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IMPROBABLE EST LE NOM Pierre-Olivier Capéran Editions Lignes | « Lignes » 2005/2 n° 17 | pages 81 à 91 ISSN 0988-5226 ISBN 2849380369 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-lignes-2005-2-page-81.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pierre-Olivier Capéran, « Improbable est le nom », Lignes 2005/2 (n° 17), p. 81-91. DOI 10.3917/lignes.017.0079 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Editions Lignes. © Editions Lignes. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 121.108.86.73 - 16/08/2015 13h40. © Editions Lignes Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 121.108.86.73 - 16/08/2015 13h40. © Editions Lignes

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IMPROBABLE EST LE NOMPierre-Olivier Capéran

Editions Lignes | « Lignes »

2005/2 n° 17 | pages 81 à 91 ISSN 0988-5226ISBN 2849380369

Article disponible en ligne à l'adresse :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-lignes-2005-2-page-81.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Pierre-Olivier Capéran, « Improbable est le nom », Lignes 2005/2 (n° 17), p. 81-91.DOI 10.3917/lignes.017.0079--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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PIERRE-OLIVIER CAPÉRAN

Improbable est le nom

« Me voilà au point où je me voulais, me voilàcouvert d’opprobre et d’infamie, laissez-moi,

laissez-moi, il faut que j’en décharge. »

Sade

La ruine du nom propre égal la poésie entendue comme l’envers de sonnom. Voilà une équation. Moi n’est pas égal à moi. En voici une autre. Etque nous disent-elles ces équations ? Elles demandent ce qui se trame entrel’identité et l’écriture, entre l’identité et elle-même.

On pourrait écrire la biographie de ces équations, ou une biographiequi y réponde, et l’on commencerait ainsi : au départ, ce qui vient au mondeest le plus improbable.

Et, pour peu qu’on soit pressé, on terminerait en écrivant : le moi va etvient entre l’improbabilité de sa conception et l’impossibilité de sa mort.

Mais, loin que les choses soient plus complexes, elles nous engagent àêtre plus vicieux (moins dégagés).

On ouvrira donc des livres, ceux de Georges Bataille.« La littérature n’étant rien si elle n’est poésie, la poésie étant le contraire

de son nom, le langage littéraire – expression des désirs cachés, de la vieobscure – est la perversion du langage un peu plus même que l’érotismen’est celle des fonctions sexuelles 1. »

Nous savons ce que signifie « perversion » : c’est le mouvement qui

1. G. Bataille, L’Expérience intérieure, Paris, Gallimard, 1954, p. 173.

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le mouvement de transgression où la pensée fondée, par le travail, sur ledéveloppement de la conscience, dépasse à la fin le travail, sachant qu’ellene peut s’y subordonner. »

Le langage excède ainsi son origine dans la communication. L’Érotismemême est l’entreprise pour rendre intelligible le moment de continuité del’être. Le conflit occupera toute l’œuvre de Bataille : à savoir l’expositionde la communication à son propre excès qui en est la condition. D’où l’arti-culation problématique du langage et de la mort : si elle se joue commeconflit, ce n’est certes pas comme moyen : le langage n’exprime rien de lamort, il s’expose à son retrait dans le silence. Pourtant la finalité, si l’onpeut dire, du langage n’est pas le silence. Ce serait encore l’exprimer. Lesilence est comme l’impossibilité du langage, qui sans lui, qui, sans que lelangage se risque à être sa propre limite, manque « le sommet de l’être »,refuse la souveraineté.

*Si la littérature se définit dans le geste qui la communique, c’est

précisément dans l’absence de littérature, dans le désœuvrement, que lalittérature, non seulement s’excède, mais se fait, se construit et réactualiseles limites de son propre espace.

La condition de l’écriture serait ainsi la fuite éternelle, la mise en sursis,de l’objet de la littérature. La chose n’est pourtant pas si simple. L’objetdont il est question ne peut se concevoir détaché de l’espace littéraire :fuyant, il en dessine les limites. Or la limite ne peut être comprise sans lejeu de la transgression. L’objet arraché aux limites de la littérature devientlui-même objet de la transgression. Le désœuvrement participe à la coursedans laquelle l’œuvre s’écrit : l’objet de la littérature n’est ni le réservoird’œuvres culturelles (un livre ne se produit pas comme identité aux livres)ni le bûcher où les livres se confondent à la matière continue du monde.Blanchot répondant à Nancy : l’œuvre inclut le désœuvrement quil’exclut. Autrement dit, travailler le langage, œuvrer, c’est produire cettemécanique textuelle qui nous expulse hors de son champ.

Quelles sont les limites du langage ? Bataille avance une premièreréponse : celles où le langage s’exclut dans le silence. Mais cette premièreréponse est insuffisante. Le silence est une suspension dans l’ordre dudiscours. Il le suspend en tant qu’il lui est subordonné. Pourtant, le langage

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retourne, qui renverse. Mais alors : que serait une langue « pervertie » ?Le latin nous renseigne, par un pas de côté, lorsqu’il dit de celui dont leregard est louche que son œil est « perverti » ou « pervers ». Il sembleindiquer par là que, dans l’œil, le regard a dévié de son axe. L’œil n’est nirévulsé (renversé ou retourné), ni aveugle, il se refuse à la franchise d’unregard transparent, il s’offre de biais. Pour nous, qui n’entendons plus riende physique dans la « perversion », il n’est que le regard pour être pervers,et non plus son organe. Ce pouvoir de refus compris dans son organe, cetteinclinaison particulière qui aggrave la dissymétrie nous apparaît néanmoinscomme l’origine du mouvement. Alors, la langue ? Ce que Bataille dit dela littérature peut nous paraître intenable (à la limite, sa position n’estautrement qu’intenable). Que dit-il ? La littérature est la perversion dulangage et, comme poésie, le contraire de son nom. Il est possible, jusqu’àun certain point, de prendre l’affirmation au pied de la lettre : la littératuren’a d’identité (n’est identique à elle-même) que dans le mouvement deretournement de la perversion. Mais que signe-t-on, lorsque la signaturedésigne la perversion du langage, que cette signature soit Lord Auch (Dieuse soulageant) ou Georges Bataille ? À plus forte raison : que signe-t-ondans la ruine du nom propre ?

