les utilisations de l´alphabet lors du iie millénaire

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  • Collection Proche-Orient et Littrature Ougaritique 2

    POLO

    Le royaume d'OugaritLe royaume d'Ougarit de la Crte l'Euphratede la Crte l'Euphrate

    Nouveaux axes de rechercheNouveaux axes de recherche

    Actes du Congrs International de Sherbrooke 2005

    Sous la direction de JEAN-MARC MICHAUD

    GGC

    ditions

    Sherbrooke 2007

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  • I Un hritage culturel

  • Les utilisations de lalphabet lors du IIe millnaire av. J.-C. et le dveloppement de lpigraphie

    alphabtique : une approche travers la documentation ougaritique en dehors des tablettes (I) 1

    Jos ngel Zamora Lpez (CSIC, Instituto de Estudios Islmicos y del Oriente Prximo, Zaragoza)

    Rsum

    Les textes dOugarit sont le seul tmoignage conserv de lutilisation rgulire de lalphabet dans le Levant du IIe millnaire av. J.-C. Grce eux, nous pouvons connatre les utilisations dans la rgion des critures alphabtiques locales, perdues dans le reste de la zone (en raison du choix prfrentiel de supports prissables de lcriture). Ougarit nous fournit galement des crits en dehors de leur support habituel (les tmoignages qui constituent, dans dautres zones et priodes, lensemble de la production crite conserve). Il est possible de mettre ces documents en rapport avec le reste de la documentation disponible (but de cette premire partie du travail) et dtudier le type dutilisations qui leur ont donn naissance. Cela permit de mieux valuer les utilisations de lalphabet lors du IIe millnaire av. J.-C. et lvolution ultrieure de ces utilisations, ainsi que de donner une plus ample perspective au dveloppement des di rents types de documentation pigraphique alphabtique au cours du Ier millnaire av. J.-C.

    La pratique de lcriture : supports spcifiques, supports marginaux

    Dans toute culture o il y a une pratique rpandue dcrire, il existe des supports accepts et appropris pour recevoir lcriture. Habituellement, il en existe parmi eux certains utiliss de faon prfrentielle, mme

    1. Lauteur est chercheur (Contratado Ramn y Cajal) du Consejo Superior de Investigaciones Cient cas, a ect au Instituto de Estudios Islmicos y del Oriente Prximo (Saragosse). Il est galement membre du Groupe de recherche Hiberus (Gobierno de Aragn). Ce travail a t dvelopp au sein du projet HUM2005-03452 du Ministerio de Educacin y Ciencia espagnol. La seconde partie de ce travail paratra dans le Fs. J. Sanmartn, AuOr Suppl 22 (2006).

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    fabriqus exclusivement pour tre crits. Ce sont ceux que nous pouvons appeler matriels ou supports spci ques de lcriture. Dans notre culture, par exemple, mme aprs la rvolution informatique , la matire spci que habituelle pour recevoir lcriture est le papier. Dautres supports, faits avec dautres matires, peuvent partager, pour une grand part, la spci cit du principal (comme cest le cas, encore aujourdhui, pour les di rents types dardoises et tableaux, ou, dans la culture classique avec les tablettes en cire), mais leur utilisation, mme si elle devient relativement rpandue, est toujours secondaire, restreinte certains milieux (scolaires, comptables), o lun de leurs inconvnients (par exemple, leur fragilit et leur temporalit) peut se transformer en avantage (en permettant, par exemple, une rutilisation continuelle). Nous pouvons donc d nir les matriels et les supports spci ques de lcriture comme ceux qui sont destins recevoir un crit. Ce sont souvent (mais pas toujours) ceux pour lesquels le systme graphique fut pens ou sur lesquels il fut dvelopp, pouvant ainsi conditionner les caractristiques de lcriture quils reoivent. Dans le Proche-Orient antique, le di rent choix de matires et de supports qui se produisit entre le monde gyptien et le msopotamien est paradigmatique, comme on le mentionne si souvent : le premier adopta une matire vgtale, le papyrus, abondant dans la rgion, pour fabriquer les supports utiliss dans la pratique commune dcrire, sur lesquels se produisit le dveloppement rsultant de son criture; pour faire de mme, le second opta pour largile, matriau commode et abondant, ce qui donna lieu aux critures que nous appelons cuniformes, en raison de la forme quelles nirent par acqurir.

    Outre ses supports habituels spci ques, lcriture peut utiliser galement des objets ou des matires qui, en principe, ne sont pas destins la recevoir. Par exemple, lutilisation intentionnelle de lcriture sur des objets meubles des ns de distinction et de garantie de proprit (perptuant ainsi des usages pralables et parallles lalphabtisation), est habituelle dans toute culture crite. Lapplication de lcriture sur des structures xes, frquemment monumentales, pour di rentes raisons et avec une intensit di rente (car, dans un groupe comme celui-ci, on trouve aussi bien les gra tis e ectus par de simples particuliers que,

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    par ex., les inscriptions o cielles) est, elle aussi, normale. Ces matriaux et ces supports, que nous pouvons appeler marginaux , purent devenir un rcepteur frquent, voire trs frquent, de textes ou de signes crits, mais ils ne furent pas fabriqus pour les recevoir. tre un support de lcriture ntait pas, lorigine, la principale fonction de ces supports marginaux.

    Ces derniers exemples permettent dj de comprendre comment tous les deux (supports marginaux et spci ques) sont lis, dans leur caractre et leur volution, au caractre et lvolution des utilisations de lcriture. Ces utilisations peuvent faire quun support marginal prenne une importance telle quil devienne dans la pratique un support qui peut tre considr comme spci que (ou spcialis, du moins, pour certaines utilisations de lcriture). Certains matriaux, tels que le mtal ou la pierre, qui pouvaient tre, lorigine, inappropris pour la pratique habituelle (en raison de leur duret, de leur poids, de leur prix) pouvaient devenir les plus appropris pour certaines ns (du fait de leur di cile altrabilit, de leur durabilit). Chaque culture dveloppe un choix caractristique des supports dcriture qui, avec le temps, ne dpend pas seulement de conditions matrielles immdiates, mais qui rpond aussi aux di rentes utilisations de lcriture qui sont cres au sein de la culture elle-mme. Au Proche-Orient aussi, on apprcie ce rapport complexe entre les utilisations de lcriture et le choix des supports, comme le montrent les exemples, nombreux et varis, dcriture sur des objets et des structures, qui sont le tmoignage, depuis les premiers ges, de lapplication de lcriture en dehors des supports, que nous pouvons considrer comme tant, en principe, spci ques de chaque domaine culturel.

    Supports et pigraphie

    Une perspective et des catgories comme les prcdentes peuvent tre, tant donn la complexit cause par ces relations, excessivement abstraites ou conceptuelles, si on les applique aux cultures antiques. Mais, par contre, elles peuvent tre utiles, tant donn limportance

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    du problme documentaire, pour les cultures dans lesquelles il ny a eu aucun processus de transmission textuelle entre leur poque et le prsent. La production crite de ces cultures nest connue que par ce qui a pu tre matriellement conserv (et par ce que nous avons t capables de rencontrer au niveau archologique). Le facteur dterminant pour la conservation de ces crits est, bien entendu, leur support : de ces cultures qui choisirent un support spci que di cilement conservable et qui utilisrent peine des supports marginaux pouvant tre conservs, nous avons perdu la plupart de leurs textes. Pour celles qui choisirent comme support des matriaux plus facilement conservables, la situation est meilleure (dautant plus que le matriau se conservait mieux et quil tait utilis avec une plus grande frquence). Dune faon plus limite, la situation documentaire est galement meilleure pour les cultures qui utilisrent en abondance des supports marginaux pouvant tre conservs (et bien meilleure quand ceux-ci devinrent des supports spci ques pour certains usages).

    Bien sr, ltude de ces textes conservs et, par extension, lensemble des documents faisant lobjet de ltude, est ce que nous appelons pigraphie . La documentation pigraphique est constitue, dans sa majeure partie, par des textes gravs sur des supports durs, ceux qui se conservent le mieux. On y englobe dordinaire aussi les documents peints qui ont t conservs sur ces mmes supports et mme, en certaines occasions, ceux gravs ou peints sur des supports prissables, qui ont, de faon exceptionnelle, t conservs (bien que certains dentre eux exigent une comptence hautement spcialise et aient donn lieu des disciplines spci ques, telles que la papyrologie). Ils constituent tous ensemble le volume documentaire conserv dune certaine culture, le seul lorsquil nexiste pas de tradition crite transmise par copiage, et ils marquent les limites (sur lesquels agira, en outre, en les restreignant, le second ltre du devenir de la recherche) de la production crite, quil nous est possible de connatre. La vritable extension de lutilisation de lcriture et de son dveloppement rel, en marge de ce qui est apprciable dans ce qui a t conserv, constitue, par consquent, un problme pour lequel on ne peut pas rechercher une rponse directe.

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    Nanmoins, cest l que les concepts prcdents peuvent nous tre utiles, car ils obissent des critres internes des cultures tudies et non pas aux rsultats des facteurs qui conditionnent la conservation. La documentation conserve englobe des documents qui sont le rsultat de diverses pratiques crites et de choix consquents de support culturellement caractristiques. Une fois encore, le Proche-Orient Antique nous fournit des exemples gnraux archtypaux. La plupart des tablettes en argile msopotamiennes qui constituent limmense majorit de la documentation pigraphique proche-orientale- sont, par exemple, des chantillons dcriture commune sur un support spci que de lcriture. lautre extrmit, lpigraphie monumentale ou mobilire gyptienne, dune extrme abondance, est en revanche le rsultat du dveloppement de di rentes utilisations de lcriture sur des supports originairement marginaux (les documents sur papyrus, conservs en certaines occasions grce la scheresse du climat gyptien, mais perdus pour la plupart, tant ceux qui correspondaient, en ralit, lutilisation de supports spci ques).

    Les supports de lcriture sur la cte syro-palestinienne

    En appliquant progressivement cette perspective des zones et des ensembles documentaires plus concrets, nous apprcierons mieux les consquences qui en dcoulent. Ce qui nous intresse maintenant, cest la cte syro-palestinienne, zone culturelle de vieille tradition crite, o se produisirent, surtout au cours du IIe millnaire av. J.-C. et au dbut du Ier millnaire, des nouveauts essentielles dans lhistoire de lcriture.

    De par sa position, si souvent signale comme stratgique, la zone tait soumise une double in uence intense, galement en ce qui concerne la culture crite. Dune part, les habitants de la Syrie-Palestine connaissaient depuis trs longtemps la tradition crite quirradiait le milieu gyptien, o, depuis au moins la n du IVe millnaire av. J.-C., on crivait rgulirement et o on le t trs vite, comme nous le disions, au moyen dcritures de type pictographique et linaire sur papyrus (avec une extension ample, prcoce et caractristique, comme nous le disions

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    galement, en dehors de ce support spci que). Un exemple signi catif de la connaissance de ce type de pratique dcriture dans les villes de la cte syro-palestinienne fut Byblos (dont le nom grec, comme on le sait, rappelle son importance en tant que centre de distribution du papyrus), avec des contacts trs anciens et intenses avec la civilisation du Nil. Byblos fut lentre de lin uence gyptienne dans toute la zone, comme le prouve une in nit de tmoignages, galement pigraphiques, aussi bien l que dans le reste de la zone phnicienne 2, et comme le montre la littrature gyptienne elle-mme (o il ne manque pas, de surcrot, des rfrences aux crits - sur papyrus- des archives phniciennes 3). Il nest pas surprenant non plus que ce soit Byblos que soient apparus les plus anciens chantillons dune pigraphie monumentale propre la zone (car, on peut quali er ainsi certaines des inscriptions appeles pseudo-hiroglyphiques rencontres dans la ville, celles de plus grande taille, exemple du saut dune criture linaire propre un support marginal monumental).

