avec précaution, et en demandant à Dieu son secours qui

nous soutient, nous sommes forts contre le péril ; Dieu affaiblit notre

adversaire, et si nous sommes attaqués, nous sortons vainqueurs du

combat. Mais au contraire, si nous hantons les cercles et les

compagnies sans aucune juste raison, ou à pure perte de temps, Dieu

a coutume de retirer pour lors son secours extraordinaire ; nous en

devenons indignes en nous exposant ainsi au danger. C'est ce que

nous fait entendre St Jerôme, écrivant à Nepotien : Ne souffrez point

que les femmes vous rendent chez vous des visites, et ne restez

jamais dans la même maison avec elles ; ne vous rassurez point à cet

égard sur votre vertu acquise : vous n'êtes ni plus saint que David, ni

plus sage que Salomon qui succombèrent. Les saintes Lettres nous

enseignent la même vérité en plusieurs endroits et menacent dela

mort presque toujours certaines de leur âme, les personnes des deux

sexes qui n’évitent pas avec soin selon leur état, tout de tomber dans

le péché, ou par pensée, ou par désir ou par action même.

À la raison du danger, nous en ajoutons une autre ; c’est obligation

de donner bon exemple à notre prochain et de lui ôter autant qu’il

est en nous tout sujet de scandale. Non ce n’est pas assez à des

Chrétiens d‘être chastes dans le cœur, dont l'œil de Dieu est témoin,

ils doivent aussi le paraître en ne se permettant quoi que ce soit qui

puisse faire juger ou soupçonner qu’ils ne le sont pas. Or des

personnes de différent sexe qui se voient tous les jours, et qui ne se

voient que pour des parties de divertissements, de jeu, de

promenades, n’occasionnent-elles pas le soupçon que leur liaison ne

73

pourrait n’être pas dans les règles ? Surtout lorsque leurs manières et

leurs discours ont un certain air de légèreté, qui n'est point celui

d'une exacte bienséance. Ces indices suffient pour fonder une vraie

obligation d'en ôter la cause. Mais cette obligation redouble à l'égard

de ceux qui sont dans l'état de continence, et à l'égard du sexe qui

fait profession d’une pudeur plus austère, parce que le monde malin

les soupçonne plus aisément, parce que leur exemple est plus

préjudiciable, parce que le démon leur livre de plus rudes attaques

pour les faire tomber, pour décrier la vertu et pour autoriserle vice.

Un saint Auteur fait à ce sujet ces réfléxions : Le démon ennemi

irréconciliable de la vertu, dit-il, suggère aux femmes qui vivent dans

le bien, de prier les serviteurs de Dieu de leur rendre souvent des

visites pour les consoler, et pour les diriger dans les voies spirituelles

; et sous ce prétexte honnête, l'esprit de ténèbres cache une illusion

qui ſait quelquefois tomber l'âme dans une infirmité dont elle ne

réléve jamais (Ant. Hom. 18). Cependant, cet avis, continue le même

Auteur, ne condamne pas les visites que dictent la charité, la piété,

les besoins du prochain, ou quelques autres motifs honnêtes. Mais en

ces rencontres, pour être utile aux personnes qui demandent nos

conseils ou notre direction, et pour ôter au monde tout sujet de

scandale ou de soupçon, on doit être fidèle à user des moyens que

voici : Une grande défiance de soi même, une grande sagesse dans

ses paroles, une grande retenue dans tous ses sens, une grande

applica tion à la prière, une mortication continuelle de ses passions,

et un châtiment de son corps semblable à celui de l’Apôtre : Cafligo

corpus meum, et iri servitutem redigo.

CHAPITRE X. De Ia modestie de la Sainte Vierge

74

I. La modestie est une pudeur de l'âme, une retenue qui sert et tend

à régler les sens extérieurs de l'homme. Par exemple, dans l'usage

des yeux, la modestie demande que le regard ne soit point fixe ; si

l'on parle, que ce ne soit point avec des gestes vagues et fréquents,

avec des remuements continuels de tête ; si l'on rit, que ce ne soit ni

avec des éclats qui s'entendent au loin, ni avec des contorsions de

tout le corps ; si l'on marche, que ce soit d'un pas conforme à son

caractère, ou à la qualité de la chose ; si l'on est assis, que ce soit

dans une posture décente. Cette modestie extérieure marque la

disposition de l'âme modérée et retenue. L’habillement, le rire et la

démarche, dit l’Ecclésiaste (Eccl. 19, 27) manifestent le fond de

l'homme : A son aspect, on voit s'il est sage, s'il a du bon sens (Ibid).

Comme les dehors sont la montre du dedans, s’ils sont réglés, c’est

une preuve que sont soumis les passions, et que l'intérieur est dans la

régle. La sainte Vierge fut un modéle achevé de la modestie ; ses sens

extérieurs étaient gouvernés en soi par la raison et par la volonté de

Dieu : toute la représentation de sa personne était honnête, grave et

composée. Dès son bas âge, dit Saint Jean Damascène (De nativ.

Virgin.), sa démarche était tranquille et posée, et annonçait une

prudence consommée dans un corps d'enfant ; avec un certain air de

vertu, elle avait toujours les yeux baissés, à moins que la nécessité ne

les ouvrit, ou qu'elle ne les élevât au Ciel durant la méditation et la

prière. Le saint Prêtre Epiphane, au rapport de Nicephore, dit (Lib. 2)

: La Sainte Vierge était généralement en tout très modeste et très

grave, sans rire jamais, sans jamais se déconcerter, ni se troubler,

sans jeter jamais un regard fixe sur qui que ce soit. Enfin, la modestie

de la Vierge, encore enfant, paraissait à tous les hommes judicieux un

prodige, qui faisait dire que l'on n'avait encore rien vu de pareil : tout

semblait surhumain et céleste en elle : il semblait que le Créateur du

Ciel et de la Terre s'était plû à former une Créature la plus accomplie

de toutes.

75

II. Qui pourrait exprimer la bienséance que la sainte Vierge observa

dans ses discours, et en chaque parole qu'elle dit durant tout le cours

de sa vie ? Il ſallait certes que toutes les vertus concourussent

ensemble en elle, pour avoir cet empire si absolu et si édifiant sur sa

langue. La modestie veut que la voix soit tellement mesurée, que

quand on parle à une personne proche de soi, on le fasse d'un ton

plus bas, avec un air tranquille et serein. La sagesse veut que l'on

attende le temps auquel on doit parler, et que tandis qu'un autre

parle, on ne lui coupe point la parole, on ne l'interrompe point (Eccl.

20). Le sage se tait jusqu’à ce que son temps de parler soit venu : au

lieu que l'homme inconsidéré n'a nul égard au temps. La prudence

avertit qu'il ne faut point être diffus en paroles ; que ce que l'on peut

dire en un mot, ne doit point se dire en plusieurs, et que l'on examine

ce que l'on doit dire avant que de parler. Celui qui parle

inconsidérément, dit le Livre des Proverbes (Ch. 13), tombera dans

plusieurs fautes. La justice apprend à ne rien dire contre le prochain ;

la charité fraternelle à n'être ni fâcheux, ni déplaisant, mais doux et

courtois : l'amour de Dieu demande que tout ce que l'on dit retourne

à sa gloire, et exciter les autres à l’aimer et à le louer. Qu'il ne sorte

pas de votre bouche une parole, dit l'Apôtre aux Ephésiens (4, 29),

qui ne serve à édifier et à aider ceux qui vous écoutent.

(De Instit. Monach.) Saint Basile donne sur cette même matière

quelques avis que voici : Que les paroles vaines et inutiles, qui ne

servent qu'à distraire l’esprit soient bannies de vos conversations ; ne

traitez que de choses qui soient bonnes, propre à édifier et à instruire

; alors même, tenez-vous dans les bornes de la plus exacte

modération, supprimant toutes paroles aigres bien que votre

intention soit de redresser vos frères et de les corriger avec efficace.

Lorsque l'on est plusieurs ensemble, que l'on ne parle point par

signes ; ces manières sont des sources d'ombrages et de soupçons.

76

De toutes ces sages régles de la conversation, la sainte Vierge nous

en a donné d'excellents exemples : Elle aima extrêmement le silence,

mais elle ne manqua jamais à dire ce qui était nécessaire sur ce que

la gloire de Dieu et l'utilité du prochain demandaient. Cependant son

amour d'ailleurs pour le silence faisait qu'elle parlait rarement : nous

ne lisons point dans l'Evangile qu'elle ait parlé plus de sept fois, bien

qu'elle ait parlé davantage, parce que la charité l'y obligeait ; mais

c’est toujours une grande marque qu’elle parlait peu et c'est ce que

les Saints considèrent et imitent en elle. Dès son enfance, dit sainte

Brigitte (Rév. Ch. 10 etc.), elle aima le silence et la retraite afin de

s'entretenir seule avec Dieu le jour et la nuit : elle était très attentive

à s'interdire toute parole hors de propos ; et aussi ne lui en échappa-

t-il pas une seule. Mais après tout, ce silence qui lui était si cher, elle

l'interrompait sitôt que l'occasion de gloriſier Dieu ou de servir le

prochain venait s'offrir à elle. Saint Jean Damascène dans son éloge

de la sainte Vierge, dit (Orat. De Nativ. Virg.) que toutes les paroles

qui sortaient de sa bouche imprimaient la douceur dont son âme

était remplie. Epiphane, cité par Nicephore, dit qu'elle était

l'affabilité même, qu'elle parlait très peu, mais toujours avec sagesse,

et à l'édification de ceux qui l’entendaient. Lorsque l'envoyé du Père

Eternel la salua, la loua, la nomma pleine de grâce, temple du

Seigneur, bénie entre les femmes, bien loin de se flatter de ces

louanges, dans un profond silence elle éleve son cœur à Dieu, pour

savoir de lui ce qu'elle doit dire et ce qu'elle doit faire ; jusqu'à ce que

l'Ange voyant qu'elle se taisait, lui déclare le mystère dont il

s'agissait. Mais écoutons sur ceci le saint Cardinal Damien : La Vierge,

dit-il (Serm. 3 de B.V.), ayant entendu l’Envoyé céleste, observa la

rigueur de son silence accoutumé, et en se taisant elle mérita

d’entendre ce qu'elle ne voulait pas demander : Après que l'Ange lui

eût expliqué le haut mystère de l’lncarnation du Verbe, elle ne dit

que quelques paroles absolument nécessaires, les unes pour marquer

77

le vœu de virginité qu'elle avait fait, les autres pour marquer son

obéissance à la volonté du Seigneur. Aux noces de Cana, dans une

occasion où il semblait qu'elle dût motiver la demande qu'elle fit à

son Fils, elle ne dit que ces paroles : Vinum non habent. Peut-on

représenter en moins de mots la fâcheuse situation où se trouvaient

ceux qui les avaient conviés, et qui allaient recevoir un grand affront

si leur disette eût été brusquement apperçue ? Aussi le docte Abbé

Rubert remarque que le temps du silence pour Marie, fut celui que

son Fils, le Sauveur des hommes, demeura en ce monde. Mais après

que Jésus-Christ fut couronné dans le Ciel d'une gloire immortelle, la

Vierge parla dans les formes, et apprit aux Apôtres les secrets qu'elle

tenait de son Fils et de leur commun Maître : Il était question alors de

la gloire de Dieu, de l'édification de leurs âmes, de leur instruction,

de leur consolation, de les enflammer de l'amour divin.

III. Proposons-nous d’imiter selon notre état l’exemple de la Vierge

dans nos paroles et dans nos actions. La modestie qui règle tout

l'extérieur de l'homme est si expressément recommandée aux fidéles

par l'Apôtre des Gentils : Modestia vestra nota sit omnibus

hominibus, etc. Elle leur est recommandée, et pour l'édification des

autres et pour leur propre salut. En effet, comme l'on ne voit pas

l'interieur, on ne saurait en juger que par l'extérieur ; et si les dehors

sont réglés, on présume aisément que le dedans l'est à proportion.

On loue Dieu d'avoir des serviteurs dignes de lui, des enfants qui

ressemblent, autant que cela se peut, à leur Père céleste. Combien

de Chrétiens par leur seule modestie, sans dire une parole, ont

prêché, persuadé la pénitence à de grands pécheurs. Combien de

Martyrs ont converti par le même attrait, des païens opiniârres ?

C'est ce que rapportent Metaphraste et Surius, entre autres de St

Lucien le Martyr, dont l'extérieur modeste avait fait embrasser à

plusieurs infidéles la foi en Jésus-Christ, qui avait de tels serviteurs. ll

78

faut particulièrement nous appliquer à acquérir la tempérance de la

langue, que la sainte Vierge avait à un degré parfait. Pour cela nous

éviterons de parler beaucoup ; nous éviterons toutes les personnes

qui le font, et toutes les occasions de le faire nous-mêmes. Combien

de péchés se commettent dans le discours ? Combien de mensonges,

de paroles inutiles, oiseuses, vaines, injurieuses, offensantes ?