Comme le laissait entendre la première équation, l’effacement du nom,et l’importance qu’un tel effacement a pris dans l’œuvre de Bataille, ne peutêtre compris indépendamment de l’espace où s’expose son incertainevacance, l’espace du langage et de sa transgression, l’espace littéraire.

En conclusion de L’Érotisme, Bataille écrit : « Je me suis efforcé – surle plan du langage – de donner à ce moment suprême un abord saisissable,je l’ai rapporté au sentiment de la continuité de l’être 2. » Plus loin, et pourconclure, il ajoute : « Que serions-nous sans le langage ? Il nous a fait ceque nous sommes. Seul il révèle, à la limite, le moment souverain où il n’aplus cours. Mais à la fin celui qui parle avoue son impuissance. Le langagen’est pas donné indépendamment du jeu de l’interdit et de la transgression.[...] C’est dans la contestation, fondée sur la critique des origines, que laphilosophie, se changeant en une transgression de la philosophie, accède ausommet de l’être. Le sommet de l’être ne se révèle en son entier que dans

2. G. Bataille, L’Érotisme, Paris, Minuit, 1957, p. 305.

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le mouvement de transgression où la pensée fondée, par le travail, sur ledéveloppement de la conscience, dépasse à la fin le travail, sachant qu’ellene peut s’y subordonner. »

Le langage excède ainsi son origine dans la communication. L’Érotismemême est l’entreprise pour rendre intelligible le moment de continuité del’être. Le conflit occupera toute l’œuvre de Bataille : à savoir l’expositionde la communication à son propre excès qui en est la condition. D’où l’arti-culation problématique du langage et de la mort : si elle se joue commeconflit, ce n’est certes pas comme moyen : le langage n’exprime rien de lamort, il s’expose à son retrait dans le silence. Pourtant la finalité, si l’onpeut dire, du langage n’est pas le silence. Ce serait encore l’exprimer. Lesilence est comme l’impossibilité du langage, qui sans lui, qui, sans que lelangage se risque à être sa propre limite, manque « le sommet de l’être »,refuse la souveraineté.

*Si la littérature se définit dans le geste qui la communique, c’est

précisément dans l’absence de littérature, dans le désœuvrement, que lalittérature, non seulement s’excède, mais se fait, se construit et réactualiseles limites de son propre espace.

La condition de l’écriture serait ainsi la fuite éternelle, la mise en sursis,de l’objet de la littérature. La chose n’est pourtant pas si simple. L’objetdont il est question ne peut se concevoir détaché de l’espace littéraire :fuyant, il en dessine les limites. Or la limite ne peut être comprise sans lejeu de la transgression. L’objet arraché aux limites de la littérature devientlui-même objet de la transgression. Le désœuvrement participe à la coursedans laquelle l’œuvre s’écrit : l’objet de la littérature n’est ni le réservoird’œuvres culturelles (un livre ne se produit pas comme identité aux livres)ni le bûcher où les livres se confondent à la matière continue du monde.Blanchot répondant à Nancy : l’œuvre inclut le désœuvrement quil’exclut. Autrement dit, travailler le langage, œuvrer, c’est produire cettemécanique textuelle qui nous expulse hors de son champ.

Quelles sont les limites du langage ? Bataille avance une premièreréponse : celles où le langage s’exclut dans le silence. Mais cette premièreréponse est insuffisante. Le silence est une suspension dans l’ordre dudiscours. Il le suspend en tant qu’il lui est subordonné. Pourtant, le langage

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retourne, qui renverse. Mais alors : que serait une langue « pervertie » ?Le latin nous renseigne, par un pas de côté, lorsqu’il dit de celui dont leregard est louche que son œil est « perverti » ou « pervers ». Il sembleindiquer par là que, dans l’œil, le regard a dévié de son axe. L’œil n’est nirévulsé (renversé ou retourné), ni aveugle, il se refuse à la franchise d’unregard transparent, il s’offre de biais. Pour nous, qui n’entendons plus riende physique dans la « perversion », il n’est que le regard pour être pervers,et non plus son organe. Ce pouvoir de refus compris dans son organe, cetteinclinaison particulière qui aggrave la dissymétrie nous apparaît néanmoinscomme l’origine du mouvement. Alors, la langue ? Ce que Bataille dit dela littérature peut nous paraître intenable (à la limite, sa position n’estautrement qu’intenable). Que dit-il ? La littérature est la perversion dulangage et, comme poésie, le contraire de son nom. Il est possible, jusqu’àun certain point, de prendre l’affirmation au pied de la lettre : la littératuren’a d’identité (n’est identique à elle-même) que dans le mouvement deretournement de la perversion. Mais que signe-t-on, lorsque la signaturedésigne la perversion du langage, que cette signature soit Lord Auch (Dieuse soulageant) ou Georges Bataille ? À plus forte raison : que signe-t-ondans la ruine du nom propre ?

Comme le laissait entendre la première équation, l’effacement du nom,et l’importance qu’un tel effacement a pris dans l’œuvre de Bataille, ne peutêtre compris indépendamment de l’espace où s’expose son incertainevacance, l’espace du langage et de sa transgression, l’espace littéraire.

En conclusion de L’Érotisme, Bataille écrit : « Je me suis efforcé – surle plan du langage – de donner à ce moment suprême un abord saisissable,je l’ai rapporté au sentiment de la continuité de l’être 2. » Plus loin, et pourconclure, il ajoute : « Que serions-nous sans le langage ? Il nous a fait ceque nous sommes. Seul il révèle, à la limite, le moment souverain où il n’aplus cours. Mais à la fin celui qui parle avoue son impuissance. Le langagen’est pas donné indépendamment du jeu de l’interdit et de la transgression.[...] C’est dans la contestation, fondée sur la critique des origines, que laphilosophie, se changeant en une transgression de la philosophie, accède ausommet de l’être. Le sommet de l’être ne se révèle en son entier que dans

2. G. Bataille, L’Érotisme, Paris, Minuit, 1957, p. 305.

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exposerait ; ils préfèrent l’humanité plongée en elle-même, à savoir dansl’ordre du travail. Cela ne signifie pas pour autant qu’ils s’en remettent aunon-savoir. Ils vivent l’humanité, le travail, sans soupçonner qu’ils épousentici la trame d’un savoir.