    Dun autre ct, les villes syro-palestiniennes connurent galement lin uence msopotamienne. lintrieur du Proche-Orient, depuis une poque aussi ou plus ancienne que lgyptienne, on crivait - comme on le sait et nous lavons rappel - au moyen dcritures cuniformes sur des tablettes en argile comme support spci que (lcriture stendant aussi, avec le temps, dautres supports). Lusage de lcriture cuniforme sur tablette se rpandit rapidement et il est bien connu que, dans la zone syrienne, on a trouv des tablettes cuniformes aussi abondantes

    2. Au sujet des relations entre lgypte et la cte syro-palestinienne, cf. le classique W. HELCK, Die Beziehungen gyptens zu Vorderasien im 3. und 2. Jahrtausend v. Chr., Wiesbaden, 1962, 19712, actualis dans le cas de Byblos dans W. HELCK, Byblos und gypten, dans E. ACQUARO, F. MAZZA, S. RIBICHINI, G. SCANDONE, P. XELLA (eds.), Biblo. Una citt e la sua cultura. Atti del Colloquio Internazionale (Roma, 5-7 diciembre 1990), Roma, 1994 (=Biblo), pp. 105-112. Cf. dans le mme volume, G. SCANDONE, La cultura egiziana Biblo attraverso le testimonianze materiali, pp. 37-48; cf. galement une synthse gnrale la charge de ce dernier auteur : G. SCANDONE, Les sources gyptiennes , dans V. KRINGS, (ed.), La civilisation phnicienne et punique. Manuel de recherche, Leiden 1995 (=CPPMR), pp. 57-63, avec des rfrences aussi aux matriaux gyptiens en Phnicie; cf. galement dans le dernier volume cit G. SCANDONE, P. XELLA, gypte , pp. 632-639. Cf. plus rcemment D. B. REDFORD, Egypt, Canaan, and Israel in Ancient Times, New Jersey, 1992.

    3. Cf. les rcits de Sinuh et Unamn (cf. p. ex. Unamn 2, 3-10). Cf. infra.

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    quanciennes, telles que celles des archives dEbla (ville qui nest pas trs loigne de la cte mditerranenne 4) depuis le IIIe millnaire av. J.-C. Certains tmoignages cuniformes au moins de lpoque dUr III sont apparus Byblos mme 5.

    Dautres tmoignages indirects prouvent cette extension du cuniforme au Levant. Parmi eux, les archives de Mari, de la premire moiti du IIe millnaire av. J.-C., quoique ayant t trouves lintrieur, dmontrent lchange intense de correspondance qui existait entre Mari et les villes de la cte et de celles-ci entre elles, o se trouvaient des cercles scribaux trs actifs, qui ont aussi laiss des tmoignages directs 6. La combinaison tablette en argile-criture cuniforme a aussi, bien videmment, des exemples importants de son utilisation dans le Levant mditerranen, la deuxime moiti du IIe millnaire av. J.-C. : les tablettes dAmarna

    4. Au sujet dEbla, voir, par ex., la synthse dj classique de P. MATTHIAE, Ebla. Un impero ritrovato, Torino, 1989 ou louvrage collectif plus rcent de P. Matthiae, F. PINNOCK, G. SCANDONE (eds.), Ebla. Alle origini della civilt urbana in Siria, Milano, 1995. Cf. aussi P. XELLA, Les sources cuniformes , dans CPPMR, pp. 39-41.

    5. G. DOSSIN, Trois inscriptions cuniformes de Byblos , Mlanges de lUniversit Saint Joseph 45 (1969), pp. 244 et ss. Cf. P. XELLA, Ibid, p. 41.

    6. Cf. K. VAN DER TOORN, Cuneiform Documents from Syria-Palestine : Texts, Scribes, and Schools, dans ZDPV 116 (2000), pp. 97-113. Au sujet de Mari et de sa correspondance, voir J.-M. DURAND, Documents pistolaires du palais de Mari (3 vol.), LAPO, Paris, Cerf, 1997-2000. Quant aux relations de Mari avec la cte, cf. p. ex. M. BONECHI, Relations amicales syro-palestiniennes : Mari et Haor au XVIIIe sicle av. J.C. , dans J.-M. DURAND (ed.), Florilegium Marianum. Recueil dtudes en lhonneur de Michel Fleury (Mm. de NABU 2), Paris, 1992, pp. 9-22; aussi J.-M. DURAND, La faade occidentale du Proche-Orient daprs les textes de Mari , dans A. CAUBET, LAcrobate au taureau. Les dcouvertes de Tell el-Daba (gypte) et larchologie de la Mditerrane (1800-1400 av. J.-C.), Paris, 1999, pp. 149-164; cf. dj p. ex. K.A. KITCHEN, Byblos, Egypt, and Mari in the Early Second Millenium B. C., Or(NS) 36 (1967), pp. 39-54; N. NAAMAN, East-West Diplomatic Relations in the days of Zimri-Lim, RA 75 (1981), pp. 171-172; H. LIMET, Les relations entre Mari et la cte mditerranenne sous le rgne de Zimri-Lim , dans E. GUBEL et E. LIPIKSI, Phoenicia and its Neighbours (Studia Phoenicia 3), Leuven, 1985, pp. 13-20 ou O. LORETZ, Mari, Ugarit und Byblos, dans Biblo, pp. 113-124. Cf. encore aussi P. XELLA dans CPPMR, pp. 41-42.

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    sont lexemple et le tmoignage les plus connus (mais pas les seuls 7) de lexistence de ce type de pratique dcriture dans tous les grands centres de la rgion 8. Des groupes de scribes de toute la rgion (y compris ceux de lgypte) connaissaient lcriture cuniforme et sen servaient pour crire sur des tablettes en argile.

    Les diffrentes traditions dcriture et la naissance de lalphabet

    Tout au long du second millnaire av. J.-C., non seulement lcriture stait propage gographiquement dans des zones culturelles trs di rentes entre elles et trs di rentes du cadre dorigine de la naissance de chaque tradition crite. Les scribes orientaux avaient galement adapt les critures disponibles di rentes langues, sans peine en varier la matrialit, mais en ouvrant la voie de grands changements conceptuels. Cest prcisment le IIe millnaire av. J.-C. lpoque lors de laquelle commencrent se dvelopper et furent nalement cres et utilises les premires critures alphabtiques. Cela se produisit prcisment, semble-t-il, dans la zone ctire du Levant mditerranen, o di rentes traditions dcriture cohabitaient et o les cercles scribaux maniaient couramment la documentation sur des supports varis, avec di rents systmes et formes dcritures et dans plusieurs langues. Et ils le rent vraisemblablement pour crire dune meilleure faon les langues de leurs habitants, les langues smitiques nord-occidentales.

    7. Cf. de nouveau K. VAN DER TOORN, Op.cit., pp. 97-113. Parmi toute la documentation cuniforme syllabique du Levant lge du Bronze Rcent, pensez, par exemple, la correspondance trouve Ougarit, venant et envoye de divers endroits, cf. J.-L. CUNCHILLOS, Th e Correspondence of Ugarit 1. Th e Ugaritic Letters et J. HUEHNERGARD, Th e Correspondence of Ugarit 2. Th e Akkadian Letters, dans W. G. E. WATSON et N. WYATT (eds.), Handbook of Ugaritic Studies, Leiden - Boston Kln, 1999 (=HUS), pp. 359-374 et pp. 375-389 respectivement. Cf. infra.

    8. Au sujet des lettres dAmarna, cf. W. MORAN, Th e Amarna Letters, Baltimore, 1992. Aussi maintenant, M. LIVERANI, Le lettere di el-Amarna 1. Le lettere dei Piccoli Re, Brescia, 1998 et Le lettere di el-Amarna 2. Le lettere dei Grandi Re, Brescia, 1999. Cf. de nouveau P. XELLA dans CPPMR, pp. 43-46.

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    Les tmoignages documentaires du processus sont toutefois rares et htrognes. Ils vont de ce qui semble des tentatives de dveloppement de syllabaires pictographiques propres (comme ce que lon appelle les inscriptions pseudo-hiroglyphiques de Byblos peine nommes 9) ce qui doit constituer des exemples du dveloppement des premires critures linaires alphabtiques (comme semblent tre les tmoignages occasionnels que nous appelons inscriptions protosinatiques et protocananennes) et de leur concrtisation schmatise et rgularise (les tmoignages proprement linaires alphabtiques les plus archaques). Au moment darriver au premier millnaire av. J.-C., les inscriptions dans lalphabet linaire quon appelle phnicien nous montrent dj une criture amplement rpandue et dveloppe, qui nira par tre celle utilise par presque toutes les langues de la rgion avec des dveloppements rgionaux qui commencent et voluent (en partie de forme indpendante) ds les premiers instants 10.

    Lexplication la plus vraisemblable de tous ces tmoignages consiste penser que les agglomrations ctires syro-palestiniennes taient lies, depuis une poque trs ancienne, une tradition crite que 9. Au sujet des critures pseudo-hiroglyphiques, cf. la synthse de M. SZNYCER,

    Les inscriptions pseudo-hiroglyphiques de Byblos , dans Biblo, pp. 167-178 (cf. par ex. la tentative de dchi rage - rejete entre autres par Sznycer lui-mme - de G. MENDENHALL, Th e Syllabic Inscriptions from Byblos, Beirut, 1985, qui compte, en revanche, des dfenseurs : cf. surtout la longue srie darticles (galement sur le protosinatique et le protocananen) de B. E. COLLESS dans pratiquement tous les numros dAbr-Nahrain entre 26 (1988) et 35 (1998). On pourra galement consulter dans A. GONZLEZ, J.-P. VITA, J.-. ZAMORA (eds.), De la tablilla a la inteligencia arti cial. Homenaje al Prof. Jess-Luis Cunchillos en su 65 aniversario, Zaragoza, 2003, pp. 365-373 labondante bibliographie constitue par F. ISRAEL dans son article Studi prefenici I. Le iscrizioni pseudogerogli che di Byblos : A) Documentazione bibliogra ca.

    10. Pour une vision traditionnelle sur lhistoire initiale de lalphabet, qui ne concide pas forcment avec celle expose ici, cf. J. NAVEH, Early History of the Alphabet. An Introduction to West Semitic Epigraphy and Paleography, Jerusalem 1982. Cf. galement les ouvrages de B. SASS, par ex. Studia Alphabetica. On the Origin and Early History of the Northwest Semitic, South Semitic and Greek Alphabet, Freiburg, 1991 et maintenant avec une forte rvision Th e Alphabet at the Turn of the Millennium : Th e West Semitic Alphabet ca. 1150-850 BCE. Th e Antiquity of the Arabian, Greek and Phrygian Alphabets, Tel Aviv, 2005. Cf. aussi une position orthodoxe dans la synthse de W. RLLIG, Lalphabet , dans CPPMR, pp. 193-214. Au sujet des inscriptions smitiques du nord-ouest du Ier millnaire, cf. H. DONNER et W. RLLIG, Kanaanische und Aramische Inschriften (=KAI), I-III, Wiesbaden, 1966-69 (vol. I, 20035 erweiterte und berarbeitete Au age).

