lettre culture sciences n°17

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DÉC 2014 17 L’équipe du Pr Paul Hofman parvient en avant-première mondiale à dépister le cancer du poumon chez des patients à haut risque, des mois avant que les techniques d’imagerie puissent révéler la maladie. « Avoir un cancer », dans le langage commun, signifie actuellement présenter une masse de cellules tumorales suffisamment grosse pour être détectée à l’imagerie. Pourtant, la prolifération anarchique et nocive de ces petites unités démarre plusieurs semaines, parfois des mois en amont. Établir un dépistage précoce au moyen de nouvelles stratégies constitue donc un enjeu considérable pour la prise en charge des patients. Des centaines d’équipes de recherche des quatre coins du globe s’évertuent ainsi à identifier des marqueurs du cancer situés ailleurs que dans les tissus et à élaborer des techniques pour les isoler. Les travaux de l’équipe du Pr Paul Hofman, du centre hospitalier universitaire de Nice et de l’ IRCAN (Institut de Recherche sur le Cancer et le Vieillissement, Nice), UMR CNRS 7284/Inserm U1081, de l’Université Nice Sophia Antipolis, s’orientent par exemple sur la mise en évidence et la caractérisation des cellules tumorales circulantes (CTC). Ce sont elles qui quittent un cancer primaire et s’introduisent dans le système sanguin, en sentinelles, à la recherche d’un site où établir une nouvelle colonie, c’est-à-dire une métastase. Jusqu’à présent, la possibilité de détecter ces cellules offrait une perspective d’alternative à la biopsie, pour confirmer la présence d’un cancer dans le corps, quand une « tâche » avait été trouvée sur un organe, à l’imagerie. Repérer ces signes « annexes » de la maladie permettrait également un suivi fin des récidives ou au contraire de l’efficacité d’un traitement. Mais l’équipe niçoise s’aventure, depuis 2008, dans un essai encore plus ambitieux. Elle a en effet parié sur la possibilité de relever la présence de ces cellules circulantes aux tout premiers stades du cancer, là où aucun outil ne permet d’établir un diagnostic. L’étude qu’elle a achevée en 2013, porte sur le cancer du poumon et a ciblé une cohorte de sujets « à haut risque ». Sur 245 personnes incluses dans le test, 168 présentaient ainsi un profil « gros fumeur » et étaient atteintes d’une broncho- pneumopathie chronique obstructive (BPCO). L’équipe de scientifiques a utilisé les techniques les plus récentes mises au point pour « capturer » les cellules tumorales circulantes au moyen d’une simple prise de sang. Le principe consiste à filtrer le liquide biologique pour ne garder que les sentinelles. Sciences Culture La Lettre Traque réussie dans l’ombre du cancer du poumon

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DÉC

201

4 17

L’équipe du Pr Paul Hofman parvient en avant-première mondiale à dépister le cancer du poumon chez des patients à haut risque, des mois avant que les techniques d’imagerie puissent révéler la maladie.

« Avoir un cancer », dans le langage commun, signifi e actuellement présenter une masse de cellules tumorales suffi samment grosse pour être détectée à l’imagerie. Pourtant, la prolifération anarchique et nocive de ces petites unités démarre plusieurs semaines, parfois des mois en amont. Établir un dépistage précoce au moyen de nouvelles stratégies constitue donc un enjeu considérable pour la prise en charge des patients. Des centaines d’équipes de recherche des quatre coins du globe s’évertuent ainsi à identifi er des marqueurs du cancer situés ailleurs que dans les tissus et à élaborer des techniques pour les isoler.

Les travaux de l’équipe du Pr Paul Hofman, du centre hospitalier universitaire de Nice et de l’ IRCAN (Institut de Recherche sur le Cancer et le Vieillissement, Nice), UMR CNRS 7284/Inserm U1081, de l’Université Nice Sophia Antipolis, s’orientent par exemple sur la mise en évidence et la caractérisation des cellules tumorales circulantes (CTC). Ce sont elles qui quittent un cancer primaire et s’introduisent dans le système sanguin, en sentinelles, à la recherche d’un site où établir une nouvelle colonie, c’est-à-dire une métastase. Jusqu’à présent, la possibilité de détecter ces cellules offrait une perspective d’alternative à la biopsie, pour confi rmer la présence d’un cancer dans le corps, quand une « tâche » avait été trouvée sur un organe, à l’imagerie. Repérer ces signes « annexes » de la maladie permettrait également un suivi fi n des récidives ou au contraire de l’effi cacité d’un traitement.