« D’un abord intelligible » : ordonner le discours n’en est pas le seul sens.Il s’agit tout autant d’exposer le discours à l’expérience, ouvrir le texte à sesdehors, l’inachever. Nouvelle contradiction : décider l’indécidable.

*Nous lisons aujourd’hui l’œuvre de Bataille. Nous la lisons et, à bien des

égards, elle nous semble communiquée avec le même embarras que Charlesdans L’Abbé C. : « Le courage lui manqua pour me dire la véritable raison,qui n’était même pas discutable. C’est qu’il me confiait un livre inachevé –qu’il n’avait pas eu la force d’achever 5. » Mais qu’est-ce qu’un livre, qu’uneœuvre inachevés ? Est-ce, par manque de forces, l’ordre ou la fin que l’onne peut atteindre ; est-ce la faillite d’un projet ou bien la ruine, décidée etvolontaire, souveraine, de tout projet ? Ici, l’inachèvement ne serait que latrace visible et échappée du texte traduisant cette tension du silence et dulangage. « D’ailleurs, ces pages ne détonnaient pas seulement en raison deleur caractère inachevé, à mi-chemin d’une aisance affectée et du silence 6. »Tout le problème est ici de saisir le silence comme excès : l’inachèvement estmoins le point de rupture d’une communication, que, dans la communi-cation, son excès même. Communication difficile entre celui qui écrit et celuiqui lit : rechercher l’accord, donner les garanties d’une entente, c’est en faitraison donner à la séparation en sujets et objets, au refus de la communi-cation. La communication n’est pas le lieu commun d’un échange, elle exposeen s’exposant, jusque dans l’excès de l’incommunicable, du silence.

Dire du silence qu’il est un excès, évite encore l’essentiel, l’évite en toutcas s’il n’est pas saisi dans son articulation à l’écriture, au travail du langage.C’est à ce point que le silence atteint l’exigence d’une valeur. La questionn’est plus : « Comment exprimer dans le langage le silence qui en est lanégation ? » ; mais bien : « Comment dépasser cette vérité du langage dontle savoir est d’abord d’exclusion et de distinction ? »

5. Ibid., p. 214.6. Ibid., p. 175.

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s’exposant à sa limite silencieuse s’ouvre à l’inconnaissable. Comme lalimite et sa transgression ne peuvent être distinguées en positif et négatif,le silence vrille le discours pour mieux le démultiplier.

Dans sa « Préface à l’œuvre de G. Bataille », Kojève écrit : « S’il n’y aqu’une façon possible de dire la vérité, il y a des façons innombrables de setaire 3. » Dire la vérité, se taire comme geste qui excède tout discours dela vérité. Bataille ira plus loin, rendant indissociables le discours et sanégation, l’usage de la parole jusque dans l’excès qui la supprime. « Le seulmoyen de racheter la faute d’écrire est d’anéantir ce qui est écrit. Mais celane peut être fait que par l’auteur ; la destruction laissant l’essentiel intact,je puis, néanmoins, à l’affirmation lier si étroitement la négation que maplume efface à mesure ce qu’elle avança 4. » Le cours du discours et sonordre se voient ainsi, comme lors d’une course, toujours révoqués par leslimites qu’ils avancent.

La critique manquerait l’essentiel, ne s’attachant qu’à la dimensionlittéraire, œuvrée, du langage. Le premier problème soulevé par Batailleest d’ordre anthropologique : l’origine de l’homme appartient à l’espacedu langage. D’où la violence qu’exerce le taciturne sur sa propre nature.Disons qu’à cet ordre anthropologique succède (pour simplifier) celuiphilosophique : il s’agit de définir, dans les limites du langage, un savoirrelatif à la mise en jeu de l’être dans le monde. Or le questionnementphilosophique, soumis au discours, doit séparer, distinguer, en un mot,rompre la continuité du point qu’il analyse, tracer une ligne dans l’épaisseurde l’expérience. Dépendante du travail, de la mise en œuvre du discours,la philosophie rencontre dans sa constitution d’un savoir la limite qu’ellene peut franchir sans cesser d’être un savoir. La condition de la philosophieest ainsi de s’exposer au « non-savoir ».

Loin d’être la décision qui invalide la « conscience claire » (le non-savoirest affirmation de l’indécidable, irréductible au jaillissement, à la saisie del’être dans l’immanence au monde), le non-savoir est au plus haut point lamise en cause d’une conscience subordonnée. Bataille l’exprime le plussimplement : beaucoup de gens se refusent au questionnement qui les

3. A. Kojève, « Préface à l’œuvre de G. Bataille », in L’Arc, n°44, 1971, p. 36.4. G. Bataille, L’Abbé C., Paris, Minuit, 1950, p. 174.

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exposerait ; ils préfèrent l’humanité plongée en elle-même, à savoir dansl’ordre du travail. Cela ne signifie pas pour autant qu’ils s’en remettent aunon-savoir. Ils vivent l’humanité, le travail, sans soupçonner qu’ils épousentici la trame d’un savoir.

« D’un abord intelligible » : ordonner le discours n’en est pas le seul sens.Il s’agit tout autant d’exposer le discours à l’expérience, ouvrir le texte à sesdehors, l’inachever. Nouvelle contradiction : décider l’indécidable.

*Nous lisons aujourd’hui l’œuvre de Bataille. Nous la lisons et, à bien des

égards, elle nous semble communiquée avec le même embarras que Charlesdans L’Abbé C. : « Le courage lui manqua pour me dire la véritable raison,qui n’était même pas discutable. C’est qu’il me confiait un livre inachevé –qu’il n’avait pas eu la force d’achever 5. » Mais qu’est-ce qu’un livre, qu’uneœuvre inachevés ? Est-ce, par manque de forces, l’ordre ou la fin que l’onne peut atteindre ; est-ce la faillite d’un projet ou bien la ruine, décidée etvolontaire, souveraine, de tout projet ? Ici, l’inachèvement ne serait que latrace visible et échappée du texte traduisant cette tension du silence et dulangage. « D’ailleurs, ces pages ne détonnaient pas seulement en raison deleur caractère inachevé, à mi-chemin d’une aisance affectée et du silence 6. »Tout le problème est ici de saisir le silence comme excès : l’inachèvement estmoins le point de rupture d’une communication, que, dans la communi-cation, son excès même. Communication difficile entre celui qui écrit et celuiqui lit : rechercher l’accord, donner les garanties d’une entente, c’est en faitraison donner à la séparation en sujets et objets, au refus de la communi-cation. La communication n’est pas le lieu commun d’un échange, elle exposeen s’exposant, jusque dans l’excès de l’incommunicable, du silence.

