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1 Les véritables motifs de la création de Montréal par Bertille Beaulieu, r.h.s.j. Lorsque le 17 mai 1642, une quarantaine de Français accostent à l’endroit précis où s’élève aujourd’hui le musée de Pointe-à-Callière, l’île n’est pas habitée mais elle l’a été auparavant. Dans le récit des voyages effectués en 1535, Jacques Cartier évoque l’existence d’un village amérindien nommé Hochelaga. Plus de cent ans plus tard, le père Paul Le Jeune s’y réfère dans la Relation des jésuites de 1642 : Cela s’accorde bien à ce qu’en disent les Sauvages qui la nomment Minitik 8ten entag8giban, l’Île où il y avait une ville ou une bourgade, les guerres en ont banni les habitants. Elle donne un accès et un abord admirable à toutes les Nations de ce grand pays, [...] de sorte que si la paix était parmi ces peuples, ils pourraient aborder là de tous cotés. Omnia tempus habent, tout se fera avec le temps 1 . Et le temps est venu d’y bâtir une habitation, comme Samuel de Champlain l’a fait à Port Royal en 1605 et à Québec en 1608. L’ancienne Place Royale vient d’être envahie par Maisonneuve et ses défricheurs, qui commencent à s’installer dans la clairière déboisée par les hommes de Champlain en 1611. C’est ici, dans l’île de Montréal que s’élèvera le fort de Ville- Marie. En effet, l’île est un point stratégique sur le fleuve St-Laurent, à la jonction de rivières comme autant de routes d’eau. Cette île ne sera plus jamais la même maintenant que la mission que Dieu a confiée à Jérôme Le Royer de la Dauversière est en train de se concrétiser, grâce à l’appui de la jeune Société des Associés de Notre-Dame. Mais, que viennent-ils faire dans l’île de Montréal ces hommes, engagés par contrat pour trois, quatre ou cinq ans? Et ces quelques femmes qui les accompagnent? Qu’est-ce qui les a poussés à venir construire des maisons et défricher la terre si loin de leur pays? Ils ont quitté la France à l’été 1641 et ont passé l’hiver à Sainte-Foy, près de Québec. Ils viennent pour les Amérindiens, à ce qu’on dit. Seraient-ils, par hasard, attirés par les profits du très lucratif commerce des pelleteries, de ces magnifiques fourrures canadiennes dont les riches Français sont d’avides amateurs ? Non, ce n’est pas là le but de la petite habitation en chantier, dont la palissade s’élève rapidement sur une pointe formée par le fleuve St-Laurent et la petite rivière St- Pierre. Au centre de l’île, une montagne se donne des airs de grandeur. N’a-t-elle pas été nommée Mont Royal ou Mont-réal, en l’honneur et pour la gloire du roi de France? Mais les nouveaux propriétaires de l’île, «hommes de vertu et de grande piété» qui habitent La Flèche en Anjou, ont certes conçu un projet d’envergure, mais leur unique étendard est la gloire de Dieu. Les chercheurs versés dans l’histoire des débuts de la Nouvelle-France reconnaissent que 1 Relation de ce qui s’est passé en la Nouvelle France en l’année 1642. Envoyée au R. P. Jean Filleau, provincial de la Compagnie de Jésus en la Province de France, par le R. P. Barthélémy Vimont de la mesme Compagnie, Supérieur de la Résidence de Kébec. À Paris, chez Sébastien Cramoisy, 1643. Cité dans la Positio de Jérôme Le Royer de la Dauversière, p. 191- 192.

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Les véritables motifs de la création de Montréal

par Bertille Beaulieu, r.h.s.j.

Lorsque le 17 mai 1642, une quarantaine de Français accostent à l’endroit précis où

s’élève aujourd’hui le musée de Pointe-à-Callière, l’île n’est pas habitée mais elle l’a été

auparavant. Dans le récit des voyages effectués en 1535, Jacques Cartier évoque l’existence d’un

village amérindien nommé Hochelaga. Plus de cent ans plus tard, le père Paul Le Jeune s’y réfère

dans la Relation des jésuites de 1642 :

Cela s’accorde bien à ce qu’en disent les Sauvages qui la nomment Minitik 8ten

entag8giban, l’Île où il y avait une ville ou une bourgade, les guerres en ont banni les

habitants. Elle donne un accès et un abord admirable à toutes les Nations de ce grand

pays, [...] de sorte que si la paix était parmi ces peuples, ils pourraient aborder là de tous

cotés. Omnia tempus habent, tout se fera avec le temps1.

Et le temps est venu d’y bâtir une habitation, comme Samuel de Champlain l’a fait à Port

Royal en 1605 et à Québec en 1608. L’ancienne Place Royale vient d’être envahie par

Maisonneuve et ses défricheurs, qui commencent à s’installer dans la clairière déboisée par les

hommes de Champlain en 1611. C’est ici, dans l’île de Montréal que s’élèvera le fort de Ville-

Marie. En effet, l’île est un point stratégique sur le fleuve St-Laurent, à la jonction de rivières

comme autant de routes d’eau. Cette île ne sera plus jamais la même maintenant que la mission

que Dieu a confiée à Jérôme Le Royer de la Dauversière est en train de se concrétiser, grâce à

l’appui de la jeune Société des Associés de Notre-Dame.

Mais, que viennent-ils faire dans l’île de Montréal ces hommes, engagés par contrat pour

trois, quatre ou cinq ans? Et ces quelques femmes qui les accompagnent? Qu’est-ce qui les a

poussés à venir construire des maisons et défricher la terre si loin de leur pays? Ils ont quitté la

France à l’été 1641 et ont passé l’hiver à Sainte-Foy, près de Québec. Ils viennent pour les

Amérindiens, à ce qu’on dit. Seraient-ils, par hasard, attirés par les profits du très lucratif

commerce des pelleteries, de ces magnifiques fourrures canadiennes dont les riches Français sont

d’avides amateurs ? Non, ce n’est pas là le but de la petite habitation en chantier, dont la

palissade s’élève rapidement sur une pointe formée par le fleuve St-Laurent et la petite rivière St-

Pierre. Au centre de l’île, une montagne se donne des airs de grandeur. N’a-t-elle pas été

nommée Mont Royal ou Mont-réal, en l’honneur et pour la gloire du roi de France? Mais les

nouveaux propriétaires de l’île, «hommes de vertu et de grande piété» qui habitent La Flèche en

Anjou, ont certes conçu un projet d’envergure, mais leur unique étendard est la gloire de Dieu.

Les chercheurs versés dans l’histoire des débuts de la Nouvelle-France reconnaissent que

1 Relation de ce qui s’est passé en la Nouvelle France en l’année 1642. Envoyée au R. P.

Jean Filleau, provincial de la Compagnie de Jésus en la Province de France, par le R. P.

Barthélémy Vimont de la mesme Compagnie, Supérieur de la Résidence de Kébec. À Paris, chez

Sébastien Cramoisy, 1643. Cité dans la Positio de Jérôme Le Royer de la Dauversière, p. 191-

192.

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les motifs à l’origine de Montréal sont exceptionnels. C’est ce que confirme le père Guy-Marie

Oury, moine de Solesme et spécialiste de l’histoire religieuse de la Nouvelle-France :

Le Canada des origines doit beaucoup aux mystiques, en France et en Nouvelle-France.

Mais ceux-ci ne sont pas des rêveurs; ils ont les pieds sur terre et un grand sens pratique.

La certitude d’agir sous l’inspiration de Dieu a sûrement imprimé à leur action une

audace qui les apparente aux aventuriers, mais leurs motifs sont différents2.

Quels sont donc les véritables motifs3 de la création de Montréal entre les années 1639 et

1643? Pour répondre à cette question, les faits, événements et publications retenus se présentent

selon l’ordre chronologique et comprennent les points suivants : la mission confiée à Jérôme Le

Royer de la Dauversière en 1635; l’acquisition de l’île par Pierre Chevrier, baron de Fancamp et

Jérôme de la Dauversière, en 1640; le Dessein des Associés de Montréal, rédigé par monsieur de

la Dauversière, en 1641; une présentation succincte des membres de la Société de Notre-Dame

de Montréal; un aperçu des objections au dessein de Montréal; et dernier point, l’énoncé et

l’explication des quatre motifs que Jean-Jacques Olier expose dans la brochure Les Véritables

Motifs de Messieurs et Dames de la Société de Nostre Dame de Monréal Pour la Conversion des

Sauvages de la nouvelle France4, parue en 1643.

Le présent article s’appuie surtout sur les recherches et les oeuvres du père Oury et le

principal ouvrage utilisé est la Positio super vita, virtutibus ac fama sanctitatis5 de Jérôme Le

Royer de la Dauversière. Rédigé en vue de la canonisation du serviteur de Dieu, cet ouvrage de

grande érudition, une étude critique à la fois historique et théologique, contient la copie de

documents originaux essentiels, d’actes notariés et d’autres textes historiques, qui serviront à

expliquer les raisons d’agir des fondateurs et des associés de Montréal. Les textes utilisés sont

des documents de première main, écrits entre 1640 et 16726.

