l’homme vit de « parole » : quelle parole me fait vivre

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1 REDÉCOUVRIR LE SENS DE LA VIE LA PAROLE DE DIEU ADRESSÉE À L’HOMME : LA VOCATION PROPHETIQUE L’homme vit de « parole » : Quelle parole me fait vivre ? Lundi 11 octobre 2021 La Parole de Dieu est vie pour l’homme. Si Dieu nous parle, que répondrons-nous ? Comment redécouvrir la « parole » que nous sommes nous-mêmes ? Retour sur la séance 1 Abraham et la paternité : une vocation prophétique Lecture de Genèse 15 et Genèse 22 La vie humaine ne se réalise pas d’elle-même. Notre vie est une question ouverte, un projet incomplet qu’il reste à achever et à réaliser. La question fondamentale de tout homme est : comment devient-on un homme ? Comment apprend-t-on l’art de vivre ? Quel est le chemin du bonheur ? Évangéliser signifie : montrer ce chemin, apprendre l’art de vivre. Jésus a dit au début de sa vie publique : je suis venu pour évangéliser les pauvres (Luc 4, 18) ; ce qui signifie : j’ai la réponse à votre question fondamentale ; je vous montre le chemin de la vie, le chemin du bonheur, mieux : je suis ce chemin. La pauvreté la plus profonde, c’est l’incapacité d’éprouver de la joie, le dégoût de la vie, considérée comme absurde et contradictoire. Cette pauvreté est aujourd’hui très répandue, sous diverses formes, tant dans les sociétés matériellement riches que dans les pays pauvres. L’incapacité d’éprouver de la joie suppose et produit l’incapacité d’aimer, elle produit l’envie, l’avarice, tous les vices qui dévastent la vie des individus et du monde. C’est pourquoi nous avons besoin d’une nouvelle évangélisation ; si l’art de vivre demeure inconnu, tout le reste ne fonctionne plus. Conférence du cardinal Joseph Ratzinger lors du Jubilé des catéchistes 8-10 décembre 2000 Qu’est-ce que signifie le baptême ? Le rituel du baptême Une plongée dans le mystère pascal Eau baptismale Voulez-vous que N. soit baptisé(e) dans cette foi de l'Église que tous ensemble nous venons d'exprimer avec vous ? N., je te baptise au nom du Père il plonge l'enfant dans l'eau ou verse l'eau une première foi s et du Fils il plonge l'enfant dans l'eau ou verse l'eau une deuxième fois et du Saint-Esprit. il plonge l'enfant dans l'eau ou verse l'eau une troisième fois. Onction avec le Saint-chrême Le prêtre dit ensuite : Le Dieu tout-puissant, Père de Jésus, le Christ, notre Seigneur, vous a fait renaître de l’eau et de l’Esprit-Saint. Désormais, vous êtes chrétiens, vous faites partie de son peuple, Vous êtes membres du corps du Christ et vous participez à sa dignité de prêtre, de prophète et de roi. Dieu vous marque de l'huile du salut afin que vous demeuriez dans le Christ, pour la vie éternelle. Tous : Amen.

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REDÉCOUVRIR LE SENS DE LA VIE LA PAROLE DE DIEU ADRESSÉE À L’HOMME : LA VOCATION PROPHETIQUE

L’homme vit de « parole » : Quelle parole me fait vivre ?

Lundi 11 octobre 2021

La Parole de Dieu est vie pour l’homme. Si Dieu nous parle, que répondrons-nous ? Comment redécouvrir la « parole » que nous sommes nous-mêmes ? Retour sur la séance 1 Abraham et la paternité : une vocation prophétique Lecture de Genèse 15 et Genèse 22 La vie humaine ne se réalise pas d’elle-même. Notre vie est une question ouverte, un projet incomplet qu’il reste à achever et à réaliser. La question fondamentale de tout homme est : comment devient-on un homme ? Comment apprend-t-on l’art de vivre ? Quel est le chemin du bonheur ? Évangéliser signifie : montrer ce chemin, apprendre l’art de vivre. Jésus a dit au début de sa vie publique : je suis venu pour évangéliser les pauvres (Luc 4, 18) ; ce qui signifie : j’ai la réponse à votre question fondamentale ; je vous montre le chemin de la vie, le chemin du bonheur, mieux : je suis ce chemin. La pauvreté la plus profonde, c’est l’incapacité d’éprouver de la joie, le dégoût de la vie, considérée comme absurde et contradictoire. Cette pauvreté est aujourd’hui très répandue, sous diverses formes, tant dans les sociétés matériellement riches que dans les pays pauvres. L’incapacité d’éprouver de la joie suppose et produit l’incapacité d’aimer, elle produit l’envie, l’avarice, tous les vices qui dévastent la vie des individus et du monde. C’est pourquoi nous avons besoin d’une nouvelle évangélisation ; si l’art de vivre demeure inconnu, tout le reste ne fonctionne plus.

Conférence du cardinal Joseph Ratzinger lors du Jubilé des catéchistes 8-10 décembre 2000

Qu’est-ce que signifie le baptême ? Le rituel du baptême Une plongée dans le mystère pascal Eau baptismale Voulez-vous que N. soit baptisé(e) dans cette foi de l'Église que tous ensemble nous venons d'exprimer avec vous ? N., je te baptise au nom du Père il plonge l'enfant dans l'eau ou verse l'eau une première fois et du Fils il plonge l'enfant dans l'eau ou verse l'eau une deuxième fois et du Saint-Esprit. il plonge l'enfant dans l'eau ou verse l'eau une troisième fois.

Onction avec le Saint-chrême Le prêtre dit ensuite : Le Dieu tout-puissant, Père de Jésus, le Christ, notre Seigneur, vous a fait renaître de l’eau et de l’Esprit-Saint. Désormais, vous êtes chrétiens, vous faites partie de son peuple, Vous êtes membres du corps du Christ et vous participez à sa dignité de prêtre, de prophète et de roi. Dieu vous marque de l'huile du salut afin que vous demeuriez dans le Christ, pour la vie éternelle. Tous : Amen.

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Homélie Mgr André Vingt-Trois Dimanche 14 octobre 2018 Sg 7,7-11 ; Ps 89, 12-17 ; He 4,12-13 ; Mc 10,17-30 L’évangile pose les questions que nous nous posons. (…) On ne devient pas disciple du Christ en se contentant d’être d’honnêtes gens, même si c’est déjà difficile d’être d’honnêtes gens. Mais on devient disciple du Christ quand on reconnaît que tout ce qui nous fait vivre vient de lui, que ce ne sont pas nos qualités, notre intelligence, nos talents, nos réalisations, nos richesses, les biens que nous pouvons posséder, même s’ils sont modestes, ce n’est pas tout cela qui nous fera entrer dans le Royaume de Dieu, car tout cela est un leurre qui nous permet de contourner la seule question radicale : qui est au cœur de notre vie ? Sur qui misons-nous notre vie ? C’est pourquoi Jésus dit à ses disciples combien il est difficile à un riche d’entrer dans le Royaume parce que la richesse, même si elle est relative, est une façon d’échapper à la question radicale : est-ce que je suis prêt à tout miser sur Dieu ? Est-ce que je suis prêt à renoncer même à des choses très légitimes ? (…) La parole de Dieu va jusqu’au point de partage entre l’âme et l’esprit, entre ce qui reste en nous d’une sagesse humaine qui veut ménager tout, et ce qui appartient déjà à la sagesse de Dieu qui nous invite à ne ménager rien. (…) Qui d’entre nous aura cette lucidité et cette force intérieure ? (…) Chacun d’entre eux, comme chacun d’entre nous pour nous-mêmes, nous pouvons douter d’avoir cette force intérieure qui serait le salut ; mais alors qui peut être sauvé ? Est-ce que nous sommes tous voués à manquer le salut ? Pour les hommes, c’est impossible, mais pas pour Dieu car tout est possible à Dieu. Par cette réponse du Christ, nous sommes confrontés au choix radical de notre vie, non pas un choix unique et définitif, mais un choix quotidien qu’il nous faut renouveler chaque jour. Le choix de notre vie, c’est de savoir quelle est la ressource principale de notre existence. Qu’est-ce que nous voulons réaliser ? Est-ce que nous voulons simplement être, comme on disait à l’âge classique en France, des honnêtes hommes, des honnêtes gens, (…) des hommes qui se conduisent bien et qui espèrent par cette relative austérité de leur vie obtenir une récompense, au moins la considération de leurs voisins. Et s’ils sont chrétiens en plus, cela ajoute du panache à leur vie méritante ! C’est cela que pense l’homme qui a observé les commandements depuis sa jeunesse : il se conduit bien. Et pourtant, il lui manque d’être capable de tout perdre pour le Christ et pour l’évangile. Qu’est-ce que nous voulons ? Qu’est-ce que nous demandons ? Qu’est-ce que nous cherchons ? Est-ce que nous cherchons à aménager une sorte d’écologie spirituelle de notre existence pour qu’elle puisse se traîner jusqu’au bout sans trop de dommage ? Ou bien est-ce que nous cherchons l’irruption dans notre faiblesse de la puissance de Dieu qui peut nous conduire à la perfection de la vie éternelle ? (…) Alors il me semble que ce dialogue (…) est un dialogue avec chacun de nous, dans la mesure où nous cherchons vraiment à vivre la vie éternelle, sinon il n’y a pas de dialogue nécessaire. Cette parole du Christ nous rejoint à la jointure de l’âme et de l’esprit pour nous faire comprendre que nous sommes devant une décision qui dépasse les moyens et les forces humains. Nous sommes devant une décision qui est de l’ordre de Dieu lui-même, de la grâce de Dieu. A l’homme, c’est impossible, ce n’est pas la peine de nous torturer pour imaginer que nous allons pouvoir nous donner l’illusion que nos petits progrès dans la vie morale vont suffire à faire de nous des disciples du Christ ! C’est beaucoup plus profondément que l’Esprit de Dieu doit changer notre cœur, mais pour Dieu tout est possible, même de faire de ma foi fragile un foyer de décision et de conversion, même pour faire de ma faiblesse une force pour m’appuyer sur sa grâce, même de faire de mes pauvres richesses un sacrifice pour que vraiment je ne vive que par Lui et pour Lui. Amen.