Dire du silence qu’il est un excès, évite encore l’essentiel, l’évite en toutcas s’il n’est pas saisi dans son articulation à l’écriture, au travail du langage.C’est à ce point que le silence atteint l’exigence d’une valeur. La questionn’est plus : « Comment exprimer dans le langage le silence qui en est lanégation ? » ; mais bien : « Comment dépasser cette vérité du langage dontle savoir est d’abord d’exclusion et de distinction ? »

5. Ibid., p. 214.6. Ibid., p. 175.

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s’exposant à sa limite silencieuse s’ouvre à l’inconnaissable. Comme lalimite et sa transgression ne peuvent être distinguées en positif et négatif,le silence vrille le discours pour mieux le démultiplier.

Dans sa « Préface à l’œuvre de G. Bataille », Kojève écrit : « S’il n’y aqu’une façon possible de dire la vérité, il y a des façons innombrables de setaire 3. » Dire la vérité, se taire comme geste qui excède tout discours dela vérité. Bataille ira plus loin, rendant indissociables le discours et sanégation, l’usage de la parole jusque dans l’excès qui la supprime. « Le seulmoyen de racheter la faute d’écrire est d’anéantir ce qui est écrit. Mais celane peut être fait que par l’auteur ; la destruction laissant l’essentiel intact,je puis, néanmoins, à l’affirmation lier si étroitement la négation que maplume efface à mesure ce qu’elle avança 4. » Le cours du discours et sonordre se voient ainsi, comme lors d’une course, toujours révoqués par leslimites qu’ils avancent.

La critique manquerait l’essentiel, ne s’attachant qu’à la dimensionlittéraire, œuvrée, du langage. Le premier problème soulevé par Batailleest d’ordre anthropologique : l’origine de l’homme appartient à l’espacedu langage. D’où la violence qu’exerce le taciturne sur sa propre nature.Disons qu’à cet ordre anthropologique succède (pour simplifier) celuiphilosophique : il s’agit de définir, dans les limites du langage, un savoirrelatif à la mise en jeu de l’être dans le monde. Or le questionnementphilosophique, soumis au discours, doit séparer, distinguer, en un mot,rompre la continuité du point qu’il analyse, tracer une ligne dans l’épaisseurde l’expérience. Dépendante du travail, de la mise en œuvre du discours,la philosophie rencontre dans sa constitution d’un savoir la limite qu’ellene peut franchir sans cesser d’être un savoir. La condition de la philosophieest ainsi de s’exposer au « non-savoir ».

Loin d’être la décision qui invalide la « conscience claire » (le non-savoirest affirmation de l’indécidable, irréductible au jaillissement, à la saisie del’être dans l’immanence au monde), le non-savoir est au plus haut point lamise en cause d’une conscience subordonnée. Bataille l’exprime le plussimplement : beaucoup de gens se refusent au questionnement qui les

3. A. Kojève, « Préface à l’œuvre de G. Bataille », in L’Arc, n°44, 1971, p. 36.4. G. Bataille, L’Abbé C., Paris, Minuit, 1950, p. 174.

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sommet « le sacrificateur lui-même, écrit Bataille, est touché par le coupqu’il frappe, il succombe et se perd avec sa victime 11 ».

*L’identification de la transgression et du langage n’est, bien sûr, pas un

défaut d’acte, comme la description n’est pas le simple passage du concretau virtuel, de la réalité à la fiction. L’expérience est structurée par le langagequi l’exprime.

On a vu que la question de l’intelligible ne trouvait aucune réponsedans la volonté d’expression, mais dépendait de cette volonté de chancequ’est l’exposition. Ainsi dans le corps exposé, dénudé, ouvert,s’abolissent les limites mêmes d’un être, en tant qu’il s’ouvre à la chance(au regard de l’autre).

Foucault dit de la transgression que son espace est celui de la limite,qu’elle s’y joue toute dans cette « minceur de la ligne ». Klossowski écritdans ce sens : « Cette intégrité même porte en elle la profanation, porte enelle la violence qui peut lui être faite, puisque c’est dans le menaçant rapportà l’acte désintégrant de la profanation que l’intégrité se conçoit pour l’esprit ;bien plus, sans cette menace suspendue sur la “chair intacte”, l’intégrité neserait pas éprouvée par l’esprit 12. » Dans la transgression s’affirment la limiteet sa réalité dramatique. La volonté de suspendre une présence (la limitemanifeste) rend en fait cette présence de la limite absolue. Chez Sade, lecrime parfait est celui toujours reporté qui supprimerait un Dieu absent :le crime (la transgression du vivant) n’a de sens que comme suppressiond’une absence, suppression affirmant paradoxalement une présence. C’estce que Klossowski qualifiait de transsubstantiation à rebours. L’abbé deL’Abbé C., parlant de lui à la troisième personne, écrit : « Étant prêtre, illui fut aisé de devenir le monstre qu’il était. Même il n’eut pas d’autreissue 13. » C’est que le christianisme rend présente la limite, comme le sangdu Christ dans le vin de messe. L’espace ténu de la limite, la ligne dupartage, ne serait-ce le monde même ? Le monde transgressé par la présencemonstrueuse de Dieu : « Je ne puis même un instant imaginer un homme

11. G. Bataille, L’Expérience intérieure, op. cit., p. 176.12. Ibid., p. 124.13. G. Bataille, L’Abbé C., op. cit., p. 189.