Combien de médisances, de calomnies, de murmures, de rapports,

d’exagérations, de railleries, de satyres ? De ces péchés et de tant

d'autres de la langue, les uns sont véniels, et les autres sont mortels.

Or, dans cette multitude et dans cette diversité de péchés, n'est-il

pas moralement impossible que l'on ne se rende point coupable de

plusieurs, ou griefs, ou du moins légers ? In multiloquio non deerit

peccatum. C'eſt un oracle du Saint Esprit, qu'en parlant beaucoup, on

ne manque point de pêcher. Ô qu'il importe de travailler à s'acquérir

un empire absolu sur sa langue, pour qu'il n'échape jamais rien qui

puisse blesser le prochain ! Bienheureux, dit l'Ecclésiaste, sont ceux

qui n'ont failli en aucune parole qui soit sortie de leur bouche. C’est

là imiter la Mère du Verbe incarné dans une vertu qui lui ſut

infiniment chère, et le moyen d'attirer sur nous la protection de son

Fils.

IV. Ce n'est pas assez de parler peu, pour imiter l'exemple de la sainte

Vierge et pour éviter les péchés de la langue et parce qu'en parlant

peu, l'on peut encore tomber dans des fautes aussi grièves, et plus

quelquefois que ceux qui parlent beaucoup. Il faut donc être attentif

à ne dire que de bonnes choses, que des choses utiles au prochain, et

qui puissent toutes se rapporter à Dieu, comme à leur unique fin. Il y

a bien des choses purement humaines qu'une forte de nécessité nous

oblige souvent de dire : alors parler avec un bon motif, avec une

intention honnête ; c’est vertu, c’est mérite. Mais à l’égard de mille

autres discours que l'on tient sans aucune nécessité, il faut gagner

79

sur soi de les supprimer, et se faire une habitude d'y substituer des

entretiens dignes de notre état de fidèles, de chrétiens, d'hommes

étrangers sur la terre, de citoyens de la céleste patrie, ainsi que

s'exprime l'Apôtre, non point à des Solitaires, à des Moines, à des

Religieux, mais à des gens du monde. Et au lieu de cent bagatelles,

dont les redites devraient ennuyer tout esprit raisonnable, combien

de matières diverses ne fourniraient point à des entretiens toujours

édifiants ? Les œuvres admirables de Dieu, les faits en tout genre

héroïques de ses Saints, ses bienfaits, ses miséricordes ; les mystères

ineffablesde notre Religion, les exemples des gens de bien dans

toutes les conditions, leurs vertus aussi sévères dans le siécle que

dans le cloître ; les maximes chrétiennes que nous avons lues ou

entendues, enfin nous avons tant de sujets variés et inépuisables

pour ressembler à nos pères les premiers chrétiens et pouvoir dire

comme eux : Nostra conversatio in cælis est.

Nous avons reçu de Dieu l'usage de la langue pour célébrer sa gloire

et les ouvrages de ses mains ; les Cieux et le Firmament nous

apprennent sur cela notre devoir : Cæli enarrant gloriam Dei, et

opera manuum ejus annuntiat firmamentum (Ps. 53). C'est encore

pour faire part aux autres des bonnes pensées et des saints désirs

que le Seigneur Dieu met en nos esprits et en nos cœurs dit

l’Ecclésiastique (Ch. 59) : Dieu m’a donné en récompense de mon

travail, une langue pour le glorifier et pour faire qu'on le glorifie. Dieu

m'a donné une langue, dit Isaïe afin que par mes paroles je soutienne

le faible, et je rélève celui qui est tombé. Puis donc que c'est pour ces

fonctions que le talent de la parole nous a été départi ; n'est-il pas de

la justice, n'est-ce pas une obligation étroite, que nous en disions

conformément à l’intention de notre Créateur ? Comme ce serait un

crime de faire servir à des sages profanes un Temple consacré par un

Evêque, au Culte divin ; aussi la même langue que Dieu a destinée à

80

le louer et à édifier le prochain, nous ne pouvons l’employer à

l'ofſenser, et à faire tort à nos freres, sans nous rendre doublement

criminels au Tribunal de divine Majesté. D'ailleurs, depuis que le

Verbe incarné s'est fait de notre langue comme un passage en nos

âmes dans la participation de son sacré Corps ; cet honneur infini ne

nous oblige-t-il pas assez à conserver notre langue pure de toute

parole indécente, et à n'en faire usage que pour la gloire de notre

bienfaiteur ? Saint Bernard prise ce bienfait et cet honneur à un

point, que ce que l'on nomme bagatelle dans la bouche d'un Séculier,

il le qualifie de blasphème dans la bouche d'un Prêtre ; exagération, il

est vrai, mais exagération qui n'est pas sans quelque fondement, et

que mérite bien la faute sur laquelle elle tombe.

Mais l'amour que nous devons à Dieu est pour nous le motif le plus

pressant de parler des choses qui le regardent : quand on l’aime bien,

on pense volontiers à lui, on s'entretient volontiers avec lui, on parle

volontiers de lui ; la langue suit le cœur, et les paroles suivent les

sentiments, sans que l'on y fasse presque attention. Oui si nous

aimons Dieu comme nous le devons, nous en parlerons sans peine,

nous en parlerons même avec goût, et avec plaisir : en user

autrement, c'est un indice de notre peu d'amour, ou que nous n'en

avons point du tout pour lui. Aussi le Disciple bien-aimé, parlant de

lceux qui enſeignent le mal, dit : lls sont du monde, et pour cela ils

parlent du monde, c'eſt-à-dire, qu'ils sont du monde, et qu'ainsi s’ils

parlent des choses du monde, que les mondains comme eux

écoutent très volontiers. Mais, nous amis de Dieu et ses enfants,

nous parlons de lui, et nous sommes écoutés de ceux qui sont

comme nous.

(In memor. S.S.) Il est rapporté de sainte Colombe, Vierge et Martyre,

qu'elle avait un si grand amour pour Dieu, qu'elle s'en sentait le cœur

transpercé comme d'une flèche, dont la blessure ne se guérirait que

81

lorsqu'elle verrait dans le Ciel celui qu'elle aimait uniquement : et

une preuve entre les autres, de cet amour, dit saint Euloge, c'est

qu'elle évitait avec soin toute parole oiseuse, et ne se plaisait qu'à

parler de Dieu. Tant qu'elle vêcut dans son Monastère, elle rechercha

toujours les religieuses les plus mortifiées et les plus intérieures ; afin

de s'entretenir de Dieu plus librement avec celles dont il était aimé

davantage : certainement c'est l'effet de l’amour de se plaire à parler

de ce que l'on aime. Un laboureur attaché à son état où il s'enrichit,

ne parle que de moisson et de récolte. Un homme uni étroitement à

Dieu, ne parle que des bienfaits dont il nous a comblés, que de la

beauté et du prix de la vertu ; parce que son cœur est où est son

trésor. Ce n'est pas néanmoins que l'on néglige ou que l'on oublie les

choses temporelles qui sont nécessaires ; mais à peine y a t-il apporté

les soins raisonnables qu'elles demandent, que l'on retombe dans le

centre de son cœur, qui est Dieu, et que l'on parle de lui d'une

manière bien plus affectueuse que de toute autre chose. Une âme

qui aime Dieu, dit saint Augustin (In Men.), ne peut penser qu'à lui, et

aux objets qui l'y conduisent ; elle ne sait parler que de lui, tout le

reste lui répugne et la dégoûte ; tout ce qu’elle fait, tout ce qu'elle

dit, se ressent de l'amour divin, et en répand au dehors la douce

odeur. Et en effet, un homme bien affectionné à Dieu n'a pas besoin

pour amusement dans ses peines, ni pour soulagement dans ses

maladies, qu'on lui tienne des discours plaisants ; ils ne servent qu'à

augmenter sa douleur, pourquoi cela ? Parce qu'il ne le aime pas ;

entretenez-le de ce qu'il aime, de ce qu'il désire, de ce qu’il espère,

de l'objet unique de son amour, de Dieu, souverain bien après lequel

il soupire. L'Auteur de la Vie de Ste Catherine de Sienne dit que ses

conversations étaient toutes de Dieu ; et il assure que sans se lasser,

elle eût passée les jours et les nuits à en parler, si elle avait eu des

témoins pour en profiter, et que ces discours, loin de la fatiguer,

étaient un remède qui la fortifiait. On conçoit cela quand on aime

82

bien Dieu, et que ce n'est point une gêne, mais une douceur, mais un

plaisir que d'en parler, surtout lorsqu'il ne s'agit point de choses si

sublimes, mais de choses faciles et communes qui ne demandent

point de contention d'esprit. Cependant, quoique parler de Dieu ce

soit le langage des Saints ; il ne ſaut pas blâmer ceux qui par

délassement et par récréation s'entretiennent de quelques autres

matières, pourvu que ce soient de bonnes choses, et qui puissent

être rapportées à Dieu ; autrement ce deront au moins des paroles

oiseuses dont on rendra compte à Jésus-Christ, suivant l’oracle qu'il a

lui-même sur cela prononcé. St Bernard écrivant au Pape Eugène, (De

confid. l. 2) : Lorsque dans la conversation quelqu'un tient des

discours inutiles, on peut quelquefois s'y prêter ; il est néanmoins à

propos de les interrompre, en y substituant des choses solides et

profitables qui mettent fin aux inutilités. Et ailleurs, parlant à ses

Religieux : Mes Frères, dit-il, je sens dans l’âme une vraie douleur,

quand j'en vois quelques uns parmi vous si enclins à rire, à parler de

choses vaines et à plaisanter : je crains que ce ne soient des ingrats

envers les bienfaits et les miséricordes du Seigneur ; que cette

conduite ne leur attire enfin la soustraction de sa divine grâce : pour

ce qui est des autres qui se laissent aller à des plaintes, à des

murmures, à des impatiences ils ne sont pas seulement des ingrats

envers la bonté du Seigneur, mais ils l’offensent ; mais ils l'outragent.

Tout ceci est de saint Bernard : Quant à ce qu'il dit, qu'il faut couper

le fil aux vains propos pour leur en substituer d'autres qui soient

utiles : il est à remarquer que cela se doit faire avec le sel de la

discrétion, et à l'égard des personnes d'un caractère à ne pas trouver

fort mauvais qu'on leur ôte ainsi la parole. Car s'il y a de grands

inconvénients à les interrompre précisément pour les inutilités qu'ils

disent, il vaut mieux alors se taire, élever son cœur à Dieu, compatir à

la faiblesse humaine en secret, demander au Père céleste qu'il nous

délivre de toutes nos misères. C'est ce que faisait un saint homme en

83

pareilles circonstances : Ô mon Jésus, disait-il avec saint Augustin,

quand est-ce que tous nos procédés seront conformes à votre sainte

volonté ? Pour en venir là, il ne faut qu’imiter, autant que nous

pouvons, la sainte Vierge, notre modèle après Jésus-Christ : alors tout

notre extérieur reglé par des principes intérieurs, tournera à la gloire

de Dieu, à l’utilité du prochain, et à notre propre bien.

CHAPITRE XI. De la pauvreté volontaire de la sainte Vierge.

I. Celui-là est véritablement pauvre qui manque du nécessaire pour

vivre et pour se vêtir : mais si bien loin d'aimer la pauvreté où il se

trouve, il désire d'avoir tout ce qui lui manque, sa pauvreté est

appelée une nécessité et non point une vertu. Que si pour subvenir à

sa misère, il ne fait rien qui ne soit dans l'ordre, son état peut servir à

son salut et se nommer une vertu de pauvreté nécessaire, mais non

point une pauvreté volontaire ; enfin, si le même homme, sans

désirer de biens qu'il n'a pas, aime son état et content de sa

pauvreté, se borne précisément au nécessaire, s'en retranche même

quelque chose sans péril de sa vie, ou sans un détriment notable de

santé, sa pauvreté alors est une vertu, elle est une pauvreté

volontaire. La vraie et parſaite pauvreté, dit Albert le grand (In Parad.

anim. c. 5), c'est de renoncer volontairement pour Dieu à toutes les

choses temporelles, c'est de n'avoir que le pur nécessaire, et de s'en

retrancher quequefois pour Dieu ; car, où le nécessaire se trouve en

entier, là ne se trouve point la pauvreté ; et qui ne veut pas souffrir

que rien lui manque, ne saurait être apelé amateur de la pauvreté.

Voilà le caractère de la pauvreté évangélique que Jésus-Christ

conseilla à un jeune homme riche. Allez, vendez tout ce que vous

avez, donnez-le aux pauvres, et me suivez. Telle est la pauvreté

d'esprit, dit Saint Basile : car les vrais pauvres d'esprit sont ceux qui

84

par choix, et de leur plein gré, se font pauvres. Cette vertu de la

pauvreté a plusieurs degrés, ainsi qu'en ont toutes les autres vertus

chrétiennes ; et plus on se refuse du nécessaire, autant qui est

permis, par amour pour la pauvreté, plus on est parfaitement pauvre.