2 Guy-Marie Oury, o.s.b., Notre héritage chrétien; Histoire religieuse populaire du

Canada, Novalis, Université Saint-Paul, Ottawa, 1990, p. 28. 3 Ce sujet de recherche nous a été proposé par le Comité organisateur du Congrès de

spiritualité de l’École française. Par définition, un motif est un « mobile d’ordre psychologique,

raison d’agir et par extension de ressentir » (Le Petit Robert). Par contre un dessein est par

définition, une « idée que l’on forme d’exécuter quelque chose ». 4 Les Véritables Motifs de Messievrs et Dames de la Société de Nostre Dame de Monréal

Pour la converfion des Sauuages de la nouuelle France, MDCXXXXIII, 127 p. Nous avons

utilisé la copie anastatique reprise par Marie-Claire Daveluy, La Société de Notre-Dame de

Montréal (Montréal, Fides, 1965). 5 Guy-Marie Oury, o.s.b., auteur; P. Yvon Beaudoin, o.m.i., rapporteur. Positio super

vita, virtutibus ac fama sanctitatis de Jérôme Le Royer de la Dauversière. Canonizationis servi

Dei Hieronymi Le Royer de la Dauversière, viri laici, fundatoris instituti Filiarum S. Joseph

flexiensis, nunc Religiosarum Hospitalariarum S. Joseph (1597 - 1659), Cenomanen -

Marianapolitan, Congregatio de causis sanctorum, Prot. n. 98. Tome I Biographia, Informatio,

Summarium. Romae, 1991. Dans le présent article, cet ouvrage sera identifié comme Positio. 6 Il arrive que les caractères d’imprimerie soient plutôt rébarbatifs et que la langue

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Mission de Jérôme Le Royer de la Dauversière, 1635-1640

Tous les mots sont bien pesés lorsque le père Oury déclare dans l’avant-propos de

L’Homme qui a conçu Montréal :

Telle qu’elle a été conçue et voulue, la colonie missionnaire de Montréal ne peut être

comprise si l’on ignore la personnalité de son créateur, Jérôme Le Royer de la

Dauversière; c’est un mystique tourné vers l’action, à la manière de Marie de

l’Incarnation et de quelques Jésuites de la Nouvelle-France, mais c’est un laïc, père de

famille, qui n’a jamais quitté le sol de France7.

Le projet de Montréal prit en effet naissance chez un pieux laïc de La Flèche en Anjou,

aujourd’hui dans le département de La Sarthe. Le 2 février 1635, Jérôme Le Royer de la

Dauversière est à Paris. Il a assisté à la messe en l’église de Notre-Dame et prolonge sa prière à

l’autel de la Vierge Marie. En une vision intérieure, il se trouve en présence de la Sainte Famille

de Jésus, Marie et Joseph et se voit confirmé comme « serviteur fidèle », appelé à fonder une

communauté de Filles hospitalières et un établissement missionnaire dans l’île de Montréal en

Nouvelle-France. Pour la rénovation de la chapelle et de l’hôpital de La Flèche ainsi que pour le

projet de Montréal, monsieur de la Dauversière peut compter sur l’appui et l’aide financière de

son ami et fidèle collaborateur Pierre Chevrier, baron de Fancamp. Un bref examen de textes

laissés par des personnes qui les ont bien connus permet de cerner les motifs qui animent ces

deux associés. Des témoignages seront donc empruntés au père Paul Le Jeune, jésuite; à Jean-

Jacques Olier; et aux premières hospitalières de Montréal, informatrices de Marie Morin,

première hospitalière de St-Joseph née au Canada.

Dans la Relation des jésuites de 1642, le père Le Jeune parle des initiateurs du projet de

Montréal, sans les nommer. Cependant, des indices permettent aux lecteurs de les identifier avec

certitude.

Un grand homme de bien n’ayant jamais vu la Nouvelle-France que devant Dieu se sentit

fortement inspiré d’y travailler pour sa gloire. Ayant fait rencontre d’une personne de

même coeur, ils envoyèrent l’an 1640, vingt tonneaux de vivres et d’autres choses

nécessaires pour commencer en son temps une nouvelle habitation en l’Île de Montréal.

L’année dernière [1641] ils firent passer quarante hommes commandés par le sieur de

Maisonneuve, gentilhomme Champenois, pour jeter les fondements de ce généreux

dessein. Cette entreprise paraissait autant téméraire qu’elle est sainte et hardie, si elle

française qui n’est pas encore totalement fixée au milieu du XVIIe siècle présente des défis de

compréhension. Beaucoup de mots ont vieilli et la syntaxe de la phrase a évolué. Nous avons

transposé les textes en français moderne pour en faciliter la lecture 7 Guy-Marie Oury, o.s.b., L’Homme qui a conçu Montréal; Jérôme Le Royer, sieur de la

Dauversière, Éditions du Méridien, Montréal, 1991, p. 8.

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n’avait pour base la puissance de celui qui ne manque jamais à ceux qui n’entreprennent

rien qu’au branle de ses volontés; et qui [quiconque] saurait ce qui se passe pour faire

réussir ce grand [sic] affaire, jugerait aussitôt que Notre Seigneur en est véritablement

l’auteur8.

Monsieur de la Dauversière est identifié comme un « grand homme de bien », alors que

le baron de Fancamp est perçu comme une « personne de même coeur9 », c’est-à-dire de même

courage. Les deux premiers associés de Montréal sont certes courageux, et si leur audacieuse

entreprise est « sainte et hardie », comme l’indique le père Le Jeune, c’est parce qu’elle découle

de la volonté de Dieu, clairement révélée à monsieur de la Dauversière dans ses moments de

prière intimes et d’union à Dieu, son seul Maître.

Jean-Jacques Olier, deuxième témoin bien informé des raisons qui poussent l’initiateur de

Montréal vers l’action, est un ami de monsieur de la Dauversière depuis leur première rencontre

à Meudon, en 1635. Monsieur Olier, fondateur du Séminaire et de la Compagnie de Saint-

Sulpice, est aussi l’un des premiers associés de Montréal. Il connaît la genèse de la mission

confiée à Jérôme Le Royer et en parle à deux reprises dans les Véritables Motifs qu’il rédige en

1643 :

Le dessein de Montreal a pris son origine par un homme de vertu, qu’il plut à la divine

Bonté inspirer, il y a sept ou huit ans [1635], de travailler pour les Sauvages de la

Nouvelle France, dont il n’avait auparavant aucune particulière connaissance; et quelque

répugnance qu’il y eut, comme chose par dessus ses forces, contraires à sa condition, et

nuisible à sa famille. Enfin plusieurs fois poussé et éclairé par des vues intérieures qui lui

représentaient nettement les lieux, les choses et les personnes dont il se devait servir,

après une longue patience et plusieurs conseils et prières, fortifié intérieurement à

l’entreprendre, comme service signalé que Dieu demandait de lui, il se rendit comme

Samuel à l’appel de son Maître10

(p. 26).

C’est bien Dieu qui éclaire son « fidèle serviteur » et lui demande de « travailler pour les

Sauvages de la Nouvelle France ». L’usage du mot sauvage11

dans le texte cité n’a pas de

connotation péjorative. Au XVIIe siècle, le mot sauvage signifie « qui vit en liberté dans la

8 Relation des Jésuites de 1642, citée dans la Positio, p. 190-191.

9 Le mot coeur est parfois synonyme de courage au XVII

e siècle ; « avoir du cœur : de

l'honneur, de la fierté » (Le Petit Robert). 10

Les Véritables Motifs. Dans cet article, le numéro de page de la citation sera indiqué

entre parenthèses dans le texte. 11

D’après le Petit Robert, le mot sauvage remonte au XIIe siècle et provient du bas latin,

salvaticus, altération du latin classique silvaticus, de silva qui signifie forêt. La définition qui

s’applique au mot «Sauvage» du Canada, tel que perçu au XVIIe siècle en France est la suivante :

« Qui est à l'état de nature ou qui n'a pas été modifié par l'action de l'homme; ou qui vit en liberté

dans la nature. » Plus récent, le mot sauvagerie date de 1739 et s’est répandu au XIXe siècle. À

noter, toutefois qu’en 1846, ce mot prendra un sens marqué, synonyme de cruauté.

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nature12

». Mais les mots évoluent... Par souci d’honnêteté intellectuelle, le mot sauvage sera

retenu lorsqu’il paraît dans une citation.

Le témoignage des premières hospitalières de Montréal que soeur Marie Morin a retenu

dans l’Histoire simple et véritable est aussi révélateur des motifs qui ont habité monsieur de la

Dauversière. Écrites entre 1697 et 1725, ces annales sont destinées aux hospitalières de France.

