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Espérance Médicale Avril 2014 • Tome 21 N° 200 112 LES TROUBLES DE LA POSTURE ET DE L’éQUILIBRE APRèS AVC Evaluation et rééducation M. Fourtassi* (1) , A. Boumahraz** (2) , M. Lemsiah*** (2) ; M. Merabti** (2) , A. Hajjioui* (2;3) *Professeur assistant en Médecine Physique et de Réadaptation, **kinésithérapeute, ***Psychomotricien (1) Faculté de médecine et de pharmacie. Université Mohammed Premier. Oujda. (2) Service de Médecine Physique et de Réadaptation, CHU Hassan II Fès. (3) Laboratoire des neurosciences cliniques. Faculté de Médecine et de Pharmacie. Université Sidi Mohammed Benabdallah. Fès BASES PHYSIOLOGIQUES ET PHYSIOPATHOLOGIQUES Le contrôle postural est basé sur l’intrication de 3 principaux éléments : les afférences sensorielles apportant l’information sur la position du corps dans l’espace, les effecteurs muscu- laires agissant selon des règles biomécaniques pour mainte- nir la stabilité en position debout et l’équilibre en mouve- ment et la représentation cérébrale du sens de la verticalité. La compréhension des bases fondamentales de ces systèmes permettrait de justifier, dans la pratique quotidienne, le choix des techniques d’évaluation et de traitement. AFFéRENCES SENSORIELLES Le cerveau est continuellement informé sur la position du corps et de ses différents segments dans l’espace par 3 moda- lités sensorielles : les afférences somato-sensorielles véhicu- lant la sensibilité tactile issue des récepteurs cutanés (exemple : dureté et fermeté d’un support au contact du pied) et la sensibilité proprioceptive issue des récepteurs musculaires et articulaires (exemples : état de contraction ou de relâchement d’un muscle, degré de déplacement d’une articulation); les afférences vestibulaires issues des récep- teurs de l’oreille interne (position de la tête et son accéléra- tion linéaire) et les afférences visuelles détectant les dépla- cements du corps par rapport à l’environnement. Les informations issues de ces 3 sources subissent une inté- gration multimodale au niveau du cerveau qui favorise une ou deux sources par rapport à la troisième en fonction des conditions. Par exemple, dans les conditions habituelles, quand on se tient debout sur une surface solide et stable, le cerveau favorise les informations somato-sensorielles (70%) aux vestibulaires (20%) et visuelles (10%). Si la surface d’appui est instable, les informations vestibu- laires et visuelles sont plus fiables et deviennent prioritaires. La capacité de choisir et de compter sur l'entrée sensorielle appropriée pour chaque condition est appelée “pondération sensorielle”. Cette pondération sensorielle est également importante dans les situations de conflit sensoriel qui se pro- duit fréquemment dans la vie quotidienne, par exemple lors- qu’on se tient debout à côté d'un bus en mouvement. Dans cette situation, le système visuel rapporte un mouvement rela- tif du corps par rapport au bus ce qui contraste avec les infor- mations rapportées par les systèmes somato-sensoriel et vesti- bulaire. Le cerveau doit donc rejeter les informations visuelles au profit des autres sources d’information plus fiables dans cette condition. Des troubles de l’équilibre peuvent résulter d’une atteinte primaire de l’une de ces modalités sensorielles. En effet, l’hy- poesthésie proprioceptive au niveau des chevilles est positi- vement corrélée aux troubles de l’équilibre après AVC. Pour pallier à ce déficit, les patients développent une dépendance plus importante des autres sources d’information et notam- ment du système visuel. Cette compensation peut être utile mais devient vite handi- capante, surtout dans des situations fragilisantes telles l’obs- curité ou les situations de conflit sensoriel. D’autre part, et même en l’absence de déficit sensoriel primaire, la capacité d’analyser, de comparer et de choisir la modalité sensorielle la plus pertinente peut être altérée en cas d’AVC, ce qui peut entrainer des erreurs de jugement. En effet, en incapacité de pondération sensorielle, le cerveau peut donner raison aux informations visuelles même inexactes et agir en conséquen- ce ce qui aggrave les troubles de l’équilibre. La posture correspond à la disposition relative des différents segments corporels dans l’espace formant une position d’en- semble stable. Le rôle de la fonction posturale est de maintenir la station debout malgré la gravité et de maintenir l’équilibre lors du mouvement. Ainsi, tout mouvement doit s’accompagner de réactions dites “d’ajustement postural” afin d’assurer les appuis et de maintenir l’équilibre de l’ensemble du corps. Le contrôle postural met en jeu des mécanismes complexes et très développés chez l’Homme en raison de l’instabilité intrin- sèque de la position bipodale qui est le point de départ de la marche. Au cours de cette position érigée, les réactions posturales ou de rééquilibration sont presque continuelles s’opposant à la tendance naturelle à la chute. En cas d’AVC, les systèmes physiologiques impliqués dans le contrôle postural se trouvent perturbés d’où la fréquence des troubles de l’équilibre, majorant le handicap des patients et augmentant le risque de chute déjà élevé dans cette population d’âge avancé. Dans cet article, nous allons exposer les principales causes de ces troubles, leurs manifestations, leur évaluation et les spécificités de leur prise en charge thérapeutique en Médecine Physique et de Réadaptation. Dossier 2 ème partie MéDECINE PHYSIQUE ET DE RéADAPTATION Dossier AVC 2ème partie OK_L'infliximab 07/04/14 15:20 Page112

