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LE LIANCOURT et LES LIANCOURTpar

Philippe PELLETIERJanvier 2011Sommaire Introduction 1. LA CARTOGRAPHIE EUROPENNE ET LEXTRME-ORIENT au XVIIe sicle 1. 1. Lapport fondateur de la cartographie riccienne 1. 2. Les cartes europennes de larchipel japonais la fin du XVIe sicle et au XVIIe sicle 1. 3. Les cartes europennes au XVIIe sicle : la Core, une le provisoire 2. LIMPRIALISME BALEINIER OCCIDENTAL au XIXe sicle 2. 1. La pression de la chasse baleinire amricaine 2. 2. Le contexte franais de la navigation du Liancourt 2. 3. Le Liancourt et sa neuvime campagne (1847-1850) 2. 4. Le Liancourt a-t-il vraiment dcouvert les Liancourt ? 3. CERTITUDES ET CONFUSIONS CARTOGRAPHIQUES OCCIDENTALES au cours du XIXe sicle, propos des Liancourt 3. 1. Le rle dAaron Arrowsmith 3. 2. Le rle de Von Siebold 3. 3. Aprs Von Siebold Conclusion Bibliographie et une carte en annexes

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Introduction La dcouverte par un navire europen des rochers Liancourt , ou encore les Liancourt (alias Tokto (Dokdo) pour les Corens et Takeshima pour les Japonais), intervient un demi-sicle aprs la premire navigation europenne en mer du Japon (mer de lEst). Le fait quil sagisse dune expdition franaise dans les deux cas - celle de Laprouse en 1787, celle du navire baleinier Le Liancourt en 1849 - ne relve pas du hasard. Le laps de temps assez long entre les deux expditions rvle, quant lui, la nature paradoxale de lintrt que portent les Europens cet espace. Paradoxale, car si les puissances europennes rivalisent de navigations sur cette mer au cours du XIXe sicle, la connaissance quelles en retirent comporte pendant longtemps des approximations et des erreurs. Or ces erreurs jouent un rle dans le litige territorial qui oppose ltat sud-coren (ainsi que ltat nord-coren) et ltat japonais quant lidentification, la possession et la revendication de ce groupe dlots. On sait la multiplicit des dimensions qui sont prises en compte dans cette affaire : topographique, gographique, historique, politique, diplomatique, psychologique (1). Dans les cas de ce genre que lon retrouve ailleurs dans le monde - une revendication territoriale plongeant dans lhistoire -la dmarche est toujours de rechercher un fondement objectif pour asseoir la revendication sinon dnouer le problme, et donc de sadresser la science qui est considre comme susceptible dapporter une rponse objective, voire neutre. Ce nest pas le lieu ici de rentrer dans le dbat qui sinterroge sur une telle vertu attribue la science. Du moins peut-on rappeler que la gographie, qui les diffrents acteurs du litige sur Tokto (Dokdo)/Takeshima font appel et qui constitue le champ de ce mmoire, est double. Il sagit dune criture de la terre (geo-graphein) compose dune inscription sur cette terre ( criture sur la terre ) et dun discours sur cette inscription ( criture propos de la terre ). Ce discours peut tre appel mtagographie (2). En distinguant (ch. dili ; c. chiri ; j. chiri) et , (ch. dilizhue ; c. chirihak ; j. chirigaku), la socioculture sinise (chinoise, corenne, japonaise) souligne dailleurs la dualit du caractre de la gographie. La cartographie, qui est lune des formes du discours mtagographique, nest pas neutre car elle reflte un systme de valeurs et comporte des choix (3). De la dcouverte europenne qui nous concerne, il rsulte un choix toponymique - mer du Japon, dune part, et rochers Liancourt dautre part - qui se superpose la toponymie vernaculaire, corenne ou japonaise, qui la remplace mme. Il entrane ainsi une srie de confusions qui interviendra dans le litige gopolitique entre la Core et le Japon, voire qui en est peut-tre mme lune des origines. Autrement dit, on peut affirmer que la responsabilit europenne et plus spcifiquement franaise est engage dans la gographie de cette rgion. Il est donc important de revenir sur son histoire, sa gohistoire mme, et dessayer dclairer les confusions affrentes. On se contentera ici de souligner quelques aspects cartographiques, et de se centrer sur lexpdition du Liancourt, sans oublier son contexte : car un choix toponymique et son inscription cartographique se situent dans une dynamique gopolitique quil ne faut pas dulcorer sous peine de passer ct de lessentiel. Souligner demble que lexpdition du Liancourt se place au mitan1

Parmi les nombreux crits, voquons ceux qui abordent lensemble des thmes (cf. bibliographie) : KAWAKAMI Kenz (1966), KIM Hak-shun (2004), LI Jin-Mieung (1998a, 1998b, 2005), NAIT Seich et KIM Byon-Ryul (2007), PELLETIER (2000), TAMURA Seisabur (1965). Li (2005) est, de loin, le plus complet en documents. 2 LEFORT Isabelle, PELLETIER Philippe (2006) : Grandeurs et mesure de lcoumne. Paris, Economica-Anthropos, 234 p. 3 JACOB Christian (1992) : LEmpire des cartes, approche thorique de la cartographie travers lhistoire. Paris, Albin Michel, 538 p.

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dun sicle caractris par lingrence des puissances imprialistes occidentales en Asie orientale (Royaume-Uni, France, tats-Unis et Russie, pour lessentiel) nest pas anodin. Car cette ingrence occidentale, qui se traduit notamment par les guerres de lopium et les traits ingaux, a pour consquence, lourde et durable, dimposer un nouveau systme dtat-nations fond sur une conception moderne de la frontire et de lappartenance territoriale. Elle provoque la raction de chaque pays de la rgion, mais sur un rythme et dune faon diffrencis. Il en rsulte un dcalage important, et crucial, entre la Chine, la Core et le Japon, qui se rpercute sur les relations entre les trois pays, de surcrot instrumentalises par chaque puissance occidentale. 1. LA CARTOGRAPHIE EUROPENNE ET LEXTRME-ORIENT au XVIIe sicle Lexpdition de Laprouse et la dcouverte europenne des rochers Liancourt hritent dun questionnement gographique et dune dynamique gopolitique qui remontent larrive physique des Europens dans cette partie de lAsie orientale au cours du XVIe sicle. partir de cette poque, la connaissance gographique de la mer du Japon (mer de lEst) demeure confuse et mystrieuse pour les Europens pendant plusieurs sicles. Deux questions restent notamment pendantes : le statut spatial de la Core (est-ce une le ou bien une pninsule ?) ; et la limite de la mer en direction du nord (existe-t-il un bras de mer entre le continent et Sakhaline, entre le continent et Ezo/Hokkaid ? Ezo est-elle une le ou non ?). Au cours du dernier quart du XVIe sicle et du premier quart du XVIIe sicle, l'archipel japonais commence enfin tre cartographi correctement, de faon raliste et mieux localis scientifiquement. C'est le rsultat d'un fructueux croisement mutuel entre la cartographie japonaise et la cartographie europenne, celle-l tant surtout portugaise puis nerlandaise dans un premier temps, et dorigine de plus en plus diversifie dans un second temps, franaise notamment. Quant la cartographie europenne de la pninsule Corenne, les progrs sont beaucoup plus lents, pour diverses raisons que nous allons aborder. 1. 1. Lapport fondateur de la cartographie riccienne La cartographie ralise par le jsuite italien Matteo Ricci (1552-1610) au cours de son sjour en Chine (1582-1610) constitue une tape fondamentale pour la connaissance gographique de toute l'Asie orientale cette poque. En particulier, elle apporte dimportantes prcisions sur lespace maritime qui nous occupe. En effet, sur sa clbre mappemonde crite en chinois et qui date de 1602 (Kunyu wanguo quantu ou Carte complte des myriades de pays dans le monde), Ricci trace en idogrammes le nom de mer du Japon (lecture horizontale en trois caractres crits de droite gauche) (4). Et il le place au centre de l'espace qui correspond actuellement cette mer. Cette ralisation est remarquable pour trois raisons au moins. D'abord, le choix du toponyme. C'est la premire carte qui lexprime et lcrive, y compris par rapport la cartographie japonaise que celle-ci soit traditionnelle ou bien quelle sinspire des planisphres europens quelle connat depuis le milieu du XVIe sicle et quelle reproduit partir de 1592.4

BADDELEY John F. (1917) : Father Matteo Ricci's Chinese World-Maps . Geographical Journal, 50, p. 254-270. BERNARD-MAITRE Henri (1926) : La Mappemonde Ricci du Muse historique de Pkin. Pkin, Politique de Pkin. DAY John D. (1995) : The search for the origins of the Chinese manuscript of Matteo Ricci's maps . Imago Mundi, 47, p. 94-117. D'ELIA Pasquale M. S.I. (1938) : Il mappamondo cinese del P. Matteo Ricci S.I. Vatican, Biblioteca Apostolica Vaticana, 280 p. KAWAMURA Hirotada (1988) : sutoria kokuritsu tshokan shoz no Mateo-Rittchi sekai zu 'Kon'yo bankoku zenzu (La mappemonde 'Kunyu wanguo quantu' de Matteo Ricci dans les trsors de la bibliothque nationale d'Autriche). Jimbun Chiri, 40-5, p. 403-423. SZCZESNIAK Boleslaw (1954) : Matteo Ricci's maps of China . Imago Mundi, XI, p. 127-136.

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Ensuite, le contexte gographique rgional. C'est l'une des premires cartes reprsenter de l'Asie orientale de faon relativement correcte par rapport aux autres cartes de l'poque, qu'elles soient europennes ou sinises. Cest mme l'une des premires reprsenter aussi correctement l'ensemble du monde. Ricci, la fois fidle ses sources chinoises et astucieux dans sa dmarche de conqurir l'intellect de l'lite chinoise pour envisager de l'vangliser par la suite, a, notamment, l'habilet de dessiner un planisphre qui place la Chine (et l'ocan Pacifique) au centre du monde. Il respecte ainsi la mtagographie sinise de l'Empire du milieu (Zhongguo , Zhonhgua ) qui se considre au cur du monde. Simultanment, il livre la connaissance chinoise l'existence trac du continent amricain, que le monde sinis ignorait jusque-l. Enfin, llaboration de la carte. La mappemonde de Ricci est remarquable par son origine. Elle est ralise en Chine mme, et d'aprs des donnes les plus directes possibles : cartes locales, rcits de voyageurs Son approche de premire main donne un crdit essentiel l'information qu'il livre. Matteo Ricci est le premier cartographier totalement Ezo , la future Hokkaid , comme tant une le. Il le fait plus d'un sicle et demi avant les premires cartes japonaises attestes qui distinguent enfin Ezo/Hokkaid, puis Sakhaline et les Kouriles (5). Il devance d'une cinquantaine d'annes Martino Martini (1614-1661) et sa carte du Novus Atlas Sinensis de 1655 tire de sources chinoises et d'un portulan japonais (cf. infra). Mais s'agit-il vraiment d'Ezo-Hokkaid ? premire vue, cela ne fait aucun doute. Bien que grossiers, les contours tablis par Ricci ressemblent la vraie configuration. L'le est place juste au nord de Honsh. Son littoral septentrional se rapproche du rivage sibrien, mme si Sakhaline n'est pas dessine. Ricci ne place aucune petite le dans le dtroit de Tsugaru, contrairement la carte chinoise dite de Wang P'an (1594 ?) et contrairement ce que feront pendant longtemps un grand nombre de cartes europennes. Cependant, si on examine les idogrammes chinois sur cette le, on constate autre chose (6). Sont en effet mentionns six toponymes (retraduits en japonais) : Kaga , Noto , Echigo , Etch , Sado et Hokurikud . Ce sont des noms de lieux japonais qui se situent en ralit sur le littoral de Honsh donnant sur la mer du Japon (mer de lEst) ainsi que celui de Sado, une le qui n'est dailleurs pas reprsente en tant que telle sur la carte. Comme l'indique l'un des toponymes lui-mme, lespace auquel ils renvoient correspond ce que les Japonais appellent traditionnellement la Route du Hokuriku (Hokurikud), ou la Route des terres du Nord , bordant leur mer du Nord (la mer de lEst , Tonghae des Corens). Nulle part ne se trouvent les idogrammes dsignant Ezo/Barbare, alors quil sagit dun espace pourtant repr l'poque mme si ce n'tait pas en dtail. Le gographe japonais contemporain Akizuki Toshiyuki estime que l'ensemble des six toponymes ont t insulariss. Il considre galement que , l'un des idogrammes chinois situs sur le littoral sibrien, pourrait tre lu Ezo et que, de cette faon, la terre des Barbares a t continentalise (7). Notons le fait que Ricci soit le premier cartographier un certain nombre dlments ne lui donne pas de crdit particulier sur le fond. Antriorit nest pas forcment raison. Et ce postulat5