Marie Morin a entendu les récits et les confidences des soeurs venues à Ville-Marie en 1659 et

en 1669; elles ont toutes connu leur fondateur personnellement et sont au courant des

circonstances et des événements à l’origine du projet de Montréal. L’annaliste offre un

témoignage véridique :

Les anciennes religieuses de ce monastère savent que c’est monsieur Jérosme [sic] de la

Dauversiere, grand serviteur de Dieu, dont la mémoire est en vénération dans tous les

couvents des Religieuses hospitalières de Saint Joseph, qui connut par des lumières

surnaturelles et toutes extraordinaires que Sa Majesté voulait être servie dans l’île de

Montréal [...] par une colonie de Français, et que la très sainte Vierge y serait beaucoup

honorée [...] Monsieur de la Dauversière prit un temps considérable pour prier Dieu, sur

un dessein si nouveau et difficile dans son exécution. Il consulta plusieurs savants

serviteurs de Sa Majesté expérimentés en la conduite des âmes, du collège de La Flèche,

qui l’encouragèrent tous à entreprendre ce grand [sic] oeuvre et à se confier en lui13

.

Un constat indéniable se dégage des trois témoignages présentés ci-dessus : la mission

confiée à monsieur de la Dauversière vient de Dieu et les origines de Montréal sont, en effet,

mystiques ou tout au moins religieuses.

Acquisition de l’île de Montréal en 1640

Avec l’aide du père Charles Lalemant, procureur des missions étrangères à Paris, le baron

de Fancamp et monsieur de la Dauversière font l’acquisition de l’Île de Montréal au mois d’août

1640. Comme Jean de Lauson, qui en était détenteur, n’a pas satisfait aux conditions habituelles

pour le développement de l’île, la Compagnie des Cent-Associés, dite aussi Compagnie de la

Nouvelle-France ou Grande Compagnie créée par le cardinal de Richelieu en 1627, conteste

cette concession. À son assemblée générale tenue à Paris le 17 décembre 1640, la Compagnie

dresse un nouvel acte de concession, modifiant et restreignant le précédent. Plus tard, monsieur

de la Dauversière remettra à la Société de Notre-Dame de Montréal l’exemplaire principal de cet

12

Une deuxième définition du mot sauvage, au sens vieilli, s’applique à des êtres

humains : « Qui est peu civilisé, dont le mode de vie est archaïque. Ex. Primitif. » Ici, il est

normal que le mot civilisé soit marqué par des préjugés français. 13

Marie Morin, Histoire simple et véritable; Les Annales de l’Hôtel-Dieu de Montréal,

1659-1725, édition critique par Ghislaine Legendre, Montréal, les Presses de l’Université de

Montréal, 1979, p. 24-25. Le manuscrit s’intitule Histoire simple et véritable de l’établissement

des Religieuses hospitalières de Saint Joseph en l’isle de Monréal, diste à presant Ville Marie,

en Canada de l’année 1659..[à 1725]. Archives des RHSJ, Montréal.

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acte de concession qui passera ensuite aux Archives de Saint-Sulpice. Ce document fait cession

de la majeure partie de l’île de Montréal aux demandeurs et reconnaît leurs motifs.

La Compagnie de la Nouvelle-France, à tous présents et à venir, salut :

Notre plus grand désir étant d’établir une forte colonie en la Nouvelle-France, afin

d’instruire les peuples sauvages de ces lieux en la connoissance [sic] de Dieu et les attirer

à une vie civile, nous avons reçu très-volontiers ceux qui se sont présentés pour nous

aider en cette louable entreprise, ne refusant point de leur distribuer quelques portions des

terres à nous concédées par le roi notre souverain seigneur; à ces causes étant bien

informés des bonnes intentions de Pierre Chevrier, écuier [sic], sieur de Fancamp, et de

Hiérosme [sic] le Royer sieur de la Dauversière, et de leur zèle à la religion catholique,

apostolique et romaine et affection au service du roi, nous avons aux dits sieurs Chevrier

et Le Royer donné, concédé et octroyé, et en vertu du pouvoir à nous attribué par Sa

Majesté donnons, concédons et octroyons par ces présentes les terres ci-après déclarées,

c’est à savoir : Une grande partie de l’Isle [sic] de Montréal, située dans le fleuve Saint-

Laurent [...]14

.

Si autant d’importance est accordée à la « religion catholique, apostolique et romaine »,

c’est tout simplement parce que la fondation de la Nouvelle-France s’effectue dans la première

partie du XVIIe siècle, au moment où la chrétienté se relève à peine des guerres de religion de la

seconde moitié du XVIe siècle. La France a la certitude qu’elle restera un royaume catholique et

s’intéresse aux missions. En 1615, Champlain a amené des missionnaires récollets à Québec et

les jésuites sont d’abord venus en Acadie en 1611, puis à Québec à partir de 1625. Les missions

du Canada sont populaires et les jésuites s’adjoignent de nombreux laïcs dans leur travail

missionnaire.

L’acte de cession de l’île de Montréal contient des précisions sur l’aspect topographique

de l’île et en délimite la partie qui appartient aux nouveaux seigneurs. Ces descriptions

s’appuient sur les cartes et plans envoyés à Paris par Charles Huault de Montmagny, gouverneur

de la Nouvelle-France. Auront les mêmes prérogatives que les propriétaires, ceux « qui passeront

au dit pays afin de cultiver ou habiter les terres concédées15

». L’acte de concession leur accorde

« permission de la pêche et navigation dans le grand fleuve Saint-Laurent et autres lacs de la

Nouvelle-France16

».

14

Concession de la majeure partie de l’île de Montréal par la Compagnie de la

Nouvelle-France, dite Compagnie des Cent-Associés, à Pierre Chevrier de Fancamp et Jérôme

Le Royer de la Dauversière, 17 décembre 1640. - Paris, Archives Nationales, Section Colonies F

- 3 - 3, fo 166-167, et fo 219-222 (transcription dans la collection Moreau de Saint-Méry).

Archives de Saint-Sulpice de Montréal. Copie collationnée par Daguesseau, maître des requêtes,

le 30 mars 1665. La citation est tirée de ce document reproduit dans la Positio, p. 184-185. 15

Ibid., p. 185. 16

Ibid., p. 185.

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À ce moment-là, la Société de Notre-Dame de Montréal n’est pas encore très structurée,

mais elle compte au moins quatre membres : La Dauversière, Fancamp, Olier et Gaston de

Renty, tous membres de la Compagnie du Saint-Sacrement. L’acte de concession interdit aux

Associés de faire du commerce de fourrures avec les amérindiens ou les marchands, mais les

colons le pourront « pour leur usage et pour la nécessité de leur personne seulement17

». Ces

restrictions seront levées, lorsque la Grande Compagnie cédera le contrôle de la traite des

fourrures à la Compagnie des Habitants, le 14 janvier 1645. Six jours plus tard, le 20 janvier,

monsieur de la Dauversière conclura une entente avec Pierre Legardeur de Repentigny,

représentant des Habitants canadiens, afin de sauvegarder les intérêts des colons de Montréal et

leur accorder les mêmes droits que les autres centres de la Nouvelle-France. Le document des «

Articles accordés » réaffirme aussi les motifs religieux des Associés de Montréal et leur parfait

désintéressement.

Les dits sieurs Associés, qui demeurent en France, ne prendront aucune part ni profit au

commerce des pelleteries. [...] D’autant qu’ils n’ont contribué jusqu’ici, et n’entendent ci-

après continuer, aux nécessités du dit Montréal, que purement pour la gloire de Dieu et le

salut des âmes18

.

L’acte de concession de 1640 établit sans équivoque l’existence juridique de la

concession de Montréal. Il est clair aussi que les Messieurs de Montréal ont pour buts «

d’instruire les peuples sauvages de ces lieux en la connaissance de Dieu et les attirer à une vie

civile19

». La sédentarisation des Amérindiens fait essentiellement partie des motifs de la création

de Montréal. Maintenant qu’ils ont fait l’acquisition de cette île, messieurs de Fancamp et de la

Dauversière se doivent de recruter des ouvriers, des défricheurs et, surtout, un bon commandant.

Paul de Chomedey de Maisonneuve possède toutes les qualités requises pour prendre la

direction d’une quarantaine de colons et satisfaire aux exigences de la mission que les Associés

lui confient. L’embarquement se fera à La Rochelle et à Dieppe, à l’été 1641, et la somme totale

investie pour les contrats des engagés, les provisions et autres frais s’élèvera à 75 000 livres, dont

20 000 sont fournies par le baron de Fancamp20

. Évidemment, Fancamp et La Dauversière ont

d’énormes responsabilités puisqu’ils doivent assurer chaque année le recrutement de nouveaux

colons. Le 25 mars de 1644, quelques semaines après la réception de Lettres patentes pour

l’établissement de Montréal, le baron de Fancamp et monsieur de la Dauversière déclarèrent

devant le notaire Chaussière avoir accepté la donation de l’île de Montréal pour les membres de

la Compagnie de Montréal et en leur nom, en tant que membres de la Société de Notre-Dame,

17

Ibid., p. 186. 18

« Articles accordés », Archives de Saint-Sulpice, citation tirée de Camille Bertrand,

Monsieur de la Dauversière, fondateur de Montréal et des religieuses hospitalières de S. Joseph,

1597-1659, Montréal, 1947, p. 163. 19

Concession de la majeure partie de l’île de Montréal, p. 184. 20

François Dollier de Casson, Histoire du Montréal, 1640-1672, in Mémoires de la

Société historique de Montréal, quatrième livraison, Montréal, Des Presses à vapeur de La

Minerve, 1868, p. 26-27.