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Espérance Médicale • Avril 2014 • Tome 21 • N° 200112

les tRoubles de lA PostuReet de l’équilibRe APRès Avcevaluation et rééducationm. Fourtassi*(1), A. boumahraz**(2), m. lemsiah***(2); m. merabti**(2), A. hajjioui*(2;3)

*Professeur assistant en Médecine Physique et de Réadaptation, **kinésithérapeute, ***Psychomotricien (1) Faculté de médecine et de pharmacie. Université Mohammed Premier. Oujda.(2) Service de Médecine Physique et de Réadaptation, CHU Hassan II Fès.(3) Laboratoire des neurosciences cliniques. Faculté de Médecine et de Pharmacie. Université Sidi Mohammed Benabdallah. Fès

bAses PhysioloGiqueset PhysioPAtholoGiques

Le contrôle postural est basé sur l’intrication de 3 principauxéléments : les afférences sensorielles apportant l’informationsur la position du corps dans l’espace, les effecteurs muscu-laires agissant selon des règles biomécaniques pour mainte-nir la stabilité en position debout et l’équilibre en mouve-ment et la représentation cérébrale du sens de la verticalité.La compréhension des bases fondamentales de ces systèmespermettrait de justifier, dans la pratique quotidienne, le choixdes techniques d’évaluation et de traitement.

AFFéRences sensoRiellesLe cerveau est continuellement informé sur la position ducorps et de ses différents segments dans l’espace par 3 moda-lités sensorielles : les afférences somato-sensorielles véhicu-lant la sensibilité tactile issue des récepteurs cutanés(exemple : dureté et fermeté d’un support au contact dupied) et la sensibilité proprioceptive issue des récepteursmusculaires et articulaires (exemples : état de contraction oude relâchement d’un muscle, degré de déplacement d’unearticulation); les afférences vestibulaires issues des récep-teurs de l’oreille interne (position de la tête et son accéléra-tion linéaire) et les afférences visuelles détectant les dépla-cements du corps par rapport à l’environnement. Les informations issues de ces 3 sources subissent une inté-gration multimodale au niveau du cerveau qui favorise uneou deux sources par rapport à la troisième en fonction desconditions. Par exemple, dans les conditions habituelles,quand on se tient debout sur une surface solide et stable, lecerveau favorise les informations somato-sensorielles (70%)aux vestibulaires (20%) et visuelles (10%).