Mais l’équipe niçoise s’aventure, depuis 2008, dans un essai encore plus ambitieux. Elle a en effet parié sur la possibilité de relever la présence de ces cellules circulantes aux tout premiers stades du cancer, là où aucun outil ne permet d’établir un diagnostic.

L’étude qu’elle a achevée en 2013, porte sur le cancer du poumon et a ciblé une cohorte de sujets « à haut risque ». Sur 245 personnes incluses dans le test, 168 présentaient ainsi un profil « gros fumeur » et étaient atteintes d’une broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO). L’équipe de scientifi ques a utilisé les techniques les plus récentes mises au point pour « capturer » les cellules tumorales circulantes au moyen d’une simple prise de sang. Le principe consiste à fi ltrer le liquide biologique pour ne garder que les sentinelles.

SciencesSciencesCultureLa Lettre

Traque réussie dans l’ombredu cancer du poumon

Il serait dommage de ne pas pouvoir

donner suite à nos résultats ici.

Celles-ci présentent toutes les caractéristiques « habituelles » d’une cellule cancéreuse. Elles se distinguent, notamment, par une morphologie très atypique. Souvent frappées de « gigantisme », elles peuvent être retenues selon un critère de taille. Ensuite, la caractérisation fine se poursuit sous microscope, à la recherche d’autres signes, comme des irrégularités nucléaires, des noyaux qui apparaissent plus sombres et plus denses, une variation du rapport entre la taille du noyau et celle du cytoplasme, etc. « Nous avons utilisé les critères cyto- morphologiques que nous avions définis dans une étude dès 2011 », précise le Pr Hofman. Cinq patients ont ainsi révélé un test positif à la présence de CTC et tous ont bel et bien développé une tumeur dans les quelques mois à trois années suivantes. A contrario, sur la durée de l’étude, aucune personne négative au dépistage n’a montré de signes de maladie. Si un nouvel essai,

réalisé sur un échantillon au moins deux fois plus large, venait corroborer ces résultats, l’équipe du Pr Hofman pourrait donc définitivement se targuer d’avoir mis au point le premier test de dépistage précoce du cancer du poumon. Or, « dans cette maladie en particulier, l’enjeu est immense. Car, actuellement, seulement un dixième des cas détectés par imagerie peut être opéré. Pour la majorité des patients, le diagnostic est malheureusement trop tardif. Le pronostic vital dépasse rarement les 2 ans dans les stades non opérés », rappelle le chef d’équipe.

Selon lui, il est donc temps de « monter d’un cran ». En plus de valider statistiquement la preuve de concept, il faudrait par exemple vérifier l’origine des cellules tumorales circulantes. « Elles peuvent provenir du poumon, mais aussi, pourquoi pas, de la vessie, un autre tissu où se développent fréquemment les cancers chez les fumeurs », souligne le Pr. Hofman. Au-delà du dépistage, la détection précoce des CTC pourrait également offrir des perspectives thérapeutiques nouvelles. Si les scientifiques parvenaient à identifier des cibles thérapeutiques dans les cellules tumorales circulantes, ils pourraient imaginer

des traitements ciblés et disposeraient d’un moyen de « décapiter » les métastases. Les médecins pourraient alors concentrer leurs efforts sur la tumeur primaire. Enfin, « il faut avoir en ligne de mire que le concept de ce test est applicable à d’autres cancers, comme celui du sein , de la thyroïde, du côlon, pour les personnes à haut risque », explique le chercheur.

Or, pour poursuivre ses travaux, le chercheur dispose actuellement du seul soutien du Conseil Général des Alpes-Maritimes. Une aide non négligeable, mais insuffisante pour conforter la place de l’équipe dans la course aux publications. « Nous aurions facilement besoin d’un million d’euros, afin de déployer une grande cavalerie et d’optimiser notre façon de travailler », estime-t-il. « Nous avons breveté en France et aux Etats-Unis. Il serait dommage de ne pas pouvoir donner suite à nos résultats ici. Or, le succès d’un déploiement efficace va dépendre du temps de réactivité», ajoute le Professeur. D’après lui, il s’agit donc désormais d’une affaire de volonté collective, locale, mais également nationale.

Le Centre Transdisciplinaire d’Épistémologie de la Littérature et des Arts vivants (CTEL) propose pour l’année universitaire 2014-2015 une relecture de l’oeuvre du philosophe latin Lucrèce. Jean-Marc Lévy-Leblond, Professeur de physique théorique, a ouvert le séminaire le 4 novembre à Carlone. Il a livré quelques clés de lecture sur certains des principaux thèmes abordés dans le poème dédié à « La nature des choses ».