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L’Expérience intérieure fournit une double réponse, du moins unedouble piste, à la problématique du discours et de l’autorité. Bataille dittout d’abord ceci : la raison discursive conduit l’expérience intérieure, et,seule, dans les dernières limites de cette expérience, la raison possède « lepouvoir de défaire son ouvrage, de jeter bas ce qu’elle édifiait. […]L’exaltation ou l’ivresse ont la vertu des feux de paille. Nous n’atteignonspas, sans l’appui de la raison, la “sombre incandescence 7”. » Il s’agit bien,comme Jean-François Lyotard l’exprime le plus clairement 8, de décons-truire, et non détruire, l’ordre du discours. Maurice Blanchot répondra auxquestions angoissées de Bataille sous forme de clé au paradoxe de l’expé-rience intérieure publiée et donc dite, décrite, en affirmant l’autorité decette expérience 9. Mais cette autorité de l’expérience intérieure, en elle-même et pour elle-même, n’est que discursive, et ménage un terrain à toutesles ruses de la raison. D’où le sens de la parenthèse adjointe par Bataille :l’autorité s’expie. Cette parenthèse ouvre à la deuxième piste, celle dusacrifice. Si l’on immole, si l’on sacrifie dans le sang, c’est essentiellementdans l’expiation d’un préalable à la séparation sacrée, à savoir conserverl’emprise de l’homme sur le monde de l’opération lucide. Ainsi, lesglissements de l’individu isolé vers l’infini, dans le supplice sacré, expientl’autorité discursive et programmatique de l’homme sur le monde, du sujetsur l’objet. « C’est l’opération par laquelle le monde de l’opération lucide(le monde profane) se libère d’une violence qui risquerait de le détruire 10. »D’une certaine manière, le sacrifice expie la séparation du sujet et de l’objet,dans la séparation même du sacré. Pourtant le sacrifice ne peut se limiterà reconduire le donné mondain. Et s’il ne s’y limite pas, c’est qu’en son

7. G. Bataille, L’Expérience intérieure, op. cit., p. 60.8. Cf. J.-F. Lyotard, « C’est-à-dire le supplice », in Misère de la philosophie, Paris, Galilée,2000, p. 265.9. Cf. G. Bataille, L’Expérience intérieure, op. cit., p. 19 : « L’expérience elle-même m’avait misen lambeaux, et ces lambeaux, mon impuissance à répondre achevait de les déchirer. Je reçus laréponse d’autrui : elle demande une solidité qu’à ce moment j’avais perdue. Je posais la questiondevant quelques amis, laissant voir une partie de mon désarroi : l’un d’eux [Maurice Blanchot]énonça simplement ce principe, que l’expérience elle-même est l’autorité (mais que l’autorité s’expie). »10. G. Bataille, « Sade », in La Littérature et le mal, Paris, Gallimard, 1957, p. 93.

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sommet « le sacrificateur lui-même, écrit Bataille, est touché par le coupqu’il frappe, il succombe et se perd avec sa victime 11 ».

*L’identification de la transgression et du langage n’est, bien sûr, pas un

défaut d’acte, comme la description n’est pas le simple passage du concretau virtuel, de la réalité à la fiction. L’expérience est structurée par le langagequi l’exprime.

On a vu que la question de l’intelligible ne trouvait aucune réponsedans la volonté d’expression, mais dépendait de cette volonté de chancequ’est l’exposition. Ainsi dans le corps exposé, dénudé, ouvert,s’abolissent les limites mêmes d’un être, en tant qu’il s’ouvre à la chance(au regard de l’autre).

Foucault dit de la transgression que son espace est celui de la limite,qu’elle s’y joue toute dans cette « minceur de la ligne ». Klossowski écritdans ce sens : « Cette intégrité même porte en elle la profanation, porte enelle la violence qui peut lui être faite, puisque c’est dans le menaçant rapportà l’acte désintégrant de la profanation que l’intégrité se conçoit pour l’esprit ;bien plus, sans cette menace suspendue sur la “chair intacte”, l’intégrité neserait pas éprouvée par l’esprit 12. » Dans la transgression s’affirment la limiteet sa réalité dramatique. La volonté de suspendre une présence (la limitemanifeste) rend en fait cette présence de la limite absolue. Chez Sade, lecrime parfait est celui toujours reporté qui supprimerait un Dieu absent :le crime (la transgression du vivant) n’a de sens que comme suppressiond’une absence, suppression affirmant paradoxalement une présence. C’estce que Klossowski qualifiait de transsubstantiation à rebours. L’abbé deL’Abbé C., parlant de lui à la troisième personne, écrit : « Étant prêtre, illui fut aisé de devenir le monstre qu’il était. Même il n’eut pas d’autreissue 13. » C’est que le christianisme rend présente la limite, comme le sangdu Christ dans le vin de messe. L’espace ténu de la limite, la ligne dupartage, ne serait-ce le monde même ? Le monde transgressé par la présencemonstrueuse de Dieu : « Je ne puis même un instant imaginer un homme

11. G. Bataille, L’Expérience intérieure, op. cit., p. 176.12. Ibid., p. 124.13. G. Bataille, L’Abbé C., op. cit., p. 189.

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L’Expérience intérieure fournit une double réponse, du moins unedouble piste, à la problématique du discours et de l’autorité. Bataille dittout d’abord ceci : la raison discursive conduit l’expérience intérieure, et,seule, dans les dernières limites de cette expérience, la raison possède « lepouvoir de défaire son ouvrage, de jeter bas ce qu’elle édifiait. […]L’exaltation ou l’ivresse ont la vertu des feux de paille. Nous n’atteignonspas, sans l’appui de la raison, la “sombre incandescence 7”. » Il s’agit bien,comme Jean-François Lyotard l’exprime le plus clairement 8, de décons-truire, et non détruire, l’ordre du discours. Maurice Blanchot répondra auxquestions angoissées de Bataille sous forme de clé au paradoxe de l’expé-rience intérieure publiée et donc dite, décrite, en affirmant l’autorité decette expérience 9. Mais cette autorité de l’expérience intérieure, en elle-même et pour elle-même, n’est que discursive, et ménage un terrain à toutesles ruses de la raison. D’où le sens de la parenthèse adjointe par Bataille :l’autorité s’expie. Cette parenthèse ouvre à la deuxième piste, celle dusacrifice. Si l’on immole, si l’on sacrifie dans le sang, c’est essentiellementdans l’expiation d’un préalable à la séparation sacrée, à savoir conserverl’emprise de l’homme sur le monde de l’opération lucide. Ainsi, lesglissements de l’individu isolé vers l’infini, dans le supplice sacré, expientl’autorité discursive et programmatique de l’homme sur le monde, du sujetsur l’objet. « C’est l’opération par laquelle le monde de l’opération lucide(le monde profane) se libère d’une violence qui risquerait de le détruire 10. »D’une certaine manière, le sacrifice expie la séparation du sujet et de l’objet,dans la séparation même du sacré. Pourtant le sacrifice ne peut se limiterà reconduire le donné mondain. Et s’il ne s’y limite pas, c’est qu’en son