Si la surface d’appui est instable, les informations vestibu-laires et visuelles sont plus fiables et deviennent prioritaires.La capacité de choisir et de compter sur l'entrée sensorielleappropriée pour chaque condition est appelée “pondérationsensorielle”. Cette pondération sensorielle est égalementimportante dans les situations de conflit sensoriel qui se pro-duit fréquemment dans la vie quotidienne, par exemple lors-qu’on se tient debout à côté d'un bus en mouvement. Danscette situation, le système visuel rapporte un mouvement rela-tif du corps par rapport au bus ce qui contraste avec les infor-mations rapportées par les systèmes somato-sensoriel et vesti-bulaire. Le cerveau doit donc rejeter les informations visuellesau profit des autres sources d’information plus fiables danscette condition.Des troubles de l’équilibre peuvent résulter d’une atteinteprimaire de l’une de ces modalités sensorielles. En effet, l’hy-poesthésie proprioceptive au niveau des chevilles est positi-vement corrélée aux troubles de l’équilibre après AVC. Pourpallier à ce déficit, les patients développent une dépendanceplus importante des autres sources d’information et notam-ment du système visuel. Cette compensation peut être utile mais devient vite handi-capante, surtout dans des situations fragilisantes telles l’obs-curité ou les situations de conflit sensoriel. D’autre part, etmême en l’absence de déficit sensoriel primaire, la capacitéd’analyser, de comparer et de choisir la modalité sensoriellela plus pertinente peut être altérée en cas d’AVC, ce qui peutentrainer des erreurs de jugement. En effet, en incapacité depondération sensorielle, le cerveau peut donner raison auxinformations visuelles même inexactes et agir en conséquen-ce ce qui aggrave les troubles de l’équilibre.

la posture correspond à la disposition relative des différents segments corporels dans l’espace formant une position d’en-semble stable. le rôle de la fonction posturale est de maintenir la station debout malgré la gravité et de maintenir l’équilibrelors du mouvement. Ainsi, tout mouvement doit s’accompagner de réactions dites “d’ajustement postural” afin d’assurer lesappuis et de maintenir l’équilibre de l’ensemble du corps. le contrôle postural met en jeu des mécanismes complexes et très développés chez l’homme en raison de l’instabilité intrin-sèque de la position bipodale qui est le point de départ de la marche. Au cours de cette position érigée, les réactions posturalesou de rééquilibration sont presque continuelles s’opposant à la tendance naturelle à la chute. en cas d’Avc, les systèmes physiologiques impliqués dans le contrôle postural se trouvent perturbés d’où la fréquence destroubles de l’équilibre, majorant le handicap des patients et augmentant le risque de chute déjà élevé dans cette populationd’âge avancé. dans cet article, nous allons exposer les principales causes de ces troubles, leurs manifestations, leur évaluationet les spécificités de leur prise en charge thérapeutique en médecine Physique et de Réadaptation.

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contRAintes biomécAniquesLa stabilité posturale peutêtre expliquée par la capaci-té à maintenir la projectiondu centre de gravité (CG) àl’intérieur des limites dupolygone de sustentation(PS) défini comme la zone àl'intérieur d'un contour déli-mité par tous les points decontact avec le sol. Le PScorrespond ainsi à l’em-preinte de la surface desdeux pieds plus la surfaceinterpodale en appui bipo-dal ou à l’empreinte de lasurface d’un seul pied enappui monopodal (Fig. 1).Chez le sujet sain en posi-tion debout, le CG est géné-ralement situé en avant dela 3ème vertèbre lombaire etse projette en bas au milieudu polygone de sustentation(Fig.2). Cependant, il ne fautpas perdre de vue que lorsqu’on déplace un bras ou une jambe,on déplace le CG, ce qui nécessité des adaptations posturalespour maintenir la stabilité; autrement dit, pour maintenir laprojection du CG dans le PS qui est constamment modifié selonles activités de l’individu. Ces adaptations posturales corres-pondent à des contractions musculaires s’opposant à l’actionde la gravité. La musculature “antigravitaire” est composéeessentiellement des extenseurs permettant la poussée contrele sol par l’allongement des membres inférieurs ainsi que ledéroulement de la colonne vers la verticale (auto-agrandisse-ment) et l’ouverture des ceintures. en cas d’hémiplégie, la surface d’appui est trop réduite dufait de l’appui incomplet du membre parétique (par faiblessemusculaire, spasticité, limitation articulaire ou douleur) ce qui

rend la stabilité de la position debout dérisoire, d’où l’intérêtd’usage de canne pour augmenter la surface d’appui. D’autrepart, le CG est souvent projeté en avant du fait du déséqui-libre antéropostérieur des muscles du membre inférieurparétique et de la déformation du pied en équin, favorisantainsi une projection antérieur du corps. Par ailleurs, le déficitde commande de l’ensemble des muscles atteints, et notam-ment ceux du tronc, a une influence négative sur le contrôlepostural.