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    nous pouvons appeler, en ce qui concerne le choix des supports et le dveloppement matriel rsultant de lcriture, de type gyptien . Elle permet de penser une gnralisation dans la zone de la pratique de lcriture - partir dun certain moment avec son propre caractre et sa continuit - au moyen dcritures linaires (soit proprement pictographiques, lorsque leurs signes conservent encore un caractre guratif reconnaissable, soit schmatiques - ou linaires dans un sens restreint- lorsquils apparaissent plus abstraits), qui semblent renvoyer un support spci que, soit papyrus ou quelque chose de similaire. Ce qui implique de nouveau le fait de devoir renoncer la connaissance de leurs textes, de leur nombre, de leur caractre et de leur teneur, sauf pour les rares exceptions cites ci-dessus.

    Mais la tradition cuniforme sur tablette en argile t galement sentir son in uence sur le dveloppement des critures locales. La rgion fournit, lors de la seconde moiti du deuxime millnaire, des exemples de lutilisation de la tablette en argile comme support spci que dcritures alphabtiques, qui adoptent par adaptation une forme cuniforme. Pour la plupart, il sagit de tmoignages isols. Mais, au moins un noyau important de la rgion t un usage important dun alphabet cuniforme sur tablette : la ville dOugarit.

    Lcriture alphabtique et ses supports dans le Levant : Ougarit

    En e et, Ougarit, protagoniste de ce congrs et de ce volume, le grand nombre de tablettes dcouvertes en alphabet cuniforme (lalphabet

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    que nous appelons ougaritique 11) peuvent tre considres comme le principal tmoignage, ainsi que le plus ancien, de lutilisation dune criture alphabtique sur un support spci que. Avec cette criture, les scribes locaux crivirent dans leur propre langue une documentation varie dont nous devons lheureuse conservation, naturellement, la destruction et labandon de la ville la n du IIe millnaire av. J.-C. 12, mais, surtout, aux plus grandes possibilits de prservation, dans ces conditions, du matriau argile face, par exemple, au papyrus et dautres matriaux organiques similaires.

    Ougarit est donc le seul exemple conserv de lutilisation grande chelle de lcriture alphabtique dans les villes levantines. Face labsence de groupes documentaires similaires dans dautres agglomrations comme Byblos, Sidon ou Tyr des poques contemporaines ou ultrieures aux archives ougaritiques, lOugarit de la n de lge de Bronze nous permet de connatre (dans la mesure o la ville peut tre reprsentative de toute la rgion) quelles taient les habitudes dcriture chez les Smites nord-occidentaux, lpoque. Elle nous permet de connatre les di rents usages de lcriture dans la Syrie-Palestine qui vit natre lalphabet.

    11. Alphabet ou alphabets, comme le soulignent ceux qui voient dans ces variantes des traditions indpendantes, cf. M. DIETRICH et O. LORETZ, Die Keilalphabete. Die phnizsch-kanaanischen und altarabischen Alphabete in Ugarit, Mnster, 1988; cf. aussi leur synthses Die Keilalphabete aus Ugarit, dans CL. BAURAIN, C. BONNET, V. KRINGS (eds.), Phoinikeia Grammata. Lire et crire en Mditerrane (=Studia Phoenicia VI), Namur, 1991, pp. 49-67, Th e Cuneiform alphabets of Ugarit, UF 21 (1989), pp. 101-112 et, plus rcemment, Th e Ugaritic Script, HUS, pp. 81-89. Cf. une prsentation plus attache la documentation ougaritique et sa varit chez P. BORDREUIL, Les alphabets cuniformes dans le royaume polyglotte dOugarit , dans R. VIERS, (ed.), Des signes pictographiques lalphabet, La comunication crite en Mditerrane, Paris-Niza 2000, pp. 145-158; galement P. BORDREUIL et D. PARDEE, Abcdaire , dans M. YON et D. ARNAUD (eds.), tudes Ougaritiques I. Travaux 1985-1995 (=RSO XIV), Paris, ERC, 2001, pp. 341-348.

    12. Au sujet de larchologie dOugarit, cf. p. ex. M. YON, La cit dOugarit sur le tell de Ras Shamra, Paris, ERC, 1997. Au sujet de la chute du royaume ougaritique, cf. p. ex. M. LIVERANI, La n dOugarit : Quand ? Pourquoi ? Comment ? , dans M. YON, M. SZNYCER, P. BORDREUIL (eds), Le pays dOugarit autour de 1200 av. J.-C. Histoire et Archologie. Actes du Colloque International. Paris 28 juin-1er juillet 1993 (=RSO XI), Paris, ERC, 1995, pp. 113-117. Sur ltat de la question des di rentes tudes ougaritiques, cf. HUS de W. G. E. WATSON et N. WYATT.

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    Dans cette zone syro-palestinienne, comme nous le disions, nous possdons des chantillons occasionnels dcriture sur des supports marginaux. Ougarit aussi, il existe des chantillons : la propre criture alphabtique fut applique sur di rents objets dont le but essentiel ntait pas, en principe, de servir de support un crit. Les tmoignages dOugarit nous permettent non seulement de connatre certaines utilisations de lcriture alphabtique qui rent que celle-ci ft utilise en dehors de son support habituel (inscriptions sur di rents objets, sur certains lments monumentaux); ils nous permettent galement dtablir leurs relations avec les usages rvls par les supports spci ques communs (les tablettes en argile). En extrapolant ces relations dautres milieux de la zone, nous pourrons mieux comprendre la porte de la documentation pigraphique alphabtique disponible et valuer, du moins de faon gnrale, lextension et les utilisations de lalphabet dans les lieux o, comme le signalent di rents tmoignages, nous avons quasiment perdu toute trace de leurs utilisations les plus habituelles 13.

    Lalphabet Ougarit : le support tablette

    Il est plus que probable quune ville comme Ougarit ait eu une utilisation de lcriture alphabtique essentiellement similaire celle des autres villes syro-palestiniennes. Bien sr, des rserves sont possibles. Lutilisation particulire de lcriture dut varier selon lorganisation sociale et conomique particulire de chaque centre et de chaque rgion.

    13. Cf. ce sujet surtout les travaux de A. R. MILLARD, qui a prsent avec plusieurs arguments lappui dans Th e uses of the Early Alphabets, Studia Phoenicia VI, Leuven, 1988, p. 102 lide centrale sur laquelle nous nous basons : the range of texts from Ugarit gives an illustration of what was written with the Canaanite alphabet on papyrus ; cf. galement Th e Ugaritic and Canaanite Alphabets : Some Notes, UF 11 (1979), pp. 613-616; aussi Th e last tablets of Ugarit, RSO XI, Paris, ERC, 1995, pp. 119-124. Cf. aussi les notes suivantes. Sur la drivation de lalphabet cuniforme de lalphabet linaire protocananen , cf. R. R. STIEGLITZ, Th e Ugaritic Cuneiform and the Canaanite Linear alphabets , JNES 30 (1971), pp. 135-139 et ensuite A.G. LUNDIN, Ugaritic Writing and the Origin of the Semitic Consonantal Alphabet, AuOr 5 (1987), pp. 91-99 (cf. infra les travaux successifs de SAAS et DIETRICH LORETZ). Ce nest pas le propos du prsent travail daborder les questions gnrales relatives lextension et lutilisation de lcriture dans la zone, aux rapports entre culture orale et crite, ou au rle des scribes et leur ducation, par exemple; pour ces sujets, nous renvoyons la bibliographie cite.

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    ce niveau, les di rences entre Ougarit et le reste des villes de la cte levantine orientale 14 purent tre apprciables, voire notables dans certains aspects, mais elles nempchent pas une extrapolation densemble aux ns des usages gnraux de linstrument criture, surtout sur le plan pratique. Face au reste des villes levantines, la nouveaut ougaritique correspond prcisment au changement de son support spci que. Bien quil existe des tmoignages extra-ougaritiques de lalphabet cuniforme (et quils ne sont pas tous des exportations), il ne semble pas quils re tent une gnralisation dans la rgion de ce type dcriture, dont on pourrait esprer un plus grand nombre de dcouvertes, dans le cas de son utilisation de faon intense dans dautres agglomrations de la rgion. Il est trs possible que son lieu de naissance et son centre de rayonnement ait t, en e et, la ville dOugarit elle-mme (lors dun processus, dans tous les cas, complexe - et relativement long et ouvert - dans lequel se situent les tmoignages de variantes graphiques, dusage et dapprentissage de lalphabet cuniforme que nous possdons). En tout cas, on ne peut pas carter que de nouvelles dcouvertes fassent

    14. Sur Ougarit et le reste du Levant, cf. p. ex. les intressantes considrations de P. XELLA, Ugarit et les Phniciens. Identit culturelle et rapports historiques , dans M. DIETRICH - O. LORETZ (eds.), Ugarit. Ein ostmediterranes Kulturzentrum im Alten Orient, vol. I. Ugarit und seine altorientalische Umwelt, Mnster, 1995, pp. 239-266.

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    apparatre dautres noyaux dutilisation de lalphabet cuniforme et expliquent ainsi mieux les variantes attestes 15.

    15. Sans doute mettre en rapport avec la varit linguistique de la rgion pendant lge du Bronze Rcent. Sur lutilisation de lcriture cuniforme alphabtique (senso lato) pour des langues autres que lougaritique, cf. p. ex. J. TROPPER, Zur Sprache der Kurzalphabettexte aus Ugarit, dans M. DIETRICH et I. KOTTSIEPER, Und Mose schrieb dieses Lied auf. Studien zum Alten Testament und zum Alten Orient (= Fest. O. Loretz), Mnster, 1998, pp. 733-738; il faut aussi rappeler au moins linscription de Sarafand, cf. E.L. GREENSTEIN, A Phoenician Inscription in Ugaritic Script ?, JANES 8 (1976), pp. 49-57; P. BORDREUIL, Linscription phenicienne de Sarafand en cuniformes alphabtiques , UF 11 (1979), pp. 63-68 (sur linscription en cuniforme alphabtique court trouv aussi Sarafand, cf. E. PUECH, Nouvelle inscription en alphabet cuniforme court Sarepta , RB 96 (1989), pp. 338-344; sur la documentation cuniforme alphabtique non canonique, comme elle a t appele par les diteurs, cf. P. BORDREUIL, Cuniformes alphabtiques non canoniques , Semitica 33 (1983), pp. 7-15). Il faut galement tenir compte des diverses traditions dapprentissage attestes par les squences alphabtiques, p. ex. les tmoignages (ougaritiques et extra-ougaritiques) en cuniforme alphabtique de la squence connue comme sud-smitique ou, mieux, mridionale (par laire o elle a t postrieurement conserve et dveloppe), cf. p. ex. E. PUECH, La tablette cuniforme de Beth Shemesh. Premier tmoin de la squence des lettres du sud-smitique , Studia Phoenicia VI, pp. 33-47 ou B. SASS, Th e Beth Shemesh Tablet and the Early History of the Proto-Canaanite, Cuneiform and South Semitic Alphabets, UF 23 (1991), pp. 315-326; P. BORDREUIL et D. PARDEE, Un abcdaire du type sud-smitique dcouvert en 1988 dans les fouilles archologiques franaises de Ras Shamra-Ougarit , CRAI(BL), 1995, pp. 855-860 (cf. aussi sur son origine : H. HAYAJNEH et J. TROPPER, Die Genese des altsdarabischen Alphabets, UF 29 (1997), pp. 183-198; sur les problmes dintgration historique des nouvelles donnes cf. p. ex. W. RLLIG, Nordsemitisch Sdsemitisch ? Zur Geschichte des Alphabets im 2. Jt. V. Chr., IOS 18 (1998), pp. 79-88, avec rferences). Il faut aussi considrer lventuelle circulation des scribes (avec leurs habitudes et connaissances) entre les centres de la rgion, cf. p. ex. parallles dans P. NEGRI-SCAFA, Scribes locaux et scribes itinrants dans le royaume dArrapha , dans D. CHARPIN et F. JOANNS, F. (eds.), La circulation des biens, des personnes et des ides dans le Proche-Orient ancien, Paris, ERC, 1992, pp. 235-240. Cf. aussi J.-P. VITA, Alfabetos lineal y cuneiforme : relaciones en el II milenio a. C., dans J. FERNNDEZ JURADO et al. (eds.), Actas del III Congreso Espaol de Antiguo Oriente Prximo (= Huelva Arqueolgica 20), Huelva, 2004, pp. 9-40, avec une mise jour de la documentation, des nouveaux problmes et de leurs consquences (cf. spcialement les indications sur la documentation de Kmid el-Lz, o les documents alphabtiques en linaire et cuniforme ont certainement coexist). En tout cas, il ne semble pas, au moins dans la zone que nous connaissons postrieurement comme Phnicie , que lalphabet cuniforme ait eu une utilisation trop intense pendant le Bronze Rcent. La survivance et le triomphe de lalphabet linaire lge du Fer sont plus faciles comprendre si celui-ci tait le systme local le plus commun l o on peroit par la suite la plus grande continuit, cf. infra la note nale de ce travail.