+Cardinal André Vingt-Trois, archevêque émérite de Paris.

LA TRIPLE GRANDEUR DU CHRÉTIEN EN FONCTION D'UNE TRIPLE GRANDEUR DU CHRIST Père Gustave Martelet (1916-2014) « Certes, le mystère du Christ est en lui-même « inépuisable », comme le dit saint Paul (Ep 3, 8). Mais dans la mesure où la grandeur du Christ échoit en partage au chrétien, elle doit être spécifiée. Le Concile le fait en parlant du mystère du Christ sous l'aspect du Prophète, du Prêtre et du Roi, pour mieux nous dire comment cette grandeur « passe » dans les chrétiens.

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Prophète, le Christ l'est par excellence, lui le Révélateur du Père, qui nous « a dévoilé celui que personne n'a vu » mais qu'il a vu lui-même comme Fils (Jn 1, 18). Prêtre, il ne l'est pas moins, lui qui, « tourné depuis toujours vers le Père » comme Fils éternel (Jn 1, 18), nous « tourne » nous-mêmes vers le Père comme il convient au prêtre de le faire (He 5, 1). Roi, il révèle qu'il l'est incomparablement en vertu d'une Résurrection qui lui confère le règne sur la mort, que celle-ci soit spirituelle dans le cas du péché ou physique en raison de notre condition naturelle. Baptisés, c'est-à-dire plongés dans le Christ, nous sommes de ce fait réellement incorporés au Christ et devenons participants de sa vie. »

« Ce qui nous fait vivre, est avant tout ce qui nous parle » Isaïe 40,1-11 « Une voix dit : « Proclame ! » et je dis : « Que dois-je proclamer ? Toute créature est comme l'herbe, toute sa grâce est comme la fleur des champs : l'herbe se dessèche et la fleur se fane quand passe le souffle du Seigneur. En effet, le peuple est comme l'herbe. L'herbe se dessèche et la fleur se fane, mais la parole de notre Dieu demeure pour toujours. » « Je crois que c’est à l’homme qu’il revient de donner sens à la réalité, car le sens de l’univers n’est pas écrit, prédestiné. La science retrace les scénarios possibles de l’histoire de la matière, mais le fond des choses lui échappe toujours, et c’est ce qui permet d’avancer sans cesse. La vérité de la foi est d’une autre nature ; elle s’accueille, s’éprouve, se reçoit. On y avance comme on approfondit un mystère. Le Dieu du christianisme n’est pas une explication, celle qui manquerait aux sciences, c’est pourquoi le créationnisme est aux antipodes du dialogue entre foi et science. Le Dieu du christianisme est relation. Tout ce qui est 'existe' parce que Dieu le fait être dans une relation ; c’est ce que nous racontent tant la Genèse que les Evangiles de Pâques. L’homme est aimé jusqu’au bout. La dimension de la relation est créatrice, c’est ce qui nous fait vivre ; et ce par quoi nous donnons sens au monde, en instaurant nous-mêmes des relations de gratuité. C’est en ce sens que nous sommes co-créateurs."

Père Thierry Magnin Etats généraux du Christianisme 2010

Entrer, de manière pratique et profonde, dans « l'intelligence des Écritures » « Chrétiens, nous croyons en la Parole incarnée, il est donc bon et nécessaire de la situer dans son histoire, y compris dans sa communauté littéraire qui elle-même a traversé la littérature de son époque et s'en est nourrie. Nous ne pouvons pas lire les récits de l'Ancien Testament sans saisir la proximité de leurs scribes avec le patrimoine littéraire de l'Orient ancien - celui de la Mésopotamie, de l'Égypte, du Levant et, dès le IVe siècle avant Jésus-Christ, de la culture hellénistique. La Bible est une littérature à part entière, mais singulière. En elle, quelqu'un nous parle. Ou plutôt : on raconte que quelqu'un nous parle. Qui ? Dieu, la Parole qui nous appelle pour nous laisser répondre au monde. L'acte créateur lui -même se fait d'ailleurs en appelant (qara, en hébreu) le monde à lui. Le premier chapitre de la Genèse dit une chose que je crois fondamentale : nous avons en nous les moyens - à savoir le langage, la parole -, pour parler le monde, le convoquer et pour y vivre ensemble. (…) L'histoire de la chrétienté est celle de la traduction de la Parole dans le monde et l'Histoire. Dès l'origine, le christianisme est né parce que la Torah hébraïque avait déjà été traduite en grec par les juifs d'Alexandrie au IIIe siècle avant Jésus-Christ. C'est grâce à cette Septante que la Parole a pu se diffuser dans le monde gréco-romain, et sans ce monument culturel, nous n'aurions pas eu de Nouveau Testament. Dès l'origine aussi, et au fil des siècles, cette histoire a été une série d'innovations, de blessures, d'interrogations et même de violences - on a brûlé des gens parce qu'ils osaient toucher aux Écritures ! (…) Chaque chrétien est appelé à recevoir la Parole en lui et cet effort d'assimilation, d'appropriation et d'hospitalité est aussi une forme de traduction. Ce n'est donc pas réservé aux exégètes ou aux spécialistes de langues anciennes ! Quand nous lisons les Évangiles, nous sentons bien que le mouvement est de traduire la Parole en nous. C'est le sens même de cette Parole, son intention : nous ne pouvons la vivre

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que si nous l'inscrivons dans notre existence, pour entrer en résonance avec elle. D'où, me semble -t-il, la nécessité de travailler à l'inculturation des Écritures, que celles-ci sollicitent nos contemporains. (…) Je me méfie des déclarations de foi, mais je reconnais volontiers me sentir appelé par la Parole. Être appelé, c'est être appelé pour les autres. La Parole traverse nos rapports à autrui et interroge la conscience commune de notre propre vulnérabilité. Pendant sa courte vie, le Christ n'a cessé de désigner le lieu de la fragilité comme lieu d'humanité dont on doit prendre soin et où l'on doit se tenir, car c'est le lieu où quelque chose peut advenir. Le message évangélique est clair : prendre soin de la fragilité de tous - la sienne et celle des autres - est la seule façon de s'exposer à la révélation possible. Pour dire les choses simplement : si vous voulez que Dieu vi enne à vous, vous devez vous tenir là où vous êtes le plus fragile, et là aussi où l'autre est le plus fragile. Et croire au Dieu incarné, c'est croire que la divinité recueille la part d'humanité que nous avons abandonnée ou désertée. Dieu n'est pas un juge qui pourrait empêcher ou permettre le mal, la catastrophe, ou le chagrin, mais il est Celui qui vous accompagne quand cela vous arrive - c'est le mouvement exact de Jésus dans les Évangiles. (…) Au-delà de la dramaturgie de la Passion, où le signe infamant de la Croix est inversé en signe de gloire, l'intensité de cet Évangile porte sur l'extrême de l'amour qui est de traverser la perte. Et de nous signifier que la mort n'est pas la fin du récit. On peut ne pas l'accepter, au risque d'être projeté soi -même dans la détresse et dans la mort. C'est parce que l'on croit que la mort n'a pas ou n'est pas le dernier mot que l'on peut se relever. Et que l'on peut entrevoir ce que signifie dès aujourd'hui la résurrection. Le récit évangélique nous conduit, depuis la perte, à revenir vers la vie, le lieu du combat et de l'amour, et oser de nouvelles rencontres.