Avec le développement des moyens formels, autrement dit des mathématiques, le physicien ne raisonne plus « à cerveau nu ». Il en va tout autrement des philosophes antiques, qualifiés de naturalistes. Ceux là tiraient leurs analyses et leurs hypothèses, parfois rassemblées en systèmes, de l’observation directe de phénomènes naturels. Face à la seule oeuvre connue de Lucrèce, « La nature des choses », le physicien Jean-Marc Lévy Leblond dit ainsi : « Le texte met à l’épreuve la pensée du scientifique, d’une façon parfois assez violente ». « Car la machinerie intellectuelle contemporaine intervient comme un moyen de transport dont nous n’avons pas les commandes », précise-t-il. Les équations créent des raccourcis automatisés. Elles évitent ainsi d’avoir toujours « à repenser des questions très difficiles ».

Au contraire, le profane motivé emprunte volontiers à Lucrèce sa vision du monde, dépouillée d’énigmatiques constantes et de paradoxes quantiques. Le philosophe latin, contemporain de Cicéron et de César, se

fait, dans son unique poème, l’interprète et le traducteur du Grec Épicure, dont aucune production originale ne semble avoir subsisté. Convaincu que, si les Dieux existent, ils se désintéressent des hommes, Lucrèce entend expliquer la nature des choses. Autrement dit, il s’attaque à la composition des êtres et des choses, à leur création et au maintien des différentes « catégories », à l’usure des corps etc. Or, en cela, le poème regorge de prémonitions remarquables. Néanmoins, souvent, « Lucrèce a raison pour de mauvaises raisons », souligne Jean-Marc Lévy Leblond. Ainsi, il n’est pas question pour lui de qualifier l’auteur de physicien, ni plus largement de scientifique. « Cela n’aurait aucun sens. D’ailleurs, la spécialisation n’apparaît qu’à l’aube du 17e siècle », précise le professeur émérite de physique théorique. La lecture du De rerum natura (titre original de l’oeuvre) mérite donc un commentaire éclairé sur les notions de vide, d’espace et de temps, d’infini, d’atomes, d’évolution biologique, abordées dans le texte. Lucrèce présente par un exemple un système dans lequel la matière ne peut être « continue », c’est-à-dire d’un seul tenant. Au contraire, toute chose serait composée d’unités « discrètes », comme de petits grains, qu’il qualifie de « semences », de « corps générateurs » ou de « principes », encore appelés « atomes ». Il réfute toute création ex nihilo, convaincu que si les choses se formaient à partir de rien, la nature ne révélerait aucune contrainte, aucune régularité. « Les hommes pourraient venir de la mer, les poissons de la terre », écrit-il.

Les atomes « devront être secoués de grands éclats

de rire, et leurs joues être trempées de larmes

salées »

Il milite donc pour une origine des corps, qu’ils soient animés ou non, et pour une sorte de matière minimum, indivisible. « Car, sinon, tout serait infini », explique Jean-Marc Lévy-Leblond. « Il n’y aurait pas de différence entre la masse contenue dans un verre d’eau ou dans un centimètre cube. C’est pourquoi au coeur de la matière, un élément doit fixer des échelles, servir d’étalon », poursuit le physicien. « Cet argument, excellent, garde toute sa valeur aujourd’hui », assure-t-il. Enfin, si les choses s’avéraient inépuisables, elles ne pourraient ni s’user ni mourir, argumente Lucrèce. « À ce sujet, la physique moderne sera tentée d’attribuer au proton (une des particules élémentaires de l’atome) une durée de vie supérieure à celle de l’Univers… ». La désintégration des unités ne serait donc pas impossible, mais nous aurions une infime chance de la percevoir et cela échoue à expliquer « l’usure » des êtres et des choses. Une fois « démontrée » l’existence des atomes, reste pour Lucrèce à expliquer la diversité de la matière, le mou, le solide, le froid, le rugueux, l’amer, le sucré etc. Il imagine alors une variété finie de corps générateurs, amenés à se combiner entre eux. « Les corps qui nous semblent durs et massifs doivent être formés d’atomes plus hérissés dont les ramifications les tiennent profondément serrés (…) Ce sont au contraire des atomes plus lisses et plus ronds qui doivent former les

Jean-Marc Lévy-Leblond : « Lucrèce a raison pour de mauvaises raisons »

liquides au corps fluide », écrit le philosophe latin. Les formes, quant à elles, sont générées comme dans un jeu de construction. Certains essais « tiennent », d’autres pas. Sur ces points, la chimie dressera bien un tableau périodique des éléments, composé d’un nombre restreint d’atomes.