PeRcePtion de lA veRticAlitéLe contrôle postural se base sur la bonne orientation du corpsdans l’espace. Les sujets sains sont capables d’identifier laposition verticale de leur corps (même yeux fermés) avec uneprécision de l’ordre de 0,5°. Cette verticalité posturale peut être perturbée après AVC etnotamment chez les sujets ayant une lésion du noyau posté-ro-latéral du thalamus. Assis sur une chaise inclinable, lesyeux fermés, ces patients indiquent que leur corps est orien-té “vertical” lorsqu’il est incliné du coté de la lésion cérébraled’environ 18°, ce qui indique une perturbation de la vertica-lité proprioceptive alors que la verticalité visuelle semblepréservée. Ce défaut de perception de la verticalité peut être à l’originede certains troubles de la posture et de l’équilibre après AVCet constitue notamment la principale explication du “Pushingsyndrome” pendant lequel les sujets poussent vers le côtéparétique dans un objectif paradoxal de se redresser.

l’évAluAtion des tRoubles de l’équilibReLe patient souffrant d’un AVC peut avoir une combinaison deplusieurs anomalies posturales d’où l’intérêt d’une évalua-tion minutieuse faisant appel à des tests cliniques, faciles àréaliser même en consultation mais qui restent subjectifs, età des tests instrumentaux fournissant des informations plusobjectives et quantifiables, mais nécessitant des techniquesélaborées et une formation spécifique de l’examinateur.

LES TROUBLES DE LA POSTURE ET DE L’éQUILIBRE APRèS AVC

Fig. 1 : La surface hachurée représente le polygone de sustentation en situation d’appui bipodal (a), d’appui monopodal (b) et d’appui bipodal avec canne (c)

Fig. 2 : Projection du CG dans le poly-gone de sustentation

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LES TROUBLES DE LA POSTURE ET DE L’éQUILIBRE APRèS AVC médecine Physique

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l’évAluAtion clinique

• l’évaluation des troubles de l’équilibre passe d’abord parl’examen neurologique complet du patient hémiplégique enrelevant tout déficit pouvant entrainer ou aggraver un troublede l’équilibre (déficit sensitif tactile et/ou proprioceptif, déficitmoteur, spasticité avec ou sans retentissement orthopédique,réduction de l’acuité et/ou du champ visuel, atteinte vestibulai-re, syndrome cérébelleux, négligence spatiale…).

• l’évaluation spécifique de la fonction posturale faitappel à deux types de tests :

- les tests statiques visent à évaluer la capacité à maintenir leCG dans le PS en positon stable. Il s’agit de tests simples pou-vant être réalisés au lit du patient. On peut évaluer, selonl’état du patient, la capacité de contrôle du tronc en positionassise, la capacité de se tenir debout sur les deux pieds (appuibipodal) ou sur un seul pied (appui monopodal). Il est toujours intéressant de chronométrer la performance dupatient afin de suivre l’évolution de la récupération. Lors de cestests, on peut évaluer le degré d’implication des différentesmodalités sensorielles par la fermeture des yeux et par la modi-fication de la surface d’appui (appui sur sol dur/ mousse).

- les tests dynamiques quant à eux, évaluent l'équilibre enréponse à des perturbations internes (mouvement volontai-re) ou externes (mouvements déstabilisants). Le FRT “Func-tional Reach Test” est un test validé qui évalue la stabilitédynamique lorsqu’un sujet étend volontairement le membresupérieur le plus loin possible (Fig. 3). On peut également éva-luer la capacité du patient à résister à des petites poussées dedéstabilisation effectuées dans différents sens par l’examina-teur en position debout, quand elle est possible, ou en posi-tion assise. Depuis la mise en évidence du rôle important du sens de laverticalité du corps dans les troubles de l’équilibre, notam-ment en pathologie neurologique, son évaluation fait désor-mais partie du bilan clinique de la fonction posturale.