Frédéric Boyer, Interview Alexia Vidot, La Vie, 24 décembre 2020

1) Tout homme vit de « paroles » La parole, chemin vers notre identité de personne … « Que chacun ici interroge sa mémoire... l'écho encore audible des paroles déterminantes qui l'ont aidé, stimulé, éclairé à des moments cruciaux de sa vie. Certaines conversations avec un ami, un parent, un professeur, un guide spirituel, ont agi sur nous à la manière d'un levain. Elles nous ont révélés à nous-mêmes. Elles ont décidé de notre destin. Elles ont fixé notre vocation. Quel beau mot, d'ailleurs, que la vocation ! Il renvoie, justement, par son étymologie, à l'exercice de la parole. Vocation découle du latin vocatio, qui veut dire « appel ». Suivre sa vocation (que celle-ci soit professionnelle, sociale, politique, artistique, spirituelle, religieuse), c'est avoir le privilège d'entendre une voix amie, une voix qui nous adresse un appel, et répondre à cette voix. Toute vocation est fille d'une parole. » « De quelque mot profond, tout homme est le disciple ». Victor Hugo, Les Contemplations, I,VIII

Michel Lacroix « Paroles toxiques, paroles bienfaisantes »

Ed Robert Laffont Nous « ad-venons » à notre identité personnelle au détour des paroles.

• Je suis « par et dans » la parole d’un autre Notre histoire avec les paroles remonte à loin … un besoin vital de paroles: toute personne vit de paroles : le langage amoureux de ceux qui nous ont conçus (les parents), le langage de celle qui nous a portés (notre mère) et qui la première nous a conçu en « paroles » : « je suis enceinte ». « Je suis « enraciné » dans... le terreau des paroles. Mon identité résulte des échanges langagiers dans lesquels j'ai été plongé depuis les premières heures de ma vie. Mon identité réside dans la manière dont les autres m'ont désigné,

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m'ont parlé, ont parlé de moi. Elle réside aussi dans la manière dont je parle de moi. Avoir une identité, c'est à la fois être mis en mots par les autres, et se mettre en mots. Tout ce que la psychologie du XXe siècle nous a appris au sujet du développement humain met en évidence le fait que ce processus de fabrication de l'homme par le logos commence dès la naissance. Aussi loin que nous remontions dans notre vie, la parole était présente. Nous n'avons pas toujours conscience de la valeur que représente ce cadeau déposé dans notre berceau. Et pourtant... Quand un enfant naît, il est introduit dans l'ordre du discours. Il est immergé dans le langage. C'est une immense, une extraordinaire chance. Même s'il lui faut attendre l'âge d'environ deux ans pour parler, ses parents, eux, lui parlent. Grâce à cette immersion dans la langue maternelle, l'enfant se construit une représentation élaborée du monde. Il apprend à mettre des mots sur ce qu'il éprouve, ses sensations, ses émotions, ses sentiments, ses pensées, ses désirs. Sans l'instrument de la langue, sa vie psychique resterait à jamais informe. Son intériorité demeurerait obscure, indéchiffrable (…) Il n'aurait qu'une représentation indigente de la réalité. De même que les protéines contenues dans les aliments dont je me suis nourri ont fabriqué mon organisme, les paroles dans lesquelles j'ai été immergé ont fabriqué mon psychisme. Les protéines sont les briques du corps ; les paroles sont les briques de l'âme. « Les autres me parlent, donc je suis. » Je suis le précipité de leurs paroles. Leur verbe s'est incorporé en moi. C'est ce rôle vital du langage que soulignait le grand linguiste Émile Benveniste, dans une formule laconique qui, au-delà de son apparente banalité, se révèle très profonde, pour peu qu'on prenne le temps de la méditer : « Le langage sert à vivre », écrivait-il. Ceci, reste vrai et actuel jusqu'au crépuscule de la vie, et peut-être plus encore à ce moment terminal qu'à toute autre période de l'existence. Car quand il sait que l'heure de sa mort est proche, que fait l'être humain ? De façon révélatrice, il récapitule sa vie. Il en rassemble les fils. Il rassemble les fils de sa vie dans un récit. Un récit de vie qui peut être écrit ou oral, peu importe. Par cette narration de soi-même, l'être humain qui va mourir parachève son identité. Il se fabrique ce que Paul Ricœur appelle si justement une « identité narrative ». Il s'efforce de donner, rétrospectivement, du sens à ce qu'il a vécu. Et nous le savons bien : cet être humain quittera la vie plus sereinement s'il y a auprès de lui un parent, un soignant, un bénévole, un ami, un prêtre, un accompagnant pour recueillir cette parole, pour entendre cette mise en mots de soi.

Michel Lacroix « Paroles toxiques, paroles bienfaisantes »

Ed Robert Laffont Cette mise en mot est le fruit de la parole - ce verbe intérieur qui nous a permis de faire le récit de notre vie. La parole est le chemin sur lequel nous accédons à notre identité : « je dois me dire à moi-même qui je suis ». La parole me permet de prendre part au dialogue avec le monde en même temps qu’elle me permet d’accéder à une conscience plus juste de mon identité propre. Cette mise en mots est une tentative de rendre compte de notre présence au monde, c’est aussi le début du chemin vers Dieu, un dialogue avec l’inconnu, premier pas vers une rencontre personnelle de Dieu. Dans son Apologia pro vita, le cardinal Newman écrit ces paroles audacieuses : « si l’on me demande pourquoi je crois en Dieu, je réponds : c’est parce que je crois en moi-même. Car je sens qu’il est impossible de croire en ma propre existence (fait dont je suis certain), sans croire aussi à l’existence de Celui qui vit dans ma conscience morale comme un Etre personnel, qui me voit et qui me juge totalement ». Pour comprendre les ressorts secrets d'une personne, on n'a besoin, en définitive, de savoir qu'une seule chose : dans quel bain verbal cet être a-t-il été plongé ? De quel nid langagier est-il tombé ? Donnez-moi le script des conversations qu'il a entendues, la bande magnétique des échanges verbaux auxquels il a été soumis : ce document biographique me suffira pour comprendre le fond de son être ! Je ne réclame rien d'autre que cette archive sonore. Décrivez-moi le champ verbal où cette graine est tombée et où elle a mûri. De quelles paroles cette femme, cet homme ont-ils été les témoins ? Comment t'ont parlé tes parents, tes nourrices, tes professeurs ? Comment

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parlait-on de toi ? Quelle place occupais-tu dans le discours parental ? Dans le désir, dans l'inquiétude, dans les colères, les regrets, les frustrations de tes parents... (…) Dis-moi ce que fut ce langage, je te dirai qui tu es. Quand on comprend ce rôle clé du langage dans l'édification du moi, quand on mesure la place qu'il occupe dans le processus de construction de l'identité personnelle, quand on prend conscience du fait que la parole n'est pas seulement une cause de joie ou de peine, de bonheur ou de souffrance — mais que, fondamentalement, elle est, comme le disaient les sophistes, faiseuse d'hommes, c'est-à-dire fabricatrice de l'humain, bref, quand on prend conscience que l'acte du logos est véritablement un acte de procréation —, alors la question de la responsabilité du sujet parlant qui est au centre de ce livre apparaît dans toute sa dimension. Cette question est proprement vertigineuse. De sorte qu'on ne devrait s'approcher du langage qu'avec « crainte et tremblement ».

Michel Lacroix « Paroles toxiques, paroles bienfaisantes »

Ed Robert Laffont La biologie de l’isolement sensoriel. On sait qu’après trois semaines d’isolement sensoriel commence l’atrophie cérébral.Les données récentes de la neuro-imagerie, nous montre que le pire des traumatismes pour un bébé, qui ne peut pas remplir son monde avec des représentations verbales, il ne parle pas, donc il ne peut remplir ce monde qu’avec des perceptions, il n’a pas encore de représentations verbales, mais la perception des maux de sa mère – c’est important de parler à un bébé – c’est un objet sensoriel très signifiant, très sécurisant : la voix, les basses fréquences, la prosodie, le visage. Parler autour d’un bébé c’est important, et parler à un bébé c’est encore plus important parce que maintenant qu’on fait de la neuro-imagerie, on voit comment le lobe-temporal gauche traite les sons chez un bébé et quand on lui on parle, et quand on lui parle, on voit comment ce plus ce lobe temporal se rétrécie pour se transformer en la zone du langage. Si on parle autour d’un bébé on sculpte son cerveau. Un bébé en isolement sensoriel vit dans un effroi constant, tout information est une alerte effrayante. La parole a un effet affectif bien plus qu’informatif, d’ailleurs à tous les âges, la parole a un effet affectif, car parler à quelqu’un, c’est l’affecter. »