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    Ladoption de la tablette en argile comme support spci que Ougarit obit des causes exactes mal connues, mais elle pourrait trs bien tre lie lentre dOugarit sous la domination et ladministration hittite au XIVe s. av. J.-C. Ougarit, on utilisa ds lors - comme on lutilisait probablement auparavant une moindre chelle- le cuniforme assyro-babylonien et la langue akkadienne avec une grande intensit, pour rpondre alors des ns essentielles pour son intgration dans la sphre hittite. Lutilisation rgulire obligatoire de largile par les scribes dOugarit put donner lieu la cration (ou plutt ladaptation) dune criture alphabtique adquate galement ce matriau (en simpli ant peut-tre la tche des scribes). De toute faon, on ne peut pas carter le fait quil y ait eu tout simplement un choix conscient du matriau argile, en raison de son bas prix ou de sa durabilit : les incendies du palais dOugarit lpoque purent mettre en vidence la convenance dutiliser, galement pour les textes locaux, un support plus durable 16. Il est possible quen tout cas, Ougarit, on ait continu utiliser dautres supports prissables (sur lesquels, dans ce cas, il fallut crire dans la version linaire de lalphabet), quils connaissaient, sans nul doute. Mais la documentation abondante rencontre doit ncessairement rpondre un choix dcid de la tablette en argile comme support spci que de lcriture et de la langue locales au niveau o ciel 17.16. Voir, par ex., lopinion mise par P. XELLA, Tradition orale et rdaction crite au

    Proche-Orient ancien : le cas des textes mythologiques dUgarit, Studia Phoenicia VI, pp. 69-89 selon laquelle le roi Niqmaddu, au XIVe s. av. J.-C., aprs lincendie du palais ougaritique survenue sous son rgne (avec comme rsultat la perte de linformation des archives antrieures) aurait dcid de faire consigner par crit sur des tablettes en argile la littrature ougaritique (rendant ainsi obligatoire le dveloppement dune nouvelle criture approprie la langue et au support). En ce qui concerne ces aspects, voir de nouveau A. R. MILLARD, Studia Phoenicia VI, pp. 101-114 (p. 101, p. ex., lauteur justi e le choix ougaritique de la tablette en argile par la combinaison dun attempt to make the alphabet a regular vehicle for state business, and then the strenght of Babylonian tradition, or perhaps the cost of papyrus ); cf. aussi son travail dans RSO XI, pp. 121ss (quant au moment et au motif de la mise par crit des textes littraires). Au sujet de la date dapparition du cuniforme alphabtique, cf. A.-S. DALIX, uppilulima (II ?) dans un texte alphabtique dUgarit et la date dapparition de lalphabet cuniforme. Nouvelle proposition de datation des Archives Ouest , Semitica 48 (1998), pp. 5-15 et D. PARDEE, RIH 77/27, RIH 77/12, RIH 78/26 et le principe de lcriture cuniforme alphabtique , Syria 79 (2002), pp. 51-64. Sur la situation politique dOugarit dans le contexte syro-palestinien, cf. p. ex. I. SINGER, A Political History of Ugarit, dans HUS, pp. 603-733.

    17. Hors des cercles o ciels, lalphabet linaire could still be used by private citizens , A. R. MILLARD, Studia Phoenicia VI, p. 102.

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    Ce fait, comme nous le disions, nous permet une utilisation relle pour Ougarit, impossible en dehors de ce cas, des concepts avec lesquels nous commencions ce parcours : il nous permet de comparer la documentation alphabtique sur son support spci que avec celle crite sur des supports marginaux conservs. Autrement dit, il nous permet de mettre en rapport la documentation qui tait, un certain moment, le fruit de la pratique normale avec celle, marginale, qui tait lorigine de la documentation qui, dans dautres contextes, correspondrait celle qui est strictement pigraphique.

    La documentation alphabtique ougaritique : supports spcifiques et supports marginaux.

    Nous pouvons faire une rvision, dans ce sens, des dcouvertes alphabtiques ougaritiques qui nous montrera le point de dpart documentaire trouv, pour le moment, dans la ville. Prenons ldition de lensemble des textes en cuniforme alphabtique qui fournit la numrotation de rfrence la plus utilise pour ces textes : CAT (ou KTU 2) 18. Plus loin, nous comparerons les rsultats avec ceux qui sont extraits de lUgaritic Data Bank (UDB) 19. La publication de CAT date dj dune dcennie et, en ralit, ninclut pas tous les textes (mme si certains non publis ou partiellement prsents sont catalogus). Mais le volume total recueilli est, en ralit, amplement reprsentatif de la situation. Dautres rserves, comme nous le verrons, nempcheront pas 18. M. DIETRICH, O. LORETZ, J. SANMARTN, Th e Cuneiform Alphabetic Texts from

    Ugarit, Ras Ibn Hani and Other Places, Mnster 1995 (= seconde dition de : M. DIETRICH, O. LORETZ, J. SANMARTN, Die keilalphabetischen Texte aus Ugarit einschliesslich der keilalphabetischen Texte ausserhalb Ugarits, Neukirchen-Vluyn 1976). Pour une prsentation descriptive des tablettes cuniformes alphabtiques, cf. W.T. PITARD, Th e Alphabetic Ugaritic Tablets, dans HUS, pp. 46-57, notamment p. 47 pour ses estimations numriques. Pour un catalogue de toute lpigraphie dOugarit (dans les diverses langues et critures) dcouvertes jusquau moment de la publication du volume, cf. P. BORDREUIL et D. PARDEE, La trouvaille pigraphique de l Ougarit, 1. Concordance, Paris, ERC, 1989 (= TEO).

    19. Cf. J.-L. CUNCHILLOS, R. CERVIGN, J.-P. VITA, J.-. ZAMORA, J. SIABRA, A. CASTRO, A. LACADENA, Ugaritic Data Bank. Modules I and II, Madrid, 2001 (CD-ROM, di rentes versions). Il existe aussi des ditions lectroniques et sur papier des textes de lUDB, cf. p. ex. J.-L. CUNCHILLOS, J.-P. VITA, J.-. ZAMORA, Th e Texts of the Ugaritic Data-Bank, Piscataway, 2003.

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    non plus quon puisse arriver certaines conclusions, tant donn le propos gnral de ce travail.

    Volume documentaire

    Dans CAT, on recueille, avec une numrotation indpendante, un ensemble de prs de deux milliers de documents. En ralit, certains documents reoivent plus dun numro, comme nous le verrons, mais ce fait naltre pas trop les calculs. Tous les documents nont pas t dcouverts Ougarit : outre ceux qui ont t rcuprs dans le port de la ville, Minet El-Beyda, un groupe important provient des fouilles proches de Ras Ibn Hani, les deux tant, quel quen soit le cas, une partie de la sphre ougaritique. Dautres, toutefois, ont t trouvs hors du royaume, voire loin de celui-ci. Ce sont des exemples de lextension dans la rgion de la combinaison systme alphabtique-support tablette en argile (exemples de lextension des matriaux qui portent cette criture, mais probablement exemples aussi de lextension, quoique limite, de leur utilisation en dehors dOugarit). Comme ce qui nous intresse ici, cest strictement la situation dOugarit, en ce qui concerne les utilisations rgulires dans le royaume, nous nous passerons de ces tmoignages externes, qui sont, dans tous les cas, peu nombreux. CAT recueille galement un texte ougaritique syllabique qui, bien videmment, na pas dintrt dans cette tude de lcriture alphabtique, mais qui est, bien entendu, trs intressant. Il sagit dun exemple de la possibilit de combiner des critures et des langues qui, Ougarit, souvrait aux scribes de langue smitique nord-occidentale (possibilit dont ils ne rent usage, comme nous le savons, que dune faon trs limite, tant donn le lien solide tabli, lors du processus dapprentissage, entre lcriture cuniforme syllabique assyro-babylonienne et la langue akkadienne avec laquelle elle se rpandit). CAT recueille galement quelques textes ou parties de textes, dans lesquels le cuniforme alphabtique est utilis pour crire en langue akkadienne. Ils aboutissent galement

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    ce qui a dj t dit 20, mais ils sont des vrais exemples de lextension de lutilisation de lalphabet et il faut en tenir compte.

    Chaque document de CAT correspond, en principe, une tablette ou un objet inscrit, mme si, comme cest vident, beaucoup des documents sont, en ralit, des fragments dun document original. Des fragments sont galement recueillis, qui ne peuvent pas tre rattachs dune faon sre dautres, bien que beaucoup dentre eux puissent, en ralit, faire partie, par exemple, dune mme tablette (en outre, il faut tenir compte du fait que des fragments illisibles voire certains anpigraphes sont galement catalogus). Autrement dit, le nombre de documents dont nous conservons vraiment un tmoignage peut tre, en ralit, infrieur celui qui est inventori dans CAT. Mais la variation dans les chi res, quoiqua ectant essentiellement le nombre de tablettes, ne va 20. Au sujet du bilinguisme ou du biscripturalisme Ougarit, cf. les travaux de F.