l’évAluAtion instRumentAleLa posturographie également appelée stabilométrie est unetechnique instrumentale permettant d’évaluer l’instabilité pos-turale de façon beaucoup plus sensible que les outils cliniques,par la mesure des oscillations du corps. Elle consiste à utiliser une plateforme de forces qui enregistreles déplacements du centre de pression (CP) au sol, eux-mêmereflétant les oscillations du CG du corps humain. Cette évalua-tion peut être réalisée dans des conditions de stabilité ou demouvement. la posturographie statique évalue la posture chez le sujetdebout ayant comme consigne de ne pas bouger. Les enre-gistrements se font d’abord les yeux ouverts, puis avec lesyeux fermés. Les coordonnées du CP sont analysées par ordi-nateur et permettent de calculer plusieurs indices posturo-

Fig. 4 : Stabilogramme obtenue par enregistrement sur une plateforme deforce statique. Chez le sujet sain (a), l’ellipse est de petite surface bien aucentre entre les pieds. Chez un hémiplégique droit (b) l’ellipse est disperséeet déplacé plus vers la gauche

a

b

Fig. 3 : Functional Reach Test. Notez les difficultés présentées par ce patienthémiplégique gauche pour se pencher vers l’avant de façon maximale.

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graphiques dont nous ne citerons que les plus utilisés en cli-nique. Il s’agit essentiellement de la position moyenne du CP(reflétant l’asymétrie de la répartition du poids du corps surles deux pieds), la dispersion du CP (surface de l’ellipse conte-nant 90% des positions de projection du CG sur le PS), et lequotient de Romberg (quotient de la surface de l’ellipse encondition yeux fermés sur la surface en condition yeuxouvert) qui apprécie l’importance des afférences visuellesdans la régulation posturale (Fig. 4). Actuellement, la posturographie statique constitue un outilde mesure rapide et simple d’usage, utilisant des plateformespeu encombrantes et de moins en moins chères avec desrésultats à la fois très utiles et fiables, d’où son utilisationcroissante en pratique clinique quotidienne. La posturographie dynamique mesure les déplacements duCP chez le sujet en situation déséquilibrante. L’outil de mesure correspond à une véritable chambre per-mettant de varier les conditions d’évaluation en manipulantles informations visuelle (éclairage, obscurité, illusions d’op-tique) et/ou de la surface d’appui (plateformes pouvant s’in-cliner, coulisser ou tourner), permettant ainsi de mettre enévidence des sous-types de troubles posturaux afin de ciblerla prise en charge thérapeutique. Ces manipulations de l’in-put sensoriel peuvent également se faire dans l’objectif decréer une situation de conflit afin d’évaluer la capacité dusujet à fournir des réponses compensatoires efficaces parrepondérage sensoriel. Encore largement dédiée à larecherche clinique, la posturographie dynamique trouve peuà peu sa place dans l’évaluation clinique de certains cas pluscomplexes. Chez le patient hémiplégique, l’évaluation posturographiquese caractérise par un appui asymétrique avec une déviationvers le membre sain, notamment en cas d’atteinte de l’hémi-sphère droit avec difficulté de transfert du poids sur lemembre parétique, et par une dispersion plus importante duCP plantaire (grande surface de l’ellipse traduisant des oscil-lations corporelles de plus grande amplitude). Les patientshémiplégiques se caractérisent également par un temps deréaction allongé aux poussées déséquilibrantes et par unedépendance accrue aux afférences visuelles. Ces anomalies peuvent s'améliorer avec le temps, reflétantune meilleure intégration somato-sensorielle, avec une aug-mentation progressive de l'utilisation des informations affé-rentes proprioceptives et exteroceptive du membre inférieurparétique. Cependant, la stabilité reste souvent plus affectéechez les patients hémiplégiques que dans un groupe contrôled’âge comparable.

l’évAluAtion FonctionnelleLes patients ayant les mêmes déficiences peuvent avoir desniveaux fonctionnels différents selon les capacités de com-pensation et d’adaptation, personnelles et environnemen-tales propres à chacun. Ainsi, toute évaluation de la fonctionposturale doit également s’intéresser au retentissementfonctionnel sur la vie quotidienne. Dans les tests fonctionnels,

les patients doivent maintenir leur équilibre tout en réalisantdes tâches fonctionnelles de niveau de difficulté croissantselon le type de l’activité proposée, comme se retourner dansle lit, s’assoir au bord du lit, se mettre debout et marcher. Plusieurs scores peuvent être utilisés dont nous citerons lesplus spécifiques à l’hémiplégie vasculaire à savoir l’indiced’équilibre postural assis (EPA), l’indice d’équilibre posturaldebout (EPD) et le Postural Assesment Scale for Strokepatients (PASS).