Boris Cyrulnik – Université de Nantes, Conférence 2013

La formation intérieure d’un « verbe » Une parole pour dominer le monde et donner un sens. Ce monde des choses qui n’est pas « de nous », devient « pour nous » et prend consistance dans/par notre parole. (1) Dominer « Au moyen des mots, je parle non seulement avec les êtres humains et des êtres humains. Je parle aussi de tout ce qui existe. Je me saisis de l'existant dans sa globalité. Je décris les paysages, je nomme les objets, les minéraux, les végétaux, les animaux, les villes, les monuments, les œuvres d'art ; je raconte les événements. Mon langage est une sorte de réceptacle dans lequel je recueille la Création. Dès lors la question suivante se pose : de quelle manière s'effectue cette prise de possession de la Création par le verbe ? En quels termes est-ce que je parle de ce qui m'environne ? Est-ce sur le mode du dénigrement ou de l'admiration ? De façon blasée ou enthousiaste ? Avec indifférence ou avec curiosité ? Avec quel degré d'émerveillement ? Suis-je sensible à ce que le monde a d'intéressant, de riche, d'insolite, de singulier, d'unique, de varié, d'émouvant, de beau ? (…) mon style de parole révèle ma manière d'appréhender les choses, d'entrer en contact avec elles. La qualité de ma présence-au-monde se reflète dans ma façon de parler-du-monde. Ma parole peut être l'occasion de célébrer la beauté de la nature ou au contraire de l'abîmer. Elle peut rehausser l'existant, ou le dégrader. Je peux m'extasier devant ce qui s'offre à mes yeux, ou être au contraire continuellement dans la dépréciation, la dévalorisation, en m'exclamant : « c'est commun.., banal... laid... sans intérêt.., pas original.., ça ne vaut rien... ». (…) C'est pourquoi

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l'admiration, que l'on tient habituellement pour un simple sentiment, une simple émotion, est aussi une vertu. Nous avons envers le monde un devoir d'admiration. » L’homme écoute la création, il doit apprendre à protéger la création pour que la parole qu’elle livre, continue à être audible pour lui. « L’homme, à qui Dieu a confié la bonne gestion de la nature, ne peut pas être dominé par la technique et devenir son sujet. Une telle prise de conscience doit amener les Etats à réfléchir ensemble sur l’avenir à court terme de la planète, face à leurs responsabilités à l’égard de notre vie et des technologies. L’écologie humaine est une nécessité impérative. Adopter en tout une manière de vivre respectueuse de l’environnement et soutenir la recherche et l’exploitation d’énergies propres qui sauvegardent le patrimoine de la création et sont sans danger pour l’homme, doivent être des priorités politiques et économiques. Dans ce sens, il s’avère nécessaire de revoir totalement notre approche de la nature. Elle n’est pas uniquement un espace exploitable ou ludique. Elle est le lieu natif de l’homme, sa "maison" en quelque sorte. Elle nous est essentielle.»

Benoit XVI – discours aux nouveaux ambassadeurs 9 juin 2011

Une conviction à partager : l’amour des mots, le goût de la parole, la certitude que le langage n’est pas qu’un moyen de communication, mais un lieu de vérité et de communion, un espace où se recueille le monde. (2) Donner sens … c’est vital ! D’une certaine façon, nous pourrions dire que nous sommes nés pour apprendre à « dire » le sens de notre vie. Chacun est donc appelé durant le temps de sa vie à concevoir une « parole » sur le sens de la vie. Or, chacun se risque à ce sens. Que faisons-nous de notre vie ? Et d’abord qu’en disons-nous ? Tout notre « labeur quotidien » n’a-t-il pas pour horizon, l’élaboration de cette « parole » personnelle que chacun forme peu à peu en lui pour répondre à la question du sens de sa propre vie ? Cette réponse nous sommes appelés à la devenir en « personne ». Nous devons devenir « Verbe de Dieu » et donc « Verbe de Vie ». « La plupart du temps, l'âme humaine ne peut arriver à se connaître elle-même, si ce n'est dans la réponse qu'elle fait à l'épreuve qui interroge ses forces non pas verbalement, mais expérimentalement. » Saint Augustin, « La cité de Dieu » La parole est nécessaire pour vivre et pour rendre compte de la vie. « Parler pour » exprimer ce qui a de la valeur, pour dire la valeur véritable de ce que nous avons découvert de la vie ; nous disons naturellement ce qui est important à nos yeux. Nous avons tous à découvrir que nous sommes « une parole vivante de Dieu », c’est-à-dire que Dieu dit quelque chose à travers chacun de nous. L’exigence du sens, nous introduit dans une « narrativité de notre propre vie ». Le langage apparaît comme une autre colonne vertébrale de nos vies : chacun se tient dans son discours sur soi-même. En fait chacun se raconte plus ou moins. Nous lisons sans cesse notre vie, et nous nous la racontons. C’est vital.

Michel Lacroix « Paroles toxiques, paroles bienfaisantes »

Ed Robert Laffont « Je m’exprime en exprimant le monde ; j’explore ma propre sacralité en déchiffrant celle du monde ».

Paul Ricoeur, « Philosophie de la volonté : Finitude et culpabilité »,

Paris 2009, p. 216.

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« Quand une petite fille va au bal pour la première fois, ce qu’elle imagine, ce qui fait son plaisir, ce n’est pas seulement qu’elle se dit qu’elle va au bal pour la première fois, c’est qu’elle est persuadée d’être la petite fille qui pour la première fois du monde va au bal. Telle est notre condition de chaque instant ; c’est que le monde quoi qu’on en dise, n’a pas encore été créé, c’est qu’il nous faut l’inventer et réinventer chaque fois. »

Jean Paulhan, écrivain (1884-1968) « Donner un nom à quelqu’un ou à quelque chose, c’est nommer son essence, ce qui le caractérise en propre, ce qui le personnifie […]. L’emprise est tellement forte que l’on serait tenté de dire que ce n’est pas l’individu qui porte le nom, mais le nom qui porte l’individu. Être, à la manière humaine, c’est être nommé. »

Père Antoine Moussali - La croix et le croissant, Éditions de Paris, 1997, p. 43 « Si Dieu cessait de penser à nous, d'opérer en nous et de nous produire, au même moment nous cesserions d'être. »

Pierre de Bérulle (1575-1629) « Nous appartenons au monde de la parole » dit Anna Harrendt « … le monde n’est pas humain pour avoir été fait par des hommes, et il ne devient pas humain parce que la voix humaine y résonne, mais seulement lorsqu’il est devenu objet de dialogue. Quelque intensément que les choses du monde nous affectent, quelque profondément qu’elles puissent nous émouvoir et nous stimuler, elles ne deviennent humaines pour nous qu’au moment où nous pouvons en débattre avec nos semblables. Tout ce qui ne peut devenir objet de dialogue peut bien être sublime, horrible ou mystérieux, voire trouver voix humaine à travers laquelle résonner dans le monde, mais ce n’est pas vraiment humain. Nous humanisons ce qui se passe dans le monde en nous en parlant, et, dans ce parler, nous apprenons à être humains. »

Hannah Arendt, Vies politiques « La mort est une violente interrogation qui exige réponse et en même temps frappe toute réponse d'insuffisance radicale, Le « pourquoi » ? de Jésus sur la croix n'a pas reçu de réponse. (…) Il est impossible de renoncer à entourer cet événement de toujours plus de sens. L’abeille agonisante tente de voler quand même. C’est sa nature d’abeille. L'homme face à la mort symbolise plus que jamais. C'est sa nature humaine. »

Père Matthieu Villemot, Corps et Vie blessée, Ed Parole et Silence, p. 210 Le raisonnement technique ou scientifique est utile, mais l’intelligence humaine peut infiniment plus : dans son effort de sagesse, elle est capable de comprendre ce que manifestent les joies intimes et vives au cœur de la famille. “Cette dimension sapientielle est d’autant plus indispensable aujourd’hui que l’immense accroissement du pouvoir technique de l’humanité demande une conscience vive et renouvelée des valeurs intimes.”