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8

expliquant que c’est pour ses membres qu’ils l’ont acquise autant de Jean de Lauson que de la

Grande Compagnie21

.

Les contrats des colons, qui sont à peu près tous identiques sauf pour la durée, les noms et

métiers des engagés, ne contiennent pas d’indications précises ou de directives concernant les

motifs religieux de leur engagement. Toutefois, l’un des signataires, qui est aussi l’un des

principaux recruteurs, y est toujours identifié comme suit : « Noble homme Jérôme le Royer,

sieur de la Dauversière, procureur de la Compagnie de messieurs les Associés pour la conversion

des sauvages de la Nouvelle-France en l’île de Montréal22

».

21

Déclaration de MM. Pierre Chevrier de Faucamp et Jérôme Le Royer de la

Dauversière au sujet des concessions de l’Isle de Montréal accordées par M. de Lauzon et par la

Compagnie de la Nouvelle-France à MM. du Séminaire de Saint-Sulpice, leurs associés, des 25

mars 1644 et 21 mars 1650. Document reproduit dans la Positio, p 303-304. 22

Voir comme exemple le Contrat d’Antoine Lebouesme armurier et son fils Louis Le

Bouesme, de Brouage, 29 avril 1644, à La Rochelle, reproduit dans la Positio, p. 309. Extrait de

Les engagements de la recrue de 1644. - Minutes de Teuleron, notaire à La Rochelle, Archives

départementales de la Charente-Maritime, Série E, Registre 1643-1644, fol; 25 3bis et 272. Copie

au Séminaire de Québec, Polyg. 16, No 48 de A à M.

Dessein des Associés de Montréal par monsieur de la Dauversière, 1641

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L’exemplaire original du Dessein des Associés de Montréal est accessible, car la Minute

autographe de Jérôme Le Royer de la Dauversière a été conservée aux Archives de la Compagnie

de Saint-Sulpice à Paris. Ce court texte, non daté et envoyé à monsieur Olier, fut

vraisemblablement écrit en 1640 ou 1641. La première phrase de ce précieux document énonce les

motifs qui sous-tendent l’audacieux projet : « Le Dessein des Associés de Montréal est d’y

travailler purement pour la Gloire de Dieu et le salut des sauvages23

. » Le choix de l’expression «

purement pour la Gloire de Dieu » n’est pas fortuit. Ancien élève des jésuites, Jérôme Le Royer

connaît la devise Ad Majorem Dei Gloriam (AMDG). Le premier motif des Associés de Montréal,

et le plus important, est la Gloire de Dieu. Travailler pour la gloire de Dieu, c’est avant tout

s’investir gratuitement afin que Dieu soit connu partout dans le monde et en particulier chez les

Amérindiens.

Dans un plan d’action concret, pratique et réalisable, l’auteur prévoit pour l’année suivante,

c’est-à-dire au printemps 1642, le départ pour Montréal d’une quarantaine d’hommes bien équipés

pour la construction de maisons et le défrichement des terres. Ils seront munis d’une barque et de

deux chaloupes ou pinasses pour la pêche et le transport entre Québec et Montréal. Arrivés dans

l’île, les engagés, qui ont pour la plupart signé des contrats de trois ans, construiront l’habitation

pour s’y loger, et, pendant quatre ou cinq ans, ils défricheront la terre pour la rendre cultivable. Par

la suite, selon leurs moyens, les Associés enverront d’autres hommes d’année en année, des

laboureurs, des boeufs et des bestiaux pour peupler l’île et engraisser les terres.

À ce point précis du texte original du Dessein des Associés, quatre lignes qui avaient été

rayées ont ensuite été marquées d’un « Bon » dans la marge.

Les dictes cinq années expirées, sans interrompre les défrichements des terres, ils [les

Associés] feront bâtir une maison meublée et accommodée de toutes les choses nécessaires

pour la commodité de ceux d’entre eux qui y voudront aller en personne servir Dieu et les

sauvages24

.

Si l’on fait exception de Maisonneuve et de Jeanne Mance qui sont alors en route vers Montréal,

cette possibilité signalée en 1641 fait peut-être état d’un désir que monsieur Olier exprime en

rétrospective dans ses Mémoires, à l’année 1636.

Étant instruit des biens qui se font en Canada, peuples gentils, et me trouvant lié d’une

société comme miraculeusement à celui à qui Notre Seigneur a inspiré le mouvement et

commis le dessein et entreprise de Ville Marie, ville qui se va bâtir au Canada dans l’île de

Montréal, je me suis senti toujours porté d’aller finir mes jours en ces quartiers, avec un

23

L. Cesbron Lavau, « L’Anjou et les Missions catholiques du Canada aux XVIIe et XVIII

e

siècles », dans L’Anjou historique, Angers, [1954], p. 27-28. Voir aussi dans la Positio, p. 168. La

Minute autographe du Dessein des Associés de Montréal par M. Le Royer de la Dauversière est

conservée aux Archives du Séminaire de Saint-Sulpice à Paris, fonds Canada, 109, doc. 5. 24

Ibid., p. 28.

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10

zèle continuel d’y mourir pour mon Maître25

.

Monsieur Olier n’ira pas à Ville-Marie, mais au moment où il meurt à Paris le 2 avril 1657,

quatre sulpiciens sont à Nantes, en partance pour Montréal, où ils prendront la relève des jésuites.

Il est fort probable que le prochain point du Dessein, c’est-à-dire la construction d’un séminaire

pour y instruire les garçons sauvages et français, s’applique aux sulpiciens et non aux jésuites. De

plus, selon le plan d’action de monsieur de la Dauversière, ce séminaire serait un lieu de résidence

pour dix à douze ecclésiastiques, dont trois ou quatre sauront les langues indiennes et pourront les

enseigner aux nouveaux missionnaires qui y séjourneraient un an, avant d’être dispersés dans les

diverses missions. Le séminaire sera aussi un lieu de repos ou de retraite pour les missionnaires qui

y seraient amenés au moyen des nombreuses rivières qui se déchargent autour de l’île. Monsieur de

la Dauversière pense-t-il alors que le futur séminaire de Montréal pourrait être pris en charge par

les prêtres séculiers26

de monsieur Olier? L’avenir le confirmera. Quatre sulpiciens sont venus en

1657; il y en aura dix-sept27

en 1669.

D’autres besoins essentiels sont identifiés dans le Dessein des Associés. Monsieur de la

Dauversière ajoute : « Il y faudra aussi un séminaire de Religieuses [c’est-à-dire un couvent-

école], pour y instruire les filles sauvages et françaises, et un hôpital pour y gouverner les pauvres

sauvages quand ils seront malades28

. » Personne ne sait en 1641 que la personne choisie par Dieu

pour ouvrir une école et fonder une communauté d’enseignantes est Marguerite Bourgeoys, qui

viendra à Ville-Marie avec la grande recrue de 1653. Par contre, monsieur de la Dauversière sait

qu’un projet d’hôpital est en gestation, grâce à Jeanne Mance et à Madame de Bullion, et qu’un

jour les Filles hospitalières de Saint-Joseph, dont il est le fondateur, viendront y soigner les

malades. En effet, la Société de Montréal signera un « compromis » avec la communauté de La

Flèche en 1656 et, à l’été 1659, trois hospitalières de St-Joseph viendront à Ville-Marie.

Les prévisions du Dessein des Associés incluent la construction de maisons pour quelques

familles françaises, les ouvriers nécessaires dans le pays, les jeunes gens mariés qui auront étudié

aux séminaires et autres indiens convertis qui souhaiteront s’installer dans les environs et à qui on

donnera des terres défrichées, le grain et les outils, et à qui on apprendra à cultiver la terre. Les

Associés entrevoient déjà l’existence d’une communauté chrétienne idéale et l’expansion de la

colonie.

[Ils] espèrent de la bonté de Dieu voir en bref une nouvelle Église, imitant la pureté et

charité de la primitive, et qu’avec le temps, eux ou leurs successeurs étant bien établis en la

25

Mémoires de M. Olier, t. I, fo 17, Archives de Saint-Sulpice. Cité dans la Positio, p. 163.

26 Guy-Marie Oury, o.s.b., L’Homme qui a conçu Montréal, p. 134. Père Oury affirme que

le « nouveau centre missionnaire ne sera pas confié aux Jésuites, mais à des prêtres séculiers,

formant un séminaire ». 27

Rolland Litalien, p.s.s., « Les sulpiciens au Canada, de 1657 à aujourd’hui », dans

Pierres vivantes, 2007, p. 5-12. 28

Dessein des Associés de Montréal, p. 28.

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dite île de Montréal, pourront s’étendre dedans les terres et amont le grand fleuve St-

Laurent, et y faire de nouvelles habitations pour la commodité du pays, et faciliter la

conversion des Sauvages29

.