PRise en chARGe en mPRLa fonction posturale est indispensable à toute activité motrice.En effet, l’acquisition d’un équilibre stable est le premier pasvers la récupération de la marche mais aussi vers la préventiondes chutes et l’amélioration de l’autonomie des patients.

Ainsi, la prise en charge des troubles de l’équilibre représentela première étape de la rééducation motrice post-AVC. Celle-cifait appel à différentes techniques, manuelles et instrumen-tales, en s’adaptant aux possibilités et aux limites de chaquepatient.

tRAvAil en kinésithéRAPie de lA PostuRe et del’équilibReLe kinésithérapeute va organiser et diriger les exercices visantà améliorer la posture et l’équilibre dès les premiers jourspost-AVC. Il s’agit d’un ensemble d’exercices basés sur la sti-mulation posturale du tronc dont l’intensité sera adaptée auxcapacités du patient et à sa fatigabilité.

• Retournements au solLa capacité de se retourner tout seul au sol ou dans son litconstitue le premier objectif dans le contrôle postural dutronc. Au tout début, on encourage le patient à utiliser lessupports accessibles comme la barre du lit ou le triangle sus-pendu au dessus de sa tête.

• travail de l’équilibre assisUne fois que le patient a récupéré une motricité tronculairesatisfaisante, la position assise avec appui postérieur serapossible. Cependant, cette position est le plus souvent asy-métrique avec appui majoré sur la fesse du côté sain. Le kinésithérapeute va aider le patient à travailler le maintiende l’équilibre assis sur différents supports (au bord du lit, surun plan bobath, ou sur un ballon de Klein). Ce travail se faitd’abord en situation statique : le patient doit s’opposer à despoussées déséquilibrantes d’intensité croissante appliquéespar le kinésithérapeute dans différentes directions. Au début,le patient dispose d’une surface d’appui assez large avecappui des mains sur le bord du plan de support et appui despieds au sol. Cette surface d’appui sera progressivementréduite en réalisant le même exercice avec les mains sur lesgenoux puis avec les pieds surélevés du sol (Fig. 5). La dépen-dance visuelle peut être réduite en réalisant l’exercice avecles yeux fermés. Ensuite, on propose des exercices dyna-miques pendant lesquels le patient doit maintenir son équi-

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libre assis tout en réalisant un mouvement volontaire (Ex :attraper une cible mobile). Au cours de ces exercices, le kiné-sithérapeute aidera le patient à rééquilibrer le transfert dupoids de son corps sur la fesse hémiplégique.

• le transfert assis-deboutC’est une étape importante dans la rééducation motrice quisera entreprise dès que la position assise est acquise. Pourmaitriser ce transfert, on le réalise en plusieurs étapes quiseront au préalable expliquées au patient. D’abord, le patientdoit être assis de façon symétrique avec les pieds bien au solet placés un peu en arrière de la chaise (flexion genouxautour de 110°). Le patient doit pousser son corps vers lehaut et vers l’avant avec guidage par le kinésithérapeute. Ilreste debout quelques secondes selon la tolérance, puisretourne à la position assise avec contrôle de la descentepour ne pas s’effondrer (Fig. 6). Ce transfert “assis-debout”doit être répété et amélioré en partant progressivementd’une position de plus en plus basse.

