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72 SCIENCES ET AVENIR - FÉVRIER 2013 TÉLÉCOMMUNICATIONS Véhiculer des données numériques grâce aux ondes lumineuses émises par les ampoules à LED : c’est l’ambition d’une start-up française. Première transmission prévue en 2014. C’est une caractéristique imper- ceptible, mais aucune ampoule n’émet un flux continu de lumière. Toutes s’allument et s’éteignent alternativement, au rythme de 60 oscillations par seconde pour une ampoule à filament et jusqu’à plusieurs mil- lions pour une ampoule à LED, l’œil ne distinguant plus rien au- dessus de 25 oscillations. Cette propriété, la start-up française Oledcomm, créée en février 2012, entend bien l’exploiter pour… transmettre les données d’Internet à travers le faisceau lumineux d’une lampe. La jeune société a même annoncé, lors du forum LeWeb qui s’est tenu à Paris en décembre 2012, qu’elle comptait en commercialiser de premiers éléments cette année, la transmission d’Internet étant prévue pour 2014. Issus de l’université de Ver- sailles-Saint-Quentin-en-Yve- lines, les fondateurs d’Oled- comm travaillent sur cette technologie dite LiFi (Light Fidelity) depuis 2007. S’ils sont les premiers à prétendre la com- mercialiser, ce sont des cher- cheurs japonais de l’université Keio, à Tokyo, qui ont effectué LiFi , l’Internet sans fil passe par la lumière (Gbit/s) pour une seule LED, contre 0,6 Gbit/s en WiFi. « Nous avons réussi à établir une com- munication à 100 kilobits par seconde entre deux voitures situées à 50 mètres l’une de l’autre, et ce en plein jour, car la lumière du soleil n’empêche pas la transmission en LiFi », précise Suat Topsu, professeur au Laboratoire d’ingénierie des systèmes de Versailles (LISV) et cofondateur d’Oledcomm. La société française met égale- ment en avant les autres avan- tages sanitaires et pratiques de cette technologie. Le LiFi per- met en effet de s’affranchir de la controverse sur la nocivité des ondes radio (lire S. et A. n° 747, mai 2009), l’onde lumineuse ne traversant pas le corps humain. Il permet aussi d’éviter toute interférence du signal avec d’autres appareils électroniques, un avantage précieux dans des sites comme les hôpitaux. Enfin, ce signal ne faiblit pas quel que soit le nombre d’utilisa- teurs. Sa portée reste en revanche similaire à celle du WiFi, soit une centaine de mètres. « Il y a un compromis à faire entre la portée, dépendant les premiers tests en 2005. Quant au terme LiFi – allusion directe au WiFi (Internet sans fil par ondes radio) –, il a été inven- té lors d’une intervention à la conférence TED en Californie en juillet 2011 par l’Allemand Harald Hass, spécialisé dans les communications optiques sans fil et professeur d’ingénierie à l’université d’Edimbourg (Royaume-Uni). Le LiFi privilégie les LED (diodes électroluminescentes), aux oscillations beaucoup plus rapides que les ampoules à fila- ment. Pour fonctionner, le sys- tème nécessite la mise en place d’un boîtier, appelé commuta- teur LiFi, entre le modem Inter- net et une lampe (voir le sché- ma). Celui-ci sert à faire passer le flux d’informations de la com- munication filaire du modem (le câble Ethernet*) à la communi- cation sans fil du LiFi, les deux répondant à des normes et codages différents. Résultat : le rythme des oscillations de l’éclairage à LED peut être contrôlé selon les impulsions électriques envoyées au com- mutateur par le modem. Autre- ment dit, les oscillations de la LED s’apparentent à du morse. Pour déchiffrer le signal lumi- neux ainsi envoyé, Oledcomm a conçu des capteurs optiques, contenant une puce LiFi, pou- vant se connecter à des tablettes ou à des téléphones mobiles et convertissant le signal en don- nées numériques : ampoule allu- mée (1), ampoule éteinte (0). Ce qui permet l’affichage d’une page Web sur l’appareil. Reste à connaître les perfor- mances d’un tel système. La fré- quence d’une LED pouvant aller jusqu’à 100 THz (térahertz : 10 12 oscillations par seconde) contre 2,4 GHz (gigahertz : 10 9 oscillations/seconde) pour le WiFi, le LiFi est donc en théo- rie capable de transporter des données des centaines de mil- liers de fois plus rapidement. Avec des débits pouvant atteindre 1 gigabit par seconde Avantage de taille : cette onde n’atteint pas le corps humain