L’établissement de Ville-Marie est alors perçu comme un centre de peuplement amérindien,

car on croit qu’avec le temps, d’autres villages amérindiens se formeront le long du fleuve et à

l’intérieur du pays. L’intention de monsieur de la Dauversière est avant tout missionnaire et le

court texte du Dessein des Associés de Montréal confirme qu’en plus de la gloire de Dieu, les

motifs primordiaux des Associés sont la conversion et la sédentarisation des Amérindiens.

Messieurs et dames de la Société de Notre-Dame de Montréal

Ayant dépensé toutes leurs ressources financières pour le premier envoi de colons en 1641,

les initiateurs du projet de Montréal se doivent désormais de trouver d’autres fonds pour renflouer

et développer la jeune colonie. À Paris, monsieur de la Dauversière a trouvé un appui sûr et une

aide financière généreuse auprès du baron de Renty et de plusieurs membres de la Compagnie du

Saint-Sacrement. Monsieur Olier invite beaucoup de ses amis laïques et de confrères prêtres à se

joindre à la Société de Montréal. De plus, quelques dames à qui Jeanne Mance a fait parvenir la

copie du Dessein des Associés de Montréal manifestent de l’intérêt. Les premiers colons ne sont

pas encore rendus dans leur île, quand, le jeudi 27 février 1642, environ trente-cinq « personnes de

vertu, de mérite et de condition, gens qui font profession de servir Dieu publiquement30

», se

rassemblent à Notre-Dame de Paris. La Lettre d’un Associé non identifié qui paraît dans la Relation

des Jésuites de 1642 présente un compte rendu de l’événement. Ces Messieurs et Dames

« se sont unis pour travailler à la conversion des pauvres sauvages et la Nouvelle-France

[...] Tous ensemble ils consacrèrent l’île de Montréal à la Sainte Famille [...] et ils se

consacrèrent eux-mêmes et s’unirent en participation de prières et de mérites, afin qu’étant

conduits d’un même esprit, ils travaillent plus purement pour la gloire de Dieu et pour le

salut de ces pauvres peuples31

».

Ils s’engagent aussi à prier pour la conversion des Amérindiens et pour la sanctification des

Associés. La prière émerge donc comme moyen efficace à l’appui du projet de Montréal.

Mais, qui sont-ils ces Messieurs et Dames de la Société de Notre-Dame de Montréal?

Marie-Claire Daveluy a fait une étude bio-bibliographique de tous les Associés32

. Il est donc

possible de les regrouper par catégories comportant de sept à dix membres. Les premiers Associés

qui s’engagent activement entre 1639 et 1641 sont monsieur de la Dauversière, qui sera procureur

29

Ibid. 30

Lettre d’un Associé non identifié, qui paraît dans la Relation de 1642. Extrait de la

Relation reproduite dans la Positio, p. 192. 31

Ibid., p. 192. 32

Marie-Claire Daveluy, La Société de Notre-Dame de Montréal, 1639-1663; Son histoire,

ses membres, son manifeste, collection « Fleur de lys », Montréal et Paris, Fides, 1965, 326 p.

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jusqu’à son décès en 1659; le baron de Fancamp, qui le remplacera comme procureur; Jean-

Jacques Olier, qui sera directeur en 1650; le baron Gaston de Renty, secrétaire jusqu’à sa mort en

1649; et Madame de Bullion, célèbre « bienfaitrice inconnue », qui fait de très généreux dons à

l’Hôpital et à la colonie de Ville-Marie. Les Associés qui iront à Ville-Marie font partie de ce

premier groupe : Paul de Chomedey de Maisonneuve, Jeanne Mance et Pierre de Puiseaux, en

1642; Louis d’Ailleboust de Coulonge, son épouse Barbe de Boullongue et sa belle-soeur

Philippine de Boullongue, en 1643; et Charles d’Ailleboust des Musseaux, neveu de Louis

d’Ailleboust, en 1648.

Plusieurs nobles, grands seigneurs et dames de la Cour deviennent membres dès 1642. Ce

sont : Charlotte de Montmorency, princesse de Condé; son neveu, Henry de Lévy, duc de

Ventadour, vice-roi de la Nouvelle-France, fondateur de la Compagnie du Saint-Sacrement en

1627, directeur de la Société de Notre-Dame de 1657 à 1661; Roger du Plessis et son épouse

Jeanne de Schomberg; Madeleine Fabri de Champauzé, très riche épouse du chancelier Pierre

Séguier, cousin de Jean-Jacques Olier; Madame Séguin, dame d’honneur de la reine; Madame de

Villesavin, amie de Jeanne Mance; Claude de Chaudebonne, un académicien; Louis Séguier de

Saint-Firmin, secrétaire de la Société de Notre-Dame de 1649 à son décès en 1657. Armand de

Bourbon, prince de Conti et fils de la princesse de Condé, devint membre plus tard et fut directeur

de la Société en 1661-1662.

La Société se compose aussi de plusieurs influents magistrats. Ces Messieurs appartiennent

à la noblesse ou à la haute bourgeoisie. Tous font partie de la Compagnie secrète du Saint-

Sacrement. Plusieurs documents de la Société portent leur signature, car ils l’ont soutenue

moralement et légalement, du début à la fin. Sont du nombre : Jean-Antoine de Mesme d’Irval, son

cousin germain Antoine Barillon de Morangis et Élie Laisné de la Marguerie, qui fut directeur de la

Société de 1645 à 1650. En plus d’être des promoteurs du Conseil de Québec en 1647, ces trois

puissants magistrats ont amendé les règlements du Conseil de la Nouvelle France, de façon à ce

que les droits et privilèges de la petite colonie de Montréal soient sauvegardés. Fut aussi associé

Paul Barillon, neveu d’Antoine de Morangis. Quelques autres personnages importants ont

constamment surveillé les intérêts de la Société : Christophe du Plessis, baron de Montbard, avocat

au parlement de Paris, membre de l’Académie des sciences; Bertrand Drouart, attaché au frère du

roi le duc Gaston d’Orléans, membre du Conseil de la Compagnie du Saint-Sacrement, l’un des

signataires du Contrat d’établissement de l’Hôtel-Dieu de Montréal en 1644; Jean de Garibal,

baron de Saint-Sulpice. Le 9 mars 1663, bon nombre de ces généreux magistrats signaient l’acte de

Donation de l’île de Montréal à la Compagnie de St-Sulpice.

La Société de Notre-Dame compte aussi une dizaine de prêtres, tous séculiers, car les

religieux ne sont pas admis. Tous sont membres de la Compagnie du Saint-Sacrement et plusieurs

sont très riches et portent des titres de noblesse. Ce sont presque tous des amis ou des associés de

monsieur Olier. En premier lieu, Balthasar Brandon de Bassancourt, qui s’est joint aux fondateurs

de la Compagnie de Saint-Sulpice; son frère Philibert Brandon du Laurent, qui parcourt les

missions de France avec des sulpiciens. Gabriel de Queylus devint membre en 1645. Alexandre le

Ragois de Bretonvilliers se joint à la Société de Montréal en 1643 et en devient directeur en 1662.

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À titre de supérieur général de la Compagnie de Saint-Sulpice, il accepte la Donation de l’île de

Montréal et puise dans son imposante fortune personnelle la somme nécessaire pour régler les

dettes de la Société de Montréal, c’est-à-dire 130 000 livres. Les autres prêtres membres de la

Société sont Nicolas de Barrault, ami des sulpiciens; Thomas Le Gauffre, pressenti pour devenir

évêque de Montréal; Pierre-Denys Le Prestre, prêtre de la Mission de Vincent de Paul et son frère

Louis le Prestre, laïc dévot. Les frères Le Prestre sont les donateurs d’une statuette de la Sainte

Vierge offerte à Marguerite Bourgeoys pour la chapelle de Bon-Secours par l’entremise du baron

de Fancamp. Enfin, Pierre Le Gouvello de Kériolet, riche et célèbre pénitent devenu prêtre.

Un dernier regroupement comprend surtout de grands priants, la plupart d’humble

condition, dont la contribution est avant tout d’ordre spirituel. Ce sont entre autres, Marie de

Gournay Rousseau, voyante reconnue comme grande mystique du XVIIe siècle; Madame Rémy,

amie de la précédente; Jean Blondeau dit de la Croix, Nicolas Quatorze et « frère » Claude LeGlay.

Les Véritables Motifs écrits par Jean-Jacques Olier en 1643 exhortent les Associés et autres

personnes à contribuer généreusement au projet de Montréal. « De quelque condition que nous

soyons, Princes, Princesses, Seigneurs, Dames et Officiers, pauvres et riches, Prêtres, Docteurs et

Pontifes » (p. 16-17). Tous les chrétiens, quel que soit leur rang, ont la possibilité de collaborer à

l’entreprise missionnaire. Olier invite les gens à participer, chacun donne selon ses moyens et ses

capacités :

Qu’on ne dise pas, je ne suis pas riche, je ne sais rien faire, ou j’ai affaire ailleurs. Non,

mais plutôt, que le riche contribue selon sa puissance et sa prudence; le puissant, de sa

faveur; l’homme d’esprit, de son conseil et industrie; et le pauvre, de ses voeux et de ses

prières (p. 12).