Jean-Paul II « Tout homme doit prendre position, d’une manière ou d’une autre, à l’égard des options fondamentales de l’existence. Il ne peut le faire que sous la forme d’une foi. Il y a un domaine que n’admet pas d’autres réponses que la foi; il n’est au pouvoir de personne de l’éviter entièrement. D’une certaine manière, tout homme est obligé d’avoir une FOI. La tentative la plus convaincante jusqu’à présent, de faire coincider l’attitude de foi avec l’attitude du savoir pratique, a été faite avec le marxisme et dans une certaine mesure, avec la théologie de la libération. Car ici, le faciendum, l’avenir que l’homme doit édifier de ses propres forces, représente en même temps le «sens de l’homme», de sorte que ce sens donné normalement par la foi est donné ici sur le plan de l’opérationnel. De ce fait le marxisme est allé à l’extrême limite de la pensée moderne. Il semble avoir réussi à faire entrer entièrement le sens de l’homme dans «l’opérationnel» au point de le faire coincider. Mais à y regarder de plus près, on s’aperçoit que lui non plus n’a pas trouvé la solution de la quadrature du cercle. Car il ne saurait démontrer que «l’opérationnel» soit le véritable sens de la vie. Il ne peut que le promettre et en faire un objet de foi. Alors, posons encore la question : QU’EST QUE LA FOI ? Nous dirons : elle est la forme, irréductible au savoir et sans commune mesure avec lui, d’une prise de position de l’homme à l’égard de la réalité; elle est ce qui donne le sens, fournissant une base à la vie humaine, sens préexistant au calcul et à l’action de l’homme, sans lequel,

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en définitive, il ne saurait ni calculer ni agir, faute de fondement indispensable. En vérité, l’homme ne vit pas seulement du pain de son activité technique. Il est HOMME ; il vit de ce qui lui est précisément propre : de la parole, de l’amour et du sens. Le sens est le pain qui fait vivre le tréfonds de son être. Sans la parole, sans le sens, sans l’amour, l’homme sombre dans le désespoir, même s’il jouit du confort et de l’abondance. »

Conférence de M. Nestor Turcotte sur « Benoit XVI : sa conception de la foi chrétienne », mai 2005 Avant d’aller plus loin Résumons-nous : les choses qui nous entourent nous interrogent, elles sont déjà « une parole » qui nous est adressée. Ainsi l’homme n’est-il pas fait pour devenir un être de dialogue avec le monde qui l’entoure ? Si ce monde lui parle, qui parle derrière/dans la création ? Que dit-il ? Que veut-il dire ? C’est tout le sens de la Révélation biblique qui accompagne l’éveil de l’homme au monde (toute la pensée grecque). Ainsi, toute personne cherche la vérité pour vivre et les paroles sont « médiatrices » de cette vérité. Comme les moineaux picorent à longueur de journée, nous picorons toute vérité à portée d’oreilles. Tout homme est en quête de vérité. Comment celle-ci lui parvient-elle ? « Les mots que je prononce doivent être des messagers de vérité, celle-ci étant, selon les cas, d'ordre subjectif ou d'ordre objectif. La vérité est d'ordre subjectif quand elle se rapporte à ma vie intérieure, c'est-à-dire mes pensées, mes sentiments, mes intentions. Ma parole doit refléter cette vie intérieure. Elle doit être en accord avec mes pensées et mes intentions. Ainsi, si je dis à autrui : « Je promets de... », l'engagement que je prends doit être sincère, exempt de toute arrière-pensée. Je ne dois pas, par avance, nourrir l'intention cachée de me dédire. La vérité est d'ordre objectif quand elle se rapporte à des réalités ou des faits extérieurs à moi. Ma parole doit être conforme à cette vérité objective. Michel Lacroix - « Paroles toxiques, paroles bienfaisantes », Robert Laffont « Mal nommer les choses », écrivait Camus, « c'est ajouter au malheur du monde. » « Il y a confusion entre les différents mondes de l’homme et l’exigence de vérité dans lequel il baigne. Parce que le contexte scientifique culturel érige « la vérité possédée », comme critère de fiabilité. Les mondes de l’enfant sont imaginaires, réel, symbolique et mythique. Chacun des mots appartient à l’un de ces mondes. On confond les mondes qui sont réellement ceux à travers lesquels l’homme vit sa vie et le monde dans lequel il évolue. Le réductionnisme atteint l’homme dans sa profondeur réelle niée au profit d’une extériorité. Ce n’est pas parce que le monde imaginaire n’est pas réel, qu’il n’appartient pas réellement à l’homme. Ce monde est constitutif de la réalité de la personne. Parler de la réalité humaine implique la reconnaissance de la pluralité des mondes de l’homme. Le monde physique qui l’accueil est comme une portée de musique sur laquelle plusieurs accords et mélodies s’écrivent. La musique humaine qui s’y écrit n’est pas moins réelle que la portée des lignes qui l’accueille. (…) Chez l’enfant, le mot désigne et rejoint l’être de la chose : l’énoncé du mot est attestation de la chose même, de son être-là. Parler revient à dire l’être-là des choses. C’est le langage dans sa puissance absolue : réalisé par l’enfant inconscient de sa portée, c’est aussi la vocation des discours conscients à venir. Le Verbe est pour aller à l’être des choses. L’homme parlant est donc en chemin ! Le discours est « épiphanie » de la vérité, goûtée, éclairante. (…) Parler de « Dieu » à l’enfant, c’est lui offrir un horizon qui seul est à la mesure de son cœur. Valoriser les appétits d’infini, de stabilité, de plénitude qui sont en lui. C’est déjà lui permettre de donner un nom à la perfection, à la plénitude et de se trouver lui-même en cohérence de penser avec ce qui germe dans son esprit. Aiguiser chez l’enfant, l’appétit de bonté en lui annonçant la bonté sans mesure. Lui ouvrir l’espace de son cœur et le chemin de son bonheur en lui annonçant la Bonté en personne, la vérité de cette bonté et donc aussi les erreurs possibles. C’est parce que la vérité existe que nous pouvons faire des erreurs. »

Père Thierry Avale « L’enfant, maître de simplicité », Parole et Silence

D’une vision subjective à la quête de l’objectivité « Ce thème a été analysé par le philosophe Leibniz (1646-1716) dans son ouvrage la Monadologie. Leibniz y compare nos diverses façons de concevoir le monde à différents points de vue sur une ville :

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« La nature humaine n’est pas purement biologique. C’est une affirmation fondamentale de la vision chrétienne du monde.

(Voir Jean-François Froger : La nature humaine , RCF) Croire que la cause matérielle énonce le dernier mot de l’être est une erreur pour la foi chrétienne. Ce n’est pas parce que nous avons la même matière que les autres animaux, la même mécanique biologique qui constitue le vivant, que nous sommes la même chose. C’est absurde. Nous avons les mêmes atomes que tout ce qui existe dans le monde et cependant, il y a une spécificité humaine ! La différence spécifique ne vient pas des chromosomes, elle se pense au niveau de la cause formelle et bien sur de la cause finale. La forme de l’homme est spécifique et ce qui le différencie c’est l’usage de la parole ; or la parole, c’est la capacité à utiliser une opération logique qui s’appelle la négation. Ainsi, la nature humaine n’est pas la nature animale. L’ordre humain est autre que l’ordre animal : la nature humaine n’est pas purement et simplement une donnée biologique. Les animaux se communiquent leurs états psychiques immédiats, au moyen de sons, de bruits. Le bruit de l’homme peut communiquer du sens et pas simplement des états psychiques. Nous entrons dans une description du monde et dans une abstraction du monde. Ce qui est spécifique, c’est la rationalité qui s’exprime dans la communication. Nous désignons par un mot, une classe abstraite d’objets : par exemple « arbre », désigne tous les arbres. La parole humaine peut désigner autre chose que son propre état. La parole est un acte du corps, et elle est parole à autrui. Il est constitutif de la parole que de s’adresser à l’autre. Il y a une convention dans la parole : il y a du sens, une convention collective à la multitude des hommes. La relation de parole contient implicitement un contrat : parler, c’est faire appel à la compréhension de l’autre. « Je m’adresse à toi », c’est une institution de locuteur, l’autre va pouvoir répondre ; il y a une réciprocité posée ! L’homme est celui qui rencontrant un autre homme le reconnait comme tel ! La parole humaine est par essence contractuelle. » Le corps Un homme, cela se conçoit. Il y a fécondation du mâle et de la femelle. C’est la rencontre des deux qui provoque un être nouveau. Mais pour l’homme, on raconte la chose, on ne se contente pas de le faire ! Il y a besoin d’un contrat de parole, c’est pourquoi on appelle cela une conception ! Une conception de quoi ? la conception de l’humain. La spécificité de l’humain se trouve dans le « langage », dans le « verbe ». C’est dans le langage dont il est capable que l’homme est vraiment conçu. C’est là que se conçoit réellement l’humanité. L’homme est une réalité invisible, il se conçoit, il faut rentrer dans cette conception de l’homme pour être homme. L’homme est l’incarnation du Verbe. Il y a « homme », là où il y a incarnation d’un « verbe », un « logos » dans la chair. Ce que l’homme porte en plus de tout le règne animal, c’est ce « verbe » qui se tient en lui, qui est « incarné ». Ce là qu’est la réelle conception de l’homme et que nous avons oublié : nous sommes déchus de la conception de ce qu’est l’homme, si nous nous concevons comme des animaux ! Cela mène au suicide et à la dépression. Nous sommes appelés à concevoir l’humanité et alors nous devenons homme ! La nature humaine n’est pas une donnée à priori, il y a une partie non finie en nous, c’est ce « verbe ». L’homme doit lui-même se mettre au monde, par la conception qu’il doit accueillir de lui-même ! Saint Grégoire de Nysse « nous devenons notre propre père et notre propre mère ». Nous sommes responsables de la façon dont nous nous concevons, nous pouvons abolir la nature humaine en nous concevant faussement ! Or la finalité du christianisme est de « devenir participant de la nature divine » ! Voilà ce qui fait l’homme dans la foi chrétienne. Ce n’est pas un cadeau surérogatoire, cela fait partie de la nature humaine de devoir devenir « fils de Dieu » ! Comment ? En concevant le « Verbe de Dieu », cette Parole que Dieu nous donne à entendre, à concevoir, à manger : le Christ, vrai homme et vrai Dieu.