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SA792 Février 2013 - LiFi, l'internet sans fil passe par la lumière

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72 � SCIENCES ET AVENIR - FÉVRIER 2013

TÉLÉCOMMUNICATIONS

Véhiculer des données numériques grâce aux ondes lumineuses émises par les ampoules à LED : c’est l’ambition d’une start-up française. Première transmission prévue en 2014.

C’est une caractéristique imper-ceptible, mais aucune ampoule n’émet un flux continu de lumière. Toutes s’allument et s’éteignent alternativement, au rythme de 60 oscillations par seconde pour une ampoule à filament et jusqu’à plusieurs mil-lions pour une ampoule à LED, l’œil ne distinguant plus rien au-dessus de 25 oscillations. Cette propriété, la start-up française Oledcomm, créée en février 2012, entend bien l’exploiter pour… transmettre les données d’Internet à travers le faisceau lumineux d’une lampe. La jeune société a même annoncé, lors du forum LeWeb qui s’est tenu à Paris en décembre 2012, qu’elle comptait en commercialiser de premiers éléments cette année, la transmission d’Internet étant prévue pour 2014. Issus de l’université de Ver-sailles-Saint-Quentin-en-Yve-lines, les fondateurs d’Oled-comm travaillent sur cette technologie dite LiFi (Light Fidelity) depuis 2007. S’ils sont les premiers à prétendre la com-mercialiser, ce sont des cher-cheurs japonais de l’université Keio, à Tokyo, qui ont effectué

LiFi, l’Internetsans fil passe par la lumière

(Gbit/s) pour une seule LED, contre 0,6 Gbit/s en WiFi. « Nous

avons réussi à établir une com-

munication à 100 kilobits par

seconde entre deux voitures

situées à 50 mètres l’une de

l’autre, et ce en plein jour, car la

lumière du soleil n’empêche

pas la transmission en LiFi », précise Suat Topsu, professeur au Laboratoire d’ingénierie des systèmes de Versailles (LISV) et cofondateur d’Oledcomm. La société française met égale-ment en avant les autres avan-tages sanitaires et pratiques de cette technologie. Le LiFi per-met en effet de s’affranchir de la controverse sur la nocivité des ondes radio (lire S. et A. n° 747,

mai 2009), l’onde lumineuse ne traversant pas le corps humain. Il permet aussi d’éviter toute interférence du signal avec d’autres appareils électroniques, un avantage précieux dans des sites comme les hôpitaux. Enfin, ce signal ne faiblit pas quel que soit le nombre d’utilisa-teurs. Sa portée reste en revanche similaire à celle du WiFi, soit une centaine de mètres. « Il y a un compromis à

faire entre la portée, dépendant

les premiers tests en 2005. Quant au terme LiFi – allusion directe au WiFi (Internet sans fil par ondes radio) –, il a été inven-té lors d’une intervention à la conférence TED en Californie en juillet 2011 par l’Allemand Harald Hass, spécialisé dans les communications optiques sans fil et professeur d’ingénierie à l’université d’Edimbourg (Royaume-Uni).

Le LiFi privilégie les LED (diodes électroluminescentes), aux oscillations beaucoup plus rapides que les ampoules à fila-ment. Pour fonctionner, le sys-tème nécessite la mise en place d’un boîtier, appelé commuta-teur LiFi, entre le modem Inter-net et une lampe (voir le sché-

ma). Celui-ci sert à faire passer le flux d’informations de la com-munication filaire du modem (le câble Ethernet*) à la communi-