La biologie étudie également l’interaction entre des molécules (assemblages d’atomes) de configurations spatiales variées et leurs récepteurs spécifiques dans l’organisme. Ces associations « ligand-récepteur » déclenchent des messages précis dont l’interprétation

au niveau du cerveau peut se traduire, notamment, sous la forme de « sensations ». Or, « l’idée fondamentale, reprise telle quelle chez Galilée, Descartes, Locke, selon laquelle les propriétés sensibles de la matière ne lui sont pas intrinsèques mais sont question de perception apparait sans ambiguïté dans le De rerum natura », souligne Jean-Marc Lévy-Leblond. Car, sans cela, s’amuse Lucrèce, les atomes « devront être secoués de grands éclats de rire, et leurs joues être trempées de larmes salées ».

Le physicien théoricien précise néanmoins :

« Quand je crois toucher une table, je ne touche en réalité jamais rien à proprement parler. Les atomes ne se rencontrent pas. Les forces s’exercent à des distances infinitésimales ». Enfin, pour expliquer la rencontre entre les « principes », Lucrèce s’arrange avec la gravité. Il décrit des atomes en chute libre, amenés à dévier légèrement et de façon aléatoire. « Il faudra attendre la physique du 19e siècle pour admettre la notion de champ et d’action à distance », note Jean-Marc Lévy-Leblond.

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Rédaction Laurie Chiara - Service Culture-Sciences - Direction de la Culture Crédits photos : DSD - Service Communication - Christophe Rousseau - Mise en page : Emilie Deplantay

Faire de la prospective écologique, parler de la lumière autour d’une fable, expliquer les trous noirs en moins de cinq minutes… le tout en moins d’une heure et demie. Cela n’arrive que dans les salles obscures. Persuadée qu’il y a là l’occasion de montrer la recherche scientifique sous un autre jour, Julie Milanini, Maitre de conférences en biologie cellulaire à l’Université Nice Sophia-Antipolis organise donc, pour la première fois à Nice, un festival « Sciences et Cinéma ». L’événement aura lieu du 9 au 12 décembre 2014, à la Bibliothèque Nucéra. « L’Université souhaite provoquer une rencontre avec le grand public et les scolaires, en leur montrant que le chercheur, tout comme le cinéaste, adopte, pour avancer, une attitude de création », explique-t-elle. La biologiste étend également le lien entre le 7e art et la science à la simple sensibilité esthétique. « Personnellement, je suis touchée par la beauté des images obtenues en microscopie », raconte-t-elle. La projection grand public du documentaire « relief de l’invisible : papillon », de Pierre Oscar Lévy, Gabriel Turkieh et Jean-Michel Sanchez, proposera ainsi une plongée dans la matière à partir d’images réelles de microscopie électronique.

La sélection revient toutefois à Serge Dentin, de l’association marseillaise Polly Maggoo. Rencontré sur le village des sciences Valrose pendant la semaine de la fête de la science, il a en effet à son actif la participation à plusieurs événements nationaux de culture scientifique et l’organisation, depuis 2006, du festival RISC (Rencontres Internationales Sciences et Cinémas). « Chaque année, Serge visionne environ 250 nouveaux films », se réjouit Julie Milanini. Pour cette première édition du festival niçois, aucun appel spécifique n’a toutefois été réalisé, car il s’agit d’abord de mesurer l’accueil des spectateurs.

Les séances grand public auront lieu le 9 décembre à 15h30 et le 10 décembre à 15h. L’entrée est libre et gratuite dans la limite des places disponibles.Les scolaires (collèges et lycées) bénéficieront de séances thématiques et réservées. « Nous souhaitons que les films s’inscrivent en supports pédagogiques des thèmes abordés en classe », souligne l’organisatrice. Les enseignants inscrits ont donc participé à une journée de présentation et d’échanges, intégrée au plan de formation du Rectorat d’Académie. Enfin, des scientifiques azuréens (1) seront présents pour échanger avec le public à l’issue des séances.

(1) liste prévisionnelle des scientifiques sollicités : Toufik Ftaïta UNS/LIRCES; Christian Sardet CNRS/OOV; Jean De Vaugelas UNS/ECOMERS; Eric Ga-liana INRA; Alice Guyon CNRS/IPMC; Olga Suarez OCA; Gilles Bogaert OCA; Chloé Féral INSERM/IRCANContact : [email protected]

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