Toutefois, il est pratiquement impossible de relever la part exacte que chacun des Associés

a contribué, puisque la plupart désiraient garder l’anonymat ainsi que l’exigeait la Compagnie du

Saint-Sacrement, dont plus de la moitié des Associés de Montréal étaient membres. Selon soeur

Grosjean, annaliste de l’Hôtel-Dieu St-Joseph à La Flèche au XIXe siècle : « Madame de Bullion et

monsieur de Kériolet étayaient la Colonie dans l’ombre plus que tous les autres au grand jour33

. »

Marie-Claire Daveluy a relevé des traces de plus de vingt-cinq assemblées de la Société de

Montréal au cours de ses vingt-quatre années d’existence, soit de 1639 à 1663. Si en 1642, la

Société compte une quarantaine de membres; en 1650, il n’en reste plus qu’une douzaine. Malgré

les aléas, les difficultés, les controverses, la maladie et le décès de plusieurs de ses membres, la

Société aura assuré le développement de l’île de Montréal jusqu’en 1663, année où la Compagnie

de Saint-Sulpice en assume la pleine responsabilité.

33

Soeur Adèle-Joséphine Grosjean, Les Notions abrégées sur Jérôme Le Royer, Marie de

la Ferre, leur mission et les interventions surnaturelles qui s’y rattachent, Maison Cornillou,

Laval, 1887.

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Objections au Dessein de Montréal, 1643

Malgré la considération et l’admiration que l’on porte aux initiateurs du dessein de

Montréal et à la Société de Notre-Dame; malgré les avantages que procurent un centre missionnaire

et un établissement français sur le St-Laurent loin en amont de Québec, il semble bien qu’en 1643,

l’opinion publique, autant à Québec qu’à Paris, ne soit plus très favorable à l’entreprise de

Montréal. À l’été 1641, il s’était trouvé à Québec « des personnes intéressées » pour discréditer

l’audacieux projet de Montréal et le qualifier de « folle entreprise ». Avant même que Maisonneuve

et ses hommes n’arrivent à Québec, le père Paul Le Jeune lance cet avertissement dans la Relation

de 1641 :

Oui, mais dira quelqu’un, cette entreprise est pleine de dépenses et de difficultés. Ces

Messieurs trouveront des montagnes où ils pensent trouver des vallées. [...] Je ne dirai pas à

ces Messieurs qu’ils trouveront des chemins parsemés de roses; la croix, les peines et les

grands frais sont les pierres fondamentales de la maison de Dieu34

.

Étant donné son expérience de la vie au Canada, le point de vue du père Le Jeune sur la colonie de

Ville-Marie est vraisemblable et réaliste.

Les Associés trouvent aussi de l’opposition en France, et ce sont des adversaires de haut

calibre, à en juger par le contenu de la brochure Les Véritables Motifs. Ce court ouvrage de cent

vingt-sept petites pages fut publié à Paris, vraisemblablement en octobre 1643, sans nom d’auteur,

mais il est à peu près certain que Jean-Jacques Olier35

en soit le rédacteur. Il s’agit d’une

publication à caractère privé, à peine corrigée36

, dont il ne resterait aujourd’hui que six

exemplaires. Afin de rectifier toute interprétation fautive de l’entreprise de Ville-Marie et de faire

connaître les vraies raisons d’agir des Associés, monsieur Olier, alors curé de Saint-Suplice,

rapporte et réfute neuf objections alors courantes et élabore les quatre grands motifs qui ont inspiré

les fondateurs et Associés de Montréal.

34

Relation de ce qui s’est passé en Nouvelle France es années 1640 et1641, envoyée au

Révérend Père Provincial de la Compagnie d Jésus, de la Province de France, par le Père

Barthélémy Vimont de la Mesme Compagnie, Supérieur de la Résidence de Kébec. A Paris, chez

Sébastien Cramoisy, 1642. - Imprimé, Bibliothèque municipale de Montréal, p. 202-204. Cité dans

la Positio, p. 189. 35

Guy Marie Oury, « Le rédacteur des Véritables Motifs : M. Olier? », dans Église et

Théologie, 21(1990), p. 211-223.

36 En 1643, l’orthographe, la syntaxe et même la grammaire ne sont pas encore totalement

fixées. Les phrases sont longues et la ponctuation inadéquate. De plus, le vocabulaire prête parfois

à confusion : l’acception des mots a évolué et le sens qui convient parfois est celui qui est marqué

vieilli au dictionnaire. La polysémie de mots comme «sauvage» complique l’interprétation des

textes originaux. Quant à la typographie, les caractères d’imprimerie sont à l’ancienne : les «s» ont

la forme des «f»; les «v» sont des «u».

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La première objection dénonce les propos de certaines gens intransigeants qui « disent que

les bonnes oeuvres doivent être cachées : ce qui ne se peut, si elles passent par les mains d’une

société » (p. 81). Monsieur Olier réplique que c’est l’intention qui compte. En fait, il s’agit ici

d’exigences propres à la Compagnie du Saint-Sacrement dont plusieurs Associés de Montréal sont

membres. La deuxième objection consiste en un argument d’ordre matériel qui n’a pas de prise

chez des croyants. Les adversaires affirment « que l’entreprise de Montréal est téméraire, d’une

dépense infinie, plus convenable à un roi qu’à quelques particuliers trop faibles, outre les périls de

la navigation et les naufrages qui sont à craindre » (p. 87-88). La réponse de monsieur Olier est

percutante, mais elle se situe à un autre niveau : « Vous avez mieux rencontré que vous ne pensiez,

de dire que c’est un [sic] oeuvre de roi, puisque le Roi des rois s’en mêle, à qui la mer et les vents

obéissent » (p. 88). Le rapprochement entre la Compagnie de la Nouvelle-France et la Société ou

Compagnie de Montréal n’est pas concluant. La première a l’appui du roi de France et des buts

lucratifs, alors que la seconde est soutenue par des personnes désintéressées dont les motifs sont

religieux.

La troisième objection conteste les aumônes qui ont pour but d’aider des inconnus de pays

étrangers, alors qu’il y a affluence de pauvres en France. La réfutation est pragmatique, le ton

ironique :

Quinze ou vingt mil livres d’aumônes que l’on envoie peut-être tous les ans pour Montréal,

pour une oeuvre si importante, ruinera donc le repos de tous les pauvres du Royaume,

parmi quatre millions de livres qu’on peut distribuer tous les ans dans la seule ville de Paris

en aumônes et oeuvres pies, sans y comprendre les fondations perpétuelles (p. 91).

Semblable à la troisième objection, la cinquième soutient « qu’il ne faut [pas] ôter le pain des

enfants des pauvres chrétiens français pour l’envoyer à des infidèles qui vivent comme des chiens,

qu’il est impossible de convertir » (p. 100). La réfutation est identique à la précédente : l’aumône

faite aux pauvres français n’empêche pas celle qui a pour but d’aider les Amérindiens, peu importe

leur mode de vie, jugé plutôt sévèrement dans le libellé de l’objection.

La quatrième objection préconise « que les Canadiens [Amérindiens] avec la lumière

naturelle se peuvent sauver s’ils gardent la loi de nature, attendu l’ignorance invincible où ils sont

de l’Évangile » (p. 98). Olier rappelle, tout simplement, que « les plus graves théologiens [...]

tiennent que quand ils [les Canadiens] observeraient la loi de la nature, ils ont encore besoin de la

Foi pour être sauvés » (p. 98). Rien n’oblige à penser comme ces « graves théologiens », étant

donné qu’à l’époque il y avait divergences sur certains points de casuistique ou théologie morale.

La sixième objection établit une opposition entre les Messieurs de Montréal, les jésuites et

la Compagnie de la Nouvelle-France. Certains pensent que le dessein de Montréal incommode les

jésuites, « entretenus des aumônes de gens de bien, que des Messieurs de la grande Compagnie qui

se tiennent incommodés du dessein de Montréal » (p. 102). La réponse est catégorique :

l‘information reçue est fautive, car ni les jésuites ni la Grande Compagnie ne se sont plaints, ce qui

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serait inconcevable parce que cette dernière a fait cession de l’île de Montréal et en tire même

avantage.

La septième objection s’appuie sur des préjugés tenaces pour accuser les Amérindiens

d’être « fainéants et libertins, ennemis du travail de la terre et indociles » (p. 104). Olier riposte que

plusieurs nations amérindiennes sont sédentaires et vivent en communauté alors que d’autres sont

nomades. Les Associés espèrent les voir se convertir et se ranger auprès des Français. Ils souhaitent

même que des mariages chrétiens se fassent entre eux et avec des Français, de sorte que, avec le

temps, des villages amérindiens se multiplient le long du grand fleuve et de ses affluents.