2) La Parole de Dieu : chemin, vérité et vie des hommes La personne humaine (douée de parole, comme nous venons de le voir et désireuse de vérité) a une vocation prophétique. Cela veut dire qu’elle « porte la parole d’un autre ». Mieux encore : elle est « en personne », la parole

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d’un autre. En chacun, Dieu veut parler, dire quelque chose de Lui-même. Si Dieu est Amour, c’est donc l’amour que chacun est appelé à dire, selon sa grâce propre, selon sa singularité. L’Evangile n’est pas une doctrine, un discours, c’est ce qu’est l’Homme au plus profond de lui-même dans le regard d’amour de Dieu : une Bonne Nouvelle, un être appelé à participer à vie divine. L’homme a besoin de l’entendre parce qu’il est et demeure une énigme pour lui-même. Indéchiffrable à la seule lumière de sa raison. Nul ne peut se figurer par soi-même, la destinée authentique de la vie humaine. Dieu a adressé aux hommes sa « PAROLE » par laquelle, les hommes trouvent la lumière du sens de leur vie, la nourriture intérieure qui fortifie leur cœur pour aimer, et la vérité qui libère en eux la Bonne Nouvelle de leur être promis à la vie éternelle. Personne ne nous oblige à le croire, seul le cœur humain peut en conscience réaliser un chemin qui le conduit à reconnaître combien l’amour seul est digne de foi, car seul l’amour est vie, car l’amour est « don de vie ». Dieu parle dans ses œuvres, et sa parole est créatrice Psaume 32 « Le Seigneur a fait les cieux par sa parole, l’univers par le souffle de sa bouche. Il parla et ce qu’il dit exista, Il commanda et ce qu’il dit, survint » La foi catholique tient que la vie s’origine dans une Parole que Dieu énonce. Le monde est né d’une Parole de Dieu, et le monde est cette Parole continuellement prononcée. Ce monde créé est « Parole divine », donc l’expression de Quelqu’un. Le monde créé prend une « consistance audible ». Qu’est-ce que me disent les choses ? Comment apprendre à écouter ce « langage même de la création » ? Toute la création qui nous entoure, n’est-elle pas finalement pas le premier langage entendu ? L’observation et l’émerveillement devant l’univers ne sont-ils pas les premiers mots d’un dialogue qui s’engagent avec le mystère même de la vie ? Les premiers instants de notre rencontre avec Dieu ? Genèse 1,3 : « Dieu dit : "Que la lumière soit " et la lumière fut ».

La Parole de Dieu est créatrice, la création est une parole.

Genèse 2,19 : « Le Seigneur Dieu modela encore du sol toutes les bêtes sauvages et tous les oiseaux du ciel, et il les amena à l'homme pour voir comment celui-ci les appellerait : chacun devait porter le nom que l'homme lui aurait donné.[20] L'homme donna des noms à tous les bestiaux, aux oiseaux du ciel et à toutes les bêtes sauvages, mais, pour un homme, il ne trouva pas l'aide qui lui fût assortie ». « Tout l’univers matériel est un langage de l’amour de Dieu, de sa tendresse démesurée envers nous. Le sol, l’eau, les montagnes, tout est caresse de Dieu. L’histoire de l’amitié de chacun avec Dieu se déroule toujours dans un espace géographique qui se transforme en un signe éminemment personnel, et chacun de nous a en mémoire des lieux dont le souvenir lui fait beaucoup de bien. Celui qui a grandi dans les montagnes, ou qui, enfant, s’asseyait pour boire l’eau au ruisseau, ou qui jouait sur une place de son quartier, quand il retourne sur ces lieux se sent appelé à retrouver sa propre identité. » Pape François, Laudato Si’, n°84 « Pour nous chrétiens, le monde est le fruit d’un acte d’amour de Dieu, qui a fait toute chose et duquel Il se réjouit parce que « cela est bon», «cela est très bon», comme le dit le récit de la création (cf. Gn 1, 1-31). Dieu n’est pas le totalement Autre, innommable et obscur. Dieu se révèle, il a un visage, Dieu est raison, Dieu est volonté, Dieu est amour, Dieu est beauté. La foi dans l’Esprit Créateur et la foi dans l’Esprit que le Christ Ressuscité a donné aux Apôtres et donne à chacun de nous, sont alors inséparablement liées. »

Benoit XVI – Pentecôte 2011 « Entendre chaque créature chanter l’hymne de son existence, c’est vivre joyeusement dans l’amour de Dieu et dans l’espérance ».

Conférence des évêques du Japon, Reverence for Life. A Message for the Twenty-First Century (janvier 2001), n. 89.

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➔ La création est sous les yeux de l’homme la révélation de son propre univers intérieur. La nature est le premier livre de théologie. Dieu à travers ses œuvres appelle toujours de l’homme à sa vie ! Charles BAUDELAIRE (1821-1867) L'homme et la mer Homme libre, toujours tu chériras la mer ! La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme Dans le déroulement infini de sa lame, Et ton esprit n'est pas un gouffre moins amer. Tu te plais à plonger au sein de ton image ; Tu l'embrasses des yeux et des bras, et ton coeur Se distrait quelquefois de sa propre rumeur Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.

Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets : Homme, nul n'a sondé le fond de tes abîmes ; Ô mer, nul ne connaît tes richesses intimes, Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets ! Et cependant voilà des siècles innombrables Que vous vous combattez sans pitié ni remord, Tellement vous aimez le carnage et la mort, Ô lutteurs éternels, ô frères implacables !

Le message central du récit de la création se laisse déterminer encore plus précisément. Dans les premières paroles de son Evangile, saint Jean a résumé la signification essentielle de ce récit en cette unique phrase : « Au commencement était le Verbe ». En effet, le récit de la création que nous venons d’écouter est caractérisé par la phrase qui revient régulièrement : « Dieu dit… ». Le monde est un produit de la Parole, du Logos, comme l’exprime Jean avec un terme central de la langue grecque. « Logos » signifie « raison », « sens », « parole ». Il ne signifie pas seulement « raison », mais Raison créatrice qui parle et qui se communique elle-même. C’est une Raison qui est sens et qui crée elle-même du sens. Le récit de la création nous dit, donc, que le monde est un produit de la Raison créatrice. Et ainsi il nous dit qu’à l’origine de toutes choses il n’y avait pas ce qui est sans raison, sans liberté, mais que le principe de toutes choses est la Raison créatrice, est l’amour, est la liberté. Ici nous nous trouvons face à l’alternative ultime qui est en jeu dans le débat entre foi et incrédulité : l’irrationalité, le manque de liberté et le hasard sont-ils le principe de tout, ou bien la raison, la liberté, l’amour sont-ils le principe de l’être ? Le primat revient-il à l’irrationalité ou à la raison ? C’est là la question en dernière analyse. Comme croyants nous répondons par le récit de la création et avec Jean : à l’origine, il y a la raison. A l’origine il y a la liberté. C’est pourquoi être une personne humaine est une bonne chose. Il n’est pas exact que dans l’univers en expansion, à la fin, dans un petit coin quelconque du cosmos se forma aussi, par hasard, une certaine espèce d’être vivant, capable de raisonner et de tenter de trouver dans la création une raison ou de l’avoir en elle. Si l’homme était seulement un tel produit accidentel de l’évolution en quelque lieu à la marge de l’univers, alors sa vie serait privée de sens ou même un trouble de la nature. Non, au contraire : la raison est au commencement, la Raison créatrice, divine. Et puisqu’elle est Raison, elle a créé aussi la liberté ; et puisqu’on peut faire de la liberté un usage indu, il existe aussi ce qui est contraire à la création. C’est pourquoi une épaisse ligne obscure s’étend, pour ainsi dire, à travers la structure de l’univers et à travers la nature de l’homme. Mais malgré cette contradiction, la création comme telle demeure bonne, la vie demeure bonne, parce qu’à l’origine il y a la Raison bonne, l’amour créateur de Dieu. C’est pourquoi le monde peut être sauvé. C’est pour cela que nous pouvons et nous devons nous mettre du côté de la raison, de la liberté et de l’amour – du côté de Dieu qui nous aime tellement qu’il a souffert pour nous, afin que de sa mort puisse surgir une vie nouvelle, définitive, guérie. Ainsi le samedi était une expression de l’alliance entre Dieu et l’homme et la création. De cette façon, la communion entre Dieu et l’homme n’apparaît pas comme quelque chose de rajouté, instauré par la suite dans un monde dont la création était déjà terminée. L’alliance, la communion entre Dieu et l’homme, est prévue au plus profond de la création.