Lorsque par choix, comme font tous les Religieux, on a embrassé

l'état de pauvreté et que l'on veut après cela que rien ne manque ;

on n'a pas la vertu de la pauvreté volontaire, laquelle est la vraie

pauvreté d'esprit ; on n'a que l'habit et la profession de pauvre. Au

reste, la fin pour laquelle le Sauveur a conseillé la pauvreté d'esprit,

et que doivent se proposer tous ceux qui l'exercent, la voici : c'est

que privés des biens temporels, ils n'y aient plus d'affection ; c'est

qu'ils puissent plus aisément vaquer aux choses du Ciel ; c'est qu'ils

soient plus propres à la vertu, à recevoir les dons célestes, à aimer

purement Dieu, dont l'amour croît en l'âme à mesure qu'elle est plus

vide de tout amour terrestre. Une autre raison, ou une autre fin, pour

laquelle les serviteurs de Dieu doivent chérir la pauvreté, c'est qu'elle

nous rend conformes à Jésus-Christ notre Chef, et à sa sainte Mère,

pauvres par choix.

Marie en effet, nous offre dans toute sa vie des marques de son

amour pour la pauvreté la plus parfaite. Lorsque, suivant les desseins

de l'Eternel, il fut convenable qu’elle se mariat, elle épousa un

homme juste, qui descendait à la vérité du Sang royal de David mais

qui était lui-même un artisan lequel vivait du travail de ses mains et

un artisan si pauvre qu'il eut besoin du secours continuel de sa chaste

épouse, pour fournir désormais à leur commune subsistance. En

acceptant un époux si pauvre, dit Basile (In Const. Manach), Marie fit

un acte héroïque d’amour pour la pauvreté la plus rigide. A quel

degré en effet ne pratiqua t-elle pas cette vertu dans le mystère et

dans toutes les circonstances de son glorieux enfantement ? Elle sort

de Nazareth avec St Joseph pour obéir à l'ordre d'Auguste : de quoi

85

vit-elle durant le chemin, elle qui peut à peine gagner avec son époux

de quoi subsister dans leur petit domestique ? Arrivée à Bethléem,

où loge t-elle au fond de l'hiver ? Point d'hôtellerie pour elle, pour

une personne en si mauvais état ; tout est occupé ou retenu par des

riches orgueilleux : Marie et Joseph sont des pauvres et le

paraissent ; ils sont revoqués avec mépris. Ainsi contraints de partir

de la ville, ils cherchent le couvert où ils peuvent : une étable

exposée à toutes les injures de l'air, s'offre à leurs regards ; ils s'y

réfugient, incertains de trouver mieux. C'est en ce lieu, retraite

abandonnée à des Pâtres errants dans la campagne, que la Reine des

Anges doit mettre au monde le Fils du Très-Haut ; c'est là qu'elle

l'enveloppe de quelques pauvres langes, et que deux animaux

prêtent leur haleine au nouveau né pour toute ressource contre la

rigueur de la saison ; c'est là qu'elle demeure l'espace de quarante

jours, suivant l'opinion de saint Chrysostome et de plusieurs autres

saints Docteurs.

Mais cette pauvreté extrême ne fut point une pauvreté forcée ; ce

n'eût plus été une vertu ; elle fut une pauvreté volontaire, aimée,

désirée, plus estimée que l’opulence et la magnificence de tous les

Rois de la terre. Le Père Eternel l’avait ainsi ordonné, parce que cela

convenait à son Fils unique pour enseigner aux hommes par son

exemple, le mépris des richesses ; et la Mère d'un tel Fils devait elle-

même observer la plus étroite pauvreté, afin de seconder de sa part

les desseins de l’Eternel sur cet article.

II. Voici de nouveaux traits de la pauvreté évangélique de la Sainte

Vierge. L’offrande qu'elle présenta au Temple quarante jours après la

naissance de Jésus, fut une Colombe ou une Tourtetelle : c'était

l’offrande des pauvres que la Loi dispensait d'une autre plus

considérable et propre des riches, des gens à leur aise. Certainement,

si Marie eût le moyen d'acheter un agneau, elle n'aurait pas usé

86

d'une dispense, laquelle devenait en cette occasion une indigence

simulée ; et ailleurs dans tout le reste elle observa toujours la Loi

avec la dernière ponctualité. Ainsi cette action de la Sainte Vierge ſut

l'effet d'une pauvreté volontaire ; lors qu'elle avait reçu des Rois

Mages pouvant plus que suffire à l’offrande convenable aux riches :

mais ce présent, dit Saint Bonaventure (In vita Christi), passait

bientôt de ses mains dans celles de Saint Joseph, afin d'être distribué

aux pauvres : en sorte que se retrouvant dans la première indigence,

l'offrande se réduisit par nécessité à deux tourterelles, l'une pour

l'enfant et l'autre pour la Mère. Car c'est le caractère des vrais

pauvres d'esprit de se priver, autant qu'il est permis et possible de

tout ce qu'ils ont et de le donner aux pauvres suivant le conseil de

Jésus-Christ : Da pauperibus.

Après la solennité de la Purification, un Ange apparut la nuit à Saint

Joseph, et lui dit : Prenez l'Enfant et avec la Mère fuyez en Egypte

(Matth. 2, 2). Dans ce départ brusque, remarque Cajetan, Marie

n'exerça pas seulement la vertu de l'obéissance, elle exerça aussi

celle de la pauvreté. En effet, la prompte exécution d'un ordre si

précis pour des personnes très mal aisées, et leur marche de près de

deux mois font assez connaître qu'ils eurent à soutenir les plus rudes

épreuves de la pauvreté ; or, cette extrême pauvreté ne les

abandonna pas au terme, ni durant les sept années qu'ils y restèrent.

Là, comme des étrangers, ils trouvaient encore moins que jamais à

travailler pour avoir de quoi subsister, ils manquaient de tant de

choses nécessaires, que leur indigence présente était une fidèle

peinture de celle qu’ils avaient souffert dans l'étable de Bethléem.

Dieu sans doute pouvait suppléer par tout à leurs besoins extrêmes,

mais il avait réglé qu'il en arrivât autrement, il envoyait au monde

perdu son Fils Bien-aimé afin qu'il le rachetât, et qu'il le rachetât

d’une manière surabondante par tous les genres de souffrances. Dieu

87

voulait aussi ménager à la Vierge ce bienfait parmi tous les autres ;

savoir qu'elle eût occasion de pratiquer la vertu de la pauvreté qui lui

était si chère et par là de croître en mérites à ses yeux.

Lorsque notre Seigneur eût quitté la terre pour monter au Ciel, Marie

continua de vivre dans une aussi grande pauvreté qu'auparavant.

Jésus son Fils l'avait recommandé au Disciple bien-aimé, lequel était

très pauvre, ayant tout quitté comme les autres Apôtres, pour suivre

le chemin de la Croix, ce n'est pas que le Sauveur ne pût

recommander sa Mère à quelqu'un de ses Disciples, comme par

exemple à Joseph d’Arimathie, qui était en état de lui fournir de quoi

vivre commodément, se vêtir et se loger à proportion. Mais il choisit

Saint Jean pour entrer dans les vues de Marie, laquelle aimait la

pauvreté et voulait la pratiquer, ainsi que son Fils, jusqu’à la fin de

ses jours. Aussi ne vivait-elle que des aumônes que recueillait Saint

Jean qui ne possédait rien en propre. C'est la remarque de saint

Augustin sur l'Evangile, où il est dit : Accepit eam discipulus in sua. Il

la reçut, dit ce Père, non pour partager avec elle, ses biens, il n'en

avait point ; mais il la reçut pour la servir et pour lui procurer les

choses nécessaires par le moyen de la charité des fidèles. Le Cénacle

était sa demeure ordinaire ; sa nourriture était très peu de choses,

conformément au besoin très médiocre qu'en pouvait avoir un corps

qui participait à l'abondance des dons et des consolations célestes

dont son âme était remplie. Dès son enfance, dit saint Ambroise, sa

vie était un jeûne perpétuel. De quoi vivait-elle donc quand elle eût

conçû l'Auteur même de la grâce dans ses chastes flancs ? Après la

venue du Saint-Esprit, et au commencement de la prédication de

l'Evangile dans Jérusalem, les fidèles vendaient tout ce qu'ils

possédaient et en apportaient l'argent aux pieds des Apôtres qui le

distribuaient aux pauvres, surtout aux pauvres veuves. Or, c’était de

ces aumônes qu'il revenait le pur nécessaire à la sainte Vierge, par les

88

soins de saint Jean, disent le vénérable Bède et le docte Abbé Ruper

et plusieurs autres. Enfin, il est certain que tout le temps que vécut la

sainte Vierge depuis l'Ascension, elle fut aux Apôtres et à tous les

Fidéles un exemple de toutes les vertus le plus parfaites ; un modéle

de la pauvreté évangelique, jusqu'où elle peut être pratiquée lorsque

l'on vit encore ici bas dans un corps mortel.

III. Il faut que chacun de nous imite selon son état la pauvreté de la

sainte Vierge. Ceux qui possédent des biens temporels doivent

l'imiter en méprisant ces mêmes biens, en ne les aimant point

désordonnément, en les regardant tels qu'ils sont, comme des choses

viles, puisqu'ils durent peu, puisqu'ils ne font point que l'homme en

soit plus grand aux yeux de Dieu, puisque Dieu donne l'abondance de

ces biens aux pécheurs et aux infidèles pour qui l'enfer est préparé.

Le mépris des richesses se connait à ces marques : si pour les

acquérir ou bien pour les conserver, on n'use jamais d'aucun moyen

qui soit illicite, on les emploie libéralement, non point en vanités, en

superfluités mondaines mais en aumônes pour subvenir aux

nécessités du prochain ; si la perte de ces richesses par quelque voie

qu'elle arrive ne trouble point la paix de l'âme, et si l'on se résigne

alors avec douceur à la volonté divine. Posséder ainsi les biens de la

terre sans attache, c'est comme les mépriser, c'est participer en

quelque sorte à la pauvreté volontaire suivant ces paroles du

Prophète Royal (Ps. 6) : Si vous êtes dans l'abondance des richesses,

n'y attachez point votre cœur.

Les pauvres par nécessité, soit qu'ils soient nés tels, soit que leurs

biens se soient dissipés ou leur aient été enlevés, peuvent sans

offenser le Seigneur, travailler à se faire par des voies légitimes, une

condition plus avantageuse. Néanmoins, s'ils ont le courage d'aspirer

au mérite de la pauvreté volontaire, ils doivent d'abord se proposer

celle de la sainte Vierge, par une acceptation libre de leur état et s'en

89

contenter. Bornons-nous au nécessaire pour la vie et pour le

vêtement et ne souhaitons rien davantage, dit l'Apôtre saint Paul :

Ceux qui prétendent devenir riches, tombent dans la tentation, dans

les pièges du démon, dans plusieurs désirs nuisibles qui les

conduisent à la mort et à la damnation éternelle. L'homme chrétien

au contraire, qui embrasse de bon cœur la pauvreté, la mendicité

même, et qui se soumet ainsi que le Lazare, à la volonté de Dieu ; ce

pauvre, dis-je, ce mendiant est compris dans le nombre des pauvres

d'esprit et participe à la béatitude dont l'Evangile parle ; Beati

pauperes spiritu, etc.

Ceux qui ayant des biens dans le siècle, ou qui peuvent en avoir, sont

apellés de Dieu à laisser tout, à se faire pauvres pour Jésus-Christ, à

vivre et à mourir dans le Cloître ; qu'ils ne négligent pas de suivre leur

vocation, après l’avoir mûrement examiné si elle vient du Ciel. Car

quoique ce soit une vertu de mépriser les richesses dont on a la

possession, et d'en faire un bon usage ; il est certain, après tout, que

celui qui possédant ou pouvant posséder ces mêmes richesses, y

renonce effectivement, il fait encore beaucoup mieux ; et cet

abandon réel est un moyen très efficace pour exceller en tout genre

de vertu, et pour arriver à la perfection de l'amour de Dieu. Aussi

cette pauvreté, Jésus-Christ ne l'a prêchée dans son Evangile que

comme un conseil, à cause de son excellence. Le mépris des richesses

et l'amour de la pauvreté sont sans doute beaucoup plus parfaits

dans la séparation vérirable des unes, et dans la profession publique

de l'autre. Au reste, celui qui laisse tout pour Jésus-Christ ne perd

rien du mérite de l’aumône que le Chrétien qui la fait, acquiert : le

premier gagne même davantage par le désir sincère qu'il conserve de

soulager le prochain, si les moyens lui en étaient restés. Personne ne

fait une meilleure aumône ni plus méritoire, que celui qui ne réserve

rien pour soi, dit saint Jérôme (In Vita Hilar.). C'est le degré d'amour

90

pour Dieu qui donne le prix aux choses et l'on a tout abandonné pour

son amour. Que ceux donc qui se sont mis dans un état de pauvreté

pour suivre le conseil de Jésus-Christ, essayent d'imiter l'exemple de

la Sainte Vierge : qu'ils l'aiment cette pauvreté, et qu'ils se plaisent à

en ressentir des effets ; qui'ls se refusent toutes les petites

commodités, quelque chose même du nécessaire, autant que les

forces corporelles le comportent, soit pour le boire, soit pour le

manger, qu'ils choisissent toujours le pire, autant qu'il est en eux,

pour le vêtement, pour l'habitation, pour tout. Si l'obéissance à

laquelle ils sont soumis ne leur permet pas de se retrancher de leurs

besoins, qu'ils se souviennent que l'obéissance vaut mieux que les

sacrifices et qu'alors leurs saints désirs leur tiennent lieu des actes les

plus héroïques de pauvreté, d'abstinences et de jeûnes.