    MALBRAN-LABAT, Akkadien, bilingues et bilinguisme en lam et Ougarit , dans F. BRIQUELCHATONNET (ed.), Mosaque de langues, mosaque culturelle. Le bilinguisme dans le Proche-Orient ancien, Antiquits smitiques I, Paris 1996, pp. 57-59 ou Langues et critures Ougarit , Semitica 49 (1999), pp. 65-101 (cf. aussi dans le premier volume cit, A.-S. DALIX, Exemples de bilinguisme Ougarit. Iloumilkou : la double identit dun scribe , pp. 81-90). Cf. aussi L. MILANO, Osservazioni sul bilinguismo ugaritico-accadico , VO 3 (1980), pp. 179ss ou W. VAN SOLDT, Babylonian Lexical, Religious and Literary Texts and Scribal Education at Ugarit and its Implications for the Alphabetic Literary Texts, dans M. DIETRICH et O. LORETZ (eds.), Ugarit. Ein ostmediterranes Kulturzentrum im Alten Orient. Ergebnisse und Perspektiven der Forschung I (ALASP 7), Mnster, 1995, pp. 171-212. Cf. en gnral, au sujet des textes akkadiens dOugarit et de lducation scribale, la synthse de ce dernier auteur dans HUS, pp. 28-45 (cf. pour toute la zone cananenne p. ex. A. DEMSKY, Th e Education of Canaanite Scribes in the Mesopotamian Cuneiform Tradition, in J. KLEIN et A. SKAIST (eds.), Bar-Ilan Studies in Assyriology dedicated to Pinhas Artzi, Bar-Ilan, 1990, pp. 157-170 ainsi que K. VAN DER TOORN, Cuneiform Documents from Syria-Palestine : Texts, Scribes, and Schools , dans ZDPV 116 (2000), pp. 105-107; pour la tradition babylonienne Ougarit, cf. dj J. NOUGAYROL, Lin uence babylonienne Ugarit daprs les textes en cuniformes classiques , Syria 39 (1962), pp. 28-35 ou D. ARNAUD, La culture sumro-accadienne , SDB 9 (1979), col. 1357ss). Il faut rappeler galement lexistence de textes cuniformes alphabtiques en langue hurrite, cf. par ex., M. DIETRICH et O. LORETZ, Th e Hurrian and Hittite Texts dans HUS, pp. 58-75 (cf. TEO, pp. 414-422) et, au sujet aussi du bilinguisme , de nouveau dans le premier volume cit dans cette note, D, PARDEE., Lougaritique et le hourrite dans les textes rituels de Ras Shamra-Ougarit , pp. 64-65; cf. aussi J. SANMARTN, Sociedades y lenguas en el medio sirio-levantino del II milenio a.C. : Ugarit y lo hurrita dans M. MOLINA, I. MRQUEZ, J. SANMARTN, (ed.), Arbor Scientiae. Estudios del Prximo Oriente Antiguo dedicados a Gregorio del Olmo Lete con ocasin de su 65 aniversario (AuOr 17-18), Sabadell, 2000, pp. 113-123.

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    pas altrer, comme nous le verrons, la relation fondamentale entre les documents sur les supports spci ques et marginaux. Le fait quon ait assign certains documents, fruit de corrections et de replacement, plus dun numro en CAT ne suppose pas non plus une grande altration dans les chi res. Nous nous dplaons toujours un niveau totalement conventionnel, tant donn le volume de tablettes perdues de toute faon et limportance dautres facteurs correcteurs (comme les considrations chronologiques, l rosion di rentielle du matriau, la relation entre les dcouvertes et les milieux fouills, etc.) Aux ns dune premire estimation du total de documents conservs, nous pouvons accepter conventionnement les chi res de CAT 21.

    Types documentaires

    En CAT, les textes sont classs, indpendamment du lieu de leur dcouverte ou dautres critres, par types ou genres. Les catgories ne sont pas exemptes de problmes et sont confrontes des documents dont lassignation nest pas toujours claire (de fait, quelques-uns conservent le numro du chapitre ou section dans lequel ils furent initialement catalogus, quoiquils aient t caractriss di remment par la suite) ou pas toujours univoque (des textes tant rencontrs dans plusieurs sections qui pourraient, leur tour, se trouver dans dautres, en raison de leur caractre gnral ou de celui de lune de leurs parties). Mais ils donnent dj une ide des di rentes utilisations de lcriture alphabtique dans le royaume et ils permettront plus tard dutiliser dautres critres. CAT rassemble neuf groupes de documents (plus un dixime, avec le texte ougaritique en criture syllabique, quon exclut de ce catalogue 22). Une partie importante des documents (529) sont classs 21. CAT catalogue 1947 textes. En excluant les 7 tmoins externes et le texte ougaritique

    syllabique, le total est de 1939, notre chi re gnral de dpart, sans prendre en considration, par ex., lexistence de doublons (ces mmes documents externes dj cits occupent par exemple un numro de catalogue de plus, en comptant la rptition de 8.1=5.24). Prtendre une plus grande exactitude donnerait une fausse ide du propos gnral de cette valuation. Tous les chi res doivent tre pris comme des indicateurs approximatifs.

    22. Nous exclurons aussi de la liste qui suit, comme on la dit, les rares documents dcouverts hors dOugarit, mais sans faire des corrections ultrieures entre les groupes documentaires. On pourra galement consulter la prsentation des textes par genres de W. T. PITARD dans HUS, pp. 51 et ss.

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    comme Unpublished Texts . Mme sil ne convient pas de les traiter avec le reste (en raison dun manque dinformation dtaille, ils seront nanmoins pris en compte 23. En revanche, on dispose dune meilleure information (surtout, comme nous le verrons, quant leurs supports) des Not Classi ed Texts (222) ou les Illegible Tablets and Uninscribed Fragments (33) 24. Le groupe le plus nombreux est constitu par les Economic texts (792) 25, indpendamment de toute correction. Au plan numrique existe un cart important entre les textes conomiques et ceux des autres sections, savoir les Literary and Religious Texts (176) 26, les Letters (83) 27., la section no. 6 Inscriptions on Seals, Labels, Ivories, etc (70) 28 qui nous occupera longuement, et nalement les Scribal Exercices (24) 29 et les Legal Texts (10). La gure no. 1 permet de voir graphiquement la rpartition de cette documentation sur laquelle nous reviendrons avec dautres critres.

    23. CAT caractrise, en tout cas, beaucoup dentre eux de manire gnrale, comme il fait aussi avec quelques-uns des textes illisibles ou non classs, cf. les sections 7, 8 et 9, et leur prsence dans les tables des matires.

    24. CAT recueille 34 documents dans le groupe, mais lun dentre eux (8.1=5.24) est lalphabet de Beth Shemesh dj cit. Dautres, bien que restant dans la section, reoivent un classement gnral ( letter , label ).

    25. Comme nous le disions, un texte de cette section peut tre inclus dans dautres groupes et des textes dautres groupes revtent, en ralit, un caractre conomique, cf., par ex., CAT, pp. 652-653 : economic . Une grande partie de la documentation non publie est galement administrative. Si lon considre les di rents indits recueillis ou pas dans CAT-, le nombre rel de documents conomiques doit atteindre presque un millier.

    26. Plusieurs textes de cette section revtent, en ralit, un autre caractre, et un groupe dentre eux correspond, de surcrot, des modles divinatoires, cf. CAT, p. 659 : liver omens , lung omen . Nous traiterons de ce groupe de faon spci que, cf. infra.

    27. Une autre pourrait se cacher dans dautres paragraphes et un document du groupe 2 semble, en ralit, un exercice de scribe, cf. CAT, p. 655 letter.

    28. Sur les 76 documents catalogus au groupe 6 de CAT, six ont t dcouverts loin dOugarit : 6.1 provient de Wd el-Bre; 6.2 et 6.67 de Kmid el-Lz; 6.68 de Hala Sultan Tekke; 6.70 de Sarafand et 6.71 de Tell Nebi Mend (Qade).

    29. CAT runit 25 documents dans le groupe, mais lun deux (5.24=8.1) est le clbre alphabet de Beth Shemesh. Dautre part, lune des cartes et plusieurs textes de la section 1 sont ou contiennent ce type dexercices, cf. CAT, p. 664 scribal exercise .

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    Les textes cuniformes alphabtiques d'Ougarit(d'aprs les donnes de CAT)

    Literary and Religious Texts

    9%

    Letters4%

    Legal Texts1%Economic texts

    41%

    Scribal Exercices1%

    Not Classified Texts11%

    Illegible Tablets and Uninscribed Fragments

    2%

    Unpublished Texts27%

    Inscriptions on Seals, Labels, Ivories, etc.

    4%

    Fig. 1

    La documentation conserve et la pratique de lcriture Ougarit (reprsentativit des tmoignages)

    Cette estimation tant donc prise de manire gnrale, il convient de se demander jusqu quel point le registre textuel rcupr re te vritablement les utilisations de lcriture dans le royaume. En principe, les dcouvertes nous fournissent la situation documentaire de la ville au terme de son histoire, situation scelle par les niveaux de destruction et inaltre par labandon ultrieur. Mais cette position doit tre mieux value.

    Les facteurs qui conditionnent la recherche (qui, comme nous le disions, se superposent ceux de conservation) ne sont pas, dans ce cas, les plus signi catifs, mme sil convient den tenir compte. Le nombre et le caractre des documents connus rpondent, pour commencer, lactivit archologique dans le Tell de Ras Shamra (et Minet El-Beyda et Ras Ibn Hani), rigoureuse et systmatique. Quoique consacre certainement de faon intense au travail dans les zones darchives palatines et extrapalatines, elle na pas t spcialement axe sur la recherche de tablettes (pas au point de dnaturer par principe les donnes). Dans le cas dOugarit, il est bien plus important de comprendre et dvaluer

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    la perte dinformations gnre entre le moment o la documentation fut produite et le moment o elle fut rcupre (dvaluer par exemple la perte dans les documents sur supports spci ques et la perte dans les documents sur supports marginaux, pour mieux comprendre le degr de reprsentativit des groupes de documentation conserve et laltration des rapports entre eux).

    Les pertes nont pas t seulement le fruit de la dtrioration progressive et homogne des restes au cours du temps. Par exemple, au dbut de ce devenir, au point nal du royaume, il put y avoir dj des pertes documentaires importantes et di rentielles. Mme en considrant que lactivit dans la ville et, par consquent, galement lactivit crite, na pas connu de grands changements dans ses derniers moments, il faut tenir compte de la complexit du processus de chute et dabandon, et des e ets que purent avoir les destructions, les incendies, les pillages et les rcuprations ou roccupations temporaires du tell sur la documentation. Bien quaprs la chute de la capitale, il ne semble pas que les archives aient fait lobjet de pillage 30, elles furent a ectes par contre par les dommages que subirent les endroits o elles taient conserves, comme ils furent a ects aprs son abandon. Les tablettes, quoique durables, sont nanmoins un support fragile. De fait, il faut assumer une perte documentaire importante galement parmi elles dans la destruction et le ondrement de di rentes archives existantes dans la ville et dans lexposition ultrieure aux intempries dune partie dentre elles. Cette perte, comme nous le disions, a pu tre totale pour dautres supports ventuels. Si lalphabet cuniforme sauta aussi dautres matriaux prissables (ou si Ougarit, il y avait galement en usage un alphabet linaire sur de tels matriaux), toute preuve directe a pu se perdre.

    30. la di rence dautres exemples connus, comme celui de la prise de Mari dans un contexte compltement di rent- de la part dHammourabi, cf. p. ex. D. CHARPIN, La n des archives dans le palais de Mari , RA 89 (1995), pp. 29-40; cf. aussi J.-C. MARGUERON, Quelques remarques concernant les archives retrouves dans le palais de Mari , dans K. R. VEENHOF (ed.), Cuneiform Archives and Libraries (Papers read at XXX Rencontre Assyriologique Internationale, Leiden 4-8 July 1983= RAI 30), Leiden 1986, pp. 140-152, sp. 149 (cf. dans le mme volume W. H VAN SOLDT, Th e Palace archives at Ugarit, pp. 196-204, pour une premire prsentation de la situation Ougarit; cf. plus de rfrences dans HUS, chap. 3).