Sur la dcouverte et la cartographie japonaise ou europenne des les du Nord, cf. AKIZUKI Toshiyuki (1999) : Nihon hokuhen no kent to chizu no rekishi (Une histoire de lexploration et de la cartographie de la bordure septentrionale du Japon). Sapporo, Hokkaid daigaku tosho kankkai, 472 p. FUNAKOSHI Akio (1984) : A view of Japanese geography in the early 19th century . Languages, paradigms and schools in geography - Japanese contributions to the history of Geographical thought (2), Takeuchi Keiichi d., Hitotsubashi University, 116 p., p. 55-66. HARRISON John A. (1950) : Notes on the discovery of Yezo . Annals of the Association of American Geographers, 40, p. 254-266. UNNO Kazutaka (1994) : Cartography in Japan . Cartography in the Traditional East and Southeast Asian Societies - The History of Cartography, volume 2, book 2, David Woodward, J. B. Harley d., Chicago, The University of Chicago Press, 976 p., p. 346-477. 6 Outre une lecture directe, j'ai utilis en contrepoint la traduction en italien propose par Pasquale d'Elia (1938), op. cit., planche XVI (version Bibliothque vaticane). 7 Akizuki (1999), op. cit., p. 15-18.

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est valable en tout temps comme en tous lieux. En revanche, la primaut met Ricci dans un rle particulier. Elle lui accorde logiquement davantage dinfluence, a priori, dautant que les lments concerns sont nombreux et importants. Dans un premier temps, la ralisation de Ricci n'a pas d'impact direct sur la cartographie europenne, probablement cause de sa rdaction en chinois, alors qu'elle en a sur la cartographie sinise, en Chine, au Japon et, moindrement, en Core. Il faut attendre une cinquantaine dannes, soit le milieu du XVIIe sicle, pour que la cartographie sino-jsuite influence en Europe la reprsentation de l'Asie orientale. Durant ce laps de temps, la gographie de la mer du Japon (mer de lEst) commence tre mieux cerne, quoique incompltement. Sa connaissance est lie celle de l'archipel japonais, et donc la relation particulire qu'entretiennent Europens et Japonais quant la cartographie de cette rgion. Le trentin Martino Martini (1614-1661) fait paratre son Novus Atlas Sinensis (Nouvel atlas chinois) Anvers en 1654. Il le ralise partir de ses voyages et grce aux informations ou aux documents qu'il a obtenus lors de son premier sjour en Chine (1643-1650), comme il lindique : La carte schmatique de la Chine a t dessine par les lettrs de la Chine eux-mmes (8). Quant l'ensemble des matriaux de son atlas, il affirme les avoir extrait de quinze livres gographiques chinois (9). Mais Martino Martini reste muet sur la dnomination de la mer du Japon, ce qui n'est pas sans incidences sur les choix que les nouveaux cartographes europens, particulirement sduits par son puissant atlas, feront propos de cet espace. Revenons sur loption toponymique riccienne. la fin du XVIe sicle, aucun cartographe europen ne mentionne de mer du Japon , de mme qu'aucun cartographe sinis. Il semble donc que Matteo Ricci ait choisi de sa propre initiative de dnommer ainsi la mer du Japon . Comment expliquer ce choix ? Sauf information mconnue, nous en sommes rduits aux conjectures, qui s'articulent autour de deux points. Le premier est le trac de la mer du Japon, et le second la place que celle-ci occupe au sein des grands ensembles terrestres et maritimes. De toutes les cartes europennes ou sinises qui existent jusqu'alors, et toutes chelles, la mappemonde de Matteo Ricci est incontestablement celle qui en prsente enfin le trac le moins incohrent sinon le plus raliste, surtout si l'on considre qu'Ezo a t effectivement reprsent mme affubl d'une fausse toponymie. Alors ? On en est rduit aux conjectures Nous savons que Matteo Ricci s'est appuy sur de nombreuses sources tant chinoises qu'europennes ds les moutures prcdentes ralises partir de 1584, mais perdues, qui conduisent la mappemonde de 1602. Du ct des connaissances europennes, une histoire sur la Compagnie de Jsus, rdige en latin par le jsuite Maffei en 1571 et traduite la mme anne en franais par le jsuite Auger, rvle bien lincertitude qui rgne encore chez les Europens quant la gographie de lExtrme-Orient maritime. Elle crit en effet propos des les du Japon que celles-ci appartiennent un pays de fort grande tendue, assises en la mer Ocan dite Srique, vers le Septentrion onques reconnues des Anciens ( 10 ). Au sein de la mtagographie des jsuites de l'poque, le Japon se situe donc quelque part dans une vaste mer de Chine Ricci a dailleurs trs probablement lu l'ouvrage de Maffei, au moins son Histoire des Indes parue en Italie en 1588. La question du statut gographique d'Ezo proccupera moult gographes europens, notamment en France au cours des XVIIe et XVIIIe sicles, suscitant diverses polmiques (11). Elle rvle par contrecoup l'tat des connaissances gographiques sur la mer du Japon (mer de lEst) elle-mme puisque l'le en constitue l'un des contours, l'une des extrmits, celle du nord. Autrement dit,8 9

De Bello Tartarico Historia, 1654, p. 17, cit par Bernard (1935), op. cit. p. 446. Bernard-Maitre (1935), op. cit., p. 447. 10 Cit par Dainville, p. 127. DAINVILLE Franois de (1969) : La Gographie des humanistes. Genve, Slatkine Reprints, 1re d. Paris 1940, 572 p. 11 BREITFUSS L. (1937) : Early maps of North-Eastern Asia and of the lands around the North Pacific Controversy between G. F. Mller and N. Delisle . Imago Mundi, II, p. 87-99. BROC Numa (1975) : La Gographie des Philosophes - Gographes et Voyageurs franais au XVIIIe sicle. Paris, Ophrys, 600 p., 1re d. 1972.

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moins la mer du Japon est connue du ct septentrional, plus son onomastique est susceptible de subir l'influence des orientations mieux connues du ct de la pninsule Corenne et des rivages japonais du San.in ou du Hokuriku. L'insularit d'Ezo nest que dfinitivement atteste que trs tardivement, par le voyage de Laprouse en 1787 qui devance les Japonais eux-mmes, jusque-l peu intresss connatre l'ampleur de cette le qu'ils qualifient de Barbare (Ezo ) l'image de la mtagographie chinoise. Laprouse est celui-l mme qui, en traversant et en cartographiant scientifiquement le premier la mer du Japon, devient le personnage-clef qui lui consacre son nom dans la gographie mondiale partir du XIXe sicle. En reprenant le choix toponymique propos par Laprouse, les gographes et cartographes de divers pays reconnaissent la primeur de celui qui a eu les moyens de reconnatre compltement et scientifiquement un espace, en dehors mme de la nationalit de lexplorateur et au-del dune volont imprialiste dimposer un nom occidental. Car Laprouse, se dmarquant de la plupart des explorateurs de lpoque, des Britanniques en particulier, ne donne pas le nom dun monarque franais ou dun hros europen lespace quil repre. Il choisit le toponyme dun pays qui lui semble le plus appropri la gographie locale, selon un principe de ralit. propos des terres dj connues, il explique sa mthode : Je crois que lorsque les noms du pays sont connus, ils doivent tre religieusement conservs, ou, leur dfaut, ceux qui ont t donns par les plus anciens navigateurs : ce plan dont je me suis fait une loi a t fidlement suivi dans les cartes qui ont t dresses pendant ce voyage : et si lon sen est cart, ce nest que par ignorance, et jamais pour vaine et ridicule gloire dimposer un nom nouveau (12). Cette prcision est dailleurs apporte lorsquil dcrit les ctes de Tartarie . Abandonnant la tradition de plusieurs gographes franais qui utilisaient le nom de mer de Core au cours du XVIIIe sicle (Guillaume Delisle, Jacques-Nicolas Bellin, les Janvier) (13), Laprouse opte donc pour le Japon et mer du Japon car ce sont des navires japonais quil a croiss dans cette mer au cours de son expdition, et dautres cartes europennes proposaient aussi ce nom. 1. 2. Les cartes europennes de larchipel japonais la fin du XVIe sicle et au XVIIe sicle Les cartes de Robert Dudley (1573-1639), Anglais pass au service du duch de Toscane durant une trentaine d'annes, sont les premires ralisations europennes, autres que celles de Ricci, donner un trac global de la mer du Japon (mer de lEst). Elles introduisent trois lments ce propos (1646, 1661) (14). Tout d'abord, l'inscription en majuscule Oceano boriale del Gappone (sic), qui occupe le milieu de l'espace concern. Selon J. F. Schtte, Dudley l'a repris de Ginnaro, en le compltant. Ensuite, l'ouest de ce toponyme, se trouve galement, en minuscules et en caractres plus petits, l'inscription Mare di Corai (mer de Core) place au large de la cte corenne. Enfin on trouve la dnomination de Mare di Iezo en position variable, soit en haut gauche du profil (1661), soit en haut droite (1646) (15).12

Cit par : KOBAYASHI Tadao (1988) : Laprouse dans les mers proches du Japon . Bicentenaire du Voyage de Laprouse 1785-1788, Pierre Amalric dir., actes du colloque dAlbi, mars 1985, Rabastans, Association Laprouse Albi, 464 p. + 61 p. dannexes, p. 397-399, p. 399. Situ la fin du chapitre 21 du troisime volume de la transcription de Milet-Mureau. Le texte original envoy par Laprouse et reproduit par Dunmore et De Brossard indique le chapitre XVII, Dunmore et De Brossard (1985), op. cit. infra, t. II, p. 387. 13 PELLETIER Philippe (2007) : La cartographie de lAsie orientale et la dnomination de la mer du Japon ( mer de lEst ) aux XVIIe et XVIIIe sicles . Pninsule, 54, p. 57-98. 14 SCHTTE Joseph F. (1969) : Japanese cartography at the court of Florence, Robert Dudley's maps of Japan, 1606-1636 . Imago Mundi, XXI, p. 29-58. Archivage la Staatsbibliothek de Mnich, Mss. Icon. 140. 15 Dans la seconde dition florentine de 1661, qui correspond en fait la premire cration de 1646 d'aprs J. F. Schtte, il est mentionn Il Mare Settentrionale di Iappone o Giappone et, en haut droite du profil, Il mare Australe di Iezo o

