les traitements associés à la reperfusion des sca st+

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COMPTE-RENDU DE CONGRÈS Prise en charge des syndromes coronaires aigus S32 AMC pratique Suppl. 2 avril 2010 Les traitements associés à la reperfusion des SCA ST+ D’après les communications de B. Aleil (Strasbourg), O. Barthélemy (Paris), S. Charpentier (Toulouse) , T. Cuisset (Marseille), G. Ducrocq (Paris), H. Le Breton (Rennes). Le traitement des SCA ST+ a fait l’objet de nouvelles recommandations de la Société Européenne de Cardiologie, qui incluent l’ensemble des thérapeutiques, au-delà des traitements de la reperfusion en les intégrant dans leur risques respectifs et surtout combinés, en particulier le risque hémorragique, qui impacte la morbi-mortalité dans des proportions quasi-identiques à celles de l’échec théra- peutique, a rappelé S. Charpentier (Toulouse). L’aspirine (160-500 mg) et le clopidogrel, à posologie adaptée à l’âge, y sont indiqués à la phase aiguë des SCA ST+ avec des recommandations de classe IB et IC respecti- vement [1, 2]. Dans les recommandations communes de la SFMU (Société Française de Médecine d’Urgence), SFC (Société Française de Cardiologie) et de la HAS (Haute Autorité de Santé), l’aspirine est administrée à 160-500 mg, le clopidogrel à 300 mg en dessous de 75 ans et à 75 mg au dessus, en adjoignant la morphine selon l’intensité de la douleur. La posologie des anticoagulants associés dépend de la stratégie de reperfusion et de l’âge (tableau 1). En dehors de l’aide au diagnostic de la douleur thoracique, les dérivés nitrés ne sont maintenant presque employés qu’en intraveineux chez des malades en œdème pulmo- naire, en prenant garde à l’hypotension et aux IDM du ventricule droit. L’oxygénothérapie est administrée lorsque la saturation est inférieure à 94 %. Les bêta-bloquants ne sont plus utilisés que pour ralentir une tachycardie. Antiagrégants plaquettaires : évolution Si ces recommandations sont relativement simples à mettre en œuvre dans le cadre de l’urgence pré-hospitalière, elles doivent cependant être comprises dans une perspective évolutive. Les doses initiales de clopidogrel ont progressi- vement augmenté au cours des dernières années, avec un meilleur résultat clinique. Dans OASIS-7, une posologie double réduit la survenue de complications au 30 e jour (tableau 2) [3]. La posologie optimale de clopidogrel dépend également du métabolisme du médicament, variable d’un sujet à l’autre, comme l’a mentionné B. Aleil (Strasbourg). Le clopidogrel est en effet une pro-drogue, dont l’absorption intestinale dépend d’une pompe glycoprotéique codée par le gène ABCB1, ensuite activée par différentes isofor- mes du cytochrome P 450 (CYP). Les métabolites actifs inhibent irréversiblement le récepteur à l’ADP plaquet- taire (codé par le gène P2RY12), inactivant en aval le récepteur plaquettaire au fibrinogène (glycoprotéine gp IIb/IIIa), codé par le gène ITGB3. L’étude FAST MI a pu montrer une corrélation entre la survenue d’événements secondaires, décès, infarctus du myocarde (IDM) ou accident vasculaire cérébral (AVC) dans l’année suivant un IDM et la présence de variants allèli- ques de gènes codant pour les protéines du métabolisme du clopidogrel [4]. Au cours du suivi d’un an des 2208 patients atteints d’IDM ST+ à la phase aiguë et ayant été traités par clopidogrel, une complication survient chez 294 d’entre eux : 225 décès, 94 IDM ou AVC. L’évolution défavorable est corrélée à la présence de polymorphismes mononucléotidiques sur certains gènes codant pour les protéines du métabolisme du clopidogrel, protéine d’absorption ABCB1, protéine d’activation métabolique CYP2C19 (tableau 2). Cette étude apporte ainsi un nouveau regard sur le facteur important du pronostic des coronariens qu’est la résis- tance aux antiagrégants plaquettaires, au-delà des seuls aspects de non-compliance, d’insuffisance posologique ou d’interactions médicamenteuses [4]. Le prasugrel agit en bloquant le récepteur P2Y12 plaquet- taire, comme le clopidogrel, mais de façon beaucoup plus puissante. Il n’a pas de métabolisme hépatique dépendant de la CYP, et son action est donc moins susceptible de Tableau 1. Anticoagulants associés à la reperfusion. Thrombolyse Angioplastie primaire Age < 75 ans Age >75 ans Enoxaparine Bolus 30 mg IV, puis 1 mg/kg/12h SC Héparine non fractionnée Bolus 60 U/kg IV, puis 12 U/kg/h (<100U/h) Bolus 60 U/kg (<400 U) 12 U/kg/h ± anti gpIIb/IIIa Tableau 2. Fréquence des complications à un an en fonction de la présence ou non d’un variant allèlique des protéines du métabolisme du clopidogrel. Variant allèlique : Présent Absent HR ABCB1 15,5% 10,7% 1,72 CYP2C19 21,5% 13,3% 1,98 (3,58 chez les 1535 patients revascularisés par intervention percutanée