• travail de l’équilibre deboutQuand le patient acquiert un contrôle postural suffisant pourse mettre debout, le travail en kinésithérapie va être axé surdeux objectifs :

- le transfert du poids sur le membre parétique : les premiersexercices auront pour objectif la prise de conscience de ce défi-cit d’appui et sa correction active par le patient. Pour facilitercette prise de conscience, on peut mettre le patient devant unmiroir quadrillé (Fig. 7) qui va objectiver une déviation de l’axedu corps, ou placer simultanément chaque pied du patient surun pèse-personne pour objectiver l’inégalité d’appui. Le kinési-thérapeute peut également guider le patient au niveau du bas-sin pour lui faire ressentir, par une bascule de hanche, la cor-rection de l’appui sur le membre parétique.

- l’amélioration de l’équilibre global : le kinésithérapeutevarie les exercices pour travailler l’équilibre debout, d’aborden bipodal puis en diminuant le PS jusqu’à l’appui monopodal(si possible), en situation de déstabilisation externe (pousséesdéséquilibrantes) et internes (mouvements volontaires). A unstade ultérieur, on peut proposer des exercices visant àréajuster les capacités de pondération sensorielle en modu-lant les afférences proprioceptives (modifier les surfacesd’appui : mousse, plan instable, terrain accidenté) et visuelles(fermer les yeux, diminuer l’éclairage). Tout au long de ces exercices, le kinésithérapeute insisterasur le développement des réactions de protection automa-tique en vue de diminuer le risque de chute.

Fig. 5 : Exemple de travail en kinésithérapie

Fig. 6 : Le transfert assis-debout(a) assis(b) intermediaire(c) debouta b c

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et de RéAdAPtAtion

Fig. 6 : Le transfert assis-debout(a) assis(b) intermediaire(c) debout

tAble i : scoRes PostuRAux de bouRGès

classe A-indice d’équilibre postural assis (e.P.A) b-indice d’équilibre postural debout (e.P.d)

0 Aucun équilibre en position assise (effondrement du tronc). Aucune possibilité de maintien postural debout.Nécessité d’un appui postérieur et d’un soutient latéral.

1 Position assise possible avec appui postérieur. Position debout possible avec transferts d’appui sur le membre hémiplégique très insuffisant. Nécessité d’un soutien.

2 Equilibre postural assis maintenu sans appui postérieur, Position debout possible avec transferts d’appuimais déséquilibre lors d’une poussée sur le membre hémiplégique encore incomplets. quelle qu’en soit la direction. Pas de soutien.

3 Equilibre postural assis maintenu sans appui postérieur Transferts d’appui corrects en position debout.et lors d’une poussée déséquilibrante quelle qu’en soit la direction.

4 Equilibre postural assis maintenu sans appui postérieur, Equilibre postural debout maintenu lors des lors d’une poussée déséquilibrante et lors des mouvements mouvements de la tête, du tronc et des de la tête, du tronc et des membres supérieurs. membres supérieurs.Le malade remplit les conditions pour le passage de la position assise à la position debout seul

5 Appui uni-podal possible.

tRAvAil suR PlAteFoRme de FoRce AvecbioFeedbAckLa rééducation par biofeedback (BFB) posturologique reposesur le principe de toute rééducation par rétro-information quiconsiste à fournir au patient une information de retour d’ori-gine externe (instrumentale) sur ses propres performances.Cette rééducation a pour objectif d’entrainer un apprentissa-ge par conditionnement qui serait maintenu après le sevragede la rétro-information externe. La rééducation posturologique fait appel aux mêmes plate-formes de forces utilisées pour l’évaluation stabilométrique.Elle a pour objectif de réduire les deux principales perturba-tions qui sont l’asymétrie (distribution asymétrique du poidsdu corps au détriment du côté hémiplégique) et l’instabilité

(exagération des oscillations corporelles stabilisatrices).Cette rééducation utilise généralement un BFB visuel : lepatient voit sur l’écran les oscillations en temps réel de sonCG. Le patient a pour instruction de maintenir ce CG dans unintervalle précis initialement déterminé et qui sera plus oumoins réduit selon la difficulté de l’exercice. Certains logiciels associées aux plateformes fournissent éga-lement un BFB auditif, très intéressant pour une rééducationen situation de privation visuelle : le patient entend un bipsonore chaque fois que son CG dépasse les limites détermi-nées pour un exercice donné. L’efficacité du BFB posturologique sur l’amélioration del’équilibre postural a été largement documentée. Cependant,la plupart des études ont souligné que cette efficacité ne setraduisait pas systématiquement pas une amélioration desparamètres de la marche et qu’il n’y avait pas de transfert desacquis vers des tâches plus fonctionnelles.

