l'honneur de richard millet (d. tillinac, 2013)

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L’honneur de Richard Millet Denis Tillinac Valeurs actuelles du 12 décembre 2013. Face à ses accusateurs, Millet dispose de témoins à décharge irrécusables : son oeuvre et ses lecteurs ! M ÉFIEZ- VOUS des ratés, ils ne vous rateront pas ! Cette mise en garde de Bernanos à de Gaulle me revenait en mémoire, l’autre jeudi, tandis que l’écrivain Richard Millet me racontait son éviction sans sommation du milieu littéraire, sa solitude depuis lors, son désarroi. Nous déambulions à Nice, au bord de cette Mare nostrum célébrée par Braudel, chantre inspiré de L’Identité de la France, titre d’un de ses ouvrages majeurs. Cette identité si précieuse et si menacée, Millet en déplore le sabordage en s’appesantissant sur la décrépitude de la langue française à l’école, dans la rue, dans la presse, dans la production romanesque contemporaine. De son déclin il ne fera jamais le deuil, il est le veuf inconsolable des riches heures de notre histoire littéraire. Tantôt il convoque dans des romans à la Faulkner les fantômes de notre antique ruralité, tantôt il vide son fiel dans des essais sans complaisance sur les affres de notre acculturation. Toujours avec un style reconnaissable entre tous. L’affaire Millet remonte à l’année 2012. Elle a été admirablement décrite par Bruno de Cessole dans un numéro récent de Valeurs actuelles. Cessole aura été l’un des rares à dénoncer les pharisiens de basse police qui traitèrent Millet de fas- ciste et acculèrent Antoine Gallimard à exfiltrer son meilleur écrivain, jusqu’alors éditeur apprécié dans sa maison. Délateurs par bêtise, par conformisme, par lâ- cheté ou par jalousie, des plumitifs ont fomenté une traque qui révèle l’intolérance de la gent intello vis-à-vis d’un sujet pourtant crucial, et même obsédant : les effets d’un multiculturalisme idéologique, aggravés par les flux migratoires, sur notre tempérament, sur l’avenir de notre langue, sur la pérennité de notre mémoire, sur le dépérissement de nos us, sur la cohésion du peuple français. 1

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L'Honneur de Richard Millet par Denis Tillinac, Valeurs actuelles 12 décembre 2013.

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Page 1: L'Honneur de Richard Millet (D. Tillinac, 2013)

L’honneur de Richard Millet

Denis Tillinac

Valeurs actuelles du 12 décembre 2013.

Face à ses accusateurs, Millet dispose de témoins à décharge irrécusables :son oeuvre et ses lecteurs !

MÉFIEZ-VOUS des ratés, ils ne vous rateront pas ! Cette mise en garde deBernanos à de Gaulle me revenait en mémoire, l’autre jeudi, tandis que

l’écrivain Richard Millet me racontait son éviction sans sommation du milieulittéraire, sa solitude depuis lors, son désarroi. Nous déambulions à Nice, au bordde cette Mare nostrum célébrée par Braudel, chantre inspiré de L’Identité de laFrance, titre d’un de ses ouvrages majeurs.

Cette identité si précieuse et si menacée, Millet en déplore le sabordage ens’appesantissant sur la décrépitude de la langue française à l’école, dans la rue,dans la presse, dans la production romanesque contemporaine. De son déclin il nefera jamais le deuil, il est le veuf inconsolable des riches heures de notre histoirelittéraire. Tantôt il convoque dans des romans à la Faulkner les fantômes de notreantique ruralité, tantôt il vide son fiel dans des essais sans complaisance sur lesaffres de notre acculturation. Toujours avec un style reconnaissable entre tous.

L’affaire Millet remonte à l’année 2012. Elle a été admirablement décrite parBruno de Cessole dans un numéro récent de Valeurs actuelles. Cessole aura étél’un des rares à dénoncer les pharisiens de basse police qui traitèrent Millet de fas-ciste et acculèrent Antoine Gallimard à exfiltrer son meilleur écrivain, jusqu’alorséditeur apprécié dans sa maison. Délateurs par bêtise, par conformisme, par lâ-cheté ou par jalousie, des plumitifs ont fomenté une traque qui révèle l’intolérancede la gent intello vis-à-vis d’un sujet pourtant crucial, et même obsédant : les effetsd’un multiculturalisme idéologique, aggravés par les flux migratoires, sur notretempérament, sur l’avenir de notre langue, sur la pérennité de notre mémoire, surle dépérissement de nos us, sur la cohésion du peuple français.

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Page 2: L'Honneur de Richard Millet (D. Tillinac, 2013)

C’est pourquoi je reviens sur cette affaire infamante pour la meute, car ellea traqué un gibier sans appuis mondains, sans relais dans la sphère médiatique.Millet était un homme seul face à des salauds coalisés pour signer une pétitionexigeant qu’on le prive de son job. Tôt ou tard, ils seront jugés pour ce qu’ils sont :des fourriers du totalitarisme. Car il faudra bien que saute le tabou, sauf à risquerici et là et à répétition des coups de folie à la Breivik ou à la Merah. Alors, on s’avi-sera que la désolation de Millet, fruit amer d’un sentiment de dépossession, sonneune alarme salutaire. Certes, il s’y emploie avec la véhémence d’un Péguy, d’unBloy, d’un Bernanos ; il ne trempe pas sa plume dans la camomille des « valeursrépublicaines ». Comme tous les vrais écrivains, surtout s’ils ont transité par leprofessorat de lettres, il dénonce une société au bout de son rouleau, qui renie sesancrages les plus intimes, patauge dans un nihilisme additionné de compassionnelsirupeux et préfigure de plus en plus clairement le Meilleur des mondes d’Huxley.

C’est son droit. Son devoir. Son honneur. Tôt ou tard, il s’évadera de la cami-sole de silence où l’ont reclus des tartuffes maquillés en parangons de la « démo-cratie ». Il dispose du témoin à décharge le plus irrécusable qui soit — son œuvre— face à une accusation encore majoritaire dans les lieux de pouvoir, mais dontles fantasmes épurateurs commencent à indisposer les plus crédules.

Pour l’heure, Millet vit un mano a mano douloureux avec sa plume. Il continuede publier des livres que beaucoup de critiques dédaignent et que certains librairesrefusent de vendre. Grâce au ciel, l’omerta n’est plus de mise à l’ère d’internet :Millet garde ses lecteurs, il en trouve d’autres et sa survie d’écrivain entre lesmailles de l’inquisition lui promet des lendemains ensoleillés. Tôt ou tard, au paysde Voltaire, un printemps de l’esprit renverra les bigots à leur néant et les plumespourront s’ébrouer comme jadis sans risquer l’imputation de « fascisme ». Mieuxvaudrait que ça ne tarde pas trop, l’« ordre moral » ambiant devient positivementirrespirable.

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