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Page 1: Les traitements associés à la reperfusion des SCA ST+

COMPTE-REnDU DE COnGRèS Prise en charge des syndromes coronaires aigus

S32 AMC pratique Suppl. 2 avril 2010

Les traitements associés à la reperfusion des SCA ST+D’après les communications de B. Aleil (Strasbourg) , O. Barthélemy (Par is) , S. Charpentier (Toulouse) , T. Cuisset (Marseille), G. Ducrocq (Paris), H. Le Breton (Rennes).

Le traitement des SCA ST+ a fait l’objet de nouvelles recommandations de la Société Européenne de Cardiologie, qui incluent l’ensemble des thérapeutiques, au-delà des traitements de la reperfusion en les intégrant dans leur risques respectifs et surtout combinés, en particulier le risque hémorragique, qui impacte la morbi-mortalité dans des proportions quasi-identiques à celles de l’échec théra-peutique, a rappelé S. Charpentier (Toulouse).L’aspirine (160-500 mg) et le clopidogrel, à posologie adaptée à l’âge, y sont indiqués à la phase aiguë des SCA ST+ avec des recommandations de classe IB et IC respecti-vement [1, 2]. Dans les recommandations communes de la SFMU (Société Française de Médecine d’Urgence), SFC (Société Française de Cardiologie) et de la HAS (Haute Autorité de Santé), l’aspirine est administrée à 160-500 mg, le clopidogrel à 300 mg en dessous de 75 ans et à 75 mg au dessus, en adjoignant la morphine selon l’intensité de la douleur. La posologie des anticoagulants associés dépend de la stratégie de reperfusion et de l’âge (tableau 1).En dehors de l’aide au diagnostic de la douleur thoracique, les dérivés nitrés ne sont maintenant presque employés qu’en intraveineux chez des malades en œdème pulmo-naire, en prenant garde à l’hypotension et aux IDM du ventricule droit. L’oxygénothérapie est administrée lorsque la saturation est inférieure à 94 %. Les bêta-bloquants ne sont plus utilisés que pour ralentir une tachycardie.

Antiagrégants plaquettaires : évolution

Si ces recommandations sont relativement simples à mettre en œuvre dans le cadre de l’urgence pré-hospitalière, elles doivent cependant être comprises dans une perspective

évolutive. Les doses initiales de clopidogrel ont progressi-vement augmenté au cours des dernières années, avec un meilleur résultat clinique. Dans OASIS-7, une posologie double réduit la survenue de complications au 30e jour (tableau 2) [3].La posologie optimale de clopidogrel dépend également du métabolisme du médicament, variable d’un sujet à l’autre, comme l’a mentionné B. Aleil (Strasbourg). Le clopidogrel est en effet une pro-drogue, dont l’absorption intestinale dépend d’une pompe glycoprotéique codée par le gène ABCB1, ensuite activée par différentes isofor-mes du cytochrome P 450 (CYP). Les métabolites actifs inhibent irréversiblement le récepteur à l’ADP plaquet-taire (codé par le gène P2RY12), inactivant en aval le récepteur plaquettaire au fibrinogène (glycoprotéine gp IIb/IIIa), codé par le gène ITGB3.L’étude FAST MI a pu montrer une corrélation entre la survenue d’événements secondaires, décès, infarctus du myocarde (IDM) ou accident vasculaire cérébral (AVC) dans l’année suivant un IDM et la présence de variants allèli-ques de gènes codant pour les protéines du métabolisme du clopidogrel [4].Au cours du suivi d’un an des 2208 patients atteints d’IDM ST+ à la phase aiguë et ayant été traités par clopidogrel, une complication survient chez 294 d’entre eux : 225 décès, 94 IDM ou AVC. L’évolution défavorable est corrélée à la présence de polymorphismes mononucléotidiques sur certains gènes codant pour les protéines du métabolisme du clopidogrel, protéine d’absorption ABCB1, protéine d’activation métabolique CYP2C19 (tableau 2).Cette étude apporte ainsi un nouveau regard sur le facteur important du pronostic des coronariens qu’est la résis-tance aux antiagrégants plaquettaires, au-delà des seuls aspects de non-compliance, d’insuffisance posologique ou d’interactions médicamenteuses [4].Le prasugrel agit en bloquant le récepteur P2Y12 plaquet-taire, comme le clopidogrel, mais de façon beaucoup plus puissante. Il n’a pas de métabolisme hépatique dépendant de la CYP, et son action est donc moins susceptible de