Les promesses que Dieu fait dans l'Ecriture à ceux qui aiment et qui

pratiquent la pauvreté volontaire sont admirahles (Ps. 9). ll a promis

au pauvre qu'il écoutera volontiers sa prière et ses désirs ; (Ps. 65)

qu'il l'admettra à sa table et qu'il lui prodiguera les mets les plus

délicieux, jusqu'à se donner lui-même pour nourriture ; (Is. 25) qu'il le

gardera sous les ailes de sa protection, le défendra contre ses

ennemis et l'en fera triompher ; (Ps. 77) qu'il lui pardonnera ses

péchés et le sauvera. C'est aux pauvres qu'il dit qu'il les a choisis pour

ses amis intimes, pour ses favoris qu'il comble de ses grâces, pour ses

chers enſants, auxquels il communique ses dons les plus singuliers,

qu'il rend riches dans la foi, qu'il fait héritiers du Royaume des Cieux.

O quels avantages n'acquiert point un serviteur de Dieu par l'exercice

d'une pauvreté sainte et volontaire ? Cet exercice guérit l'âme des

grands vices et des moindres péchés, réprime les mauvais penchants

et amortit les passions d'où naissent tous nos désordres… ; Car la

matière et l'aliment des vices, ce sont les commodités de la vie, les

délices, les honneurs du siècle : circonstances attachées aux richesses

91

temporelles. L'or et l'argent dit l’Ecclésiastique (ch. 8), ont été pour

plusieurs l'occasion de leur perte. Au lieu que la pauvreté volontaire

nous ôte toutes les amorces de la volupté et nous dépouille de tous

les titres de l'orgueil (Athan. in vita St Anton.). Ce qui faisait dire à

Saint Antoine, que les démons frémissaient de rage en voyant un

serviteur de Dieu, dans les exercices de la pauvreté volontaire. Oui,

cette pauvreté rend l'homme maître de tous les biens de la terre, de

tous les biens de la grâce, de tous les biens de la gloire ; il devient

maître de tous les biens de la terre, parce qu'en y renonçant de

cœur, il en reçoit de Dieu l'échange en biens spirituels, comme s'il les

possédait tous effectivement. Mon Dieu, dit- il, de toute l'affection

de son cœur, quand toutes les richesses et toutes les grandeurs de

l'Univers seraient à mon choix, je les refuserais pour votre amour qui

mérite seul mon estime ; je viendrais les mettre à vos pieds, ô mon

Sauveur, pour me rendre plus semblable à vous qui nâquites pauvre,

qui vêcûtes et mourûtes pauvre. C'est de cette sorte que les pauvres

d'esprit possédent tous les biens par le sacrifice sincère qu'ils en

offrent à Dieu, par le détachement total, et par leur mépris réel de

ces mêmes biens qu'ils sacrifieraient sans balancer s'ils les avaient. La

pauvreté volontaire que nous enseigne Jésus-Christ est plus riche, dit

Saint Bernard, que ne serait la possession de tous les trésors du

monde, puisque par cette pauvreté l'on acquiert la grâce divine et

l'on achète le Royaume du Ciel.

CHAPITRE XII. De la patience de la Sainte Vierge

I. La patience, dit Saint Augustin (De patient.), est une vertu qui fait

supporter avec tranquillité les maux de la vie quels qu'ils soient ; les

92

persécutions, les injures, l'enlèvement de nos biens, les infirmités, les

maladies, la mort même. Lorsqu'il arrive des choses contraires à

notre volonté, il s'élève en nous des sentiments de tristesse, de

colère, de haine : c'est à la charité d'étouffer cette haine et à la

douceur de réprimer cette colère, et à la patience de régler et de

modérer cette tristesse, de crainte qu'elle ne jette le trouble dans

l'âme et ne la porte à quelque extrémité fâcheuse.

La patience a plusieurs degrés plus parfaits les uns que les autres et

qui se peuvent réduire à trois principaux : Le premier est lorsque l'on

ne désire ni que l'on n'aime et que l'on redoute au contraire les

choses qui font de la peine, mais que l'on supporte néanmoins, plutôt

que de commettre une faute pour s'y soustraire. Ce degré de

patience le plus imparfait de tous est de précepte. Quoi que l'on soit

donc sensible à la peine, à la douleur, à la tristesse, quoique l'on

gémisse quand on est malade et qu'on se plaigne de la violence et de

la durée du mal ; quoique l'on regrette la mort de ses parents, la

perte de quelque bien temporel, et que l'on en poursuive le

recouvrement par tous les moyens imaginables, mais licites ; tout

cela n'empêche point que la vertu de la patience ne subsiste.

Pourquoi ? Je viens d'en dire la raison. C'est que ce n'est point par

des voies non permises, ce n'est point aux dépens de la conscience

que l'on essaye de remédier à ses maux et à ses pertes. Voilà en quoi

consiste le mérite du premier degré de la patience. On nomme

patient, dit Saint Augustin (De patient. c. 1), ceux qui souffrent leurs

maux plutôt que de commettre un péché pour s'en délivrer à ce prix.

Le second degré de la patience, plus parfait que le premier, c’est

d’accepter volontiers ses maux, parce que l'on voit qu'ils viennent de

la main de Dieu, de sa bonté, de sa miséricorde, vu qu'il ne souhaite

jamais que notre bien. Cependant, il faut pour lors user des moyens

propres à la guérison des maux, ou à la réparation des pertes ; s’il y a

93

d’ailleurs obligation de recourir à ces justes ressources, soit pour la

santé, soit pour les biens de fortune. Car en ces circonstances, c’est la

volonté de Dieu que l’on agisse de la sorte.

Le troisième degré de la patience et le plus élevé, c'est que l'homme

chrétien par un grand amour de Dieu, et pour se conformer à Jésus-

Christ crucifié, désire ardernment de souffrir : de-là son

consentement et sa joie, lorsque le temps de la souffrance est arrivé ;

car ce que l'on aime et que l'on souhaite, réjouit lorsqu'on l'obtient.

Saint Paul appelle cette patience, l'un des dons du Saint-Esprit à

savoir, de trouver de la satisfaction et du plaisir dans les peines : Tous

les Apôtres souffraient ainsi : Ibant Apostoli gaudentes à conspectu

conrcilii ; quoniam digni habiti sunt, pro nomine Jesus contumeliam

pati. Les marques qu’un homme est patient, disent Saint

Bonaventure (In Grav. c. 3) et Albert le Grand (In Parad. anim) c'est

de ne se plaindre ni de qui que ce soit, ni de quoi que ce soit ; il ne se

plaint point des hommes qu'il ne regarde que comme les instruments

dont Dieu se sert pour l’éprouver ; il s’excuse encore moins sur son

innocence, et sur l'injustice du tort qu’on lui fait ; à moins que la

charité ou l’équité ne soient intéréssées à sa défense : d’ailleurs, quel

que mal qui lui survienne, il croit se l'être attiré par ses infidélités, et

comme il se remet tout à la honte du Seigneur, il compte que tout

tournera au bien de son âme et de son salut éternel. Une autre

marque d'un homme patient, c'est de taire ses maux et ses peines,

de les couvrir même, comptant que Dieu, à qui seul il veut plaire, les

connaisse : ce n'est pas néanmoins qu'il puisse les cacher à son

Directeur, à son Père spirituel, qui lui doit donner conseil, et pour qui

l'on ne doit avoir rien de caché, par le désir de souffrir sans aucun

secours. Il faut aussi sans doute déclarer ses maladies, ses infirmités

corporelles au médecin du corps, lorsque la nécessité le demande ;

mais on n'en doit point faire part à des amis pour mieux toucher leur

94

compassion par le récit de nos peines. Un homme patient ne

reconnait point d'autre consolateur que Dieu, témoin de ce qu'il

souffre pour son amour.

II. Des peines et des douleurs que souffrit la Sainte Vierge jusqu’au

temps de la Passion de son Fils.

C'est encore de cette vertu d'une patience parfaite que la Ste Vierge

nous donne l'exemple, et pour nous en former quelque idée, voyons

d'abord ce que l'Evangile nous apprend des peines et des douleurs

extrêmes qu'elle endura pendant le cours entier de sa vie. Encore

que l'on ne sache point ses peines depuis son bas âge jusqu'au temps

de l'lncarnation du Sauveur, il n'est pas douteux néanmoins qu'elle

en eut de très grandes. Les souffrances furent toujours comme

l'appanage des âmes chéries de Dieu et qu'il veut enrichir de ses

faveurs les plus singulières. ll est donc plus que vraisemblable, que

son amour pour Marie ne lui épargna pas les épreuves, sitôt que sa

raison fut assez développée pour souffrir avec mérite. N'eût-elle alors

d'autres peines que de voir dans l'affliction son prochain qu'elle

aimait comme elle-même, que de voir les offenses faites à Dieu

qu'elle aimait par dessus toutes choses ? Ces objets étaient bien plus

que suffisants pour lui causer une extrême douleur. Mais venons à ce

que nous fournit sur ce point l'Evangile, après que Marie eut conçu le

Fils de Dieu. Quelle douleur fut la sienne, lorsque Saint Joseph étonné

de sa grossesse, voulut l’abandonner et l’exiler de sa propre Patrie ?

Ce chaste Époux ne soupçonna rien contre la pureté virginale de

Marie et la crut toujours sans tache, quoiqu'il la vît en grossesse.

Mais ne sachant point le mystère qui s'était opéré en elle par la vertu

du Saint-Esprit, il fut saisi néanmoins d'une telle inquiétude, qu'il ne

trouva point d'autre parti à prendre que la retraite. La Vierge ne put

voir l'embarras qui paraissait dans toute la personne du Gardien

fidèle et sage de sa Virginité, sans en ressentir une peine très vive,

95

jusqu'à ce que le mystère céleste eût été par l'Ange à Saint Joseph.

Quelle douleur fut encore celle de la Vierge, de voir le Fils de Dieu,

Jésus naissant manquer de tout, dans une étable au fort de l'hiver,

dans une crèche ? Marie souffrait avec joie ses propres maux ; mais

ce qui regardait son nouveau né digne de tous les hommages, et

abandonné de tout le monde, abandonné de tout secours, causait à

son cœur maternel une douleur qu'elle seule pouvait exprimer.

Quelle fut sa sensibilité lorsque le couteau de la Circoncision fit

couler le sang de son Fils : Cérémonie qui lui représentait vivement

que Jésus devait un jour le verser sur la Croix jusqu'à la dernière

goutte. Quelles fatigues, quelles répugnances ne surmonta point

Marie, lorsque contrainte de se bannir de sa Patrie, elle alla chercher

un asile en Egypte, où elle demeura sept ans parmi des Peuples

inhumains, barbares, idolâtres, livrés à tous les désordres où le

démon était adoré et la Majesté divine foulée aux pieds en tant de

manières ? Quelle peine ne se sentit point Marie, lorsqu'elle sut la

cruauté d'Hérode envers tous les enfans de l'âge à peu près de Jésus,

victimes innocentes des jalouses alarmes de ce Tyran : les

gémissements, les larmes, les cris, la fureur, le désespoir, la rage de

tant de mères, les unes désolées, les autres expirantes, les autres

massacrées avec leurs enfants, se présentaient à son esprit toutes les

images les plus funestes et les plus accablantes. La patience de la

Sainte Vierge fut extraordinaire à ces objets horribles qui s'offraient à

elle avec autant de vivacité que si elle les eût vu de ses yeux. Car elle

n'ignorait pas que c'était son Fils que l'on cherchait dans chacun des

enfants de la domination d'Hérode ; et le massacre de chacun de ces

innocents, elle le regardait comme celui de son propre Fils, à qui seul

on en voulait.