  • 31

    Apparemment, on introduit ainsi un dsquilibre dans le volume du matriel conserv en faveur des inscriptions sur supports marginaux durs (plus durs que largile), mais, en ralit, ceci est galement problmatique. Les objets mtalliques inscrits, par exemple, purent bien faire lobjet de pillage, tant donn leur valeur (de fait, les objets mtalliques inscrits qui ont t conservs proviennent, comme nous le verrons, dun dpt et seule une inscription en cuniforme ougaritique sur un objet en mtal noble a t conserve et fut dcouverte hors dOugarit !) Dautres inscriptions sur des objets de valeur pourraient prsenter des problmes similaires. En revanche, il est moins probable que dhypothtiques monuments ou structures architecturales sur lesquels un texte aurait t grav aient pu tre totalement dtruits ou dplacs, quelle quen soit lcriture (mme sil ne manque pas dexemples qui montrent la perte de potentiels supports monumentaux dcriture, comme nous verrons dans la seconde partie du travail). Les rares exemples dpigraphie monumentale dcouverts Ougarit pourraient bien re ter mme si on considre les pertes le fait que cette pratique tait peu rpandue (rien ne nous porte penser non plus quil ait t fait un usage monumental de lcriture alphabtique peinte, quoique, dans ce cas, la conservation des tmoignages ventuels serait trs problmatique).

    Ceci nous conduit certaines considrations chronologiques. En prenant vritablement ce qui a t dcouvert comme une photo xe de lOugarit du dbut du XIIe sicle av. J.-C., il convient de se demander si les dcouvertes rpondent toutes lactivit crite immdiatement antrieure. Autrement dit, il nest pas clair que tous les documents dcouverts aient t crits de faon plus ou moins contemporaine. En ce qui concerne les textes darchives (et de bibliothque, comme on veut bien les distinguer, avec un critre qui nest toutefois que moderne), nous savons que, par d nition, ils obissent la volont de conserver de tels documents, du moins pendant un certain temps. La documentation ougaritique comprend, de fait, des documents assignables di rents rgnes et les documents les plus anciens des archives renvoient au XIVe sicle av. J.-C. Cependant, il sagit surtout de documentation internationale, en akkadien et syllabique. Parmi la

  • 32

    documentation alphabtique, il faut penser des formes de survivance semblables, surtout au chapitre littro-religieux (le caractre des lettres et des textes lgaux alphabtiques tant plus problmatique), mais di cilement pour les textes conomiques. Une bonne part des dcouvertes alphabtiques ne semblent pas le re et dune accumulation documentaire le long de plusieurs rgnes et de nombreuses annes. Le caractre local des textes conomiques, le fait quils sont consacrs de prfrence ladministration ordinaire, la faible porte de leurs rfrences chronologiques, fait penser des documents labors dans le cours du travail quotidien de fonctionnaires. Il est possible, comme nous savons que cela arrivait dans dautres archives ayant une documentation locale similaire sur argile (y compris non-cuniforme, comme dans le monde mycnien), quune partie de cette documentation ait t dtruite priodiquement, en en conservant, tout au plus, des rsums de lensemble. La plupart des tablettes cuniformes alphabtiques destines ladministration ont d tre crites peu avant la destruction de la ville et seules quelques-unes de celles qui appartiennent dautres genres purent et peut-tre durent- tre crites auparavant. Dautres, comme celles qui prsentent des exercices scolaires, dont le but sachevait gnralement aprs leur criture, doivent correspondre majoritairement aux derniers moments du royaume.

    Au contraire, les tmoignages dcriture, conservs sur des objets varis, purent tre crits juste avant dtre abandonns dans les ruines ou trs longtemps avant, sans que souvent la pice ne permette de mieux xer un cadre chronologique. En outre, certains objets, en raison de leur valeur et de leur lien ou association une famille purent tre conservs pendant plusieurs gnrations. De la mme faon, les inscriptions monumentales purent tre faites juste avant les destructions ou bien avant. Si on avait pris lhabitude den faire depuis fort longtemps, on aurait par accumulation des vestiges de plusieurs dentre elles. Les inscriptions conserves sur des objets et des monuments reprsentent donc la somme des tmoignages de ces utilisations de lcriture au cours dune priode indtermine, mais prsumment longue (ce qui, dans ce cas, en souligne la raret).

  • 33

    En somme, tant donn que nous sommes obligs de nous limiter la documentation conserve, nous pouvons, en tout cas, faire une valuation positive des possibilits de relier le matriel conserv avec les utilisations e ectives de lcriture Ougarit : la pratique habituelle est amplement atteste, en dpit des pertes videntes; certaines utilisations plus exceptionnelles, quoique dmontres de faon problmatique, peuvent tre tudies; et les rapports entre groupes documentaires en nous en tenant ce qui a t dit auparavant, et en ne prtendant pas exagrer les valeurs quantitatives strictes peuvent tre considrs comme signi catifs, au moins comme point de dpart dinterprtations plus qualitatives.

    Les documents ougaritiques sur supports spcifiques

    Ces rserves faites, nous pouvons revenir prsent notre critre initial. La plupart de ces types de documents appartiennent une pratique dcriture rgulire qui utilise, par consquent, des supports habituels, ceux qui sont spci ques pour lcriture utilise. La grande majorit de la documentation locale conserve correspond la pratique administrative et bureaucratique commune qui, dans le fond, pourrait englober, en mme temps les textes conomiques et aussi les registres juridiques et les archives pistolaires (si on ne veut pas considrer ces dernires de manire isole). Un nombre rduit de documents sont des instruments dapprentissage et de consultation des fonctionnaires eux-mmes (et comme ouvrages de consultation, on peut y inclure galement les textes lis la pratique rituelle et mdico-magique), alors que, dautre part, tant dune norme importance pour nous, mais, en ralit, peu nombreux, il y a ce quon appelle les textes littraires. Ce sont tous des textes produits et utiliss dans des milieux lettrs hautement spcialiss, comme on peut le supposer galement pour les textes du reste des grandes villes de la rgion.

    Dans ce sens, en entrant brivement dans le dtail de la typologie des textes sur support spci que, nous pouvons nous imaginer la situation

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    environnante inconnue. Les textes littraires et religieux ougaritiques 31 sont le meilleur exemple de la tradition locale quant au contenu, mme si la coutume de mettre par crit des mythes, des lgendes et des rituels nest pas, bien videmment, une exclusivit dune zone concrte, et elle put tre le fait de tous les cercles scribaux de la rgion. Pourtant, la circonscription de la tradition mythologique et rituelle locale, ncessairement dans sa propre langue, lcriture alphabtique du royaume, est spcialement signi cative. Si dautres centres de la rgion dcidrent de consigner par crit leurs propres traditions et usages, ils durent le faire, la manire ougaritique, sur des supports habituels dcriture, sans nul doute dans leur propre langue et, trs probablement, avec leur propre criture (prsumment un alphabet linaire) 32.

    31. Sur les textes mythologiques et rituels ougaritiques, il existe une trs abondante bibliographie. Cf., avec rfrences, pour les premiers, par. ex. la synthse de J. GIBSON, Th e Ugaritic Literary Texts, dans HUS, pp. 193-202 et, en gnral, tout le chap. 6; pour les seconds, cf. par ex. les prsentations de P. MERLO, et P. XELLA, Th e Ugaritic Cultic Texts : 1 - Th e Rituals et P. XELLA, Th e Ugaritic Cultic Texts : 3 - Th e Omen Texts, galement dans HUS, pp. 287-304 et 353-358 respectivement, et, en gnral, tout le chap. 7 (cf. en tout cas ldition la plus rcente, immdiatement ultrieure : D. PARDEE, Les textes rituels I et II (RSO XII), Paris, ERC, 2000 et Ritual and Cult at Ugarit (Writings from the Ancient World 10, SBL), Atlanta, 2002).

    32. Comme nous le savons, cela continua de se faire par la suite, sans quaugmentent nos tmoignages (par exemple, on na conserv aucun document original de la littrature phnicienne). Au sujet de cette dernire, cf. p. ex. G. GARBINI, Appunti per una storia della letteratura fenicia. Semitica 38 (1990), pp. 133-136; G. GARBINI, La letteratura dei Fenici, dans Atti del II Congresso Internazionale di Studi Fenici e Punici, Roma. 1991, pp. 489-494; M. G. AMADASI, Letteratura, dans M.G..AMADASI, C. BONNET, S. M. CECCHINI, P. XELLA, Dizionario della civilt fenicia (=DCF), Roma 1992, pp. 131 et ss; E. LIPISKI, Littrature , dans E. LIPISKI (ed.), Dictionnaire de la civilisation phnicienne et punique (=DCPP), Turnhout, 1992, pp. 263-264; V. KRINGS, La littrature phnicienne et punique , dans CPPMR, pp. 31-38. Il convient aussi de rappeler le rle formatif (dans lapprentissage de lcriture et, avec lcriture, dans lapprentissage de la langue) du copiage de textes littraires et religieux aux cercles scribales du Proche-Orient; rle qui, dans le cas des textes alphabtiques dOugarit, ntait certainement pas exclusif. Au sujet de limportance des in uences msopotamiennes dans le contenu et le caractre de la littrature et religion ougaritiques, cf. p. ex. M. DIETRICH, Aspects of the Babylonian Impact on Ugaritic Literature and Religion, dans N. WYATT, W.G.E. WATSON, J.B. LLOYD, (eds.), Ugarit, religion and culture. Proceedings of the International Colloquium. Edinburgh, July 1994 (Fs. J. C. L. Gibson=UBL 12), Mnster, 1996, pp. 33-47.

  • 35

    Les lettres en alphabet cuniforme 33 sont le corrlat domestique des lettres internationales en langue franche (lakkadien). Alors qu la chancellerie ougaritique abondent les missives en akkadien et en cuniforme syllabique fonction internationale, ces chantillons de lettres locales (ou fonctionnelles dans un contexte local), ont recours la langue locale (lie son propre alphabet). De la mme manire, la correspondance interne, les rdactions prliminaires et mme les copies des lettres internationales purent galement, dans dautres agglomrations, tre rdiges dans leur propre criture et langue, sur des supports spci ques.

    On peut dire peu prs la mme chose des textes conomiques ou administratifs 34, clairement internes, qui sont abondamment crits dans la langue et lcriture ougaritique. Quoiquil existe aussi des textes conomiques en akkadien et que des expressions en syllabique sont utilises par les scribes ougaritiques mme dans les documents alphabtiques (comme preuve de leur bonne connaissance de la tradition administrative assyro-babylonienne), ils possdent galement des caractristiques originales et, dans leur fonction trs conditionne, les textes administratifs sont de bons reprsentants dun dveloppement documentaire qui leur est propre. Fruit du travail des fonctionnaires du royaume, dautres centres de la rgion durent dvelopper un travail documentaire similaire sur, de nouveau, les supports habituels de lcriture.33. Sur son numro et caractre gnral, cf. J. L. CUNCHILLOS, dans HUS, pp.

    359-374; sur les lettres accadiennes, cf. J. HUEHNERGARD, dans HUS, pp. 375-389. Au sujet des rapports et utilisation des langues akkadienne et ougaritique dans les lettres (et donc sur linterprtation de ces documents), cf. galement les rfrences cites supra, note 19. Cf. aussi p. ex. J. WANSBROUGH, Ugaritic in Chancery Practice, RAI 30, pp. 205-209; A. MILLARD, RSO XI, pp. 119-120. 122; J.-P. VITA, Traduccin y lengua verncula en el Mediterrneo oriental del Bronce Final, dans J.-L. CUNCHILLOS, J.M. GALN, J.- . ZAMORA (eds.), El Mediterrneo en la Antigedad : Oriente y Occidente. Actas del I CEAOP, Madrid, 1998 (CD-ROM) avec bibliographie. La question est importante car si on accepte la circulation normale de lettres dans la langue locale de lexpditeur ou du rcepteur, nous pouvons aussi assumer la circulation de lettres sur dautres supports et critures.