Tableau 1. Anticoagulants associés à la reperfusion.Thrombolyse Angioplastie primaire

Age < 75 ans Age >75 ansEnoxaparine Bolus 30 mg IV, puis 1 mg/kg/12h SC Héparine non fractionnée Bolus 60 U/kg IV, puis 12 U/kg/h

(<100U/h)Bolus 60 U/kg (<400 U)12 U/kg/h ± anti gpIIb/IIIa

Tableau 2. Fréquence des complications à un an en fonction de la présence ou non d’un variant allèlique des protéines du métabolisme du clopidogrel.Variant allèlique : Présent Absent HRABCB1 15,5% 10,7% 1,72CYP2C19 21,5% 13,3% 1,98 (3,58 chez les 1535 patients revascularisés par intervention percutanée

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COMPTE-REnDU DE COnGRèS

S33AMC pratique Suppl. 2 avril 2010

charge dans les 6 heures du début des symptômes sont traités par angioplastie seule ou facilitée par abciximab seul ou combiné au reteplase demi-dose (angioplastie faci-litée combinée). Tous reçoivent de l’héparine non fraction-née ou de l’enoxaparine avant l’angioplastie et une perfusion d’abciximab pendant les 12 heures qui la suivent. Le critère primaire de jugement, composite de mortalité globale, fibrillation ventriculaire, choc cardiogénique et insuffisance cardiaque au 90e jour, est atteint de façon semblable dans les trois groupes.Ainsi, dans FINESSE, le pré-traitement par abciximab ± reteplase ne modifie pas le pronostic [8]. Le nombre de saignements majeurs et de transfusions, à l’inverse, est plus élevé lorsque la revascularisation percutanée est faci-litée par l’abciximab, et plus encore, combinée avec abcixi-mab et reteplase [8].Si FINESSE a considérablement limité l’intérêt pour la revascularisation associée à la fibrinolyse et aux anti-GPIIb/IIIa en pré-procédure, d’autres études ont en revanche montré le bénéfice potentiel des anti-GPIIb/IIIa en pré-hospitalier, en particulier lorsque le malade est relative-ment éloigné du centre de cardiologie interventionelle.L’étude sur la prise en charge intégrée des SCA ST+ coor-donnée par P. Ortolani (Bologne) a inclus 1124 malades adressés pour angioplastie primaire, et a comparé l’admi-nistration précoce, pré-hospitalière d’anti-GPIIb/IIIa (abcixi-mab ou tirofiban) à la perfusion débutée simultanément à l’angioplastie [9]. Les délais avant inflation du ballon, de l’ordre de 3 heures, situent les résultats dans le domaine de la « vie réelle ». L’administration pré-hospitalière réduit significativement la mortalité à long terme (tableau 3).Une autre approche de traitement adjuvant de la revascu-larisation par voie percutanée a également été proposée récemment, avec la bivalirudine, inhibiteur direct de la thrombine. L’étude HORIZONS-AMI (Harmonizing Outcomes with Revascularizatoin and Stents in Acute Myocardial Infarction) a comparé l’association héparine

varier d’un malade à l’autre. L’essai TRITON-TIMI 38 (Trial to Assess Improvements in Therapeutic Outcomes by Optimizing Platelet Inhibition with Prasugrel-Thrombolysis In Myocardial Infarction 38) a montré que le prasugrel, comparativement au clopidogrel, réduit de 19 % la morta-lité cardiovasculaire et la survenue d’IDM et d’AVC non fatals des patients avec un syndrome coronaire aigu (SCA) traités par angioplastie, mais au prix d’une majoration des complications hémorragiques [5].L’analyse du sous-groupe des diabétiques de l’étude (N= 3146, dont 776 insulino-traités avant le SCA) a été motivée du fait de l’hyperactivité plaquettaire observée chez les diabétiques et de leur moindre sensibilité au clopi-dogrel [6]. Le critère primaire de jugement, composite, associe mortalité cardio-vasculaire, IDM et AVC non fatals. Le bénéfice net, quant à lui, combine ces 3 critères et les accidents hémorragiques majeurs (TIMI) non fatals. Le bénéfice du prasugrel, supérieur chez le diabétique insu-lino-requérant ou non, n’est pas limité par une augmen-tation des accidents hémorragiques tels qu’on l’observe chez le non diabétique.La survenue d’un événement du critère principal est ainsi réduite de 30 % par le prasugrel chez le diabétique (12,2 % vs 17,0 % ; IC 95 % : 0,58-0,85 ; p < 0,001), contre 14 % seulement chez le non diabétique (9,2 % vs 10,6 % ; IC 95 % : 0,76-0,98 ; p = 0,02), tandis que la survenue d’accidents hémorragiques majeurs est identique avec prasugrel et clopidogrel, chez le diabétique, mais majorée chez le non diabétique [6].