Benoit XVI – Vigile Pascale 2011 Genèse 1,31 « Et Dieu vit tout ce qu'il avait fait : c'était très bon. Il y eut un soir, il y eut un matin : ce fut le sixième jour ». Il y a en toute personne une bonté qui est plus originelle que son péché, ou encore le péché ne révoque pas

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la bonté originelle du dessein créateur. Revenir à cette bonté, la redécouvrir et l’éprouver suppose d’écouter cette Parole dans laquelle nous sommes créés. Finalement, ce sera cela accueillir le Christ, « Verbe de Dieu » : écouter en Lui, l’amour originel qui est au fondement de toute vie. L’importance de l’écologie est désormais indiscutée. Nous devons écouter le langage de la nature et y répondre avec cohérence. Je voudrais cependant aborder avec force un point qui aujourd’hui comme hier est –me semble-t-il- largement négligé : il existe aussi une écologie de l’homme. L’homme aussi possède une nature qu’il doit respecter et qu’il ne peut manipuler à volonté. L’homme n’est pas seulement une liberté qui se crée de soi. L’homme ne se crée pas lui-même. Il est esprit et volonté, mais il est aussi nature, et sa volonté est juste quand il respecte la nature, l’écoute et quand il s’accepte lui-même pour ce qu’il est, et qu’il accepte qu’il ne s’est pas créé de soi. C’est justement ainsi et seulement ainsi que se réalise la véritable liberté humaine.

Benoit XVI – Sept 2011 – Discours au Bundestag Le progrès technique, en particulier dans le monde des transports et des communications, a rendu la vie de l’homme plus confortable, mais également plus pressée, parfois convulsive. Les villes sont presque toujours bruyantes: on y trouve rarement le silence, car un bruit de fond demeure toujours, dans certaines zones également la nuit. Ensuite, au cours des dernières décennies le développement des médias a diffusé et amplifié un phénomène qui se profilait déjà dans les années soixante: la virtualité qui risque de dominer sur la réalité. Toujours plus, même sans s’en apercevoir, les personnes sont plongées dans une dimension virtuelle, à cause de messages audiovisuels qui accompagnent leur vie du matin au soir. Les plus jeunes, qui sont déjà nés dans cette condition, semblent vouloir remplir de musique et d’images chaque moment vide, presque par peur de sentir, précisément, ce vide. Il s’agit d’une tendance qui a toujours existé, en particulier parmi les jeunes et dans les contextes urbains les plus développés, mais aujourd’hui celle-ci a atteint un niveau tel qu’il fait parler de mutation anthropologique. Certaines personnes ne sont plus capables de rester longtemps en silence et dans la solitude. J’ai voulu évoquer cette situation socioculturelle, parce qu’elle met en évidence le charisme spécifique de la chartreuse, comme un don précieux pour l’Eglise et pour le monde, un don qui contient un message profond pour notre vie et pour l’humanité tout entière. Je le résumerais ainsi: en se retirant dans le silence et dans la solitude, l’homme, pour ainsi dire, s’«expose» au réel dans sa nudité, il s’expose à ce «vide» apparent que j’évoquais tout à l’heure, pour faire en revanche l’expérience de la Plénitude, de la présence de Dieu, de la Réalité la plus réelle qui soit, et qui est au-delà de la dimension sensible. C’est une présence perceptible dans toute créature: dans l’air que nous respirons, dans la lumière que nous voyons et qui nous réchauffe, dans l’herbe, dans les pierres... Dieu, Creator omnium, traverse toute chose, mais il est au-delà, et précisément pour cette raison il est le fondement de tout. Le moine, en quittant tout, court pour ainsi dire un «risque»: il s’expose à la solitude et au silence pour ne vivre de rien d’autre que l’essentiel, et c’est précisément en vivant de l’essentiel, qu’il trouve aussi une profonde communion avec ses frères, avec chaque homme.

Benoit XVI 9 octobre 2011 -Chartreuse Serra Sans Bruno Italie

Le monde et ses reliefs « ne seront bientôt plus que les vestiges d’une humanité désuète, lorsque la virtualité toute-puissante aura achevé de nous rendre le réel superflu autant qu’inaccessible ».

Père François-Cassingena-Trévedy , Cahier n°2 Famille Chrétienne n°2058 « Reconnaître la nature comme un splendide livre dans lequel Dieu nous parle et nous révèle quelque chose de sa beauté et de sa bonté : « La grandeur et la beauté des créatures font contempler, par analogie, leur Auteur » (Sg 13, 5), et « ce que Dieu a d’invisible depuis la création du monde, se laisse voir à l’intelligence à travers ses œuvres, son éternelle puissance et sa divinité » (Rm 1, 20). C’est pourquoi il demandait qu’au couvent on laisse toujours une partie du jardin sans la cultiver, pour qu’y croissent les herbes sauvages, de sorte que ceux qui les admirent puissent élever leur pensée vers Dieu, auteur de tant de beauté. (Cf. Thomas de CeLano, Vita Secunda de saint François, CXXIV, 165 : FF 750.) Le monde est plus qu’un problème à résoudre, il est un mystère joyeux que nous contemplons dans la joie et dans la louange. »

Pape François, Laudato Si’ n°12

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L’étude de la nature est notre première théologie.

Le « péché originel » exprime le refus par l’homme d’être conduit à sa pleine humanité (à sa divine ressemblance) par le chemin de la confiance en Dieu. L’expulsion du Paradis dans le livre de la Genèse traduit l’expulsion de la Parole de Dieu par l’homme. Ce péché est appelé « originel » non parce qu’il serait simplement à l’origine (situé dans un commencement), mais parce qu’il est actuel ! Nous le voyons tous les jours en l’homme, lorsqu’il affirme que son origine n’est pas Dieu, que sa finalité n’est pas Dieu et qu’il n’a pas à chercher sa volonté. Les signes de l’amour de Dieu ne parlent plus à son cœur, sa propre dureté est projetée sur Dieu. Il a disqualifié dans sa conscience la bonté de son origine et partant, il obscurcit tout son développement personnel. Il faut donc une lumière suffisamment forte pour l’effacer, celle que produit l’illumination du baptême, par lequel nous sommes immergés dans le Christ et recevons la puissance de son énergie que communique l’Esprit Saint. Livre de la Genèse 2,15-17 « Le Seigneur Dieu prit l’homme et le conduisit dans le jardin d’Éden pour qu’il le travaille et le garde. Le Seigneur Dieu donna à l’homme cet ordre : « Tu peux manger les fruits de tous les arbres du jardin ; mais l’arbre de la connaissance du bien et du mal, tu n’en mangeras pas ; car, le jour où tu en mangeras, tu mourras. » Comment une Parole sortie de la bouche de Dieu, selon le récit de la Genèse, pourrait-elle être mortelle pour l’homme ? C’est impossible car Dieu donne la vie par sa Parole. Toute parole de Dieu est parole de Vie pour l’homme. Donc, elle n’est mortelle pour l’homme que si celui-ci cesse de l’entendre et de la recevoir de Dieu. C’est à cela que va s’employer le serpent. Genèse 3,4-5 : « Le serpent dit à la femme : « Pas du tout ! Vous ne mourrez pas ! Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. » Le serpent suggère à la femme, qu’il a une connaissance de l’intimité de Dieu : « Dieu sait que… », donc lui sait ce que Dieu sait et ne veut pas ! Tout combat spirituel porte sur la conception de la Parole de Dieu et de sa volonté : ce qu’il veut c’est que nous ayons la vie par son Verbe ! La liturgie chante avec les anges La Messe est une fête – Textes choisis de Benoit XVI et Ratzinger Ed. St Augustin, p124 Je citerai une belle parole du Mahatma Gandhi que j'ai trouvée récemment sur un calendrier. Gandhi évoque les trois milieux dans lesquels s'est développée la vie dans le cosmos et note que chacun d'eux porte une façon d'être propre. Dans la mer vivent les poissons, silencieux. Les animaux qui vivent sur la terre ferme crient, tandis que les oiseaux qui peuplent le ciel chantent. Le silence est le propre de la mer, le propre de la terre ferme, c'est le cri, le propre du ciel le chant. Mais l'homme participe des trois : il porte en soi la profondeur de la mer, le fardeau de la terre et les hauteurs du ciel. C'est pourquoi il est aussi silence, cri et chant. Aujourd'hui - ajouterai-je -, nous le voyons, il ne reste plus que le cri à l'homme sans transcendance, parce qu'il ne veut plus être que terre et qu'il tente aussi de transformer en sa terre les profondeurs de la mer et les hauteurs du ciel. La véritable liturgie, la liturgie de la Communion des Saints, lui restitue sa totalité. Elle lui réapprend le silence et le chant en lui ouvrant les profondeurs de la mer et en lui apprenant à voler, à participer de l'être des anges. En élevant le cœur, elle fait retentir à nouveau la mélodie ensevelie. Oui, nous pouvons même dire maintenant, à l'inverse : on reconnaît la véritable liturgie à ce qu'elle nous libère de l'agir ordinaire et nous restitue la profondeur et la hauteur, le silence et le chant. On reconnaît la liturgie authentique à ce qu'elle est cosmique et non fonction du groupe. Elle chante avec les anges, elle se tait avec la profondeur du tout, en attente. Et c'est ainsi qu'elle libère la terre, qu'elle la sauve.