Les objections ne sont pas toutes répréhensibles, mais certaines, comme la huitième et la

neuvième, sont en effet de taille. Il est vrai que la menace iroquoise pesait alors sur les colonies de

la Nouvelle-France et qu’il faudra encore du temps et des traités pour que la paix soit établie entre

certaines nations amérindiennes et les Français. La neuvième et dernière objection conteste le choix

de l’Amérique septentrionale pour y établir des missions françaises, surtout à cause du grand froid

qui y sévit, des terres incultes et des difficultés inhérentes à la survie des colons français. Pourquoi

ne pas travailler plutôt, à moindre frais, aux missions de l’Amérique méridionale, puisqu’on n’y

sent jamais le froid et que le pays est beau et fertile? La durée de la Société de Montréal est mise en

cause étant donné qu’elle n’est « appuyée d’autre intérêt que de charité, n’est pas pour durer, que

Dieu ne fait plus de miracles » (p. 111). Monsieur Olier fait preuve de réalisme et de confiance en

la providence et en l’avenir : « Pensez-vous qu’une société appelée de Dieu à l’établissement d’un

dessein particulier, ait besoin d’être perpétuelle ? Nous savons aussi bien que vous qu’elle se

dissoudra quelque jour » (p. 121). L’argument de Gamaliel est évoqué avec fermeté : « Si Dieu

n’est point en l’affaire de Montréal, non seulement ce que vous prédisez arrivera, mais pis que cela.

Mais si Dieu l’a ainsi voulu, qui êtes-vous pour contredire? » (p. 119).

Véritables motifs des Messieurs et Dames de Montréal, 1643

Les quatre véritables motifs des Associés de Notre-Dame de Montréal comportent chacun

un très long développement. Le premier motif s’appuie sur des arguments théologiques pour

proclamer que « C’est le bon plaisir de Dieu d’appeler tous les hommes à la vie éternelle, et à cet

effet envoyer l’ambassade de cette heureuse nouvelle par tout le monde » (p. 125). Autrement dit,

ce motif traite de la nécessité de prêcher l’Évangile à toutes les nations de la terre et du rôle des

ecclésiastiques et des laïcs. Pour bien illustrer la hiérarchie qui existe dans l’entreprise

missionnaire, l’auteur des Véritables Motifs emprunte une analogie militaire : Dieu est le «Général

et Capitaine, Chef et Maître»; dans le corps mystique, les «soldats» sont les ecclésiastiques qui

prêchent l’Évangile, alors que les autres «membres», les laïcs, hommes et femmes, ont pour

fonction d’assister les combattants, chacun selon ses capacités. Si d’une part les prêtres sont «

riches et puissants en grâces célestes, mais dépourvus des temporelles » (p. 9), il est souhaitable

qu’ils aient l’appui complémentaire de séculiers « pourvus avec abondance des temporelles, mais

indigents des spirituelles » (p. 9). Enfin, la péroraison du plaidoyer de monsieur Olier insiste sur la

contribution de tous et chacun à la conversion des Amérindiens, car, dit-il : « C’est une affaire de

grande gloire de Dieu, joie des Anges, honneur aux saints, dignité à l’Église, service à la France et

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de haut mérite et salut pour nous de contribuer » (p. 18).

Le deuxième motif des Associés comprend deux éléments essentiels, enchâssés dans la

question : « Si Dieu veut maintenant appeler les Sauvages à lui, et pousser ses serviteurs à les aider,

qui le pourra contredire? » (p. 22). Premier point : c’est maintenant le temps favorable choisi par

Dieu pour convertir les Amérindiens du Canada. Deuxième point : c’est Dieu qui désigne les

personnes qui doivent y travailler. Pour bien convaincre ses lecteurs des preuves du bon plaisir de

Dieu en cette affaire, monsieur Olier évoque les débuts de Montréal et trace un portrait sommaire

de son fondateur sans le nommer. Olier est au courant des défis que monsieur de la Dauversière a

dû surmonter, et son insistance sur les limites humaines de ce Serviteur de Dieu n’a d’autre but que

de mettre en évidence cette vérité que Dieu l’a soutenu, « l’encourageant à lui rendre ce service et à

se confier en son assistance » (p. 28).

Bien qu’il soit aussi l’un des premiers associés, monsieur Olier ne parle pas de sa propre

contribution. Cependant, il insiste sur l’intervention de Dieu dans le choix de l’île de Montréal, lieu

qui est « propre pour y assembler un peuple composé de Français et de Sauvages, qui seront

convertis pour les rendre sédentaires, les former à cultiver les arts mécaniques et la terre, les unir

sous une même discipline dans les exercices de la vie chrétienne » (p. 25). Monsieur Olier entrevoit

déjà une forte communauté chrétienne ralliée autour d’un siège épiscopal.

Comme preuve que le dessein de Montréal correspond à la volonté divine, l’auteur des

Véritables Motifs établit le bilan des démarches et activités accomplies en vue de l’implantation de

la colonie de Ville-Marie. Il énumère des « effets admirables qui sont les marques plus ordinaires

qui s’observent pour sentir le bon plaisir de Dieu en cette entreprise si difficile » (p. 22). Ce ne sont

pas de grands prodiges, mais l’auteur y voit un effet de la providence : par exemple, en 1641, le

départ de trois femmes avec les colons de Dieppe; et à La Rochelle, l’embauche tardive d’un bon

maître charpentier, revenu au port après que la tempête eut brisé le mât du navire qui l’emportait.

Enfin, et non des moindres, le départ en juin 1643, d’une « demoiselle de vertu et de condition »,

guérie miraculeusement aussitôt qu’elle eut promis à Notre-Dame de Paris, d’accompagner son

mari à Montréal, pour « aider au soulagement des sauvages » (p. 34). Cette jeune femme qui n’est

pas nommée est Barbe de Boullongue, épouse de Louis d’Ailleboust de Coulonge.

Comme autres preuves que Dieu protège le projet de Montréal, l’auteur signale que deux

contingents d’engagés, ouvriers et artisans partis en 1641 et 1642, se sont rendus à bon port et que

le troisième est en route. L’établissement dans l’île a débuté en 1642, et on y trouve maintenant un

fort de défense, un hôpital et un logement où vivent déjà soixante-dix personnes, dont deux pères

jésuites. Il y a aussi une chapelle sous le vocable de Notre-Dame, où se célèbrent les cérémonies du

culte, des baptêmes et des mariages d’Amérindiens. En fait, les colons vivent pour « la plupart en

commun, comme à une manière d’auberge, les autres de leur revenu en particulier, mais vivant tous

à Jésus-Christ en un coeur et une âme, représentant en quelque façon la forme de la primitive

Église » (p. 36).

Le succès de la Société de Notre-Dame de Montréal est perçu comme preuve que Dieu

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agrée le projet des Associés. Les Véritables Motifs reconnaissent que monsieur de la Dauversière

est l’initiateur du dessein de Montréal et le fondateur de la Société de Notre-Dame. Il a entrepris

des démarches et établi des contacts à Paris et ailleurs en vue de recruter des Messieurs et des

Dames. Évidemment, les motifs qui l’animaient se sont rapidement communiqués aux Associés.

Monsieur Olier résume ainsi le rôle qu’il a joué dans l’organisation de la Société de Notre-Dame de

Montréal :

À bien peser la chose, il n’est pas ordinaire qu’un homme, seul auteur d’un si haut et

nouveau dessein, lui étranger, inconnu à Paris, sans moyens, sans appui ni charmes de bien

dire37

, en si peu de temps ait été reçu et accueilli de tant de personnes de différentes

conditions, d’esprit, vertu, expérience et crédit, et assez difficiles pour ne se pas laisser aller

à croire légèrement les choses; qu’il les ait persuadés et unis ensemble d’une sainte société

qui n’a but, obligation, ni intérêt que d’une pure charité, sinon que Dieu les y eut poussés,

inspirés, et appelés (p. 37-38).

Le long développement sur l’emploi des aumônes que constitue le troisième motif est la

reprise d’un sermon sur la charité que monsieur Olier aurait prononcé lors de la réunion de la

Société de Notre-Dame, le 13 mars 1643. On y découvre aisément l’argumentation et le style

propres à la prédication; l’emploi d’apostrophes, telles que « Mes frères et soeurs » (p. 51), ou

encore l’interpellation indirecte, « ces mots que j’adresse à nos dignes frères et soeurs de la Société

Notre-Dame de Montréal pour leur grande consolation et instruction de continuer à bien faire » (p.

51 ). La prédication permet en effet d’adapter à la situation un enseignement fondamental.

Ce motif dépend de cette vérité que les bonnes oeuvres spirituelles, entre lesquelles la

conversion des âmes est des plus agréables à Dieu, non seulement sont préférables aux

temporelles, [...] mais que l’aumône qui a pour fin le salut des âmes, participe au mérite

d’une oeuvre pure spirituelle et se revêt de la nature et qualité d’icelle [de celle-ci] (p. 38-

39).

Monsieur Olier souhaite convaincre ses auditeurs de l’importance des aumônes qui contribuent

indirectement à la conversion des Amérindiens et de la valeur spirituelle que prend cette

collaboration au travail des missionnaires, à l’enseignement de l’évangile et à la propagation de la

foi en Nouvelle-France.