L'absence de Jésus à l'âge de douze ans jeta Marie dans une autre

sorte de peine. Où le chercher ? Où le trouver ? Qu'est-il devenu cet

96

unique objet de son amour ? Quel raison peut lui avoir fait quitter la

maison paternelle ? Déjà trois jours se sont écoulés sans qu'il soit de

retour. Quand le reverrai-je ? Cependant Marie ayant retrouvé son

Fils qui était dans le Temple, elle ne lui marqua sa juste inquiétude

que par ces douces paroles : Mon Fils, votre père et moi, étant en

peine de vous, nous vous cherchions. La Sainte Vierge fut aussi très

touchée de l'emprisonnement et de la mort de Jean-Baptiste ; c'était

le fils de sa cousine Elisabeth ; et lui avait rendu visite lorsqu'il n'était

encore que dans le sein de sa mère, et il y avait été sanctifié par la

médiation de Jésus que Marie portait dans ses chastes flancs. Elle

savait que c'était l’homme le plus parfait et le plus saint qui

jusqu'alors eût paru sur la terre, qu'il était le Précurseur de son Fils,

destiné par le Père Eternel, pour en rendre un témoignage

autentique au monde. La Vierge pouvait-elle, devait-elle refuser des

regrets à un si grand personnage en sainteté, si distingué par son

ministère, si chéri de Dieu et mis à mort pour contenter la fureur

adultère d'une Hérodiade, pour salaire de la danse de la fille sans

pudeur d'une telle mère ? D'une part, la mort du paranymphe du

Sauveur, et de l'autre côté l'injure atroce qui était faite en sa

personne, à la Majesté divine, affligèrent à juste titre la Sainte Vierge

et lui donnèrent lieu d'exercer sa patience.

Durant l'espace de trois ans que le Sauveur prêcha, opérant partout

des miracles, Marie eut ses peines propres, ses fatigues à essuyer.

Elle le suivait dans ses voyages, non point avec l'autorité d'une Mère,

afin qu'on la distinguat, mais avec une humilité plus attentive à la

divine parole pour en profiter. En le suivant accompagnée de

plusieurs saintes femmes, elle entendait sans se plaindre les

blasphèmes que vomissaient contre lui les Scribes et les Pharisiens :

les uns le nommaient Samaritain, les autres le disaient possédé du

démon ; ceux-ci le traitaient d'enchanteur, ceux-là de transgresseur

97

de la Loi , elle entendait les complots qu’ils tramaient pour le perdre :

tantôt ils voulaient le lapider, tantôt ils voulaient le précipiter, tantôt

ils voulaient le livrer aux mains des officiers de César. Un simple

chrétien qui entendrait blasphémer contre Dieu, serait affligé sans

doute de voir ainsi la Majesté divine foulée aux pieds par une vile

créature : Quelle dut donc être l’affliction de Marie, pleine de

religion, de piété, d'amour pour son Dieu et son Fils, lorsqu'elle fut

témoin de tant de blasphèmes contre lui, qu'elle fut témoin de la

cabale des pharisiens qui détournaient tant d'âmes de la voie du salut

qu'il leur enseignait ?

III. Des peines que souffrit la sainte Vierge dans le temps de la

passion de son Fils.

La Passion fit de Jésus-Christ un homme de douleurs, elle fit du cœur

de la sainte Vierge une mer d’afflictions. Ces derniers termes, dont

use un Prophète, n'exagèrent point l'état douloureux de Marie,

lorsqu'elle apprit que son Fils, le Roi de gloire, était livré à la

puissance des ténèbres, lorsqu'elle le vit entouré de gens armés,

garotté, baffoué de la canaille de tout Jérusalem, frappé par une

soldatesque insolente, poursuivi par les clameurs et par les huées

d'une populace en furie, traité de fourbe et de malfaiteur, traîné de

tribunal en tribunal, outragé chez Anne par un cruel soufflet qu'il

reçoit d'un misérable esclave, couvert de crachats au visage dans la

maison de Caiphe, méprisé comme un imbécile chez Hérode qui le

fait revêtir d'une robe blanche, flagellé cruellement et couronné

d'épines chez Pilate, persécuté par un peuple ingrat qui crie à

diverses fois qu'on le crucifie, qu'il soit crucifié et postposé à Barabas,

ce fameux brigand. La sentence d'un juge le plus inique condamne à

la mort ignominieuse de la croix, Jésus de Nazareth appelé Christ, et

un héraut la publie à haute voix cette Sentence : Jésus sort du

prétoire de Pilate, épuisé des tourments qu'il a souffert la nuit

98

entière jusqu'au matin, son visage adorable est couvert de crachats,

son sacré corps est tout déchiré de coups, en cet état il est chargé

d'une si pesante croix qu'il succombe sous le poids, et que de

faiblesse, il tombe le visage contre terre. A tout ce spectacle, dont

Marie est témoin, est-ce exagérer que de dire que son cœur était

comme une mer de tristesse ? Magna est sicut mare contritio tua.

Cependant un redoublement d’affliction lui est encore préparé sur le

Calvaire ; là elle entend les horribles coups de marteau avec lesquels

on enfonce de gros clous dans les mains et dans les pieds adorables

de son Fils : elle le voit ensuite élever en haut avec effort sur la croix,

où il vient d'être attaché, dépouillé de ses vêtemens, tout ruisselant

de sang, placé au milieu de deux insignes scélérats, insulté par les

Pharisiens hypocrites, par les passants, par un des misérables qui

sont à ses côtés. Alors Jésus adresse à son Père ces paroles

touchantes : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous délaissé ? Le

Père Eternel l'avait ainsi réglé, afin que son Fils souffrit tout pour le

salut de l'homme.

Nouveau surcroît de douleur ! La Mère jettant les yeux sur son Fils

réduit aux dernières angoisses, elle vit qu'il la regardait et alors il lui

dit, en lui indiquant Saint Jean : Femme, voilà votre Fils. Et il dit à

Saint Jean : Voilà votre Mère. En ce moment les entrailles de Marie

furent émues de compassion, voyant que son Fils dans les transes les

plus violentes de mort semble oublier sa propre peine, pour la

recommander aux soins du Disciple bien aimé, et que pour ne la

point attendrir davantage, il ne lui donne pas le nom de Mère :

Femme, voilà votre fils. D'un autre côté, la substitution du Disciple à

la place du Maître, du serviteur à la place du Seigneur, du fils de

Zébédée à la place du Fils de Dieu ne cause pas une médiocre

affliction à la sainte Vierge. « Ô amour, s'écrit saint Bernard à ce sujet

(Ser. in Stab.), amour réciproque et extrême. On ne peut exprimer, ni

99

celui du Fils pour sa Mère, ni celui de la Mère pour son Fils ; le Fils

souffre les peines de la Mère et la mère souffre autant qu'il est en

elle les peines de son Fils ». De quel attendrissement ne fut point

saisi le cœur de Marie, lorsque son Fils épuisé de forces, dit ces

paroles : J’ai soif, et qu'au lieu de rafraîchissement, on lui présenta du

vinaigre mêlé de fiel, et qu'ensuite baissant la tête, il dit : Mon Père,

je remets mon esprit entre vos mains, et il expira. Mais le coup de

lance dont son côté fut aussitôt percé par un soldat barbare, perça en

même temps de la douleur la plus vive, l'âme de Marie, témoin de

cette cruauté inouie. Enfin, le corps de Jésus ayant été, oté de la

croix, la Sainte Vierge, en contempla toutes les plaies. Quelle fut alors

sa douleur ! Mais pour surcroît d'affliction, ce précieux dépôt lui fut

bientôt enlevé pour être mis dans un sépulcre, qui la priva de la

consolation de le voir davantage. Au reste, afin de comprendre toute

la douleur dont Marie fut pénétrée au spectacle des tourments de

Jésus, il faudrait comprendre tout l'amour qu'elle eut pour ce Fils. La

douleur croît à mesure de l'amour que l'on porte à la personne qu'on

voit dans la souffrance ; or, la souffrance du Sauveur étant extrême,

la douleur de la sainte Vierge le fut donc aussi. Elle aimait Jésus-

Christ comme son Dieu ; et à cet égard son amour surnaturel excédait

celui de tous les Saints embrasés de la plus ardente charité. Elle

aimait le Sauveur comme son Fils et sous ce rapport son amour

naturel était sans bornes, ainsi qu'un tel Fils méritait : par conséquent

ses peines furent sans bornes ; elles furent plus grandes que celles de

tous les Martyrs, dit St Anselme. « Quelles que cruelles que fussent

les tortures des Martyrs, elles furent en quelque façon légères et

douces, comparées à ce que vous souffrites, Vierge très sainte ». Ce

sont les paroles de ce saint Docteur (De Excel. Virg.). Ces souffrances

lui furent annoncées dans l'Evangile par le Saint vieillard Siméon,

sous la figure d'un glaive dont son âme serait un jour transpercée.

Son Fils sera pour le salut de plusieurs et pour la perte des autres ; il

100

sera en butte aux contradictions, aux injustices des hommes : source

de ses peines, source de sa passion ; par conséquent source de

douleurs pour sa Mère : Gladius pertransit aninam. Aussi les peines

de Marie quelles qu'elles fussent, la touchèrent, mais sans la

surprendre, mais sans l'abbattre ; elle s'y attendait ; elle les souffrit

toutes d'avance jusqu'aux derniers soupirs qu'elle reçut de son Fils

sur le Calvaire.

IV. La Sainte Vierge endura toutes ses peines avec une patience

merveilleuse, parce qu'elle les aimait ; et les aimait, parce qu'elles

venaient de la main de Dieu, parce que c'était sa volonté qu'elle

souffrit ; elle en louait, elle en bénissait le Seigneur ; elle lui en

rendait des actions de grâces, comme d'autant de bienfaits signalés.

Nous avons sur ceci le témoignage de Saint Ignace le Martyr. « La

Sainte Vierge, dit-il (In Ep. ad Joan.) demeurait tranquille et constante

au milieu des persécutions et des afflictions qu'elle eut à souffrir en

cette vie. Bien plus, quelles que fussent ses peines, elle en désira

toujours de plus grandes : c'est en cela qu’elle surpassa les Martyrs

les plus patients et les plus tourmentés. Car la principale chose que

Dieu considère dans ceux qui souffrent, c'est la volonté et le désir ; et

cette volonté et ce désir excédèrent sans comparaison la volonté et

le désir de tous les Martyrs, ainsi que son amour envers Dieu, d'où

naît le désir des souffrances pour sa gloire, excéda le leur, sans

comparaison ». « Tant que la Sainte Vierge vit Notre Seigneur

souffrir, dit St Ildefonse (Serm. de Assumpt.), elle fut plus que

Martyre parce que son cœur ne fut pas moins transpercé d'un glaive

de douleur et l'amour soutint sa douleur avec une patience

invincible ». Dans la circonstance de la mort injuste et violente d'un

Fils, il n'est point de Mère, quelque Sainte qu'elle soit, qui ne montre

au dehors quelques indices de la peine qui la presse intérieurement.

Mais la Sainte Vierge, plongée comme dans une mer de tristesse qui

101

s’environne de tous côtés, ne dit et ne fait rien qui ne montre une

constance à l'épreuve : nulle plainte, nul soupir ne lui échappe : loin

de tomber en défaillance, comme il arrive sous le poids d'une douleur

extrême, la sienne fut plus excessive que celle de toutes les Mères

ensemble dans la dernière désolation, elle la réprime ; elle la retient

par la résignation la plus généreuse à la volonté divine ; elle reste

ferme et inébranlable au pied de la Croix où son Fils couvert de plaies

et d’opprobres est attaché. Cette constance héroïque nous est

exprimée par ces paroles de l'Evangéliste : Stabat juxta crucem.

Marie était là dans la contemplation de la miséricorde infinie du

Seigneur, qui pour donner la vie à de coupables esclaves, souscrivait

à la mort de son Fils unique : Stabat. Elle était là dans l'étonnement

de la justice rigoureuse du Père Eternel, qui pour pardonner à des

pécheurs, n’épargnait pas son propre Fils, la sainteté et l'innocence

même : Stabat. Elle était là sans craindre ni la fureur des Scribes et

des pharisiens, ni l'insolence des soldats, ni les caprices d'une

populace insensée laissant à tous les siècles l’exemple d'une

constance et d'une patience supérieure à toutes les épreuves de

cette vie mortelle : Stabat juxta crucem (De Inflit. Virg.) ». « La Mère

du Seigneur, dit St Ambroise, était debout devant la Croix et

demeurait là intrépide, et tandis que son Fils était attaché à la Croix,

elle se présentait sans crainte à ses persécuteurs ».

Passons à d'autres objets de la patience de Marie. Depuis l'Ascension

de Jésus-Christ au Ciel, depuis la venue du Saint-Esprit sur la terre,

depuis le commencement de la prédication de l'Evangile par les

Apôtres, la Sainte Vierge jusqu'au moment de sa mort souffrit avec

une patience inaltérable des peines continuelles. Le sang répandu de

son Fils, encore tout fumant pour la Rédemption du monde,

n’empêcha pas que la plus grande partie du peuple d'Israël ne rentrât

dans l'infidélité. Triste changement, source de pensées affligeantes

102

pour la Mère du Rédempteur. Ce peuple d'lsraël, nommé par

distinction le peuple de Dieu, son peuple choisi entre toutes les

nations du monde ; ce peuple qui avait pour chefs les patriarches et

pour docteurs les prophètes ; ce peuple qui avait reçu la Loi de Dieu

même, à qui les promesses avaient été faites, de qui Marie

descendait, parmi lequel elle avait été nourrie, élevée, de qui le

Rédempteur même avait pris une forme humaine ; ce peuple presque

entier qui demeura dans les ténèbres, dans l’iniquité, dans l'erreur,

opprimé de calamités, éloigné de son Dieu, condamné des flammes

éternelles. Retour facheux pour le cœur de Marie ! Objets

douloureux, qui lui représentent sans cesse à l'esprit l’inutilité du

sang de son Fils, répandu pour tant de millions de misérables

endurcis dans leur infidélité !