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Dudley sinscrit dans la filiation Moreira/Tsuzu, Ginnaro et Cardim. Il dispose en Italie d'abondants matriaux jsuites. Il sinspire aussi de Lus Teixeira (1595), dont il recopie mme les coquilles toponymiques. Il propose une vritable fusion de la conception cartographique europenne du Japon labore du milieu du XVIIe sicle. La premire carte dont Dudley sinspire est donc celle de Lus Teixeira (1595). Nous savons peu de choses sur ce Portugais, membre d'une famille de cartographes et travaillant pour le roi d'Espagne. Il apporte au clbre cartographe flamand Abraham Ortelius (1527-1598) quelques complments sur le Japon pour le Thtre du monde (Orbis terrarum) de 1570. Puis, en 1592, il lui envoie une carte du Japon, Japoniae insvlae decriptio, publie dans l'dition 1595 de l'atlas. Son apport est considrable par rapport aux documents antrieurs. La position en latitude et en longitude du Japon est peu prs correcte, avec une marge d'erreur de 5' pour la latitude sud, de 35' pour la latitude nord. Lcart entre les longitudes est infrieur de 1 la ralit. Les contours sont mieux cerns. La forme est moins grossire. De nombreux dtails sont ajouts. Les lacunes et les erreurs restent nanmoins importantes : Honsh est orient O-E au lieu de SO-NE, les les sont encore dformes, la Core est considre comme une le. La carte ne fournit aucun toponyme maritime. Les sources de Teixeira semblent diverses d'aprs les filiations que l'on peut tablir faute d'informations prcises. Il se fonde sur les types de carte Gygi (peut-tre le modle qui fut retrac et laiss Florence) et Jtoku-ji (d'aprs des toponymes comme le lac Biwa, des noms de rivires et de montagnes). Il sappuie sur le modle Vaz Dourado (la forme de Shikoku). Il utilise la cartographie chinoise, qui il emprunte l'tirement singulier de la pninsule Corenne et le trait du littoral chinois qui ressemblent fortement la carte du Gujin xingsheng zhi tu de 1555. Il consulte aussi la carte nerlandaise de Linschoten/Van Langren via une copie de Petrus Plancius. Vu les dates, il ne semble pas que Teixeira ait eu en main des documents du type Moreira (cf. infra). Grce son insertion dans le trs pris atlas d'Ortelius, sa carte du Japon est particulirement diffuse, apprcie et utilise comme modle de base pour l'laboration de nouvelles cartes o les concepteurs europens ajouteront de nouveaux lments. Elle conduit Ortelius modifier sa reprsentation du Japon dans ses productions ultrieures, mme si quelques copistes la trane ne suivront pas forcment le train de l'actualisation. La seconde carte europenne dcisive est celle d'Ignacio Moreira (1538?-1601?), un jsuite portugais qui accompagne le Visiteur Alexandro Valignano (1539-1606), ambassadeur du vice-roi des Indes, durant la deuxime mission de celui-ci au Japon qui l'amne jusqu' Toyotomi Hideyoshi (entrevue Kyto de mars 1591) (16). Pendant deux ans (1590-1592), Moreira parcourt une bonne partie du Japon, surtout de l'ouest. Cest un mathmaticien qui sait utiliser les instruments astronomiques et gographiques. Dans son Histoire de l'glise au Japon (1601), Alexandro Valignano loue sa passion, ses connaissances et son travail de cartographe. Grce l'astrolabe notamment, Moreira effectue plusieurs relevs de terrain qui lui permet de tracer la premire carte scientifique - ordonne en latitude et en longitude - du Japon. Il s'enquiert galement des distances de diffrents lieux auprs des Japonais, comme il le prcise lui-mme dans l'Explication accompagnant sa carte. Il est galement possible, sinon probable, qu'au cours de son priple Ignacio Moreira ait eu connaissance des mappemondes-paravents dites namban bybu , dj existantes au Japon cette poque, des cartes du type Jtoku-ji ou encore des cartes Gygi (comme semblent le prouver certains dtails surinsulaires) (17).

tempestoso, ce qui correspond soit la Manche de Tartarie, selon la logique de l'emplacement, soit la mer d'Okhotsk, selon la logique adopte par Dudley. Sur la filiation des cartes Moreira-Blancus-Ginnaro-Cardim-Dudley-Sanson, cf Hubbard (1994). 16 SCHTTE Josef Franz (1962) : Ignacio Moreira of Lisbon, cartographer in Japan 1590-1592 . Imago Mundi, XVI, p. 116-128. 17 HUBBARD Jason C. (1994) : The map of Japan engraved by Christopher Blancus, Rome, 1617 . Imago Mundi, 46, p. 84-99, p. 91.

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Le rsultat est tout fait apprciable. Moreira dessine en particulier la partie nord-est de Honsh, ce que fait maladroitement Teixeira, et un bout d'Ezo, ce que ne fait pas du tout Teixeira. Lui non plus ne fournit toutefois aucun toponyme maritime. La troisime carte est due Joo Rodrigues Tsuzu (1561-1633). N dans les montagnes de Beira au Portugal, ce mousse atterrit au Japon en 1577, l'ge de quinze ans. Trois ans plus tard, en 1580, il entre au noviciat jsuite d'Usuki dans le Bungo. Grce ses talents dans de multiples domaines - une matrise exceptionnelle de la langue japonaise qui le conduira raliser deux ouvrages de grammaire extrmement prcieux (en 1604-8 et en 1620), une information sur les choses japonaises, un savoir-faire commercial - il se rend prcieux, sinon indispensable, aux jsuites comme aux Japonais. Il devient l'interprte de Hideyoshi ( partir de 1591) puis de Ieyasu, d'o son surnom de Tsuzu : l'Interprte . Cette fonction prcieuse n'empche pas son expulsion du Japon en 1610, cause de ses implications tant religieuses que commerciales. Rfugi Macao, o il meurt, il s'engage dans un vaste travail de documentation sur le Japon et l'Asie orientale, rsum par son Historia da Igreja do Japo (1634) (18). Joo Rodrigues Tsuzu ralise notamment plusieurs cartes, dont au moins une du Japon qui comporte les degrs, la division en provinces, etc. Mais toutes sont perdues. Son Historia ellemme vgtera dans les archives du collge jsuite de Macao dont elle ne sortira qu'en 1761 pour gagner Madrid en 1773. Pour autant, son travail gographique ne reste pas ignor de ses contemporains. Nous savons, ne serait-ce parce qu'Ignacio Moreira en parle lui-mme, que Joo Rodrigues Tsuzu est en contact au Japon avec celui-ci, son an de plus d'une vingtaine d'annes, lors de la mission de 1590-1592. Aprs moult recherches, hypothses et reconstitutions, le gographe japonais Takahashi Tadashi estime ainsi que la carte de Moreira se fonde probablement sur une carte de Rodrigues Tsuzu (19). Mais peu importent la gense et l'antriorit, ce qui compte, c'est la diffusion du document et sa nature. Joo Rodrigues Tsuzu a travaill en Chine dans l'entourage des cartographes ricciens, y compris Pkin. Il frquente le jsuite Antnio Francisco Cardim (1596-1659) lorsque celui-ci vit Macao (1622/23-1638), au moins au cours de deux priodes o ils se trouvent ensemble dans la cit (juin 1615 1626 ; et premire moiti de 1633) (20). Il est donc parfaitement envisageable et plausible que la toponymie ricienne de mer du Japon ait t transmise Cardim pour sa carte de 1646, peut-tre labore et envoye Rome ds 1635. Bernardino Ginnaro (1577-1644), autre jsuite, propose toutefois une toponymie en partie diffrente (1641). Il garde Oceano Cinese au sud de Honsh, mais adopte Oceano boreale au nord. L encore, il est difficile d'interprter cette innovation. Il est possible que Ginnaro ait utilis, au moins en partie, la conception chinoise dnommant les mers par leur orientation et qu'il se soit inspir d'une carte chinoise (mais laquelle ?). Il ruinerait a contrario l'hypothse d'une forte influence riccienne, moins que, prcisment, de nouveaux principes cartographiques et onomastiques ne se soient superposs aux prcdents : mais lesquels ? En tous les cas, selon Josef Franz Schtte, il parat probable que Ginnaro et Cardim ont eu entre les mains une mme carte, soit influence par Ignacio Moreira, soit une carte faite par celui-ci, et qu'ils ont labor lgendes et parures en fonction de leurs objectifs ( 21 ). Soulignons que ni Cardim, ni Ginnaro ne se sont rendus au Japon, contrairement Moreira et Rodrigues Tsuzu, et qu'ils sont donc dpendants de sources indirectes : soit chinoises, soit europennes, soit japonaises, assurment Moreira-Tsuzu.

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COOPER Michal (1973) : This island of Japan : Joo Rodrigues' account of 16th century. Tky, Kdansha. TAKAHASHI Tadashi (1985) : Seizen suru shoki Nihon chizu ni tsuite I. Moreira-kei chizu wo chshin to shite ( propos des premires cartes du Japon faites par les Europens - Focalisation sur les cartes du type Moreira). Nihongakuh, 4, p. 1-33 ; (1987) : Jshichi seiki Nihon chizu ni okeru Teisheira gata to Moreira gata : Sanson to Daddorei no baai (Les types Teixeira et Moreira dans les cartes du Japon du XVIIe sicle ; le cas de Sanson et de Dudley). Nihongakuh, 6, p. 111-135. 20 Schtte (1969), op. cit., p. 49. 21 Schtte (1969), op. cit., p. 50.

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Le trio toponymique de Dudley pour la mer du Japon (mer de lEst) - Oceano boriale del Gappone, Mare di Corai, Mare di Iezo - constitue donc une vritable nouveaut, y compris par rapport aux cartes antrieures qui relvent de la mme famille. Contrairement aux cartographes qui viennent dtre voqus, Dudley n'est pas un spcialiste de l'Asie orientale ou du Japon, mais un concepteur de cartes nautiques. En outre, c'est la premire carte europenne, en mettant part le cas de Matteo Ricci, qui figure, propos du Japon et de l'autre ct de la suppose mer du Japon, une trs large bande de terre s'apparentant au littoral de la Sibrie et relie la pninsule Corenne. Autrement dit, la mer du Japon (mer de lEst) commence tre dessine par les Europens. En revanche, Robert Dudley estime, tort, que cette bande de terre correspond Iezo (= Hokkaid). On peut en dduire un tlescopage d'informations et supposer quil avait quand mme appris l'existence d'une mer bien circonscrite, et facilement traversable. Les cartes de Dudley sont introduites au Japon par les Nerlandais. 1. 3. Les cartes europennes au XVIIe sicle : la Core, une le provisoire Si le voile gographique est peu peu lev sur larchipel japonais et le couple Cipango-Japon, il n'en va pas de mme propos de la Core dont l'identit spatiale reste mystrieuse pour les Europens pendant plus longtemps. De fait, la Core se retrouve durablement carte des curiosits europennes, pour trois raisons au moins. Il sagit dabord dun tat tributaire tellement fidle la Chine et si proche de celle-ci qu'elle n'en apparat, pour les regards extrieurs, que comme une simple composante, une province. Ensuite, la Cour corenne a suffisamment de soucis intrieurs et de pressions extrieures, coince qu'elle est entre l'empire chinois, le shgunat nippon et les pirates wak, qu'elle ne juge pas ncessaire de s'extravertir outre mesure : elle ne cherche pas le contact avec les Europens. Enfin, la Core est topographiquement loigne des grandes routes maritimes de l'poque et, surtout, elle ne dtient pas alors de richesses susceptibles d'intresser les Europens, contrairement au Japon dont les cartes ne cessent de mentionner du XVIe jusquau XVIIIe sicles lexistence de mines dor ou dargent. Le commerce entre la Core et lEurope est insuffisant, ce qui contribue la distanciation de ses routes maritimes. Ainsi, encore au milieu du XVIIIe sicle, aprs avoir soulign que nous n'avons point vu nous-mmes le dedans du Royaume [de Core], ni la cte de la mer, [] personne n'ayant eu la facilit, ni le moyen de s'informer en dtail de la situation des Villes et du cours des Rivires , linfluent lettr jsuite Jean-Baptiste du Halde (1674-1743) relve, sur la base des observations rapportes par le pre Rgis, de faon un peu dsabuse que ce que la Core a de plus prcieux, c'est la rcolte de la fameuse plante du Ginseng, et la chasse des zibelines (22). Ce n'est quand mme pas assez pour les cupides Europens, du moins pour le moment La Core se retrouve donc dans une sorte d'angle mort de l'Asie orientale, au contact de la froide et peu peuple Sibrie, laquelle ne sera colonise que tardivement par les Russes, partir du XVIIe sicle. Elle se replie facilement sur elle-mme, elle se laisse oublier : le mythe du royaume-ermite nat ( 23 ). Cette relative ignorance gographique de la Core par les Occidentaux a bien entendu des rpercussions importantes sur la cartographie et, en particulier, sur la toponymie. Inversement, la prise de connaissance la fin du XVIIe sicle provoque un retournement conceptuel. Elle favorise l'closion d'une toponymie maritime et rgionale lie ce pays, dont le nom de mer de Core ou mer de Tartarie .22

DU HALDE Jean-Baptiste (1735) : Observations geographiques sur le Royaume de Core, tires des memoires du Pere Regis (sic). Description gographique, historique, chronologique, politique et physique de l'empire de Chine et de la Tartarie chinoise, Paris, G. Le Mercier, vol. 4, p. 424, 426. 23 BOULESTEIX Frdric (2001) : La Core, un Orient autrement extrme . Revue de littrature compare, 1, 297, p. 93-111.