    34. Sur la documentation administrative ougaritique et linformation conomique et sociale, cf. p. ex. M. HELTZER, Th e Economy of Ugarit et J.-P. VITA, Th e Society of Ugarit, dans HUS, pp. 423-454. et pp. 455-498 respectivement. Sur sa varit interne, cf. p. ex. J. SANMARTN, Gneros literarios en la documentacin administrativa de Ugarit, AnFil 17 (1994), pp. 7-23.

  • 36

    Ougarit, les textes juridiques 35 rpondent surtout la consignation par crit dactions lgales (transferts de proprits ou possession) en suivant des schmas de la tradition syllabique, ce qui nest pas du tout tonnant du fait de la forte in uence de la tradition lgale cuniforme dans tout le Proche-Orient. Les rares tmoignages dans la langue et lcriture locales suivent de prs ces schmas et semblent, en fait, des versions ougaritiques (dans la langue et lcriture locales) des documents canoniques. Le choix du support est de nouveau logique, tant spci que de lcriture, et aucune pratique dcriture lie au monde lgal (quoi quil en soit de la nature exacte des textes lgaux en ougaritique) na lieu en dehors de ces supports. La situation, dans dautres centres o la consignation par crit dactions lgales dut tre connue et rpandue (quoique, peut-tre, de diverses faons), impliquerait, en principe, une prfrence, l aussi, pour les supports spci ques, car nous continuons nous dplacer dans des milieux dutilisation de lcriture spcialiss, lis des professionnels et leurs cercles, o lutilisation des instruments spci ques dcriture devait tre majoritaire.

    Les exercices scolaires 36 sont un autre exemple de ces utilisations de lcriture dans le milieu scribal, une fois encore sur le support-type, avec en plus, dans le cas ougaritique, le fait que largile prsentait lavantage dtre abondante et ventuellement rutilisable, une chose trs apprcie pour les supports dapprentissage. Peut-tre dans dautres centres o le support spci que put tre plus cher et non rutilisable (comme cest le cas pour le papyrus), on a pu avoir recours, ces ns denseignement, dautres supports plus pratiques (tels que des tablettes cires) ou plus abondants et meilleur march (tels que des fragments cramiques ou des plaques de pierre) permettant, eux aussi, des critures linaires. Lapparition sur ce type de supports dabcdaires, dexercices possibles et dinscriptions tranges, caractristiques dune main inexperte ou en phase dapprentissage, dans des zones o les critures de type linaire taient utilises, rpond probablement cette ncessit.

    35. Cf. p. ex. I. MRQUEZ ROWE, Th e Legal Texts from Ugarit, dans HUS, pp. 390-422.

    36. Cf. p. ex. bibliographie cite supra, note 19 (avec abondante information sur la formation scribale).

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    Les documents non classs prsents dans CAT doivent appartenir lun des groupes prcdents, car ce sont tous, quel quen soit le cas, des tablettes, des supports spci ques, comme le sont galement les documents illisibles ou anpigraphes. Limmense majorit des textes du paragraphe 9 correspondent des tablettes (un petit groupe sont des ivoires et on cite aussi un objet et un sceau isols), quoique labsence dinformation homogne incite, comme nous le disions, ne pas mlanger les documents de ce groupe avec les autres (mme si ldition rcente de certains dentre eux et les renseignements dj disponibles nous permettront, au moins, den tenir compte dans la deuxime partie de ce travail). Si lon faisait maintenant une estimation simplement quantitative, le total des documents sur support spci que serait de prs dun millier et demi dexemples, un volume apprciable mme avec toutes les rserves mentionnes ci-dessus.

    Les choses tant ainsi, les documents hors tablettes se trouveraient tous essentiellement au paragraphe 6 de CAT : inscriptions sur sceaux, sur tiquettes, sur ivoires Au plus, il sagirait de quelques dizaines dexemples dcriture sur des supports marginaux, face plus dun millier dexemples sur support spci que. tudions donc ce groupe.

    Les documents ougaritiques sur supports marginaux

    CAT catalogue, comme nous le disions, 70 documents (dcouverts Ougarit et non indits au moment de la parution de louvrage 37) dans sa section 6. Dune faon gnrale, nous pourrions les regrouper selon leur support concret (qui, en principe, ne va pas tre un support spci que de lcriture cuniforme) avant de les valuer et de les tudier en dtail.

    37. Comme nous le disions, parmi les Unpublished Texts, un certain nombre dentre eux sont aussi des inscriptions , cf. 9.2, 9.6, 9.102, 9.110, 9.325, 9.344, 9.389-9.402, 9.413, 9.415, 9.426, 9.431.

  • 38

    Les textes sur ivoires (catalogus comme inscription on ivory), une trentaine de pices 38 sont les plus nombreux. Le groupe suivant, plus ou moins la moiti du prcdent, sont des textes sur argile, car CAT inclut dans cette section les textes des tiquettes alphabtiques (comme inscription on label) 39. Le groupe suivant par son volume, de nouveau la moiti en nombre du prcdent, est constitu par les textes sur sceaux, quil sagisse de cylindres-sceaux (inscription on cylinder seal) ou cachets (inscription on stamp seal) 40. Avec eux, il convient de citer quelques empreintes de ce type de sceaux conserves sur argile ([cylinder] seal impression) 41. Un groupe de 5 textes furent dcouverts sur des outils mtalliques (inscription on axe), des herminettes probablement usage liturgique, comme nous le verrons dans la seconde partie du travail 42. Trois documents isols sont recueillis dans cette section comme inscriptions sur des objets ou des rcipients cramiques. Il y a un texte sur un rcipient liturgique votif (inscription on lion head, rhyton, ex voto 43) et deux sur des vases : un texte peint (inscription on Mycenaean pottery, painted) et un autre incis (inscription on handle) 44. (En ralit, et comme nous le verrons aussi, un autre rcipient inscrit est catalogu dans CAT ct des textes littraires et religieux

    38. CAT en runit jusqu 31 dans la section 6 (30 si lon considre une union entre pices) : 6.30+31 (joint), 6.32-60. Un autre groupe rassemble plus dune dizaine de pices, parmi les textes alors non publis : 9.389-9.402. Comme nous le verrons dans la rvision dtaille de la documentation, il existe dj un catalogue et une dition de lensemble des ivoires, cf. J. GACHET et D. PARDEE, Les ivoires inscrits du Palais Royal (fouille 1955) , RSO XIV, Paris, ERC, 2001, pp. 192-230.

    39. CAT en regroupe 16 au total : 6.3-4, 6.11-12, 6.16, 6.18-21, 6.24-29, 6.61.Quelques autres se trouvent dans les groupes 8 et 9 (8.9, 9.102, 9.110, 9.325), cf. CAT, p. 654 label.

    40. CAT en regroupe 8 comme cylindres-sceaux : 6.5, 6.15, 6.17, 6.63, 6.66, 6.72, 6.74, plus 6.69( ?) comme cachet.

    41. CAT rattache cette section 6.23, 6.65, 6.75 et, si on veut, 6.73 (comme possibilit douteuse). Le document 6.23 est lempreinte sur la tablette syllabique RS 16.270 du sceau du roi ougaritique Ammistamru, mimn

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    comme inscription on handle) 45. Deux textes furent gravs sur des stles (inscription on stela 46). En n, un texte fut grav sur un poids (inscription on weight 47).

    Il convient de faire, de nouveau, quelques nuances sur ce catalogue. Dune part, il faut rappeler que quelques autres documents, recueillis par CAT hors de la section 6, pourraient tre galement considrs comme des exemples dcriture hors de leur support spci que. Nous y reviendrons, aussi bien sur les cas isols dj cits, qui altrent peu lensemble, que sur le cas bien plus particulier des textes sur des modles de foies et de poumons.

    Il faut signaler, dautre part, quen ralit, les 15 documents sur tiquette catalogus dans la section 6 par CAT correspondent de nouveau des textes sur argile, lis au domaine scribal. Ces petites pices dargile, tronconiques ou (semi-)cylindriques sont considres habituellement comme des instruments de contrle documentaire (lis des documents, dautres tablettes ou leurs botes, paniers ou sacs) ou de contrle administratif (lis des paquets ou des rcipients) 48. Cette division nest pas, en ralit, aussi claire (comme nous ltudierons dans dautres travaux 49). De toute faon, il est clair quils utilisent le matriau spci que de lcriture, largile habituelle des scribes cuniformes, et que leur prparation pour recevoir des sceaux ou des textes en fait galement un support spci que. En tenant compte, comme nous le faisions auparavant, de la situation hypothtique dans dautres villes de la rgion, les tiquettes nous obligent penser des procds quivalents. Dans des milieux o on utilisait de prfrence le papyrus, on put utiliser des cretulae ou bullae (petits morceaux crass dargile qui fermaient les 45. Il sagit de 1.77, considr comme votive text, dedication.46. Il sagit de 6.13 et 6.14.47. Il sagit de 6.22.48. Cf. surtout W. H. VAN SOLDT, Labels from Ugarit, UF 21 (1989), pp. 375-388;

    cf. C. F.-A. SCHAEFFER, tiquettes , PRU II, p. XL. Cependant, cf. les considrations (antrieures ltude de VAN SOLDT) de P. BORDREUIL et al., CRAI(BL), 1984, pp. 417-418.

    49. Cf. prsent J.-. ZAMORA, Uso documental y funcionamiento administrativo en Ugarit : La Casa de las grandes vasijas, dans Fs. P. Matthiae (Isimu VII), Madrid, 2006, pp. 203-221.

  • 40

    rouleaux, comme il y en a le tmoignage plus tard 50) quoiquil convient de rappeler quil ny eut aucune raison de les raliser l exclusivement en argile (la cire put tre aussi, par exemple, un matriau commun dans les scriptoria des utilisateurs du linaire o ils ont pu utiliser aussi, par exemple, des tablettes en bois cires). Il convient de rappeler, en outre, qu des ns dorganisation, lapposition dun sceau ntait pas toujours ncessaire (par exemple, les tiquettes ougaritiques pouvaient comporter ou non un sceau), le contenu des tiquettes et des colophons pouvant tre directement crit sur la documentation stocke ou sur ses conteneurs. Les systmes de contrle au moyen dtiquettes, que ce soit un contrle documentaire ou un contrle administratif, purent avoir des quivalents dans les domaines dutilisation de lalphabet linaire quelque peu di rents de ceux que nous connaissons Ougarit, avec lutilisation supplmentaire dautres matriaux et pratiques non vri ables ou di cilement dmontrables archologiquement.

    Paralllement, les rares empreintes de sceaux alphabtiques connues se trouvent sur des tablettes en argile (autrement dit sur des documents habituels, sur des supports spci ques de lcriture) ou sur des bullae (le type dauxiliaire documentaire que nous venons de voir 51), aussi ne peut-on les considrer non plus, en ralit, propres aux supports marginaux. Lquivalent documentaire dans des lieux ayant une

    50. En dpit du peu dattention prte archologiquement jusqu il y a peu longtemps lapparition possible de ces lments, les tmoignages commencent tre nombreux (favoriss par quelques cas de dcouvertes concentres, qui font penser des archives). Cf., par ex., pour le monde phnicien et punique, E. GUBEL, Cinq bulles indites des archives tyriennes de lpoque achmnide , Semitica 47 (1997), pp. 53-64; P. BORDREUIL, Quelques inscriptions phniciennes du Levant rcemment dcouvertes , National Museum News 9 (1999), p. 39; D. BERGES, Los sellos de arcilla del archivo del templo cartagins, dans M. VEGAS, Cartago fenicio-punica. Las excavaciones alemanas en Cartago, 1975-1997 (Cuadernos de Arqueologa Mediterrnea 4), Barcelona, 2002 (Cuadernos de Arqueologa Mediterrnea 4), Barcelona, 1999, pp. 111-132 (cf. n. 4); T. REDISSI, tude des empreintes de sceaux de Carthage , dans F. RAKOB, (ed.), Die deutschen Ausgrabungen in Karthago III, Mainz, 1999, sp. p. 4. Cf. dj A. M. BISI, Un cas trs rare demploi de cretulae dans le milieu phnicien dOccident , RAI 30, p. 287.