« La Messe est une fête » – Textes choisis de Benoit XVI et Ratzinger Ed. St Augustin, p124 Le Verbe de Dieu se fait « CHAIR » Jean 3,31-35 : « La Parole de Vérité vient de Dieu »

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« Celui qui vient d’en haut est au-dessus de tout. Celui qui est de la terre est terrestre et il parle de façon terrestre. Celui qui vient du ciel rend témoignage de ce qu’il a vu et entendu, et personne n’accepte son témoignage. Mais celui qui accepte son témoignage certifie par là que Dieu dit la vérité. En effet, celui que Dieu a envoyé dit les PAROLES de DIEU, car Dieu lui donne l’ESPRIT sans mesure. » « La nouveauté de l’annonce chrétienne ne réside pas dans une pensée, mais dans un fait : Dieu s’est révélé. Ce n’est pas un fait nu mais un fait qui, lui-même, est logos – présence de la Raison éternelle dans notre chair. Verbum caro factum est (Jn 1,14) : il en est vraiment ainsi en réalité, à présente, le Logos est là, le Logos est présent au milieu de nous. » Benoît XVI, Discours au collège des Bernardins (Paris) -12 septembre 2008. Hébreux 1,2 « dans ces derniers temps, nous a parlé par le Fils, qu'il a établi héritier de toutes choses, par lequel il a aussi créé le monde ». Matthieu 4,4 « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu ». Jean 8,51 « En vérité, en vérité, je vous le dis, si quelqu’un garde ma parole, il ne verra jamais la mort ». Jean 6,68 « Seigneur, à qui irions-nous? Tu as les paroles de la vie éternelle. Et nous avons cru et nous avons connu que tu es le Christ, le Saint de Dieu ». Jean 14,23 « Jésus lui répondit: Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole, et mon Père l'aimera; nous viendrons à lui, et nous ferons notre demeure chez lui. » « Ce n'est pas seulement de pain que l’homme vivra, mais de toute parole sortant de la bouche de Dieu » Mt4,4 C'est tout le sens de la parole biblique (Dt 8, 3) reprise par Jésus : cela ne veut pas seulement dire que nous devons nous nourrir aussi d'enseignements spirituels pour satisfaire notre appétit de vivre, mais que le pain - comme tout aliment - est plus qu'une simple réalité matérielle. Interprétant ce verset, le maître hassidique Rabbi Moshé le dit bien: « Ce n'est pas des éléments matériels du pain que l'homme reçoit sa vie, mais bien des étincelles de vie divines qui s’y trouvent contenues. Si vous voulez savoir où est Dieu, vous n’avez qu’à regarder ce pain: là Il est. C'est par Sa vie et par Son souffle vivifiant que toutes choses subsistent; qu'Il se retire de l'une d'elles, elle tombe en pièces et s'anéantit. » Martin Buber, les Récits hassidiques, Éd. du Rocher, 1978. La nature, dans sa profondeur, a donc plus que sa matérialité à offrir; ses richesses alimentaires ne sont pas que d'ordre physique. Manger, en ce sens, n'est pas seulement ingurgiter des calories et des protéines pour l'entretien et la santé du corps, biologique et mortel. C'est aussi recevoir la vie de Dieu, participer à la dynamique des étincelles divines pour la manifestation de l'être - corps, âme et esprit - promis à une Vie plus forte que la mort. Tel est donc l’enjeu : faire du repas plus qu’un acte fonctionnel ou de consommation: un art de vivre, un rite créateur de sens et une expérience spirituelle où manger, être en communion avec la terre et les autres, et connaître Dieu se rejoignent. Un travail de conscience au quotidien qui revient à s'éveiller, s'émerveiller, respecter, remercier, bénir, habiter, sentir, ralentir, partager et se réjouir. »

Michel Maxime Egger – La Vie Sept 2015 Face au mystère de la mort Face au mystère de la mort, tout semble être irrémédiablement perdu pour l'homme qui n'a pas la foi. C'est la parole du Christ qui éclaire alors le chemin de la vie et confère sa valeur à chacun de ses moments. Jésus Christ est le Seigneur de la vie, et il est venu pour ressusciter au dernier jour tout ce que le Père lui a confié (cf. Jn 6, 39). C'est également le message que Pierre annonce avec une grande force le jour de la Pentecôte (cf. Ac 2, 14.22b-28). Il montre que Jésus ne pouvait pas être retenu par la mort. Dieu l'a libéré de ses angoisses, car il n'était pas possible que cette dernière le garde en son pouvoir. Sur la croix, le Christ a remporté la victoire, qui devait se manifester par un dépassement de la mort, c'est-à-dire par sa résurrection. (…)

Benoit XVI - 7 mai 2010

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« Nous savons que le premier langage directement compréhensible par tout homme est celui de l’amour ». « C’est à partir de l’amour que nous vivons entre membres de l’Eglise, et à la qualité de l’amour (que nous essayons de vivre), que la question de la source de cet amour peut se poser réellement ».

Mgr André Vingt Trois Archevêque de Paris-Juin 2007

Isaïe 50, 4-7 « Dieu mon Seigneur m'a donné le langage d'un homme qui se laisse instruire, pour que je sache à mon tour réconforter celui qui n'en peut plus. La Parole me réveille chaque matin, chaque matin elle me réveille pour que j'écoute comme celui qui se laisse instruire ». « La Parole de Dieu nous parvient seulement à travers la parole humaine, à travers des paroles humaines, Dieu nous parle seulement dans l’humanité des hommes, à travers leurs paroles et leur histoire ; l’aspect divin de la parole n’est pas immédiatement perceptible. » Benoit XVI Collège des Bernardins - septembre 2008 Ce que nous avons de plus grand à nous donner : « notre parole », c’est nous-mêmes. « Le chrétien ne doit pas avoir peur d’aller « à contre courant » pour vivre sa foi, en résistant à la tentation de « se conformer ». Dans beaucoup de nos sociétés, Dieu est devenu « le grand absent » et de nombreuses idoles ont pris sa place, la première étant le « je » autonome. Et même les progrès connus et positifs de la science et de la technique ont donné à l’homme une illusion de toute-puissance et d’autosuffisance, et un égocentrisme croissant a provoqué pas mal de déséquilibres au sein des rapports interpersonnels et des comportements sociaux. Et pourtant, la soif de Dieu (cf. Ps 63,2) ne s’est pas éteinte et le message évangélique continue de résonner à travers les paroles et les œuvres de beaucoup d’hommes et de femmes de foi. Abraham, le père des croyants, continue d’être le père de nombreux enfants qui acceptent de marcher dans ses pas et qui se mettent en route, dans l’obéissance à la volonté divine, confiants dans la présence bienveillante du Seigneur et accueillant sa bénédiction pour devenir eux-mêmes bénédiction pour tous. »

Benoit XVI – catéchèse sur le Credo – jan 2013 En conclusion C’est la Pâque du langage, qui rejoint le cœur, y descend, s’y donne et meurt dans ses limites, pour ressusciter dans la personne même qui forme son propre Verbe de vie, nourrie de la Parole et de sa Lumière. C’est ainsi que la parole (le Verbe) devient poiésis au sens fort de « réalisateur », « créateur ». Le Verbe est « poiétique ». C’est ainsi que le verbe se fait chair de notre chair, que la personne « contracte » le Verbe et le devient. Cette alliance est nuptiale, il y une union des deux, elle est aussi pascale, parce qu’elle fait entrer dans une vie nouvelle. C’est le dynamisme de la Parole qui fait que celui à qui l’on parle, forme en lui la Parole et devient lui-même Parole ! Si c’est Dieu qui parle, son Verbe se fait chair de notre chair, et la personne toute entière devient « theo-logon », authentique « parole de Dieu ». Reconnaître que nous sommes « un dire » de Dieu est la mission du Christ, Verbe fait chair. Chaque personne « prolonge en sa chair, le dire de Dieu lui-même, en laissant Dieu se dire en lui ».

François Cassingena-Trevedy Ad Solem- Origine du parler-Dieu , p34

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