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La connaissance gographique europenne de la Core est donc plus tardive que celle du Japon puisquelle lui est postrieure d'un demi-sicle. L'Atlante (1508) du florentin Francesco Rosselli dessine des contours septentrionaux de la Chine et un pays qui ressemble la pninsule Corenne de faon assez raliste, mais sans lui attribuer de nom (24). Les planisphres de Lopo Homem (1554, Lisbonne), Bartolomeu Velho (1554), Diogo Homem (1558), Domingo Teixeira (1573), G. B. Peruschi (1597) ne lui donnent pas de toponyme lui non plus. Ferno Vaz Dourado inscrit enfin quelque chose : Core (1571), assurment tir du japonais Kori, ou bien Costa de Conrai (1568, 1573). la fin du XVIe sicle, les lettres jsuites sont les premires mentionner la Core en voquant son rle dans la diffusion du bouddhisme au Japon. Dans un courrier envoy en Europe (fvrier 1571), Gaspar Vilela, fondateur d'une glise Kyto, rsume bien la mtagographie europenne de l'poque en soulignant que la Core se situe au-del du Japon : encore plus loin. C'est donc tardivement, le 27 dcembre 1593, que le premier Europen visite la Core, le pre jsuite Gregorio de Cespedes accompagn d'un frre japonais (25). Le savoir europen installe en outre un quiproquo qui va durer pendant plusieurs dcennies : cosmographes, cartographes et explorateurs croient qu'il s'agit d'une le. Bien que les Portugais, qui sont les devanciers dans la rgion, soient dhabitude plutt bien informs, Lus Teixeira dessine sur sa clbre carte du Japon (cf. supra) la Core comme une longue pninsule qui s'effiloche vers le nord, coupe par le bord suprieur de la carte, et il crit sans ambages Corea Insvla (1595). Or Teixeira se fonde sur des sources japonaises : il apparat donc comme crdible. De surcrot, il est publi par le clbre Ortelius qui lui assure une totale lgitimit. Au vu de la mention Corea Insvla, ses successeurs extrapolent l'effilochement comme tant la pointe d'une le, qu'ils tracent dfinitivement. C'est ce qui explique l'erreur commise par la suite par l'ensemble des cartographes flamands ou autres. Ainsi la figurent les cartes de Linschoten/Van Langren (Ilha de Corea, 1596, 1619), Van Neck (Core Insula, 1600), John Speed (Ile Corea, 1627), Philipp Eckebrecht (1630), Willem Janszoon Blaeu (Corea Ins., 1630 ou ca. 1645) et Jan Jansson (1650). Certains oscillent, tels Jodocus Hondius (1607) qui la trace tantt comme une le - indiquant Corea Indigeniis Caoli - (26), tantt comme une pninsule, un isthme mme (27). La mappemonde de Grard Mercator (1569) reprsente la zone corenne de faon elliptique (28), ainsi que celle d'Ortelius (1570) (29). De faon gnrale, le travail de Mercator-Hondius sur l'Asie orientale est plutt limit, infrieur en tout cas aux multiples innovations qu'il apporte par ailleurs (30). L'option isthme est quand mme maintenue par la famille Hondius pour les diffrentes ditions de leur carte de l'Asie (1631, 1641, 1663). l'chelle micro, toutefois, les cartographes qui traitent l'archipel japonais et qui sont amens, dans leur cadre, figurer la Core, ne reprsentent qu'une partie de celle-ci. Mieux informs que les cartographes de cabinet et les Flamands, mais respectueux des autorits du savoir, ils vitent de prendre parti (Blancus 1617, Cardim 1646, Dudley 1646 mais pas Dudley 1661). Hessel Gerrits (1580-1633) constitue une belle exception. Sur sa magnifique carte du Pacifique (1622), ce cartographe de la V.O.C. nerlandaise de 1617 sa mort 1633 et, ce titre, plac au cur d'un formidable rseau d'informations de premire main concernant l'Asie orientale, dessine une pninsule corenne trs raliste. Matthus Greuter (166?-1638) constitue une seconde exception. Sur son globe construit en 1632, il dessine une Core encore plus raliste. Bien que la quasi24

CRINO Sebastiano (1938) : L'Atlante inedito di Francesco Rosselli e la sua importanza nell'evoluzione cartografica del periodo delle grandi scoperte . Comptes rendus du Congrs international de gographie Amsterdam 1938, t. II, Gographie historique et histoire de la gographie, Leiden, Brill, 220 p., p. 153-163. 25 CORY Ralph M. (1937) : Some notes on Father Gregorio Cespedes, Korea's first European visitor . Transactions of the Korea branch of the Royal Asiatic Society, XXVII, p. 9. 26 Asi Nova descriptio, Amsterdam. 27 Asia, Corea Istmus. 28 Nova et aucta orbis terrae descriptio 29 Tartariae sive magni Chami regni, Anvers. 30 KEUNING Johannes (1947) : The history of an Atlas, Mercator-Hondius . Imago Mundi, IV, p. 37-62.

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totalit de ses informations provienne des Blaeu, il dispose d'autres sources en ce qui concerne le nord du Japon (Yezo) et la Core : vraisemblablement d'une carte de Christophorus Blancus et, pour des tats postrieurs, le compte-rendu de l'exploration du navigateur flamand Maerten Gerritsz (1645). Ensuite, Jean Gurard (1634) dcrit le Promont. [= promontoire] du Corea, en forme de pninsule (31). Melchior Tavernier (1594-1665), frre an de l'aventurier Jean-Baptiste et comme lui en cheville avec les Nerlandais, opre de faon similaire (1640) (32). Joo Teixeira Albernas I (1649) reprend la tradition portugaise, correcte en dehors de Teixeira, et trace son tour la pninsule corenne. Finalement, la cartographie du jsuite Martino Martini (1654 et 1655), qui puise ses sources dans le monde sinis et qui est publi par un atlas notoire, celui de Joan Blaeu, assoit dfinitivement l'ide que la Core est bien une pninsule. Nicolas Sanson, qui dans son Asie de 1650 trace encore la Core comme une le, adopte la solution conforme ds sa carte de Chine de 1656. En revanche, le nom du pays coren est, quant lui, immdiatement et correctement identifi. Il provient d'une translation du nom de la dynastie Koryo dont l'idogramme est lu Gaori en chinois et Krai en japonais, retranscrit en Corea par les langues europennes et notamment par les premiers missionnaires du XVe sicle. 2. LIMPRIALISME BALEINIER OCCIDENTAL au XIXe sicle Au cours des XVIIe et XVIIIe sicles, la curiosit europenne vis--vis de lExtrme-Orient est limite par le repli japonais, coren et chinois. Elle se reporte sur la Tartarie dont lexploration est mene par les Russes (33). Lexpdition de Laprouse (1787) constitue une premire brche, motive par une comptition entre Britanniques et Franais visant lexploration des dernires terres inconnues : le passage du nord-ouest (le long du Canada et du Groenland), locan Pacifique mridional (Polynsie, Australie, Nouvelle-Zlande) et septentrional (Hawaii, Tartarie). Les Britanniques semblent les plus prompts et les plus performants, avec les expditions de Cook en particulier et la dcouverte du chronomtre marin par John Harrison (1761). Mais les Franais ne sont pas en reste, dcouvrant la Polynsie et, avec Laprouse, explorant la mer du Japon (mer de lEst) (34). Il faut souligner que ces explorations entranent, pour les lieux dcouverts , une toponymie choisie et impose par les Europens, et que celle-ci sest effectue selon deux types dapproches diffrentes sinon antagonistes. Lune repose sur une base ethnique, et saccompagne de prsupposs racialistes (Malaisie, Mlansie), soit colonialistes (Australie et non Australasie ou Notasie, car il fallait dtacher cette terre du continent asiatique, cest--dire des Asiatiques ; Nouvelle-Guine, Nouvelle-Zlande). Lautre peut tre qualifie dhumaniste (Insulinde, Micronsie, Polynsie, Ocanie). Cest celle-ci que se rattache Laprouse dans ses grandes lignes, mais pas dans les dtails. Lexpdition de Laprouse en Extrme-Orient nest pas sans ambitions coloniales de la part de ltat franais. Du moins sagit-il dabord de reprer les lieux occups par les concurrents anglais, nerlandais, espagnols ou russes, de vrifier si ceux-ci sont bien prsents, puis, le cas chant, destimer si une installation franaise est possible. Les brouillons rdigs par Charles Pierre Claret comte de Fleurieu (1738-1810), lun des prparateurs de lexpdition, sont bien plus explicites 31 32

Carte Universelle hydrographique. Charte universelle de tout le monde, in Thtre contenant la description de la carte gnrale. 33 Pelletier (2007), op. cit. 34 Les deux orthographes de La Prouse et de Laprouse sont lgitimes et ont lgalement cours, bien que le personnage lui-mme signt toujours Laprouse sur les documents dont on dispose. THOMAS Jacques (2003) : pilogue la question de lorthographe du nom de La Prouse . La Gographie, Acta Geographica, 1508, p. 76-78. De Brossard et Dunmore (1985), op. cit. infra, t. I, p. XI.

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ce sujet, prcis et dtaills , que la version finale du voyage publie par L.-A. Milet-Mureau (1797, et constamment rdite depuis). Autrement dit, comme le remarque Catherine Gaziello, outre la recherche de mouillages pour escales, il sagit de reprer lemplacement de futurs tablissements coloniaux l o nul autre Europen ne sest dj install, mais on nenvisage rien de plus quun comptoir commercial, par exemple dans lune des Kouriles mridionales, qui ne sont pas sous domination russe (35). Lexpdition de Laprouse na finalement pas dimpact colonialiste direct, mais, par son reprage des lieux, elle popularisera plusieurs toponymes comme mer du Japon , manche de Tartarie , dtroit de Laprouse , voire Sakhaline (Saghalien , voque avant lui par DAnville en 1734), plus quelques noms de baie sur les ctes sibriennes (36). Cest bien elle qui prcise la gographie de cette rgion, comme le souligne Catherine Gaziello : Du strict point de vue de lexploration, Laprouse apportait la premire carte prcise des ctes du Japon et de la Tartarie, reconnaissait Formose, les les des mers de Chine et surtout Sakhaline dont lexistence tait peine connue auparavant. Son voyage permettait daffirmer linsularit de Yeso [Hokkaid] et dcouvrait le dtroit qui la sparait de Sakhaline. Ce dtroit reut le nom de Laprouse. Daprs la carte de la mer dOkhotsk donne Laprouse au Kamtchatka, les Russes ne savaient pratiquement rien de cette partie des ctes du Japon (37). Il existe dailleurs en France une tradition dintrt et de curiosit gographiques pour cette partie du monde. Dj, Guillaume Delisle (1675-1725) cherche rsoudre la question de linsularit de Hokkaid. Son frre Joseph-Nicolas Delisle (1688-1763) est cartographe au service de la couronne russe. Son demi-frre, Louis Delisle de la Croyre (1687-1741), participe aux expditions russes en Sibrie. Le jsuite Antoine Thomas (1644-1709) cartographie la Tartarie. La plupart dentre eux voquent une mer de Core (38). Laprouse nest finalement que lhritier de ce tropisme. Jean-Nicolas Buache de la Neuville (1741-1825), descendant des Delisle, participe dailleurs la prparation de son voyage, mme si son choix toponymique diffre finalement comme on la vu. 2. 1. La pression de la chasse baleinire amricaine Le contexte change avec lessor de la chasse baleinire partir du XIXe sicle. Avant larrive du ptrole la fin de ce mme sicle, les pays occidentaux qui sindustrialisent en font une activit conomique intense, prospre et profitable, fonde sur les diffrents produits qui en sont extraits (huile surtout, mais aussi fanons, ambre, glycrine). On oublie souvent que la chasse baleinire joue galement un rle norme, essentiel et fondamental, dans la rouverture force du Japon shgunal par les tats-Unis en 1853 et, par consquent, dans la reconfiguration gopolitique de lensemble rgional, Core comprise (39). Cest dans ce contexte que les rochers Liancourt vont tre dcouverts par les Europens. La dsormais clbre expdition militaire tats-unienne commande par le commodore Matthew Calbraith Perry (1794-1858) se place en effet dans le cadre dune comptition baleinire internationale farouche, et dun besoin urgent de la part de lAmrique du Nord dans ce domaine. Que la chasse la baleine soit alors un prtexte pour une politique plus globale d ouverture des pays essayant dchapper au commerce ou au contrle occidental, cela ne fait gure de doute, mais elle nen a pas moins t un levier crucial. Il est mme probable que son rle conjoncturel et