7. G. Bataille, L’Expérience intérieure, op. cit., p. 60.8. Cf. J.-F. Lyotard, « C’est-à-dire le supplice », in Misère de la philosophie, Paris, Galilée,2000, p. 265.9. Cf. G. Bataille, L’Expérience intérieure, op. cit., p. 19 : « L’expérience elle-même m’avait misen lambeaux, et ces lambeaux, mon impuissance à répondre achevait de les déchirer. Je reçus laréponse d’autrui : elle demande une solidité qu’à ce moment j’avais perdue. Je posais la questiondevant quelques amis, laissant voir une partie de mon désarroi : l’un d’eux [Maurice Blanchot]énonça simplement ce principe, que l’expérience elle-même est l’autorité (mais que l’autorité s’expie). »10. G. Bataille, « Sade », in La Littérature et le mal, Paris, Gallimard, 1957, p. 93.

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Ainsi la transgression s’éloigne de la liberté, dans son mouvement, enouvrant à un au-delà des limites propres à la définition de la liberté,excédant son partage contraint.

La transgression s’apparente alors à la chose la plus sacrée au monde,à savoir ce qui l’excède. Bien qu’elle soit le contre-sacrement de cet excèsdu monde. « L’adoration limite l’esprit par la présence réelle, par la présencede l’autre ; la profanation de l’hostie supprime les limites de l’esprit ; c’estpourquoi cette sorte d’extase est identique à l’orgasme qui est vécu commesuppression des limites du corps 18. » La profanation de l’hostie, peu présentechez Bataille (bien qu’il en reprenne le mouvement, par exemple dansMadame Edwarda : Dieu est une fille publique), provient directement desmultiples agencements érotiques sadiens (« Encule un garçon avec l’hostie,se fait enculer avec l’hostie. Sur la nuque du col du garçon qu’il encule estune autre hostie, sur laquelle chie un troisième garçon. Il décharge ainsi enproférant d’épouvantables blasphèmes. […] Il encule le prêtre tout endisant la messe, et quand celui-ci a consacré, le fouteur se retire un moment ;le prêtre se fourre l’hostie dans le cul, et on le rencule par là-dessus 19. »)Dans le cas de Sade, il s’agit bien d’enculer le corps du Christ, dans latransgression de l’hostie, il s’agit bien d’une transsubstantiation à rebours.Suivant Klossowski, l’adoration du Christ limite la présence réelle, tandisqu’enculer le corps du Christ dans l’hostie illimite sa présence en tantqu’esprit. L’esprit couvert de merde est ainsi égal à la transgression deslimites d’un corps dans son ouverture. « Au moment où Chianine chianine,de ce cratère majestueux, la nuit est le ventre de la lave […] 20. »

Répétition sans fin, a-téléologique, jouissance dans la perte, latransgression se renouvelle elle-même dans la sodomie. Autrement dit, latransgression maintient la limite violée dans la réitération de l’outrage : iciréside le principal malentendu lié à la notion de transgression. Latransgression de la norme ne produit pas ses propres conditions depossibilité dans la limite. Elle n’est pas, tel qu’on l’entend généralement,dépendante d’une limite pour s’affirmer. Sinon, comment comprendre l’un

18. P. Klossowski, « La messe de Georges Bataille », in Un si funeste désir, Paris,Gallimard, 1963, p. 125.19. Sade, Les 120 journées de Sodome, Paris, U.G.E., 1975, p. 387.20. G. Bataille, L’Abbé C., op. cit., p. 195.

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en dehors de Dieu. Car l’homme à l’œil ouvert voit Dieu, ne voit ni tableni fenêtre. Mais Dieu ne lui laisse pas un instant de repos. IL n’a pas delimites, et IL brise celles de l’homme qui LE voit. Et IL n’a de cesse quel’homme ne LUI ressemble. C’est pourquoi IL insulte l’HOMME et enseigneà l’HOMME à l’insulter, LUI. C’est pourquoi IL rit dans l’HOMME un rire quidétruit. Et ce rire, qui gagne infiniment l’HOMME, LUI retire toute compré-hension : il redouble quand, du haut de nuages que le vent dissipe, IL

aperçoit ce que je suis ; il redouble si, pressé dans la rue par un besoin, JE

ME VOIS, je vois le ciel que le vent vide 14. » Loin d’un défi lancé auxconventions (loin de s’y arrêter), la transgression est d’abord ontologique :elle concerne la limite de l’être au monde, cette limite dont le geste detransgression exclut. « Je tirai la chasse d’eau et, déculotté, debout, me misà rire comme un ange 15. »

La transgression est d’abord ontologique, parce que l’être, pris commeobjet (dans le discours), est aussi toujours son propre envers, son proprerevers : jamais il ne peut ne pas être autre chose que lui-même. C’est quel’être défini par la raison ne peut autrement que dans la déraison trouverl’origine de sa propre raison, d’une raison dès lors sans origine, réversible.« Le viol commis n’est pas de nature à supprimer la possibilité et le sens del’émotion opposée : il en est même la justification et la source 16. » Latransgression n’a de commun avec la recherche de la liberté, avec lalibération, que le mouvement négatif, meurtrier, qui la porte dans samanifestation première. « La victime ? Sans doute, mais la victime n’estpas maudite, simplement elle succombe au hasard : la fatalité ne frappe quele criminel. Si bien que l’être souverain est chargé d’une servitude quil’accable, et que la condition des hommes libres est la servilité voulue 17. »La liberté définie par la raison redessine le monde en ses frontières, en seslimites, que la violence méconnaît (et dont elle transgresse le savoir). Ence sens la transgression ne cesse d’excéder l’être doué de parole (dans lesilence, la poésie) et de raison (dans la folie, le non-savoir), le reportantnéanmoins toujours comme son horizon impossible et infranchissable.

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14. Ibid., p. 190.15. Ibid., p. 191.16. G. Bataille, L’Érotisme, op. cit, p. 72.17. G. Bataille, L’Abbé C., op. cit., p. 187.

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Ainsi la transgression s’éloigne de la liberté, dans son mouvement, enouvrant à un au-delà des limites propres à la définition de la liberté,excédant son partage contraint.