Anti-GPIIb/IIIa

A la différence des SCA sans sus-décalage de ST, où l’inté-rêt des anti-GPIIb/IIIa a été établi [7], il reste incertain dans les SCA ST+, à la suite de l’essai FINESSE (Facilitated Intervention with Enhanced Reperfusion Speed to Stop Events). Les 2452 patients inclus pour SCA ST+ pris en

Tableau 3. Anti-gpIIb/IIIa en pré-hospitalier ou en salle de cathéterisme.Abciximab : Pré-hospitalier (N=380) En salle de cathétérisme (N=744) P=Mortalité (%)30j :2 ans :

417

723

0,070,01

Récidive IDM (%) 1 0,4 0,18Hémorragie majeure (%)

Tableau 4. Bivalirudine dans HORIZON-AMI.Héparine + anti-gpIIb/IIIa (N=1802) Bivalirudine (N=1800) P=

Mortalité, IDM,AVC,revascularisation (%) 5,5 5,4 0,95Hémorragie majeure (%) 10,8 6,2 <0,001Critère composite (événements cardiaques et hémorragie) (%)

12,1 9,2 0,005

Page 3: Les traitements associés à la reperfusion des SCA ST+

COMPTE-REnDU DE COnGRèS Prise en charge des syndromes coronaires aigus

S34 AMC pratique Suppl. 2 avril 2010

5. Montalescot G, Wiviott SD, Braunwald E, et al. Prasugrel compared with clopi-. Montalescot G, Wiviott SD, Braunwald E, et al. Prasugrel compared with clopi-Montalescot G, Wiviott SD, Braunwald E, et al. Prasugrel compared with clopi-Prasugrel compared with clopi-dogrel in patients undergoing percutaneous coronary intervention for ST-elevation myocardial infarction (TRITON-TIMI 38) : double bind, rand-omized trial. Lancet 2009;373:723-31

6. Wiviott SD, Braunwald E, Andiolillo DJ, et al. Greater clinical benefit of more intensive oral antiplatelet therapy with prasugrel in patients with diabetes mellitus in the trial to assess improvement in therapeutic outcomes by opti-mizing platelet inhibition with prasugrel-thrombolysis in myocardial infarction 38. Circulation 2008;118:1626-36.

7. Boersma E, Harrington RA, Moliterno DJ, et al. Platelet glycoprotein IIb/IIa in acute coronary syndromes: a meta-analysis of all major randomized clinical trials. Lancet 2002;359:189-98.

8. Ellis SG, Tendera M, de Belder MA, et al. Facilitated PCI in patients with ST-elevation myocardial infarction. N Engl J Med 2008;358:2205-17.

9. Ortolani P, Marzocchi A, Marrozzini C, et al. Long-term effectiveness of early administration of glycoprotein IIb/IIIa agents to real world patients undergo-ing primary percutaneous interventions: results of a registry study in an ST-elevation myocardial infarction network. Eur Heart J 2009;30:33-43.

10. Stone GW, Witzenbichler B, Guagliumi G, et al. Bivalirudin during primary PCI in acute myocardial infarction. N Engl J Med 2008;358:2218-30.

+ anti-gpIIb/IIIa à la bivalirudine seule chez 3 602 malades atteints d’un SCA ST+ dans les 12 heures [10]. La bivaliru-dine réduit la survenue du critère primaire, composite des événements cardiaques (mortalité, IDM, AVC, revasculari-sation) et des saignements majeurs, mais essentiellement du fait d’une réduction du risque hémorragique (tableau 4).

Références1. van de Werf F, Bax J, Betriu A et coll. Management of acute myocardial infarc-Management of acute myocardial infarc-

tion in patients presenting with persistent ST-segment elevation. Eur Heart J 2008;29:2909-45.

2. Sabatine MS, Cannon CP, Gibson M, et al. Addition of clopidogrel to aspirin and fibrinolytic therapy for myocardial infarction with ST-segment elevation. N Engl J Med 2005;352:1179-89.

3. Montalescot G, Sideris G, Meuleman C, et al. A randomized comparison of high clopidogrel loading doses in patients with non-ST-segment elvation acute coronary syndromes: the ALBION trial. J Am Coll Cardiol 2006;48:931-8.

4. Simon T, Verstuyft C, Mary-Krause M, et al. Genetic determinants of response to clopidogrel and cardiovascular events. N Engl J Med 2009;360:363-75.