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GAZIELLO Catherine (1984) : LExpdition de Laprouse 1785-1788, rplique franaise aux voyages de Cook, Paris, C.T.H.S., 324 p., p. 53. 36 DE BROSSARD Maurice, DUNMORE John (1985) : Le Voyage de Laprouse 1785-1788, rcits et documents originaux. Paris, Imprimerie Nationale, Tome I, 316 p. et Tome II, 514 p. 37 Gaziello (1984), op. cit., p. 205. 38 Pelletier (2007), op. cit. 39 BURCIN Terry (2005) : Commodore Perrys 1853 Japanese expedition : how whaling influenced the event that revolutionized Japan. M.A. Thesis, Virginia Polytechnic Institute and State University, 94 p.

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pressant a permis aux tats-Unis de devancer les autres puissances occidentales (Royaume-Uni, Russie, France) dsireuses de rouvrir le Japon ou la Core. Lune des premires demandes de Perry auprs des autorits shgunales, comme cela figure dans les premiers items de sa lettre de mission, est dobtenir lautorisation pour les navires amricains, cest--dire les baleiniers en ralit, de se ravitailler dans les ports japonais. Cette revendication, cette exigence mme puisquelle est appuye sur la menace arme, conclut en fait un pisode dont lorigine remonte une cinquantaine dannes auparavant. Au dbut du XIXe sicle, la chasse la baleine tats-unienne bnficie en effet de nouveaux moyens technologiques plus performants qui culminent avec le lancer de grenade la fin des annes 1840. Elle prend son essor sur la cte nord-est des tats-Unis, avec les ports de Nantucket et de New Bedford pour fiefs, forts de leurs navires de 300 400 tonnes et de leurs quipages de trente quarante personnes. Lactivit rapporte beaucoup dargent. Mais, assez rapidement, les eaux de lAtlantique septentrional sont pilles, dautant quelles sont galement frquentes par les concurrents norvgiens ou britanniques. Au cours des annes 1820, les stocks de ctacs sy rarfient. Les baleiniers tats-uniens se tournent alors vers les eaux du Pacifique septentrional. Ils gagnent Hawaii (1819), lAlaska (1835), le Kamtchatka (1843), se rapprochant ainsi du Japon. Ds 1823, ils frquentent larchipel Ogasawara , situ plus de mille kilomtres au sud de Tky, et qui occupe dailleurs une place particulire dans la progression amricaine et occidentale (40). Officiellement intgr en 1675 dans le territoire japonais la suite dune expdition commandite par le shgunat, et connu sous le nom de Bunin ( Sans personne , ou Inhabit , plus tard dform en Bonin), cet archipel est en effet laiss de ct, et inhabit, par les autorits japonaises qui le considrent comme une sorte despace tampon vers le sud et lest. Mais comme les navires occidentaux se rapprochent rgulirement de larchipel japonais au dbut du XIXe sicle, il finit par tre redcouvert par ceux-ci, voire revendiqu. Des Amricains provenant de Honolulu sy installent subrepticement en 1830. Il sagit notamment de chasseurs de baleine car les eaux environnantes sont riches en ctacs. Le shgunat, apprenant lexistence dune population parlant anglais sur ces les, finit par sy intresser et par rompre lomerta qui avait caus des ennuis aux lettrs ayant essay de le faire avant lui, arguant de limportance stratgique et gopolitique de cet espace (Hayashi Shihei , Sat Nobuhiro , Watanabe Kazan ). Aprs le passage de Perry en 1853, il y affirme sa souverainet en 1862. La soixantaine dhabitants dorigine blanche se retrouvent donc citoyens japonais, non sans soulever ultrieurement quelques interrogations identitaires et remises en cause problmatiques de la conception nationalitaire japonaise selon laquelle est japonais celui ou celle qui est dethnie japonaise. En 1846, trois cents navires baleiniers, rien que pour les tats-Unis, frquentent ainsi les eaux entourant larchipel japonais. Sy ajoutent les navires baleiniers franais qui exercent dabord dans locan Atlantique mridional, puis dans le Pacifique mridional, et qui, partir de 1843, remontent dans le Pacifique septentrional, partir de Hawaii (nomm les les Sandwich lpoque) notamment, et enfin vers larchipel japonais et la mer dOkhotsk. Ds 1828, lindustrie baleinire amricaine, reprsente par un avocat de lOhio, Jeremiah N. Reynolds (17991858), exerce un lobbying auprs du Congrs et du gouvernement tats-unien afin que les eaux du Pacifique soient protges pour la pche et la chasse la baleine par des navires de guerre (discussion avec le consul amricain dHonolulu en 1832) (41). Il trouve une oreille trs

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TANAKA Hiroyuki (1998) : How the Japanese of the Edo period percevied the Ogasawara Islands . Japanese language research center reports, 6, p. 31-58. LONG Daniel (2003) : The Bonin (Ogasawara) Islands : a multilingual, multiethnic and multicultural community in Japan . The Asiatic Society of Japan, confrence, 17 fvrier. KUBLIN Hyman (1951) : The Ogasawara venture (1861-1863) . Harvard Journal of Asiatic Studies, 14, 1/2, p. 261-284. 41 Burcin (2005), op. cit., p. 44.

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attentive auprs dAaron Haight Palmer, conseiller du Secrtaire dtat, et jusquauprs de la prsidence (42). Les communauts baleinires japonaises contribuent galement modifier la donne. En effet, lquipage de deux de leurs baleiniers qui font successivement naufrage est sauv et rcupr par des navires trangers, occidentaux. Comme toute sortie des Japonais du pays, mme accidentelle, et tout retour, mme rempli de bonne volont, sont passibles de la peine de mort conformment la loi shgunale, ces rescaps japonais restent dabord ltranger. Puis la politique japonaise sassouplit. Un dnomm Jirokichi, rcupr en 1838 par le baleinier James Loper provenant de Nantucket, revient au Japon en 1843. Au cours de la mme priode, un bateau japonais de cinq pcheurs fait naufrage en janvier 1841 au large de Shikoku. Lun dentre eux, Nakahama Manjir (1827-1898), alors g de quatorze ans, suit, aprs leur arrive en Hawaii, le capitaine Whitfield jusqu Fairhaven aux tats-Unis. Il tudie la pche et la chasse la baleine New Bedford et Fairhaven. Aprs avoir pass deux ans en mer sur le John Howland, il revient au Japon en 1851 avec deux autres compagnons. Ils sont aussitt arrts. Nakahama John Manjir est interrog pendant soixante-dix jours. Kawada Shory , un rangakusha , laide transcrire son rcit, intitul vocation dun naufrage vers le sud-est (Hyoson kiryaku , 1852), qui connat un certain succs (43). Au cours de sa dtention, il est longuement interrog sur les techniques baleinires amricaines, dont il reparle dans son livre. Libr, il les enseigne lcole de son fief dorigine, Tosa, aux cts des techniques modernes de navigation. Parmi ses lves se trouvent Iwasaki Yatar (1835-1885), le futur fondateur de lentreprise Mitsubishi, qui insiste dj beaucoup sur lexpansion outremer, Sakamoto Ryma (1836-1867) et Gogo Shojir, deux futurs leaders de la Restauration Meiji. Les baleiniers japonais commencent alors leur modernisation, et augmentent le nombre de leurs captures. Mais, comme dans la mme priode, leurs homologues tats-uniens et mme franais frquentent toujours davantage les eaux japonaises, une concurrence sinstaure. Les consquences qui en rsultent ne tardent pas se manifester. Par exemple, les prises enregistres par le kumi ( groupement de pcheurs ) de Katsumoto-Meme sur lle dIki chutent de 138 ctacs en 1845 seulement 14 en 1856 (44). Les tensions augmentent. En 1837 survient laffaire du Morrison (Morrison-g jiken). Ce navire tats-unien tente dentrer au Japon, sous le prtexte ostensible dy ramener sept marins japonais naufrags. Mais des missionnaires et des marchands les accompagnent galement. Le navire arrive Uraga, et il est refoul par des tirs. Il retente sa chance Kagoshima, sans plus de succs. Bien que les autorits shgunales ne soient jamais rentres en contact directement avec le Morrison, elles en gardent limpression dune vritable menace, qui les met davantage sur leur garde. En 1841, un baleinier tats-unien, le John Howland, rcupre cinq naufrags sur une petite le au large du Japon. Lun dentre eux qui finit par rentrer au Japon en 1851 donne, aux autorits japonaises qui linterrogent, une opinion favorable envers les Amricains. En avril 1845, un autre baleinier tats-unien, le Manhattan, rcupre des naufrags japonais et fait route jusqu Edo. Il dbarque les naufrags, mais lquipage amricain est contraint de rester bord. Son commandant, Mercator Cooper, rencontrera un haut responsable des Affaires trangres amricaines pour faire son rapport. Puis arrive, le 31 janvier 1849, laffaire du Lagoda. Ce baleinier tats-unien provenant de New Bedford schoue sur les plages japonaises. Ses hommes sont capturs et enferms pendant plusieurs mois dans des conditions cruelles. Quand lun des prisonniers finit par se pendre, les42

PALMER Aaron Haight (1857) : Documents and facts illustrating the origin of the mission to Japan : authorized by government of the United States, May 10th, 1851; and which finally resulted in the treaty concluded by Commodore M. C. Perry, U. S. Navy, with the Japanese commissioners at Kanagawa, Bay of Yedo, on the 31st March, 1854. Washington, Henry Polkinkorn, 22 p. 43 KAWADA Shory, NAGAKUNI Jun.ya, KITADAI Junji (2003) : Drifting toward the Southeast, the story of five cataways tolf in 1852 by John Manjir. New Bedford, Mass., Spinner Publications. 44 KALLAND Arne et MOERAN Brian (1992) : Japanese whaling, end of an era ? Londres, Curzon Press, 284 p.