    51. Ougarit, les bulles (ou mme les tiquettes) ont pu sutiliser pour accompagner des textes sur supports prissables (et perdus videmment) ou attaches dventuels rcipients (peut-tre par ex. des sachets galement perdus) qui contenaient des textes sur tablettes en argile cf. dj sur cette dernire hypothse, P. BORDREUIL et al., CRAI(BL), 1984, pp. 417-418.

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    prfrence pour les supports spci ques prissables pose des problmes identiques ou semblables ceux mentionns ci-dessus. Sur des matriaux prissables du type papyrus, les sceaux nauraient pas pu laisser leur empreinte incis (et le papyrus lui-mme ne prsente pas une bonne surface pour y apposer facilement un sceau lencre, mme si ctait possible). Daprs ce que nous savons, lutilisation de bulles ou de cretulae surmontait cet inconvnient, avec le problme cit auparavant : nulle trace de celles qui ont t ralises avec des matriaux prissables, une faible conservation et une moindre dcouverte de celles faites en argile (une plus grande attention ce type de restes pourrait peut-tre fournir lavenir de meilleurs tmoignages darchives levantins sur un support prissable, galement pour le IIe millnaire av. J.-C.). En tout cas, comme nous le verrons dans la deuxime partie de ce travail, cette incorporation de lalphabet dans le monde sigillaire va tre lune des voies de dveloppement de lpigraphie alphabtique.

    Le reste de la documentation expose auparavant va servir galement, en e et, valuer les origines et les premiers dveloppements de lpigraphie alphabtique. E ectivement, si nous excluons lpigraphie ougaritique conserve sur son support spci que (la tablette et ses auxiliaires), le reste des documents alphabtiques dOugarit sont ceux qui correspondent exactement ce qui, dans dautres zones (et dans toute la rgion, lors de la priode qui suit immdiatement 52) constituera proprement parler la documentation pigraphique.

    52. Pour les tmoignages isols de documentation cuniforme sur tablette en argile dans le Levant lors du Ier millnaire, cf. nouveau aussi K. VAN DER TOORN, Cuneiform Documents from Syria-Palestine : Texts, Scribes, and Schools , dans ZDPV 116 (2000), pp. 97-113. Pour un exemple de tablette en argile inscrite avec lalphabet linaire, cf. p. ex. P. BORDREUIL, Une tablette aramenne indite de 635 av. J.-C. , Semitica 23 (1973), pp. 95-102. Pour quelques parallles de coexistence de documentation sur supports divers, cf. p. ex. la Msopotamie dpoque tardive : A. INVERNIZZI, Th ey Did Not Write on Clay : Non-Cuneiform Documents and Archives in Seleucid Mesopotamia, dans M. BROSIUS, Ancient Archives and Archival Traditions : Concepts of Record-Keeping in the Ancient World (Oxford Studies in Ancient Documents), Oxford, 2003, pp. 302-322 (cf. aussi dans le mme volume J. OELSNER, Cuneiform Archives in Hellenistic Babylonia : Aspects of Content and Form, pp. 284-301).

  • 42

    Les inscriptions alphabtiques Ougarit et lcriture alphabtique dans le Levant

    Relions cette rmanence documentaire pigraphique restreinte (les textes sur des supports marginaux) lensemble de la documentation slectionne (notamment aux textes sur des supports spci ques). En cette occasion, commenons par lvaluation simplement quantitative (ne serait-ce, comme nous le disions, quen termes trs gnraux). Sur les prs dun millier et demi de documents, que nous avons envisags, seule une cinquantaine environ utilise, proprement parler, un support marginal de lcriture. Le pourcentage de documents (cf. g. 2) est donc trs rduit.

    La documentation alfabtique d'Ougariten tablettes et en dehors des tablettes

    (d'aprs les donnes de CAT)

    Scribal Exercices2%

    Texts on Labels; seal impressions

    1%

    Economic texts56%

    Legal Texts1%

    Letters6%

    Literary and Religious Texts

    12%Illegible Tablets and Uninscribed Fragments

    2%

    Not Classified Texts16%

    Inscriptions4%

    (3.6%)

    Fig. 2

    Si nous considrons linformation disponible sur les indits, le pourcentage varie peu. Si nous considrons, prsent, limportance quantitative du contenu des textes (en envisageant par exemple le nombre de mots ou de graphmes attests, plutt qu'uniquement le nombre de documents), les chi res chutent pour devenir inapprciables, tant donn la concision gnrale des textes inscrits hors tablette (face, par exemple, la plupart des tablettes littraires, remplies de longues tirades en vers, sur plusieurs colonnes, ou aux documents administratifs plus grands, qui recueillent des listes pleines danthroponymes ou de

  • 43

    toponymes). Limmense majorit de lactivit crite (alphabtique, mais en ralit, galement la non-alphabtique) a lieu, Ougarit, sur son support spci que.

    Si nous prenons les donnes du catalogue informatis des textes Ugaritic Data Bank 53, le panorama qui en rsulte est trs similaire 54. LUDB ninclut pas de documentation indite ni anpigraphe; il distingue, en revanche, quelques groupes de documents dans di rentes catgories (par ex., il distingue les textes mythiques des piques ou rituels; il ajoute, de plus, les vocabulaires ou les listes lexicales qui comprennent du vocabulaire ougaritique). Cependant, en procdant dune manire quivalente ce qui a t ralis avec CAT, le rsultat est pratiquement identique, mme si on considre dans le calcul les documents externes Ougarit, les tiquettes ou les empreintes sigillaires spares (cf. g. 3). Seule une trs petite partie de la documentation correspond des utilisations dcriture en dehors de son support spci que.

    La documentation alfabtique d'Ougariten tablettes et en dehors des tablettes

    (d'aprs les donnes de UDB)

    Textos administrativos

    58%Fragmentos varios (de tablillas)

    17%

    Inscripciones4%

    (3.8%)

    Etiquetas, improntas1%

    Textos hipitricos0%

    Textos rituales6%

    Correspondencia6%

    Ejercicios escolares2%

    Textos jurdicos1%

    Vocabularios0%

    Mtica4%

    pica1%

    Fig. 3

    53. Cf. bibliographie cite supra, note 18.54. Ne varient pas trop non plus avec les donnes de GSRC : J.L CUNCHILLOS, R.

    CERVIGN, J.-P. VITA, J. GALN, J.-.ZAMORA, Generador de Segmentaciones, Restituciones y Concordancias (GSRC) (CD-ROM), Madrid, 1996, sur lesquelles nous avons fait une premire estimation, dautres ns, dans J.-.ZAMORA, Los textos invisibles : la documentacin fenicia y la introduccin de la escritura en la Pennsula Ibrica, Huelva Arqueolgica 20, pp. 299-318.

  • 44

    Si, Ougarit, on avait crit sur papyrus, seul ce pourcentage minime de lusage dcrire total serait parvenu jusqu nous. Si, comme nous le croyons, il en fut ainsi dans le reste des villes levantines, cette situation documentaire correspondrait et expliquerait bien le manque dpigraphie alphabtique dans la zone, avant le Ier millnaire av. J.-C. Les tmoignages conservs et le dveloppement gnral des critures alphabtiques sur la cte levantine orientale nous oblige penser une utilisation de ces critures alphabtiques au cours de la n de lge de Bronze beaucoup plus rpandue que ce que montre les rares tmoignages 55. Si Ougarit est reprsentative de la situation syro-palestinienne, il dut y avoir, en e et, une utilisation importante dcritures locales et dans la langue locale des ns, pour le moins, locales dans, au minimum, les agglomrations les plus importantes de la rgion. Lattachement du reste de la rgion ctire (qui continua dtre proche de la sphre gyptienne) des supports prissables et, par consquent, des alphabets linaires, explique la possibilit inexistante de tmoigner de cet usage rpandu dcrire, que nous ne pouvons valuer quau moyen de procdures indirectes comme celle que nous proposons ici. Nous devons nous contenter, avec la partie que nous avons pu dcouvrir et identi er, de la partie qui a pu tre conserve, de la faible production crite levantine sur des supports di rents du support spci que.

    Plus encore : la situation se prolongera pour une bonne part des poques ultrieures, avec la disparition d nitive du cuniforme alphabtique et la survivance, lie au succs du papyrus comme support spci que dans la rgion, du dveloppement de lalphabet linaire que nous appelons phnicien. Lpigraphie alphabtique du Ier millnaire av. J.-C. sera, par consquent, lie aux mmes problmes documentaires cits, aussi bien dans le Levant 56 que dans les di rents endroits o les syro-levantins

    55. Une ide qui tt sest avre vidente (cf. dj C. F.-A. SCHAEFFER, Th e Cuneiform Texts of Ras Shamra Ugarit (Schweich Lectures 1936), London, 1939, p. 36), mais qui a ncessairement tard tre formule de manire concrte, en intgrant les nouvelles dcouvertes. Cf. A. R. MILLARD, Th e Ugaritic and Canaanite Alphabets - Some Notes , UF 11 (1979), p. 616.

    56. Cf. encore A. R. MILLARD, Studia Phoenicia VI, pp. 110, 112, par exemple. Cf. aussi RSO XI, sp. pp. 123-124.

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    habitrent 57. Lessor de lpigraphie alphabtique va correspondre, en consquence, lextension de la production crite mais, surtout, au dveloppement de nouvelles utilisations de lcriture, qui vont la rendre plus habituelle sur des supports initialement marginaux. Les tmoignages ougaritiques vont nous permettre galement dtudier ces dveloppements leur origine (tude qui sera le sujet de la deuxime partie de ce travail 58).

    Premires conclusions : les tmoignages dOugarit et les origines des inscriptions alphabtiques

    Dune manire gnrale, nous pouvons donc dire, de faon documente, que dans lOugarit de la n du IIe millnaire av. J.-C., seule une partie minime de ce qui fut crit passa un support marginal, en dpit de la connaissance profonde dans la rgion des traditions gyptiennes et msopotamiennes ce sujet. La nouvelle criture locale eut un succs vident dans la pratique scribale commune, mais son extension un autre type dutilisations est trs limite. Lhabitude dincorporer lcriture alphabtique, de faon occasionnelle ou rgulire, des objets ou des structures existe dj (comme il ne pouvait pas en tre autrement dans un lieu et un moment dune si grande activit crite), mais elle sest dveloppe peine malgr tout. Une valuation plus qualitative que quantitative du matriau (qui constituera la seconde partie de ce travail) permettra dapprcier quels taient, Ougarit, ces dveloppements primitifs, cette premire extension de lcriture alphabtique hors de ses supports spci ques. En attendant, il est dj ais dapprcier

    57. Comme dans les petites cits phniciennes doutre-mer, o labsence dpigraphie a t interprte parfois comme une absence dcriture voire comme une absence de p