cation sans fil du LiFi, les deux répondant à des normes et codages différents. Résultat : le rythme des oscillations de l’éclairage à LED peut être contrôlé selon les impulsions électriques envoyées au com-mutateur par le modem. Autre-ment dit, les oscillations de la LED s’apparentent à du morse. Pour déchiffrer le signal lumi-neux ainsi envoyé, Oledcomm a conçu des capteurs optiques, contenant une puce LiFi, pou-vant se connecter à des tablettes ou à des téléphones mobiles et convertissant le signal en don-nées numériques : ampoule allu-mée (1), ampoule éteinte (0). Ce qui permet l’affichage d’une page Web sur l’appareil. Reste à connaître les perfor-mances d’un tel système. La fré-quence d’une LED pouvant aller jusqu’à 100 THz (térahertz : 1012 oscillations par seconde) contre 2,4 GHz (gigahertz : 109 oscillations/seconde) pour le WiFi, le LiFi est donc en théo-rie capable de transporter des données des centaines de mil-liers de fois plus rapidement. Avec des débits pouvant atteindre 1 gigabit par seconde

Avantage de taille : cette onde n’atteint pas le corps humain

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C ommuniquer sans fil grâce aux ondes lumineuses est une idée très ancienne.

Elle remonte précisément au… 3 juin 1880. Alexander Graham Bell, qui a reçu le prix Volta du gouvernement français pour l’invention du téléphone quatre ans auparavant, met au point le photophone, un système faisant transiter la voix par les rayons du soleil (voir Sciences et Avenir n° 688, mai 2004). Bell utilise pour cela un microphone branché à un miroir captant et

renvoyant la lumière du soleil vers un autre miroir, de forme parabolique, placé 200 mètres plus loin. En parlant dans l’émetteur, l’inventeur fait vibrer le premier miroir, les mouvements créant des distorsions dans les rayons lumineux. A l’autre bout, la parabole dirige ces rayons et leurs oscillations vers un composant en cristal de sélénium, semi-conducteur et photosensible. Le sélénium transmet

les signaux aux composants électromagnétiques d’un récepteur téléphonique, qui convertit alors les vibrations de la lumière en sons. Pour Bell, cette trouvaille devait être plus importante encore que celle du téléphone. Il dépose un brevet, publié en décembre 1880 sous le n° 235496. Mais le photophone souffre d’une portée limitée et, surtout, reste sujet aux aléas de la météo : qu’un nuage masque le soleil, et la communication se coupe.

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de la puissance lumineuse, et le

débit, dépendant du rapport

signal sur bruit », indique Suat Topsu. Ultime intérêt, écono-mique celui-ci : « les opérateurs

Internet paient une redevance à

l’Arcep, l’autorité de régulation

des communications électro-

niques, pour l’utilisation de la

bande passante radio, ce qui

n’est pas le cas pour le spectre

lumineux. »

Reste quelques freins impor-tants, comme la difficulté de mettre en place la « voie ascen-dante » du signal Internet (les données émises depuis l’ordina-teur ou le mobile vers la source de lumière), ce qui compromet l’échange de données. Ou celui de la continuité de la connexion : si le faisceau lumineux entre la LED et l’ordinateur est coupé, ou si la lampe est déplacée, la connexion s’interrompt, le LiFi ne passant pas à travers les murs. Dommage, car l’intérêt du sans-fil reste de pouvoir se déplacer en restant connecté…

Arnaud Devillard et Jérémi Michaux

* Ethernet : standard de transmission de données pour réseau local par câble.

RU

E D

ES A

RCH

IVES

Commutateur

Câble Ethernet

Lampes

1

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3

1 MODEM L’Internet en LiFi utilise un modem standard, connecté au commutateur LiFi par câble Ethernet. C’est ce commutateur qui permet à Internet de passer du support filaire au sans-fil (les ondes lumineuses).

2 COMMUTATEURLes impulsions électriques sont traduites en oscillations lumineuses de l’ampoule, imperceptibles pour l’œil humain, et correspondantà des données. Le procédé s’apparente à un signal en morse.

3 CAPTEUR OPTIQUE Les oscillations lumineuses sont reçues par un capteur optique connectéà l’appareil (tablette numérique, smartphone). Il est doté d’une puce LiFi qui décode ces oscillations pour les traduire en 0 et 1 et donner ainsi accès à Internet, recevoir du son, des images, etc.

Le LiFi a été présenté au forum LeWeb à Paris en décembre (à gauche).

Comment connecter sa tablette

L’ancêtre de la communication optique

A gauche, le miroir transmet le rayon lumineux capté à 200 m de là par le récepteur relié à un téléphone.

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