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autorits japonaises laissent le corps dans la cage pendant deux jours. Cette affaire finit par tre connue aux tats-Unis, o elle suscite la colre. Le prsident amricain Fillmore insiste pour envoyer une expdition navale au Japon. Le Secrtaire dtat Daniel Webster (1782-1852), qui prend conseil auprs du consulat amricain en Chine, plaide pour que les envoys amricains ne se focalisent pas sur lincident du Lagoda lors de la prise de contact avec les Japonais. Mais le Commodore Perry est dun avis contraire car il considre cet acte comme celui dun peuple lche et semi-barbare (45). Webster tombant malade, cest lui qui rcupre la main. Il se voit donc attribuer la conduite des oprations sur le plan tant diplomatique que militaire. La mission de Perry vise explicitement la protection des marins en dtresse (point 1), puis la possibilit de se ravitailler dans les ports japonais (point 2) et enfin louverture au commerce de ceux-ci (point 3). Les baleiniers amricains peuvent tre satisfaits, ainsi que la puissance amricaine qui saffirme ds lors dans la rgion. lment anecdotique, lors des ngociations entre Perry et les autorits shgunales, on retrouve Nakahama Manjir engag comme interprte Celui-ci participera galement lexpdition shgunale de 1862 dans larchipel Ogasawara, qui permet de reconnatre ces les comme territoire japonaise, et laquelle succdera une premire colonisation japonaise russie en 1876. 2. 2. Le contexte franais de la navigation du Liancourt La France possde une longue tradition de chasse baleinire. Celle-ci commence avec les Basques partir du haut Moyen-ge, mais dont lactivit diminue progressivement avec lensablement et la petitesse de leurs ports. Elle se poursuit avec les Dieppois ou les Dunkerquois qui prennent le relais la fin de lAncien rgime. Mais elle priclite cause des contrecoups provoqus par les guerres napoloniennes et la rivalit avec lAngleterre (46). Conscient des besoins de lconomie franaise dont il encourage lindustrialisation, le rgime de la Restauration dcide une politique extrmement volontariste pour relancer lactivit baleinire (47). Il cherche attirer les spcialistes trangers, en particulier ceux de la Cte Est amricaine, avec qui les Dunkerquois ont dailleurs dj t en contact au cours des prcdentes dcennies. Une ordonnance royale du 8 fvrier 1816 accorde, ds la signature des Traits de Paris qui mettent fin aux guerres dEmpire (1815), une prime (de cinquante francs) par tonneau de jauge tout navire expdi la pche des ctacs ou amphibies lard (48). Cette prime est double pour les navires qui passent le Cap Horn ou franchissent le Dtroit de Magellan. La chasse dans locan Pacifique devient ainsi singulirement attractive. Ds 1817, des armements baleiniers sengagent Nantes, Bordeaux et au Havre. Cest l quentre en scne ltats-Unien Jeremiah Winslow (1781-1858) (49). Capitaine au long cours, un peu dsabus de sa profession dans un bureau dassurances Nantucket, il est attir par les mesures franaises. Il dcide de sinstaller au Havre, ce quil fait en janvier 1817 en amenant avec lui un navire baleinier, le Massachussets (50). Ds le 8 mai de la mme anne, il demande, et obtient, la francisation de celui-ci, ainsi que dun autre navire nantuckois, lArchimde, qui partent45 BRUNE Lester H. et DEAN BURNS Richard (2003) : Chronological history of U.S. Foreign Relations, 1607-1932, vol. I. New York, Routledge, 1430 p. 46 DU PASQUIER Thierry (1990) : Les Baleiniers franais, de Louis XVI Napolon. Paris, Henri Veyrier, prface dUlane Bonnel, 232 p. 47 DU PASQUIER Thierry (1982) : Les Baleiniers franais au XIXe sicle, 1814-1868. Grenoble, Terre et mer, 256 p. 48 BERNET tienne (2010 ?) : Les Armements baleiniers havrais au XIXe sicle. Confrence, Rotary Club de Fcamp. 49 N le 20 septembre 1871 Portland (Falmouth-Maine, tats-Unis), fils de John Winslow (forgeron mcanicien et ministre quaker) et de Lydia Hecker, dcd Nantes le 11 aot 1858. Gnalogie dOlivier Payennevill. cf. Du Pasquier (1982), op. cit., p. 119. 50 Dixunt tienne Bernet et Jean-Thierry Du Pasquier, op. cit. La ncrologie publie par The New York Times le 31 aot 1858 donne la date de 1814. Du Pasquier (1982), p. 123, donne un extrait dune lettre de Winslow, dont il est le descendant, qui prouve sans conteste la date de 1817.

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aussitt en campagne. Lactivit semble suffisamment rentable pour que Winslow investisse dans dautres navires baleiniers. Il sinstalle en France et au Havre. Il rencontre sa future femme, fille dun aubergiste anglais prsent dans la ville depuis longtemps. Sils se marient New Bedford en 1823, il construit une maison et fonde sa famille au Havre (51). Ds 1821, Louis XVIII, en considration de ses efforts promouvoir une nouvelle branche dindustrie, lui autorise des franchises, privilges, droits civils et politiques dont jouissent ses vrais et originaires sujets (52). Winslow devient franais. Il mariera ses deux filles des ngociants suisses et protestants tablis au Havre. Son fils pouse la fille dun filateur de Granville (53). Lointain descendant dun des plerins puritains embarqus sur le Mayflowe. il participe aux activits de lglise rforme du Havre, assez puissante grce la prsence anglaise ou amricaine (54) Mais le succs lui attire des jalousies, et des critiques dont la justification reste en discussion. Ses concurrents lui reprochent de profiter des largesses de ltat franais, qui les primes accordes aux armateurs baleiniers cotent de plus en plus cher, et de ne pas rendre la pareille, notamment en engageant prioritairement des marins franais et en faisant davantage profiter lconomie locale. Ils affirment que Winslow confie toujours les postes de responsabilit ses compatriotes, et quil se garde bien de former les marins franais. En 1822, la moiti des dix capitaines engags par Winslow sont dorigine tats-unienne. La plupart sont quakers de surcrot, famille religieuse laquelle Winslow appartient firement. Ses quipages, qui comptent une trentaine dhommes (de 30 35) par navire, tat-major compris. sont galement composs moiti dtrangers, majoritairement des Amricains. En 1830, Jeremiah Winslow compte huit navires en campagne pour un ensemble de 3 442 tonneaux. Il fait venir tous ses ustensiles des tats-Unis ou dAngleterre, affirmant quil ne trouve pas de matriel sur place et que, quand il achte localement, il est linitiative des progrs techniques en Normandie (55). Jeremiah Winslow russit trop bien. Il rgne (56). Il est habile. Entre 1820 et 1823, il russit mettre trois de ses navires en attache New Bedford et faire flotter ses trois autres au Havre sous pavillon amricain. Il achte ses bateaux ltranger, aux tats-Unis surtout, et les fait franciser pour toucher la prime. ses concurrents qui laccusent de donner du travail aux trangers plutt quaux Franais, Winslow rplique, non sans raisons, que ceux-ci rpugnent pratiquer lactivit baleinire. Suite ces ractions, une ordonnance du 7 dcembre 1829 impose que la pche soit francise . Autrement dit, les primes dencouragement ne sont accordes que si les navires sont construits en France et les quipages composs dau moins deux tiers dofficiers et de harponneurs franais. partir de ce moment, les armements franais de baleiniers se multiplient. On en compte une quinzaine rien quau Havre, o les chantiers construisent leurs navires, et 43 en 1837 pour toute la France (57). Jeremiah Winslow se dfend, et remet un rapport au dpartement de la Marine

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Mariage le 2 mars 1823 avec Sarah Norris (arbre gnalogique dOlivier Payennevill). Du Pasquier (1982), op. cit., p. 125. Dautres auteurs indiquent Sarah Morris (Jean Lambert-Dansette). Du Pasquier (1982), op. cit., p. 125 donne la date de 1822 pour le mariage. 52 LACROIX Louis (1968) : Les derniers baleiniers franais. Paris, ditions Maritimes et dOute-Mer, d. or. 1947, 386 p., p. 114. 53 Du Pasquier (1982), op. cit., p. 147. 54 MANNEVILLE Philippe (2005) : Migrants et protestantisme au XIXe sicle . Migrants dans une ville portuaire : Le Havre, XVIe-XXIe sicle, John Barzman, ric Saunier dir. Publication des Universits de Rouen et du Havre, 240 p., p. 59-68, p. 61. 55 VINCENT Thierry (1992) : Trajectoire historique de la pche baleinire en France. Mmoire de D.E.A., Universit Rennes 2, dir. A. Lespagnol, XXXVIII-59-28 p., p. 45. 56 Vincent (1992), op. cit. 57 Du Pasquier (1982), op. cit.

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contenant des propositions (rduction de la prime par tonneau de jauge mais augmentation par kilogrammes dhuile rapporte, naturalisation des trangers) (58). Plusieurs personnalits du milieu maritime (armateurs, capitaines) rclament encore quune plus grande place soit accorde aux Franais, mais les quipages sont difficiles former. Au dbut, vers 1820, les campagnes sont encore courtes, de huit dix mois, identiques aux campagnes de morue en Terre-Neuve. Mais, en 1834-1836, elles se rendent jusque dans le Pacifique, et dpassent dj les vingt mois. Certaines atteignent mme les trois ans, comme celle du France command par Richard Walch et arm par Pierre Mauger (du 16 juillet 1844 au 17 mai 1847). Lallongement des campagnes, qui permet de remplir les cales et de maintenir les profits pour les armateurs, sexplique par la rarfaction des ctacs, de plus en plus pourchasss par des navires de plus en plus nombreux. Mais il rpugne la main duvre, qui rencle, dautant que le commandement par les Amricains est souvent considr comme brutal, encore plus brutal que les autres. Pour permettre le dpart de navires arms par Winslow en 1832, le ministre de la Marine se rsout considrer comme franais quatre capitaines amricains (James Walch, Samuel Earl, Gilbert Smith et William Cargill). Mais les diffrends se poursuivent envers Winslow, et une nouvelle ordonnance prvoit en 1834 quaucun tranger, mme assimil, ne peut tre capitaine dun baleinier franais, do la rtrogradation de plusieurs dentre eux au rang de second capitaine (Samuel Earl, Gilbert Smith, Charles Hathaway et William Peters). La situation devient nanmoins intenable, et le ministre la Marine pousse ladoption de mesures durgence en faveur de la naturalisation. 1837 est le znith de lactivit baleinire au Havre avec 35 navires baleiniers arms de plus de 400 tonneaux, et monts chacun par une trentaine dhommes dquipage. En 1840, le port est au premier rang avec une cinquantaine de navires, soit la moiti de la flotte baleinire en France (59). Incontestablement, les expditions baleinires permettent de dcouvrir de nouvelles terres, donc lavantage des Occidentaux qui les pratiquent intensivement, Britanniques, Franais et tatsuniens essentiellement en ce qui concerne locan Pacifique. Certains, comme Georges Dubosc (1854-1927), y voient une stratgie dlibre des Britanniques, et rappellent leur dcouverte de des Shetlands du Sud en 1830 puis dune partie de lAntarctique grce cette activit (60). Le capitaine John Bisco (17941843), qui est lauteur de ces dcouvertes, est ainsi engag par la compagnie baleinire Samuel Enderby & Sons. Le capitaine Frederick Coffin de Nantucket, engag par cette mme compagnie, explore en premier les mers japonaises en 1819 dans le cadre dune chasse aux ctacs. Il fait partie de cette forte poigne de quakers venus en Angleterre avant la Guerre dindpendance pour y faire fortune dans la marine (Rotch, Gardner, Macy, Hussey) (61). Ceux qui dcrivent classiquement, et souvent plus techniquement, lactivit baleinire (JeanThierry Du Pasquier, Louis Lacroix, tienne Bernet) se montrent plus discrets sur la dimension gopolitique ou gostratgique quimplique celle-ci. On peut estimer que laspect conomique prime dans la chasse baleinire occidentale, ne serait-ce que parce quelle relve du secteur priv mme si elle est encourage par ltat. La stratgie gopolitique narrive quen complment, comme un surplus bienvenu et bnfique. Daprs C.-E. Bout, analyste dune nouvelle loi sur les Grandes pches maritimes vote le 22 juillet 1851, si ltat franais raisonne clairement en termes de puissance vis--vis de ses concurrents amricains et anglais, cest dabord sur le plan conomique : Opration avantageuse , spculation () brillante ,58 59

Lacroix (1968), op. cit., p. 116. MALON Claude (2006) : Le Havre colonial de 1880 1960. Caen, Presses Universitaires de Caen, 674 p., p. 19. 60 DUBOSC Georges (1924) : Les anciens Baleiniers Normands : propos de lannexion du ple sud par lAngleterre. Saisie du texte par S. Pestel pour la collection lectronique de la Mdiathque Andr Malraux de Lisieux (21.II.2006). Texte relu par A. Guzou. 61 JONES A. G .E. (2010) : Les Baleiniers franais du XIXe sicle (1814-1868) by J. Thierry Du Pasquier . Arctic Synergies, p. 81-82, p. 81.