Une nouvelle matière de patience pour la Sainte Vierge, ce fut le long

séjour qu'il lui resta à faire en ce monde ; privée de la céleste patrie,

elle soupirait sans inquiétude, il est vrai, mais néanmoins avec une

vive ardeur d'aller jouir dans le Ciel de la présence et de la compagnie

de son Fils, de contempler face à face la beauté infinie de la Divinité,

de n'avoir plus des yeux que pour voir et admirer la gloire et la

splendeur de son Humanité sacrée : rien ne l'intéressait, ne

l'affectionnait ici-bas, où elle n'usait d'aucune nourriture, qu’autant

qu'il était nécessaire pour se conserver la vie. Mon âme, disait le

Prophète Roi, rejette toute consolation dans les créatures ; je ne me

souviens que de mon Dieu, et je ne me réjouis qu'en lui. Mais avec

combien plus de fondement le disait Marie, qui aimait son Dieu d'un

amour si éclairé, si pur, si parfait ? Les consolations divines qui

naissaient en elle de sa foi, de sa charité, de son espérance, des

fréquentes visites de son Fils et de ses Anges, bien loin de contenter

le désir qu'elle avait de voir clairement la Divinité, enflammaient

davantage ce désir parce que son amour croissait par là d'autant plus

103

: (Prov.13) Et comme l'espérance différée contriste l'âme, Marie

souffrait de ces délais un martyre spirituel, qui lui tirait du cœur de

profonds soupirs et des yeux d'abondantes larmes : Elle persistait

sans doute dans une résignation totale à la divine volonté qu'elle

aimait plus que la sienne propre ; mais cette conformité sans réserve

ne la rendait pas insensible à son martyre ; elle lui faisait seulement

aimer par le motif que c'était le bon plaisir de Dieu qu'elle le souſfrit :

en ceci consiste la vertu de la patience, à aimer ses peines et non pas

à ne les point ressentir. Ce genre de martyre secret, (In Serm. de

Assumpt.) Sephronime le connaissait ; et il invite à faire une attention

singulière. Considérez, dit-il, et pesez mûrement de combien de

peines le cœur de Marie fut tourmenté, depuis l'Ascension de Jésus-

Christ au Ciel et de quels désirs il brûlait avec une patience constante,

de jouir de la présence éternelle de son Fils et de son Dieu. Non, les

désirs de tous les cœurs des hommes, ni leur amour joints à la

conformité entière à la volonté divine, n’égalèrent jamais les

dispositions du cœur héroïque de Marie.

V. Comment il faut imiter la patience de la Sainte Vierge.

Les exemples de la patience invincible de Marie, nous invitent et

nous encouragent à l’imiter selon nos forces, et selon le degré de

grâce qui nous est accordé pour cela. Nous suivrons, quoique de loin,

ce modèle parfait, en supportant toutes les peines qui nous

surviennent, soit par rapport à la perte des biens de fortune, de

l'honneur, de la santé ; soit par rapport aux injures, aux calomnies,

aux persécutions, aux contradictions des hommes, de nos ennemis,

de nos amis, de nos proches, sans rien faire, sans dire rien qui leur

déplaise ; sans permettre à notre cœur aucun état d'indisposition

contre qui que ce soit, surtout dans les injures qui nous sont faites,

soit par des paroles, ou soit par des actions. Gagnons sur nous de

nous taire, si nous nous sentons le cœur ému : le silence alors

104

importe extrémement ; car le cœur n’étant pas dans son assiette, il

est assez difficile qu'il n'échappe pas au plus sage d'ailleurs, quelque

terme qui rnarque de la passion, qui blesse l'âme de celui qui le dit,

de celui à qui il le dit ; et c'est là un double mal qu’évite l'homme qui

se tait ; sans compter que sa patience qui retient sa langue, lui

acquiert double mérite devant Dieu. Lorsque le pécheur, dit le Sage,

(Prov. 38) s‘élevait contre moi pour me calomnier et pour me

maudire, je me taisais sans dire aucune parole, même obligeante ;

afin de me sauver de toute contestation. Les saints louent et gardent

cette conduite, comme un article fort important pour se conserver

dans la patience. Le saint Abbé Isaïe dit à ce propos (In Bibl. Sac.) :

Soyez attentifs à vous, et observez ceci avec soin : Quand on vous dit

quelque chose d’offensant, et que vous vous sentez de l’émotion

dans le cœur, ne dites rien, taisez-vous juqu'à ce que le calme y soit

revenu : alors s'il vous parait convenable de parler, vous le ferez,

mais avec douceur : Quand même il sera nécessaire de reprendre

quelqu'un, gardez-vous bien de le faire si vous êtes fâché, de peur

que l'agitation où vous êtes n'augmente ; attendez que vous soyez

tranquille et puis vous donnerez votre avis, ou votre conseil : dans

ces moments de trouble rentrez en vous-même, et vous recueillez en

Dieu, lui demandant la grâce de vous tranquilliser, et de vous donner

après cela des paroles qui ne ressentent en aucune façon ni l’aigreur,

ni la vengeance. D'ailleurs, pour croître même dans la patience,

appliquons-nous à accepter toutes les choses, les moindres comme

les plus grandes, qui nous répugnent ; demandons à Dieu l'amour et

le désir de ces contrariétés, dont la souffrance lui est si agréable, et à

nous si méritoíre devant lui : pour nous exciter encore à la pratique

de la patience, considérons souvent combien elle nous est

nécessaire. Autant qu'il est essentiel à un soldat exposé aux coups

d'avoir des armes pour se défendre et pour vaincre ; autant est-il à

un Chrétien, dont la vie est une guerre continuelle, d'être armé du

105

bouclier de la patience, pour conserver la vie de la grâce, pour

triompher des ennemis qui l'environnent de toutes parts et pour

mériter la couronne promise à celui qui vaincra. Vous avez besoin de

patience, disait l'Apôtre aux Hébreux, afin que faisant la volonté de

Dieu, vous obteniez la récompense céleste qui vous a été promise.

Tout homme qui traite avec d'autres hommes a besoin de patience,

pour essuyer les contradictions, les reproches, les dégoûts, les ennuis

et s'accommoder à l'humeur de chacun dans les choses licites : sans

cette vertu, il est impossible que l'union et la paix qui doivent régner

entre nous se maintiennent. Je vous prie, moi captif pour Jésus-

Christ, disait l'Apôtre aux Ephésiens, de vivre d'une manière digne de

votre vocation de Chrétiens, avec humilité et avec douceur, vous

supportant les uns les autres avec patience et avec charité : Soyez

attentifs à conserver entre vous l'union spirituelle par le lien de la

vraie paix (Eph. 4). Les Maîtres, les Pères de famille, les Supérieurs

ont besoin de patience pour supporter, sans blesser leur âme, mille

choses que les serviteurs, les enſants, les sujets font contre leur

volonté et contre leur ordre ; la patience leur est nécessaire pour

suspendre le châtiment ou la repréhension, lorsque l'inférieur est

incapable d'en profiter, ou que le supérieur est en colère. Cette vertu

est surtout nécessaire au moment précis de châtier ou de reprendre,

afin que le châtiment ou la repréhension n'excédent pas la faute, que

l'on n'ajoute pas à la peine des paroles quelquefois pires, et que l'on

ne perde point, par trop de chaleur, le fruit de la correction. Il est

d'un très mauvais exemple de reprendre autrui d'une faute, tandis

que l'on en commet une soi-même.

Accusez, continue Saint Paul, et reprenez en toute patience : il veut

que l'homme même qui mérite le plus d'être confondu, tel que serait

un hérétique opiniâtre, on le ramène, quoique efficacement, par une

patience persévérante. Il faut, dit-il, qu'un serviteur de Dieu soit doux

106

et patient à l'égard de tout le monde et qu'il traite sans hauteur avec

ceux qui résistent à la vérité : car alors, Dieu peut-être leur ouvrira les

yeux sur leur erreur et leur fera embrasser le parti de la vérité.

VI. Du mérite de la patience et des fruits que l'on en retire.

Par la patience, on se vainc soi-même : victoire la plus glorieuse et la

plus excellente : oui, c'est plus que de vaincre de puissantes armées,

plus que de conquérir de grands Royaumes, plus que de submerger

tout l'univers. Car le plus fort ennemi, l'ennemi de l’homme le plus

indomptable et le plus à craindre, c'est lui-même, c'est sa volonté

propre que naturellement il cherche à satisfaire en tout, c'est son

inclination continuelle et violente vers le mal. Or, il se soumet tout

cela par sa seule patience : son penchant lui dit de se venger d'une

injure, l'en presse, l'en sollicite ; sa patience tient ferme contre ce

penchant, y résiste, l'arrête : ce n'est pas assez ; loin de faire du mal à

qui l'offense, ou d'en dire, il lui fait du bien et en dit de lui en se

vainquant ainsi soi-même, il remporte une victoire d'autant plus

glorieuse, qu'elle est la plus rare et la plus difficile, il devient

infiniment agréable aux yeux du Seigneur seul juge du vrai mérite, il

se rend digne, non point d'une vaine couronne qui s'accordait aux

Romains conquérants, mais d'une couronne immortelle qui le fait

entrer triomphant dans le Royaume du Ciel. Aussi le Saint-Esprit dit :

(Prov. 16) Melior est vir patiens viro forti. Celui qui en résistant au

mal, en le souffrant, possède son cœur dans sa patience, celui-là est

plus estimable que le vainqueur des villes, des Provinces et des

Royaumes. La patience élève encore l’homme chrétien au-dessus de

toutes les puissances de l'enfer. Il est hors de doute qu'un seul

démon peut plus sur la terre que tout le genre humain réuni

ensemble pour un même dessein : or l'homme patient à qui le

107

secours de Dieu ne manque point, triomphe seul de tous les démons

acharnés à sa perte. Le démon peut nous enlever nos biens, nous

envoyer des maladies, si Dieu ne l'en empêche pas, mais ce n'est pas

à cela précisément qu'il vise, son but est de nous porter à

l’impatience, à nous échappez en plaintes contre Dieu, en paroles

amères contre le prochain, à révoquer en doute une divine

providence, à revendiquer par de mauvais moyens, les torts qui nous

om été faits par son instigation. Mais le vrai chrérien, avec les armes

de la patience, soutenu du secours de Dieu, sa force et son appui,

demeure vainqueur dans ces tentations, dans ces assauts de l'esprit

de mensonge. A titre de justice acquis et scellé par le sang de Jésus-

Christ, lequel donne aux saintes oeuvres leur prix, il entre couvert de

gloire dans le Ciel, pour remplir l'une des places qu'y ont perdu les

mauvais Anges. Bienheureux, dit l'Apôtre saint Jacques, celui qui

supporte la tentation, et ne se laisse pas vaincre ; car après avoir été

éprouvé et reconnu fidèle, il recevra de la main de Dieu la couronne

de la vie éternelle, promise à ceux qui l'aiment.

Un autre effet admirable de patience, c'esl d'être comme la garde et

le soutien de toutes les vertus. Car toutes les vertus ont leurs

ennemis, ont leurs contraires : ces ennemis, ce sont les passions

déréglées qui se soulèvent en notre âme, et surtout celles qui se

révoltent et nous agitent dans les adversités, et généralement dans

toutes les choses fâcheuses. La première de ces passions, c'est le

chagrin d'un mal présent, quel qu'il soit ; de cette passion il en naît

d’autres : savoir la colère, le dépit, la haine, le ressentiment, qui

tirannisent l'âme. Mais avec la patience, l'homme chrétien se met au-

dessus du chagrin, l’adoucit, le ramène à la raison, et empêche que

les autres passions ne s’arment contre les vertus opposées, et ne les

attaquent avec succès. De cette sorte, l’homme patient se conserve

dans la possession paisible des vertus, en réprimant d'abord la

108

passion qui mettrait en mouvement toutes les autres. C'est en ce

sens que Saint Gregoire dit, (Homil. In Ev. Luc) que la patience est la

garde de toutes les vertus parce qu'elle en écarte et enlève tous les

obstacles. Pour la même raison, le Sauveur après avoir annoncé à ses

Disciples, les diverses persécutions que le monde leur préparait,

ajoute : Vous posséderez vos âmes dans votre patience. C'était leur

faire entendre, qu'au milieu des contradictions ils conserveraient à

l'aide de leur patience, la vie spirituelle de leurs âmes, toutes les

grâces, toutes les faveurs et tous les dons qu'ils avaient reçus. Il

s'ensuit de là que la patience donne à toutes les vertus, non

seulement leur conservation et leur persévérance, mais encore leur

accroissement et leur perfection. En effet, ce qui nous ôte le courage

dans la pratique de la vertu et qui nous y fait enfin renoncer, ce sont

les tentations, les difficultés qui nous y traversent. Or la patience

nous les rend supportables, nous les diminue peu à peu, nous les fait

meme aimer ces peines, parce qu'elles sont des moyens sûrs pour

vivre dans le bien, pour y avancer et pour y mourir. Faites en sorte,

dit l'Apôtre Saint Jacques, que la patience ait en vous son œuvre

parfaite, c’est-à-dire, faites par votre patience, que rien ne soit

capable de vous détourner de la voie de la perfection chrétienne que

Dieu attend de vous selon votre état.