RéAlité viRtuelle (Wii Fittm) La réalité virtuelle est de plus en plus utilisée en Médecine Phy-sique et de Réadaptation car elle permet une immersion dusujet dans un monde imaginaire mais très réaliste, offrant ainsila possibilité d’évaluation et de rééducation dans des condi-tions dites écologiques (proches de la vie quotidienne). La Wiiest une console de jeu qui a envahi le marché des jeux électro-niques dès sa sortie en 2006 et qui a séduit un large publiquepar la facilité de son utilisation, son réalisme et la créativité deses concepteurs. Cet engouement a atteint même les profes-sionnels de la rééducation qui ont vu en cette console uneméthode de rééducation aussi bien efficace que ludique.

Fig. 7 : Un miroir quadrillé

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LES TROUBLES DE LA POSTURE ET DE L’ÉQUILIBRE APRÈS AVC MÉDECINE PHYSIQUE

ET DE RÉADAPTATION

Ainsi, et à la demande de ces professionnels, les concepteurs de Nintendo® ont adapté cette console en associant une plateformede force “Wii FitTM” qui permet de recréer le CG de l’individu et de l’intégrer aux déplacements de son avatar sur l’écran, ce quipermet de concevoir des exercices mettant en jeu la posture, l’équilibre et la coordination des membres inférieurs. Beaucoup decentres de rééducation, notamment en Europe, s’en sont équipés et l’utilisent dans le cadre de la rééducation des troubles del’équilibre de leurs patients. Certaines études ont montré son efficacité dans ce type de rééducation et ont surtout souligné qu’el-le est bien tolérée par les patients.

CONCLUSIONLa récupération d’un équilibre debout satisfaisant constitue le premier pas vers la récupération de la marche, meilleur garant d’unebonne autonomie post-AVC. La rééducation des troubles de la posture et de l’équilibre occupe donc une place prioritaire dans leprotocole de prise en charge en MPR des patients souffrants d’un AVC.

1- Pratique De La Rééducation Neurologique. Anne De Morand. 2010 ELSEVIER / MASSON.2- De Oliveira CB, de Medeiros IR, Frota NA, Greters ME, Conforto AB. Balance control in hemiparetic stroke patients: main tools for evaluation. J Rehabil Res Dev. 2008; 45(8):1215-26.3- Pérennou D, Decavel P, Manckoundia P, Penven Y, Mourey F, Launay F, Pfitzenmeyer P, Casillas JM. [Evaluation of balance in neurologic and geriatric disorders]. Ann Readapt MedPhys. 2005 Jul; 48(6):317-35.4- Pérennou D, Decavel P, Manckoundia P, Penven Y, Mourey F, Launay F, Pfitzenmeyer P, Casillas JM. [Évaluation de l’équilibre en pathologie neurologique et gériatrique]. EMC5- Karim Jamala, Frédérique Le Floch, Philippe Gallienb. Intérêt de la WII Fit dans la rééducation de l’équilibre debout. Kinesither Rev 2011;(117):42-46

BIBLIOGRAPHIE

SUMMARY : Balance impairments are common and often disabling in post-stroke hemiplegia. They can be caused by dis-turbances in physiological systems involved in postural control including sensory afferents, biomechanical constraints andrepresentation of verticality. Balance impairments should be appropriately addressed using both clinical and instrumentaltools in order to achieve a precise characterization of these impairments and to define a personalized therapeutic manage-ment.

RÉSUMÉ : Les troubles de l'équilibre secondaires à une hémiplégie vasculaire sont fréquents et souvent handicapants. Ilspeuvent être causés par la perturbation des systèmes physiologiques impliqués dans le contrôle postural, dont les afférencessensorielles, les contraintes biomécaniques et la représentation de la verticalité. Une évaluation précise aussi bien cliniquequ’instrumentale est souvent indispensable pour caractériser ces troubles et pour proposer une stratégie thérapeutiqueadaptée et personnalisée.