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mouvement de fonds considrables, emploi permanent dun grand nombre douvriers et de matelots, travail abondant pour toutes les industries qualimente la marine, et, par suite, plus de force, plus de puissance maritime , tels sont les arguments quil met en avant (62). Mais ce Bout est ngociant au Havre, et il prche donc pour sa propre paroisse. Il faudrait des recherches beaucoup plus pousses, notamment en analysant les relations entre le ministre de la Marine et les autres ministres, avec larme en particulier, ainsi que les relations entre les pouvoirs publics et les entreprises, pour tablir des conclusions. 2. 3. Le Liancourt et sa neuvime campagne (1847-1850) Le Liancourt fait partie des trois navires baleiniers construits en 1832 par les Chantiers AugustinNormand au Havre (63). Il jauge 361 tonneaux, un volume habituel pour un baleinier de cette poque (64). Jeremiah Winslow lachte en 1834 (65). Il lui confie plusieurs capitaines au cours de ses multiples campagnes. Mais les informations manquent ce sujet, et celles qui existent ne concordent pas entre elles. Nous disposons certes de certains documents comme les rles de bord (aux archives dpartementales de Seine-Maritime Rouen), les inscriptions maritimes (aux archives du Service Historique de la Dfense, de la Marine, Vincennes) ou divers courriers du ministre de la Marine et des Colonies (Archives nationales Paris). Mais les informations les plus importantes concernant Le Liancourt sont introuvables : savoir les rapports de mer, disparus Rouen ou au Havre, probablement cause des bombardements. Nous en sommes donc rduits des recoupements et des conjectures. Le premier problme se pose propos de lidentification des capitaines. Selon Louis Lacroix, les capitaines successifs du Liancourt sont : Casper en 1833, Earl en 1835, Knell en 1836, Keruel Etienne de La Rochelle en 1838, de Souza en 1839, Lacet en 1840, (), Lopez () en 1842, Knell en 1847 et Lopez () en 1850 (66). Selon les rapports de lInscription maritime, il sagit, partir de 1840, de : tienne Sbastien Knell, du 12 juin 1838 au 9 mai 1840, puis du 29 juin 1840 au 14 fvrier 1842 (Galorte De Souza dit Lopes [sic] tant second capitaine) ; Galorte De Souza dit Lopez, du 14 septembre (?) 1844 au 1er avril 1847, puis du 26 octobre 1847 au 19 avril 1850 (67). Selon Jean-Thierry Du Pasquier, Le Liancourt a De Souza comme second capitaine de 1836 1840 et comme capitaine de 1840 1852, soit : du 28 avril 1842 au 14 juillet 1844, du 14 septembre 1844 au 1er avril 1847, et du 26 octobre 1847 au 12 aot 1847 (68). On voit demble les incohrences entre les trois sources dinformations. Reprenons-les. Keruel Etienne de La Rochelle napparat pas dans lInscription maritime, en revanche Knell si ( partir de 1838). De Souza na pas pris le commandement en 1839 (Lacroix) ou en 1840 (Du Pasquier), mais en 1844 (Inscription maritime). Il est second capitaine sous les ordres de Knell en 18381839 puis en 1840-1842 (Du Pasquier indique 1836-1838 et 1838-1840). Casper apparat comme capitaine en 1833 (Lacroix), alors que Winslow achte Le Liancourt en 1834, ce qui laisse supposer que celui-ci a navigu sous un autre armement, ou bien quil y a eu des erreurs de dates. Lacroix distingue De Souza (1839) et Lopez (1842, 1850) alors quil sagit de la mme personne, comme nous allons le voir.62

BOUT C.-E. (1852) : Des Bnfices offerts par la pche de la baleine et du cachalot jusquau 30 juin 1864. Le Havre, Imprimerie du Commerce, 15 p., p. 3. 63 Daprs le rle de bord, op. cit. Selon Louis Lacroix, Le Liancourt est construit aux chantiers de Granville. Lacroix (1968), op. cit., p. 114. 64 Daprs le rle de bord, op. cit. 65 Du Pasquier (1982), op. cit., p. 137. 66 Lacroix (1968), op. cit., p. 282. 67 Service Historique de la Dfense, Vincennes, CC 5 610. 68 Du Pasquier (1982), op. cit., p. 230 pour la premire srie dinformations et p. 246 pour la seconde.

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Knell ne commande pas Le Liancourt en 1847 (Lacroix) mais De Souza (Inscription maritime). De Souza ne prend pas le commandement du Liancourt en 1840 ou en 1842 (Du Pasquier), ou encore en 1839 ou en 1842 (Lacroix), mais en 1844 (Inscription maritime). Le dnomm Lacet voqu par Lacroix pour lanne 1840 napparat nulle part dans lInscription maritime, mais nous tudierons ce cas important et problmatique un peu plus bas. Il est difficile dy voir clair dans cette srie de confusions, dautant que les auteurs eux-mmes crivent des choses diffrentes dans leur propre ouvrage. On peut nanmoins essayer de reprendre les diffrents lments, en les sriant et en se centrant sur lexpdition qui aurait dcouvert Tokto (Dokdo). Commenons par Jean Galorte de Souza (1804- ?), dit Lops (ou Lopez). Cet homme, dabord harponneur puis capitaine, symbolise lui seul un parcours limage de Jeremiah Winslow, mais un autre niveau. Comme Winslow, il est dorigine trangre (n Sa Jorge des Aores, archipel dont le harponnage est lune des activits rputes), il sinstalle en France et y fonde une famille. Comme lui, il est naturalis franais (le 8 novembre 1838 par ordonnance du 6 aot de la mme anne). Le rapprochement sociologique et professionnel entre les deux hommes est pouss jusquau bout puisque lpouse de Jean Galorte de Souza, Caroline Franoise Juliette est ne Casper, fille dun collgue tats-unien de Winslow, un autre capitaine baleinier, Asa Bullard Casper naturalis par ordonnance le 1er mars 1833 (69). Comme Winslow, il adhre la foi protestante (il se marie au temple protestant du Havre le 30 juin 1853 aprs la mairie Ingouville). Jean Galorte de Souza exerce la majeure partie de sa carrire de marin sous larmement de Winslow et bord du Liancourt. Il aurait navigu dessus ds 1833 (70). Aprs avoir t harponneur sur le Woodrop Sims (en 1831-1832, puis en 1832-1833), navire baleinier amricain francis par Winslow connu pour son naufrage au larde des ctes de lAngola, il est premier lieutenant sur Le Liancourt (en 1833-1834, en 1834-1835, en 1835-1836). Il y devient second capitaine (en 18361838, en 1838-1840, en 1840-1842), et enfin capitaine (en 1842-1844, en 1844-1847, en 18471850, en 1850-1852) (71). Il perd le navire en mer dOkhotsk le 14 aot 1852, en baie de Toarick, et rentre en France sur un steamer anglais. Une partie de lquipage gagne Honolulu, mais la dsertion est considrable (72). Daprs les dates qui viennent dtre numres, Le Liancourt aurait effectu dix expditions baleinires (73). Galorte de Souza est celui qui lemmne pour la premire fois chasser au large du Japon, dans la mer dOkhotsk, au cours de la huitime expdition de 1844 1847. Lors de lexpdition suivante, celle qui nous intresse plus particulirement, de 1847 1850, la neuvime, il dcide de naviguer un peu plus au sud de la mer dOkhotsk, autour de larchipel japonais. Il poursuit sur la mer du Japon (mer de lEst). Cette mer est bien connue des Corens ou des Japonais pour ses routes de ctacs, qui, partir de lautomne, redescendent des mers sibriennes au nord pour mettre bas plus au sud, avant dy remonter au printemps. Elle savre un lieu de chasse fructueux. Cest notamment vrai pour les Franais partir de 1844. Le consul de France Honolulu se montre emphatique ce sujet en crivant, dans un courrier du 5 novembre 1848 adress au ministre des Affaires trangres, que pass le dtroit de Core, les baleiniers se rencontrent partout, et de lespce appele Russe, cest--dire la plus grasse et la meilleure (74). Le deuxime problme concerne les dtails de cette expdition du Liancourt au cours des annes 1847-1850. Son trajet nest pas connu exactement. On peut toutefois le reconstituer partir du69 70

Du Pasquier (1982), op. cit., p. 220-221. Du Pasquier (1982), op. cit., p. 230. 71 Inscription maritime, op. cit. et Du Pasquier (1982), op. cit. 72 HUETZ DE LEMPS Paul (2006) : Des Franais aux les Hawaii au XIXe sicle . Les Franais dans le Pacifique, Jean-Pierre Poussou dir., Paris, Presses de Paris-Sorbonne, 246 p. 73 Ce sont galement les chiffres que donne Pierre-Emmanuel Roux, soit du 15 juillet 1833 au 14 aot 1852. ROUX Pierre-Emmanuel (2010) : La dcouverte de Tokdo par le baleinier franais Le Liancourt (1849). 33 p., p. 14. 74 Du Pasquier (1982), op. cit., p. 186.

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rle de bord et des notes de lInscription maritime. Le Liancourt quitte Le Havre le 26 octobre 1847. Il parvient au centre de locan Pacifique en mars 1848. partir de l, il entame quatre croisires successives, une croisire tant une priode de pche proprement dite. Il a dj chass quelques ctacs (3 cachalots tus et mis bord). Sa premire croisire dmarre le 13 mars 1848. Le navire fait route par 00 43 S et 121 45 O. Il gagne la mer dOkhotsk, o il chasse du 21 mai au 30 aot 1848, entre 46 43 et 57 39 N et 144 52 et 150 30 E (9 baleines tues et mises bord). Il se rapproche du Kamtchatka et sy arrte probablement, certainement Petropavlovsk comme il lavait fait lors de la campagne prcdente. Il lve lancre probablement en octobre pour gagner le sud-est de Honsh, au nord-est de larchipel Ogasawara o il engage sa deuxime croisire le 6 octobre 1848 par 30 24 N et 140 37 E. La chasse commence bien (deux cachalots tus et mis bord), mais il semble quitter la zone assez rapidement. Dix-sept jours aprs, il est Hong Kong, o il embarque un matelot, Manuel de St-Nicolaes (le 23 octobre 1849). Il y reste probablement prs de trois mois. Une lettre du Directeur du Personnel du Bureau de l'Inspection Maritime (ci-aprs D.P.B.I.M.), date du 5 septembre 1850, nous donne des indications sur la suite du parcours. Elle mentionne quelle sappuie sur le rapport de mer rdig le 19 avril 1850 lissue de cette neuvime campagne du Liancourt (75). Daprs elle, Le Liancourt passe au nord de lle de Tsushima, qui se trouve au milieu du dtroit de Core le 24 janvier 1849. Il fait alors route pour lle de Dagelet (alias Ullungdo), qui lui reste au N.O. 1/2 N le 27 janvier. Au mme instant [donc le 27 janvier 1849] une roche restait lest. Cette roche nest pas porte sur les cartes et les livres nen font pas mention : sa position est par 37 02 lat. N et par 129 26 long. E . Cette roche , ultrieurement dsigne sous le nom de roche Liancourt ou encore rochers Liancourt (cf. infra) en honneur de sa dcouverte par le baleinier, correspond absolument aux lots que les Corens dnomment de nos jours Tokto (Dokdo) et les Japonais Takeshima. Mais sous cette vidence apparente se posent en ralit un certain nombre de questions, comme nous le verrons aprs avoir termin la description de cette neuvime campagne du Liancourt. Le Liancourt effectue une troisime croisire du 7 mars 1849 au 30 juillet 1849. Il navigue alors entre 36 20 et 42 35 N, 127 et 139 35 E. Il se trouve donc dans la mer du Japon (mer de lEst), quil remonte lentement en direction du sud-est de Sakhaline. Peut-tre relche-t-il ensuite dans lle de Monneron ( , Ostrov Moneron) (46 15 N et 141 14 E, coordonnes actuelles). Cette le a t nomme ainsi en lhonneur de Paul-Merault Monneron (1748-1788), ingnieur en chef lors de lexpdition Laprouse (1785-1788) (76). Tout comme Dagelet (Ullungdo, - ) est celui de Joseph Lepaute Dagelet (1751-1788), astronome et mathmaticien, galement membre de cette expdition, qui aurait t le premier lapercevoir (77). Laprouse lui-mme procdait ainsi, en lhonneur des ses fidles, propos de nouvelles terres. Au cours de cette troisime croisire du Liancourt, qui dure cinq mois, la chasse est plutt fructueuse (15 baleines tues et mises bord), mais elle nest pas proportionnellement plus importante que la premire, effectue en mer dOkhotsk o, en trois mois, lquipage en a captur neuf comme on la vu. Cest probablement pour cette raison que Le Liancourt remonte vers le nord et la mer dOkhostk, en passant certainement par le dtroit de La Prouse.