VII. Le Juste dans toutes les bonnes œuvres qu'il fait plaît à son Dieu

et mérite auprès de lui. Mais entre toutes ses bonnes œuvres, nulle

n'agrée davantage à Notre Seigneur, que de souffrir pour son amour

dans une parfaite patience. La raison est, que pour faire d'autres

bonnes œuvres, la nature peut y aider l'homme qui a quelque

penchant au bien ; il n'en est pas ainsi pour la souffrance, la nature y

répugne absolument : il faut donc un plus grand amour de Dieu pour

endurer le mal que pour faire simplement le bien. Davantage, souffrir

109

le mal en patience, c’est se rendre comme semblable à Dieu,

souveraine bonté effectivement, quoique Dieu ait manifesté sa bonté

infinie en créant les Cieux et la Terre pour l'usage de l’homme et en

le comblant de mille autres biens, il a manifesté cette même bonté

encore bien davantage, en ce que l'homme ètant ingrat envers lui, il a

supporté son ingratitude avec patience et l’a aimé jusqu'à se faire

homme et à mourir ensuite pour lui sur une Croix. Ainsi l'homme, qui

par amour pour Dieu et pour le bien du prochain, souffre des peines

en patience devient par là plus semblable à Dieu même que par

aucun autre exercice de vertu. Cette vérité, Saint Chrysostome nous

l’a met au jour dans ces termes : (De Hom.) Il n'y a rien de plus noble

ni de plus glorieux que de souffrir pour Jésus-Christ ; c'est plus que

d'être le maître de l'Univers, c'est une plus grande gloire que d'être

Apôtre, que de faire des miracles, que de ressusciter des morts, que

d'avoir la sagesse des Anges. Non, il n'est rien qui puisse arriver de

plus avantageux à l'homme chrétien que la tribulation, soit extérieure

soit intérieure ; et toute peine soufferte pour Dieu avec patience,

vaut mieux sans comparaison que la pratique de toute autre bonne

œuvre. Blosius apporte la raison de ceci : (In Farag.) C'est que

l'homme en souffrant imite plus la Passion de Jésus-Christ. Il participe

plus au mérite de cette même Passion. Soufſrir ici bas pour l'amour

de Dieu, ajoute le même auteur, c'est la plus grande gloire de

l'homme ; si c'est un si haut point d'honneur, que l'homme devrait

s'en juger indigne et remercier le Seigneur qui le distingue, il l’honore

et le traite comme il fait ses favoris. Les Apôtres s'en retournaient

remplis de joie parce qu'ils avaient été jugés dignes de souffrir des

outrages pour le nom de Jésus. A ceux que Dieu aime, il leur envoie

des tribulations, des tentations, des épreuves de la part des hommes,

des déplaisirs, des ingratitudes, des pertes de biens, des infirmités,

pour leur servir sans cesse une matière de mérite et de gloire.

Sachez, dit-il par son Prophète Jérémie, que les illes où je suis le plus

110

honoré et où mon nom est invoqué, sont celles que je commencerai

d’affliger : Gardez-vous bien, dit l’Apôtre aux Hébreux (C. 25), de faire

peu de cas de la tribulation ; c'est Dieu qui nous visite alors, parce

que celui qu'il aime, il le châtie ; sur ce même principe, combien de

vrais serviteurs de Dieu, combien de Saints, après s'être longtemps

exercés dans les plus hautes vertus, se trouvent tout-à-coup, ou

calomniés ou accablés de maladie par la permission divine, afin que

leur patience dans ces maux, épure de plus en plus leur sainteté ?

Heureuses les âmes que Dieu met à ces épreuves, marques de son

amour pour elles et de leur prédestination (Tobie c. 12). Quia

acceptus eras Domino, necesse fuit ut tentatio probaret te. Tobie

était agréable à Dieu par rapport à son état présent, puisqu'il

marchait dans le chemin de la vertu ; il était agréable à Dieu par

rapport à l'élection éternelle, puisqu'il recevait de sa main

bienfaisante les afflictions, qui sont les moyens suivant l'ordre de la

sagesse Divine pour arriver à la gloire du Ciel. Quelle marque plus

certaine de l'amour de Dieu pour les Martyrs et de leur

prédestination à la gloire que leur martyre même ? L'Eglise n'en

demande point d'autres pour les honorer et pour les invoquer

comme des Saints, comme des habitants de la Jérusalem céleste, sur

quoi Saint Didaque dit : (c. 94) Comme les persécutions des tyrans

ont cessé dans l'Eglise, Dieu en échange, ménage à ses Serviteurs

d'autres espèces de persécutions pour l'âme et pour le corps ; pour

l'âme, des tentations d’orgueil, mille pensées importunes, des

injures, des affronts, des médisances, des calomnies qui la contristent

; pour le corps, des infirmités, des maladies, qui se succèdent les unes

aux autres ; et si l'on souffre avec patience ces diverses épreuves,

elles peuvent tenir lieu d'un martyre, et d'un martyre d'autant plus

méritoire, qu'il est plus lent. Pourquoi, demande Saint Grégoire (Lib.

3, Moral.), Dieu éprouve t-il quelques Justes en ce monde par tant de

peines ? C'est, répond ce saint Docteur, qu'il veut pour ces peines

111

temporelles les élever dans le Ciel au plus haut point de bonheur et

de gloire. Voilà comme le sceau de son amour pour eux et de leur

prédestination. Il leur ôte des choses de vil prix, afin que par leur

patience ils acquièrent ce qui est d'un prix infini, il fait qu'ils soient

méprisés de quelques hommes profanes afin qu'ils soient un jour

exaltés à la face de l’univers entier. C’est pour cela que les Saints

fuient l'estime du monde et redoutent la prospérité, qu'ils cherchent

à être inconnus et oubliés : ils aiment cet état, parce que souffert

avec patience, il leur est un gage de salut qui les encourage, qui

nourrit en eux l'espérance ferme d'une couronne immortelle.

ll n'est pas douteux que la Sainte Vierge, fille du Très-Haut, en fût

seule plus chérie que toutes les créatures ensemble : il n'est pas

douteux non plus, que le Très-Haut était Maître de tous les moyens

propres à la garantir de toute tribulation, soit pour l'âme, soit pour le

corps. Cependant à quelles peines durant toute sa vie, à quelles

angoisses ne fût-elle point en proie ? Nous avons touché quelques

traits de ces peines et de ces angoisses, infiniment au-dessus de

lcelles que nous pouvons endurer. Parce que Dieu l'aimait plus

qu'aucun Saint, elle devait souffrir plus qu'aucun Saint ; parce qu'elle

était choisie de Dieu pour être plus élevée dans le Ciel qu'aucun

Saint, il fallait qu'elle souffrit avec plus d'amour, avec plus d'humilité,

avec plus de douceur, avec plus de patience qu'aucun Saint.

Quelques mérites qu'elle acquît par la sublimité de tant de vertus

qu'elle possédait à un souverain degré, elle en acquit encore plus par

son héroique longanimité dans ses souffrances continuelles ; ce qui

fait dire à Saint Bonaventure : (In 3 Sent.) La bienheureuse Vierge

Marie mérita principalement dans la Passion de son Fils, pour lequel

elle sentit une compassion aussi grande qu'elle la pouvait supporter.

Ô qu'il est donc juste que nous acceptions de la main de Dieu

quelque peine qu'il lui plaise de nous affliger que nous estimions

112

cette peine, que nous la regardions comme un bienfait de sa part,

puisqu'il est si glorieux et si avantageux de souffrir pour son amour.

C'est une vertu propre de l'état de Chrétien, dit Saint Jérôme (In

Epist. ad Eph.), de considérer les maux de la vie comme des dons de

Dieu et de l'en remercier. Car pour ce qui est des avantages

temporels, les infidèles mêmes les envisagent comme des bienfaits,

dont on est obligé d'en remercier le Créateur. Ah! puisque les fruits

de la patience chrétienne sont si admirables, qu'il est donc nécessaire

de travailler à acquérir cette vertu, quoi qu'il en puisse coûter pour y

parvenir.

VIII. Des moyens d'acquérir la patience

Le premier de ces moyens est de graver bien avant en notre cœur

une vérité qui est de la foi et de nous la rappeller vivement dans

l'occasion ; c'est à savoir, que tous les sujets de souffrances qui nous

arrivent en ce monde viennent de la main de Dieu comme de leur

cause première et principale. Les biens et les maux, la vie et la mort,

la pauvreté et les richesses, sont de Dieu dit l'Ecclesiastique (c. 11,

14). Il n'est point de mal dans la ville que le Seigneur n'ait fait, dit le

Prophète Amos. Mais ceci demande une explication. A l'égard des

maux qui ont des causes naturelles, comme les maladies causées par

la corruption de l'air, la perte des biens par un naufrage ou par

d'autres semblable effets, il n'est pas difficile de concevoir comment

ces mêmes maux viennent de la main de Dieu. Mais à l'égard des

maux qui ont leur source dans la malice des hommes, ou du démon

comme sont les vols, les meurtres, les calomnies, ou comme sont les

tentations, les mauvaises suggestions, il n'est pas si ordinaire de

comprendre comment et en quel sens ils viennent de la main de

Dieu. Car Dieu n'est, ni ne saurait être l'auteur du péché : Deus nolens

113

iniquitatem tu es. Dieu l'a en horreur le péché, ll le défend comme un

mal contraire à tous ses attributs infinis. Il faut donc observer deux

choses dans le tort, dans le mal qu'un homme fait à un autre, savoir,

la peine et la coulpe : la peine, par exemple une blessure est une

chose physique et naturelle à laquelle Dieu concourt ; parce que dans

ce genre rien sans son secours ne peut s’opérer quant à la coulpe en

quoi consiste le péché qui est un être moral, qui est un désordre de la

volonté de l'homme, Dieu n’y concourt point, bien qu'il le permette ;

puisque pouvant l’empêcher par un juste jugement iI ne le fait pas.

C’est en ce sens que l'on doit entendre cette vérité incontestable et

révélée, qu'il n'arrive aucun malheur, soit particulier, soit général, qui

ne vienne de la droite du Très-Haut ; soit pour châtier les pêcheurs,

ou bien pour éprouver les justes. Les saintes Lettres sont remplies de

ces exemples. Tantôt c'est un impie, Sennacherib, qui périt par des

ministres de la colère divine ; tantôt c’est le saint homme Job, dont

Dieu veut purifier la vertu, en laissant à Satan la permission de tenter

sa patience par toutes les voies imaginables, et ce ne sont pas

seulement les grands maux, ce sont aussi les plus légers qui nous

viennent de la main de Dieu : un geste méprisant, un silence froid,

une parole peu mesurée, c’est le Seigneur qui nous envoie ces petites

mortifications afin qu'en les souffrant avec patience nous croîssions

sans cesse en mérite à ses yeux. Ce dessein de Dieu que toutes nos

peines se convertissent pour nous en avantages, tous les saints, tous

les vrais gens de bien ont toujours regardé comme un moyen très

capable de soutenir notre patience dans les conjonctures les plus

fâcheuses. Les Maîtres de la vie spirituelle, dit Sainte Dorothée (Serm.

7), ont toujours suivi la maxime de rapporter à Dieu comme à la

première cause leurs moindres peines : cette pensée les conservait

dans une paix qui rendait leur vie semblable à celle des Bienheureux

dans le Paradis. Ainsi la vertueuse Judith soutenait les habitants de

Bethulie dans leurs calamités : Songeons que les maux que nous

114

endurons, sont fort inférieurs à nos péchés et soyons persuadés que

Dieu nous les envoie, non point pour notre perte mais pour notre

bien, pour nous corriger, pour nous faire rentrer dans notre devoir.