La transgression s’apparente alors à la chose la plus sacrée au monde,à savoir ce qui l’excède. Bien qu’elle soit le contre-sacrement de cet excèsdu monde. « L’adoration limite l’esprit par la présence réelle, par la présencede l’autre ; la profanation de l’hostie supprime les limites de l’esprit ; c’estpourquoi cette sorte d’extase est identique à l’orgasme qui est vécu commesuppression des limites du corps 18. » La profanation de l’hostie, peu présentechez Bataille (bien qu’il en reprenne le mouvement, par exemple dansMadame Edwarda : Dieu est une fille publique), provient directement desmultiples agencements érotiques sadiens (« Encule un garçon avec l’hostie,se fait enculer avec l’hostie. Sur la nuque du col du garçon qu’il encule estune autre hostie, sur laquelle chie un troisième garçon. Il décharge ainsi enproférant d’épouvantables blasphèmes. […] Il encule le prêtre tout endisant la messe, et quand celui-ci a consacré, le fouteur se retire un moment ;le prêtre se fourre l’hostie dans le cul, et on le rencule par là-dessus 19. »)Dans le cas de Sade, il s’agit bien d’enculer le corps du Christ, dans latransgression de l’hostie, il s’agit bien d’une transsubstantiation à rebours.Suivant Klossowski, l’adoration du Christ limite la présence réelle, tandisqu’enculer le corps du Christ dans l’hostie illimite sa présence en tantqu’esprit. L’esprit couvert de merde est ainsi égal à la transgression deslimites d’un corps dans son ouverture. « Au moment où Chianine chianine,de ce cratère majestueux, la nuit est le ventre de la lave […] 20. »

Répétition sans fin, a-téléologique, jouissance dans la perte, latransgression se renouvelle elle-même dans la sodomie. Autrement dit, latransgression maintient la limite violée dans la réitération de l’outrage : iciréside le principal malentendu lié à la notion de transgression. Latransgression de la norme ne produit pas ses propres conditions depossibilité dans la limite. Elle n’est pas, tel qu’on l’entend généralement,dépendante d’une limite pour s’affirmer. Sinon, comment comprendre l’un

18. P. Klossowski, « La messe de Georges Bataille », in Un si funeste désir, Paris,Gallimard, 1963, p. 125.19. Sade, Les 120 journées de Sodome, Paris, U.G.E., 1975, p. 387.20. G. Bataille, L’Abbé C., op. cit., p. 195.

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en dehors de Dieu. Car l’homme à l’œil ouvert voit Dieu, ne voit ni tableni fenêtre. Mais Dieu ne lui laisse pas un instant de repos. IL n’a pas delimites, et IL brise celles de l’homme qui LE voit. Et IL n’a de cesse quel’homme ne LUI ressemble. C’est pourquoi IL insulte l’HOMME et enseigneà l’HOMME à l’insulter, LUI. C’est pourquoi IL rit dans l’HOMME un rire quidétruit. Et ce rire, qui gagne infiniment l’HOMME, LUI retire toute compré-hension : il redouble quand, du haut de nuages que le vent dissipe, IL

aperçoit ce que je suis ; il redouble si, pressé dans la rue par un besoin, JE

ME VOIS, je vois le ciel que le vent vide 14. » Loin d’un défi lancé auxconventions (loin de s’y arrêter), la transgression est d’abord ontologique :elle concerne la limite de l’être au monde, cette limite dont le geste detransgression exclut. « Je tirai la chasse d’eau et, déculotté, debout, me misà rire comme un ange 15. »

La transgression est d’abord ontologique, parce que l’être, pris commeobjet (dans le discours), est aussi toujours son propre envers, son proprerevers : jamais il ne peut ne pas être autre chose que lui-même. C’est quel’être défini par la raison ne peut autrement que dans la déraison trouverl’origine de sa propre raison, d’une raison dès lors sans origine, réversible.« Le viol commis n’est pas de nature à supprimer la possibilité et le sens del’émotion opposée : il en est même la justification et la source 16. » Latransgression n’a de commun avec la recherche de la liberté, avec lalibération, que le mouvement négatif, meurtrier, qui la porte dans samanifestation première. « La victime ? Sans doute, mais la victime n’estpas maudite, simplement elle succombe au hasard : la fatalité ne frappe quele criminel. Si bien que l’être souverain est chargé d’une servitude quil’accable, et que la condition des hommes libres est la servilité voulue 17. »La liberté définie par la raison redessine le monde en ses frontières, en seslimites, que la violence méconnaît (et dont elle transgresse le savoir). Ence sens la transgression ne cesse d’excéder l’être doué de parole (dans lesilence, la poésie) et de raison (dans la folie, le non-savoir), le reportantnéanmoins toujours comme son horizon impossible et infranchissable.

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14. Ibid., p. 190.15. Ibid., p. 191.16. G. Bataille, L’Érotisme, op. cit, p. 72.17. G. Bataille, L’Abbé C., op. cit., p. 187.

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livrant ainsi au ciel, soit couverte de végétation et de gravas, soit éclairéed’une lumière inconnue. On connaît le prestige du bâtiment. En ruinantle Louvre, le peintre ne donnait certes pas vie à la statue du commandeur.Il formait le simulacre de son ouverture : de son opération. Fiction, récit,la toile opérait moins le bâtiment que la souveraineté de son nom.

À l’actualisation d’une ruine reportée et à venir, répond l’effacementdu nom, singeant l’improbabilité dont il tire son origine. La perversion dulangage par la littérature n’achève pas son mouvement dans l’effacementde la signature ; elle commence par son vacillement et l’incertitude de sontracé. Écrire pour effacer son nom, n’est-ce pas, au plus proche des limitesde la littérature, vouloir manquer du recul qui m’inclurait dans ses limites ?Le visible peut ainsi naître d’une distance impossible. Voir : que vois-je dece que seul mon sexe peut ouvrir ? Et mon regard, vacant et biaiseux,désespérément pervers de n’être pas aveugle comme le gland de ma pine.