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Archives Nationales Marine, MAR 3 JJ 366, vol. 96, n 22, n 84 de lentre 1851. Cette lettre est retranscrite dans deux ouvrages de Li Jin-Mieung, p. 119-120 dans louvrage de 1998 et p. 150-151 dans louvrage de 2005. 76 () une petite isle plate, qui formoit avec celle de Segalien un canal denviron six lieues. Je lui donnai le nom disle Moneron du nom de lofficier de gnie employ dans cette expdition () . Milet-Murean crit () je lappelai le Monneron . Dans une variante, il crit Monneron , qui est la bonne orthographe. Dunmore et De Brossard (1985), op. cit., t. II, p. 363. 77 () et je fis route la pointe du jour pour reconnoitre cette isle que jai appele isle Dagelet du nom de cet astronome qui la decouvrit le premier () . Ctait le 27 mai 1787. Plus loin, Laprouse crit lisle Dagelet. In le journal de Laprouse, Dunmore et De Brossard (1985), op. cit., t. II, p. 299.

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Cest l quil dmarre sa quatrime croisire, la dernire de son expdition, le 9 aot 1849, jusquau 13 du mme mois (une baleine tue et mise bord). Il arrte donc rapidement sa chasse, pour une raison que lon ignore, sa cale ntant pas encore tout fait pleine. Au total, il a piqu 59 baleines, en a tues et transportes bord 25 qui ont produit 2 629 barils dhuile et 508 paquets de fanons ; il a piqu 6 cachalots et en a tus 5, qui ont produit 52 barils dhuile (78). titre de comparaison, lors de son expdition de 1844-1847, il a rapport 3 001 barils dhuile de baleine. Le 30 aot 1848, Le Liancourt fait route vers les les Sandwich (actuel Hawaii). Le 15 octobre, il mouille Karakakoa, une escale habituelle pour les baleiniers franais. Le 20, il repart pour le Cap Horn, quil double le 30 janvier 1850 par 56 55 S. Le 13 mars 1850, il franchit lquateur par 32 55 O. Il entre dans la Manche le 17 avril et touche Le Havre le 18 avril 1850. 2. 4. Le Liancourt a-t-il vraiment dcouvert les Liancourt ? Au vu de ces lments, il semble donc avr que lquipage du Liancourt a dcouvert les rochers qui porteront le nom de son navire. Pourtant, un crit de Louis Lacroix vient jeter le trouble, et soulve un troisime problme. En effet, dans son livre publi en 1947 et rdit en 1968, il crit les lments suivants propos des capitaines qui se succdent bord du Liancourt : On y relve [comme commandant du Liancourt] () Lacet en 1840, ce dernier dcouvrit l'le Lacet prs de Matsushima, cte du Japon, dont il donna la position par trente-sept degrs neuf minutes latitude Nord et cent vingt degrs vingt-six minutes longitude Est, dans le sud-est de l'le Dagelet. Lopez le prit en 1842 [= le commandement du Liancourt], Knell en 1847 et Lopez revenu bord en 1850, le perdit en baie de Toarick, mer d'Okhost [sic], en 1852 (79). Autrement dit, un dnomm Lacet, capitaine du Liancourt, aurait dcouvert une le au large du Japon, proximit et au sud-est de Dagelet, et en 1840. Les informations de ce passage sont dconcertantes et troublantes. Srions-en les diffrentes composantes ainsi que les questionnements quelles peuvent susciter. I. L'le de Dagelet correspond sans ambigut celle dUllungdo. II. Matsushima est, historiquement, le nom donn Tokto (Dokdo) par les Japonais, tandis que Takeshima est anciennement, avant le milieu du XIXe sicle, celui qui est attribu, galement par les Japonais, Ullungdo. Ce Matsushima, qui est un vocable typiquement japonais et un toponyme trs frquent dle au Japon, qui signifie l le des Pins (ou l le du Pin ) , ne peut pas dsigner une autre le vu la position qui est donne. III. La latitude (37 9' N) est exactement celle de Tokto (Dokdo). Le calcul de la latitude cette poque est correctement effectu, il ny a donc pas dambigut sur ce plan. IV. La longitude (120 26' E) correspond un point situ le long du littoral oriental de la pninsule Corenne, mais qui n'est cependant pas situ au sud-est de l'le Dagelet , d'o une incohrence. On peut donc imaginer sur ce point prcis trois hypothses : IV-a. Le mridien origine qui a t choisi est autre que celui de Greenwich, do cette mesure. Ce cas est frquent, surtout chez les Franais jusquau milieu du XIXe sicle qui utilisent gnralement le mridien de Paris. Mais si l'on rajoute 2 (la diffrence entre les mridiens de Greenwich et de Paris), cela ne donne que 122 26 E, c est--dire un endroit o il ny a aucune terre en mer. IV-b. Il sagit dune erreur de calcul, malgr tout probable comme on le sait avec le cas de la78

Du Pasquier donne les chiffres suivants : 30 ctacs tus, 17 200 barils dhuile de cachalot et 2781 barils dhuile de baleine et 496 paquets de fanons. Du Pasquier (1982), op. cit., p. 246. 79 Lacroix (1968), op. cit., p. 282.

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fantomatique le Argonaute qui a t soi-disant repre au large oriental de la Core (cf. infra). IV-c. Il sagit dune erreur de transcription et/ou de lecture un moment ou un autre, que ce soit de la part de Lacroix ou de quelquun dautre avant lui. L'un des problmes est que l'auteur du livre, Louis Lacroix, ne donne pas sa source. V. Ce qui est troublant, c'est l'homophonie entre le Lacet voqu par Lacroix et le Lasset mentionn dans le courrier rdig le 5 septembre 1850 par le Directeur du Personnel du Bureau de l'Inspection Maritime et envoy un Contre-Amiral propos du rapport de mer rdig le 19 avril 1850, son retour dune campagne de pche de baleine par le sieur Lasset, matelot de 3e cl. inscrit au Havre n 1527, commandant le baleinier de ce port ( 80 ). En franais, Lacet et Lasset se prononcent exactement de la mme faon, mme si l'orthographe est diffrente. V-a. Soit il sagit dune parfaite concidence ; soit il sagit du mme patronyme, orthographi diffremment partir dune mme phontique. V-b. Pour le Pr. Li Jin Mieung, il sagit dune erreur de lecture de la part de ce Directeur (81). Certes, le D.P.B.I.M. livre de nombreux lments qui le rendent par ailleurs crdible. Il donne ainsi une date pour le rapport de mer qui semble la bonne puisque, d'aprs le rle de bord et daprs l'inscription maritime, c'est le jour mme o Le Liancourt rentre son port d'attache, Le Havre. Il donne galement le bon numro de matricule (n 1527) pour son commandant, puisque c'est celui qu'on retrouve sur le rle de bord. V-c. Mais on peut tre tonn de sa suppose erreur de lecture quant au nom ou la signature du capitaine. Sur le rle de bord du Liancourt, on lit en effet clairement la signature de Lopez, sans ambigut. La graphie du p ne peut pas y tre confondue avec deux s , mme avec de la mauvaise volont ou de la distraction, mme avec une mauvaise criture ventuelle de la part du signataire sur le document original (le rapport de mer malheureusement disparu). Quant la lecture du z final de Lopez, il est impossible de se tromper. La signature tait-elle si peu lisible ? De Lopez Lasset, lerreur, la double erreur (dcriture ou de lecture), parat quand mme grossire. En outre, les marins sont habitus aux noms trangers. A fortiori, lInspection maritime sait pertinemment que de nombreux trangers ont t engags sur les baleiniers franais puisqu'il s'agit prcisment de la politique voulue par l'tat franais lui-mme. Autrement dit, il est impossible d'ignorer cette ralit, d'autant que Lopez/Lops/De Souza demande paralllement sa naturalisation. V-d. Ce qui est galement tonnant, c'est qu'on ne trouve nulle trace en amont d'un quelconque capitaine Lasset ou bien dun capitaine Lacet . Les rapports de lInscription maritime consults pour la priode 1840-1850 nen signalent aucun. Ni les documents rapports par JeanThierry Du Pasquier, ni pour Le Liancourt, ni pour d'autres navires baleiniers. V-e. D'o Louis Lacroix tire-t-il alors son information ? Celle-ci est paradoxale car elle contient tout de mme une bonne part de faits avrs (les noms de Dagelet et de Matsushima, la latitude, Le Liancourt), mais aussi des confusions et des curiosits. On la vu dans son numration des capitaines et dans sa distinction abusive entre Lopez et De Souza, alors qu'il s'agit de la mme personne. Le dnomm Lacet aurait dcouvert une le () au sud-est de Dagelet et qui porte son nom, or il ny a aucune le nomme Lacet (ou Lasset). En revanche, la premire le qui se trouve au sud-est de Dagelet, cest bien Tokto (Dokdo), alias les rochers Liancourt. Louis Lacroix aurait-il repris linformation partir du courrier du D.P.B.I.M., en gardant le nom de Lasset , quil aurait transform en Lacet ? Laurait-il fait en se trompant partiellement dans le relev des coordonnes (120 26 E au lieu de 129 26 E, 37 9 au lieu de 37 02 N) ? Ou bien aurait-il consult avant la publication de son livre en 1947, donc avant les bombardements sur Rouen et sur Le Havre qui ont dtruit des archives au cours de la Seconde80 81

Cf. supra. Li (2005), p. 150-151, et communication personnelle.

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guerre mondiale, le fameux rapport de mer rdig par le capitaine du Liancourt et mentionn par le D.P.B.I.M. ? Lhypothse est possible puisque, rptons-le, Louis Lacroix, ne donne pas ses sources. On peut ainsi imaginer un rapport de mer comportant une signature maladroite ou peu lisible, que le D.P.B.I.M. aurait lue Lasset et Lacroix Lacet (82). V-f. Autre fait troublant : dans l'inscription maritime, le capitaine Lopez ne mentionne nullement sa dcouverte des rochers [Tokto (Dokdo)], alors que le Commissaire de l'Inscription maritime, M. Auguste Guesdon, lui pose expressment la question (83). Mme si les autres capitaines ne semblent jamais rien dclarer propos de ce genre de chose, rituellement formule dans un questionnaire type, la rponse ngative de Lopez est intrigante et curieuse. Aurait-il oubli ? Voudrait-il cacher linfo