Voilà comme nous devons penser dans nos maux sans égard à

l'injustice, à la mauvaise volonté des hommes, croyons que la bonté

infinie du Seigneur n'y veut et n'y cherche que notre amendement si

nous sommes pêcheurs ; notre perfection si nous sommes justes et le

moyen d'assurer notre salut éternel. Car, de quel mérite n'est point

alors notre patience d‘adorer la main du Seigneur qui nous frappe ;

d’aimer le prochain, instrument dont il se sert pour cela ; de le

remercier de sa miséricorde qui nous marque la voie sûre pour

gagner le Ciel ? Tel est le prix de la patience chrétienne, une

couronne éternelle de gloire ; tel est l'amour que Dieu nous porte, en

permettant que l'on nous afflige, que l'on nous persécute, que l'on

nous enlève nos biens, quel l’on perde notre honneur. Quiconque est

résolu de servir Dieu, dit Sainte Dorothée (Ibid.), doit préparer son

âme aux tentations, aux tribulations, persuadé que rien de tout cela

n'arrive sans un ordre ou sans une permission de la divine

Providence, et que tout ce que Dieu fait par rapport à nous , il le fait

pour notre bien, il le fait par amour pour nous, par bonté, par

miséricorde. Il est hors de doute que le Seigneur se conduit de la

sorte, non seulement envers ceux qui ont toujours été bons, mais

envers ceux aussi qui, de grands pécheurs devenus pénitents,

marchent désormais avec courage dans le chemin du salut. Pour ce

qui est de ceux qui persistent opiniâtrement dans leurs désordres, si

Dieu les châtie encore et qu'ils se soulèvent contre ses coups, leur

impatience rebelle est le commencement de leur éternelle

damnation : ils ont les mêmes moyens que les autres pour se

convertir, mais le bon usage qu'en ont fait ceux-là met entre eux la

différence du Ciel à l'enfer. Quel motif plus solide et plus pressant

115

pour accepter dans la patience tous les maux de la vie, lesquels sont

tous de la main de Dieu. Le saint homme Job convaincu de cette

vérité, demeurait inébranlable au milieu de toutes les plus terribles

épreuves. Quoique les Sabéens et les Caldéens lui eussent enlevé ses

troupeaux, quoique Satan eût procuré la mort à ses enfants, il ne

prononça jamais le nom même des auteurs de ses maux, n'y

considérant que Dieu de qui ils venaient pour son bien : Dieu me

l'avait donné, Dieu me l'a oté, que sa volonté soit faite, que son nom

soit béni. Lorsque Seméi, l'un des sujets de David eut l'insolence de le

maudire, de l'outrager, de lui jeter même de la poudre au visage, le

Monarque n'envisage point dans Seméi un sujet qui l'insultait d'une

manière si atroce ; il n'y considéra que Dieu, qui se servait d'un si vil

instrument pour l'humilier : laissez-le faire, dit-il à ses gens étonnés

de sa douceur et de sa patience, Dieu le lui a ordonné.

Si nous gardions cette conduite observée depuis par tant de Saints de

la nouvelle alliance, quelle gloire n'en reviendrait point à notre Dieu,

qui daigne bien être jaloux de nos hommages, que seul il mérite !

Quels avantages de notre côté n'en retirerions-nous point. Nous nous

conserverions dans la charité pour tous ceux qui nous veulent, ou qui

nous font du mal, nous les regarderions comme des instruments que

le Seigneur emploie, ou pour nous rappeler, ou pour nous retenir, ou

pour nous attacher plus étroitement à son service. Quelle

tranquillité, quelle paix régnerait en nous par une résignation sans

réserve à la volonté d'un Dieu qui n'a rien de plus cher après sa

propre gloire, que notre salut et notre bonheur semblable au sien.

IX. De quelques autres moyens d'acquérir la vertu de patience

La persuasion vive que rien n'arrive en ce monde qui ne vienne de la

main du Seigneur et la résignation à sa divine volonté sont des

116

moyens sans doute suffisant pour se former à la vertu de la patience,

et pour imiter celle de la Sainte Vierge, toujours soumise aux ordres

du Ciel les plus rigoureux. Mais passons à quelques moyens qui nous

sont personnels en qualité de pécheurs, et que n'avait point Marie,

nette de toute tâche du péché. Premièrement donc, en toute

occasion de souffrir ou quelque infirmité du corps, ou quelque

affront, ou quelque dommage, rentrons sur le champ en nous-

mêmes : considérons de sang froid que nos péchés méritent

l'épreuve fâcheuse qui nous attriste actuellement et quelque autre

peine que ce puisse être, acceptons-la de bon cœur cette épreuve

présente et jugeons nous, condamnons-nous nous mêmes : dans

cette acceptation libre et sincère, ayons en vue de satisfaire à la

Justice divine à qui nous sommes comptables de tant de dettes

contractées par nos offenses. Si par la miséricorde du Seigneur nous

n'avons fait que des fautes appellées vénielles, cependant nous

méritons pour ces fautes mêmes, de plus grandes peines que toutes

celles que l'on peut souffrir en ce monde, puisque nous méritons le

Feu du Purgatoire, dit Saint Augustin : Gravie erit ille ignis quàm

quídquid homnati potest in hac vita. Que sera-ce donc si nous avons

commis beaucoup de péchés griefs, pour lesquels Dieu avec justice

nous eût éternellement punis sans que sa bonté eut retenu son

courroux, afin que nous fissions pénitence ? De cette sorte, en

quelque état qu'on soit aux yeux de Dieu, loin de se plaindre que l'on

souffre, loin d'en gémir dans son cœur il ſaut se reconnaître

coupable, confesser que l'on mérite sa peine qu’elle qu'elle soit,

adorer la main qui ne frappe aujourd'hui que pour pardonner au jour

des vengeanges. ll faut dire, comme le Prophète : (Mich. c. 7) Je veux

souffrir ce châtiment parce que j’ai péché. Ce que cette disposition

est avantageuse à l'homme chrétien ! Que la souffrance lui devient

légère par la comparaison qu'il en fait avec l'éternité de l'enfer, dont

ses péchés l'ont rendu digne ! Cependant essayons de recourir à un

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moyen plus noble que celui-ci : souffrir par reconnaissance envers la

miséricorde de Dieu, qui nous châtie en ce monde pour nous

épargner dans l’autre vie, c’est un amour intéressé ; souffrons par

zèle pour la justice de Dieu qui doit être vengée des injures qu'elle a

reçues de nous, viles créatures, insectes, vers de terre, néants. Dieu

est si touché de la noblesse de ce motif, que le Juste souffrant de la

sorte, il le comble de ses plus insignes faveurs. A l’égard du pécheur,

dit Saint Grégoire (Lib. 2. Mont.), dès qu’il reçoit de la main de Dieu

les châtiments que sa Justice lui envoie pour ses péchés et que dans

cette vue il s'y soumet avec une résignation parfaite, il commence à

être juste ; c’est-à-dire que la bonté divine infiniment plus étendue

que l'indignité du pécheur, répand sur lui des grâces qui le disposent

à rentrer dans l'amitié de son Seigneur qu’il avait perdue.

Mais cette disposition habituelle de nous juger dignes de tous les

maux qui nous arrivent, de les accepter avec une parfaire soumission,

de bénir même la main qui nous frappe, n'est pas seulement un

moyen pour acquérir la patience, elle est aussi un moyen pour

acquérir toutes les vertus chrétiennes et dans toute leur perfection,

ainsi que nous l'avons déja insinué. C'est en ce sens que le saint Abbé

Pasteur disait : « Toutes les vertus se sont retirées chez une seule,

sans laquelle on se fatigue vainement pour les trouver ». Et lorsqu'on

lui demandait quelle était donc cette vertu si précieuse, il répondait :

C'est de s'accuser soi-même etl de se condamner avec sincérité dans

toutes les choses fâcheuses que nous éprouvons ; ce qui est le

comble de la patience. Aussi ce jugement, cette condamnation que

nous portons contre nous, les saintes Lettres nous les recommandent

en plusieurs endroits. Je vous enseignerai, ô homme, dit le Seigneur

par le Prophète Michée (c. 6), ce qui est bien et ce que Dieu veut de

vous : c'est que vous usiez de miséricorde envers le prochain et que

vous soyez à votre égard un Juge sévère. La nature corrompue de

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l’homme le penche à la sévérité pour autrui et à l'indulgence pour

soi-même ; le saint exercice dont nous parlons corrige cet inique

penchant et fait que nous nous réputons coupables de tous les maux

de cette vie, puisque le péché qui les mérite est notre propre

ouvrage. Reçoit-on du prochain une injure, c’est avoué dans son

cœur qu'on mérite, demande t-on une chose sans l'obtenir, poursuit-

on une affaire sans réussir, c'est avec injustice, dit-on, que j'ai essuyé

ce refus, que cette affaire a mal tourné pour moi ; je ne mérite ni des

succès, ni des grâces. Des paroles piquantes causent-elles d’abord

quelque mouvement de colère, par un prompt retour sur soi-même

on s'accuse, et l'on se dit : Si j'avais eu l'humilité qui me convient plus

qu'à qui que ce soit, je ne me serais pas piqué pour si peu de chose.

Ainsi l’homme patient recueille du fruit de la tribulation, du mérite,

une grande augmentation de vertu, un pardon entier de ses fautes,

en s'attribuant à soi-même la cause de toutes ses peines et en

consentant volontiers que Dieu le châtie en ce monde pour tous ses

manquements. L'homme chrétien qui se comporte de cette manière,

dit Sainte Dorothée, jouira d'une paix parfaite et fera en peu de

temps de grands progrès dans la vertu : voilà le droit chemin du Ciel

que les Saints nous ont enseigné, ajoute t-elle ; si nous ne le suivons

pas, toute autre voie, quelles bonnes œuvres que nous nous

prescrivions d'ailleurs, et que nous pratiquions, ne nous menera

jamais au repos de nos âmes.

Un moyen encore très important pour acquérir la vertu de la

patience, c'est de nous attendre chaque jour à quelque épreuve

extraordinaire et de nous préparer par la prière à la soutenir avec

courage. Quelle légère même que soit une attaque, si elle est faite à

qui n'est pas sur ses gardes, elle peut devenir très dangereuse et très

préjudiciable ; De même, toute tentation qui surprend l'homme

chrétien sans armes et sans qu'il y pense, peut le jeter dans un péril

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certain de se perdre. Dès le matin donc en nous levant, il faut songer

que dans le cours de la journée il pourrait bien nous arriver des

choses fâcheuses et nous disposer à les supporter généreusement

pour l'amour de notre Seigneur ; il faut de temps à autre renouveller

cette résolution ; eût-on à traiter d'affaires avec l’homme le plus

raisonnable, et les affaires fussent-elles les plus justes, les plus aisées.

Enfin, il faut se mettre dans l'esprit que la journée ne se passera pas

sans qu’il surrvienne quelque chose de désagréable, qui peut exciter

en nous quelqne sentiment de colère, de tristesse, et nous faire dire

quelque parole dure ; au lieu de nous taire et de sacrifier tout à Dieu.

C’est ici le conseil du saint Abbé Saye : Pensez, dit-il dans l'une de ses

conférences, que chaque heure du jour peut amener quelque

évènement contraire à vos inclinations : ainsi préparez-vous-y,

quelqu'il soit, persuadé que les contradictions prévues perdent

presque toute leur amertume et se souffrent avec tranquillité.

Nous relèverons ce dernier rnoyen par la considération fréquente de

la Passion de Jésus-Christ, et de la patience admirable qui éclate dans

toutes les circonstances de ce grand Mystère de notre Rédemption. ll

faut le considérer ce Dieu souffrant avec un vrai désir de l'imiter

autant qu'il est en nous, moyennant sa sainte grâce, trop heureux de

parvenir à porter quelque trait de ressemblance avec notre divin

modèle. A cette considération, nous joindrons aussi celle de la

patience de la Sainte Vierge dans les douleurs les plus continuelles et

les plus grandes après celles de notre Seigneur. Nous nous

rappellerons ces deux exemples dans toutes nos peines, pour nous y

soumettre avec courage et pour en tirer le fruit que Dieu s'y propose,

lequel est de nous faire mériter le Ciel. Nous demanderons souvent

au Fils et à la Mère, à Jésus et à Marie, une vertu sans laquelle nous

ne serons jamais de vrais Chrétiens ; et nous la leur demanderons par

les plus ferventes prières, par la pratique des œuvres de miséricorde

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envers le prochain, par l'exercice de la mortification dans nos

appétits déréglés et dans nos goûts sensuels. Car après tout la

patience chétienne est un don de Dieu, et l'un de ses plus grands

dons, qu'il n'accorde guère qu’aux conditions dont nous parlons. En

effet, par-là, combien d'hommes d'un caractère violent, emporté,

sont devenus doux, traitables, patients ? La grâce, il est vrai, ne

détruit pas la nature, mais elle la corrige, mais elle la guérit. Ainsi

lorsque l'on ressent en soi de vifs mouvements de colère, et que l'on

s’échappe en des promptitudes et en des impatiences, au lieu de

s'excuser sur ce que telle est la condition, telle est la faiblesse

humaine, on ne doit accuser que soi-même, on ne doit attribuer ses

fautes qu'à soi-même, qu’à sa négligence à user des moyens propres

pour devenir un homme patient. En nous humiliant devant le

Seigneur, par cette confession que nous lui faisons de notre lâcheté,

et en le priant en même temps d'en avoir pitié, nous obtenons enfin

de lui le don de la patience, pour acquérir avec elle toutes les autres

vertus chrétiennes et pour persévérer dans le bien jusqu’à la mort.

FIN