Il arrive que les coups de tonnerre se réduisent pour nous auxsifflements aigres lancés aux derrières de filles, jolies ou pas. Il arrive mêmeque sans ce glissement ils ne signifient rien.

des concepts les plus glissants de Sade : l’apathie. Concept ou catégorie,maintes fois repris par Bataille, qui exprime bien la dualité de latransgression. Dans son sens sadien, l’apathie consiste à nier la consciencede l’acte (meurtre gratuit, à froid, refusant jusqu’à la jouissance procuréepar le crime) et, ainsi, à dépersonnaliser le crime, à l’extraire du champ dusujet, et qu’à la fin il se commette, impersonnel, égal aux mouvements d’unenature violente. Pourtant si l’apathie refuse la jouissance immédiate etpremière du crime, elle jouit de parodier la nature, d’imiter son mouvementdont la jouissance est exclue. Ainsi l’apathie est-elle une transgression deslimites de la conscience (du langage) et des limites de la nature (du corps).

La transgression, en elle-même, est incapable de créer ses propresconditions : seule la limite possède cette capacité, cette possibilité de seréfléchir (une limite est d’abord une réflexion). Transgresser n’est ni chercher,ni vouloir savoir, c’est mettre en question la limite. La négativité de latransgression n’a rien du négatif dialectique qui, à terme, est réinvesti dansl’ordre de la limite. Pourtant la transgression ne peut être comprise sans lalimite (sans la norme, sans l’interdit) : sans qu’un excès déjà compris dansla limite ne s’actualise dans la transgression. La transgression n’est donc pasun ordre distinct (l’activité particulière qui consisterait à renverser la limite) :dans ce sens Klossowski peut parler de l’érotisme comme d’une transgressiondu langage par la chair et de la chair par le langage. Il est en effet impossiblede comprendre ce que dit Klossowski, s’en tenant aux a priori que le termede transgression suscite (à savoir qu’elle s’attache à un objet, du dehors, envue de le nier, quitte à l’inventer). Il est, au fond, jusqu’à un certain pointpossible de remplacer le terme de transgression par celui d’affirmation ; ainsil’érotisme est-il affirmation de la chair jusque dans l’envers qui tente de lerépéter, de le réactualiser, violant les limites de l’expérience. Le non-sens nepeut être compris sans le sens qu’il libère, et l’érotisme sans l’excès qui affirmeet, dans son extrémité sadienne, supprime la vie.

*Un peintre de ruines, Hubert Robert, qui fut un peintre heureux, donna

de la Grande galerie du Louvre une double fiction. Une toile représentaitun Louvre en ruines, l’autre, qui s’offrait en symétrie, en proposait unerénovation, le perçant de verrières. Un même désir, en ouvrant la Galerieau ciel, arrachait l’architecture à sa mortelle inscription continentale, la

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livrant ainsi au ciel, soit couverte de végétation et de gravas, soit éclairéed’une lumière inconnue. On connaît le prestige du bâtiment. En ruinantle Louvre, le peintre ne donnait certes pas vie à la statue du commandeur.Il formait le simulacre de son ouverture : de son opération. Fiction, récit,la toile opérait moins le bâtiment que la souveraineté de son nom.

À l’actualisation d’une ruine reportée et à venir, répond l’effacementdu nom, singeant l’improbabilité dont il tire son origine. La perversion dulangage par la littérature n’achève pas son mouvement dans l’effacementde la signature ; elle commence par son vacillement et l’incertitude de sontracé. Écrire pour effacer son nom, n’est-ce pas, au plus proche des limitesde la littérature, vouloir manquer du recul qui m’inclurait dans ses limites ?Le visible peut ainsi naître d’une distance impossible. Voir : que vois-je dece que seul mon sexe peut ouvrir ? Et mon regard, vacant et biaiseux,désespérément pervers de n’être pas aveugle comme le gland de ma pine.

Il arrive que les coups de tonnerre se réduisent pour nous auxsifflements aigres lancés aux derrières de filles, jolies ou pas. Il arrive mêmeque sans ce glissement ils ne signifient rien.

des concepts les plus glissants de Sade : l’apathie. Concept ou catégorie,maintes fois repris par Bataille, qui exprime bien la dualité de latransgression. Dans son sens sadien, l’apathie consiste à nier la consciencede l’acte (meurtre gratuit, à froid, refusant jusqu’à la jouissance procuréepar le crime) et, ainsi, à dépersonnaliser le crime, à l’extraire du champ dusujet, et qu’à la fin il se commette, impersonnel, égal aux mouvements d’unenature violente. Pourtant si l’apathie refuse la jouissance immédiate etpremière du crime, elle jouit de parodier la nature, d’imiter son mouvementdont la jouissance est exclue. Ainsi l’apathie est-elle une transgression deslimites de la conscience (du langage) et des limites de la nature (du corps).

La transgression, en elle-même, est incapable de créer ses propresconditions : seule la limite possède cette capacité, cette possibilité de seréfléchir (une limite est d’abord une réflexion). Transgresser n’est ni chercher,ni vouloir savoir, c’est mettre en question la limite. La négativité de latransgression n’a rien du négatif dialectique qui, à terme, est réinvesti dansl’ordre de la limite. Pourtant la transgression ne peut être comprise sans lalimite (sans la norme, sans l’interdit) : sans qu’un excès déjà compris dansla limite ne s’actualise dans la transgression. La transgression n’est donc pasun ordre distinct (l’activité particulière qui consisterait à renverser la limite) :dans ce sens Klossowski peut parler de l’érotisme comme d’une transgressiondu langage par la chair et de la chair par le langage. Il est en effet impossiblede comprendre ce que dit Klossowski, s’en tenant aux a priori que le termede transgression suscite (à savoir qu’elle s’attache à un objet, du dehors, envue de le nier, quitte à l’inventer). Il est, au fond, jusqu’à un certain pointpossible de remplacer le terme de transgression par celui d’affirmation ; ainsil’érotisme est-il affirmation de la chair jusque dans l’envers qui tente de lerépéter, de le réactualiser, violant les limites de l’expérience. Le non-sens nepeut être compris sans le sens qu’il libère, et l’érotisme sans l’excès qui affirmeet, dans son extrémité sadienne, supprime la vie.

*Un peintre de ruines, Hubert Robert, qui fut un peintre heureux, donna

de la Grande galerie du Louvre une double fiction. Une toile représentaitun Louvre en ruines, l’autre, qui s’offrait en symétrie, en proposait unerénovation, le perçant de verrières. Un même désir, en ouvrant la Galerieau ciel, arrachait l’architecture à sa mortelle inscription continentale, la

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