Le quatrième et dernier motif de la Société de Notre-Dame s’appuie sur les besoins

spirituels des Amérindiens. Selon l’auteur des Véritables Motifs, leur « ignorance aux choses du

37

L’expression «sans charmes de bien dire» prête ici à confusion. La simplicité et la clarté

caractérisent le style et la phrase de M. de la Dauversière, comme on peut le constater dans le

Dessein des Associés de Montréal qui est bien de sa main. Le raisonnement est logique et les

détails du projet s’énoncent avec précision, sans aucune figure de style ni recherche d’effets

stylistiques, comme c’était souvent le cas au XVIIe siècle chez les orateurs, les épistoliers et les

littéraires, en particulier dans le langage précieux.

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salut est absolue, inévitable, irréparable et sans ressource si elle n’est secourue » (p. 72). Ce motif

s’énonce clairement : « Entre les peuples de l’Amérique, il n’y en a point de plus dépourvus de

secours spirituels que ceux de l’Amérique septentrionale, où est située la Nouvelle-France » (p.

71). Monsieur Olier croit que les Amérindiens sont aussi démunis sur le plan matériel que spirituel.

Ils habitent un pays inculte, point fréquenté, mal peuplé, froid et inaccessible jusqu’à notre

siècle, séparé de si grande étendue de mers de toutes les nations chrétiennes [...] nation qui

ait été si longtemps sans Dieu, sans loi, sans roi, sans domicile et sans terre même,

puisqu’ils n’ont l’expérience ni le pouvoir de la cultiver, gens sans usage des douceurs de la

vie, sans lits, sans meubles, sans linge, ni pain, ni sel, ni vin, ni viande ordinaire [...] sans

animaux domestiques, ni aucunes bêtes de service, sans science, sans arts, sans lettres, ni

caractères, sans maîtres, sans métiers [...] et encore plus la diversité de langage (p. 72-73).

Il appert que monsieur Olier évalue le style de vie des Amérindiens selon des critères français, sans

doute pour mieux convaincre ses auditeurs de ce que la civilisation chrétienne et française peut

apporter à ces peuples s’ils acceptent de se sédentariser et de vivre comme les Français et les

Indiens convertis qui s’établissent auprès d’eux dans des villages. Finalement, l’auteur des

Véritables Motifs s’indigne devant l’attitude de certaines gens qui désapprouvent l’entreprise de

Montréal :

Et nous nous étonnons, puisque l’extrême misère de ces peuples est si pressante et si

importante, [...] qu’il se rencontre des oppositions, où nous attendions des approbations;

des épines ou nous pensions des roses; et des froideurs et terreurs pour l’avenir, où nous

devrions plus paraître pleins de foi, d’espérance et de courage (p. 79).

Dans l’étude des Véritables Motifs de la création de Montréal, la foi et l’espérance viennent de

s’ajouter à la prière, comme moyens favorisant la réussite du Dessein des Associés.

En plus de la publication des Véritables Motifs, la stratégie que les Associés adoptent pour

contrer l’opposition et assurer la survie de la mission de Montréal comporte des démarches auprès

des plus hautes autorités : l’Église catholique et la Cour de France. Les documents produits

reprennent et explicitent les motifs des Associés qui, en janvier ou février 1643, envoient une lettre

officielle au Pape Urbain VIII, demandant une indulgence plénière pour le 2 février et le 15 août,

un autel privilégié autant à Montréal qu’à Paris et la bénédiction de leurs entreprises.

Afin de confondre leurs adversaires et régler certains troubles en Nouvelle-France, les

Associés sollicitent l’aide de la Cour. Le 13 février 1644, des « Lettres patentes ou confirmatives

de l’établissement de Montréal » sont octroyées par la reine régente Anne d’Autriche, au nom de

son fils Louis XIV, qui a alors cinq ans. Ce document identifie d’abord ses destinataires et

bénéficiaires, ainsi que leur principal motif : « Nos chers et bien aimés Pierre Chevrier, écuyer,

sieur de Fancamp, et Hiérosme le Royer, sieur de la Dauversière, tant pour eux que pour les

habitants de Montréal en la Nouvelle-France et leurs associés pour la conversion des Sauvages du

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dit pays38

...» De plus, un ordre est donné à monsieur de Montmagny de faire respecter ce que

stipulent les lettres patentes, en vue de protéger les droits des Associés, qui pourront désormais

nommer leur gouverneur, continuer les fortifications et habitations, tant pour les Français que pour

les Amérindiens, et même recevoir des legs.

CONCLUSION

Au XVIIe siècle, le prosélytisme est à la mode, et l’on constate que « des missionnaires,

hommes et femmes, ont quitté la France pour se mettre au service des Indiens39

». Le père Oury

nomme quelques réalisations et oeuvres religieuses reliées au travail missionnaire.

Tout ce qui se fait au point religieux en Nouvelle-France est entrepris pour les Amérindiens

: la publication des Relations des Jésuites qui donne des nouvelles des missions, la

fondation du village de Sillery, celle de Sainte-Marie-des-Hurons, l’Hôtel-Dieu de Québec,

le couvent des Ursulines, la création de Ville-Marie dans l’île de Montréal, l’érection de la

Nouvelle-France en vicariat apostolique40

.

Les Associés de Montréal ont-ils réussi à mettre en oeuvre leur dessein exactement tel que

conçu? Ville-Marie a été fondée et des efforts ont été faits pour attirer les Amérindiens et les aider

à vivre auprès des colons français. Les Relations des jésuites racontent que, dès le premier été, des

contacts ont été établis avec des Amérindiens. Le vingt-huit juillet 1642, « une petite escouade

d’Algonquins» s’arrête dans l’île quelques jours et le Capitaine demande le baptême pour son fils,

un enfant de quatre ans. Ce n’est qu’un début, car d’autres Amérindiens viendront y passer l’hiver

ou y demeurer quelque temps. Toutefois, la menace iroquoise rendra la vie difficile à la petite

colonie de Montréal et éloignera les Amérindiens. Le temps et du renfort militaire auront raison des

difficultés.

À l’exemple des jésuites, les prêtres de Saint-Sulpice entreprennent, à partir de 1663, de

fonder des missions et même des villages amérindiens. En 1684, le baron de la Hontan raconte

dans son récit de voyage à Montréal :

Les Messieurs du Séminaire de St. Sulpice de Paris sont Seigneurs et propriétaires de l’île.

[...] J’ai vu à une lieue d’ici, au pied d’une montagne, un beau village d’Iroquois chrétiens,

et dirigé par deux prêtres de ce Séminaire. On m’a dit qu’il y en avait encore un plus grand

et plus peuplé de l’autre côté du fleuve à deux lieux d’ici, sous la direction du Père Bruyas,

jésuite41

.

38

Lettres confirmatives et patentes de Louis XIV, en faveur de l’établissement de

Montréal, 13 février 1644. Édition imprimée dans Édits, Ordonnances Royaux, Montréal, 1854, t.

I, p. 24-25. Copie dans la Positio, p. 300-301. 39

Guy-Marie Oury, Notre héritage chrétien... p. 15. 40

Ibid. 41

Cahiers de l’Académie canadienne-française, no 8, Ville-Marie, Montréal, Canada,

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Les énergies déployées pour la conversion des Amérindiens n’ont pas été vaines, et c’était là le

plus important motif des Associés, qui s’inspiraient de la foi en Dieu et des vérités qu’enseigne la

religion catholique.

Par la suite, les événements, la guerre contre les iroquois et la décroissance de la population

amérindienne seront des obstacles de taille à la continuité du projet de Ville-Marie, exactement tel

qu’il a été exposé dans le Dessein des Associés de Montréal. Force nous est d’admettre, en

rétrospective, qu’il y avait peut-être une part d’utopie dans ce grand projet d’évangélisation et de

sédentarisation des Amérindiens : d’aucuns parlent même du « rêve » de monsieur de la

Dauversière auquel les Associés ont adhéré, mais non inutilement. Le dessein de Montréal aura

produit de grands et bons fruits, autant sur le plan matériel que spirituel. Sans doute visait-il

d’abord et avant tout la « conversion des sauvages », mais davantage a été réalisé, car c’est de ce

projet qu’est né Montréal, entre 1639 et 1663, avec ses institutions religieuses qui ont assuré

l’implantation et la conservation de la foi chrétienne en Nouvelle-France.

Les véritables motifs des fondateurs de Ville-Marie sont indubitablement religieux et

dénués de tout intérêt matériel. Ces motifs débordent la brochure de 1643 et se résument ainsi :

d’abord et avant tout, la gloire de Dieu, puis la conversion et la sédentarisation des Amérindiens,

tout cela appuyé des aumônes et de la prière. La foi, l’espérance et un grand souci de charité sont

les vertus dominantes qui ont soutenu les efforts et l’engagement des fondateurs de Ville-Marie.

Les très anciens textes consultés et cités rejoignent les historiens et chercheurs avides de vérité. Ces

écrits expliquent l’origine religieuse de Montréal, mais ils sont aussi reliés à l’histoire des quelques

communautés religieuses d’enseignantes et d’hospitalières qui s’y sont enracinées, ainsi que de

prêtres séculiers, de religieux et de laïcs fervents qui ont contribué à la naissance et au progrès de

Montréal.

[1956], p. 190.